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Centre Antoine Vitez asbl Théâtre de l'Aléna asbl Château de Sclessin

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<strong>Centre</strong> <strong>Antoine</strong> <strong>Vitez</strong> <strong>asbl</strong> <strong>Théâtre</strong> <strong>de</strong> l’Aléna <strong>asbl</strong><br />

<strong>Centre</strong> <strong>Antoine</strong> <strong>Vitez</strong> <strong>asbl</strong><br />

<strong>Théâtre</strong> <strong>de</strong> l’Aléna <strong>asbl</strong><br />

<strong>Château</strong> <strong>de</strong> <strong>Sclessin</strong><br />

Rue <strong>de</strong> Berloz, 2<br />

4000 Liège<br />

+(0032) 4/254.21.12<br />

+(0032) 4/ 254.21.11<br />

www.centreantoinevitez.be<br />

www.theatre<strong>de</strong>lalena.be


Page 2


Table <strong>de</strong>s matières<br />

Chapitre I : Histoire d‟un rêve. De qui parle-t-on ? p.3<br />

Chapitre II: La création du centre quitte le papier… p.8<br />

Chapitre III : Illusion <strong>de</strong> paix p.12<br />

Chapitre IV : La canaille pointe le bout <strong>de</strong> son nez p.16<br />

Chapitre V : Dieu football… p.18<br />

Chapitre VI : Le <strong>Théâtre</strong> <strong>de</strong> l‟Aléna p.22<br />

Chapitre VII : Une salle pour elle... p.25<br />

Chapitre VIII : La vie continue…faire un don p.26<br />

Le pourquoi P.30<br />

Page 3


Histoire d’un rêve<br />

“Comment après avoir créé une école d‟art, un théâtre, je fus obligé <strong>de</strong><br />

vendre <strong>de</strong>s briques pour sauver le <strong>Château</strong> qui les abrite…”<br />

Chapitre I : De qui parle-t-on?<br />

D‟emblée, le fait <strong>de</strong> passer <strong>de</strong> comédien, à metteur en scène, à auteur, à<br />

directeur d‟école d‟art, à directeur <strong>de</strong> théâtre, à professeur d‟art dramatique et enfin,<br />

à responsable <strong>de</strong> l‟organisation d‟une utopie, le tout agrémenté <strong>de</strong> journées comme<br />

ouvrier du bâtiment dans ce château en ruine, où, sans rien, Stéphanie, ma<br />

compagne et moi, avons posé la première pierre brute <strong>de</strong> nos rêves d‟artistes,<br />

suscite <strong>de</strong>s questions qui se bousculent encore. Que <strong>de</strong> méandres insondables la vie<br />

peut-elle réserver! Si j‟avais pu envisager, fusse un instant <strong>de</strong> manière fugace, ma<br />

vie au sortir du Conservatoire, grâce auquel je n‟étais même pas préparé au métier<br />

d‟acteur dans sa réalité, je me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> souvent si j‟aurais eu cette dose d‟idéalisme<br />

et d‟inconscience nécessaire à démarrer ces projets d‟envergure.<br />

Mais revenons au début, à la genèse du centre <strong>Antoine</strong> <strong>Vitez</strong>, école <strong>de</strong>s<br />

arts <strong>de</strong> la scène. Sorti <strong>de</strong>puis peu du Conservatoire <strong>de</strong> Liège et déjà déprimé par<br />

cette machine à castrer la créativité débridée, je ne me sentais plus aucune envie <strong>de</strong><br />

faire ce métier. Le problème vient déjà du mot “métier”. Est-ce un métier? Une<br />

acquisition <strong>de</strong> compétences pourrait l‟en faire approcher mais, au fil du temps, je<br />

pense qu‟être artiste n‟est pas un métier, et l‟abor<strong>de</strong>r comme tel donne <strong>de</strong> gentils<br />

carriéristes, parfois non dénués <strong>de</strong> talent, mais jamais <strong>de</strong>s artistes. Dès lors qu‟on<br />

entre “ en théâtre” et j‟utilise à <strong>de</strong>ssein cette formulation, rien n‟est plus pareil : notre<br />

regard sur nous, sur les autres, sur le mon<strong>de</strong>, cette mise en mouvement perpétuelle<br />

<strong>de</strong> la pensée, cette découverte biologique <strong>de</strong> textes, car jouer un texte, au <strong>de</strong>là <strong>de</strong> sa<br />

simple lecture, fut-elle très éclairée, n‟a rien à voir avec un métier. C‟est une plongée<br />

en aveugle dans la quintessence <strong>de</strong> l‟humain et donc <strong>de</strong> l‟humanité. Cela nous<br />

rapproche assez <strong>de</strong>s chercheurs pour certains aspects et <strong>de</strong>s artisans pour d‟autres.<br />

Donc, écœuré par le microcosme oppressant <strong>de</strong> cette école emplie <strong>de</strong> frustrations,<br />

le conservatoire, <strong>de</strong> mesquineries, <strong>de</strong> bassesses ou parfois, mais rarement, se<br />

construisent <strong>de</strong>s moments <strong>de</strong> perfection hors contingence <strong>de</strong> production, donc, <strong>de</strong><br />

ren<strong>de</strong>ment, je fis quelques rencontres avec d‟authentiques artistes. Il faut ici citer le<br />

clan <strong>de</strong>s Bonfanti, Eve et Marie Luce, Yves Unstad. Des liens très amicaux avaient<br />

été tissés au fil du travail et une amitié était née avec Marie Luce, brillante<br />

comédienne et pédagogue quoique ayant tendance, dans un souci d‟exigence, à être<br />

franchement tyrannique. Je peux clairement affirmer avec le recul que je lui dois ce<br />

que je suis <strong>de</strong>venu, si tenté est que je sois <strong>de</strong>venu quelqu‟un, dans le sens, sortant<br />

du lot. Elève d‟<strong>Antoine</strong> <strong>Vitez</strong>, elle fut toujours là, <strong>de</strong> proche en proche puis <strong>de</strong> loin en<br />

loin, dans les moments <strong>de</strong> doutes ou <strong>de</strong> vi<strong>de</strong>, dans les errements, dans les crises<br />

mais aussi, ils furent rares, dans les moments <strong>de</strong> joie. C‟est elle qui souvent me<br />

soutint intellectuellement à bout <strong>de</strong> bras, me donnant confiance dans mon travail.<br />

Page 4


Elle d‟un coté et Stéphanie <strong>de</strong> l‟autre, j‟étais un homme « protégé ».<br />

Marie Luce me poussa à accepter <strong>de</strong> partir à Paris car une charge <strong>de</strong> cours dans<br />

une école privée s‟offrait à moi, quelques castings et un agent. Je n‟ai pas aimé ces<br />

années parisiennes car ce rêve n‟était pas le mien. Cela me forgea un peu plus. Ne<br />

pouvant pas refuser et rien ne s‟offrant à moi dans ma ville natale, je migrai. La partie<br />

la plus difficile <strong>de</strong> cette migration fut d‟être privé <strong>de</strong> la présence <strong>de</strong> mon amoureuse.<br />

Cela peut paraître fleur bleue mais seulement aux regards <strong>de</strong>s cyniques ou <strong>de</strong> ceux<br />

qui n‟ont, hélas, jamais connu l‟Amour.<br />

Je me retrouvais donc dans à donner <strong>de</strong>s cours <strong>de</strong> théâtre à <strong>de</strong>s débutants.<br />

J‟avais conscience <strong>de</strong> l‟ironie <strong>de</strong> la chose, moi qui avais toujours crié haut et fort que<br />

je ne dirigerais jamais <strong>de</strong> cours! Première <strong>de</strong> mes longues contradictions qui<br />

m‟empêchent aujourd‟hui d‟être tranché. Je fuis le mot “jamais”. Pourtant, je fus très<br />

vite obligé d‟admettre que cela se passait très bien et que j‟adorais cela. Mon cours<br />

pouvait sembler hétéroclite car je le construisais avec les élèves, pour les élèves.<br />

Tout pouvant <strong>de</strong>venir théâtre, une gran<strong>de</strong> liberté <strong>de</strong> ton, sans catégorisation aucune,<br />

bouscula <strong>de</strong> semaine en semaine mon propre apprentissage. Je partageais avec ce<br />

groupe mes lectures, mes réflexions et nous construisions notre cours là-<strong>de</strong>ssus,<br />

comme sur un marécage duquel émergeait soudain une montgolfière flamboyante en<br />

papier.<br />

Le renom <strong>de</strong> l‟école, la taille <strong>de</strong> la salle, son nom prestigieux, l‟argent mis en<br />

jeu ne sont que miroirs à égo pour beaucoup d‟artistes et mes plus grands bonheurs<br />

<strong>de</strong> théâtre, je les ai vécus dans l‟intimité <strong>de</strong> cours où sur <strong>de</strong> petites scènes sans<br />

prestige que celui d‟avoir soudain “la grâce”.<br />

Quelques castings plus loin, digression encore : je hais tellement cela qui est<br />

un moindre mal dans une sélection mais qui reste un mal; j‟applique toujours pour<br />

mon compte la rencontre. Je veux voir un acteur jouer, s‟ épanouir dans son<br />

élément, la scène et pas sous l‟œil « cyclopique » d‟une caméra souvent hostile qui<br />

dévore les multiples prétendants, fin <strong>de</strong> la digression, quelques castings plus loin<br />

donc, je gagnais petitement ma vie grâce au cinéma et à la télévision. Petits rôles<br />

peu artistiquement épanouissants, mais je n‟allais pas me plaindre. Et pourtant si. Au<br />

fil <strong>de</strong>s rôles idiots, je comprenais que je n‟avais pas choisi <strong>de</strong> « faire ce métier » pour<br />

débiter 5 phrases ineptes dans un film que je n‟irais moi-même jamais voir. Le<br />

fastfood <strong>de</strong> l‟art, même avec son emballage en carton doré, ne me plaisait<br />

définitivement pas. Cela resterait <strong>de</strong> l‟alimentaire donc tant que je serais capable <strong>de</strong><br />

le supporter. Hélas, truffé d‟idéaux, peut être mal placés, certes, je ne supportais vite<br />

plus ces compromis avec moi-même.<br />

De plus et pour couronner tout cela, le milieu que je rencontrais,<br />

extrêmement cynique et cruel envers le mon<strong>de</strong> entier ne me faisait pas rêver et quoi<br />

<strong>de</strong> pire pour un rêveur professionnel? Les artistes avec qui je rêvais <strong>de</strong> travailler<br />

restaient inaccessibles, enfermés dans une tour d‟ivoire <strong>de</strong>stinée à les protéger eux<br />

aussi <strong>de</strong> la bêtise et <strong>de</strong> l‟hyper production. J‟eus pourtant le privilège <strong>de</strong> rencontrer<br />

Monsieur Jean Pierre Bacri invité par un ami commun à la représentation <strong>de</strong> “Un air<br />

<strong>de</strong> famille”. Quelle leçon <strong>de</strong> simplicité, <strong>de</strong> talent d‟écriture et <strong>de</strong> jeu! Ensuite, après la<br />

pièce, quelle rencontre discrète et pudique. Comment donc travailler avec <strong>de</strong> telles<br />

personnes ? Au contact <strong>de</strong> personnes comme cela, on se sent <strong>de</strong>venir meilleur, plus<br />

intelligent et cela me fit penser à Marie Luce.<br />

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Ainsi, plus on est brillant, mais pas comme un diamant, plutôt comme une huître qui<br />

cache et polit son trésor, plus on a la faculté d‟être simple car appréhendant les<br />

choses avec plus <strong>de</strong> recul, plus <strong>de</strong> hauteur, cela permet <strong>de</strong> transmettre sans donner<br />

<strong>de</strong> leçon, sa quête, son travail artistique sans fioriture, sans trop d‟égo. Merci Marie<br />

Luce, merci Monsieur Bacri! Depuis, combien je regrette <strong>de</strong> ne plus avoir croisé votre<br />

route.<br />

Ainsi, dans cette machine financière et narcissique, il y avait quelques<br />

“quêteurs <strong>de</strong> graal”. Il me faudra bien vite apprendre à les distinguer <strong>de</strong> leurs avatars:<br />

les gardiens du temple. Ceux qui savent…<br />

Ceux qui, seuls, font <strong>de</strong> l‟art et jugent sans détours les autres. Les donneurs <strong>de</strong><br />

leçons, les critiqueurs qui confon<strong>de</strong>nt vertige <strong>de</strong> la profon<strong>de</strong>ur et vertige du vi<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

leur profon<strong>de</strong>ur. Les « indéridables » qui font encore <strong>de</strong>s hiérarchies entre humour<br />

et drame, aujourd‟hui <strong>de</strong> société; qui aiment tant à étiqueter les autres et en même<br />

temps se révolter contre le cynisme ambiant et les classifications qu‟on leur colle.<br />

Ceux là, je n‟ai pas encore fini <strong>de</strong> les croiser dans les théâtres subventionnés où l‟on<br />

peut dépenser <strong>de</strong>s sommes folles en méprisant le public; dans les radios ou les<br />

télévisions ou l‟interviewer n‟a plus pour but <strong>de</strong> faire connaitre un artiste mais juste<br />

d‟alimenter sa petite chronique qui lui permet <strong>de</strong> se mettre en avant comme étant lui,<br />

la synthèse immédiate d‟une vie entière jetée en pâture au bétail <strong>de</strong>s téléspectateurs<br />

abrutis <strong>de</strong>vant leur écran, occupés à vivre la vie <strong>de</strong>s autres. Et je te coupe la parole<br />

car tu ne vas pas assez vite. Il faut résumer, trouver la petite phrase, le slogan qui<br />

résumera l‟œuvre <strong>de</strong> Molière, la pensée <strong>de</strong> Montaigne…<br />

Mais comme si cela ne suffisait pas, il faut se plier au ton actuel, être<br />

caustique et agressif, souriant pour épingler un tiers avec une couche <strong>de</strong><br />

“politiquement correct” qui soit irréprochable. Mais qu‟on ne se trompe pas. Je ne<br />

parle pas <strong>de</strong> critiques qui paraissent odieux aux imbéciles mais qui font leur travail <strong>de</strong><br />

lutte contre le nivèlement vers le bas!<br />

La culture est fondamentale et représentative d‟une société et tout le mon<strong>de</strong><br />

ne peut pas être “quelqu‟un” comme le laisse croire la “peopleisation” d‟individus<br />

charmants mais vi<strong>de</strong>s <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s idées.<br />

Vi<strong>de</strong>, voila bien le mot qui me hante <strong>de</strong>puis toujours. Durant <strong>de</strong>s années, j‟avais la<br />

douloureuse impression <strong>de</strong> n‟être qu‟un imposteur et ce n‟est qu‟après quinze<br />

années <strong>de</strong> confrontation avec le public, les élèves, le mon<strong>de</strong> que j‟arrive à me<br />

raisonner, les jours <strong>de</strong> grand soleil, et à continuer mon travail en acceptant<br />

simplement que ce que je crée puisse plaire et que cela n‟a rien <strong>de</strong> vil, <strong>de</strong> médiocre,<br />

