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DEDICACE<br />

Aux élèves des générations présentes et futures de l'école élémentaire Gomack<br />

Coumba Ndiaye du village de Dionewar - dans les îles du Saloum au Sénégal - je dédie<br />

ce travail espérant qu'ils soient nombreux à s'investir dans la recherche.<br />

Si ce modeste exemple pouvait servir à mes enfants...<br />

1


REMERCIEMENTS.<br />

Ce travail universItaIre nous a conduit dans diverses bibliothèques et<br />

plusieurs services d'archives tant au Sénégal qu'en France. Aussi à tous les personnels<br />

de ces structures je prie de bien vouloir trouver ici, un témoignage de gratitude<br />

profonde. Beaucoup de personnes ont accepté avec joie, de répondre à un questionnaire<br />

écrit tandis que d'autres ont préféré la discussion à bâtons rompus. Les uns et les autres<br />

m'ont éclairé sur divers points d'ombre. J'espère avoir traduit fidèlement leurs propos et<br />

les remercie très sincérement pour leur disponibilité.<br />

Je cite - avec le risque d'être partiel- Mbah Diatta, Khady Diouma, Madame<br />

Gnima, Mamadou Sama Senghor, Mamadou Thié Diouf, Pape Ansou, Djibril Khady<br />

Faye, El Hadj Amadou Ndour et Aminata Maï Sarr. A toutes ces personnes de<br />

Dionewar, je sais gré de leurs encouragements chaleureux et constants.<br />

Bintou Mariama Sarr s'est beaucoup souciée de l'avancement de ce travail et<br />

n'a ménagé aucun effort pour soutenir l'auteur, comme Moussa Ndoucou Ndong et<br />

Khady Sarr.<br />

A y ouba Sambou, Amadou Gando Souaré, Badara Ciss, Marakary<br />

Danfakha, je renouvelle un témoignage d'amitié profonde et sincère exactement comme<br />

je l'ai déjà fait, il y a de cela vingt ans, dans un travail universitaire plus modeste. Que<br />

Marie Thérèse Gauthier, Michelle Taurines, Yvette Le Lait, Malick Ndiaye et Papa<br />

Waly Danfakha qui ont bien accepté de relire et corriger ce travail me pardonnent les<br />

insuffisances.<br />

Mes maîtres de l'université de Paris VII, U.F.R G.H.S.S reçoivent ici mes<br />

remerciements sincères pour l'encadrement dont j'ai été l'objet à toutes les étapes de ce<br />

travail. Une mention toute particulière pour mon directeur de recherches, Mme<br />

Catherine Coquery Vidrovitch qui a bien compris qu'en plus de ma préoccupation<br />

académique, mon séjour en France avait aussi une autre raison fondamentale: de santé.<br />

A toutes les autorités sénégalaises de l'Education Nationale, à la direction de<br />

l'Ecole Normale Supérieure de Dakar et à l'ensemble de mes collègues de cette<br />

structure de formation pédagogique, je prie d'accepter mes remerciements sincères. A<br />

toutes les personnes qui ont soutenu moralement et/ou matériellement ce travail et qui<br />

ne trouveront pas leurs noms, j'adresse aussi un mot de haute signification: gratitude.<br />

II


F.O.M: France d'Outre-Mer<br />

ABREVIATION<br />

M.F.O.M: Ministère de la France d'Outre-Mer<br />

A.O.F: Afrique Occidentale française<br />

A.E.F: Afrique Equatoriale française<br />

T.O.M: Territoires d'Outre-Mer<br />

U.F. : Union Française<br />

G.G: Gouvernement Général<br />

G.C: Grand Conseil<br />

E.N.F.O.M : Ecole Nationale de la France d'Outre-Mer.<br />

F.LD.E.S :Fonds d'Investissement pour le Développement économique et social<br />

C.C.F.O.M :Caisse Centrale de la France d'Outre-Mer.<br />

F.C.F.A : France pour les Colonies Françaises d'Afrique.<br />

c.C.C : Comité Consultatif Constitutionnel.<br />

S.LC.A.P : Société Immobilière du Cap-Vert.<br />

B.O.M : Bureau Organisation et Méthode.<br />

LF.A.N : Institut Français d'Afrique Noire.<br />

R.A.N : Réseau d'Afrique Noire.<br />

Haussaire : abréviation télégraphique pour Haut Commissaire.<br />

Partis politiques<br />

S.F.LO : Section Française de l'Internationale Ouvrière.<br />

B.D.S : Bloc Démocratique Sénégalais.<br />

R.D.A: Rassemblement Démocratique Africain.<br />

M.P.S : Mouvement Populaire Sénégalais.<br />

B.P.S : Bloc Populaire Sénégalais<br />

U.P.S : Union Progressiste Sénégalaise.<br />

P.A.I : Parti Africain de l'Indépendance.<br />

P.LT: Parti de l'Indépendance et du Travail.<br />

M.L.N : Mouvement de Libération Nationale.<br />

R.P.F: Rassemblement du Peuple Français.<br />

P.R.A : Parti pour le Regroupement Africain.<br />

P.R.A/S : Parti pour le Regroupement Africain du Sénégal<br />

III


1<br />

P.S.S : Parti de la Solidarité Sénégalaise.<br />

LO.M : Indépendants d'Outre-Mer.<br />

P.F.A : Parti pour la Fédération Africaine.<br />

P.D.C.I: Parti Démocratique de Côte d'Ivoire.<br />

P.D.G : Parti Démocratique de Guinée.<br />

U.S : Union Soudanaise.<br />

P.C.F. : Parti Communiste Français.<br />

C.G.T: Confédération Générale du Travail.<br />

Organisations syndicales<br />

C.T.T/ A : Confédération Générale des Travailleurs d'Afrique.<br />

F.O : Force Ouvrière.<br />

C.F.T.C : Confédération Française des Travailleurs Croyants.<br />

C.AT.C : Confédération Africaine des Travailleurs Croyants.<br />

U.G.T.AN : Union Générale des Travailleurs d'Afrique Noire.<br />

F.S.M : Fédération Syndicale Mondiale.<br />

C.LS.L : Confédération Internationale des Syndicats Libres.<br />

F.S.C.A : Fédération des Syndicats de Cheminots africains.<br />

Synep : Syndicat de l'enseignement primaire.<br />

S.U.E.L: Syndicat Unique de l'Enseignement Laïc.<br />

Unisyndi : Union des syndicats industriels.<br />

U.T.S : Syndicat des commerçants, importateurs et exportateurs.<br />

U.T.S : Union des Travailleurs du Sénégal.<br />

C.N.S.M : Confédération nationale des Syndicats du Mali.<br />

Organisation de jeunesse. d'étudiants, de femmes<br />

C.J.S. : Conseil de la Jeunesse du Sénégal.<br />

C.J.A. : Conseil de la jeunesse d'Afrique.<br />

J.R.D.A. : Jeunesse du Rassemblement Démocratique Africain.<br />

R.J.D.A: Rassemblement de la Jeunesse Démocratique d'Afrique.<br />

M.J .S.F.I.O : Mouvement de la Jeunesse de la Section Française de l'Internationale.<br />

M.J.B.D.S: Mouvement de la Jeunesse du Bloc Démocratique Sénégalais.<br />

C.J.U.F: Conseil de la Jeunesse de L'Union Française.<br />

F.M J.D : Fédération Mondiale de la Jeunesse Démocratique.<br />

W.AY: World Assembly Young.<br />

AG.E.D : Association Générale des Etudiants de Dakar.<br />

AG.E.F.A.N : Association Générale des Etudiants Français d'Afrique Noire.<br />

IV


U.G.E.A.O: Union Générale des Etudiants d'Afrique Noire.<br />

F.E.A.N.F : Fédération des Etudiants d'Afrique Noire en France.<br />

U.N.E.F : Union Nationale des Etudiants de France.<br />

U.G.E.M.A: Union Générale des Etudiants Algériens.<br />

A.M.E.A.N: Association Musulmane des Etudiants d'Afrique Noire.<br />

Cosee: Comité de Coordination d'unions nationales d'étudiants.<br />

M.E.P.A.I : Mouvement des Etudiants du Parti Africain de l'Indépendance.<br />

A.E.R.D.A : Association des Etudiants du Rassemblement Démocratique Africain.<br />

U.C.M : Union Culturelle Musulmane<br />

U.F.S : Union des Femmes du Sénégal.<br />

U.F.O.A: Union des Femmes de l'Ouest Africain.<br />

Autres sigles<br />

C.E.F.A : Comité d'Etudes Franco-Africaines.<br />

G.E.C: Groupe d'Etudes Communistes.<br />

C.C.A.! : Chambre de Commerce, d'Agriculture et d'Industrie.<br />

G.I.A: Grande Imprimerie Africaine.<br />

A.D.P : Agence de distribution de presse.<br />

A.F.P : Agence France Presse.<br />

D.A.F.: Défense de l'Afrique Française.<br />

v


INTRODUCTION GENERALE<br />

PROBLEMATIQUE<br />

Le sujet de cette recherche : "La vie quotidienne à Dakar de 1945 à 1960 :<br />

approche d'une opinion publique" est neuf dans la mesure où jusqu'à présent un travail<br />

de cette nature n'a pas été mené sur le Sénégal et plus particulièrement sur cette ville.<br />

L'orientation fondamentalty\?e voir comment, quotidiennement, la<br />

population d'une grande métropole coloniale réagit face aux événements locaux,<br />

métropolitains ou internationaux qui l'intéressent directement ou indirectement. Les<br />

limites chronologiques sont:<br />

* 1945 : Par la capitulation sans condition de l'Allemagne nazie au début de<br />

mai et du Japon militariste cinq mois plus tard, la deuxième guerre mondiale s'achève.<br />

La ville de Dakar, hors du principal théâtre des opérations, a pourtant connu dans sa<br />

chair et dans sa sueur les affres du conflit. Aussi, elle a accueilli dans la joie et l'espoir la<br />

fin des hostilités.<br />

* 1960 marque l'accession du Sénégal comme de presque tous les territoires<br />

d'AOF et d'AEF à la souveraineté internationale. Ainsi des espoirs légitimes sont<br />

nourris dès lors que des nationaux prennent en mains tout l'appareil du nouvel Etat<br />

malgré les insuffisances et faiblesses nées des mécanismes voulus, définis et exécutés par<br />

la puissance coloniale dans cette passation du pouvoir.<br />

Dans cette période ainsi délimitée, d'importants événements se produisent<br />

tant au niveau local que métropolitain et international et influencent largement la<br />

situation dans cette grande capitale fédérale de l'ensemble colonial de l'AOF.<br />

Cette ville a connu un net accroissement de sa population tant dans sa<br />

composante d'origine métropolitaine que dans celle d'origine africaine, tout comme<br />

dans celle d'origine levantine. Schématiquement, en elle même, chacune de ces<br />

composantes constitue une force s'appuyant sur des leviers précis pour défendre des<br />

intérêts propres. Dans le détail, il y a divers sous- groupes de pression ou "faiseurs<br />

d'opinion". Ce sont: partis politiques, mouvements syndicaux, organisations de jeunesse,<br />

d'étudiants, groupements à intérêt économique ou religieux etc...Dans chacun de ces<br />

sous- groupes, on note une multitude d'orientations. Chaque groupe ou sous- groupe<br />

. s'organise de manière à être indépendant, opérationnel, solide et combatif dans la<br />

défense de ses intérêts. Celle-ci suppose également que les moyens de communication,<br />

d'information et d'expression disponibles soient entièrement mis à contribution pour<br />

atteindre les objectifs visés.<br />

1


@/b<br />

Y , l '<br />

//<br />

Or ces objectifs, non seulement ne concordent pas toujours mais, souvent,<br />

sont diamétralement opposés. Ainsi, lorsque l'administration coloniale refuse<br />

l'application d'un code du travail aux organisations syndicales, elle défend ses intérêts de<br />

dominateur mais aussi d'employeur de la fonction publique. Dans ces conditions, elle est<br />

appuyée ouvertement ou pas par les grands milieux d'affaires soucieux de ne pas donner<br />

satisfaction aux revendications des travailleurs salariés. On voit dès lors, les centrales<br />

syndicales chercher à remettre en cause la domination coloniale qui se met au service du<br />

patronat qui les exploite, et développer leurs relations avec les partis politiques mais<br />

aussi avec les organisations progressistes de jeunes, d'étudiants, de femmes etc... qui·<br />

s'assignent les mêmes objectifs.<br />

Cette lutte a pour principal théâtre le territoire de la Fédération mais elle<br />

peut se transposer en métropole où se trouve le pouvoir réel de décision politique,<br />

administratif et économique. D'autres théâtres secondaires peuvent exister ailleurs selon<br />

la nature et l'intensité du conflit. Ainsi, la bataille de l'AGED - plus tard UGEAO­<br />

déborde le cadre de l'Union française pour se poser à diverses instances de l'U.I.E car<br />

les étudiants de Dakar comprennent bien l'intérêt qu'ils peuvent tirer dans une activité<br />

internationale indépendante. De même, le mouvement réformiste islamique qui se<br />

développe veille suffisamment à ne pas être coupé du monde musulman qui le nourrit<br />

intellectuellement mais peut-être aussi financièrement.<br />

La réforme politique introduite en 1956 par la Loi-Cadre responsabilise les<br />

élites autochtones car la métropole est tenaillée par le contexte national et international<br />

et tire la leçon des événements d'Indochine et d'Afrique du nord. Comment les élites<br />

autochtones héritières du pouvoir l'assument et dans l'intérêt de qui principalement?<br />

Les dernières Années de notre période se caractérisent par la naissance d'espoirs mais<br />

très vite déçus.<br />

La question essentielle de comment vivent les diverses composantes de la<br />

population dakaroise nous conduit à voir leurs réactions devant les questions comme<br />

l'accaparement de la terre par le colonisateur, la nature et l'équipement de l'habitat,<br />

l'alimentation, la santé et l'hygiène, l'école et la culture, l'impôt, le transport etc... La<br />

condition de la femme dakaroise reste un important élément pour connaître la vie<br />

quotidienne. Malgré ses responsabilités sociales importantes, elle a été marginalisée<br />

pour des raisons liées au passé mais aussi au fait que l'administration s'est peu souciée<br />

d'elle.<br />

L'objectif de cette étude est d'ajouter une pierre à la connaissance de la vie<br />

quotidienne de la population dakaroise sensible aux souffles de toutes parts. En ce sens,<br />

sa prétention est grande. Reste donc à la mener de façon scientifique car les matériaux<br />

sont certes nombreux maiS pas toujours faciles à utiliser.<br />

2


LA QUESTION DES SOURCES<br />

Les sources pour connaître cette opinion publique existent. Elles sont même<br />

nombreuses et variées.<br />

On peut citer:<br />

- la presse écrite, parlée ou filmée,<br />

- les documents de l'administration,<br />

- les documents des institutions à caractère politique, économique, social...<br />

- les travaux de congrès, colloques, séminaires, symposiums, journées<br />

d'études, enquêtes, discours ...<br />

etc ...<br />

-les ouvrages généraux ou spécifiques sur l' AOF, sur le Sénégal, sur Dakar...<br />

- les interviews que l'on peut réaliser<br />

- d'autres matériaux comme la chanson populaire à l'époque, l'habillement<br />

Bien entendu, l'utilisation de matériaux aussi divers impose une démarche<br />

prudente pour en tirer un résultat objectif, donc crédible. C'est dire donc que faire une<br />

analyse critique des sources utilisées est un élément important dans ce travail de<br />

recherche.<br />

I/PRESENTATION DES SOURCES<br />

1) la presse.<br />

Pendant la période 1945-1960, on peut dire que Dakar a connu un regain<br />

d'activité en matière de presse. En effet, contrairement à la période de la guerre (1939­<br />

1945) et plus particulièrement à l'époque vichyste à Dakar (1940 à 1943) pendant<br />

laquelle cette presse fut bâillonnée, au sortir de la guerre, une véritable renaissance<br />

s'opère. Ce sont quelques 160 titres qui existent. De 1914 à 1939, seulement la moitié<br />

avait vu le jour au Sénégal 1 .<br />

Les quotidiens restent peu nombreux et ceux: qui couvrent toute la période<br />

sont trois au maximum. On peut citer le journal Paris Dakar qui est le seul important en<br />

réalité à être diffusé largement à Dakar, mais aussi le Bulletin quotidien de l'Agence<br />

France Presse qui a ouvert un bureau à Dakar ainsi que le Bulletin quotidien de la<br />

Chambre de Commerce. Les hebdomadaires et mensuels sont plus nombreux;<br />

cependant, pour l'essentiel, la parution de ces journaux est irrégulière parce qu'ils sont<br />

conditionnés par des événements occasionnels.<br />

1. Symbiose, Revue de coopération germano-sénégalaise nO 9, 2ème semestre 1986, Dakar.<br />

3


- Les documents de la Chambre de Commerce de Dakar<br />

On a signalé l'existence d'un bulletin quotidien édité par la Chambre de<br />

commerce de Dakar. Même si ce document n'est pas expressif des préoccupations du<br />

petit peuple de Dakar, il a une valeur très grande car exprimant les vues des grands<br />

milieux du négoce et de l'industrie. Outre ce bulletin quotidien, il y a également les P.V<br />

des délibérations, les notes techniques, les synthèses etc... La variété de ces éléments<br />

indique, le poids et le degré d'information de ces milieux dans la ville de Dakar. La<br />

permanence des relations entre cette Compagnie et les hautes sphères de<br />

l'administration coloniale et aussi des milieux politiques locaux est la donnée<br />

fondamentale du bon niveau d'information de cette institution.<br />

De plus, contrairement aux hautes sphères de l'administration, les milieux<br />

constituant la chambre de commerce de Dakar sont présents dans la ville depuis fort<br />

longtemps en général, ce qui représente un poids non négligeable dans le cadre des<br />

contacts et de l'information.<br />

4) les travaux de congrès, séminaires, colloques, symposiums, conférences,<br />

journées d'études etc ..,<br />

La richesse de l'activité politique, économique, intellectuelle, culturelle et<br />

sociale du Dakar des Années 1945 à 1960 donne une idée de l'importance à accorder<br />

aux travaux de ces rencontres.<br />

Ces documents se retrouvent pour une large part dans la presse politique,<br />

économique, syndicale, ou culturelle mais aussi dans les documents de l'administration<br />

surtout dans le cadre de la surveillance des organisations dont certaines sont<br />

officiellement reconnues, contrairement à d'autres. Dans tous les cas, les manifestations<br />

pour être organisées, avaient besoin, pour maintes d'entre elles, de l'autorisation ou de<br />

l'appui de l'administration quand ce n'est pas elle même qui les organise directement.<br />

Certains de ces travaux concernent des manifestations se tenant à Dakar même, ou au<br />

Sénégal ou ailleurs dans la Fédération, si ce n'est pas en Métropole même ou quelque<br />

part dans l'Union française ou dans le reste du monde. Les infrastructures relativement<br />

importantes dans la capitale de l'AOF expliquent que beaucoup d'activités s'y déroulent.<br />

5) Les ouvrages.<br />

Pratiquement, aucun n'est directement proche de notre sujet de recherche.<br />

Cependant, certains concernent les études d'opinion, d'autres portent sur la ville de<br />

Dakar elle même, et sur des aspects variés.<br />

Les ouvrages sur l'histoire politique, économique et sociale de la métropole<br />

de la ériode permettent également de mieux comprendre les problèmes qui se posent à<br />

6


Cette expérience est racontée simplement pour montrer que dans le cadre de<br />

ce genre de travail, au Sénégal, aucune précaution n'est de trop. Je ne veux pas dire<br />

pourtant que les personnalités sénégalaises ne tenaient pas en respect un chercheur. En<br />

effet, je compris plus tard que la carrière politique se jouait dans cette période de nos<br />

rendez-vous. Il ne pouvait peut être pas, répondre négativement à ma demande car<br />

j'étais recommandé par des relations à elle.<br />

7) Les émissions radiophoniques et télévisées.<br />

Des archives sonores sont disponibles à l'ORTS (Office de Radiodiffusion et<br />

Télévision du Sénégal). Il s'agit d'enregistrements radiophoniques effectués à propos de<br />

certains événements importants de la période tels que le passage du général de Gaulle à<br />

Dakar en fin Août 1958, sa venue dans la capitale de l'AOF en tant que président de la<br />

Communauté française en décembre 1959, la proclamation de l'indépendance de la<br />

fédération du Mali le 20 juin 1960 et la rupture de celle-ci deux mois plus tard etc...<br />

Beaucoup d'autres enregistrements sont disponibles même si certains sont dans un état<br />

déplorable en raison des conditions matérielles de conservation. Se pose parfois à<br />

l'ORTS le moyen adéquat d'audition sur place pour le chercheur qui a repéré un<br />

enregistrement susceptible de l'intéresser.<br />

Toujours à propos d'émissions radiophoniques, nous avons souvent écouté<br />

R.F.I (Radio France Internationale) dans le cadre d'émissions spéciales comme<br />

"Mémoire d'un continent" ou "Livre d'or", lesquelles permettent à des personnalités<br />

africaines ou françaises de donner un point de vue sur tel ou tel événement passé, ou de<br />

présenter un livre ou un article. Au niveau de l'ORTS, il y a dans la même ligne une<br />

émission intitulée "Confidences autour d'un micro". Nous avons aussi pu participer en<br />

tant que chercheur invité à un débat sur la préparation à Dakar de l'arrivée du général<br />

de Gaulle en fin août 1958. L'émission s'intitulait "Les porteurs de pancartes".<br />

Ces émissions de l'üRTS ou de RFI constituent, de par la qualité des<br />

animateurs et invités, une source intéressante pour l'histoire de l'Afrique de l'ouest. En<br />

ce sens, elles nous ont permis de compléter les diverses sources que nous avons passées<br />

en revue plus haut.<br />

Quant aux émissions télévisées, rappelons que ce moyen moderne de<br />

communication de masse n'existait pas encore en AOF à l'époque qui nous intéresse.<br />

Même pour la métropole, la télévision n'était qu'à ses débuts. La première chaîne de<br />

télévision française c'est à dire TF1 vient de fêter, le 3 Août 1989, ses quarante ans. A<br />

l'ORTS de Dakar, quelques enregistrements télévisés existent sur la période qui nous<br />

intéresse. Cependant, elles ne sont que le fruit d'une coopération récente entre le<br />

Sénégal et la France dans le domaine de la culture.<br />

8


La diversité de la vie politique, syndicale et culturelle à Dakar pendant cette<br />

époque, malgré les insuffisances décelées dans les sources, est d'un intérêt évident pour<br />

le chercheur qui sait utiliser judicieusement ces matériaux en question. La présentation<br />

et la critique des sources que nous venons de faire n'ont été que sommaires. Elles sont<br />

plus détaillées dans l'étude elle-même.<br />

11


PROPOS PRELIMINAIRES<br />

CONSIDERATIONS GENERALES SUR LA VILLE DE DAKAR<br />

12


de l'habitat, l'instruction, la santé etc... Les recensements, sondages et autres sources<br />

indiquent une réelle progression de la population dakaroise. C'est ce qui fait dire à Paul<br />

Mercier, chef de l'équipe sociologique de Dakar que la population a triplé entre 1938,<br />

veille de la deuxième guerre mondiale, et 1955, année du recensement général.<br />

L'accroissement accéléré de la population dakaroise n'est pas un fait isolé. En effet, les<br />

principales villes du Sénégal connaissent le même phénomène ainsi que l'atteste le<br />

tableau suivant7 :<br />

Villes 1945 1950 1956 1960 Taux<br />

Saint-Louis 51.000 60.000 37.100 48.800 -4,3%<br />

Thiès 24.000 38.700 42.100 69.100 287%<br />

Rufisque 43.000 34.000 39.800 49.700 115 %<br />

Ziguinchor 10.000 16.100 22.400 29.800 298 %<br />

Kaolack 30.000 38.500 42.100 69.600 232%<br />

Diourbel 13.000 14.300 20.600 28.600 220%<br />

Ces exemples montrent un réel accroissement de la population urbaine du<br />

Sénégal dans la période de 1945 à 1960. Mais, en fait c'est toute la population du<br />

Sénégal qui augmente.<br />

D'après Régine Bonnardel, le taux d'accroissement de la population de<br />

Dakar dans la période de 1921 à 1955 est de 4,9% et entraîne son doublement tous les<br />

15 ans. Ce taux passe en 1960 à 9,9 % par an, ce qui est remarquable car il est le double<br />

de celui de la période précédente 8 . Assane Seck explique cet important accroissement<br />

de la population par la politique des grands travaux créateurs d'emplois que la grande<br />

métropole a connue; mais aussi par l'évolution du statut de la ville pendant la période,<br />

puisqu'elle devient successivement capitale du Sénégal et de la fédération du Mali.<br />