<strong>de</strong> honteux ou <strong>de</strong> prétentieux<br />

Je pense, au fil du temps, avoir acquis un savoir-faire, un savoir être qui me donne<br />

plus <strong>de</strong> chance <strong>de</strong> réussir un projet en tant qu‟acteur ou metteur en scène. Le fait<br />

aussi <strong>de</strong> ne jamais oublier que ce savoir-faire me porte mais n‟est en rien un acquis<br />

clairement tangible pouvant servir <strong>de</strong> garant indéfectible. Juste quelques mètres<br />

carrés <strong>de</strong> plancher sur lequel je peux retomber mais au milieu <strong>de</strong> l‟océan!<br />

Mais revenons à nos crevettes.<br />

Page 6


Ainsi, cette existence parisienne, ponctuée <strong>de</strong> cours libre à la Sorbonne en<br />

étu<strong>de</strong> théâtrale, ne me convenait pas, ou pas encore. Revenant souvent à Liège<br />

pour revoir mon amoureuse et me ressourcer, j‟avais chaque fois l‟immense bonheur<br />

<strong>de</strong> redécouvrir un être rare, attentif, lumineux. Elle fut pendant douze années un<br />

phare dans ma vie. L‟amour est bel et bien un moteur, un levier puissant à toutes<br />

choses, un ancrage qui me rendait meilleur et plus grand que je n‟étais alors sans<br />

doute. Cette comédienne avi<strong>de</strong> <strong>de</strong> jouer, cette danseuse impatiente <strong>de</strong> s‟exprimer<br />

me poussait au dépassement. J‟eus donc l‟idée <strong>de</strong> créer un lieu où <strong>de</strong>s<br />

professionnels du spectacle pourraient transmettre leur savoir en mouvement.<br />

Il ne s‟agissait pas d‟avoir vocation <strong>de</strong> se substituer aux institutions existantes mais<br />

<strong>de</strong> pallier à un vi<strong>de</strong>. Cela permettrait aussi <strong>de</strong> ne plus rester en perpétuelle attente<br />

du bon vouloir <strong>de</strong>s détenteurs <strong>de</strong> contrats et <strong>de</strong> pratiquer, fusse par l‟enseignement,<br />

notre art. Eve Bonfanti et Marie Luce m‟avaient baigné dans la pensée et le travail <strong>de</strong><br />

<strong>Vitez</strong> que je ne rencontrai hélas jamais. Cela me donna l‟envie <strong>de</strong> lire et voir tout ce<br />

qui était possible <strong>de</strong> lui sans pour autant pouvoir approcher <strong>de</strong> plus près son univers.<br />

Fort inconscient, présomptueux même mais mu par l‟envie <strong>de</strong> rendre hommage,<br />

j‟appelais en 1994 la future école” <strong>Centre</strong> <strong>Antoine</strong> <strong>Vitez</strong>”.<br />

Il est à noter que l‟extraordinaire Daniel Mesguich en fut aussitôt le parrain.<br />

Stéphanie et moi, travaillâmes d‟arrache-pied à la rédaction du dossier <strong>de</strong><br />

fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> cet ambitieux projet. Dossier idéaliste qui dut faire les gorges chau<strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong> nombreux politiques que nous sollicitâmes pour l‟obtention d‟un lieu.<br />

Nous pûmes donc visiter <strong>de</strong> nombreux endroits et tout ce que la ville <strong>de</strong><br />

Liège comptait en rebus infâmes n‟eut bientôt plus <strong>de</strong> secret pour nous. Bâtiments<br />

insalubres <strong>de</strong>vant être vendus ou démolis, squats, tout fut visité sans que jamais<br />

nous ne trouvâmes chaussure <strong>de</strong> cent lieux à nos pieds exigeants. Nous voulions un<br />

lieu unique pour un projet unique. Présomptueux déjà ou conscients intuitivement du<br />

rôle que nous voulions jouer? L‟échevin <strong>de</strong>s bâtiments <strong>de</strong> l‟époque avait du<br />

beaucoup s‟amuser lors <strong>de</strong> nos réunions mais en homme d‟ouverture, il ne fermait<br />

jamais la porte à rien.<br />

M‟éloignant donc lentement <strong>de</strong> la vie parisienne, l‟un <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux professeurs<br />

du Conservatoire, Monsieur Alain Guy Jacob, me <strong>de</strong>manda d‟assumer les fonctions<br />

<strong>de</strong> coordinateur <strong>de</strong> l‟école. Il avait sur ce choix l‟assentiment <strong>de</strong> la direction. J‟avais<br />

toujours aimé cet homme brillant et cultivé que la vie n‟avait pas épargné mais qui<br />

pouvait si vite vous oublier sitôt que vous ne lui étiez plus utile!<br />

J„envisageai <strong>de</strong>s allers-retours vers Paris si la nécessité s‟en faisait sentir et je<br />

participai à quelques réunions mais l‟atmosphère <strong>de</strong> complots et <strong>de</strong> mesquineries<br />

me prit aussitôt à la gorge. Je ne pouvais décidément pas travailler dans cet endroit.<br />

Je déclinai donc.<br />

Toutefois, Eve Bonfanti avait mis une condition à sa charge <strong>de</strong> cours qui<br />

était celle <strong>de</strong> m‟avoir pour assistant. Flatté et curieux <strong>de</strong> cette expérience, j‟acceptais<br />

ce travail <strong>de</strong> trois mois. Je ne le regrette pas et j‟y ai beaucoup appris sur ce que je<br />

ne voudrais jamais faire comme metteur en scène.<br />

Ce projet mis fin à ma relation amicale avec Eve.<br />

Le Conservatoire, toujours à la recherche <strong>de</strong> locaux à louer m‟envoya au<br />

<strong>Château</strong> <strong>de</strong> <strong>Sclessin</strong>. Ma <strong>de</strong>rnière “mission” serait d‟y prendre bouche.<br />

Ce fut un long baiser d‟amour qui dure <strong>de</strong>puis maintenant 15 ans…<br />

Page 7


Chapitre II : La création du <strong>Centre</strong> quitte le<br />

papier…<br />

Ce bâtiment, je passais <strong>de</strong>vant <strong>de</strong>puis que j‟étais enfant et comme vous peut<br />

être, je n‟avais jamais remarqué qu‟il s‟agissait d‟un château. Noirci par son voisin<br />

sidérurgique, privé <strong>de</strong> ses tours, <strong>de</strong> son enceinte, <strong>de</strong> sa ferme, <strong>de</strong> son parc, <strong>de</strong> ses<br />

serres et <strong>de</strong> ses dépendances, ces <strong>de</strong>rnières étant remplacées par <strong>de</strong>s routes, un<br />

garage, <strong>de</strong>s parkings, une école en ruine. Le château disparaissait aux yeux <strong>de</strong> tous<br />

comme le château <strong>de</strong> la Bête. J‟appris que le corps <strong>de</strong> logis, seul survivant <strong>de</strong>vait<br />

aussi être rasé pour créer la quatrième pompe à essence sur 3 km².<br />

Le château fut vidé <strong>de</strong> ses habitants en 1989: la police, l‟administration<br />

communale, une maison <strong>de</strong> jeunes, une bibliothèque, un club photo et <strong>de</strong> joyeux<br />

amateurs <strong>de</strong> vin: les vignerons, du nom <strong>de</strong> leur groupement.<br />

Il était impossible d‟y pénétrer puisque le concierge du site, individu violent<br />

et asocial mais aussi conseiller provincial, me ferma sa porte au nez avec une<br />

certaine outrecuidance. L‟échevin <strong>de</strong>s bâtiments <strong>de</strong> la Ville <strong>de</strong> Liège, gestionnaire<br />

<strong>de</strong>s biens immobiliers et donc du château, marqua un instant <strong>de</strong> surprise lorsque je<br />

lui fis part <strong>de</strong> mon choix <strong>de</strong> bâtiment. Un très grand sourire illumina son visage, ce<br />

que je pris pour un soutien, mais qui <strong>de</strong>vait, la surprise passée, le faire rire<br />

intérieurement avec une certaine ivresse. Je le comprends volontiers: quel toupet et<br />

quelle arrogance que <strong>de</strong> vouloir sauver et exploiter un lieu que l‟on n‟avait jamais<br />

réussi à rendre viable! Toutefois, cet homme qui, quand il ne se braque pas, peut<br />

être d‟une formidable disponibilité me pria, sans se départir <strong>de</strong> son sourire, <strong>de</strong> refaire<br />

complètement mon dossier et <strong>de</strong> l‟adapter au gigantisme du lieu et à sa configuration<br />

géographique, à savoir un quartier paupérisé. En outre, il souhaitait un projet<br />

architectural sur la rénovation du lieu et qui eut l‟assentiment <strong>de</strong>s pompiers.<br />

L‟homme jovial montrait aussi son visage <strong>de</strong> responsable et entendait bien que les<br />

choses ne se fassent pas n‟importe comment. Très juste mais très effrayant car nous<br />

n‟avions ni les compétences ni les moyens <strong>de</strong> payer un architecte. Enfin et pour clore<br />

la réunion, il me donna le contact du conseiller communal local qui serait un relais<br />

utile.<br />

Stéphanie et moi travaillâmes beaucoup sur ce nouveau dossier que la taille<br />

<strong>de</strong> la bâtisse rendait plus conséquent. Le rêve grossissait en voyant le jour.<br />

Il n‟était à ce moment là encore question que <strong>de</strong> créer une école dans les arts <strong>de</strong> la<br />

scène, accessible à tous car en cours du soir; <strong>de</strong> mettre à disposition <strong>de</strong>s locaux <strong>de</strong><br />

répétitions pour <strong>de</strong>s Cies; d‟organiser <strong>de</strong>s rencontres, <strong>de</strong>s débats pour soutenir <strong>de</strong>s<br />

projets, etc. L‟idée <strong>de</strong> créer un théâtre ne nous traversa même pas l‟esprit.<br />

Le conseiller communal s‟avéra charmant et vit trop bien l‟intérêt <strong>de</strong> mettre à son<br />

actif un projet qui sauverait ce bâtiment, symbole <strong>de</strong> tout un quartier.<br />

Nous visitâmes ainsi les entrailles <strong>de</strong> nos rêves un mardi après-midi.<br />

Tout était effondré, les salles emplies d‟humi<strong>de</strong>s déchets <strong>de</strong> toutes sortes, restes<br />

d‟une affectation passée, <strong>de</strong>s cloisonnages et <strong>de</strong>s faux plafonds nous empêchaient<br />

<strong>de</strong> voir la taille <strong>de</strong>s salles transformées souvent en réduits lambrissés dans lesquels<br />

étaient suspendues <strong>de</strong> gigantesques et nombreuses armatures <strong>de</strong> néons.<br />

Page 8


Des caisses <strong>de</strong> livres éventrées et partiellement brûlées jonchaient le sol d‟où<br />

quelques seringues émergeaient parfois.<br />

Plus rien <strong>de</strong> précieux ne restait, ni plancher, ni moulures, ni cheminée, ni<br />

escaliers d‟apparat. L‟électricité était vétuste et inutilisable; les canalisations d‟eau<br />

avaient gelé et s‟éventraient, goguenar<strong>de</strong>s dans le concert général <strong>de</strong>s bruits <strong>de</strong><br />

pluie du toit percé et du fin filet brunâtre qui en sortait encore. Les tuyauteries <strong>de</strong><br />

gaz n‟étaient pas en reste, et plus effrayantes encore par leur dangerosité étaient<br />

béantes car privées <strong>de</strong> leurs vannes <strong>de</strong> cuivre probablement volées pour être<br />

revendues. Je pense que ce fut la pire visite que nous fîmes et pourtant quelque<br />

chose nous stimula plutôt que ne nous anéantit. Quelque chose d‟in<strong>de</strong>scriptible:<br />

nous pouvions sauver ce château!<br />

Stéphanie me serait la main convulsivement durant cette promena<strong>de</strong> aux<br />

enfers mais ne souffla mot. De mon côté, je faisais bonne figure <strong>de</strong>vant le conseiller<br />

et feignait l‟indifférence, toute bâtie sur les capitaux que nous ne manquerions pas<br />

<strong>de</strong> trouver pour réhabiliter ce vaisseau. Je le revois avec son rictus professionnel me<br />

scruter le visage à l‟affût d‟un signe <strong>de</strong> faiblesse mais je pense que tout gamin que<br />

j‟étais encore, j‟avais 24 ans, il fut ébranlé par ma détermination. Une fois seul, nous<br />

restâmes un long moment muets, encore pétrifiés ne sachant plus par où<br />

commencer. Et c‟est elle, encore une fois, avec sa force discrète et sa douceur qui<br />

posa la première marche vers le concret <strong>de</strong> notre aventure:” Il faut nettoyer le rez-<strong>de</strong>-<br />

chaussée d‟une <strong>de</strong>s trois ailes pour avoir un local <strong>de</strong> réunion et démarrer les<br />

activités.” Le len<strong>de</strong>main, je priai le conseiller <strong>de</strong> m‟obtenir une clé via le concierge et<br />

nous pûmes démarrer. Quelques connaissances, artistes aussi, nous aidèrent un<br />

peu mais, très vite, la réalité du travail manuel aidant, ils ne crurent plus dans ce<br />

projet soudain passé du superlatif passe-partout <strong>de</strong> “génial” au définitif “pas réaliste”.<br />

Les projets <strong>de</strong> mes camara<strong>de</strong>s <strong>de</strong> caste se font souvent <strong>de</strong>vant un verre dans un<br />

café ou sur un clavier lorsqu‟il est question d‟obtenir <strong>de</strong> l‟argent du gouvernement qui<br />

permettra <strong>de</strong> créer avec un bon salaire <strong>de</strong> départ. On sent bien là le moteur puissant<br />

qui les habite! La désertion s‟organisa en bonne forme et il ne resta très vite que<br />

Stéphanie et moi. Ces premiers moments <strong>de</strong> nettoyage furent horribles car nous<br />

n‟avions ni les outils, ni les produits mais surtout pas d‟eau ni d‟électricité! Deux<br />

cents mètres étaient nécessaires pour amener les seaux d‟eau du robinet <strong>de</strong> l‟école<br />

voisine aux locaux que nous voulions nettoyer!<br />

Exténué, je suppliai mon papa <strong>de</strong> venir rétablir le courant et l‟eau fusse<br />

uniquement dans la partie ou nous projetions <strong>de</strong> travailler. Conception d‟ignorant, car<br />

je n‟imaginais pas un seul instant que c‟était sur l‟ensemble qu‟il fallait se pencher<br />

puisqu‟une installation est globale! Plusieurs mois lui furent utiles à cela…<br />

Le hasard <strong>de</strong>s rencontres, ou la provi<strong>de</strong>nce si chère à Alexandre Dumas, mit<br />

sur notre route un architecte; Jean Bronkart. Il établit gracieusement les plans du<br />

château, posa avec nous les premiers jalons <strong>de</strong> la rénovation et négocia, avec les<br />

pompiers, un calendrier acceptable. Il est toujours, et ce <strong>de</strong>puis quinze années, à<br />

nos côtés pour les moments <strong>de</strong> plaisirs et pour les moments difficiles. Je l‟en<br />

remercie. Nous démarrâmes donc nos activités dans le château car elles avaient été<br />

lancées peu avant dans une salle voisine. Activités confi<strong>de</strong>ntielles se bornant à un<br />

cours <strong>de</strong> théâtre pour quatre ados !<br />

Page 9


Il est amusant <strong>de</strong> penser que leurs parents, qui les inscrivaient dans un tel lieu,<br />

passablement en ruine et sans toilettes, <strong>de</strong>vaient avoir au fond d‟eux une part<br />

d‟idéalisme. Je leurs rends hommage d‟avoir cru en nous peut-être presque avant<br />

nous-mêmes.<br />

L‟état <strong>de</strong> délabrement du lieu nécessitait <strong>de</strong>s fonds et ces premiers inscrits<br />

nous apportèrent nos premiers pots <strong>de</strong> couleurs. Il était temps car, Stéphanie étant<br />

étudiante, je finançais tout avec mon allocation <strong>de</strong> chômage et nous étions au bord<br />

<strong>de</strong> la précarité. Précarité euphorique mais précarité tout <strong>de</strong> même!<br />

Je ne retournais plus à Paris que si j‟avais une audition importante ou un<br />

tournage et j‟abandonnai mes cours. Le reste du temps, c‟est-à-dire la majorité, je le<br />

passais à nettoyer, déblayer, peindre, plafonner, maçonner, colmater, poncer,<br />

carreler, décorer, bien heureux d‟être capable <strong>de</strong> le faire. Stéphanie ne sachant au<br />

départ pas bricoler me secondait précieusement et amenait sa touche dans les<br />

finitions. Elle pensait et voulait ar<strong>de</strong>mment lancer ses cours <strong>de</strong> danse la saison<br />

suivante, en septembre 1996, et convoitait pour cela une salle du premier étage <strong>de</strong><br />

bonne taille. Malheureusement s‟y trouvaient les milliers <strong>de</strong> livres éventrés jonchant<br />

le sol. Ainsi, et avant même <strong>de</strong> pouvoir nous occuper <strong>de</strong> l‟affectation <strong>de</strong> ce local, <strong>de</strong>s<br />

semaines furent nécessaires à remettre tout en caisses et à déblayer.<br />

Se posait aussi un autre problème: lors <strong>de</strong> notre démarrage d‟activité dans<br />

la salle <strong>de</strong>s fêtes <strong>de</strong> l‟association voisine, quelqu‟un, au sein <strong>de</strong> cette association,<br />

avait cru bon <strong>de</strong> nous voler la vieille sonorisation offerte par mon frère. Je ne me<br />

souviens plus avec quel petit appareil nous avons débuté mais nous débutâmes!<br />

Six élèves étaient là, au ren<strong>de</strong>z-vous <strong>de</strong> notre joie mal contenue. Nous nous<br />

aimâmes passionnément et, avec l‟ai<strong>de</strong> <strong>de</strong>s élèves <strong>de</strong> théâtre, nous pûmes, la<br />

saison suivante atteindre le chiffre <strong>de</strong> trente élèves! Les rentrées étant absorbées<br />

par le bâtiment, nous, Stéphanie et moi, survivions tant bien que mal. Elle dispensait<br />

<strong>de</strong>s cours <strong>de</strong> danse ailleurs et cela nous permit <strong>de</strong> ne jamais être en difficulté.<br />

Avec la ville <strong>de</strong> Liège, les choses allaient au mieux. Le bourgmestre avait<br />

confié à la presse son vif intérêt pour notre projet; l‟échevin <strong>de</strong>s bâtiments nous<br />

suivait pas à pas, nous promettant un bail emphytéotique, et le conseiller communal<br />

enfin, nous obtenait les ren<strong>de</strong>z-vous et autorisations pour développer les activités.<br />

Un soir, le concierge vint me porter un énorme trousseau <strong>de</strong> clés mais c‟était<br />

clairement contre sa volonté qu‟il s‟exécutait. Il repartit aussi sec en maugréant dans<br />

sa barbe grisonnante et hirsute <strong>de</strong>s menaces. La semaine suivante, le bras en<br />

écharpe, il s‟était fait mordre par son chien et en était fier!, il m‟alpagua vivement en<br />

ces termes:« Méfie-toi! Des mecs comme toi, j‟en ai vu beaucoup et ça disparaît<br />

facilement. » J‟aurais pu sourire, mais cet individu, ce mandataire politique tenait à la<br />

main une carabine à canon scié! Sous le choc, Stéphanie et moi ne vînmes pas<br />

travailler ce week-end là. Pourtant, en passant <strong>de</strong>vant la bâtisse le samedi soir, <strong>de</strong><br />

retour du cinéma, nous y aperçûmes <strong>de</strong> la route, <strong>de</strong> la lumière. Nous étions en<br />

décembre. Nous allâmes aussitôt voir <strong>de</strong> quoi il s‟agissait mais n‟osâmes pas entrer.<br />

Nous scrutions du parking.<br />

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La gran<strong>de</strong> porte centrale était ouverte et <strong>de</strong>s voitures à moitié démontées jonchaient<br />

cette salle, inaccessible pour nous jusqu‟alors. Trois ou quatre hommes s‟afféraient<br />

autour d‟un camion partiellement chargé. Et c‟est ainsi que nous pûmes constater<br />

que le concierge vendait pièce à pièce tout ce qui pouvait encore avoir <strong>de</strong> la valeur<br />

dans le château! Quand tout le mon<strong>de</strong> fut parti, je prévins la police.<br />

Arrivée très vite sur les lieux, ce qui est donc possible, j‟expliquai succinctement ce<br />

que nous venions <strong>de</strong> voir. Celui qui me sembla être le chef envoya chercher le<br />

concierge qui aimable, servile, ouvrit la gran<strong>de</strong> porte et mima avec talent la<br />

stupéfaction et l‟indignation d‟y voir <strong>de</strong>s voitures. Très vite, la police s‟aperçut qu‟il<br />

s‟agissait <strong>de</strong> voitures volées, démontées et revendues en pièces détachées.<br />

Le concierge, Montfleury <strong>de</strong> la politique, fut encore brillant dans l‟indignation mais<br />

Stéphanie et moi vîmes clairement le regard qu‟il nous adressa. Des dépanneuses<br />

vinrent chercher les véhicules et nous restâmes seuls avec le concierge.<br />

Je craignais sa violence mais j‟étais prêt à en découdre. Il le senti et du haut <strong>de</strong> mon<br />

mètre quatre vingt onze, pour nos amis français, je le fis taire, étouffant sa colère<br />

dans l‟œuf. Juste avant <strong>de</strong> partir, il prononça cette phrase en serrant les <strong>de</strong>nts:<br />

« Si, lundi, vous n‟avez pas un document écrit vous autorisant à être ici, je flanque<br />

toutes vos affaires sur la rue. » Fin <strong>de</strong> citation.<br />

Le conseiller communal, prévenu par téléphone, était embarrassé car nous<br />

avions mis à jour <strong>de</strong>s pratiques malhonnêtes et le concierge ferait tout ce qui était en<br />

son pouvoir pour se couvrir, nous discréditer et nous faire mettre à la porte.<br />

Car une chose est claire en politique, c‟est que <strong>de</strong>s personnes <strong>de</strong> même bord, tout<br />

en se haïssant, ne se tirent jamais ouvertement <strong>de</strong>ssus. Il nous assura <strong>de</strong> son<br />

soutien dans la mesure du possible mais nous ne <strong>de</strong>vions pas nous faire beaucoup<br />

d‟illusions. Nous en restâmes là. Stéphanie et moi avons passé un dimanche <strong>de</strong><br />

cauchemar n‟osant même plus mentionner l‟évènement. Lundi matin, nous nous<br />

apprêtions sinistrement à partir pour le château, prêts à ramasser nos maigres objets<br />

à même la rue lorsque le téléphone sonna. Le Conseiller provincial et concierge, était<br />

mort soudainement dimanche…<br />

Page 11


Chapitre III : Illusion <strong>de</strong> paix…<br />

Notre éducation judéo-chrétienne nous empêcha <strong>de</strong> hurler notre joie. Point<br />

d‟hypocrisie même avec la mort qui était donc une intervention provi<strong>de</strong>ntielle, je<br />

n‟oserais pas écrire, divine, car cela m‟enlèverait mon dynamique doute à cet égard.<br />

Cette trêve <strong>de</strong>s ennuis fut courte et avec le recul, je pense qu‟avec ce projet, ma vie<br />

n‟eut plus jamais droit à un moment sans ennui. Le conseiller communal, souvenezvous<br />

ce cher et jovial individu, tomba vite le masque que le rictus cachait si mal. Le<br />

bougre avait <strong>de</strong> l‟ambition et la place vi<strong>de</strong> du très craint concierge, lui ouvrit l‟appétit.<br />

Seule son incompétence exposée au mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>vait arrêter sa carrière. Ainsi, il ne<br />

voulut plus nous être d‟aucun secours s‟il ne prenait pas le contrôle <strong>de</strong> notre<br />

association. Il se prétendait, utilisant encore notre naïveté, porteur d‟un mandat du<br />

Collège et du bourgmestre. Ce culot pourrait prêter à sourire ceux qui connaissent<br />

bien les arcanes <strong>de</strong> la politique, mais cela nous horrifia. En outre, il prétendit que le<br />

Conseil communal avait voté notre bail emphytéotique <strong>de</strong> 99 ans avec loyer<br />

symbolique mais à cette seule condition. La bouteille <strong>de</strong> mousseux tiè<strong>de</strong> resta dans<br />

l‟armoire. Il développa alors le moyen <strong>de</strong> ses dires: il « dictateurisait » alors une<br />

association voisine, appartenant au centre culturel local, lui-même sous la coupe<br />

d‟un animateur directeur <strong>de</strong> ses amis, nommé politiquement comme il se doit,<br />

notoirement incompétent et très alcoolique; Je me suis même laissé dire qu‟on avait<br />

créé ce poste rémunéré uniquement pour lui. Une voix <strong>de</strong> garage assez princière<br />

mais bref, nous <strong>de</strong>vions nous associer, ou plus exactement être absorbés par ce<br />

centre culturel. Ainsi, par cette association, nous serions muselés et dirigés. Nous<br />

<strong>de</strong>vions continuer à trouver les fonds afin <strong>de</strong> rénover mais le pouvoir <strong>de</strong> décision<br />

nous échapperait. Plusieurs remarques s‟imposent <strong>de</strong>rechef: c‟était honteux et antidémocratique<br />

mais aussi, et c‟est le nœud d‟un problème dans cette lutte carriériste<br />

sans contenu pour le pouvoir: perdant la direction <strong>de</strong> la manœuvre nous en perdions<br />

surtout l‟éthique et l‟âme. Combien <strong>de</strong> coquilles vi<strong>de</strong>s le pouvoir en place, quelqu‟il<br />

soit, a-t-il pourvu en directeurs ineptes, plus administratifs qu‟artistes. Il sera facile<br />

ensuite <strong>de</strong> déplorer la déliquescence <strong>de</strong> l‟art, les salles <strong>de</strong> plus en plus vi<strong>de</strong>s, la<br />

désaffection croissante du public, ne trouvant que rarement dans <strong>de</strong>s lieux une<br />

i<strong>de</strong>ntité claire, une ligne artistique, comme pour un journal, une ligne éditoriale. Les<br />

centres culturels sont <strong>de</strong>venus les toutes-boîtes du théâtre. On y achète et on y vend<br />

tout spectacle reconnu par un arcane officiel. Les autres, exit.<br />

Bien sûr, certain directeurs surnagent et ceux là comprendront bien mon<br />

propos. Il est tout <strong>de</strong> même hallucinant que les pouvoirs en place, se succédant<br />

cycliquement dans le même ennui, ne puissent jamais avoir <strong>de</strong> vision à long terme,<br />

soient hyper corporatistes et ne comprennent pas, ou feignent ne pas comprendre<br />

car cela échappe à leur contrôle, que la culture est l‟enjeu fondamental <strong>de</strong> <strong>de</strong>main.<br />

Préserver nos spécificités, notre volonté <strong>de</strong> vivre ensemble, <strong>de</strong> savoir d‟où l‟on vient<br />

pour poser nos pieds vers où l‟on veut aller ne peut passer que par un redéploiement<br />

<strong>de</strong> l‟ensemble <strong>de</strong>s intervenants culturels. Ce qui fait une i<strong>de</strong>ntité, ce n‟est pas une<br />

ènieme galerie commerçante reprenant les habituels produits ma<strong>de</strong> in China, mais<br />

bien notre culture, vitrine à nos propres yeux et aux yeux du mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> notre i<strong>de</strong>ntité.<br />

Etre fier <strong>de</strong> là où on vit ne vient plus <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> usine qui fait pôle d‟emploi car le<br />

temps <strong>de</strong> la désillusion est venu et la délocalisation subite aussi. Mais personne ne<br />

déplacera Versailles, ni ne pourra enlever le prestige <strong>de</strong> l‟histoire <strong>de</strong> France.<br />

Chaque ville possè<strong>de</strong> ses trésors, sources d‟emplois et <strong>de</strong> richesse.<br />

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Evi<strong>de</strong>mment le piège est grand, pour les politiques frileux, <strong>de</strong> ne se baser que sur le<br />

passé, tuant ainsi dans l‟œuf le passé <strong>de</strong> <strong>de</strong>main : le présent. De même qu‟on doit<br />

soutenir la transmission du savoir, on doit soutenir la recherche mais aussi la culture.<br />

Arrêter enfin et une fois pour toute le nivèlement par le bas <strong>de</strong>s arts quels qu‟ils<br />

soient et pratiquer l‟élitisme, pour tous, si cher à <strong>Vitez</strong>. Donnons à tous le goût <strong>de</strong> ce<br />

plaisir difficile qui grandit l‟homme, le conscientise et le redresse. Cela passera par la<br />

culture à l‟école ou ne passera pas. Mais là encore, un piège corporatiste guette, tapi<br />

dans la bienveillance: les professeurs aussi cultivés et compétents soient-ils ne<br />

doivent pas enseigner <strong>de</strong> disciplines artistiques. Fonction réservée là uniquement à<br />

<strong>de</strong>s artistes professionnels, c‟est-à-dire vivant <strong>de</strong> leur métier (les diplômes en art ne<br />

valent pas loi). Ainsi, on pourra insuffler la passion <strong>de</strong> ceux qui font la culture vers<br />

ceux qui la recevront. Une culture en mouvement parce qu‟elle est en train d‟être<br />

vécue. Enfin, on cessera <strong>de</strong> montrer du doigt l‟artiste qui ne travaille pas alors qu‟on<br />

fait tout pour l‟empêcher <strong>de</strong> travailler au nom <strong>de</strong> l‟amour qu‟on lui porte.<br />