Cette importance de l'immigration vers Dakar est attestée par le fait que 47 %<br />

seulement des habitants de la ville sont nés dans la presqu'île du Cap Vert; c'est dire<br />

que 53 % proviennent de cette immigration. Ces chiffres sont fournis par Assane Seck<br />

sur la base des éléments issus du recensement de 1955(9).<br />

Cette population dakaroise représente 2,6 % de la population totale du<br />

Sénégal en 1921; dès 1926, elle monte à 2,95 %, atteint 5,20 % en 1936, 10,55 % en 1955<br />

et 12,98 % en 1960-61.<br />

7. Zuccarelli, p. 32.<br />

8. Regine N'guyen Van Chi Bonnardcl : La vie de relations au Sénégal. P 89.<br />

9. Assane Seck, Dakar en devenir, 1968, p. 55<br />

14·


TABLEAU DE L'EVOLUTION DE LA POPULATION DE DAKAR<br />

DEPUIS 1878.DID<br />

ANNEES Nombre d'habitants<br />

1878 1.560<br />

1891 8.700<br />

1904 18.400<br />

1910 26.000 dont 23.600 Africains<br />

1914 26.800 dont 24.300 "<br />

1921 33.400 dont 31.000 "<br />

1931 54.000 dont 47.400 "<br />

1936 92.000 dont 85.000 "<br />

1948 185.400 dont 168.100 "<br />

1955(11) 230.579 dont 200.780 "<br />

1960 374.000<br />

NAISSANCES ET DECES ENREGISTRES DANS LA COMMUNE DE<br />

DAKAR 1 2<br />

ANNEES NAISSANCES DECES BALANCE<br />

1936 2477 1771 + 706<br />

1945 5441 3012 + 2429<br />

1955 12.867 4800 + 8067<br />

1961 19.933 5314 + 14.619<br />

10. Recensement démographique de 1955, fascicule n 0 1, p.6.<br />

11. Y compris une population Oottante totale de 16.409 personnes dont 15.766 Africains.<br />

12. Etude sur la situation de la jeunesse au Sénegal, Conseil Economique et Social, Avis n066-06, Mars 1966, p.36.<br />

15


11/ COMPOSITION RACIALE ET RELIGIEUSE.<br />

La population de Dakar se compose de cinq grands groupes ethniques que<br />

sont les Africains, les Européens, les Levantins, les Cap verdiens ou "Portugais" et les<br />

Eurafricains.<br />

- Le groupe "indigène"<br />

C'est celui des Africains.' Chronologiquement c'est le premier à s'installer<br />

mais ce groupe n'est pas homogène.<br />

L'état-major de l'AOF y distingue des sous-groupes:<br />

1/ le groupe atlantique de l'ouest: Ouolofs, Lébous, Sérères, Casamançais,<br />

Soussous et autres... pour un total de 119.700 habitants.<br />

2/ Le groupe nord : Toucouleurs, Peulhs, Maures, Foulahs et autres avec<br />

37.200 habitants au total.<br />

3/ Le groupe soudanais: Bambaras, Sarakollés, Socès, Malinkés et autres<br />

pour un total de 15.800. 13<br />

Dans le détail, nous remarquons que l'élément ouolof reste largement<br />

majoritaire avec 80.200 habitants devant le groupe léboues qui compte 22.700 habitants<br />

pour toute la presqu'île du Cap Vert. C'est le groupe toucouleur qui arrive en troisième<br />

position par ordre d'importance numérique avec 22.000 personnes, tandis que Sérères et<br />

Peulhs occupent les quatrième et cinquième rang.<br />

Dans cette population indigène, on note que l'élément léboues ne représente<br />

que moins de 6,20 % de la population de la ville elle même et de sa banlieue<br />

immédiate; mais son poids politique est déterminant surtout en ce qui concerne les<br />

, affaires de la municipalité. L'explication de cette situation apparemment paradoxale<br />

réside dans l'ancienneté du peuplement léboues dans la région et dans la solidité de ses<br />

structures organisationnelles. De plus, l'adaptation des anciennes structures léboues aux<br />

nouvelles réalités de la période coloniale permet à cet élément de garder la haute main<br />

mise sur toutes les affaires municipales. (Voir Chapitre 1 de la IVeme partie).<br />

Quant à la stabilité de cette population, une indication est fournie sur le<br />

pourcentage des gens nés hors de la ville et qui y habitent au moment du recensement<br />

de 1955. La chambre de commerce de Dakar, sur la base de 1958, indique comme<br />

résidents: 92.092 hommes et 87.103 femmes soit un total de 179.195 personnes. Les<br />

personnes de passage sont seulement au nombre de 4524 hommes et 4844 femmes soit<br />

au total 10.368 personnes. Les saisonniers représentent au même moment 3776 hommes<br />

et 2522 femmes soit au total 6298 habitants 14 . Donc, la population est stable dans la<br />

ville.<br />

13. Fiche 32 de la notice de l'état-major sur la presqu'île du Cap Vert, Août 1959, Base 1955, Recensement général<br />

14. Chambre de commerce de Dakar. Synthèse de la situation de l'ex AOF, 1948-1958.<br />

16


Sur le plan matrimonial, la situation se présente de la manière suivante:<br />

TABLEAU DE L'ETAT MATRIMONIAL DE LA POPULATION<br />

AFRICAINE DE DAKAR EN 1955 (Ceux ayant 14 ans et plus)15.<br />

STATUT HOMMES FEMMES % HOMMES % FEMMES<br />

Célibataires 24.473 8321 40,1 14,9<br />

Mariés<br />

- Etat civil 1989 1977 3,3 3,6<br />

- Coutume 32.847 37.164 53,8 66,9<br />

Total 34.830 39.141 57,1 70,5<br />

Veufs 530 4688 0,9 8,5<br />

Divorcés 1162 3385 1,9 6,1<br />

Totaux 60.995 55.535 100 100<br />

Au plan religieux, le recensement de 1955 donne 92,3 % de musulmans et<br />

seulement 7,2 % de chrétiens en majorité catholiques. L'animisme ne subsiste à Dakar<br />

que par des traces rares et perceptibles seulement en milieu léboues.<br />

TABLEAU DE LA REPARTITION PAR SEXE ET PAR AGE ET<br />

RELIGION DE LA POPULATION AFRICAINE DE DAKAR16<br />

Religion Total Nbre par sexe Nbre par âge<br />

Masculin, ' . Féminin -14ans ' J , 14 ans +<br />

Musulmans 165.147 84.744 80.403 57.909 107.238<br />

Chrétiens 31140 6848 6292 4329 8811<br />

Cette population musulmane est à 55 % de confrérie Tidjane, 20 % de<br />

mourides, et 20 % de Khadriya. Les 5 % restant sont constitués de divers dont les<br />

hamallistes (sous secte tidjane) sont au nombre de 500 à Dakar selon le rapport de<br />

l'état-major sur le Cap Vert.<br />

15. Recensement démographique de 1955, 1eme fascicule, p.25.<br />

16. Recensement démographique de 1955, Fascicule 1, p.25.<br />

17


En données plus détaillées, Ibrahima Marône indique pour l'année 1955 :<br />

144.500 tidjanes, 10.300 mourides et 1600 hamallistes 17.<br />

Cet islam dakarois est marqué par le fait que les grands chefs des confréries<br />

résident tous loin de la ville de Dakar; les villes de Tivaouane, Touba et Ndiassane en<br />

sont les directions religieuses principales. Par contre les villages de Yoff et Cambéréne<br />

sont les capitales de la confrérie layéne qui ne compte que quelques milliers d'adeptes,<br />

surtout lébous.<br />

De plus, dans ses principaux centres de direction, cet islam est conservateur.<br />

Par contre, un courant relativement réformateur se développe dans la ville<br />

particulièrement dans les milieux jeunes sortis des grands centres d'enseignement du<br />

monde arabe. C'est ainsi qu'une association réformiste dénommée "Union Culturelle<br />

Musulmane" voit le jour à Dakar dès 1953. Trois ans plus tard, de nombreuses<br />

associations réformistes se regroupent. en une "Union des associations culturelles<br />

musulmanes". Ces associations culturelles accordent une place de choix à<br />

l'enseignement coranique et à la langue arabe, ce qui a pour conséquence de leur attirer<br />

des difficultés de la part de l'administration coloniale.<br />

- Le groupe européen.<br />

Il a fait l'objet de trois recensements et de plusieurs sondages et estimations<br />

en l'espace de quinze ans. On peut donc dire que sa connaissance est plus crédible;<br />

d'autant plus que l'administration dispose de tous les moyens pour s'assurer un contrôle<br />

précis et rigoureux de cet élément, ce qui n'est pas toujours le cas pour l'élément<br />

indigène de la population.<br />

En 1946, ce groupe comprend 11.200 personnes non compris les militaires.<br />

Par contre, en 1953, il Ya déjà 26.955 Européens dans Dakar et la Médina d'après le<br />

rapport annuel de la Délégation18 sur une population totale de 269.430 habitants. Le<br />

recensement général de la population dakaroise en 1955 donnait le chiffre de 23.994<br />

Européens; ce qui représente moins que le chiffre annoncé par le rapport de 1953.<br />

17. Ibrahima Marône, Le tidjanisme au Sénégal. p. 174<br />

18. Affaires politiques AOF, ANS, DOS 2G 53-183, 1953.<br />

18·


TABLEAU DE LA POPULATION EUROPEENNE DE DAKAR DE 1946<br />

A 1958.®<br />

Années Population<br />

1946 11.200<br />

1953 26.955<br />

1955 23.994<br />

1958 27.266 dont 13.124 femmes et 14.142 hommes<br />

Accroissement total entre 1946 et 1958 : 212 %<br />

C'est une progression très nette surtout entre 1951 et 1956, où en l'espace de<br />

cinq ans, la population européenne de la ville s'accroit de 56 %. Par contre à Rufisque,<br />

c'est en sens inverse qu'évolue cette population qui passe de 1955 à 1958 de 1280<br />

personnes à 550. Ce constat est fait par Paul Mercier, chef de l'équipe sociologique de<br />

Dakar qui a consacré plusieurs travaux au groupement européen de la ville. Il écrit: «[...]<br />

La population européenne de Dakar s'est, depuis la guerre, accrue de façon très rapide; cet<br />

accroissement a même été, propol1ionnellement, plus grand que celui de la population<br />

africaine. »20 Paul Mercier traduit cette progression dans la période 1946-1951 par les<br />

chiffres suivant en comparant ceux fournis par les deux recensements: 226 recensés en<br />

1951 pour 100 eh 1946. En d'autres termes, c'est plus qu'un doublement qu'on observe<br />

d'après Mercier. Cette population européenne est à 98 % française d'après le<br />

recensement de 1955. D'autre part, elle est peu enracinée puisque l'immigration est<br />

surtout nette dans les Années 1950-1956. C'est la période de la politique des grands<br />

travaux financés par le FIDES et qui a assez nettement profité aux Européens. Elle se<br />

répartit de la manière suivante entre hommes et femmes: en 1946, il Y a 163 hommes<br />

pour 100 femmes, ce qui dénote une nette prédominance de l'élément masculin. En<br />

1958, il Y a au total 14.142 hommes et 13.124 femmes. Ces chiffres montrent la nette<br />

progression de l'élément féminin dans ce groupement européen.<br />

Cette population est dans l'ensemble très stable puisque c'est seulement 643<br />

personnes qui sont considérées comme "occasionnellement de passage", se répartissant<br />

ainsi: 331 hommes et 312 femmes. Aucun saisonnier n'est noté dans ce groupement<br />

européen.<br />

Quant à l'âge, il s'agit d'une population essentiellement adulte comme le dit<br />

Paul Mercier lorsqu'il écrit: «...Les individus de 20 à 59 ans sont 665 pour 1000 et les plus<br />

de 60 ans sont eux, 15 pOLIr 1000 alors que les moins de 20 ans sont 320 pour 1000. »21 Un<br />

autre aspect important que dégagent diverses sources est le fait que cette population<br />

19. AC. pol AOF, Délégation de Dakar, rapport de 1953, ANS, dos 2G 53-183 et Paul Mercier, op. cit, p.B1.<br />

20. Paul Mercier, Op. Cit, p. 131.<br />

21. Ibidem.<br />

19


européenne ne fait pas souche à Dakar. En effet, le recensement de 1946 montrait que<br />

72 % de cette population était née en métropole. Celui de 1951 indique une progression<br />

de cette situation puisque la proportion est de 78 %. Les Années 60 confirment cette<br />

tendance d'après les données de la Chambre de commerce. Les personnes interrogées<br />

par Paul Mercier en 1955, soit un échantillon de 250 personnes ayant 40 ans et plus,<br />

répondent que leur objectif est la préparation de leur retour et de leur installation en<br />

France. C'est la quasi totalité des réponses. Les 2/3 de ces personnes interrogées ne<br />

souhaitent pas que leurs enfants embrassent une carrière coloniale 22 comme si la<br />

colonisation constituait un fait détestable.<br />

Quant à l'habitat, le groupement européen vit en splendide isolement. Il<br />

habite la partie haute de la ville, celle qu'on appelle le Plateau. Depuis les Années 1919­<br />

1920, l'administration coloniale s'est évertuée à pratiquer ce que l'historien et homme<br />

politique sénégalais Abdoulaye Ly a appelé la "politique du zoning" c'est à dire cette<br />

pratique consistant à séparer géographiquement l'habitat des différents groupes raciaux.<br />

Cet habitat européen c'est aussi les quartiers neufs et très sélects de Fann-Résidence sur<br />

la corniche ouest comme le Point E non loin de Fann, dans le Grand Dakar.<br />

Au plan religieux, ce groupement européen est chrétien, catholique dans sa<br />

presque totalité. Depuis 1956, Dakar a été érigée, par le Saint-Siège, en archidiocèse<br />

dont le titulaire est délégué pour toute l'Afrique noire française. Plusieurs Années après<br />

l'indépendance, c'est un Européen qui occupait la charge, en la personne de Mgr<br />

Lefebvre, chef de l'église dakaroise depuis novembre 1947 en qualité de Vicaire<br />

apostolique. Les autres chrétiens de Dakar, c'est à dire les protestants représentent<br />

moins de 500 croyants en 1955.<br />

Ajoutons pour terminer, que l'on a recensé aussi à Dakar 98 nationaux<br />

d'Amérique mais ils sont rangés dans le groupement européen, dans la notice de l'Etat<br />

Major sur la presqu'île du Cap Vert.<br />

- Le groupement levantin<br />

Son implantation à Dakar est relativement récente, elle remonte seulement<br />

au début du siècle, lorsque, par l'intermédiaire du consulat français à Beyrouth, le<br />

gouverneur général de l'AOF fit directement appel à eux « certainement pour servir debarrage<br />

à la montée d'une bourgeoisie locale»23.<br />

Au point de vue numérique combien sont ils ? D'après le journal Echos<br />

d'Afrique noire ces libano-syriens sont 3 à 4000 à Dakar en 1945. Ce journal estime, en<br />

janvier 1955, qu'ils sont plus nombreux que les Européens dans l'ensemble du Sénégal et<br />

qu'ils constituent le problème numéro un en AOF. Il accuse l'administration coloniale<br />

22. Item. p.135<br />

23. Mahjrnout Diop, Histoire des classes sociales dans l'Afrique de l'ouest, 1972, p.142<br />

20'


de s'être montrée trop complaisante à leur égard; le journal parle même de<br />

"l'empoisonnante question" ou de "l'invasion étrangère" pour traiter de la question<br />

libano-syrienne à Dakar. Ils sont au nombre de 15.000 dans le territoire du Sénégal en<br />

1960 d'après cet organe du petit colonat dakarois.<br />

Pour Mahjmout Diop, ils atteignent 4000 personnes en 1945 sur les 7000 qui<br />

habitent le Sénégal à cette période. Dès 1953, ils sont au nombre de 8000 à Dakar pour<br />

21.000 domiciliés au Sénégal au même moment.<br />

Par contre Régine Bonnardel avance les chiffres de 3591 libano-syriens à<br />

Dakar en 1955 et 10.000 en 1960.<br />

Cruise O'Brien 24 donne les chiffres suivants pour Dakar:<br />

1941 : 1600<br />

1945: 1900<br />

1948: 2000<br />

1955: 3591<br />

1960 : 10.000<br />

Paul Mercier se référant au recensement de 1955 à Dakar donne le chiffre de<br />

5000 Libano-syriens. Ces diverses sources montrent un accroissement net de ces Libano­<br />

syriens à Dakar.<br />

Au plan de l'habitat, ce groupement dispose presque de son propre quartier<br />

situé entre le Plateau qui est le quartier des Européens et la Médina, habitat des<br />

Indigènes. En gros les limites de ce quartier sont le marché Sandaga du côté du Plateau<br />

et l'avenue Elhadj Malick Sy qui le sépare de la Médina. En somme le quartier libano­<br />

syrien sert de tampon entre les habitats européen et africain de la ville.<br />

Au plan religieux, ce groupe libano-syrien ou levantin ( terme qu'utilisent les<br />

rapports politiques) est de religion catholique mais de rite maronite pour l'essentiel de<br />

ses membres. Le journal dakarois "Horizons Africains" mettait, dans son édition du mois<br />

d'avril 1947, un accent particulier sur la différence importante entre le catholicisme de<br />

rite byzantin et le catholicisme pratiqué à Dakar, cela à propos d'une messe célébrée à<br />

la cathédrale de Dakar le 22 mars 1947 par Monseigneur Malouf archevêque grec<br />

catholique de Balbeck, de passage à Dakar.<br />

Notons aussi que ces Libano-syriens vivent dans la plupart des cas en famille<br />

et s'installent durablement à Dakar. si les voyages vers la terre natale sont fréquents, les<br />

raisons économiques en constituent l'explication principale.<br />

24. R.C.O'Brien, Les relations raciales au Sénégal, 1975, p. 275<br />

21


consacrée aux relations entre le conseil et les étudiants africains poursuivant leurs<br />

études en métropole, note: « D'après nos renseignements, sur 200 étudiants sénégalais, 80<br />

ont épousé des Européennes... C'est là une européanisation abusive ». Ces inter-mariages<br />

dénoncés par le rapport du Conseil de la jeunesse du Sénégal comme du reste le congrès<br />

constitutif de l'Union des femmes du Sénégal (U.F.S) sont contractés en France même.<br />

Mais des enfants issus de ces mariages mixtes ne sont pas absents de Dakar dans la<br />

mesure où certains étudiants rentrent avec leurs familles, les études terminées.<br />

Les Eurafricains de Dakar sont aussi et, dans une large mesure, issus de ce<br />

qui n'est rien d'autre, dans la capitale fédérale, que l'enfance abandonnée. Il s'agit des<br />

enfants nés d'un père européen et d'une mère africaine. Ces enfants sont en régIe<br />

générale, abandonnés du père. Et les mères africaines sont obligées d'élever ces enfants<br />

dans des conditions matérielles et sociologiques très difficiles. C'est ce qui a fait écrire à<br />

Awa Thiam qu'« Aux yeux du colon, la négresse n'est valorisée qu'en tant qu'objet de<br />

satisfaction sexuelle... victime de sa double condition de femme et de colonisée »28. Nous<br />

notons même que dans la plupart des cas, la maman africaine, victime des relations<br />

sexuelles trop circonstanciées, aura cherché à se débarrasser de l'enfant dès sa<br />

naissance, dans les cas favorables, en l'abandonnant de nuit au coin d'une rue passante.<br />

Ramassés par la police, ces enfants sont confiés aux oeuvres sociales des missions<br />

chrétiennes qui les élèvent dans le cadre de l'assistance publique. L'administration<br />

coloniale veille à fournir les subsides. En somme, ces Eurafricains ou métis sont<br />

présents à Dakar. Ils se sont même constitués en une association reconnue par les<br />

pouvoirs publics et dénommée "L'Union des Eurafricains de l'AOF et du Togo" avec son<br />

siège social dans la capitale fédérale. Elle publie même à Dakar un organe de presse,<br />

bulletin d'information et de liaison sous le nom de l'Eurafricain.<br />

Au point de vue habitat, rien de très spécifique n'indique une zone<br />

particulière pour ces Eurafricains. Cependant, au regard de leur condition économique<br />

et sociale qui en fait des intermédiaires, surtout dans les activités économiques, on peut<br />

penser que ces Eurafricains habitent les quartiers nouvellement construits par la SICAP,<br />

et ceci avec l'aide plus ou moins directe des pouvoirs publics. Au plan religieux, à cause<br />

des lieux où ils ont été élevés c'est à dire les oeuvres sociales de l'église, ils sont<br />

principalement chrétiens.<br />

Si ces Eurafricains ont un rôle très faible dans la vie sociale à Dakar, il n'en<br />

est pas de même dans la ville de Saint Louis où l'ancienneté de l'implantation<br />

européenne a donné naissance à une société créole non négligeable. Leur poids<br />

numérique explique même le rôle politique de cette société créole qui a longuement<br />

dominé la scène locale.<br />

28. Awa Thiam, La parole aux négresses, 1978, p.17S.<br />

23·


111/ STATUT<br />

La question du statut de la ville, est un ensemble de grandes victoires, mais<br />

aussi de défaites aussi grandes.<br />

Dakar est la capitale de l'AOF pendant presque toute la période de notre<br />

étude de 1946 à 1958, puis elle est la capitale du Sénégal de 1958 à 1960 après en avoir<br />

été , de 1946 à 1958, une véritable deuxième capitale avec l'établissement d'une<br />

délégation spéciale du gouvernement du Sénégal. Cette délégation a été si importante<br />

qu'elle portait ombrage à la capitale en titre: Saint-Louis du Sénégal.<br />

La ville a aussi été la capitale de l'éphémère fédération du Mali de 1959 à<br />

1960. Ajoutons également que Dakar a été, de 1945 à 1946, une capitale pour la<br />

Circonscription de Dakar et dépendances que l'on peut, à juste titre, comparer à un<br />

territoire fédéral comme le district de Washington aux Etats Unis d'Amérique.<br />

Ce statut de la ville, c'est aussi sa situation de commune de plein exercice,<br />

l'une des quatre de l'Afrique noire française qui furent toutes sénégalaises. Ce statut de<br />

commune de plein exercice est bien antérieur à celui de capitale. Tout cela indique à<br />

quel point l'histoire de la ville est riche. C'est ce qui fait dire à Mamadou Dia ancien<br />

président du conseil du Sénégal que « Dakar avait pour lui trop d'atouts pour manquer sa<br />

vocation de reine des cités de la côte occidentale d'Afrique »29.<br />

1) La capitale fédérale.<br />

Depuis le décret du 18 octobre 1904, Dakar est érigée en capitale de<br />

l'ensemble fédéral colonial de l'AOF constitué de huit territoires. Cette fonction était<br />

assumée par la ville de Saint-Louis depuis la gestation du projet de la fédération en<br />

1895. Cette fonction, Dakar la doit évidemment à son développement notoire en<br />

l'espace de quarante ans d'existence comme ville coloniale. Cette fonction est<br />

matérialisée par la présence, à la tête de la fédération, d'un gouverneur général. Ce<br />

dernier porte, à partir de 1946, avec la mise en place de l'Union française qui remplace<br />

l'Empire colonial français, le titre de Haut commissaire gouverneur général, ce qui<br />

traduit l'évolution politique. En tout dix neuf, sous des titres divers, ont assuré la<br />

fonction depuis 1895.<br />

29. Mamadou Dia, Nouvelle revue internationale de la FOM, tIl330, Mai 1957, Célébration du centenaire de la vill<br />

24


pallier car il y a fractionnement de l'autorité en matière d'administration entre le maire<br />

\" de la ville, le gouverneur et le gouvernement général. En ce qui concerne les services<br />

techniques, un double emploi existe, ce qui entraîne la dispersion des efforts. D'après le<br />

rapport, tout cela reste préjudiciable à l'essor de la grande cité africaine. Cette<br />

circonscription dont la suppression est ainsi décidée, couvrait géographiquement<br />

environ 530 Km 2 soit Dakar et sa banlieue, l'île de Gorée, la commune de Rufisque et<br />

sa banlieue étant venues s'y ajouter par le décret du 8 juin 1937.<br />

A la tête de cette Circonscription, se trouve un gouverneur dont les attributs<br />

étaient importants. C'est ainsi par exemple, qu'en janvier 1946, lors de la grève générale<br />

déclenchée à Dakar par les syndicats pour réagir à la chute du pouvoir d'achat<br />

provoquée par le blocage des salaires des personnels indigènes, le gouverneur de la<br />

circonscription décide de réquisitionner tous les fonctionnaires de Dakar, qu'ils<br />

appartiennent aux services du gouvernement général ou à ceux de la circonscription 40 .<br />

La circonscription est, pour l'ensemble de la collectivité léboues de Dakar,<br />

une structure intéressante. Elle donne ainsi le sentiment d'une puissance, d'une<br />

importance dans la mesure où cette structure est pour eux, une forme de dépendance<br />

directe de la seule personne du gouverneur général de l'AOF, même si c'est par<br />

gouverneur interposé. Pour cette raison, lorsque la circonscription est supprimée, ces<br />

milieux lébous expriment ouvertement leur mécontentement. C'est ce que nous apprend<br />

le rapport de police et sûreté de la Délégation en octobre 1948, où nous lisons: «<br />

Prenant contact avec la collectivité léboue, par ses dirigeants, Lamine Guéye . absent du<br />

Sénégal depuis plusieurs mois - s'est fait exposer leurs revendications: premier point: le<br />

retour de la Circonscription de Dakar et dépendances et la nomination d'un<br />

gouvemeur...»41. Quelques dix ans plus tard, cette revendication des milieux lébous de<br />

Dakar est encore présente. Mamadou Dia, ancien président du Conseil du Sénégal<br />

explique, que, parmi les raisons qui l'ont déterminé à transférer la capitale du Sénégal<br />

de Saint Louis à Dakar, en 1958, celle-ci est la plus importante. Il écrit: « Au cours de<br />

cette période de semi-autonomie, il y eut un mouvement des notables de la collectivité<br />

léboue pour revendiquer le détachement de la presqu'île du Cap Verl »42. Exactement<br />

comme du temps de la Circonscription. C'est la nostalgie d'une époque.<br />

Cependant, la question de la Circonscription n'est pas seulement un<br />

problème spécifique à la collectivité léboue. En effet, le Grand Conseil de l'AOF, lui<br />

aussi, se saisit de la question à plusieurs reprises. A la séance du 30 octobre 1954, lors de<br />

la discussion du budget de la fédération, une vive polémique surgit relative au "poste<br />

Délégation" prévu dans la nomenclature du budget. Un Grand Conseiller, au titre du<br />

territoire du Soudan demande le rétablissement de la Circonscription, dans la mesure<br />

40. "Paris-Dakar" des 6 et 7 janvier 1946.<br />

41. Affaires politiques AOF, ANS, dos 2G 48-117, Délégation de Dakar, 1948.<br />

42. Mamadou Dia, Mémoires d'un militant... 1985, pp.82-83.<br />

28


où, pour lui, « Dakar est à la fédération ce que Washington est aux USA ». Le gouverneur<br />

secrétaire général de la fédération Xavier Torré apporte son appui au Grand Conseiller<br />

soudanais.<br />

Léopold Sédar Senghor intervient immédiatement pour dénoncer la<br />

proposition de son collègue mais surtout l'aide que lui apporte Xavier Torré, le<br />

deuxième personnage de la fédération, présent au débat en tant que représentant du<br />

gouverneur général. Il dénonce surtout cette collision qui lui semble être une menace<br />

pour son territoire qu'on voudrait ainsi amputer d'un maillon essentiel. Senghor propose<br />

même que la capitale fédérale soit transférée où que l'on voudra, l'important restant le<br />

maintien de l'intégrité territoriale du Sénégal. Cette réplique de l'homme politique<br />

sénégalais est très tactique dans la mesure où, à cette époque, il ne vient à l'idée de<br />

personne de prendre l'initiative de placer ailleurs la capitale fédérale. Trop<br />

d'investissements de taille y sont réalisés· ou en cours de l'être. Le réalisme s'impose<br />

donc. Le débat n'est pas clos pour autant mais il change d'aspect. A diverses reprises, les<br />

Années suivantes, chaque débat budgétaire voit la question resurgir au sein de la<br />

Grande Assemblée. Beaucoup de conseillers des autres territoires reprochant à<br />

l'administration d'avantager trop fortement le Sénégal dans la mesure où le budget<br />

fédéral consacre une bonne partie de ses ressources à la capitale alors que les recettes<br />

de celle-ci sont versées au budget du territoire du Sénégal depuis le décret de 1946<br />

supprimant la Circonscription. Aux Conseillers du Sénégal qui ont toujours justifié cette<br />

situation, en matière de poste budgétaire, ceux des autres territoires ont souvent<br />

reproché de ''vouloir garder le beurre et l'argent du beurre à la fois", pour employer une<br />

expression terre à terre.<br />

Dakar reste présent.<br />

Jusqu'à la dissolution de la fédération, le débat sur le statut administratif de<br />

Quant à la Délégation comme statut de Dakar, c'est incontestablement un<br />

renforcement du pouvoir du gouverneur du Sénégal et, dans une certaine mesure, un<br />

retour à la situation d'avant 1924. Jusqu'à cette date, Dakar était partie intégrante de ce<br />

territoire. Pour pouvoir coordonner plus efficacement la politique des grands travaux<br />

entreprise à Dakar dès les premières Années de la première guerre mondiale il était<br />

apparu, aux yeux du gouvernement général, qu'il fallait que ce territoire géographique<br />

devienne une entité à part. C'est dans ce sens que le gouverneur général Carde écrivait,<br />

le 1 eme octobre 1924, à son ministre de tutelle, mettant l'accent sur les obligations et<br />

charges spéciales que le budget du Sénégal, tout comme le budget communal, ne<br />

pouvaient assumer. Satisfaction était donnée à cette requête par le décret du 21 octobre<br />

1924 qui était remanié pour devenir celui du 21 novembre 1924. Le député Blaise<br />

Diagne avait appuyé la naissance de cette entité administrative. Il en résultait une totale<br />

satisfaction des milieux lébous dakarois, contrairement à la désapprobation des<br />

éléments saint-Iouisiens nombreux dans la ville- mais aussi des Saint-Iouisiens de la<br />

29


capitale du Sénégal. Le mécontentement de ces derniers s'expliquait par la victoire<br />

supplémentaire que Dakar affichait à son palmarès dans sa rivalité avec la vieille ville<br />

coloniale, fondée bien avant elle. Cette situation avait donc permis aux lébous de jubiler<br />

alors qu'à Saint-louis c'était le mécontentement.<br />

En 1937, la Circonscription qui jusque là ne comprenait que les communes<br />

de Dakar et de Gorée s'agrandit par absorption de la commune de Rufisque et banlieue.<br />

Il est sûr qu'il s'agissait d'un fait supplémentaire dans cette longue rivalité entre Saint­<br />

louis et Dakar, et ceci au profit de cette dernière. Pour cette raison, la création de la<br />

Délégation remettant le territoire de Dakar sous l'administration directe du gouverneur<br />

du Sénégal siégeant à Saint-louis, a été savourée, à sa juste valeur, par les natifs de cette<br />

ville. Saint-louis obtient, au point de vue administratif un droit de regard presque total<br />

sur Dakar, capitale même de la fédération. C'est dans ce cadre qu'en janvier 1953, après<br />

les graves incidents politiques de Bignona ayant causé la mort de plusieurs personnes<br />

dans la suite de Me Lamine Guéye en déplacement politique en Casamance, la tension<br />

monte dangereusement à Dakar et dans presque toutes les villes du territoire, entre<br />

partisans de l'avocat dakarois et Léopold Sédar Senghor. Le gouverneur du Sénégal est<br />

obligé de venir faire le "pompier" dans la capitale où se trouvent les états-majors<br />

politiques.<br />

Ce fut également aussi le cas lors de la campagne électorale pour les<br />

municipales de novembre 1953 lorsque les cortèges politiques adverses en viennent aux<br />

mains dans la capitale chaque fois qu'ils se croisent. Du reste, si le gouverneur est obligé<br />

de descendre si régulièrement à Dakar, c'est que son pouvoir y est puissant.<br />

De l'étape de la Délégation, on aboutit administrativement, pour Dakar, au<br />

statut de Région sous le régime de l'autonomie interne. En effet, lorsque Mamadou Dia<br />

mettra en application ce qu'il appelle une nouvelle ligne de travail : la réforme des<br />

institutions «J'entrepris de détruire complètement le système de structuration administrative<br />

du Sénégal qui était alors divisé en cercles. Je décide de diviser le Sénégal en Régions, en<br />

grandes régions économiques ... Je visais aussi la création d'un pouvoir politique à partir de<br />

la base »43. Au total, cette réforme dote le Sénégal de sept grandes régions<br />

administratives et économiques. L'une de ces régions s'appelle "la Région du Cap Vert".<br />

Elle recouvre territorialement l'ancienne Délégation de Dakar née en 1946. En effet,<br />

c'est l'arrêté nO 7160 SGC en date du 4 août 1958 qui porte suppression de la<br />

Délégation de Dakar et crée une circonscription administrative dite "Région du Cap<br />

Vert,,44. Par cette réforme donc, le statut de Dakar la met exactement au même niveau<br />

que les autres villes comme Ziguinchor; Tambacounda, Kaolak, Thiès, Diourbel et<br />

Saint-louis. A la tête de cette région du Cap Vert, un gouverneur au même pouvoir que<br />

ceux qui règnent dans les six autres villes citées ci-dessus. Ce nouveau statut efface donc<br />

43. Mamadou Dia, Op. Cil, pp 115-116<br />

44. J.O du Sénégal, 18 Aoûl 1958.<br />

30·


Le décret du 9 avril 1929 stipulait: «Article 1 er : Les limites territoriales de la<br />

commune de Dakar sont:<br />

- au nord et sud et à l'ouest: la mer,<br />

- à l'est une ligne partant de la borne limite située à l'est du village de Grand<br />

Mbao passant par la borne kilométrique 22 de la route de Dakar à Rufisque et rejoignant<br />

entre les villages de Keur-Massar et Niakoulbonate la côte nord de la presqu'île de façon à<br />

englober la totalité de la zone de captage des eaux.<br />

Art.2 : La commune de Gorée est réunie à la commune de Dakar.<br />

Art.3 : Le conseil municipal de Dakar se compose de 34 conseillers municipaux<br />

dont un maire et six adjoints »46.<br />

Dans les dernières Années de la guerre, cette commune de Dakar a eu<br />

comme maire Alfred Goux, revenu à la tête des affaires municipales lorsque les<br />

assemblées locales dissoutes par le régime de Vichy ont été à nouveau reconnues. Mais<br />

dès octobre 1945, c'est Me Lamine Guéye que la ville élit comme maire. Il fut réélu à<br />

plusieurs reprises. Jusqu'en 1961, il reste le premier magistrat de la ville, exception faite<br />

du bref intermède pendant lequel, à la suite de la mise en place d'une commission<br />

spéciale, Bâ Amadou, l'un de ses anciens adjoints à la tête de la municipalité, dirige la<br />

mairie.<br />

Dakar commune de plein exercice n'était pas facile à administrer pour<br />

diverses raisons, en particulier à cause de son statut administratif teinté d'ambiguïté,<br />

avec la présence dans ses murs d'un gouverneur général chef de l'ensemble fédéral de<br />

l'AOF au moment même où elle dépend du gouverneur du Sénégal à Saint-louis. Ce à<br />

quoi s'ajoutent l'insuffisance notoire de ses moyens, et le contexte politique global. La<br />

gestion municipale de Lamine Guéye fit l'objet d'attaques les plus variées: gabegie,<br />

dilapidation, politisation, recrutement partisan d'un personnel municipal pléthorique qui<br />

ne travaille guère, détournement, incapacité etc... Bref des reproches nombreux et très<br />

souvent étayés. Cependant, devant de telles attaques de provenances diverses, les<br />

répliques ne manquent pas de poids non plus: absence de moyens conséquents eu égard<br />

aux responsabilités, désir politique d'acculer la municipalité à la faillite, objectif non<br />

avoué de vouloir prouver l'incapacité des nègres à gérer. C'est donc, une ligne de<br />

défense ferme devant des critiques multiples. Nous reviendrons sur ces questions dans<br />

le Chapitre 1 de la quatrième partie consacrée à la municipalité.<br />

Cette question de la gestion municipale à Dakar reste l'un des points<br />

centraux autour desquels on cerne le mieux l'opinion publique.<br />

46. Archives municipales de Dakar, série 2G, dos H/40.<br />

32


4) Dakar. siège du Grand Conseil de l'AOF.<br />

Le Grand Conseil de l'AOF est l'une des institutions nées de la réforme qui a<br />

mis en place l'Union française en 1946. Il s'agit plus précisément de la partie relative<br />

aux assemblées représentatives locales. Ce Grand Conseil est inauguré en décembre<br />

1947 après que les huit territoires aient désigné leurs représentants au nombre de cinq<br />

par territoire. La loi du 29 août 1947, en application de la nouvelle constitution, portait<br />

la naissance de cette institution.<br />

En 1947, le territoire du Sénégal y fut représenté par Lamine Guéye et<br />

Léopold Sédar Senghor tous deux députés, Robert Delmas, Edouard Monville et<br />

Amadou Camara4 7 . Une cérémonie hautement riche en couleurs, présidée par le<br />

ministre de la FOM en présence du Haut commissaire gouverneur général Barthes<br />

inaugure cette assemblée qui, dès sa première séance, porte à sa tête un sénégalais, en<br />

l'occurrence Lamine Guéye, et désigne ses commissions. La plus importante de toutes,<br />

la Commission permanente, est confiée à un autre représentant du Sénégal, Robert<br />

Delmas. Le député Senghor est élu à la tête de la commission des affaires sociales et de<br />

l'Education 48 . La municipalité de Dakar offre une grande réception à l'ensemble des<br />

membres du Grand Conseil 49 , peut être pour témoigner sa satisfaction devant une<br />

élection ayant consacré son premier magistrat. Mais cette première session du Grand<br />

Conseil se tient sur fond de grève, celle des cheminots du R.A.N (Réseau d'Mrique<br />

Noire) ce qui entraîne de profondes répercussions sur cette institution fédérale dans la<br />

mesure où, dans les faits, tous les grands conseillers prirent position face à ce puissant<br />

mouvement social s'étendant à l'ensemble du territoire fédéral.<br />

Le Grand Conseil est doté d'un splendide immeuble situé place Tascher, non<br />

loin du building administratif et du palais du gouverneur général. Il reçoit également un<br />

luxueux hôtel situé boulevard de la République ,servant de résidence pour les grands<br />

conseillers. Le tout est financé par le FIDES et le budget fédéral. La pose de la<br />

première pierre du palais du Grand Conseil a eu lieu le 27 octobre 1954 par le ministre<br />

de la FOM, Robert Buron. Les travaux sont terminés deux ans plus tard puisque, le 22<br />

novembre 1956, c'est le président de l'Assemblée Nationale française Albert Sarraut qui<br />

vient l'inaugurer. Le coût total des travaux est de 325 millions de francs CFA Leon<br />

Boissier Palun, un autre Grand Conseiller du Sénégal assure, à cette époque, la<br />

présidence de la Haute assemblée.<br />

Le Grand Conseil fut présidé par Lamine Guéye de décembre 1947 au 30<br />

avril 1952, puis par Leon Boissier Palun d'avril 1952 à mars 1957. Ce fut ensuite Felix<br />

Houphouët Boigny de Côte d'Ivoire qui prit la tête de l'institution de mars 1957 à mars<br />

47. "Paris-Dakar" du 4 novembre 1947.<br />

48. "Paris-Dakar" du 9 décembre 1947.<br />

49. "Paris-Dakar" du 12 décembre 1947.<br />

33


1958. Enfin Gabriel d'Arboussier dirigea l'assemblée de mars 1958 jusqu'à sa dissolution<br />

en 1959.<br />

La présidence du Grand Conseil a souvent donné lieu à d'ap(è?compétitions,<br />

à de laborieux marchandages et aussi à des rancoeurs notoires tant les rivalités entre les<br />

grands partis, entre les territoires et entre les hommes ont été aiguës. Si la première<br />

période a été marquée par une incontestable prépondérance du Sénégal, il n'en fut pas<br />

de même dans la phase ultérieure. Notons aussi qu'une autre question a souvent secoué<br />

la Haute Assemblée locale : la désignation de ses représentants dans les divers<br />

organismes de la Fédération. Léopold Sédar Senghor, dans un débat autour de cette<br />

question le 5 avril 1958, constate même une attitude "anti-sénégalaise" des grands<br />

conseillers dans la mesure où les représentants du Sénégal sont éliminés, alors que la<br />

plupart des sociétés en question ont leur siège au Sénégal comme les chemins de fer,<br />

l'IPRAO (Institut de Prévoyance et de Retraite de l'Afrique occidentale) etc... 50<br />

Les tumultes politiques résultant du processus précipité de la marche vers<br />

l'autonomie et l'indépendance ne laissent guère au Grand Conseil que le choix de se<br />

saborder. La loi Gaston Defferre, en balkanisant l'AOF et l'AEF porte le coup mortel à<br />

cette haute assemblée locale.<br />

Mais, avant même ce processus, en dehors des séances de renouvellements<br />

des bureaux et commissions, la fréquentation de cette assemblée par les grands<br />

conseillers pose problème 51 en ce sens que les multiples absences laissaient croire à un<br />

désintéressement à l'égard de l'institution. Pourtant il est évident que ce Grand Conseil,<br />

de par son rôle auprès du Haut Commissaire auquel il sert d'organe législatif doté de<br />

pouvoirs plus ou moins importants, est un maillon essentiel de la réforme de 1946. De<br />

plus, avec la mise en place de la Loi-cadre, il devient un moyen important de<br />

concertation et d'échange d'expériences des gouvernements issus de l'autonomie<br />

interne.<br />

Mais à cette étape les intérêts coloniaux ne sont pas favorables à son<br />

maintien; ce qui entraîne sa disparition.<br />

5) Dakar. centre important de communications.<br />

Au plan des communications, Dakar représente un noeud incontournable sur<br />

la côte occidentale de l'Afrique tant au plan terrestre, aérien, routier, ferroviaire que<br />

maritime.<br />

Déjà, dès la fin du XIXeme siècle, la ville avait pris le troisième rang dans<br />

l'Union française dans la hiérarchie portuaire après Marseille et le Havre. Au cours de<br />

cette première moitié du XXeme siècle, la ville a accru considérablement son trafic<br />

50. L.S. Senghor, intervention séance du 5 avril 1958, Bulletin du Grand Conseil de l'AOF.<br />

51. "Paris-Dakar" du 25 mai 1948.<br />

34


,surtout après la seconde guerre mondiale. Port en eau profonde, naturellement protégé<br />

!par une large rade, dans une zone aux vents réguliers, Dakar disposait ainsi d'atouts de<br />

taille qui permirent le rapide développement d'un trafic articulé sur un port de<br />

commerce et aussi sur un port militaire. Dakar, c'est également un réseau ferroviaire<br />

pénétrant profondément à l'intérieur du pays, permettant ainsi de drainer vers la<br />

capitale divers produits agricoles et matières premières de l'intérieur de la fédération et<br />

acheminant en sens inverse des produits importés ou manufacturés. Ce réseau<br />

ferroviaire était lui même articulé sur d'autres infrastructures comme les wharfs de la<br />

plupart des villes côtières importantes de la Fédération. De même, un réseau routier<br />

dense existe dans la zone immédiate de la presqu'île dakaroise; son développement<br />

connait un réel élan avec les investissements financiers de la période. A tout cela<br />

s'ajoutent un important aéroport civil à Dakar-Yoff drainant un trafic très dense<br />

essentiellement orienté vers la métropole et un aéroport militaire à Ouakam.<br />

Ces infrastructures de communication entraînent la présence sur place de<br />

nombreuses entreprises industrielles (industries extractives, de transformations etc) et<br />

commerciales (grandes maisons marseillaises, bordelaises, lyonnaises) plus ou moins<br />

liées aux grands trusts internationaux, et celles de multiples services. En rapport avec<br />

ces infrastructures, Dakar connaît une grande concentration de main d'oeuvre occupée<br />

ou non. Le dynamisme syndical de la période, tant dans le secteur privé que dans le<br />

secteur public reste étroitement lié aux conditions de travail et de salaires qui ne sont<br />

pas très bonnes dans l'ensemble, comme l'attestent diverses sources.<br />

6) Dakar; important centre intellectuel et culturel<br />

Le développement de l'enseignement primaire est très ancien dans la ville.<br />

C'est surtout au niveau de l'enseignement secondaire et supérieur que la ville<br />

de Dakar s'assure une réelle prééminence avec ses écoles fédérales comme les écoles<br />

normales (de garçons à Sébikotane et de filles à Rufisque), son lycée technique fédéral<br />

(Delafosse), son lycée d'enseignement général (lycée Van Vollenhoven) et autres<br />

collèges. Au niveau post-baccalauréat, Dakar possède son institut des Hautes Etudes. La<br />

création, dès 1947, d'une académie en AOF ayant son siège à Dakar annonce la création<br />

de cet Institut des Hautes Etudes en 1950. Certes, les débuts de cet institut n'ont pas été<br />

faciles comme le prouvent les polémiques au tour de la qualité du personnel, ou de la<br />

liberté d'organisation et de mouvement des étudiants.<br />

Dakar est aussi un centre important au point de vue culturel. La dure bataille<br />

qui opposa l'administration coloniale au Conseil de la jeunesse au sujet du contrôle des<br />

maisons de jeunesse ou centres culturels, est une preuve réelle de l'importance que<br />

chacune des parties en conflit accorde à la question. La capitale fédérale a souvent<br />

connu des temps forts, au plan culturel avec les multiples conférences organisées au<br />

35


8) Dakar: siège des formations politiques. syndicales de jeunesse etc...<br />

Cette prérogative de la ville ne figure nulle part dans ses statuts<br />

administratif ou communal. C'est de par la force des choses que Dakar conquiert cette<br />

responsabilité.<br />

Durant toute la période 1945-1960, les partis politiques sénégalais sont nés à<br />

Dakar ou sont dirigés de Dakar où les états-majors s'installent. Les partis à audience<br />

interterritoriale, même s'ils sont nés ailleurs comme par exemple le RDA à Bamako, le<br />

PAI à Thiès, le PRA à .Cotonou installent très rapidement leurs directions dans la ville.<br />

Dakar devient, toute la période durant, un lieu privilégié de rencontres entre hommes<br />

politiques ou entre partis politiques. Les sessions du Grand Conseil de l'AüF offrent<br />

des occasions à ce genre de manifestations. Il en est de même pour les organisations<br />

syndicales avec la CGT d'abord, puis dans une période ultérieure la CGT, la CGT-Fü<br />

et la CFTC. Au moment de l'autonomisation des centrales syndicales, Dakar devient un<br />

lieu privilégié de rencontres pour les organisations comme la CGTA, la CATC... Dans la<br />

dernière période de cette étude, c'est à dire dans les Années 1959-1960, Dakar tend à<br />

perdre ce rôle pour les organisations syndicales car l'UGTAN, c'est à dire la centrale<br />

africaine de regroupement syndical finit même par transférer son siège de Dakar à<br />

Conakry. Le contexte politique y est pour quelque chose avec l'indépendance de la<br />

Guinée. Quant aux organisations de jeunesse, la situation est pratiquement la même.<br />

L'essentiel des activités tout comme de direction, est axé sur Dakar. C'est ainsi que le<br />

Conseil de la Jeunesse du Sénégal, le Conseil de la Jeunesse d'Afrique eurent à Dakar<br />

leur siège durant toute cette période.<br />

Si les partis politiques, les syndicats, les mouvements de jeunesse etc... ont été<br />

dirigés de Dakar, c'est bien en raison des multiples possibilités qu'offre la capitale en<br />

matière de transport, d'hébergement, de nourriture, de contacts, d'infrastructures<br />

(comme : lieux de réunion, téléphone, impression, diffusion, information, couverture<br />

radiodiffusée, photographique ...) et aussi stades, cinémas, salles de débats etc...<br />

*<br />

Conclusion<br />

En somme, Dakar est une ville aux fonctions nombreuses et aux possibilités<br />

énormes. Cette importance de la ville laisse bien saisir que des forces diverses y sont en<br />

place, avec des intérêts divergents sinon contradictoires mêmes.<br />

Ces forces se manifestent de toute évidence, comme des groupes de pression<br />

ou "faiseurs d'opinion". D'où l'intérêt de leur étude.<br />

37


PREMIERE PARTIE<br />

LES GROUPES DE PRESSION ET "FAISEURS" D'OPINIONS.<br />

Ces groupes de pression ou "faiseurs" d'opinion, par leur nombre, par leur<br />

diversité, par leur évolution, par leur poids etc... jouent un rôle important dans la<br />

formation et le développement de l'opinion. En ce sens, ils sont des indicateurs<br />

importants de la vie sociale à Dakar.<br />

La place très importante des partis politiques dans cette étude s'explique en<br />

partie par le fait que quelques informations qui n'ont pas une grande influence sont<br />

aussi passées en revue. La raison est qu'à travers le P.S.S1 et le M.L.N 2 , l'Islam et<br />

l'Eglise sénégalais rentrent plus ou moins directement dans l'arène politique. L'analyse<br />

du R.p.p3 se justifie par les relations entre Européens et Africains au sein de ce parti.<br />