Mais je m‟égare, quoique si peu, car cela montre bien le gouffre d‟incompréhension<br />

qui pouvait me séparer <strong>de</strong> ce conseiller communal, ancien ouvrier ayant pris<br />

l‟ascenseur politique comme ascenseur social et qui à coups <strong>de</strong> “camara<strong>de</strong>” était<br />

arrivé à une position où il pouvait nuire bien plus largement. Mon refus fut immédiat,<br />

sec et vert. Il partit furieux et presque grossier. Ah combien il est dommageable que<br />

ceux qui montent ne prennent pas plus <strong>de</strong> soins <strong>de</strong> ceux qu‟ils piétinent en montant,<br />

cela leur éviterait <strong>de</strong> baisser la tête quand ils les croisent <strong>de</strong> nouveau en<br />

re<strong>de</strong>scendant. Je lui serrai néanmoins la main trop conscient, hélas, que mon<br />

idéalisme n‟était pas contagieux et bien rassuré que sa petitesse ne le fut pas non<br />

plus.<br />

Trois jours plus tard, je fus convoqué par le directeur-animateur, mot idiot<br />

très socialiste, qui tend à rendre ce vocable moins libéral, ne pouvant pas le faire<br />

disparaître, du centre culturel Ourthe et Meuse. Et l‟on s‟étonne que la culture aille à<br />

vau-l‟eau avec <strong>de</strong>s noms pareils. Etaient présent, le directeur-animateur, ici <strong>de</strong><br />

réunion, le conseiller communal, crispé, le teint gris et quatre autres personnes qui<br />

ne me furent pas présentées et qui, je le pense encore, <strong>de</strong>vaient juste faire nombre<br />

pour impressionner le candi<strong>de</strong>. Cette réunion fut un cauchemar. Ces Robespierre à<br />

la petite semaine cherchaient le moyen <strong>de</strong> décapiter la tête <strong>de</strong> l‟association, c‟est-àdire<br />

la mienne. Très entrainé par mes ancêtres à ce sport d‟équipe mais dans lequel<br />

il n‟y a souvent qu‟une équipe, je laissai venir à moi ces individus sans opposer<br />

aucune résistance, courbant même la nuque pour exciter ces fauves <strong>de</strong> bureau et<br />

attiser le sentiment <strong>de</strong> reddition. Comme je viens <strong>de</strong> l‟écrire, j‟étais donc placé seul<br />

sur une chaise que je soupçonnais plus basse, venait <strong>de</strong>vant moi une très gran<strong>de</strong><br />

table et <strong>de</strong> l‟autre coté, l‟équipe. Je tentais une sortie et proposais, quelle<br />

outrecuidance, <strong>de</strong> discuter <strong>de</strong>s termes <strong>de</strong> la convention d‟absorption. Quelle vindicte!<br />

Ils montèrent le ton, qui n‟en <strong>de</strong>mandait pas plus, hurlèrent très vite, laissèrent les<br />

insultes sortir avec une fluidité toute poissonnière, et déchargèrent enfin l‟ensemble<br />

<strong>de</strong> leurs frustrations dans <strong>de</strong>s propos extrêmement peu châtiés pour utiliser un<br />

euphémisme.<br />

Page 13


Je compris aussi dans ce brouhaha que je serais broyé, détruit, qu‟aucun<br />

théâtre ne me mettrait jamais à l‟affiche, quel aveu, et qu‟il ne me resterait rien que<br />

mes yeux pour pleurer mon imbécile aveuglement. Pourtant, au fond <strong>de</strong> moi, je<br />

pensais à ce merveilleux petit ca<strong>de</strong>au d‟anniversaire que m‟avait offert Stéphanie: un<br />

stylo dictaphone. Il se trouve que cet objet était sur la table, anodin, <strong>de</strong>puis le début<br />

et qu‟il semblait me faire un clin d‟œil. Comédien roué à l‟improvisation, je <strong>de</strong>vins<br />

pitoyable et quelques questions me permirent <strong>de</strong> faire dire à mes hôtes les raisons<br />

<strong>de</strong> leurs manœuvres. Je pris alors mon stylo, une feuille blanche et je <strong>de</strong>ssinai sous<br />

les regards attentifs puis interloqués un rond, <strong>de</strong>ux yeux et un sourire. Ensuite<br />

j‟actionnais le bouton <strong>de</strong> mise en marche du stylo dictaphone et très vite la<br />

conversation passée se fit <strong>de</strong> nouveau entendre. Le silence infini qui suivit fut celui<br />

<strong>de</strong> leurs neurones passés au micro on<strong>de</strong> <strong>de</strong> mon petit tour <strong>de</strong> passe-passe.<br />

Au vu du nombre <strong>de</strong> neurones, 3 secon<strong>de</strong>s suffirent. Le directeur-fossoyeur <strong>de</strong> la<br />

réunion bondit et tenta <strong>de</strong> m‟arracher mon stylo. D‟une pichenette, je le repoussai,<br />

regrettant <strong>de</strong> ne pouvoir le souffleter. Il m‟insulta violemment. J‟attendais le silence<br />

que ma victoire allait amener. Là, je pus énoncer ceci: « plus d‟histoire ou c‟est la<br />

conférence <strong>de</strong> presse. » Je sortis après avoir pris honteusement mon temps pour<br />

ranger mes effets disposés sur la table. Une fois dans ma voiture, à l‟abri <strong>de</strong>s<br />

regards, je m‟effondrais en larmes durant près d‟une heure, incapable <strong>de</strong> me<br />

ressaisir. Je venais d‟être face à la gangrène personnifiée <strong>de</strong> notre société qui<br />

noyaute toutes les gran<strong>de</strong>s idées, le cancer du pouvoir, qui trop fier, ne se soigne<br />

même pas : les parvenus.<br />

L‟an 1997 commençait sur les chapeaux <strong>de</strong> roues. Je fis alors connaissance<br />

d‟un assureur indispensable à la couverture <strong>de</strong> nos activités en pleine expansion et<br />

du bâtiment. Cet homme fut directement chaleureux et intéressé. Le projet lui plaisait<br />

et il voulait s‟y investir, y consacrer du temps… Il fut facilement élu dans le conseil<br />

d‟administration comme administrateur délégué. Nous contractâmes toutes les<br />

assurances chez lui et, lui, cherchait auprès <strong>de</strong> ces compagnies <strong>de</strong>s<br />

investissements.(sic)<br />

A cette pério<strong>de</strong>, je fus convoqué par l‟office national <strong>de</strong> l‟emploi.<br />

Comment, en quelques mots, expliquer pour nos amis étrangers, ce qu‟est l‟ONEM?<br />

Avant tout et à leur décharge, ils sont nécessaires. J‟en ai terminé avec les aspects<br />

positifs. Il s‟agit d‟un organisme qui vérifie que les chômeurs ont bien le droit à leurs<br />

allocations, qu‟ils cherchent activement du travail, etc. Maintenant, tout est très<br />

subjectif dans leurs critères d‟évaluation et, surtout pour les artistes. Ainsi “il” fut<br />

décidé qu‟étant administrateur d‟une association, cela était incompatible avec le droit<br />

à percevoir une allocation <strong>de</strong> chômage. Je démontrai que cette fonction était<br />

bénévole mais rien n‟y fit. Un poste d‟administrateur étant censé être rémunéré dans<br />

toutes les sociétés. Le tribunal du travail saisi <strong>de</strong> la chose, se rangea <strong>de</strong>vant<br />

l‟argument évi<strong>de</strong>nt. Personne ne tenait donc compte du fait <strong>de</strong>s associations où les<br />

prestations ne sont pour ainsi dire jamais rémunérées. Le fait qu‟elles puissent l‟être<br />

suffisait. Je perdis donc mes droits et fut sommé <strong>de</strong> rembourser les arriérés du trop<br />

perçu! Plus <strong>de</strong> revenus et <strong>de</strong>voir rembourser! Un comble! Cette administration toute<br />

puissante et fascisante détruit ainsi <strong>de</strong>s vies au nom <strong>de</strong> la collectivité.<br />

Page 14


Le centre ayant un chiffre d‟affaire <strong>de</strong> 3.000€ par an, ne pouvait prendre en<br />

charge un quelconque salaire. Que faire? Je multipliai alors les dossiers <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> subventions et soumissionnai pour la mise en scène et la gestion artistique d‟un<br />

énorme spectacle estival. Contre toute attente, car je n‟étais pas le moins cher,<br />

j‟obtins le budget. Je me retrouvais du jour au len<strong>de</strong>main salarié par le centre. J‟optai<br />

pour un salaire <strong>de</strong> misère afin <strong>de</strong> pouvoir le faire durer le plus longtemps possible.<br />

Ainsi, je pus étirer mon contrat <strong>de</strong> 6 mois à un an et, par la même occasion, justifier<br />

une réinscription comme <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ur d‟emploi! Puis-je ici encore parler <strong>de</strong><br />

provi<strong>de</strong>nce. Pas sûr! Car enfin, elle serait bien sadique puisqu‟ elle ne me favorise<br />

pas mais empêche juste le désastre.<br />

En parallèle, je décidai <strong>de</strong> mettre en route la mise en scène d‟une pièce<br />

intimiste sur la complexité <strong>de</strong>s rapports humains: “Cru”. D‟un côté pour le spectacle<br />

estival s‟étirant sur trois mois, quarante-<strong>de</strong>ux artistes et <strong>de</strong> l‟autre côté, quatre.<br />

Grand écart donc mais ce fut ”Cru” qui me tétanisa le plus car les textes étaient <strong>de</strong><br />

moi. Là encore, contradiction puisque j‟avais un jour déclaré que je n‟écrirais jamais,<br />

tout ayant été dit et mieux; ensuite que je ne mettrais jamais en scène l‟une <strong>de</strong> mes<br />

pièces… Et ce fut une réussite sur les <strong>de</strong>ux plans, à ma gran<strong>de</strong> surprise. Stéphanie<br />

jouait <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux côtés et même si j‟étais souvent exécrable dans le travail avec elle,<br />

elle fut brillante, subtile, drôle et divinement belle.<br />

Autre aspect étonnant pour moi qui ne suit pas du tout un homme d‟argent,<br />

celui-ci rentrait en caisse. Pour illustrer cela, je me souviens avoir fait relire le dossier<br />

<strong>de</strong> ce projet à un ami, Stéphane, qui, <strong>de</strong> son air le plus malicieux, me fit remarquer<br />

que j‟avais chiffré l‟ensemble <strong>de</strong>s postes sauf les miens: la mise en scène et la<br />

direction artistique! Je pense que définitivement, je ne changerai plus. Encore<br />

maintenant, il m‟arrive d‟oublier <strong>de</strong> me payer et ne comprenant ensuite pas pourquoi<br />

mon compte est bloqué, où décalant le paiement <strong>de</strong> mon salaire pour pouvoir pa yer<br />

les autres car les caisses ne permettent pas d‟honorer tout le mon<strong>de</strong>, voire aussi<br />

d‟écrire, <strong>de</strong> mettre en scène, <strong>de</strong> jouer et <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir renoncer à un quelconque<br />

émolument faute <strong>de</strong> rentrées suffisantes… Cela peut étonner mais ce n‟en est pas<br />

moins une réalité. J‟aurais travaillé 10 ans gratuitement pour ce projet avant <strong>de</strong><br />

pouvoir décrocher mon premier salaire qui est encore inférieur à celui d‟une femme<br />

d‟ouvrage d‟une administration…<br />

Après l‟été, “Cru” continua sa vie au travers d‟une “tournée”.<br />

Accueil chaleureux et critique positive; <strong>de</strong> quoi me croire un instant béni!<br />

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Chapitre IV : La canaille pointe le bout <strong>de</strong><br />

son nez<br />

Septembre 1998, nous passions le centième élève inscrit! Seule ombre au<br />

tableau, l‟échevin <strong>de</strong>s bâtiments communaux me mit en gar<strong>de</strong> discrètement contre<br />

notre nouvel administrateur. Malheureusement pour moi je fus stupi<strong>de</strong>ment<br />

corporatiste, (toujours être vigilant, la bêtise nous guette!), et je me refusai à le croire.<br />

Mis au courant, cet administrateur déposa une plainte pour diffamation contre le<br />

conseiller communal, arguant que cela ne pouvait venir que <strong>de</strong> lui. Je découvris alors<br />

que ces <strong>de</strong>ux hommes se connaissaient <strong>de</strong>puis longtemps et qu‟il y avait un sombre<br />

conflit <strong>de</strong> pouvoir entre eux. La puce à l‟oreille, moins amusante qu‟au théâtre, je<br />

<strong>de</strong>mandais lors d‟une réunion <strong>de</strong> conseil d‟administration, les comptes, justificatifs<br />

exacts et polices <strong>de</strong>s assurances contractées. L‟administrateur ne pouvant produire<br />

les pièces s‟enfonça dans <strong>de</strong>s explications coléreuses. Je continuai à penser à<br />

l‟échevin me mettant en gar<strong>de</strong> et je ne pouvais plus me résoudre à douter <strong>de</strong> lui.<br />

Par la suite, je découvris que ce courtier véreux, utilisait l‟association pour ses<br />

propres projets politiques et qu‟il n‟avait jamais souscrit aucune assurance,<br />

empochant ainsi notre argent, soit environ 2650€ par an! Mais revenons à cette<br />

fameuse réunion. Exaspéré <strong>de</strong> ne pouvoir me convaincre facilement, il interrompit la<br />

séance et prétexta ne plus pouvoir siéger si je mettais en doute son honnêteté.<br />

Il sortit. Plusieurs personnes du Conseil étaient ébranlées. Stéphanie me suivait mais<br />

était inquiète. Je pris sur moi d‟adresser un fax daté et signé à notre banquier afin<br />

d‟interdire l‟accès au compte <strong>de</strong> l‟assureur. Le banquier m‟apprit dès le len<strong>de</strong>main<br />

que notre ”ami” s‟était présenté le matin-même au guichet pour sol<strong>de</strong>r les comptes.<br />

Malheureusement pour moi, cet inci<strong>de</strong>nt marqua un tournant funeste dans<br />

nos relations avec l‟échevin <strong>de</strong>s bâtiments, futur bourgmestre <strong>de</strong> la ville.<br />

Il n‟apprécia que peu le fait que j‟eusse pu, un instant, mettre sa parole en doute,<br />

ensuite, il se <strong>de</strong>vait <strong>de</strong> soutenir son conseiller communal en guerre ouverte avec<br />

nous <strong>de</strong>puis la tentative d‟absorption. Encore ce fameux corporatisme!<br />

D‟autant que ce conseiller allait <strong>de</strong>venir échevin, « éche-vain » dans ce cas ci.<br />

La longue et fatiguante guerre du pot <strong>de</strong> fer contre le pot <strong>de</strong> terre<br />

commença: le conseiller mit en application ses menaces et commença une<br />

campagne <strong>de</strong> sape en bonne et due forme. Il colporta que nous louions <strong>de</strong>s<br />

appartements clan<strong>de</strong>stins, que nous ne faisions pas <strong>de</strong> culture mais du fitness dans<br />

<strong>de</strong>s locaux communaux et cerise sur le gâteau, que nous organisions <strong>de</strong>s soirées<br />

échangistes! Une o<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> souffre nous entoura très vite et toutes nos démarches se<br />

heurtèrent à un mur. Je ne trouvais plus <strong>de</strong> soutien qu‟auprès <strong>de</strong>s personnes que je<br />

vais citer ici et qui le méritent largement car elles ont toujours su dépasser les<br />

clivages politiques pour soutenir les idées: Jacky Morael(Ecolo), Alain Leens(Ecolo),<br />

Ann Chevalier(MR), Didier Reyn<strong>de</strong>rs(MR), Michel Firket(Chrétien Humaniste), Jean<br />

Pierre Grafé(Chrétien Humaniste), Benoît Dreze(Chrétien Humaniste), Laurette<br />

Onkelinckx(PS), Pierre Stassard(PS), Marc Tarabella(PS), Marie Claire Lambert(PS),<br />

Jean Clau<strong>de</strong> Marcourt(PS) et Elio Di Rupo(PS).<br />

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Donc, comme on peut le voir, la pluralité <strong>de</strong> ce réseau donne au <strong>Centre</strong><br />

<strong>Antoine</strong> <strong>Vitez</strong> <strong>de</strong>s garanties d‟un travail non partisan œuvrant seulement dans<br />

l‟intérêt <strong>de</strong> ses missions: la sauvegar<strong>de</strong> d‟un château, l‟enseignement artistique.<br />

Je dois ici aussi mentionner la fin d‟un énorme travail <strong>de</strong> documentation<br />

historique sur l‟histoire du <strong>Château</strong> <strong>de</strong> <strong>Sclessin</strong>. Je fus d‟abord aidé par le dynamique<br />

Monsieur Schause et enfin par le brillant érudit, Monsieur Degéï qui avait déjà<br />

collationné nombre <strong>de</strong> documents. Il serait impossible <strong>de</strong> résumer ce dossier et je<br />

vous renvoie avec plaisir vers ce document complet. Ainsi, le bâtiment que nous<br />

connaissions, datant du 17 ème siècle avait été construit sur les ruines et avec les<br />

restes du précé<strong>de</strong>nt, datant lui du 12 ème siècle! Les fondations <strong>de</strong>vant probablement<br />

être toujours d‟origine. Je dis “probablement” car nous n‟avons jamais découvert<br />

l‟entrée <strong>de</strong>s caves, soigneusement murées par l‟un <strong>de</strong>s propriétaires précé<strong>de</strong>nts.<br />

Détail amusant: c‟est déjà à cause du maïeur <strong>de</strong> l‟époque, un prince évêque, que le<br />

premier château fut détruit. Comme quoi l‟acharnement <strong>de</strong>s autorités communales à<br />

détruire ce lieu date du 12 siècle!<br />

Une chose attira aussi particulièrement mon attention, c‟est la pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> la<br />

<strong>de</strong>uxième guerre mondiale. J‟y découvris <strong>de</strong>s photos montrant la cour du château,<br />

son ancien parc, rasé vers 1920, entourés <strong>de</strong> barbelés et <strong>de</strong> miradors.<br />

En outre, <strong>de</strong>ux salles du rez-<strong>de</strong>-chaussée furent dotées <strong>de</strong> grilles <strong>de</strong> prison.<br />

Il est probable que <strong>de</strong>s juifs y furent enfermés avant la déportation mais je dois<br />

encore à ce jour, confirmer cette probable hypothèse car il m‟apparaitrait important<br />

<strong>de</strong> pouvoir alors en faire un lieu <strong>de</strong> mémoire.<br />

La saison 1999-2000 se présentait bien et nous dépassions les 130 élèves!<br />

Nous pûmes enfin nous concentrer sur les choses importantes sans qu‟aucun<br />

remous politique ne vienne nous secouer. Ainsi, les cours, les réunions<br />

pédagogiques, les portes ouvertes, la rénovation pouvaient avancer sans heurt.<br />

Je me souviens que lors <strong>de</strong>s présentations <strong>de</strong> cette année-là, Stéphanie et moi<br />

étions allés voir le travail du cours <strong>de</strong> chant <strong>de</strong> Hil<strong>de</strong> Van Hov<strong>de</strong>, brillante chanteuse<br />

<strong>de</strong> Jazz. Un moment <strong>de</strong> magie pure, <strong>de</strong> bonheur partagé entre le professeur, les<br />

élèves et les spectateurs. Nous nous serrions l‟un contre l‟autre, conscients d‟être les<br />

instigateurs <strong>de</strong> tout cela. Que ces moments furent précieux mais rares et qu‟ils<br />

auraient dû nous revenir en mémoire dans les moments <strong>de</strong> crises qui suivirent.<br />

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Chapitre V : Dieu Football…<br />

Peu <strong>de</strong> temps plus tard, un matin où je travaillais dans mon bureau, on<br />

sonna. Stéphanie dût ouvrir car je n‟entendis plus rien. Soudain, elle surgit, la mine<br />

déconfite, les yeux hagards: <strong>de</strong>s hommes, <strong>de</strong>s officiels du régime aurait-on dit en<br />

d‟autres temps, étaient là et visitaient afin <strong>de</strong> transformer le château en cachots pour<br />

le match <strong>de</strong> foot Liégeois <strong>de</strong> l‟euro 2000. Notre expulsion coulant <strong>de</strong> source.<br />

Personne n‟avait jugé bon <strong>de</strong> nous prévenir et cela démontrait plusieurs choses:<br />

le manque <strong>de</strong> respect <strong>de</strong> nos édiles pour nous, pour la culture en général et<br />

l‟absence totale d‟éducation voir <strong>de</strong> politesse élémentaire. Je n‟ai jamais aimé la<br />

vulgarité ni la grossièreté mais l‟impolitesse me hérisse encore davantage surtout<br />

chez ceux qui, <strong>de</strong> par leurs responsabilités, se doivent d‟être <strong>de</strong>s exemples.<br />

Ces visiteurs, entrèrent sans frapper dans mon bureau où je les saluais d‟un:<br />

”entrez” sarcastique qui jeta un froid. L‟un d‟eux me lança alors: « On nous avait dit<br />

que le bâtiment était vi<strong>de</strong>. » Je repris sans me démonter: « On se sera trompé car<br />

vous êtes ici dans mon bureau, je n‟ai pas pour habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> recevoir sans ren<strong>de</strong>z<br />

vous et enfin, je suis le Directeur d‟une école d‟arts <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> 130 élèves et près <strong>de</strong><br />

2000 membres. Vous pouvez donc bien constater que le bâtiment n‟est pas vi<strong>de</strong>.<br />

Messieurs, j‟ai à faire, je ne vous retiens pas. » Stupéfaits, ils sortirent en bredouillant<br />

<strong>de</strong> vagues excuses et la visite se termina, avortée par mon laïus courtois mais ferme.<br />

Une fois sur le parking, ils s‟assemblèrent pour tenir un conciliabule et, téléphone<br />

portable en main, en référer. Un porte-parole se présenta à nouveau à la porte que je<br />

lui ouvris en personne. « Monsieur, me dit-il, on me dit que vous êtes <strong>de</strong>s squatteurs<br />

et que nous ne <strong>de</strong>vons pas tenir compte <strong>de</strong> vous. »<br />

« Monsieur, repris-je, ulcéré du propos, si vous franchissez cette porte, je dépose<br />

plainte pour violation <strong>de</strong> propriété privée et cela se fera <strong>de</strong>vant les caméras <strong>de</strong><br />

télévision. Adieu. » Et je lui donnai une nouvelle occasion <strong>de</strong> voir la récente peinture<br />

<strong>de</strong> la porte <strong>de</strong> plus près. J‟appris qu‟il s‟agissait du chef <strong>de</strong> cabinet du Bourgmestre,<br />

<strong>de</strong> celui <strong>de</strong> l‟échevin <strong>de</strong>s travaux, <strong>de</strong> membres du ministère <strong>de</strong> l‟intérieur et <strong>de</strong> pontes<br />

<strong>de</strong> la Fifa. Le len<strong>de</strong>main, même manège et balai <strong>de</strong> voitures officielles avec<br />

dispendieux chauffeurs. Seulement la presse suivait à leur grand dam. Ainsi, face<br />

caméra en gros plan, je prévins pour les téléspectateurs du journal <strong>de</strong> 20 heures que<br />

si une personne entrait dans le bâtiment, une procédure d‟urgence serait lancée par<br />

voix <strong>de</strong> justice contre la ville et son représentant, le bourgmestre. Coup <strong>de</strong> force<br />

obligé qui fit partir les dignitaires.<br />

Nombreux soutiens arrivèrent alors <strong>de</strong> toutes parts, que se soit <strong>de</strong> simples<br />

particuliers ou <strong>de</strong>s politiques outrés <strong>de</strong> la procédure honteuse et du manque <strong>de</strong><br />

considération pour un lieu important culturellement et socialement. Pétition <strong>de</strong><br />

soutien <strong>de</strong> 10 000 personnes fut remise entre les mains <strong>de</strong> Monsieur…, je ne le<br />

citerai pas mais il se reconnaitra. Réponse : « la population, je m‟assois <strong>de</strong>ssus »<br />

Fin <strong>de</strong> citation. Que dire après cela?<br />

Outre les interventions politiques diverses <strong>de</strong> tout bord pour trouver une<br />

solution négociée au problème, il y eut un mot d‟appel à l‟apaisement et à la<br />

discussion du Palais. Je suis et reste infiniment reconnaissant à Sa Majesté d‟avoir<br />

jeté les yeux sur nous et je l‟en remercie encore infiniment.<br />

Page 18


Une semaine plus tard, je fus convoqué à la Violette, l‟hôtel <strong>de</strong> Ville <strong>de</strong><br />

Liège. Une voiture <strong>de</strong> fonction me prendrait au château dans l‟après midi. Trouvant le<br />

procédé cavalier, je déclinai l‟ordre mal dissimulé. Sujet obéissant et respectueux,<br />

certes mais pas commis à gages du pouvoir. Si on voulait me voir, il faudrait y mettre<br />

les formes, voir avec mon planning <strong>de</strong> travail ordinaire et mon avocat, le délicieux et<br />

brillant Olivier Kelens. Je le cite car il fut le conseil à titre gracieux <strong>de</strong> l‟association<br />

durant plusieurs années. J‟en profite pour signaler que nous souhaiterions compter<br />

parmi nos amis un ténor du barreau soucieux <strong>de</strong> soutenir sans qu‟il soit ici question<br />

d‟argent, notre projet. Un avocat avec <strong>de</strong>s idéaux, ça doit tout <strong>de</strong> même exister !<br />

Cela est clairement posé.<br />

Ainsi, je revis l‟échevin <strong>de</strong>s bâtiments communaux, <strong>de</strong>venu par la volonté<br />

<strong>de</strong>s urnes, notre bourgmestre. Il n‟avait que peu changé; je le trouvais moins<br />

détendu, le regard plus las et l‟air fatigué. La vie et ses aléas <strong>de</strong> douleurs étaient<br />

aussi passés par là. Il me tendit la main en souriant et me dit cette phrase étonnante:<br />

« Vous m‟êtes très sympathique. » Ce à quoi j‟enchéris: « heureusement ».<br />

J‟avais toujours soupçonné cet homme d‟avoir cette capacité d‟esprit, <strong>de</strong>venue rare,<br />

qui sait apprécier un « ennemi » à sa valeur sans le mépriser parce qu‟il ne partage<br />

pas les mêmes opinions que les siennes et cette phrase me semblait un aveu <strong>de</strong> la<br />

chose. Je lui présentai bien inutilement mon avocat. Suivit une conversation dont je<br />

fus le témoin amusé et où chacun expliquait et développait ses armes pour contrer<br />

l‟autre. J‟avais, comme beaucoup, oublié que ce Bourgmestre était avocat <strong>de</strong><br />

formation et je l‟écoutai avec étonnement. Je me suis souvent <strong>de</strong>mandé quel avocat<br />

il eut fait ? Enfin, comme se souvenant <strong>de</strong> ma présence, il reconnut que je pouvais le<br />

contrer sur ce projet, mais qu‟un compromis serait plus intelligent pour préparer un<br />

avenir meilleur…J‟étais évi<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> cet avis et ne comprenais pas que nous<br />

n‟ayons pas commencé par cela, évitant ce bras <strong>de</strong> fer désolant. Nous n‟occupions<br />

pas encore <strong>de</strong> manière vitale une <strong>de</strong>s ailes du château. Elle pourrait suffire pour le<br />

projet <strong>de</strong> cellules. Nous étions d‟accord. C‟était donc si simple! Plus question d‟une<br />

expulsion mais bien d‟une cohabitation momentanée.<br />

Il est à noter que les travaux immon<strong>de</strong>s, bâclés, pour l‟aménagement <strong>de</strong><br />

cellules pour 3 matchs <strong>de</strong> foot ont couté 250.000€! Avec cette somme, combien <strong>de</strong><br />

personnes aurais-je pu faire vivre, combien <strong>de</strong> projets sociaux sur le quartier auraient<br />

pu être menés, qu‟aurions-nous pu rénover?<br />

Les cellules ne servirent pas et nous pûmes récupérer <strong>de</strong>s salles<br />

transformées en cachots, barre pour « menottage », murs peints au pistolet, châssis<br />

<strong>de</strong> fenêtre et vitres compris. Carrelage du 19 ème , peint aussi mais le tout sans<br />

préparation si bien qu‟un mois plus tard, la couleur se fissurait <strong>de</strong> partout. La cage<br />

d‟escalier, notre sortie <strong>de</strong> secours fut murée à la gran<strong>de</strong> indignation <strong>de</strong>s pompiers.<br />

Des vitres blindées avaient été posées à hauteur <strong>de</strong> visage alors que le bas <strong>de</strong>s<br />

portes restait en bois fin! La pression pour la mise aux normes <strong>de</strong> l‟installation <strong>de</strong><br />

gaz et d‟électricité s‟arrêta momentanément car mon argument fut le suivant: Si tout<br />

était conforme pour la police, ayant la même installation, pas <strong>de</strong>ux poids, <strong>de</strong>ux<br />

mesures!<br />

Page 19


On ne récupéra jamais les clés <strong>de</strong>s serrures “Hi Tech” <strong>de</strong>s locaux mis à<br />

disposition <strong>de</strong> la police: perdues… Une semaine après le départ <strong>de</strong> la police, les<br />

locaux n‟étaient à nouveau plus conformes! Ce coup <strong>de</strong> force fort éprouvant m‟avait<br />

démontré une chose pourtant évi<strong>de</strong>nte: sans l‟amour que me portait Stéphanie,<br />

jamais je n‟eus pu faire face. Il m‟est assez facile d‟en parler ainsi maintenant que<br />

j‟en suis privé <strong>de</strong>puis 5 ans. Mais à ce moment là <strong>de</strong> ma vie, je le considérais comme<br />

normal, ordinaire, oserais-je, mérité? Quelle arrogance donc mais toute inconsciente.<br />