1. Parti de la Solidarité Sénégalaise.<br />

2. Mouvement de Libération Nationale.<br />

3. Rassemblement du Peuple Français.<br />

38


CHAPITRE 1: LES PARTIS POLITIQUES<br />

LE RENOUVEAU DES ANNEES 1943-1945<br />

La période du vichysme triomphant des années 1940-1942 eut entre autres<br />

conséquences l'interdiction des activités politiques et syndicales démocratiques. Tout ce<br />

qui ne cadre pas avec la politique de collaboration était l'objet d'une répression<br />

violente, particulièrement parmi les Mricains. Mais, dès novembre 1942, les alliés, dans<br />

le cadre de la lutte contre l'Allemagne nazie, ont débarqué en Mrique du nord. Les<br />

autorités françaises en place, durent se rallier. Au niveau de l'AOF, après une période<br />

d'hésitation, autorités militaires et civiles s'alignèrent sur celle d'Mrique du nord.<br />

Un retournement politique d'une telle ampleur constitue un atout important<br />

pour la France Combattante puisque des efforts humains et matériels de taille sont<br />

consacrés à la nouvelle cause. Au plan politique, un renouveau apparait avec la reprise<br />

de l'activité des partis et associations démocratiques. C'est dans ce cadre que le<br />

Groupement d'Action Républicaine, la Croix de Lorraine, le Combat de l'AOF etc...<br />

reprennent leurs activités ou voient le jour. Le nombre de ces associations crée des<br />

difficultés; au point que des tentatives pour fédérer ont lieu, conformément aux voeux<br />

exprimés par le congrès d'Alger qui a regroupé toutes les associations et organisations<br />

de la Résistance. Sous la direction du professeur Théodore Monod, grand résistant en<br />

AOF, directeur de l'IFAN de Dakar, la Fédération de l'Mrique Occidentale de la<br />

France Combattante, le 22 décembre 1942 voit le jour. Mais, à côté de cette grande<br />

fédération, d'autres regroupements se développent à Dakar; ils ont pour vocation de<br />

s'étendre à toute l'AOF. C'est le cas de la "Quatrième République", de "l'Association<br />

Régionale des Anciens Combattants et Victimes de guerre d'AOF et du Togo etc... A<br />

côté d'elles, les associations politiques se développent. Ces associations ou fédérations<br />

d'associations donnent naissance ou renaissance à des hebdomadaires à caractére<br />

politique comme le "Reveil" organe de presse porte-parole des Anciens Combattants,<br />

"Clarté" organe du parti socialiste sénégalais, "l'AOF" dans lequel apparaissent doctrine,<br />

orientations et mots d'ordre de la Fédération socialiste du Sénégal que dirige Me<br />

Lamine Guéye.<br />

Dakar vécut donc un renouveau des activités politiques mais le clivage<br />

fondamental entre les associations ne s'éteignit pas : d'un côté l'élément autochtone de<br />

la population dakaroise, de l'autre l'élément européen. Si ce dernier trouva<br />

généralement suffisamment de ressorts internes pour pouvoir unir ses anciens éléments<br />

vichystes à ceux de la Résistance, l'élément autochtone dans lequel les clivages sont<br />

39


Il REMARQUES GENERALES SUR LES PARTIS POLITIQUES.<br />

On peut, au début de cette étude des partis politiques, faire une série de<br />

remarques générales sur leur durée, leur mode de recrutement, leur orientation, leur<br />

représentativité, leurs relations avec l'administration coloniale.<br />

Cette étude s'intéresse seulement aux principaux partis politiques de la<br />

période. Les autres partis ne sont pas étudiés car ils furent éphémères et sans poids réel<br />

sur la scène politique: exemple le RDS fondé à la fin de 1955 par Abbas Guéye qui finit<br />

par rejoindre la SFIO un an plus tard, sans avoir eu une existence effective excepté dans<br />

quelques milieux lébous de la capitale. Deux autres partis n'eurent aucune audience<br />

réelle: d'une part le Parti travailliste indépendant du Sine Saloum fondé par Djim<br />

Momar Guéye après que le congrès de la SFIO ait prononcé son exclusion en 1946 et<br />

d'autre part le BDD (Bloc Démocratique du Diambour).<br />

l} Durée d'activités:<br />

- Dix ans et plus: trois partis:<br />

* la SFIO que nous retrouvons à Dakar dès la fin de la seconde guerre<br />

mondiale jusqu'en 1956. Elle devint par la suite le PSAS puis se retrouve dans l'UPS en<br />

1958.<br />

* Le BDS créé en 1948, se fond dans le BPS en 1956 et dans l'UPS en 1958.<br />

* L'UDS né en 1947, rejoint le BDS dans le cadre unitaire du BPS en 1956.<br />

- Entre cinq et dix ans d'activité: aucun parti.<br />

- Entre 1 et 4 ans, il y'en a eu trois :<br />

* Le P.A.I (3 ans), le M.P.S (2 ans), le PRA-Sénégal (2 ans), le P.S.S (1 à 2<br />

ans) et le M.L.N (1 an).<br />

Il s'en suit que de manière importante, trois formations seulement ont occupé<br />

longuement l'échiquier politique sénégalais: la SFIO, le B.D.S et l'U.D.S. L'UDS/RDA<br />

a connu une longue traversée du desert dans l'activité pratique en raison de ses<br />

querelles d'orientation qui aboutirent à l'existence de fait de deux formations politiques<br />

concurrentes à partir des années 1950; donc en fait, seuls la SFIO et le BDS ont vécu<br />

longtemps et ont marqué la scène politique. Pour l'essentiel, les partis politiques<br />

sénégalais, autres que la SFIO et le BDS, sont nés dans la période de l'application de la<br />

Loi-cadre, période pendant laquelle, face aux nouvelles orientations de la métropole,<br />

des répercussions locales importantes se perçoivent. Il s'agit donc dans la grande<br />

majorité de partis politiques jeunes.<br />

42


2) Les modes de recrutement et de fonctionnement;<br />

On distingue deux sous-groupes;<br />

a) - un sous groupe constitué par des partis de notables et de clientélisme<br />

politique; la SFIO, le BDS, le PSS.<br />

Dans ces partis, les hommes en tant que tels sont les raisons<br />

d'apparentement: "je suis laministe" ou "senghoriste" sont des expressions que diverses<br />

enquêtes menées à Dakar, dans la période, ont dégagées comme étant des moyens de<br />

{ proclamer son appartenance militante. L'orientation politique du parti n'est pas une<br />

l référence importante puisque l'activité militante effective se réduit à des rares<br />

manifestations qui ont lieu le plus souvent, lorsque le leader revient de la métropole ou<br />

lors des consultations électorales. Evidemment, ces formes d'attachement à un homme,<br />

plus qu'à tout autre chose, donnent aux leaders SFIO, BDS et PSS l'obligation de<br />

paraître plutôt que d'être. Cela implique de créer une distance suffisante entre le leader<br />

et la masse, pour que celle-ci ne découvre pas l"'homme commun" dans le leader. Les<br />

entourages des leaders et la rumeur publique jouent bien le jeu. Ainsi entend on dire"<br />

Senghor sait plus que les Français" car il est agrégé et "enseigne les Français" dans leur<br />

plus grande école (ENFOM). Cheikh Tidiane Sy "est le fils du premier Calife Malick Sy"<br />

chef religieux vénéré. Lamine Guéye, premier avocat d'AOF "connait le droit français<br />

plus que les Français". Dans ce mode de fonctionnement du parti, les notables, où qu'ils<br />

se situent, sont importants car ils sont les califes, c'est à dire les représentants de "dieu­<br />

leader" au niveau local. Abbas Guéye désigna son propre grand frère comme son<br />

représentant attitré à Dakar et le journal du parti consacre un article à cette nomination<br />

pour la populariser davantage. Dans les conditions de fonctionnement de ces partis, le<br />

leader, homme hors du commun des mortels, est vénéré. Il en résulte que les luttes de<br />

personnes sont au centre de tout. Senghor souffre d'être sous l'ombrage de Lamine<br />

Guéye et rompt avec lui. Abbas Guéye se sent humilié du peu de considération que lui<br />

accorde son colistier, le député Senghor; il fonde alors son propre parti après la rupture.<br />

C'est ce mode de fonctionnement qui organise le régionalisme dans la<br />

mesure où chaque notable a tendance à ne donner d'importance qu'à son propre milieu.<br />

Le BDS a eu à souffrir de ce mode de fonctionnement qui pourtant lui a semblé, au<br />

départ, un moyen démocratiql,le et libéral puisque tous les groupes ethniques<br />

(Toucouleurs, Lébous, Ouolofs...) pouvaient être représentés. Mais un tel système finit<br />

par mettre en évidence de puissants intérêts régionaux qui sans qu'aucun d'entre eux ne<br />

puisse dominer, deviennent une menace pour l'unité même du parti obligeant Senghor à<br />

mener la bataille autour de la seule bannière du BDS. La SFIO a connu ces mêmes<br />

difficultés puisque les luttes, à Dakar, entre ressortissants de Saint-Louis et Lébous se<br />

sont répercutées jusqu'au fonctionnement même du conseil municipal dirigé par un<br />

Saint-louisien, Lamine Guéye. Les lébous revendiquaient le poste de premier adjoint<br />

43


qui devait leur permettre de contrôler la mairie de Dakar puisqu'à cause des absences<br />

fréquentes et prolongées du maire, souvent retenu en métropole notamment par les<br />

fonctions de député ou de ministre, le premier adjoint était le véritable patron de la<br />

mairie.<br />

b) - Le sous groupe à organisation démocratique:<br />

Dans cette catégorie, se rangent l'UDS, le PAl, le PRA-Sénégal, le MLN.<br />

Ces partis ne reposent pas sur la personnalité exclusive du leader politique.<br />

Le responsable moral du parti n'est pas une personnalité particulièrement importante<br />

qui émerge notoirement des autres responsables. Ainsi, l'UDS-RDA de 1946 à 1956 est<br />

dirigé par Doudou Guéye puis par Bassirou Guéye. Mais ces deux personnalités n'ont<br />

vraiment rien de particulierement notable par rapport aux autres avec lesquelles elles<br />

assument la direction du mouvement politique. Il en est de même au P.A.I qui est dirigé<br />

par Mahjmout Diop. Cette absence de personnalité spécifiquement particulière autour<br />

de laquelle se fonderait le parti politique, est certainement dans ce contexte dakarois,<br />

une donnée fondamentale de démocratie. Que le chef de parti soit présent ou absent, le<br />

parti fonctionne, organise ses réunions, développe son programme etc... Ce qui n'est pas<br />

le cas dans les partis de notable comme la SFIO qui ne peut ni fixer et ni tenir ses<br />

congrès tant que son leader Lamine Guéye est absent. Même lorsque les dates sont<br />

fixées, elles sont susceptibles d'être modifiées par le calendrier métropolitain de son<br />

chef. Ainsi, on vit ce parti annuler sine die au dernier moment ses assises de congrès<br />

parce que Lamine Guéye ne pouvait être présent au Sénégal. Dans l'incertitude d'une<br />

nouvelle date de tenue du congrès, les délégués sont appelés à rester sur le qui vive car<br />

celui-ci peut se tenir dès que le leader débarqué. Il en est de même du BDS car<br />

beaucoup de rapports politiques trimestriels ou annuels tout comme les rapports<br />

journaliers de police et de sûreté dégagent l'absence d'activités du parti à Dakar quand<br />

le leader Senghor est absent.<br />

Les partis UDS, P.A.I et PRA-Sénégal ne sont donc pas des partis où seul le<br />

Chef compte. Dans ce sens, leur fonctionnement est plus régulier. C'est ainsi par<br />

exemple qu'au moment où le secrétaire général de l'UDS fut emprisonné pour délit de<br />

presse en 1990, les activités du parti n'en souffrirent point. Il en est de même pour le<br />

P.A.I dont le premier secrétaire fut arrêté à diverses reprises, mais le parti, dans la<br />

période, ne fut nullement affaibli. Ces partis, parce qu'ils ne reposent pas sur la seule<br />

personnalité du chef, sont plus à même de pouvoir surmonter les épreuves lorsque, pour<br />

telle ou telle raison, le chef n'est pas là ou n'est plus dans la ligne. Ainsi, l'UDS n'est pas<br />

particulièrement affecté dans son fonctionnement, lorsque son secrétaire général<br />

Doudou Guéye, sorti de prison, se range aux thèses d'Houphouët Boigny. Les partisans<br />

de la ligne de refus de la collaboration prônée par le député ivoirien, malgré la<br />

44 .<br />

4. Voir rapport 13 eme congrès SFIO: télégramme à Lamine Guéye, télégramme de réponse de Lamine, télégramm<br />

envoyés aux sections in dossier H/34 série 2G, Mai 1951, Archives municipales de Dakar.


épression entreprise par l'administration, remontent la pente et quatre ans plus tard,<br />

apprécient favorablement la distance parcourue dans le sens du redressement. Ce<br />

redressement est confirmé par des rapports de l'administration elle-même, preuve que<br />

la deféction du chef ne plongea pas le parti dans le chaos. C'est le contraire qui se passe<br />

au P.S.S : il a suffi, en 1959, au gouvernement Mamadou Dia de mettre Cheikh Tidiane<br />

Sy en prison pour obtenir, pratiquement la disparition totale des activités de son parti, le<br />

PSS et lorsque le leader religieux retrouve la liberté, c'est en fait, au prix d'un abandon<br />

de son opposition au pouvoir. Il se rallie publiquement. Ce ne fut pas le cas au P.A.I<br />

dont l'organe de la section territoriale du Sénégal "Mom Sarew" titre, au sujet de<br />

l'emprisonnement de divers responsables du parti : «Même en prison, la lutte continue ».<br />

Ce qui prouve que cet emprisonnement n'a eu d'effet démobilisateur ni sur les<br />

responsables emprisonnés ni sur les militants de base.<br />

3) L'orientation<br />

Les partis politiques sénégalais sont certes nombreux dans la période mais,<br />

les orientations se schématisent de la manière suivante:<br />

- les partis de la continuité<br />

Ce sont ceux pour lesquels, un combat conséquent contre la domination<br />

coloniale ne rentre pas dans les préoccupations essentielles. Ce sont la SfIO, le BDS, le<br />

MPS, le PSS.<br />

Avant 1950, Lamine Guèye et Senghor prônent plus ou moins ouvertement<br />

l'assimilation que la métropole propose à ses "enfants aînés". L'un et l'autre cultivent les<br />

amitiés coloniales: Lamine Guéye fait placer le gouverneur Wiltord à la tête du Sénégal<br />

et Jacquemin Vergnet, un ami non moins connu, à la Délégation de Dakar. Il devient lui<br />

même membre du gouvernement français en qualité de sous-secrétaire d'état à la<br />

présidence. Leopold Sédar Senghor n'est pas en reste dans cette manière de cultiver<br />

l'assimilation : il est si influent sur Bernard Cornut Gentille, le Haut commissaire<br />

dakarois q'une partie de la presse locale met le fait en exergue; de même qu'il fut, à un<br />

niveau politiquement plus élevé que Lamine Guéye, membre du gouvernement français<br />

comme secrétaire d'état dans le gouvernement Edgar Faure. Il avait chanté, sur toutes<br />

les tribunes, les bienfaits de l'assimilation. Le colonialisme a vu d'un bon oeil le<br />

déploiement de toute cette activité et en retour a eu, à son égard, des marques<br />

d'attention privilégiée. Invité et envoyé partout, Senghor était chargé de prouver la<br />

réussite de l'oeuvre coloniale; il le fit au cours de ses nombreux voyages à l'ONU, au<br />

parlement de Strasbourg, aux congrès de la jeunesse mondiale, tendance WAY, aux<br />

congrès de la jeunesse de l'Vnion française etc... Partout le discours est aux antipodes de<br />

la lutte et de l'indépendance nationales. Parfois même, il prend des positions<br />

45


enflammées pour mieux y revenir, ensuite estimant qu'il a été abusé: ainsi, en 1950,<br />

lorsqu'il parle à Strasbourg des "Etats Unis d'Afrique" ce qui permet à l'hebdomadaire<br />

de la droite française "Climats" de railler "ces Etats Unis d'Afrique qui n'auront duré<br />

que 24 heures"; ceci nous indique que l'incartade de l'homme politique sénégalais peut<br />

être pardonnée, parce qu'elle n'est pas réellement consciente 5 . Cheikh Tidiane Sy, chef<br />

du PSS, assimilait le vote en faveur du oui au référendum à un acte religieux car tout<br />

musulman doit "saisir sa chance quand Dieu ouvre une porte (du Paradis) avant qu'elle<br />

ne se referme". Le PSS regroupait, essentiellement, parmi ses principaux fondateurs,<br />

ceux qui n'avaient pas pardonné à l'UPS d'avoir tardé à se proclamer en faveur du "oui".<br />

Le pro-gaullisme si ouvertement affiché par ces hommes en Août et septembre 1958<br />

n'était rien d'autre qu'un refus délibéré de tout processus de marche vers<br />

l'indépendance.<br />

- Les partis à orientation progressiste.<br />

Dans cette catégorie, nous rangeons l'UDS, le PAI et le PRA-Sénégal.<br />

Depuis le choix de Bamako en 1946, le RDA avec plus ou moins de<br />

conséquence dans l'action, affiche une orientation progressiste c'est à dire de remise en<br />

cause du système colonial, et d'édification d'une société nouvelle. Sa section locale de<br />

l'UDS plus peut être même que la direction du parti, essaie d'appliquer cette orientation<br />

sur le terrain. Ceci avec d'autant plus de conséquence que ses hommes proviennent de<br />

structures telles que le CEFA ou le GEC sur lesquelles l'administration ne se trompait<br />

pas; elle s'en méfiait et les surveillait étroitement car elle trouvait dans ces structures<br />

des ennemis du système colonial : les communistes. Du reste, lorsque la direction<br />

houphouëtiste du RDA passe avec armes et bagages à la collaboration, c'est l'UDS, tout<br />

comme l'UPC et l'Union nigérienne qui refusent ouvertement de suivre. C'est la raison<br />

pour laquelle la direction exclut ces organisations territoriales du mouvement. C'est<br />

aussi ce choix progressiste qui justifie la dure répression contre l'UDS dans les années<br />

1950-1954. Même lorsque en 1956, il s'allie au parti senghorien dans un processus de<br />

recomposition politique au Sénégal, Senghor qui accepte l'unité sait prendre<br />

suffisamment de précautions contre ces hommes venus de l'UDS puisqu'aucune<br />

responsabilité importante ne leur est confiée dans la nouvelle formation ainsi mise en<br />

place. D'autre part, à travers la ligne de rupture de l'UPS en septembre 1958 qui donne<br />

naissance au PRA-Sénégal, ce sont les anciens militants de l'UDS/RDA qui constituent<br />

pour l'essentiel, le gros des troupes de la rébellion. Ce sont ces hommes qui refusent,<br />

lors de la réunion du comité exécutif de l'UPS à Rufisque le 10 puis le 20 septembre, de<br />

laisser passer cette occasion d'être indépendant et de s'engager dans une perspective<br />

5. "Climats· du 31 août 1950.<br />

46


d'édification du socialisme. Jusqu'à la fin de 1960, le PRA-Sénégal, en ce qu'il peut être<br />

considéré comme une survivance de l'UDS, mène une activité politique progressiste.<br />

Le P.A.I, lui aussi, par son manifeste, posait clairement une orientation<br />

progressiste puisqu'il affichait son option pour l'édification d'une voie communiste en<br />

rupture totale, sur le plan politique et social, avec le système colonial.<br />

La direction de l'UPS comprenait donc bien l'incompatibilité qui existait<br />

entre son action politique et gouvernementale et le style et l'orientation de cette<br />

formation marxiste; d'où la répression gouvernementale contre le P.A.I.<br />

4) Le poids des partis politiques ou leur représentativité.<br />

Les paramètres de mesure sont nombreux mais s'avèrent inégalement fiables.<br />

Si nous prenons l'aspect électoral et le résultat des urnes, à coup sûr, dans le<br />

Dakar de la période étudiée, les partis réellement les plus importants sont dans l'ordre,<br />

la SFIO et le BDS. Toutes les autres formations qui se sont présentées dans des<br />

consultations électorales, n'ont jamais obtenu de résultats chiffrés significatifs par<br />

rapport aux suffrages exprimés. La SFIO sort nettement victorieuse de toutes les<br />

consultations, qu'elles soient municipales, cantonales ou législatives (française ou<br />

sénégalaise). On constate même qu'à toutes les consultations électorales, ses scores sont<br />

au moins le double de ceux de son adversaire principal: le BDS G •<br />

Dans la phase d'unification de la formation de Lamine Guéye et de celle de<br />

Senghor, le terrain dakarois devient une véritable chasse gardée pour ce parti politique<br />

nouveau qu'est l'UPS. Les urnes traduisent, par exemple aux élections législatives de<br />

mars 1959, une victoire UPS acquise à près de 99 % des voix. Ce résultat marque les<br />

débuts d'un score coutumier des partis au pouvoir en Afrique francophone, surtout<br />

après les indépendances. Le parti islamique PSS, malgré l'appartenance de la<br />

population de Dakar à plus de 80 % à la religion islamique, a presque été marginalisé<br />

aux élections de 1959. Le PRA-Sénégal fut moins heureux encore si nous considérons<br />

ses résultats en Mars 1959 et aux municipales de 1960. Le PAI obtient des résultats de<br />

l'ordre de "epsilon" à Dakar, aux élections municipales de juillet 1960. D'autres<br />

formations eurent des résultats électoraux plus faibles encore.<br />

En somme, sur la base des résultats des consultations électorales, nous<br />

pouvons dire que la SFIO et le BDS, avec leurs variantes des étapes du processus de<br />

reconstruction politique, ont eu une réelle influence à Dakar.<br />

crédible?<br />

Mais ce critère électoral peut-il être considéré comme suffisamment<br />

6. Voir Ive partie, Chap II, Validité des scrutins.<br />

47


apparentement du parti africain au parti européen7. Les signes distinctifs du parti<br />

étaient la couleur rouge et trois flèches parallèles.<br />

Le fondateur de la section AOF/Togo fut Me Lamine Guéye, de son nom<br />

complet: Amadou Lamine Ibrahima Guéye. Il fut le premier avocat africain inscrit au<br />

barreau dakarois. Sa carrière d'avocat fut intimement liée à sa carrière politique dans la<br />

mesure où la première permit, incontestablement, de faire connaître l'homme dans le<br />

grand public dakarois, sénégalais et aussi aofien. C'est dès 1921, alors qu'il n'est que<br />

simple avocat stagiaire, qu'il entre dans les grandes affaires où politique et droit sont<br />

profondément liés. A l'occasion du différend opposant les grandes maisons de<br />

commerce de la place aux municipalités nouvellement élues de Saint-louis et de Dakar,<br />

Lamine Guéye accepte de défendre les dites municipalités, attitude particulièrement<br />

courageuse de la part d'un Africain à cette période, de surcroît simple avocat stagiaire.<br />

La première étape de la défense eut lieu le 11 juin 1921. Les tribunaux de Saint-louis et<br />

de Dakar, par jugement donnèrent raison aux grandes maisons commerciales du groupe<br />

bordelais d'origine, plaignantes sur la question des taxes jugées illégales mais qui,<br />

pendant plus d'une quinzaine d'années avaient été acquittées par elles.<br />

Pourquoi attendre l'élection d'équipes municipales toutes favorables au<br />

député noir Blaise Diagne pour sortir la grande artillerie et d'ester en justice ? La<br />

question se posa. Le fait est perçu par la défense des municipalités comme une attitude<br />

délibérément politique; ceci explique le pourvoi en appel fait par Lamine Guéye après<br />

l'echec simultané à Dakar et Saint-Louis où les deux tribunaux crurent devoir juger<br />

l'affaire le même jour.<br />

Lorsque l'arrêt de la cour d'appel de Dakar, rendu le 3 novembre de la<br />

même année, déclara les établissements Maurel et Prom mal fondés en toutes leurs<br />

démarches, fins et conclusions, le jeune avocat d'origine saint-Iouisienne obtint une<br />

brillante victoire morale. Elle eut un grand impact sur l'opinion sénégalaise qui s'était<br />

profondément passionnée pour le procès. Après ce procès contre le grand commerce<br />

bordelais, l'avocat dakarois eut à assumer d'autres défenses importantes dans des<br />

affaires où les victimes étaient des Africains poursuivis par l'administration coloniale.<br />

Ce fut le cas dans l'affaire du marabout mouride Cheikh Anta Mbacké de Touba ou<br />

dans l'affaire d'un autre marabout de la confrérie tidiane Cheikh Hamallah fondateur<br />

de la branche hamalliste. Lamine Guéye plaida aussi pour El Hadji Maguette Bâ.<br />

Malgré les jugements de tribunaux favorables comme celui de El Hadji Maguette Bâ<br />

commerçant notoirement connu à Dakar, ces personnalités africaines furent toutes trois<br />

par décision administrative,condamnées à la déportation.<br />

Me Lamine Guéye y gagne beaucoup en popularité malgré l'echec de ses<br />

actions au plan du droit. Aussi, on peut ajouter à son actifla défense des rescapés parmi<br />

7. Dimitri Georges Lavroff, Les partis politiques en Afrique noire. Que sais je ? 1970.<br />

50


1<br />

les tirailleurs de l'aube du 1er décembre 1944 à Thiaroye. L'avocat dakarois avait<br />

spontanément offert sa défense aux victimes de la fusillade qui inspira à Sembène<br />

Ousmane, écrivain et cinéaste sénégalais, le film intitulé "Camp de Thiaroye"S.<br />

Malgré cette popularité, Lamine Guéye échoua en 1934 quand il brigua.<br />

contre Galandou Diouf, la députation du Sénégal. Lorsque le deuxième conflit mondial<br />

s'achève, cette popularité atteint à son sommet avec son activité personnelle sur les<br />

questions des salaires, des prisonniers de guerre rapatriés, des terres léboues, du droit<br />

de vote des femmes sénégalaises autochtones des quatre communes etc...<br />

La constitution du 27 octobre 1946 marquant l'entrée en vigueur des partis<br />

permit une reprise totale de toutes les activités politiques. Lamine Guéye qui avait dèjà<br />

constitué une liste du Bloc africain pour briguer les suffrages des Dakarois, s'était vu<br />

largement plébiscité. Le quotidien "Paris-Dakar" écrivait à ce sujet: « Dakar a voté hier<br />

comme Saint-Louis et Rufisque. Jamais élections ne furent aussi calmes...La liste Lamine<br />

Guéye massivement élue»9. Ce premier triomphe électoral de Lamine Guéye à Dakar,<br />

inaugurait une longue série dans laquelle la municipalité de la capitale fédérale fut<br />

dominée par la SFIO de 1945 à 1960.<br />

b) Composition de la SFIO.<br />

La SFIO, dans les premières années de l'après guerre, représente diverses<br />

couches de la population sénégalaise surtout dans cette première étape où le suffrage<br />

universel n'était pas encore établi et où le parti garde son unité.<br />

* Les travailleurs salariés autochtones qui se considèrent comme brimées par<br />

l'administration coloniale et le secteur privé. La principale revendication, pendant<br />

longtemps fut, pour ces travailleurs, " A travail égal, salaire égal" formule largement<br />

reprise à Dakar particulièrement, mais au Sénégal et en AOF en général. Le poids des<br />

travailleurs salariés, surtout dans les villes communes de plein exercice, ralliés au parti<br />

politique SFIO, fit prendre en charge cette revendication par les instances du parti.<br />

Lorsque Lamine Guéye fut élu à la première constituante, les travailleurs salariés<br />

sénégalais purent espérer avoir une tribune pour exprimer leurs revendications. Le 30<br />

juin 1950, Lamine Guéye obtint le vote de la seconde loi portant son nom. Elle se<br />

résume au fait que, dans les TOM, entre Européens et autochtones, les salaires,<br />

désormais furent les mêmes, à travail égal.<br />

* Les couches moyennes et supérieures de l'élément lébou de Dakar :<br />

parceque la SFIO leur apparaissait comme le parti défendant les intérêts de la<br />

collectivité léboue particulièrement à travers la question des terres. Le fait que cet<br />

élément lébou soit d'un poids déterminant dans l'électorat dakarois, fait comprendre,<br />

8. Film paru en décembre 1988 à Dakar.<br />

9. 1 er el 2 juillet 1945.<br />

51


Comment s'expliquerait une progression aussi rapide des effectifs des<br />

mandats et normalement des mandants? La question mérite d'être posée même si nous<br />

ne pouvons pas y répondre directement. De même, est un autre paramètre de la<br />

représentativité de Dakar dans les instances dirigeantes de la SFIO: la composition de<br />

commission administrative exécutive car elle est, après le congrès, la seconde instance<br />

par ordre d'importance. Sur les 36 membres après son renouvellement au XIéme<br />

congrès du parti en Avril 1950, Dakar compta 12 contre 5 à Saint-Louis, 3 à Kaolack et 1<br />

à Thiès. Le poids de Dakar est donc d'un tiers dans l'instance territoriale de la SFIO. On<br />

remarque évidemment que ce poids n'a rien à voir avec le nombre des mandats au<br />

congrès. En effet, on compte alors un tiers des postes à la commission administrative<br />

exécutive pour 12 mandats de délégués; tous les délégués de Dakar font partie de<br />

l'instance. D'autre part, en regardant de près la composition de la commission<br />

administrative exécutive issue de ce congrès dont la liste est donnée par ordre<br />

d'importance, on remarque que sur les 12 représentants de Dakar, 3 occupent les trois<br />

premiers rangs. Ils sont tous trois conseillers municipaux de la commune de Dakar avec<br />

à leur tête, le maire de la ville, Lamine Guéye 12 .<br />

La représentation à l'Assemblée Territoriale du Sénégal qui comptait 50<br />

membres, constituait un autre élément d'appréciation du poids politique de la SFIO. En<br />

1947, elle était représentée au sein de l'institution territoriale par 47 membres conduits<br />

par Lamine Guéye et Senghor, tous deux députés. En mars 1952, la SFIO n'obtient que<br />

19 sièges sur un total cette fois-ci de 60 au lieu des 50 précédents. En 1957, date du<br />

premier suffrage universel au Sénégal, le PSAS (Parti Sénégalais d'Action Socialiste,<br />

nouvelle dénomination de la SFIO) recueille 19 % des voix alors que le BPS ( fusion du<br />

BDS, force principale, avec d'autres formations) obtient 78 % des suffrages.<br />

d) La Question des moyens matériels et financiers du parti.<br />

C'est une question d'importance capitale. Dans la mentalité populaire, la<br />

SFIO est avant tout perçue comme le parti qui organise les grandes réceptions de "mille<br />

et un couverts" où le bon riz au poisson "Thiéboudiène" ou le riz à la viande "thiébou<br />

yapp", les boissons de toutes sortes et autres victuailles sont servis en abondance.<br />

Alcools et femmes aussi n'y font pas défaut si l'on en croit certaines sources. Tout ceci se<br />

déroule au milieu des chants et danses exécutés à la gloire des leaders politiques;<br />

Souvent, de gros billets de banque, tout neufs, viennent s'engloutir dans les poches des<br />

chanteurs et danseurs émérites. Ces réceptions de la SFIO ont souvent été considérées<br />

comme de véritables "khawarés" c'est à dire des manifestations traditionnelles<br />

auxquelles on se livrait dans les cours royales du Cayor, du Djolof, du Baol, du Sine<br />

12. Ibidem<br />

54


Saloum, manifestations dans lesquelles. la morale était mise de côté provisoirement, ce<br />

qui amena certains adversaires politiques à qualifier ces réceptions de séances d'orgies.<br />

Le journal de Senghor les définit de la manière suivante : « C'est tout ce qui se trouve<br />

dans l'opposé de l'Islam »13.<br />

La SFIO utilise facilement toute occasion pour organiser des réceptions et<br />

celles-ci deviennent aussi des formes de recherche d'argent pour le financement des<br />

activités du parti. Le journal d'opposition, "Condition Humaine" dénonce ces pratiques<br />

en écrivant : « Des quêtes auprès des commerçants étrangers ou des fonds provenant de<br />

sources inavouables »14. Il en est de même des "fanaIs" SFIO qui, annuellement à Noél<br />

ou le jour de l'an, circulaient dans les rues de la capitale ou d'autres grandes villes du<br />

territoire. C'étaient des occasions publiques pour les grands dignitaires du parti de faire<br />

preuve de véritables largesses, tout comme le faisaient les grandes notabilités qui<br />

pouvaient avoir l'honneur que le fanal porte leur nom. A ce sujet, d'aucuns n'ont pas<br />

hésité à parler de "véritables folies financières".<br />

Mais cet argent ainsi dépensé est-il propriété du parti SFIO? la réponse à<br />

cette question n'est pas facile à donner. La comptabilité de la formation politique, si on<br />

considère stricto sensus les rentrées classiques c'est à dire, achat des cartes de membres<br />

et autres matériels de propagande, cotisations régulières et occasionnelles, n'est pas<br />

rose, du moins dans les années pour lesquelles nous avons des chiffres. A ce sujet, le<br />

rapport financier soumis à la réflexion des délégués du XIème congrès du parti, envoyé<br />

préalablement à toutes les sections, indiquait ceci : « Le montant du matériel avancé à<br />

certains responsables de sections s'éléve à 196.000 Fr CFA... Espérons que cette situation<br />

sera régularisée dans les meilleurs délais et que ces prêts ne viendraient pas s'ajouter à nos<br />

vieux débiteurs ».<br />

Au total 15 , nous pouvons faire les observations suivantes: la source<br />

principale des finances du parti provient de la cotisation des parlementaires pour<br />

313.726,95 Fr car la somme de 765.570 Fr provenant de la vente du matériel concerne<br />

en réalité les sommes recueillies au cours de trois années (1947, 1948, 1949) et même<br />

d'une partie de l'année 1950. Par ailleurs, ce budget ne mentionne pas la part de<br />

13. "Condition Humaine" du 8 mars 1952.<br />

14. Le 14 juin 1949.<br />

15. Ce rapport présentait, dans ses grandes lignes, la situation de la manière suivante:<br />

Recettes (en Fr CFA)<br />

encaisse au 31 od 1948 : 102.172,80<br />

produit vente du matériel: 765.570<br />

souscriptions élections complémentaires: 40.000<br />

cotisations des parlementaires: 313.726,95<br />

TOTAL: 1.221.469,75<br />

Au chapitre des dépenses, nous retrouvons:<br />

- dépenses engagées: 869.346,95 Fr CFA<br />

- encaisse au 8/4/1950: 352.122,80 Fr CFA.<br />

55


cotisations des militants alors que la contribution des parlementaires y figure. Faut-il en<br />

déduire que les militants ne cotisent pas ? Certainement pas. Il faut rechercher les<br />

causes de la non indication de la participation financière des militants dans le fait que<br />

que, certainement, peu d'entre eux ont pu effectivement payer leur cotisation, donnant<br />

alors des sommes maigres. Le rapport financier indiquait d'ailleurs que des sections<br />

restent débitrices de sommes élevées et ceci malgré les appels réitérés de la direction.<br />

Ceci prouve que l'état de la trésorerie de la SFIO n'est pas brillante. Ceci est du reste<br />

confirmé par le rapport qui dit: « Devant une telle situation, des réductions sévères ont été<br />

opérées sur toutes nos dépenses ». On comprend, par la suite que parmi les éléments<br />

menacés par la réduction, il y'a le journal de la SFIO, "l'AOF" pour lequel le rapport<br />

présageait un danger sur la poursuite de la parution.<br />

La trésorerie de la SFIO, c'est aussi, dans une large mesure, un appel direct à<br />

certaines autres sources de financement, les souscriptions notamment. A partir du 1er<br />

novembre 1947, une vaste campagne pour une souscription de "solidarité volontaire et<br />

libre" est lancée en direction des militants et sympathisants. L'objectif assigné à cette<br />

opération par le congrès réuni à Kaolak est de ramasser 1.000.000 Fr CFA Le texte de<br />

l'appel massivement distribué, explique la raison de fond de cette souscription<br />

particulière qui est destinée à « implanter la démocratie socialiste jusque dans les<br />

moindres villages de brousse ». Cet appel se fixe une limite de temps « Il faut que nous<br />

l'ayons avant la fin de la traite », c'est à dire la vente des arachides qui se situe d'octobre<br />

à mars, soit une durée de cinq à six mois. L'objectif a t-il été atteint ? Le rapport<br />

financier au congrès de 1950, dit à ce sujet « La souscription ouverte en 1948, avait<br />

rapporté la somme de 386.846 F CFA, soit un peu plus du tiers des prévisions ».<br />

L'argent du parti provient aussi de personnalités à titre de grands électeurs<br />

de la SFIO auxquels le secrétaire général Amadou Babacar Sarr écrit individuellement<br />

pour annoncer la souscription et leur envoie des feuilles pour que les intéressés fassent<br />

un travail de collecte auprès d'eux. Ely Manel Fall, chef du canton de Diourbel, reçoit<br />

55 feuilles numérotées. Dans la lettre à Cheikh Mbacké grand chef religieux à Touba, il<br />

est écrit que le motif de l'envoi de sa sollicitation est « Pour vous demander d'aider (le<br />

parti) en vue de toucher la masse de vos talibés ». Sont sollicités d'autres notables comme<br />

Abdoul Soulèye Bâ, chef du canton de Djilor, Massamba Sall, chef de canton à<br />

Tivaouane mais aussi des hommes d'affaires comme Robert Delmas de la Chambre de<br />

commerce de Dakar. Sur cette question, le dossier SFIO aux archives de la municipalité,<br />

regorge de noms de chefs de cantons, présidents de coopératives, grands chefs religieux,<br />

commerçants...<br />

Les moyens financiers de la SFIO proviennent également, en partie, de la<br />

Municipalité de Dakar. Même s'il est difficile d'en apporter des preuves irréfutables,<br />

une chose demeure certaine comme une forte présomption basée sur la multitude des<br />

attaques contre la gestion municipale. Là, le principe des vases communicants jouait<br />

56


particulièrement entre la trésorerie du parti et le budget municipal car ceux qui gèrent<br />

ce budget sont les hauts responsables de la SFIO. Du reste, cette situation n'est pas<br />

propre à la seule Municipalité de Dakar. La Cour des Comptes à Paris, dans son rapport<br />

d'inspection à Dakar sur les budgets de 1945 à 1950 mais aussi à Saint-Louis et<br />

Rufisque, est formelle dans ce sens: toutes les municipalités de plein exercice agissent<br />

ainsi.<br />

La comptabilité de la trésorerie de la SFIO est-elle correctement tenue? Ce<br />

n'est pas toujours le cas. Ainsi, Youssou Mbargane Diop, secrétaire de la section SFIO<br />

de Louga nous apprend dans une lettre qu'il adresse au trésorier général de la<br />

fédération SFIO, que le rapport financier soumis au congrès de Kaolak en 1947 a été<br />

rejeté à l'unanimité des congressistes. Lui-même se plaint, dans sa lettre, qu'une sonune<br />

de 20.000 Fr envoyée par sa section pour la participation aux frais de réception du chef<br />

de l'Etat Vincent Auriol, ne laisse trace nulle part dans le rapport du trésorier général<br />

bien que l'engagement de faire la lumière sur cette question ait été pris 16 .<br />

Manifestement, ce trésorier de section met en cause la bonne foi du trésorier national<br />

du parti SFIO. Ceci peut bien être une explication au rejet du rapport financier par le<br />

congrès.<br />

e) Comment fonctionne la SFIO?<br />

La SFIO-Sénégal est un élément de la fédération d'AOF/Togo de la SFIO<br />

parti politique français. D'après Obéye Diop, ancien responsable territorial au Sénégal,<br />

cette section étal/'t,par l'importance de .ses militants 17 , la quatrième du parti<br />

lmétropolitain de . Elle est directement rattachée aux instances nationales<br />

métropolitaines et en épouse intégralement le programme politique. Elle a cependant<br />

une certaine autonomie locale dans la mesure où la section sénégalaise est la base de la<br />

SFIO AOF/Togo et parce qu'elle est la structure territoriale la plus importante par ses<br />

effectifs, son implantation et ses activités. Elle tient régulièrement ses assises annuelles<br />

et les congrès sont organisés, de manière rotative, à travers les grandes villes du Sénégal:<br />

Dakar, Saint-Louis, Kaolak, Diourbel... Ces assises permettent au mouvement de se<br />

rapprocher, chaque année, d'une de ses bases locales, ce qui stimule la section régionale<br />

qui reçoit le congrès. Le rapport moral soumis à la réflexion du XIIIéme congrès<br />

donnait l'explication en ces termes « Pour la cinquième fois, nous avons accepté de<br />

comparaître en accusés, devant la base, pour que la voix des militants se fasse entendre,<br />

pourproclamer clairement si oui ou non, nous avons été à la hauteur des grandes tâches qui<br />

nous ont été confiées ». Ces congrès sont dominés pendant presque toute la période de<br />

1945 à 1950, par les interventions des parlementaires du parti dans les compte-rendus<br />

16. Archives municipales de Dakar, série 2G, dos H/23.<br />

17. Quotidien sénégalais "Soleil" du 30 juillet 1986, pp 6-7.<br />

57


d'activités, surtout celles qui concernent les représentations en métropole : Palais<br />

Bourbon, Sénat, Assemblée de l'Union Française etc...<br />

Cette rubrique est si importante qu'on ne conçoit pas la tenue d'un congrès<br />

en l'absence des parlementaires et particulièrement du chef de la SFIO locale, Lamine<br />

Guéye. C'est pourquoi les dates exactes des congrès sont souvent fonction de la<br />

disponibilité des leaders, souvent retenus à Paris. Il arrive ainsi qu'un congrès soit<br />

renvoyé seulement deux à trois jours avant sa tenue, à cause de "l'impossibilité du chef<br />

d'être présent,,18. Ces compte-rendus d'activités justifient, qu'à chaque passage des<br />

parlementaires à Dakar, une réception soit organisée pour donner l'occasion à<br />

l'intéressé de s'adresser aux militants.<br />

Le parti se structure, en réalité, en une série de côteries autour du chef.<br />

Rarement une forme de relations démocratiques entre instances et structures est<br />

respectée. En fait, il s'agit ni plus ni moins de groupes de pression qui s'organisent à<br />

l'intérieur même du parti et qui ne rendent pas son fonctionnement facile. Ainsi, les<br />

griots du parti s'organisent à part, tout comme les Laobés ou les Lébous, ou les Saint­<br />

louisiens. Chaque groupe tient à mettre en avant ses propres intérêts. Les lébous mènent<br />

campagne en faveur d'un des leurs pour sa désignation au poste de 2eme candidat pour<br />

l'élection des deux députés du Sénégal. Il s'agit de Ousmane Socé Diop. C'est le sens de<br />

cette lettre en date du 27 avril 1951 adressée au secrétaire général fédéral de la SFIO<br />

AOFjTogo et signée de Gningue Madiène. Cette lettre fait référence à une réunion<br />

tenue le 22 avril 1951 par la jeunesse léboue et les chefs de quartiers, au pinth ( place<br />

publique) de Santhiaba, lieu habituel des délibérations de la collectivité léboue, à la rue<br />

17 angle 22 dans la Médina. L'extrait du procès-verbal de cette réunion est annexé à<br />

cette lettre qui revêt réellement, un caractére de chantage puisqu'elle s'exprime ainsi<br />

«Toute la population léboue de Dakar à Cayar, Diender jusqu'à Yenne est favorable à la<br />

candidature de Ousmane Socé Diop. Toutefois, à défaut de cette investiture, nous vous<br />

faisons savoir dores et dèjà que nous employerons tous les moyens nécessaires pour qu'il soit<br />

élu »19. Au destinataire il est demandé de diffuser la teneur de cette missive au sein du<br />

congrès du parti. L'extrait de P.V accompagnant cette lettre fait état de l'adoption, par<br />

acclamation et à l'unanimité de ce premier voeu ainsi exprimé: « Tous les orateurs (...)<br />

émettent le voeu tendànt à ce que Ousmane Socé Diop soit désigné candidat aux élections<br />

législatives prochaines. L'Assemblée est favorable à cette candidature : "au cas où le<br />

congrès qui se tiendrait à Thiès n'apporterait pas l'investiture absolue à Diop Ousmane<br />

Socé, les lébous dans toutes les régions précitées maintiendront leur candidat et apporteront<br />

tout l'appui nécessaire afin qu'il soit élu" ».<br />

18. Télégrammes de Amadou Babacar à Lamine Guéye à Paris aux dates des 24 Avril 1951 et 2 mai 1951 ainsi que<br />

lettres du même aux sections, Archives municipales de Dakar, dossier H/33 (1), série 2G.<br />

19. Dossier SFIO, archives municipales de Dakar, série 2G, dos H/34.<br />

58


-----------------<br />

l<br />

Cette pression des lébous eut son impact sur le congrès réuni les 24 et 25 mai<br />

1951 puisque Ousmane Socé Diop et Lamine Guéye sont désignés, aux termes des<br />

travaux, comme candidats du parti aux législ'atives pour les deux sièges qui reviennent au<br />

Sénégal. Cela montre le poids de ces groupes de pression organisés dans le parti comme<br />

véritables structures de fonctionnement.<br />

f) Le programme de la SFIO<br />

Il est, dans ses grandes lignes, celui du parti métropolitain. Cependant, des<br />

données spécifiques locales pèsent aussi sur les responsables et les structures.<br />

Le rapport moral soumis au XIIIeme congrès indique au sujet du programme<br />

« La fédération du Sénégal-Mauritanie a été, ici comme ailleurs, à la base des lois qui ont<br />

libéré ce pays du joug colonialiste et de l'exploitation capitaliste... Notre parti a<br />

complètement changé la physionomie économique et mis à la disposition du producteur<br />

sénégalais les moyens de sa propre libération et de son juste enrichissement ». En parlant de<br />

l'action de ses élus, le rapport ajoutait « La santé et l'instruction pénétrent plus<br />

profondément la brousse et la savane... La maladie et l'ignorance reculent ».<br />

Mais ici une question doit être posée. Comment peut-on se libérer du joug<br />

colonialiste et rester un pays colonisé? comment peut-on être libéré de l'exploitation<br />

capitaliste dans un pays où les structures capitalistes fondent la domination coloniale.<br />

De même, la santé et l'instruction se développent à Dakar de façon certaine mais dans<br />

la réalité, à un degré très faible comparativement aux besoins optimums.<br />

Cependant, le rôle joué par les élus socialistes sénégalais au Palais Bourbon,<br />

au Sénat et à l'Assemblée de l'Union Française reste important dans la mesure où deux<br />

lois adoptées par le Parlement portent le nom de Lamine Guèye leader de la SFIO­<br />

Sénégal. Il s'agit de la loi sur la citoyenneté et de celle qui est relative au travail dans les<br />

TOM. La loi sur la citoyenneté, votée en 1946 par l'Assemblée Constituante, donnait<br />

aux habitants des TOM, les mêmes droits et devoirs qu'aux métropolitains. Cependant,<br />

la loi n'entra effectivement en application que dix ans plus tard, en 1956, lors des<br />

élections qui virent les habitants des TOM voter au suffrage universel pour la première<br />

fois, dans un collège unique. La seconde loi qui porte le nom de Lamine Guéye<br />

proclame" A travail égal salaire égal" dans les TOM. Adoptée en 1950, cette loi aussi<br />

doit, elle aussi, attendre très longtemps son application effective. La bataille des<br />

travailleurs salariés à Dakar pour obtenir le vote et l'application d'un code du travail,<br />

témoigne bien de l'inexistence d'effets pratiques immédiats. Cette oeuvre législative<br />

engagée par la SFIO locale était largement combattue par ses adversaires locaux comme<br />

le BDS et les milieux lébous qui y voyaient pour Lamine Guéye le moyen de conserver<br />

le contrôle de la Municipalité de Dakar. Le grand capital local et même le petit colonat<br />

furent hostiles à cette loi. Le petit colonat y voyait une certaine forme d'humiliation à<br />

59


dirigeantes du parti. Souvent mis en minorité au bureau fédéral et même devant<br />

l'instance suprême locale qu'est le congrès, Senghor prépara longuement sa revanche.<br />

Au congrès du parti qui se tient à Kaolack chef lieu de la troisième circonscription<br />

électorale, en septembre 1947, il monte au créneau, et dénonce tous azimut la situation<br />

morale dans le parti, son mode de fonctionnement, l'absence de ligne, l'action<br />

incohérente etc... Dans cette circonscription électorale, il compte des amis solides et<br />

puissants comme Ibrahima Seydou Ndao. Mais le congrès auquel il s'adresse lui assène<br />

un rude coup car il est assez nettement mis en minorité et on lui concéde tout juste, la<br />

création d'un journal.<br />

Lorsque la direction du parti décide de présenter la candidature de Djim<br />

Momar Guéye, notable kaolakois et adversaire de Ibrahima Seydou Ndao, pour les<br />