A cet âge, occupé à vivre, je ne pouvais pas avoir le recul et l‟intelligence <strong>de</strong> lui dire<br />

plus souvent: « Mon amour, sans toi, je ne suis plus que moi. C‟est assez pour vivre<br />

mais tellement moins bien. » Enlever <strong>de</strong> la vie l‟amour et il ne reste qu‟un peu<br />

d‟agitation souvent purement égocentrique. Chaque année, <strong>de</strong>puis son départ,<br />

j‟attendais avec impatience un petit mot à ma date anniversaire et <strong>de</strong>s vœux pour les<br />

années nouvelles. Chaque année, durant cinq ans, ce fut le cas et je lui en suis<br />

reconnaissant. Cette lueur dans la brume m‟est toujours restée précieuse.<br />

…<br />

Mais revenons au “Dieu Football”. Le quartier dans lequel nous sommes,<br />

<strong>Sclessin</strong>, fut un petit bourg indépendant ne comptant même à l‟origine que son<br />

<strong>Château</strong> et ses dépendances. Il fut baptisé Sclefssin dont le début signifie clé ou clef<br />

et qui se rapporte à sa situation géographique d‟entrée <strong>de</strong> la Principauté <strong>de</strong> Liège.<br />

Si en me lisant, vous avez l‟explication complète du sens <strong>de</strong> ce mot, Sclefssin, je<br />

vous remercie <strong>de</strong> me l‟adresser. Très vite, il fut attaché à la commune d‟Ougrée mais<br />

il avait sur ses terres, <strong>de</strong>puis le début du 20ème siècle, un club <strong>de</strong> football. Ainsi, lors<br />

<strong>de</strong> nouvelles fusions <strong>de</strong> communes, il fut décidé que ce club <strong>de</strong>vait être rattaché à la<br />

ville <strong>de</strong> Liège contre toute logique historique et géographique. Aujourd‟hui, ce<br />

quartier pour la plus part, ouvrier, vit sous le joug d‟un sta<strong>de</strong>: le sta<strong>de</strong> du Standard.<br />

Le mot peut paraitre excessif mais il ne l‟est pas: pensez déjà simplement comment<br />

une école <strong>de</strong> la taille <strong>de</strong> la nôtre peut disparaitre pour un évènement footballistique<br />

unique, mais aussi comment toute la vie d‟un quartier est asservie, inféodée au<br />

calendrier <strong>de</strong>s matchs. De fait, lors <strong>de</strong> chaque match, tout est paralysé et le<br />

len<strong>de</strong>main, tout est dans un tel état <strong>de</strong> saleté, <strong>de</strong> dégradation, <strong>de</strong> vandalisme que<br />

cela décourage la moindre initiative. La ville courbe l‟échine <strong>de</strong>vant cette puissance<br />

médiatique et financière et laisse mourir le quartier malgré quelques simulacres <strong>de</strong><br />

projets <strong>de</strong>stinés à calmer la population et endormir le malheureux journaliste qui ne<br />

serait ni fan <strong>de</strong> football, ni inféodé à un journal acquis, ni lui-même dépendant du bon<br />

vouloir politique. Vous verrez dans la fin <strong>de</strong> ce récit combien, définitivement, la ville<br />

laisse mourir ce quartier et cherche encore une fois à détruire la seule activité <strong>de</strong><br />

taille en matière <strong>de</strong> culture, nous. Mais revenons à nos moutons.<br />

La piste <strong>de</strong> réflexion pour le quartier <strong>de</strong>vrait passer par un comité <strong>de</strong> quartier<br />

fort, dynamique et indépendant, la direction du Standard, qui <strong>de</strong>vrait libérer <strong>de</strong>s<br />

moyens compte tenu <strong>de</strong>s nuisances qu‟il apporte, et les intervenants sociaux et<br />

culturels. Cette cohabitation pourrait alors rendre aux politiques, dans une<br />

concertation simplifiée, ses projets et attentes pour chaque année à venir.<br />

Le <strong>Château</strong> comme lieu phare et seul élément patrimonial du quartier doit pouvoir<br />

bénéficier les afflux massifs <strong>de</strong> supporters au lieu <strong>de</strong> les subir. Prenons un exemple<br />

clair, le théâtre <strong>de</strong> l’Aléna qu‟abrite maintenant le château, et vous ne le savez pas<br />

encore parce que je bouscule la chronologie pour clore ce chapitre , perd 70% <strong>de</strong> ses<br />

fréquentations en termes <strong>de</strong> spectateurs lors <strong>de</strong>s matchs ordinaires et 100% lors <strong>de</strong>s<br />

matchs extraordinaires car il doit fermer, le quartier étant bouclé.<br />

Page 20


Il n‟est pas concevable que l‟organisateur et le bénéficiaire <strong>de</strong> tout cela, le club <strong>de</strong><br />

football du Standard n‟in<strong>de</strong>mnise pas ce qu‟il empêche! Nous ne parlons pas <strong>de</strong><br />

sommes pharaoniques pour une telle machine mais bien pour le mon<strong>de</strong> associatif!<br />

Pour notre part, nous pouvons chiffrer cela à une perte <strong>de</strong> près <strong>de</strong> 25.000€ par<br />

saison. (Dix saisons donc si vous comptez bien) Cette manne financière,<br />

honnêtement rendue par le club au théâtre comme sponsoring, et donc déductible,<br />

permettrait <strong>de</strong> développer les activités sociales sur le quartier et marquerait enfin<br />

pour le club, une présence volontaire d‟ai<strong>de</strong> et <strong>de</strong> soutien à son quartier.<br />

Des tentatives <strong>de</strong> contact ont déjà été tentées mais <strong>de</strong>meurent infructueuses<br />

jusqu‟à présent. Je reste pour ceci aussi, disponible pour toute rencontre avec une<br />

personne ayant pouvoir <strong>de</strong> décision au sein du club. A suivre donc …<br />

Page 21


Chapitre VI : Le <strong>Théâtre</strong> <strong>de</strong> L’Aléna<br />

Une fois <strong>de</strong> plus, ces rebondissements grotesques m‟avaient éloigné <strong>de</strong><br />

l‟essentiel, mon travail d‟artiste et en l‟occurrence, d‟auteur. Il était temps et vital pour<br />

moi que je me replonge un peu “en <strong>de</strong>dans <strong>de</strong> moi-même” pour y écouter cette<br />

rivière sour<strong>de</strong> qui se fait parfois pressante et que je laisse jaillir une nouvelle pièce.<br />

Toujours frileux par rapport à l‟intérêt pour les autres <strong>de</strong> ce travail, je décidai <strong>de</strong><br />

prendre la canne blanche <strong>de</strong> l‟adaptation et réécris d‟après le conte original, une<br />

version plus effrayante et initiatiquement sexuée <strong>de</strong> “La Belle et la Bête”.<br />

Je voulais aussi et avant tout offrir un rôle magnifique à Stéphanie.<br />

Dans cette pério<strong>de</strong>, nous dûmes nous rendre à une évi<strong>de</strong>nce, il manquait <strong>de</strong> salles<br />

<strong>de</strong> spectacles <strong>de</strong> petite taille sur Liège et nous étions fort sollicités pour accueillir <strong>de</strong>s<br />

projets. Pourtant, nous n‟avions pas encore <strong>de</strong> locaux adaptés, <strong>de</strong> matériel,<br />

d‟expérience. Le grand hall d‟entrée du château, souvenez-vous, celui avec les<br />

voitures démontées, ne nous servait que <strong>de</strong> remise et avait une taille suffisante pour<br />

commencer à rêver d‟étendre les activités du centre à la production et l‟accueil <strong>de</strong><br />

spectacles. La création <strong>de</strong> “La Belle et la Bête” suivie d‟une mise en scène <strong>de</strong><br />

Georges Courteline et d‟un accueil autour <strong>de</strong> Pasolini, nous assurait <strong>de</strong> bons débuts<br />

éclectiques.<br />

Pas <strong>de</strong> fauteuils mais <strong>de</strong>s bancs inconfortables et dans un premier temps,<br />

du matériel d‟éclairage loué. Très vite, je compris qu‟il ne serait pas viable <strong>de</strong><br />

continuer à louer du matériel car cela serait vite très onéreux et nécessitait sans<br />

cesse <strong>de</strong>s montages et démontages. Je me mis en quête <strong>de</strong> <strong>de</strong>vis pour l‟achat <strong>de</strong><br />

l‟ensemble <strong>de</strong> ce qui nous était nécessaire. Le <strong>de</strong>vis fut pour nous, énorme et<br />

s‟approchait <strong>de</strong>s 18.000€ alors que le chiffre d‟affaires du <strong>Théâtre</strong> fraichement<br />

constitué était <strong>de</strong> 678€ et celui du <strong>Centre</strong>, <strong>de</strong> 15.000€ l‟an. Et nous parlons ici <strong>de</strong><br />

chiffre d‟affaires! Je ne me démontais pas pour la cause et me rendis, avec un<br />

dossier complet, à ma banque pour obtenir un prêt. Vous lisez bien, je n‟écris pas,<br />

“<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r“, mais “obtenir“, et tout se joua sur cette nuance. Le directeur <strong>de</strong> l‟agence<br />

était ennuyé et ne voyait pas comment accepter cette <strong>de</strong>man<strong>de</strong> alors même que les<br />

garanties étaient inexistantes. En même temps, il était sincèrement sensible au projet<br />

<strong>de</strong> l‟association. Il me pria <strong>de</strong> revenir le len<strong>de</strong>main pour rencontrer d‟autres<br />

personnes <strong>de</strong> la banque mais ayant <strong>de</strong>s fonctions extra locales.<br />

Je m‟exécutai et le len<strong>de</strong>main, je revins. Malheureusement, mon allié potentiel, le<br />

directeur <strong>de</strong> l‟agence, homme d‟une soixantaine d‟années, n‟était pas encore sorti<br />

d‟une réunion à Bruxelles et était donc injoignable. Je vous rappelle qu‟en 2000, les<br />

portables n‟étaient pas encore généralisés. Ne me laissant pas démonter par les très<br />

jeunes collaborateurs que j‟avais face à moi, je leurs fis par <strong>de</strong> mon étonnement.<br />

Rien n‟était prêt alors que je venais signer les documents et non discuter car le<br />

matériel <strong>de</strong>vait être retiré le jour même pour permettre le spectacle du soir!<br />

Je ne mentais pas pour le spectacle sauf qu‟il s‟agissait <strong>de</strong> la générale.<br />

Mon aplomb, mon étonnement les ébranla. Y avait il eu malentendu? Le directeur <strong>de</strong><br />

l‟agence s‟était-il personnellement engagé? Personnellement déjà équipé d‟un<br />

portable, j‟augmentai la pression avec <strong>de</strong>s invités <strong>de</strong> marque que je prenais à témoin<br />

d‟une annulation possible à cause d‟un flottement <strong>de</strong> ma banque.<br />

Page 22


Ils craquèrent très vite, je signais les papiers et sorti, le cœur battant, faut il le dire,<br />

avec un chèque couvrant la somme pour l‟achat <strong>de</strong> l‟ensemble du matériel<br />

nécessaire. Je me rendis alors à Ciney chez le grossiste, fit charger l‟ensemble et<br />

revint en triomphe au château. Je cherchai les yeux <strong>de</strong> mon amoureuse, entourée<br />

<strong>de</strong> notre fidèle régisseur, Belic, et d‟autres personnes et rencontrai son regard<br />

baigné <strong>de</strong> larmes. Je pense qu‟elle n‟avait jamais cru vraiment que nous y arriverions<br />

et ces caisses pleines <strong>de</strong> matériel rendant clairement possible l‟existence d‟un<br />

théâtre, la touchait infiniment.<br />

Première du Courteline et réussite totale. Mon humour empli <strong>de</strong> gags<br />

visuels, sorte <strong>de</strong> manifestations fugaces <strong>de</strong> l‟âme profon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s personnages faisait<br />

mouche sur ce texte délicieux. Les spectateurs firent nombre <strong>de</strong> commentaires<br />

enthousiastes sur le spectacle mais aussi sur la salle… Pourtant, cette salle<br />

prometteuse, je n‟en étais pas satisfait. Pensez donc, sur <strong>de</strong>ux mètres <strong>de</strong> haut un<br />

lambris abjecte et sur les six mètres restant, une couleur « administration » griseverte.<br />

Un escalier dans le fond prêt à s‟effondrer, un bruit <strong>de</strong> voitures assourdissant,<br />

un plafond en fer vert « administration » également, quatre portes partiellement<br />

défoncées et la porte principale du château, non occultée, grise aussi, <strong>de</strong>ux vitres<br />

arrondies cassées, <strong>de</strong>s courants d‟air à profusion et pour couronner le tout, pas<br />

d‟éclairage <strong>de</strong> service et pas <strong>de</strong> chauffage! Les spectacles et l‟à-propos <strong>de</strong> la nuit<br />

avaient dissimulé momentanément la misère du lieu au regard curieux <strong>de</strong>s premiers<br />

spectateurs mais il n‟en serait pas toujours ainsi et je le savais.<br />

Cet été là, armé d‟un marteau, d‟un burin et d‟un pied <strong>de</strong> biche, j‟arrachais<br />

tout le lambris et déplafonnais, centimètre carré par centimètre carré, les murs <strong>de</strong> la<br />

salle sur trois mètres <strong>de</strong> haut. Ainsi, je pus faire apparaitre un mur brut <strong>de</strong>vant lequel<br />

tout <strong>de</strong>venait jouable mais aussi, d‟anciens passages en pierres bleues <strong>de</strong>stinés aux<br />

écuries. Un mois <strong>de</strong> travail fut nécessaire à raison <strong>de</strong> douze à quatorze heures par<br />

jour sans jour d‟arrêt mais il fallait ensuite déblayer les mètres cubes <strong>de</strong> crasses<br />

jonchant le sol et trois semaines furent donc encore nécessaires à re-nettoyer la<br />

salle. Ce travail insensé que j‟effectuai seul, au risque, certains jours <strong>de</strong> perdre la<br />

tête, je le savais être nécessaire pour frapper les esprits et faire <strong>de</strong> ce lieu le plus<br />

beau petit théâtre <strong>de</strong> la Ville. Je m‟accrochai donc à cette vision.<br />

Ensuite, vint le temps <strong>de</strong> la rentrée où mon travail <strong>de</strong> Directeur augmentait<br />

avec le nombre toujours croissant d‟élèves, plus <strong>de</strong> 160! Pourtant, pour la création <strong>de</strong><br />

“ La Belle et la Bête”, je voulais un écrin parfait. J‟attaquai alors la réparation et la<br />

peinture du plafond, à presque 9 mètres <strong>de</strong> haut. J‟arrêtais le soir seulement lorsque<br />

mon corps me lâchait, c‟est-à-dire rarement avant minuit. Je savais que ce train<br />

d‟enfer serait obligatoire pour respecter le calendrier que je m‟étais fixé.<br />