élections à l'Assemblée de l'Union française, Senghor juge que la coupe déborde<br />

largement. Pour lui, Djirn Momar Guéye exclu du parti pour activités jugées<br />

fractionnistes en 1946, ne peut être le candidat de la SFIO malgré sa réintégration à<br />

laquelle, du reste, Senghor ne peut croire. Dès lors, c'est la rébellion ouverte. Il<br />

démissionne avec fracas en adressant une lettre ouverte à Guy Mollet, chef du parti en<br />

métropole, et en tenant une conférence de presse.<br />

Cependant ces raisons politiques ouvertement exprimées ne semblent pas, à<br />

elles seules, motiver l'acte de démission. En effet, Robert Bourgi dit « C'est l'entourage<br />

familial et politique qui a poussé Senghor à se séparer de Lamine Guéye »26. Il fait état de<br />

bruits ayant circulé à Dakar au début du mois de septembre 1948. Ces rumeurs<br />

laissaient entendre que Senghor allait rejoindre le RPF (Rassemblement du Peuple<br />

Français) fondé par de Gaulle. Bourgi note qu'un tel ralliement était même confirmé<br />

par Abdoul Aziz Wane, le propre représentant de Senghor au Sénégal. Pour la direction<br />

locale du R.P.F il s'agirait là d'une opération extraordinaire, étant donnée la<br />

personnalité de celui qui rejoindrait alors la formation gaulliste. Madame Senghor, née<br />

Geneviéve Eboué, fille du gaulliste de la première heure, Félix Eboué l'ancien<br />

gouverneur général de l'AEF, ne manquant pas d'être un atout déterminant dans cette<br />

perspective de ralliement de Senghor au RPF.<br />

Cependant, en démissionnant de la SFIO, Senghor n'adhère pas au RPF. Il<br />

fonde son propre parti, le BDS : Bloc Démocratique Sénégalais qui est un parti sans<br />

aucune attache avec un quelconque parti politique métropolitain; c'est une nouveauté<br />

dans la période de l'après guerre. En cela, Senghor dispose d'une arme psychologique<br />

importante. Lui qui a si vertement reproché à la SFIO de ne concevoir les problèmes<br />

des populations de l'outre-mer que sous l'angle des intérêts électoraux et politiques<br />

métropolitains a ainsi l'occasion de réaliser et mettre en pratique son indépendance de<br />

pensée et d'organisation en se basant sur les caractéristiques propres de son milieu.<br />

26. Robert Bourgi, Le Général de Gaulle et l'Afrique noire 1940-1969, 1980.<br />

63


RPF qui votent dans leur totalité - huit voix - la validation du mandat de Senghor.29. Ce<br />

soutien gaulliste fut déterminant car la validation ne fut obtenue qu'à deux voix de<br />

majorité car il obtient au total quinze voix contre treize qui demandaient l'annulation de<br />

son mandat. Les communistes s'étaient abstenus. Cette victoire de Senghor consacre<br />

l'importance de ses appuis dans la droite française regroupée dans le RPF. Si, au niveau<br />

du Sénégal et de Dakar particulièrement, il ménage à fond son alliance avec le RPF,<br />

c'est bien en reconnaissance de cet acte de grande portée politique de la part du RPF<br />

qui a bloqué ses voix en sa faveur.<br />

C'est dire que l'alliance passée avec le parti gaulliste comporte des intérêts<br />

politiques évidents. Dans cette perspective, il est certain que Senghor sait bien fixer ses<br />

objectifs et s'y consacrer entièrement. Tout appui utile dans ce sens est bon; il doit donc<br />

être recherché; mieux il doit être cultivé.<br />

Cette alliance porte un rude coup à la SFIO chaque fois que les masses<br />

rurales doivent intervenir dans le débat car, au total, RPF et BDS disposent, à ce niveau,<br />

de leviers importants.<br />

b) Organisation et fonctionnement.<br />

La rupture de la SFIO consommée par la démission de Senghor, la première<br />

tâche qui s'impose au dissident est de créer et d'organiser son parti.<br />

Dès le lendemain de sa démission, Senghor et tous ceux qui l'ont suivi dans la<br />

rupture s'y attèlent. Ibrahima Seydou Ndao dit à Mamadou Dia: « Maintenant, tu vas<br />

passer la commande des cartes et dans une semaine, tu reviendras les retirer et aller créer des<br />

sections »30. Ces deux hommes vont jouer un rôle important dans le parti, tout comme<br />

Boissier Palum et Ibrahima Sarr.<br />

* Ibrahima Seydou Ndao:<br />

Il est l'ancien maître incontesté de la SFIO dans l'importante région du Sine<br />

Saloum, poumon même de la production arachidière du Sénégal. Ses démêlées avec<br />

Djim Momar Guéye, riche commerçant kaolakois comme lui, avaient largement émaillé<br />

la politique locale de la SFIO et avaient eu de profondes répercussions sur la vie<br />

territoriale du parti. Directement, elles sont à l'origine de la démission de Senghor du<br />

parti SFIO. Au moment où la rupture devient effective, Ibrahima Seydou Ndao est<br />

handicapé physiquement, presque entièrement paralysé, à la suite d'un accident de<br />

circulation. Mais il n'en reste pas moins actif dans les activités d'organisation du parti,<br />

surtout dans la région très peuplée et très active du Sine Saloum. Dès le départ, il met à<br />

contribution sa richesse et sa notoriété, donnant ainsi à la nouvelle formation une de ses<br />

assises les plus solides au niveau local autant dans l'immédiat qu'à long terme. Cette<br />

29. Robert Bourgi, op.cit.<br />

30. Mamadou Dia, op.cit., P.51.<br />

65


emarque Mamadou Dia qui rend un hommage appuyé, anonymement « aux cheminots<br />

qui faisaient, eux-mêmes le travail »34.<br />

Quant à l'organisation même du parti, nous en avons une idée à la lecture du<br />

rapport moral présenté devant son premier congrès tenu à Thiès en avril 1949. Le<br />

rapporteur, en l'occurrence le directeur politique du parti, Senghor, écrit: «Le BDS est<br />

une fonnation de toutes les forces politiques et sociales, traditionnelles et modernes<br />

sénégalaises, groupements ethniques et régionaux, réligieux et culturels, économiques et<br />

sociaux »35.<br />

C'est dire que, dans cette phase première de son organisation, le BDS adopte<br />

le même schéma que la SFIO. On y retrouve pêle-mêle:<br />

- la Grande Collectivité Saint-Louisienne,<br />

-la Jeunesse Léboue,<br />

- le Comité Sérére,<br />

- le Comité des Bijoutiers,<br />

- le Comité des Femmes de Grand Dakar,<br />

-le Comité des Casamançais,<br />

- la Section des Laobés,<br />

- le Comité directeur des ressortissants de la presqu'île,<br />

- le Comité des griots BOS ...36.<br />

A travers cette liste relative à la vie interne du BDS au seul niveau de la ville<br />

de Dakar, on a une idée de la multitude et de l'importance des sous-groupes de pression<br />

qui s'activent dans la nouvelle formation politique avec des dominantes régionales<br />

(exemple des Ressortissants de la presqu'île du Cap Vert, des Saint-Iouisiens et des<br />

Casamançais), ethniques (le comité des Séréres, la Jeunesse léboue), professionnelles<br />

(cas des Laobés, des bijoutiers et des griots), de zone d'habitation (femmes de Grand<br />

Dakar) etc...<br />

C'est en somme, une organisation complexe pour un parti politique. Si dans<br />

l'immédiat, ce mode d'organisation est fièrement présenté par le rapport moral comme<br />

une donnée intrinsèque de démocratie, très vite, il apparaît comme un fardeau et<br />

!1surtout comme une véritable entrave au fonctionnement normal du BOS. Ceci est<br />

1<br />

\ d'autant plus vrai que, dans la ville de Dakar, les Lébous militants de la nouvelle<br />

formation s'entre-déchirent souvent férocement et à propos de chaque candidature<br />

territoriale ou locale. S'y ajoutent la rivalité entre Ubous et non natifs de Dakar ainsi<br />

que des rivalités de clans, d'ethnies ou de régions etc... ce qui complique l'organisation<br />

interne du parti. Dans les faits, à Dakar, ce mode d'organisation du parti ne fait pas<br />

progresser la formation politique dans l'électorat, même si son congrès le considère<br />

34. Idem, P.55.<br />

35. "Condition Humaine" du 26 avril 1949.<br />

36. "Condition Humaine" du 27 mars 1949.<br />

67


comme étant démocratique: aux élections municipales de 1953, les deux députés, élus<br />

du territoire deux ans plutÔt, sont largement battus avec la liste qu'ils conduisent. Le<br />

rapport politique du territoire n'écarte pas ses modes d'organisation et de<br />

fonctionnement. Dans sa synthèse du deuxième trimestre, juste après les municipales, il<br />

note: « Le BDS fut mis en echec à Dakar. Faut-il voir dans ce recul le résultat des<br />

difficultés que l'attitude du député Abass Guéye a suscitées lors de l'élaboration de la<br />

liste»37.<br />

Des difficultés résultent du mode même d'organisation et de fonctionnement<br />

du parti. Le directeur politique du BDS a bien conscience de cette situation<br />

préjudiciable à sa formation politique. Le rapport politique de la Délégation constate:<br />

«Senghor manifeste une activité parlementaire intense complétée à Dakar par d'incessantes<br />

interventions en vue d'apaiser les conflits de personnes...dans les fractions BDS léboues»38.<br />

Parmi les entraves du BDS à Dakar, le rapport signale également les conflits entre les<br />

Lébous et les Ressortissants, ce dont le directeur politique du BDS est inquiet. Profitant<br />

d'une réception offerte à Léon Boissier Palun, nouvellement élu président du Grand<br />

Conseil de l'AOF et l'une des têtes d'affiche du BDS à Dakar, il s'exprime en ces<br />

termes: « Plus de fonnations ethniques, réligieuses ou territoriales... maintenant, une seule<br />

bannière, celle du BDS »39.<br />

C'est une condamnation sans équivoque du mode d'organisation et de<br />

fonctionnement du BDS que prononce Senghor; il espère ainsi libèrer son parti de<br />

lourdes entraves. Réussit-il dans la voie ainsi tracée?<br />

A Dakar, en tout cas, ce fut un echec puisque la situation perdure et que le<br />

parti ne put remonter de manière significative, son handicap sur la SFIO.<br />

En tout cas dans l'immédiat, la formation politique de Senghor connaît<br />

d'énormes difficultés que nous percevons à travers ce constat fait par la direction des<br />

affaires politiques à propos du congrès du BDS de 1953 : « Congrès laborieusement<br />

préparé et qui eut toutes les peines du monde à se tenir... Il débute avec 300 délégués sur les<br />

600 attendus...D'ailleurs, vers la fin du congrès le nombre de délégués allait en<br />

diminuant»40.<br />

c) Représentativité à Dakar.<br />

Certes, le BDS compte à Dakar des personnalités très importantes parmi ses<br />

militants, tant dans les milieux européens de la ville que dans les milieux lébous et<br />

autres africains. Cependant, une appréciation significative est fournie par les résultats<br />

électoraux du parti à Dakar.<br />

37. Affaires politiques AOF, ANS de Dakar, 2G 53-183, Délégation de Dakar.<br />

38. Synthèse du 1 er trimestre, rapport 2G 53-183, Délégation de Dakar.<br />

39. Rapport délégation de Dakar 2G 53-183,1953, dèjà cité.<br />

40. Affaires politiques ANSOM, carton 2230, dos 4.<br />

68


- En juin 1951, il y'eut des élections législatives au cours desquelles le BDS<br />

sortit vainqueur sur l'ensemble du territoire du Sénégal mais fut mis en minorité à<br />

Dakar. Les résultats sont les suivants: au niveau territorial, le BDS obtient 213.407 voix<br />

contre 96.469 à la SFIO.<br />

Au niveau de Dakar:<br />

- mars 1952, lors des cantonales pour le renouvellement de l'assemblée<br />

territoriale, sur les 30.934 suffrages exprimés, le BDS comptabilise 11.112 voix. La SFIO<br />

remporte tous les sièges de la circonscription électorale de Dakar.<br />

- avril 1953, aux élections municipales, sur 31.714 suffrages exprimés, la liste<br />

conduite par Senghor et Abbas Guéye tous deux députés, ne recueille que 10.599 voix.<br />

La SFIO remporte alors ces élections.<br />

- novembre 1956, de nouvelles élections municipales sont organisées à la<br />

suite de l'annulation par le Conseil d'Etat des élections de 1953. Sur les 41.963 suffrages<br />

exprimés, le BPS ( nouveau nom du BDS) obtient 17.734 voix; ce qui lui donne 16 sièges<br />

au conseil municipal contre 21 à la liste de Lamine Guéye qui obtient 24.226 voix. Cette<br />

élection a eu la particularité d'être organisée avec un mode de scrutin proportionnel<br />

contrairement aux précédentes.<br />

Au regard des résultats obtenus dans ces diverses consultations, il apparaît<br />

clairement que, malgré une progression non négligeable, le BDS est toujours resté<br />

minoritaire à Dakar, pendant toute la période comprise entre sa création et la fin de<br />

notre étude.<br />

Quant au nombre de militants, pour Dakar, nos sources sont très peu<br />

expressives. C'est le sociologue Paul Mercier qui souligne, en parlant des principaux<br />

centres urbains du Sénégal, que l'ampleur du phénomène d'adhésion aux partis<br />

politiques est faible. A propos de Dakar, lors d'une enquête sur un échantillon de 1200<br />

personnes, plus de la moitié (56 %) d'entre elles ont déclaré être membre d'un parti<br />

politique. Mais P. Mercier met en garde contre toute déduction à valeur de certitude<br />

dans la mesure où les personnes interrogées sont stabilisées car elles sont installées à<br />

Dakar depuis de nombreuses années 41 . D'après cet observateur, d'autres enquêtes ont<br />

prouvé que la participation à la vie politique est faible lorsque la population concernée<br />

est temporaire ou saisonnière. Ainsi, à peine 10 % de la population des villes<br />

sénégalaises militent dans les partis politiques. Ibrahima Marône 42 donne les chiffres<br />

suivants: en juin 1949, le BDS compte, pour tout le Sénégal, 27.000 adhérents contre<br />

26.000 à la SFIO et 900 au RDA.<br />

41. Paul Mercier, La vie politique dans les centres urbains du Sénégal, décembre 1959, p.69.<br />

42. Bulletin de l'IFAN, janvier 1970.<br />

69


d) Les changements de nom.<br />

Dans l'histoire du BDS, par suite de diverses fusions avec d'autres<br />

formations, nous le retrouvons avec des noms différents :<br />

- le 26 août 1956 : dissolution du BDS par son congrès et fusion avec une<br />

fraction unitaire de la SFIO et une autre de l'UDS. Cette fusion a lieu à Dakar, dans la<br />

salle de cinéma Le Colisée. La nouvelle formation s'appelle le B.P.S (Bloc Populaire<br />

Sénégalais). Senghor est élu directeur politique de ce parti tandis que Mamadou Dia<br />

conserve le secrétariat général. Ainsi, les deux hommes occupent des postes<br />

primordiaux. L'organe central du B.P.S s'appelle "l'Unité" et remplace "Condition<br />

Humaine" qui disparait.<br />

- Les 26 et 27 mars 1958, une nouvelle fusion rapproche le B.P.S créé par<br />

Senghor deux ans auparavant, du P.S.A ( Parti de la Solidarité Africaine ), mutation de<br />

la SFIO. Une nouvelle formation naît sous le nom d'U.P.S (Union Progressiste<br />

Sénégalaise). Lamine Guéye devint directeur politique et Senghor secrétaire général.<br />

Un nouvel organe est créé sous le nom de "l'Unité africaine".<br />

e) Les relations entre le BDS et l'administration.<br />

De 1948 à 1952, la formation politique de Senghor se hisse à tous les niveaux<br />

de représentativité du territoire : Assemblée territoriale, Grand Conseil de l'AOF,<br />

Assemblée nationale etc... L'explication de cette rapide ascension n'est pas la même<br />

selon les sources. Selon certaines, elle serait due à une adhésion massive de l'électorat<br />

aux idéaux défendus par la nouvelle formation politique.<br />

A l'opposé, nombreuses sont celles qui y voient une action plus ou moins<br />

discrète de l'administration coloniale et des milieux du colonat, local et métropolitain.<br />

Les affirmations sont nombreuses et variées pour les défenseurs de cette<br />

dernière thèse. Ainsi, le journal dakarois "Echos d'Afrique noire", sous la plume de son<br />

rédacteur en chef Maurice Voisin, présente Bernard Cornut Gentille, le gouverneur<br />

général de l'AOF, comme un mannequin entre les mains de Boissier Palum, président<br />

du Grand Conseil de l'AOF et figure de proue du BDS. Le journaliste écrit que :<br />

«Chaque fois que le EDS fait un chantage, il gagne parceque l'administration lui est<br />

servilement attachée »43. Pour lui, le BDS est tabou depuis que Bernard Cornut Gentille<br />

est au pouvoir en AOF. L'hebdomadaire donne à titre de preuve, le massacre de<br />

militants SFIO lors de l'embuscade tendue par les partisans BDS des environs de<br />

Bignona, en Casamance, à la fin de janvier 1955. Le journal affirme que l'administration<br />

était bel et bien au courant de ce qui se préparait contre Lamine Guéye dans cette<br />

43. Numéro du 27 janvier 1955.<br />

70


tournée, mais n'a rien fait pour éviter le drame, se contentant d'en faire le constat. Cela<br />

fait dire au journal que « Senghor est le leader du parti des assassins »44. Pourtant, le<br />

même organe de presse avait d'abord largement exprimé dans des livraisons diverses de<br />

1953, l'appui qu'il apportait à Senghor et à sa formation contre Lamine Guéye et la<br />

SFIO. L'organe du petit colonat dakarois étalait au grand jour ses apports d'argent aux<br />

caisses de la formation BDS, tout comme ses appuis matériels par tracts, circulaires et<br />

numéros spéciaux et ses démarches pressantes dans les travées du Palais Bourbon, à<br />

Paris, pour faire valider l'élection de Senghor contre Lamine Guèye 45 .<br />

Un autre organe de presse dakarois "Reveil" affirme que l'administration<br />

coloniale, par d'importants prêts financiers consentis aux principaux responsables du<br />

BDS, s'en fait ainsi ses hommes-liges.<br />

Cette situation est également décrite et expliquée comme telle par d'autres<br />

journaux comme "Echos d'Afrique Noire". Un autre journal dakarois titrait largement<br />

que « L'administration ne refuse rien au BDS et pour cause ».<br />

Un autre élément noté comme preuve de la collusion entre le BDS et<br />

l'administration coloniale est le fait que celle-ci ait propulsé maints responsables<br />

régionaux et locaux du parti comme inspecteurs du conditionnement. A ces postes, ceux­<br />

ci disposent de moyens de pression énormes leur permettant de s'enrichir aux dépends<br />

des paysans. Ces structures d'encadrement du monde rural perdurèrent malgré les<br />

détournements multiples de leurs moyens financiers et matériels par les cadres du BDS<br />

et les dénonciations par les journaux. L'organe de la section sénégalaise du P.AI traita<br />

le parti de Senghor de « collaborateur des colonialistes », de parti ayant « Jardiné les<br />

intérêts de l'impérialisme »46. Le journal "l'AOF" écrit: « Ces pressions et ces violences<br />

aujourd'hui éxercées en leur faveur (les dirigeants du BDS) se retourneront tôt ou tard contre<br />

eux »47.<br />

L'organe central de la SFIO apporte un exemple concret de cette "assistance"<br />

tout azimut au parti senghorien. Il se demande comment comprendre autrement,<br />

qu'après les élections municipales du 18 novembre 1956, dans les grands centres urbains<br />

du Sénégal, le BDS qui a totalisé 31.495 voix ait pu avoir 111 sièges dans ces conseils<br />

alors que la SFIO, avec ses 30.686 suffrages, soit presque autant de voix que le BDS, ne<br />

soit crédité que de 59 sièges. Le journal tire une conclusion qui lui semble la seule<br />

explication plausible: c'est que l'administration est toute entière au service du BPS de<br />

Senghor parceque le BPS est tout entier au service de l'administration. Il y'a donc là un<br />

échange courtois de bons services et de bons procédés.<br />

44. Numéro du 4 au 9 février 1955.<br />

45. Numéro du 4 mai 1953.<br />

46."Momsarew", nO 2 et 4.<br />

47. "L'AOF' du 15 décembre 1956, P.l.<br />

71


L'organe du M.P.S, "l'Action", n'est pas en reste dans le constat puisqu'il<br />

présente le parti de Senghor comme étant une formation d'obédience administrative, le<br />

genre même de ce que la rue Oudinot recherche fébrilement 48 .<br />

Un autre point souvent présenté par les organes dakarois du RDA comme<br />

manifestation évidente d'une collaboration notoire entre l'administration coloniale et<br />

Senghor, est le fait qu'en 1953, les I.O.M (Indépendants d'Outre-Mer), groupe politique<br />

monté par Senghor au palais Bourbon pour regrouper tous les élus d'AOF et d'AEF non<br />

RDA, ait eu l'autorisation et le soutien effectif de l'administration pour tenir leur<br />

congrès à Bobo Dioulasso en Haute Volta alors que cette même ville a été<br />

effectivement refusée au parti d'Houphouët Boigny quelques années plus tôt pour son<br />

congrès de 1948. Le refus s'était manifesté par l'imposition de conditions absurdes. En<br />

effet, l'administrateur maire de la ville ne donnait son accord à la tenue du congrès du<br />

RDA qu'à la condition expresse que le parti construise lui-même tous les locaux<br />

nécessaires à cette manifestation et que, dès la fin du congrès, ces mêmes locaux soient<br />

détruits.<br />

En somme, de nombreux faits sont présentés par des organes de la presse<br />

dakaroise comme la preuve d'une collaboration notoire entre le parti de Senghor et les<br />

autorités coloniales.<br />

Est-ce simplement parceque ces journaux représentent des lignes politiques<br />

opposées à celle défendue par le BDS ? En partie peut-être. Cependant, certaines<br />

preuves paraissent si probantes qu'on est bien tenté d'y croire entièrement. Il reste alors<br />

à comprendre les raisons profondes de cette situation. Le journal du P.AI,<br />

"Momsarew,,49 l'explique par la position dominante des Européens dans le BDS et cite<br />

les personnes de Robert Delmas, Georges Larché, Léon Boissier Palun etc... comme les<br />

milliardaires qui «nous gouvernent ».<br />

Senghor, lui-même, dans une de ces autocritiques qui lui sont familières, au<br />

sujet de son absence au congrès constitutif du RDA à Bamako en 1946 alors qu'il avait<br />

signé le manifeste du parti et même fait une partie du voyage, dit «Mon tort a été d'obéir<br />

à des ordres qui m'étaient imposés de l'extérieur ». Il faisait ce méa-culpa dans son rapport<br />

d'orientation au congrès constitutif du parti de la Convention Africaine, en janvier 1957<br />

à Dakar. Bien sûr qu'il est possible d'épiloguer sur la source des ordres que Senghor a<br />

reçus et exécutés. Il semble bien qu'ils émanent de l'administration. La SFIO à laquelle<br />

Senghor appartient à l'époque, s'était opposée à ce congrès africain et ses hommes<br />

occupaient la FOM et le palais de Dakar. Dès sa descente d'avion à Dakar, en route<br />

théoriquement pour Bamako, Senghor était reçu par le Haut commissaire de l'AOF.<br />

Que se sont-ils dit? Rien n'en a filtré. Mais Senghor transforme sa venue à Dakar en<br />

mission de compte rendu de ses activités parlementaires à Paris. Il ne foula pas le sol de<br />

48. "L'Action", nO de décembre 1957.<br />

49. NO 8 de 1958.<br />

72


Pour l'administration, il est utile de chercher, dans le cadre même des statuts<br />

de l'organisation, à en influencer l'orientation. C'est ainsi que comme condition de<br />

--:;:::>-=-reconnaissance,<br />

les autorités ont rajouté un certain nombre d'éléments dans les objectifs<br />

de l'organisation, par exemple: « Le développement de la langue française doit rester la<br />

première préoccupation »53. De même qu'au sigle proposé: Comité d'études africaines<br />