Peu après, arriva le moment <strong>de</strong> restaurer et peindre les immenses murs.<br />

Je découvris alors par hasard 6 énormes et magnifiques statues <strong>de</strong> soutien, <strong>de</strong>s<br />

cariati<strong>de</strong>s, que mon papa plaça aussitôt dans un simulacre <strong>de</strong> soutien du plafond.<br />

Cela rendait à la salle un cachet “<strong>Château</strong>” qu‟elle avait perdu. Mon papa refit toute<br />

l‟installation électrique <strong>de</strong> la salle, mit un éclairage, un chauffage et conçut et réalisa<br />

l‟entièreté <strong>de</strong>s circuits nécessaires à l‟utilisation optimum <strong>de</strong> la salle comme salle <strong>de</strong><br />

spectacle. Il installa même <strong>de</strong> petits projecteurs <strong>de</strong>stinés à éclairer les statues les<br />

soirs <strong>de</strong> spectacles…<br />

Page 23


Le papa <strong>de</strong> Stéphanie, qui avait déjà réalisé les cadres en bois pour les<br />

miroirs <strong>de</strong> la salle <strong>de</strong> danse, réalisa avec un soin très particulier le châssis avec<br />

ouvrant <strong>de</strong> la régie nouvellement construite. Petite digression encore. Comme l‟on ne<br />

pense pas, au moment <strong>de</strong>s ruptures qu‟il est <strong>de</strong>s personnes qu‟on aime et qu‟on ne<br />

reverra plus par la force <strong>de</strong>s choses. Le papa <strong>de</strong> Stéphanie, Guido, me manque<br />

souvent surtout le dimanche où nous avions l‟habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> le visiter.<br />

La scénographie <strong>de</strong> “La Belle et la Bête” était à la fois simple mais<br />

redoutable dans sa réalisation. Je voulais que l‟on ait l‟impression que la nature avait<br />

repris ses droits dans un château à l‟abandon. Ainsi, plantes, lierres sur les murs,<br />

grands arbres emplissaient l‟espace d‟une salle qui avait clairement été un lieu <strong>de</strong><br />

vie. Un petit hommage à Cocteau aussi en la personne <strong>de</strong> la guichetière dont seuls<br />

les bras maquillés sortaient du mur et qui prenait et déchirait les billets d‟entrée.<br />

La pièce commençait par le magique et traditionnel “Il était une fois…” et la narration<br />

se faisait par une conteuse, invisible pour les personnages mais ayant une emprise<br />

sur leurs <strong>de</strong>stinées. Cette conteuse, enterrée à même le sol surgissait et commençait<br />

à parler alors qu‟aucun spectateur ne soupçonnait sa présence. L‟effet fut féérique,<br />

effrayant et admirable. Gros succès dont on me parle encore et qu‟on me <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> reprendre. Bien volontiers mais sans Stéphanie, ce serait une trahison.<br />

Elle y fut sublime, admirable, touchante. J‟avais l‟occasion avec ce lieu d‟y faire vivre<br />

pleinement ma comédienne <strong>de</strong> compagne et je ne l‟ai que peu fait. Pourquoi?<br />

Les rentrées dues à la petitesse <strong>de</strong> la salle ne pouvant permettre <strong>de</strong>s salaires <strong>de</strong><br />

professionnels, Stéphanie et moi, nous nous réservions comme comédiens, pour<br />

<strong>de</strong>s ailleurs qui ne vinrent que peu. Erreur monumentale que nous fîmes à <strong>de</strong>ux,<br />

enferrés dans cette logique financière idiote. Elle vit mes plus belles mises en scène<br />

et les plus beaux rôles féminins défiler mais donnés à d‟autres et cela finit par nous<br />

faire du tord. Inutile <strong>de</strong> vous dire combien je regrette cela (aussi) et que je ne me<br />

prive plus <strong>de</strong> la joie d‟écrire, <strong>de</strong> mettre en scène et jouer quand cela me chante<br />

puisque le public est toujours au ren<strong>de</strong>z vous!<br />

Page 24


Chapitre VII : Une salle pour elle…<br />

Les cours se remplissaient bien mais à l‟occasion <strong>de</strong>s portes ouvertes, je<br />

pus constater combien la salle allouée à la danse <strong>de</strong>venait exiguë au fur et à mesure<br />

<strong>de</strong> notre croissance. Une salle, très gran<strong>de</strong> restait à affecter mais dans un état <strong>de</strong><br />

ruine avancé avec du lambrissage, encore, <strong>de</strong>s portes effondrées, un plafond<br />

partiellement miné par les infiltrations et d‟abondantes fuites à la toiture se trouvant<br />

juste au <strong>de</strong>ssus. Je pris la décision que je consacrerais mon été à la rénovation <strong>de</strong><br />

cette salle qui serait exclusivement affectée aux cours <strong>de</strong> Stéphanie.<br />

C‟était important et ce n‟était aussi que lui rendre justice.<br />

Ma seule inquiétu<strong>de</strong> était d‟en avoir la force et la volonté car je ne me<br />

voyais pas monter 400kg <strong>de</strong> plafonnage, par sac <strong>de</strong> 40 kg, sur <strong>de</strong>ux étages sur mon<br />

seul dos. Et pourtant je le fis! Heureusement, avant <strong>de</strong> prendre ces vacances, j‟eus<br />

<strong>de</strong> l‟ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> Belic. Parfois, dans l‟impatience, je prenais <strong>de</strong>ux sacs à la fois!<br />

Je m‟étonne aujourd‟hui souffrir si fort du dos! Un mois <strong>de</strong> travail forcené plus loin et<br />

ce fut fait. Ne pouvant pas travailler avec mesure, effondrés, Stéphanie et moi<br />

partîmes en vacances. C‟était la première fois! Il est à noter qu‟elle était tellement<br />

heureuse <strong>de</strong> ce travail, qu‟elle s‟y investit beaucoup en peignant tout ce gigantesque<br />

plafond.<br />

Rentrée scolaire, émerveillement <strong>de</strong>s élèves et un total <strong>de</strong> plus ou moins<br />

180 inscrits! L‟école tournait correctement, le château se rénovait, le théâtre n‟avait<br />

pas encore <strong>de</strong> saison complète mais se développait. Tout était possible sans les<br />

impondérables <strong>de</strong> la vie. Je n‟entrerai pas dans les détails <strong>de</strong> ma vie privée mais je<br />

fis une rencontre qui me fut terriblement funeste.<br />

Le centre survécut mais un peu comme un bateau dont les moteurs<br />

s‟arrêtent et qui continue d‟avancer… Je plaçai alors toute mon énergie dans la<br />

rédaction et l‟obtention <strong>de</strong> subventions pour trois postes, le mien, celui <strong>de</strong> Stéphanie<br />

et celui <strong>de</strong> Belic. Je voulais nous mettre à l‟abri, après 10 ans <strong>de</strong> bénévolat pour elle<br />

et moi. Mes dossiers furent reçus favorablement par le Ministre Jean-Clau<strong>de</strong><br />

Marcourt (PS) et son très disponible et compétent secrétaire particulier, Michel<br />

Granados. Cette ai<strong>de</strong> arriva trop tard pour Stéphanie qui partit, poussée par ma<br />

douleur qui se faisait agressive. Son indifférence à mon égard attisa ma blessure et<br />

j‟en <strong>de</strong>vins, fort stupi<strong>de</strong>ment et maladroitement, odieux. Peu <strong>de</strong> temps plus tard, mon<br />

appartement brûla et je perdis mon papa. Il avait permis par son travail et ses<br />

compétences, la réalisation <strong>de</strong> ce projet. Il s‟y était investi durant 5 ans sans jamais<br />

rechigner et ce malgré sa santé. Chaque salle me parle <strong>de</strong> lui comme <strong>de</strong> Stéphanie<br />

dont la salle <strong>de</strong> danse est <strong>de</strong>venue pour moi un endroit dans lequel je ne vais plus.<br />

La vie ne <strong>de</strong>vra plus me faire <strong>de</strong> ca<strong>de</strong>au <strong>de</strong>puis, pour peu que l‟on puisse considérer<br />

que j‟en avais eu avant! Je pense que les joies que j‟ai récoltées ne furent jamais<br />

dûes à la chance mais bien à l‟obstination et à la volonté <strong>de</strong> ne pas renoncer à mes<br />

rêves. Aujourd‟hui, je crois avoir perdu mes <strong>de</strong>rnières illusions mais il reste encore<br />

quelques rêves qui me tiennent <strong>de</strong>bout. Quelques espoirs aussi…<br />

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Chapitre VIII : La vie continue…<br />

Oui, contre toute attente, cette phrase engluée <strong>de</strong> platitu<strong>de</strong> bienveillante, se<br />

vérifiait mais ce qu‟elle ne précise pas, c‟est que jamais rien n‟est plus comme avant.<br />

Nous perdîmes <strong>de</strong>s élèves <strong>de</strong> danse, attachés à Stéphanie mais son départ soudain,<br />

je dois bien le reconnaître, ne se sentit même pas. Il y avait bien <strong>de</strong>s choses qui ne<br />

se faisaient plus ou qui se faisaient différemment mais en fait, ce qui manquait le plus<br />

c‟est sa lumineuse personne, son sourire, son rire cristallin et l‟envie qu‟elle me<br />

donnait <strong>de</strong> me dépasser. Mais tout cela étant mort petit à petit, son départ marqua<br />

surtout la fin d‟une douleur se manifestant violemment au grand dam <strong>de</strong> tous.<br />

Il est un souvenir qui me hante <strong>de</strong> cette pénible pério<strong>de</strong>, celui d‟avoir été la<br />

rechercher, ivre, elle qui ne buvait jamais, couchée sur un banc au bord <strong>de</strong> la Meuse.<br />

Je revois son beau manteau beige recouvert <strong>de</strong> boue, ses yeux perdus. Dieu, fallait-il<br />

que la déception et la douleur qui la brisait ainsi furent gran<strong>de</strong>s.<br />

Je pense souvent à ce moment où je regrettai amèrement d‟avoir trahi une personne<br />

comme celle-là. On pense toujours que ce qui nous arrive est exceptionnel mais moi,<br />

c‟est mon affligeante banalité qui m‟apparaissait dans toute sa hi<strong>de</strong>use nudité.<br />

C‟est pourquoi maintenant, je réclame le droit d‟être léger car une soirée <strong>de</strong><br />

bonheur au théâtre peut être comme une bouée au milieu <strong>de</strong> la mer: on peut oublier<br />

un instant qu‟on doit nager sans cesse pour gar<strong>de</strong>r la tête hors du marasme, car là<br />

enfin, on peut communier sans Jésus, Mohammed ou télévision-internet; on peut<br />

oublier le vi<strong>de</strong> insondable qui nous entoure, occupé simplement à comprendre la<br />

vanité <strong>de</strong> tout cela, et au travers <strong>de</strong>s classiques, l‟intemporelle vanité <strong>de</strong> tout cela; et<br />

en jouir car touchant un instant quelque chose qui est au <strong>de</strong>là <strong>de</strong> la survie animale et<br />

<strong>de</strong> la marchandisation générale. Ces rares moments <strong>de</strong> perfection que n‟importe quel<br />

public ressent, sont précieux et sont ma quête. Cette coupe <strong>de</strong> charpentier n‟est<br />

jamais où on l‟attend, n‟a jamais la forme qu‟on prévoit mais surgit soudain quand on<br />

finit par en douter.<br />

Le théâtre reste encore aujourd‟hui un puissant outil <strong>de</strong> compréhension, <strong>de</strong><br />

transmission, d‟enseignement, <strong>de</strong> réflexions mais aussi <strong>de</strong> joie et <strong>de</strong> bonheur.<br />

Le théâtre ne peut pas avoir <strong>de</strong> catégorisation car il peut tout absorber. Le théâtre <strong>de</strong><br />

boulevard n‟a pas le monopole <strong>de</strong> l‟humour comme d‟autres n‟ont pas le monopole<br />

<strong>de</strong> la profon<strong>de</strong>ur. De même qu‟une salle vi<strong>de</strong> n‟est pas signe d‟un artiste <strong>de</strong> génie<br />

maudit, une salle pleine, peut, elle, n‟être due qu‟à une communication efficace, un<br />

soutien <strong>de</strong> médias ou simplement à la présence d‟un “people” en scène.<br />

Et la présence d‟un “people” en scène n‟en fait pas pour autant un mauvais spectacle<br />

racoleur!<br />

Le hasard ou la concordance <strong>de</strong> faits peuvent être à l‟origine d‟un succès<br />

mais pas d‟une trajectoire <strong>de</strong> vie. Le public peut se tromper sur beaucoup <strong>de</strong> choses<br />

et rire <strong>de</strong> la vulgarité la plus plate mais cela n‟a qu‟un temps et s‟il aime un artiste<br />

durant <strong>de</strong> longues années, c‟est probablement qu‟il y a là quelqu‟un qui mérite qu‟on<br />

s‟attar<strong>de</strong> sur lui, qu‟on le reconnaisse et qu‟on le soutienne. Le passage du temps est<br />

souvent un implacable révélateur mais que ça ne serve pas <strong>de</strong> prétexte à bou<strong>de</strong>r les<br />

vivants!<br />

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La Belgique n‟a pas <strong>de</strong> politique culturelle ni <strong>de</strong> volonté <strong>de</strong> politique<br />

culturelle, ni d‟intérêt pour une politique culturelle car la Belgique n‟aime pas ses<br />

artistes. Ils ne finissent par exister qu‟une fois vus par le prisme Français.<br />

Quelle absence claire d‟intelligence chez nos élus! Une lacune <strong>de</strong> taille qui fait que<br />

l‟on ne fera que <strong>de</strong>s hommages à Jacques Brel et Simenon sur les cent ans à venir<br />

car les nouveaux venus n‟attirent que peu <strong>de</strong> sympathie et <strong>de</strong> soutien. Je ne parle<br />

pas <strong>de</strong> la clique qui détient les institutions et qu‟on oubliera si vite leur mandat<br />

politico-culturel terminé. Je ne m‟étendrai pas sur la situation française que je ne<br />

connais pas assez mais je me refuserais à la regar<strong>de</strong>r avec une béate et stupi<strong>de</strong><br />

admiration toute issue du complexe d‟infériorité belge. Tout au plus peut-on imaginer<br />

qu‟il y ait plus <strong>de</strong> bulles d‟air dans un verre rempli d‟eau que dans un dé à coudre…<br />

Ainsi la pério<strong>de</strong> sans Stéphanie est celle <strong>de</strong> l‟apothéose du théâtre.<br />

Il n‟y a pas <strong>de</strong> cause à effet, j‟aurais dû le faire plus tôt, sauf peut-être que beaucoup<br />

<strong>de</strong>s pièces que j‟ai écrites furent encore pour elle. Des déclarations d‟amour criées<br />

dans une bouteille elle-même lancée à la mer. D‟où le manque d‟échos…<br />

Ma thérapie théâtrale fut donc <strong>de</strong> me rendre hyper prolixe: écrire, mettre en scène,<br />

jouer et jusqu‟à huit pièces l‟an. Cette boulimie <strong>de</strong> travail était aussi la simple<br />

matérialisation <strong>de</strong> tous les projets que je portais en moi <strong>de</strong>puis <strong>de</strong> nombreuses<br />

années et je suis conscient que ce rythme effréné va tarir la source rapi<strong>de</strong>ment.<br />

De fait, normalement, j‟écris lentement. Il me faut parfois plusieurs années <strong>de</strong> lecture,<br />

<strong>de</strong> documentation, <strong>de</strong> gestation et puis un jour, je sens que c‟est prêt car j‟ai le titre.<br />

Une fois cette étape fondamentale passée, je n‟ai « plus qu‟à » écrire la pièce,<br />

souvent d‟un seul jet. Processus étrange et sur lequel je n‟ai que peu d‟emprise si ce<br />

n‟est celui d‟être en permanence curieux <strong>de</strong> tout, lire énormément, voir, voyager,<br />

écouter… Mais cela ne garantit rien car il me faudra encore trouver l‟élément<br />

déclencheur qui va cristalliser tout d‟un coup mille petites choses en une pièce.<br />

Je ne peux donc pas travailler à la comman<strong>de</strong>. Comme metteur en scène, je ne veux<br />

pas travailler à la comman<strong>de</strong>, j‟ai donné et c‟est douloureux pour tout le mon<strong>de</strong>!<br />

Comme comédien, j‟ai besoin d‟aimer le personnage, la pièce et le porteur du projet!<br />

N‟y voyez aucune suffisance. Je veux juste éviter les malentendus. Si quelqu‟un veut<br />

le meilleur <strong>de</strong> moi, c‟est à ces conditions-là. Sans quoi, il y aura compromis, tricherie<br />

et fourniture d‟un savoir-faire et rien <strong>de</strong> plus. Nous passerons à coté <strong>de</strong> la rencontre<br />

et je ne veux pas gâcher le projet <strong>de</strong> quelqu‟un pour un contrat, donc <strong>de</strong> l„argent. Je<br />

ne voudrais pas qu‟on le fasse avec moi! Et puis, au fond <strong>de</strong> moi, j‟aurais<br />

l‟impression <strong>de</strong> nuire au théâtre.<br />

Cette hyperactivité créatrice rencontra les faveurs du public et pour une salle<br />

<strong>de</strong> 80 places, nous faisions 9000 spectateurs par saison.<br />

Au cours <strong>de</strong> cette pério<strong>de</strong> durant laquelle je jouais beaucoup et <strong>de</strong>s rôles très<br />

difficiles; je ne me fais jamais <strong>de</strong> ca<strong>de</strong>au, je me rendis compte d‟une chose<br />

étonnante: je n‟étais plus le même homme et donc plus le même comédien.<br />

La vie étant passée par là, je sortais sensiblement changé par ces évènements, ma<br />

palette <strong>de</strong> jeu s‟était agrandie. Comme quoi, il ne faut désespérer <strong>de</strong> rien!<br />

Pourtant quelque chose d‟in<strong>de</strong>scriptible est parti. Devenu hyper vulnérable et<br />

perméable à la moindre émotion, j‟ai dû réapprendre à vivre.<br />

Probablement suis-je plus Hermite qu‟avant mais c‟est mon moyen, aujourd‟hui, <strong>de</strong><br />

surnager.<br />

Décidément, voilà bien une rencontre qui aura changé ma vie et mon être par <strong>de</strong>là<br />

les évènements et le temps.<br />

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En 2008, en plus du théâtre, je me suis réinvesti dans le centre en reprenant<br />

une charge <strong>de</strong> cours. Un groupe magnifique fait <strong>de</strong> très belles personnes. Je dois à<br />

l‟une d‟elle le plus beau Noël que j‟ai vécu. Des nouveaux chargés <strong>de</strong> cours comme<br />

la précieuse et combien brillante Julie, son compagnon à la vie, Eugène, l‟ami <strong>de</strong><br />

toujours, Benoît, dont la présence fut tellement nécessaire, l‟exquise Déborah,<br />

Laetitia, Didier, Amélie, Carole, etc.<br />

J‟en profite pour vous toucher un mot <strong>de</strong> l‟équipe qui rend possible la vie <strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong>ux lieux: Sophie puis Charlotte et Marie-Anne au secrétariat, Déborah, encore, en<br />

attachée <strong>de</strong> presse, Belic, ce précieux bricoleur et régisseur, présent <strong>de</strong>puis 2000 et<br />

qui, malgré ses sautes d‟humeur est un collaborateur précieux; David, qui a <strong>de</strong> l‟or<br />

dans les doigts et à qui rien n‟est impossible, si ce n‟est réussir à faire ranger l‟atelier<br />

par Belic, Berna<strong>de</strong>tte qui meuble le bar et la billetterie <strong>de</strong> son accent <strong>de</strong> bonne<br />

humeur tout liégeois, Francine, administratrice du théâtre et costumière hors pair<br />

avec Claudine et Geneviève ; Olivier, mon ami, mon soutien indéfectible et<br />

temporisateur permanent, Maxime, administrateur et comédien dont le talent n‟a<br />

d‟égal que la poésie et la gentillesse, Julien, mon bras armé pour les sites,<br />

Christophe, architecte adorable qui gère au quotidien les travaux à faire pour les<br />

pompiers,… Pardon pour les collaborateurs et collaboratrices que je ne cite pas mais<br />

je ne puis décemment ennuyer d‟avantage le lecteur, qui probablement sautera déjà<br />

ce passage, qu‟ils m‟en pardonnent. Cette digression démontre simplement que ces<br />

lieux sont le fruit d‟équipes auxquelles j‟indique la direction dans laquelle aller et qui<br />

me font le plaisir <strong>de</strong> me laisser toujours croire qu‟elle est la bonne.<br />

Ainsi, outre les salariés à l‟année, environ 10 professeurs y trouvent un<br />

revenu d‟appoint et près <strong>de</strong> quarante artistes, un revenu régulier et un<br />

épanouissement artistique. Donc, pour conclure ces chiffres, près <strong>de</strong> 165 élèves<br />

réguliers à l„année, 9000 spectateurs, 40 élèves uniquement pour <strong>de</strong>s stages courts<br />

et une trentaine <strong>de</strong> personnes handicapées suivant <strong>de</strong>s cours <strong>de</strong> musique, théâtre,<br />

danse en collaboration avec le Céjiel, trouvent dans ces lieux un atout précieux à<br />

leur développement, leur formation et leur culture.<br />

Pourtant, et en pleine crise économique, le propriétaire à qui on ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />

rien, a fait visiter, sans nous prévenir (encore), les locaux par <strong>de</strong>s notaires, afin <strong>de</strong><br />

chiffrer le bénéfice que la Ville pourrait tirer <strong>de</strong> la vente du bâtiment. Notre expulsion<br />

coulant <strong>de</strong> source. Il est amusant que l‟on procè<strong>de</strong> ici au calcul <strong>de</strong> la plus-value que<br />

nous avons réalisé dans le bâtiment grâce à nos travaux et investissements pour le<br />

vendre avantageusement.<br />

Quelques remarques: l‟activité sociale, culturelle, l‟emploi, la richesse<br />

multiple qui en découle et surtout en cette pério<strong>de</strong>, dans un secteur très touché et<br />

sur un quartier sinistré, le mépris <strong>de</strong> la collectivité que nous représentons fort d‟un<br />

fichier <strong>de</strong> 18.000 personnes, clients , élèves et membres, l‟intérêt <strong>de</strong> la sauvegar<strong>de</strong><br />

d‟un bien patrimonial dans le giron <strong>de</strong> la Ville, et enfin la manœuvre, une fois encore<br />

grossièrement exécutée, <strong>de</strong> profiter du travail d‟un tiers pour en tirer un bénéfice ne<br />

peut qu‟attirer étonnement dans un premiers temps, puis rébellion dans un second.<br />

Comment s‟incliner <strong>de</strong>vant <strong>de</strong> telles pratiques et comment ne pas y voir l‟une <strong>de</strong>s<br />

causes <strong>de</strong> l‟effondrement d‟une société? Si ce n‟est pas à nous <strong>de</strong> changer <strong>de</strong><br />

mon<strong>de</strong>, c‟est à ceux qui préten<strong>de</strong>nt le faire pour nous <strong>de</strong> prendre un peu mieux en<br />

compte la réalité <strong>de</strong>s choses.<br />

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Quelques courriers plus tard, je fus reçu plus aimablement et la proposition changea.<br />

En fait, elle s‟était donné le vernis du politiquement correct afin <strong>de</strong> pouvoir gérer au<br />

mieux, officiellement, notre incapacité à pouvoir nous saisir <strong>de</strong> l‟opportunité en or qui<br />

nous était offerte si généreusement.<br />

Il serait trop commo<strong>de</strong> d‟ourdir <strong>de</strong>s projets sans vouloir en assumer les<br />

retombées fussent elles négatives. Donc et soudainement, la proposition qui nous<br />

est faite est d‟acheter nous-mêmes le château, à un prix “d‟ami”, certes, mais qui<br />

revient simplement à nous faire payer la plus-value que nous y avons investie<br />

puisqu‟il était en ruine et <strong>de</strong>vait être rasé, mais aussi à se laver définitivement <strong>de</strong> tout<br />

engagement social, culturel et patrimonial <strong>de</strong> taille sur ce quartier car il est bien<br />

évi<strong>de</strong>nt qu‟il nous est impossible d‟acheter ce bâtiment.<br />

Le raffinement stratégique tout politicien <strong>de</strong> la proposition est le suivant:<br />

- Bail nous est proposé avec loyer-acompte sur l‟achat.<br />

- Pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> 5 ans pour libérer le sol<strong>de</strong>.<br />

Cela semble généreux mais il ne faut pas s‟y tromper: le loyer fixé est au <strong>de</strong>ssus <strong>de</strong><br />

nos moyens car nous <strong>de</strong>vons gérer une rénovation fort onéreuse simultanément.<br />

A titre d‟exemple, nous <strong>de</strong>vons, dans les trois ans et pour satisfaire aux nouvelles<br />

normes en matière <strong>de</strong> sécurité incendie, équiper tout le château <strong>de</strong> détecteurs<br />

autonomes et d‟une centrale. Coût, près <strong>de</strong> 50.000€, qui seront, dans la logique <strong>de</strong> la<br />

ville, ajoutés à la valeur du bâtiment pour sa vente! Mieux, 15.000€ <strong>de</strong> dégâts suite à<br />

la tempête du 14 juillet 2010 que la ville ne fera pas prendre en compte par son<br />

assurance afin <strong>de</strong> nous en laisser la seule dépense. Il nous est pourtant impossible<br />

<strong>de</strong> faire face à tout! En fixant ce loyer et ce calendrier, la ville semble faire bonne<br />

figure mais, <strong>de</strong> fait, empêche les associations <strong>de</strong> survivre.<br />

Quand on pense que <strong>de</strong>s lieux artistiques dont la Ville <strong>de</strong> Liège est<br />

propriétaire existent et qu‟ils bénéficient d‟un loyer symbolique et d‟un bail<br />

emphytéotique long! Il n‟y a donc pas ici volonté d‟entente mais bien d‟éradication<br />

d‟un lieu qui dérange <strong>de</strong>puis le début. A moins qu‟il n‟y ait sur le château un projet<br />

caché, ce qui est très largement possible au vu <strong>de</strong>s réactions virulentes dès la<br />

mention <strong>de</strong> la chose.<br />

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Fatigué <strong>de</strong>s rebondissements cycliques avec un propriétaire définitivement<br />

imperméable à ce que nous représentons et qui aura le culot <strong>de</strong> s‟offusquer <strong>de</strong> cette<br />

rébellion,( comment, le bétail n‟aime pas l‟abattoir et meugle!) J‟ai décidé donc, et<br />

c‟est le sous-titre <strong>de</strong> ce document, <strong>de</strong> lancer une nouvelle utopie. Celle -ci aura pour<br />

but le maintien <strong>de</strong>s activités culturelles et sociales, la réhabilitation et la restauration<br />

du château en achetant et maintenant l‟outil <strong>de</strong> travail du <strong>Centre</strong> <strong>Antoine</strong> <strong>Vitez</strong> et du<br />

<strong>Théâtre</strong> <strong>de</strong> l‟Aléna. Le capital sera constitué par la vente symbolique <strong>de</strong>s briques du<br />

château au prix <strong>de</strong> 50€ pièce, afin que chacun puisse contribuer à ce projet teinté <strong>de</strong><br />

rêves. Cela faisant dès lors <strong>de</strong> vous un propriétaire symbolique du château mais<br />

aussi mécène social, un associé à la vie <strong>de</strong> lieu unique. Il s‟agit donc d‟un peu plus<br />

que du mécénat, car l‟argent mis ainsi en commun reste pour le bien collectif.<br />

Cette démarche ne sera une réussite spectaculaire que si chacun s‟y associe<br />

et relaie ce projet à un maximum <strong>de</strong> personne. (Les dons sont déductibles<br />

fiscalement) Maintenant, il n‟est pas exclu qu‟un terrain d‟entente avec les autorités<br />

communales puisse être trouvé et j‟aimerais vraiment qu‟un dialogue <strong>de</strong> confiance et<br />

<strong>de</strong> respect s‟installe. Cette manne financière irait donc alors à la rénovation du lieu et<br />

non à son achat.<br />

Cet acte solidaire, citoyen et politique, au <strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> tout clivage, peut être<br />

un <strong>de</strong>s éléments pour une société <strong>de</strong> <strong>de</strong>main où l‟argent <strong>de</strong>vient moyen et non<br />

finalité mais aussi dans lequel est rendu à chacun un rôle actif dans la cité et son<br />

avenir, n‟attendant plus pour cela le bon vouloir d‟autorités ou une volonté sociale<br />

que les banques n‟ont jamais eue et n‟auront jamais.<br />

La fin <strong>de</strong>s illusions n‟est pas la fin <strong>de</strong>s utopies.<br />

Au <strong>de</strong>là <strong>de</strong> la marchandisation, il y a <strong>de</strong>s hommes avec <strong>de</strong>s rêves. Refusons<br />

ce pragmatisme fataliste d‟habiter momentanément un quotidien sans rêves <strong>de</strong> futur<br />

et, construisons, même avec <strong>de</strong> petites choses, ce qui peut changer la société <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>main.<br />

Ceux qui ne rêvent plus sont déjà morts.<br />

Notre union fera notre force.<br />

Même si votre don reste symbolique, vous appuierez <strong>de</strong> votre nom cette fabrique <strong>de</strong><br />

rêves.<br />

Merci <strong>de</strong> m‟avoir lu jusqu‟au bout<br />

Alain Beaufort<br />

Membre fondateur<br />

Directeur<br />

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