(CEA), il fallait ajouter le terme franco donnant ainsi le sigle définitif Comités d'études<br />

franco-africaines. Ces rajouts sont acceptés par les promoteurs du projet comme geste<br />

de compromis dans la mesure où l'essentiel est maintenu: la devise "Africa mater" tout<br />

comme le droit de cité en AOF pour toutes les élites sans distinction d'origine. Le texte<br />

dénonce l'accaparement des terres des collectivités et des individus, prend position en<br />

faveur de la libre constitution de syndicats et de coopératives.<br />

Le premier président du mouvement, à Dakar, est Armand Pierre Angrand,<br />

goréen d'origine et ancien rédacteur du journal le "Périscope africain". Le secrétaire<br />

général est Joseph Corréa, boutiquier à Dakar et originaire de la Casamance, d'une<br />

famille cap verdienne. Il avait eu longuement maille à partir avec l'administration<br />

coloniale. Il avait été révoqué de l'école normale William Ponty de Sébikotane et<br />

interdit de tout emploi dans la fonction publique, et subi des pressions de toute sorte<br />

pour qu'il ne trouve pas d'emploi dans le secteur privé.<br />

Le CEFA compte aussi parmi ses membres les plus actifs, Guillaume<br />

Couteau, ingénieur métis et père adoptif de Houphouët Boigny, Abdoulaye Sadji<br />

instituteur et grand romancier sénégalais, Bassirou Guéye et Latyr Camara, tous deux<br />

instituteurs de même que les frères Ousmane Bâ (futur ministre des affaires étrangères<br />

du Mali) et Alassane Bâ. Lamine Guéye en fut membre mais il démissionna<br />

publiquement du CEFA en fin 1946 54 . Le mouvement comprend également des<br />

Européens comme Camille Souris directeur adjoint de l'enseignement, Georgette et<br />

Jean Suret Canale professeur agrégé au lycée Van vollenhoven de Dakar, Vickie et<br />

Gérard Cauche ainsi que de nombreux instituteurs, médecins, commis... Il est nettement<br />

perçu par l'administration comme une force importante et dangereuse; ceci entraine<br />

diverses mutations qui frappent certains de ses membres, et même des emprisonnements<br />

comme c'est le cas pour certains militants de la section de Ségou au Soudan.<br />

L'administration ne se trompe pas car le rapport politique du Sénégal note: «L'origine<br />

du RDA remonte en fait à la création du CEFA qui s'est constitué à Dakar dès 1944 »55.<br />

Ce que confirme du reste Jean Suret Canale 56 , l'un des principaux animateurs du<br />

mouvement : « Le CEFA apparaît comme le précurseur du RDA auquel il fournira bon<br />

nombre de ses cadres ». Roger de Benoîst, en parlant du CEFA constate que: «A la tête<br />

53. Article 3 F des statuts du CEFA.<br />

54. J.S. Canale, op.cit.<br />

55. Affaires politiques AOF, ANSOM, carton 2263, dos 1 et 2.<br />

56. Op.cit., p. 21.<br />

74


de ses sections locales, on trouve des hommes qui auront presque tous un rôle dans l'action<br />

politique ou syndicale »57.<br />

Les fondateurs de la section sénégalaise du RDA proviennent aussi d'un<br />

autre mouvement appelé le Groupe d'études communistes (GEC). Ce dernier est né à<br />

Dakar à la même période que le CEFA Il est mis en place par des militants<br />

communistes d'origine européenne avec la collaboration de quelques Mricains comme<br />

Latyr Camara. Certains des membres du GEC sont aussi membres du CEFA C'est ainsi<br />

qu'avec la création du RDA, on retrouve largement les mêmes, aux postes responsables<br />

du parti.<br />

L'UDS se développe rapidement au Sénégal, particulièrement à Dakar. Une<br />

première assemblée générale se tient en août 1947 et une autre au début 1948. La<br />

principale manifestation a lieu les 30 et 31 juillet 1948. C'est le congrès territorial du<br />

mouvement que préside Gabriel d'Arboussier l'un des principaux fondateurs du parti.<br />

Ce congrès couronne toute une longue période d'intenses activités minutieusement<br />

notées par le rapport politique de la Délégation 58 . Le congrès constitutif adopte le nom<br />

de UDS-RDA comme étant celui de la section sénégalaise du RDA. Le rapport de<br />

l'administration note à son sujet qu'il est libellé ainsi en réponses aux accusations "anti­<br />

sénégalaises" lancées contre le RDA par un certain nombre de détracteurs locaux. La<br />

section reçoit son récepissé de reconnaissance. Le congrès élit comme secrétaire<br />

général, le médecin africain Doudou Guèye, Sénégalais d'origine, mais revenant de Côte<br />

d'Ivoire où il a exercé longuement ses activités professionnelles. Il est très proche de<br />

Houphouët Boigny avec lequel il a travaillé étroitement à l'implantation des premières<br />

cellules du RDA dans ce territoire. Des raisons psychologiques ne sont pas étrangères à<br />

son élection à la tête de la section. En effet, un Sénégalais authentique à la tête de<br />

l'UDS est un élément de crédibilité pour la formation. Cela permet aussi de couper<br />

court à toutes les insinuations et accusations malveillantes à l'endroit du RDA. Depuis<br />

la création du RDA à Bamako, le nom utilisé au niveau sénégalais pour les activités du<br />

parti était RDA. L'adoption du nom de UDS pour cette formation politique est<br />

incontestablement une forme d'affirmation de l'existence d'une personnalité<br />

sénégalaise; c'est une façon de mieux faire saisir qu'il y a plus qu'un simple écho aux<br />

intérêts exclusifs du leader ivoirien. Cette démarche tenait également compte de<br />

l'hostilité des leaders de la SFIO du Sénégal qui considèraient le RDA comme une<br />

formation communiste à cause de son apparentement au PCP. Ceci s'explique<br />

davantage par un contexte sénégalais dans la mesure où à la suite de la rupture entre<br />

Lamine Guéye et son poulain Senghor, l'islam devient une arme importante dans la<br />

bataille politique, chacun des leaders voulant attirer la grâce des forces islamiques<br />

sénégalaises dans son électorat.<br />

57. R. de Benoist, Histoire de l'Afrique Occidentale, 1978, p.27.<br />

58. Affaires politiques AOF, ANSOM, carton 2143, dos 4.<br />

75


\<br />

Dès 1948-1949, le comité de coordination du RDA, c'est à dire son organe<br />

directionnel a pris la décision de fixer, à Dakar même, sa délégation permanente. Celle­<br />

ci comprend, entre autres, Doudou Guéye secrétaire général de la section sénégalaise,<br />

Gérard Cauche ainsi que Gabriel d'Arboussier. Le rapport de l'administration note, dès<br />

1949, que l'UDS s'est solidement organisée et implantée au Sénégal. A Dakar, la section<br />

dispose de structures dynamiques. L'année 1950 est marquée par une nette<br />

consolidation de l'UDS au Sénégal comme le rapportent les sources administratives qui<br />

signalent que 16.000 cartes ont été distribuées sur le territoire.<br />

Ibrahima Marône, dans une étude parue en janvier 1970, dans le bulletin de<br />

l'IFAN, donne le chiffre de 900 militants pour la section sénégalaise du RDA en 1949.<br />

Par contre, ce développement rapide de l'implantation de la section est<br />

marquée par un net arrêt dès l'année 1951. L'administration note que « des sections de<br />

l'intérieur vont disparaître les unes après les autres» dans son rapport annuel. pourquoi cet<br />

arrêt brutal? L'explication se trouve dans la confrontation qui a lieu à propos de la ligne<br />

politique du RDA. En effet, la direction, autour de Houphouët Boigny, décide de<br />

désapparenter le RDA du PCF dont le RDA s'était organiquement rapproché pour des<br />

raisons "stratégiques" et parce que ce parti politique métropolitain avait énormément<br />

aidé à sa mise en place. La période qui suit immédiatement cette rupture voit une baisse<br />

réelle du militantisme pour l'ensemble du mouvement. Un rapport spécial de<br />

renseignements sur les partis politiques en AOF, fait le point de l'influence électorale du<br />

mouvement en ces termes : « 4 sièges de députés, 3 sénateurs, 5 sièges de conseillers de<br />

l'Union française et 34 sièges dans les conseils généraux, dont un seul au Sénégal »59. Ces<br />

chiffres indiquant un recul ne peuvent être appréciés qu'au regard de la situation<br />

antérieure sur laquelle en parlant de la situation organisationnelle du parti en 1948,<br />

Gérard Cauché O écrivait: «Le RDA compte un million d'adhérents auxquels s'ajoutent<br />

plusieurs millions de sympathisants ». Pourquoi donc un recul réel de l'influence du<br />

RDA?<br />

Rappelons que, dès 1947, pour des raisons de politique française en rapport<br />

direct avec l'application du Plan Marshall d'aide à la reconstruction de l'après-guerre, le<br />

PCF a été évincé du gouvernement de Paris. Et dès cette période, Paris et ses<br />

représentants dans la fédération de l'AOF, ont multiplié les attaques contre l'allié du<br />

PCF, c'est à dire le RDA. C'est la période de la grande répression contre ce parti<br />

nationaliste au moment même où à Madagascar aussi, la répression frappe durement.<br />

Les exemples de la répression contre l'UDS-RDA ne manquent pas. Gérard Cauche,<br />

élève administrateur ayant servi à Podor d'abord puis affecté ensuite à la Délégation de<br />

Dakar, est révoqué pour s'être présenté sur la liste UDS aux municipales de Dakar de<br />

1947. Le professeur Jean Suret Canale militant PCF dynamique et influent à Dakar dans<br />

59. Affaires politiques AOF, ANSOM, carton 2263, dos 9 : le RDA.<br />

60. Les pionniers de l'indépendance, 1975, p.29.


les milieux politiques et syndicaux est expulsé le dimanche 20 février 1949 de l'AOF sur<br />

décision du gouverneur général, et ceci par avion spécial. La police dakaroise qui vient<br />

le chercher, de nuit, pour le conduire de force à l'aéroport où un équipage militaire est<br />

dèjà aux commandes de l'avion, ne lui laisse ni le temps de prendre quelques affaires ni<br />

celui d'informer ses voisins immédiats 61 . Il est vrai que le secrétaire général de<br />

l'intersyndicale ouvrière de Dakar, vient de conduire une grève massivement suivie dans<br />

la capitale fédérale pour protester contre la baisse vertigineuse du pouvoir d'achat. Une<br />

institutrice européenne, Adrienne Quadreli, qui est le seul élément européen à observer<br />

le mot d'ordre de grève déclenché pour protester contre l'expulsion de J. S. Canale, est<br />

licenciée.<br />

La répression contre les militants de l'UDS-RDA ne vise pas seulement les<br />

Européens. Elle touche aussi de nombreux Africains comme Abdoulaye Guéye, Thierno<br />

Bâ, Septime Doddé, Sembané Sarr et Tchisoundzi condamnés à des peines de prison<br />

ferme de quatre à six mois, pour avoir manifesté, à Dakar devant le consulat d'Espagne,<br />

en faveur de l'Espagne Républicaine. Cette manifestation s'est pourtant déroulée<br />

calmement. Mais l'administration coloniale ne l'entend pas ainsi; d'où ces<br />

condamnations, après un procès expéditif contre les militants de la section sénégalaise<br />

du RDA. A cette même occasion, une Européenne, Gerard Cauche est arrêtée et<br />

condamnée elle aussi au même motif que les Africains. Cependant, à son sujet,<br />

l'administration coloniale fait encore preuve de discernement puisque l'Européenne et<br />

les Africains ne purgeront pas ensemble leur peine. En effet, Gérard Cauche est<br />

expédiée, à la prison de Fresnes, puis à celle de la Santé à Paris tandis que les Africains<br />

purgent leurs peines dans la prison de Dakar.<br />

Quant à Septime Doddé, éléve à l'Ecole de Médecine de Dakar au moment<br />

de sa condamnation, il est révoqué de son école où il fait sa dernière année de<br />

formation. Une grève générale a aussitôt lieu au sein de l'établissement pour protester<br />

contre l'exclusion de Septime Doddé d'autant que c'est le corps professoral de l'Ecole<br />

de Médecine même qui se prononce pour son renvoi. Cette décision des enseignants ne<br />

fut pas unanime car, le colonel Cler, professeur agrégé de médecine, comme il en est<br />

rare d'en trouver à Dakar à l'époque, ne se prononça point en faveur de l'expulsion. Il<br />

avait publiquement estimé que le corps professoral ne devait pas être soumis à prendre<br />

des mesures dictées par l'administration. Il fut alors rayé des cadres 62 .<br />

Bien sûr, les actions de l'administration coloniale ne se résument pas<br />

seulement à ces révocations et emprisonnements, radiations et licenciements. La gamme<br />

est beaucoup plus ouverte contre l'UDS. C'est ainsi que Mody Diagne, secrétaire<br />

général de l'Union des syndicats de Dakar et secrétaire du syndicat unique de<br />

l'enseignement est muté d'office de Dakar à Koungheul dans la région du Sine Saloum,<br />

61. Entretien avec J. S. Canale en décembre 1986 à Paris.<br />

62. J. S. Canale: les groupes d'études communistes en Afrique noire 1943-1950, document non publié, 34 pages.<br />

77


un véritable exil intérieur car de longues années durant, il est interdit de toute mutation.<br />

Quant à Joseph Mbaye que le congrès constitutif de l'UDS avait porté à son secrétariat<br />

à la propagande est muté d'office de Dakar à Cascas dans le Fouta Torro, en exil interne<br />

également pour de longues années. Thierno Bâ, rédacteur en chef de l'organe de la<br />

section territoriale du RDA, n'échappe pas à la répression. C'est son organe "Réveil"<br />

qui écrit: « L'administration frappe Réveil en déplaçant son rédacteur en chef Thiemo<br />

Bâ»63. Cette mutation arbitraire donne lieu, à Dakar, à une vive inquiétude dans l'un<br />

des villages de la banlieue : Yoff où Thierno Bâ tient une classe d'examen. La<br />

population envoie au chef de la délégation une motion de protestation après une<br />

assemblée générale tenue le 21 février 1954, mais aussi au maire de Dakar. Une<br />

imposante délégation est même constituée pour porter cette plainte des populations qui<br />

exigent l'annulation pure et simple de cette mesure publiée dans le J.O du Sénégal.<br />

Cette motion est signée par deux chefs de village, deux maires indigènes et sept chefs de<br />

quartier. Il est même décidé, à titre de disposition immédiate, de retirer tous les enfants<br />

de l'école en attendant de voir la suite des démarches engagées.<br />

Une autre réaction relative à cette mutation, est la grève déclenchée par le<br />

personnel enseignant africain de la Délégation. Mais la grève n'avait été déclenchée<br />

qu'après maintes démarches infructueuses pour rencontrer les autorités compétentes, en<br />

particulier le Haut Commissaire. Le syndicat lui même tire la conclusion de cette grève<br />

en en reconnaissant l'echec 64 .<br />

Autre mesure contre le RDA local, son secrétaire général Doudou Guéye est<br />

condamné le 8 mars 1950 à trois mois de prison ferme et 50.000 Fr d'amende. Dès sa<br />

sortie de prison, il est à nouveau condamné, le 23 août 1950, à deux ans de prison et<br />

300.000 Fr CFA d'amende pour avoir signé deux articles publiés par "Réveil", porte-voix<br />

du RDA. Il Ydénonçait les menées provocatrices de l'administration coloniale contre le<br />

RDA en Haute Volta ( pour la 1ère condamnation) et en Côte d'Ivoire ( pour la<br />

2éme)65.<br />

Ajoutons aussi que pour l'administration frapper d'autres organisations<br />

dakaroises comme les Partisans de la Paix, le Conseil de la Jeunesse du Sénégal, la<br />

RJ.DA etc, c'est aussi frapper l'UDS en raison du fait que les cadres de ces<br />

organisations sont aussi, dans une large mesure, militants du RDA. C'est pourquoi, le<br />

1er février 1950, la police dakaroise se mobilise fortement contre le projet des Partisans<br />

de la Paix dakarois lesquels entendent commémorer la fusillade de Thiaroye au cours de<br />

laquelle plusieurs tirailleurs africains ont été fauchés, nuitamment, par les balles des<br />

autorités militaires, alors qu'ils demandaient à rentrer dans leurs droits. Il en est de<br />

63." Réveil" du 27 février 1954.<br />

64. "SYNEP-liaison", Octobre 1954.<br />

65. R.de Benoîst : Afrique histoire, nO 9,1983.<br />

78


même lorsque le Conseil de la jeunesse du Sénégal décide, à Dakar, d'observer une<br />

journée de solidarité internationale de la lutte contre le colonialisme 66 .<br />

Bref, si l'UDS-RDA connait des difficultés dans son implantation à partir des<br />

années 1949-1950, c'est la conséquence de la répression sans cesse accrue de ses<br />

activités par l'administration coloniale. C'est aussi ce que note le rapport moral au<br />

congrès du mouvement, en 1954. Cependant, des facteurs internes interviennent aussi<br />

c'est l'absence d'unité de vue autour de la ligne du parti et les querelles entre les<br />

principaux leaders Gabriel d'Arboussier et Houphouët Boigny, le premier élément<br />

expliquant le second.<br />

Tout ceci est attesté par le rapport d'activités de Gabriel d'Arboussier le<br />

secrétaire à l'organisation du RDA, au comité de coordination du parti, en décembre<br />

1948. Parlant de cette situation, il disait: « Le point de la résistance essentielle se trouve<br />

au Sénégal dont l'influence traditionnelle sur la politique en Afrique noire, lui donnera<br />

encore une influence quasi-déterminante »67. Gabriel d'Arboussier fait ce constat à la<br />

suite d'une longue tournée de contact avec les diverses sections territoriales du<br />

mouvement, de mars à juillet 1948. Quand la crise intervient à la suite de la publication<br />

du manifeste du désapparentement du PCF, l'uns ne peut, logiquement, qu'en<br />

enregistrer les soubresauts. Dans ce manifeste, on peut lire : « Les élus du<br />

Rassemblement ont abandonné l'apparentement de propos délibéré... Cet apparentement<br />

n'avait été qu'une recherche d'un appui parlementaire et non un programme politique...<br />

Nous ne sommes pas des communistes. Nous ne l'avons jamais été... »68.<br />

Dèjà, le 9 août 1950, les dirigeants du RDA, Houphouët en tête, ont signé<br />

avec les I.O.M un protocole de désaffiliation des formations politiques métropolitaines.<br />

Houphouët s'est engagé, à cette occasion, à désaffilier le RDA du PCF dès la rentrée<br />

parlementaire. D'autre part, Houphouët et son groupe ont voté la confiance à Pleven<br />

ancien ministre de la FOM au temps fort de la répression contre le RDA en Mrique<br />

noire. En somme, lorsque le 17 octobre, Houphouët rend public son texte, il est en fait<br />

en pleine période de collaboration avec la droite africaine (l.O.M) et française.<br />

Dans ce contexte, la logique veut qu'il s'écarte du PCP. Ce manifeste lui fait<br />

franchir le pas. Dès que la décision est publiée, les auteurs se font le devoir d'aller, en<br />

Mrique même, en expliquer les raisons aux sections de base.<br />

Dans une lettre confidentielle adressée au ministre de la FOM, le Haut<br />

Commissaire de Dakar, à la date du 20 avril 1951, sous le numéro 385 int/AP, indique<br />

que:« Houphouët Boigny s'est rendu à Dakar et a tenu une réunion groupant une vingtaine<br />

de personnes, membres influents de l'UDS. ET que le député avait expliqué les raisons de<br />

66. "Réveil" nO du 27 février 1950.<br />

67. Roger de Benoîst, l'Afrique Occidentale, P.154.<br />

68. Texte remis à la presse le 17 octobre 1950 à Paris.<br />

79·


périr tant de militants presque partout dans les territoires de la fédération de l'AOF.<br />

Qu'en fait, en quittant l'alliance avec le PCF, le leader Houphouët menait, à Canossa, le<br />

RDA, et ceci pour des intérêts propres et de bas étage. Le groupe parlementaire qui a<br />

orchestré le désapparentement est furieux du comportement de Gabriel d'Arboussier et<br />

l'exclut du mouvement le 12 juillet 1952 pour "menées subversives". Et Houphouët<br />

Boigny répond, par une longue lettre, rendue publique par l'organe du RDA. Nous y<br />

reviendrons.<br />

En attendant, la section sénégalaise n'est pas la seule à prendre la décision<br />

de déjouer la manoeuvre de la direction politique du RDA car celles du Niger et du<br />

Cameroun ont la même attitude. Une large explication s'impose dès lors pour faire<br />

clarifier la ligne du mouvement et faire marcher ensemble les sections. Mais cette<br />

explication, dans l'immédiat, est refusée par la direction qui multiplie les atermoiements<br />

pour éviter la convocation d'un congrès demandé par certains, notamment la section<br />

UDS. Aux yeux de l'administration, si la section sénégalaise du RDA refuse de suivre la<br />

ligne de la direction, c'est parce que, sur cette section, l'emprise des militants<br />

communistes est totale. D'arboussier y compte donc des appuis solides. Mais ce rejet par<br />

la section territoriale de la nouvelle ligne politique est-il suffisant pour créer auprès de<br />

l'ensemble des militants, toutes les conditions d'un militantisme actif? Apparemment<br />

non puisque les effectifs connaissent une chute brutale. Un point tel, qu'à un moment<br />

donné, seules restent actives, à peine d'ailleurs, les sections des villes de Saint-louis et de<br />

Dakar pour l'ensemble de l'UDS. C'est exactement ce que constatait le rapport<br />

politique envoyé par le gouverneur général de Dakar au ministre de la FOM sur la<br />

question dès 1951. Même les dirigeants locaux s'en rendent bien compte. Une reprise en<br />

main de l'appareil de l'UDS s'impose. Il faut s'y atteler rapidement et vigoureusement<br />

avant qu'il ne soit trop tard. Un patient travail est entrepris par ceux-là même qui<br />

rejettent la ligne de collaboration. Le résultat porte ses fruits, à la longue. L'autorité<br />

administrative le reconnait à son corps défendant. Dans le rapport de 1954, nous lisons:<br />

« Leparti refait surface, plus vimlent et mieux organisé que jamais»71.<br />

Pour mieux consolider l'action de reprise en main et d'organisation, les<br />

responsables portent une attention particulière aux organisations de masse.<br />

L'administration, par un rapport annuel de territoire remarque : « L'UDS coiffe ou<br />

s'efforce de coiffer les trois organisations de masse suivantes: U.C.M : Union Culturelle<br />

Musulmane, la C. G. T dont tous les leaders valables sont de l'union, le RJ.DA : la jeunesse<br />

et les étudiants ». Parachevant sa réorganisation après une véritable traversée du désert<br />

de près de quatre ans, l'UDS peut enfin tenir un congrès les 9, 10 et 11 octobre 1954.<br />

Dix sections sont présentes; elles attestent l'importance du redressement opéré par la<br />

direction qui a rejeté la tactique de son leader H. Boigny. Il s'agit des sections de Dakar,<br />

71. Affaires politiques A.O.F, ANSOM, carton 2143, dos 4.<br />

81


Au plan de la participation électorale t le MPS est pratiquement absent dans<br />

les consultations municipales dakaroises de la période t tout comme au niveau territorial.<br />

Ainsi, aux municipales de novembre 1955, il prône l'abstention et l'organe central titre,<br />

à ce sujet: « Le RDA ne présente pas de liste aux élections municipales »75. C'est très<br />

probablement en raison du manque de représentativité que le MPS est absent de la<br />

scène électorale. Aussi en 1956 t est affirmé dans un rapport de l'administration où nous<br />

lisons: « Quant au MPS, son influence est pratiquement nulle »76. Par contre, son rival<br />

l'UDS se présente aux élections législatives du 2 janvier 1956.<br />

Le MPS est partie prenante lors des tractations politiques entre partis au<br />

Sénégal, au début de 1958. Engagées d'abord à Paris, puis à Dakar, ces tractations ont<br />

pour but de réduire les contradictions entre formations politiques opposées. L'organe du<br />

MPS écrit à ce sujet: « Afin de ne pas passer notre temps à nous entre-déchirer»77.<br />

En 1957, Doudou Guéye secrétaire général du MPS est élu président de la<br />

commission permanente du Grand Conseil de l'AOF lorsque le RDA interterritorial,<br />

après son action de collaboration, a obtenu des gains électoraux importants en AOF<br />

contrairement aux résultats de juin 1951. En effet, il obtient quinze députés élus en 1956<br />

contre seulement quatre en 1951, ce qui lui permet de s'installer solidement au Grand<br />

Conseil de l'AOF puisque le député de Côte d'Ivoire est élu président de la Haute<br />

Assemblée locale tandis que Doudou Guéye du MPS dirige sa Commission Permanente.<br />

Pourtant, à ces élections des assemblées territoriales qui avaient permis le<br />

renouvellement du Grand Conseil, l'assise du MPS fut très faible.<br />

En somme, le MPS n'est pas très significatif au plan représentation sur la<br />

scène politique sénégalaise. Cependant, puisqu'il se réclame de la ligne Houphouët, la<br />

domination de ce parti sur la scène de l'ensemble de l'AOF après 1956, assure une<br />

position importante au principal leader du MPS sénégalais. En effet, le Grand Conseil,<br />

installé à Dakar, a pratiquement toujours élu des représentants du territoire du Sénégal t<br />

à la présidence de sa Commission Permanente, depuis sa création en 1947. Cette<br />

situation paraît paradoxale au seul niveau sénégalais mais, elle se comprend dans le<br />

cadre de la rivalité entre les grandes formations politiques interterritoriales. Lorsque<br />

l'influence électorale du RDA lui permet de contrôler le Grand Conseil, il y met ses<br />

hommes et les représentants du Sénégal, proches de L.S. Senghor, en seront d'ailleurs<br />

particulièrement vexés.<br />

En 1958, le MPS se dissout dans le cadre du nouveau parti unitaire, résultant<br />

des tractations du début de cette même année: l'UPS.<br />

75. "L'Action" du 31 octobre 1955.<br />

76. Affaires politiques AOF, ANSOM, carton 2230, dos 2.<br />

77. "L'Action" du 13 janvier 1958.<br />

84


écrit : « Les partis extrémistes, véritable pool de subversion, ont montré, en août et<br />

septembre 1958, qu'ils pouvaient menacer sérieusement l'ordre public ... et peuvent se livrer<br />

au terrorisme urbain ». Rappelons que cette référence à août et septembre 1958, est<br />

relative à l'arrivée à Dakar le 26 août 1958 du général de Gaulle et à la campagne pour<br />

le référendum qu'il est venu proposer à l'Afrique noire et Madagascar.<br />

Au plan de la presse, le P.AI dispose d'un organe central intitulé "La lutte"<br />

tirant à 4.000 exemplaires et dont 1.800 sont vendus à Dakar d'après la source militaire.<br />

Le premier numéro de ce journal paraît dans la capitale fédérale dès le 12 octobre 1957<br />

soit un mois après la création du parti et la publication du Manifeste. La section<br />

territoriale du Sénégal du P.AI, intervient, elle aussi, dans le cadre de la presse<br />

dakaroise , par un autre organe intitulé "Mornsarew" né le 13 février 1958 et tirant à<br />

1.000 exemplaires d'après l'Etat-Major. Par contre le journal lui-même annonce qu'il<br />

tire à 2.000 exemplaires pendant ses six premiers mois d'existence 83 .<br />

La composition même du parti apparait dans le rapport de l'Etat-Major qui<br />

fournit un répertoire alphabétique des principaux militants dans la section de Dakar. Ce<br />

répertoire montre que les militants sont d'origines diverses par les secteurs d'activités<br />

auxquels ils appartiennent.<br />

- Des mouvements de jeunesse, il y'avait Ngagne Faly Diouf secrétaire à<br />

l'organisation du conseil de la jeunesse du Sénégal, Lô Cheikh Bara secrétaire général<br />

adjoint de la F.M.J.D dont le siège est à Budapest.<br />

- De l'enseignement avec : Seydou Cissokho, rédacteur en chef de "La lutte"<br />

et instituteur comme Gaye Amadou dit Gabin, trésorier adjoint du syndicat UGTAN de<br />

l'enseignement,<br />

- de l'Union Culturelle Musulmane avec des hommes comme Ly Bachir,<br />

Tamsir Diop, Touré lbrahima ...<br />

- du Mouvement de la Paix avec Abdoul Moumini vice président du Conseil<br />

Mondial de la Paix et président de la section sénégalaise de ce mouvement,<br />

- des organisations syndicales avec des militants comme Soumaré Mamadou<br />

secrétaire général adjoint du syndicat du port de Dakar, Camara Mamadou responsable<br />

syndical à l'USlMA, Kouyaté lbrahima responsable syndical de la COMACICO,<br />

- des milieux étudiants dakarois et métropolitains avec Dieng Amady de<br />

l'UGEAO, Khaly Basile de la FEANF, Papa Soulèye Ndiaye premier vice président de<br />

la FEANF,<br />

- de l'administration financière avec des hommes comme Babacar Niang<br />

inspecteur des impôts et domaines,<br />

- des milieux de la presse avec le publiciste Mahjmout Diop qui est le<br />

secrétaire général du parti 84 .<br />

83. "Momsarew", nO 2, Septembre 1958.<br />

84. Synthèse fiche nO 42, P.3, 4 et 5.


Aux adversaires politiques et à l'administration qui présentent le P.AI<br />

comme un parti de jeunes, voire de gamins, sans aucune expérience ni de l'action<br />

politique ni d'une autre, la rédaction de l'organe de la section territoriale du Sénégal<br />

répond par cette présentation professionnelle des militants : «Nous insistons sur le fait<br />

que notre parli compte parmi ses militants deux agrégés de mathématiques et de physique et<br />

chimie, des ingénieurs en grand nombre, des professeurs, des administrateurs etc...»85. Pour<br />

"Momsarew", il est évident que les diplômes comptent énormément mais il souligne que<br />

le plus important est l'engagement politique et la détermination du militant.<br />

L'hebdomadaire de la section territoriale du Sénégal indique que, dans ce domaine<br />

également, le parti dispose d'hommes dévoués et déterminés. Un article signé de Gaye<br />

Amadou en donne un échantillon dans la présentation des militants emprisonnés à<br />

Saint-louis le 8 août 1959. Dans cet article intitulé: « Même en prison, la lutte continue» .<br />

La rédaction de "Momsarew" présente la détermination et le dévouement de « deux<br />

instituteurs, un étudiant en sciences, un éléve en classe terminale philosophie, un comptable,<br />

un relieur, un menuisier, un professeur ».<br />

Ses relations avec l'administration?<br />

Pendant près de trois ans d'existence légale du parti, les relations entre le<br />

P.A.I et l'administration furent des plus mauvaises; ceci tant avec l'administration<br />

coloniale qu'avec celle de l'autonomie interne. L'explication de cette situation se trouve<br />

dans la ligne d'engagement de ce parti qui se réclame du marxisme léninisme. C'est<br />

essentiellement sur les questions sociales et les questions politiques que l'affrontement<br />

sans répit est le plus violent. Durant la période 1958-1960, la presse notamment, cite de<br />

nombreuses manifestations de la répression du pouvoir à l'égard de cette formation<br />

politique. Les organes la "lutte" et "Mornsarew" publient régulièrement des éléments de<br />

cette répression. Elle dévoile les mutations, les emprisonnements, les condamnations<br />

sans oublier les licenciements et révocations de militants parfois torturés par la police.<br />

Mamadou Dia lui même en apporte un témoignage. Celui qui fut le chef du<br />

gouvernement du Sénégal de la Loi-Cadre à l'indépendance, parlant de la répression<br />

constante qui a frappé le P.AI écrit: « Ce n'était pas le programme du PA.I qui était<br />

proscrit... Ce n'était pas non plus l'idéologie du PA.1.. Mais parce qu'il a provoqué des<br />

troubles graves »86.<br />

Bien sûr, Mamadou Dia parlait alors de la situation de 1960, notamment du<br />

30 juillet, au moment où le gouvernement prit une mesure administrative d'interdiction<br />

du P.A.I après les incidents des élections municipales de Saint-louis. Mais, cet acte<br />

administratif n'est que l'aboutissement d'une longue suite de tensions. Dans une<br />

85: Momsarew" nO 2, Sept. 1958.<br />

86. Mamadou Dia, op. cit, p. 222.<br />

87


certaine mesure, aux yeux de l'administration, le P.AI est un élément trop irritant avec<br />

ses positions notamment celles qui concernent l'indépendance nationale, "immédiate et<br />

totale", alors que la démarche du pouvoir en place est toute autre. La dissolution du<br />

P.A.I n'a atteint qu'un objectif fort limité puisque le parti continue à mener ses activités<br />

dans la clandestinité.<br />

L'explication de cette répression est que l'administration perçoit le P.AI<br />

comme l'un des éléments constitutifs du pôle de subversion à Dakar et au Sénégal<br />

d'abord et de manière plus ou moins importante au niveau de l'AOF ensuite. L'état­<br />

major de l'AOF affirme bien cet aspect car dans son étude sur la presqu'île du Cap Vert,<br />

il consacre sept pages entières au P.A.I et au PRA contre une seule page à l'UPS qui<br />

pourtant, détient tous les postes de l'Assemblée Territoriale du Sénégal et du<br />

gouvernement. Cette étude concerne non seulement le mode de fonctionnement, les<br />

structures, l'évaluation numérique, les déplacements des principaux militants derrière ce<br />

que l'Etat-Major appelle le "Rideau de fer" mais aussi la stratégie de subversion dégagée<br />

par le parti... Tout cela amène l'état-major à une planification rigoureuse des réactions<br />

de défense dans l'hypothèse d'une action de subversion déclenchée par le P.AI. Ce plan<br />

prévoit même la manière de séparer la presqu'île du Cap Vert du reste du Sénégal pour<br />

être en même de faire face à une telle action. Tout ceci indique bien que ce parti<br />

politique était pris au sérieux par l'autorité militaire dakaroise. Cette analyse faite pour<br />

l'information des hauts milieux gouvernementaux parisiens, est elle totalement<br />

étrangère à la mesure de dissolution du P.A.I en début août 1960 ? Nous ne disposons<br />

d'aucun écrit comme élément de réponse. Mais, au regard de la nature des relations<br />

entre ce parti politique et l'administration, il est fort plausible qu'une complicité de la<br />

part de Paris existe.<br />

phases électorales:<br />

Au plan de la participation électorale, le P.A.I a vécu, légalement, trois<br />

- le référendum du 28 septembre 1958 au cours duquel le parti prône<br />

ouvertement et agit activement pour le "non" et milite en faveur de l'indépendance<br />

immédiate. En alliance avec l'UGTAN, le OS, les étudiants et le PRA-Sénégal, le P.AI<br />

influence largement le cours de la campagne électorale par une réelle agitation,<br />

particulièrement dans la capitale.<br />

Le résultat de ce référendum ne donne que 5.733 "non" dans le Cap Vert 87<br />

pour toute la coalition. l'état-major justifie ce résultat en affirmant que le P.AI et le<br />

PRA se dédoublent simplement par le OS, l'UGETAN et l'UGEAO; mais pour le<br />

P.A.I, les résultats du référendum ne sont pas crédibles car ce sont ceux de<br />

l'administration qui manipule les chiffres.<br />

87. Fiche 42. P. 2.<br />

88


- Quant aux élections législatives du 22 mars 1959, le P.AI refuse d'y<br />

participer tout en prônant l'abstention active. La conférence fédérale du parti, réunie à<br />

Dakar, le 25 février 1959, adopte la résolution finale qui proclame: « Nous nous sommes<br />

refusés à toute alliance électorale avec les réactionnaires de tous bords...Mais pour une<br />

abstention active...pour marquer notre attachement à l'indépendance »88. Samba Ndiaye<br />

qui signe l'éditorial de l'organe de la section territoriale sur cette position adoptée par la<br />

conférence territoriale écrit: «Je ne voterai pas pour ceux qui n'ont pas osé faire comme<br />

les dirigeants guinéens... Je m'abstiendrai le 22 Mars 1959...»89.<br />

- Pour les élections municipales du 30 juillet 1960, le P.A.I présente des<br />

candidats dans plusieurs grandes villes du Sénégal notamment à Saint-louis et à Dakar,<br />

et c'est à la suite de cette élection que le gouvernement Mamadou Dia prend la mesure<br />

de dissolution administrative du P.A.I. Les incidents de Saint-louis auraient lourdement<br />

pesé sur la balance si l'on en croît Mamadou Dia qui s'exprime, dans ses mémoires, à ce<br />

sujeëO.<br />

A Dakar, l'AF.P du 31 juillet 1960 donne les résultats suivants pour ces<br />

élections municipales:<br />

114.852 suffrages exprimés pour 135.330 inscrits.<br />

U.P.S : 110.627 voix<br />

PRA : 1.666 voix<br />

Listes diverses intérêts locaux: 2.444 voix<br />

P.A.I : 315 voix.<br />

Sans formuler, ici, un jugement hâtif sur la crédibilité de ces résultats<br />

électoraux, quelques questions s'imposent : comment expliquer que le P.A.I dont<br />

l'influence a été jugée assez grande à Dakar au référendum du 28 septembre, pour faire<br />

"officiellement" plus de 5.000 voix, n'obtient, à ces municipales dakaroises que 315 voix<br />

c'est à dire moins de 0,30 % des suffrages exprimés? Le parti aurait-il perdu si<br />

largement de sa crédibilité en l'espace de moins de deux ans? C'est possible mais c'est<br />

bien le contraire que constate le rapport de l'état-major. Or, ce rapport date d'août 1959<br />

c'est à dire exactement à mi-parcours entre les deux consultations électorales. Il nous est<br />

en tout cas difficile de retenir l'hypothèse d'une perte de crédibilité aussi grande pour<br />

cette formation.<br />

y aurait-il un rapport quelconque entre la dissolution du parti et ces résultats<br />

proclamés? c'est fort probable pour qui sait que le gouvernement de 1960 comprend<br />

entièrement les membres de l'U.P.S lesquels sont aussi les candidats aux élections<br />

municipales du 30 juillet. De plus, à Dakar, l'U.P.S c'est à dire la résultante des diverses<br />

88. "Momsarew", nO 4.<br />

89. Ibidem.<br />

90. Ces incidents ont fait plusieurs blessés graves dont Daniel Cabou gouverneur de la région du Fleuve à l'époque.<br />

89


adopte le principe de l'indépendance immédiate dans sa résolution générale, ce ne fut<br />

fait qu'au terme d'un débat d'orientation très flou. En effet, Senghor rapporteur moral<br />

du congrès est violemment et publiquement pris à partie par Abdoulaye Ly pourtant<br />

membre de la délégation territoriale du Sénégal à ce congrès. La raison de cet<br />

affrontement réside dans le fait que Abdoulaye Ly s'exprime ouvertement en faveur de<br />

l'indépendance immédiate de l'Afrique noire française alors que Senghor rejette cette<br />

motion. Cette passe d'armes devant le congrès, est révélatrice des difficultés que la<br />

section sénégalaise du P.R.A va vivre dès la fin du congrès. Dès le 14 septembre 1958, le<br />

comité directeur du P.R.A se réunit à Niamey pour définir la position du mouvement, à<br />

l'égard du référendum du 28 septembre. Cette position ne tranche pourtant pas le débat<br />

qui est à son ordre du jour. En effet, « Le comité directeur invite toutes les sections<br />

territoriales du P.RA à prendre position face au référendum en tenant compte de leur<br />

contexte politique propre »92.<br />

On comprend dès lors que la situation soit difficile dans la section du<br />

Sénégal. En effet, cette résolution renvoie le débat à la base, avec la liberté de choix<br />

accordée à chaque section. Il n'y a donc pas eu à Niamey de position commune. Or,<br />

deux fois de suite, c'est à dire les 11 et 20 septembre, à Rufisque, le comité exécutif,<br />

instance de l'U.P.S a planché sur la question. Entre ces deux réunions, une mission est<br />

même envoyée à Conakry, d'urgence, pour tenter de mettre Sékou Touré et son parti, le<br />

PDG, dans une logique de vote pour le "oui". Mamadou Dia qui a conduit la mission<br />

rapporte à l'instance qui l'a mandatë 3 , le refus opposé par Conakry. Le comité exécutif<br />

du 20 septembre, c'est à dire une semaine avant le référendum est saisi du débat sans<br />

pouvoir trouver une solution acceptable pour chacune des thèses en conflit. Le débat est<br />

si vif, en raison de l'irréductibilité des positions contradictoires, que la rupture se<br />

produit dans le parti. Le gouvernement en subit, logiquement les contre-coups puisque,<br />

deux jours plus tard, quatre de ses membres rendent leur démission. Il s'agit de<br />

Abdoulaye Ly, Amadou Mactar Mbow, Diaraf Diouf et Latyr Camara. Ces ministres<br />

démissionnaires avaient été mis en minorité dans l'instance du 20 septembre par 204<br />

voix contre 13 et 41 abstentions. La majorité du comité exécutif avait décidé de faire<br />

voter le " oui". En quittant le gouvernement, ils expriment ainsi, l'impossibilité, pour eux,<br />

d'accepter que l'indépendance, comme telle, ne soit pas saisie à partir de cette<br />

opportunité offerte par le général de Gaulle.<br />

Ainsi, le P.R.A en tant que section territoriale sénégalaise, éclate au grand<br />

jour. Les ministres démissionnaires ainsi que tous leurs partisans quittent l'U.P.S pour se<br />

constituer en P.R.A-Sénégal en tant que parti politique indépendant. Le secrétaire<br />

général du nouveau parti est Abdoulaye Ly qui était au sein du comité exécutif de<br />

92. Abdoulaye Ly, Emergence... pp.49-50, 1981.<br />

93. Op. cit., pp. 93-94.<br />

91


l'U.P.S, le chef de file de la contestation sur cette question. Le parti se dote d'un organe<br />

central appelé "Indépendance Africaine" tirant à 4.000 exemplaires.<br />

En ce qui concerne ses militants, le P.R.A recrute essentiellement dans les<br />

milieux de la jeunesse, de l'UGTAN et parmi les étudiants. En fait, d'après le rapport de<br />

l'état-major, le P.R.A-Sénégal et le P.A.I recrutent presque dans les mêmes milieux; ce<br />

rapport les considère tous deux: comme des pôles de la subversion. La ressemblance du<br />

vivier y est, peut-être, pour quelque chose.<br />

Au plan électoral, le P.R.A-Sénégal a vécu quelques participations. Le<br />

référendum du 28 septembre et les législatives sénégalaises de mars 1959. L'autorité<br />

militaire affirme que les 5.733 voix en faveur du "non" à Dakar sont l'addition des votes<br />

P.A.I et P.R.A-Sénégal. En tout cas, aux législatives sénégalaises de mars 1959, le<br />

P.R.A-Sénégal est crédité de 1.316 voix sur les 90.087 inscrits au Cap Vert et les 66.054<br />

suffrages exprimés. Aux élections municipales de Dakar, en juillet 1960, la liste P.R.A­<br />

Sénégal obtient 1.666 voix sur les 114.852 exprimés.<br />

Au nombre des militants, la source militaire donne, pour le P.R.A-Sénégal un<br />

chiffre de 3.200 au début de 1959. Cette source met l'accent sur le développement que<br />

ce parti, tout comme le P.A.I, a connu dans la période récente.<br />

Le P.R.A-Sénégal continue jusqu'à la fin de notre étude, comme parti<br />

politique d'opposition au parti au pouvoir.<br />

7) Le M.L.N (Mouvement de Libération Nationale).<br />

C'est le 25 août 1958, en période de pleine agitation politique à Dakar,<br />

agitation due à l'arrivée du général de Gaulle à Dakar, dès le lendemain même, que le<br />

manifeste d'un nouveau parti politique est rendu public dans la ville : il annonce la<br />

création du M.L.N.<br />

Parmi les signataires du manifeste, vingt au total, nous trouvons : Albert<br />

Tévoedjré, Joseph Ki-Zerbo, Joseph Mathiam, Daniel Cabou, tous des chrétiens<br />

progressistes, étroitement liés à la hiérarchie catholique dakaroise. Ils sont d'anciens<br />

dirigeants de la jeunesse chrétienne, d'anciens animateurs du mouvement des étudiants<br />

catholiques de l'Institut des Hautes Etudes de Dakar. Ils ont milité également soit à la<br />

FEANF, soit à l'Association des Etudiants Catholiques africains en France. Mais aussi<br />

des musulmans comme Cheikh Amidou Kane, Abdoulaye Wade, Mamoudou Touré<br />

etc... Le parti nouvellement mis en place à Dakar et dont le manifeste s'intitule «<br />

Libérons l'Afrique» a une vocation interterritoriale exactement comme le P.A.I né un an<br />

auparavant, ou le R.D.A, le P.R.A etc...<br />

Des Sénégalais signataires du manifeste, retenons les noms suivants :<br />

- Daniel Cabou administrateur civil de la FOM, conseiller technique du<br />

gouvernement du Sénégal pour les questions économiques.<br />

92


- Cheikh Amidou Kane, lui aussi administrateur stagiaire et écrivain connu<br />

pour avoir publié un roman à thèse: "L'aventure ambiguë".<br />

- Mamoudou Touré, administrateur de la FOM.<br />

- Joseph Mathiam, étudiant.<br />

- Abdoulaye Wade, docteur en droit.<br />

- Trois instituteurs signent aussi le texte du manifeste 94 .<br />

Tous ces signataires ont en commun le fait de ne pas avoir de passé politique<br />

sur la scène dakaroise. Ils sont presque tous inconnus du grand public. Ce sont des<br />

intellectuels car ils ont fait, pour l'essentiel, des études universitaires 95 .<br />

Au regard du nombre et des responsabilités des dirigeants du M.L.N liés à<br />

l'église catholique dakaroise, on peut penser que celle-ci a été pour beaucoup dans cette<br />

création pour pouvoir peser plus ou moins directement sur la vie politique dakaroise.<br />

Ainsi donc, l'église dakaroise dispose, indirectement certes, d'un outil<br />

adéquat pour intervenir sur le terrain politique. Elle disposait dèjà à Dakar de leviers<br />

importants et nombreux tels que les organisations culturelles, de jeunesse, une presse<br />

diversifiée au tirage important, un pouvoir de "rassembleur" surtout avec ses conférences<br />

organisées au centre culturel Daniel Brottier où catholiques, protestants, musulmans,<br />

militants politiques de divers horizons, acteurs sociaux etc... s'affrontaient dans des<br />

débats contradictoires très suivis par un public nombreux. Ainsi, il ne manquait à l'église<br />

que "son" parti politique. Le M.L.N lui offrait en partie, l'occasion d'en avoir un.<br />

De même très probablement, la création de ce parti politique nouveau à<br />

Dakar serait, en rapport direct avec la volonté manifestée par certaines forces<br />

islamiques, de peser suffisamment dans la scène dakaroise. Le tout se déroule sur toile<br />

de fond de référendum du 28 septembre 1958.<br />

Le manifeste du parti présente un programme duquel trois mots d'ordre<br />

principaux se dégagent: Indépendance, Etats unis d'Afrique et Socialisme 96 .Ces mots<br />

d'ordre épousent largement les préoccupations politiques centrales de la période, même<br />

si, dans le détail, le contenu mis dans ces termes n'a pas tout à fait la même signification<br />

que dans l'U.P.S, le P.R.A-Sénégal ou le P.AJ.<br />

Quel est le poids du M.L.N sur le terrain politique dakarois de 1958 à 1960 ?<br />

Les sources ne permettent pas d'avancer le moindre chiffre sur le nombre de<br />

militants ou sympathisants du M.L.N. De plus, dans cette phase, il ne participe à la<br />

moindre consultation électorale, évidemment ceci en rapport avec le niveau<br />

d'organisation de ce parti. Cependant, on peut penser, eu égard au caractère trop<br />

94. Présence africaine, nO 61 Fev-mars 1959.<br />

95. Bakary Traoré, Forces politiques en Afrique noire, 1966, p. 74.<br />

%. Fiche 41, p. 6, Notice de l'état-major AOF, 1959.<br />

93


marqué de ce parti par une certaine coloration religieuse, que ses militants se recrutent<br />

avant tout dans les milieux catholiques locaux. Or, l'église dakaroise, reste, au plan du<br />

nombre de ses adeptes, très minoritaire à Dakar. En tout cas, l'état-major général, dans<br />

sa notice d'information sur la presqu'île du Cap Vert, fait la remarque suivante au sujet<br />

de son audience : «Audience faible en raison de la nature même du mouvement animépar<br />

des intellectuels catholiques ». Cette remarque se confirme par le fait que nous ne notons<br />

aucune activité importante de sa part. De plus, c'est à peine si les rapports politiques de<br />

la période signalent son existence.<br />

En somme, le M.L.N (Mouvement pour la Libération Nationale) n'a été, à<br />

Dakar, qu'un mouvement politique très marginal. Les caractéristiques même de ses<br />

membres, mais aussi la particularité du contexte dakarois ont certainement été, pour<br />

beaucoup, dans la faible implantation de cette formation politique.<br />

8) Le P.S.S (Parti de la Solidarité Sénégalaise).<br />

Sa création remonte à février 1959. Parmi ses principaux fondateurs, se<br />

trouvent Cheikh Tidiane Sy, Ibrahima Seydou Ndao.<br />

Cheikh Tidiane Sy est le fils de Elhadj Ababacar Sy, premier Calife d'Elhadj<br />

Malick Sy le fondateur de la confrérie tidjane au Sénégal. Il vit à Tivaouane, en plein<br />

coeur du pays du Cayor. Il a été très actif comme soutien du B.D.S de Senghor dès sa<br />

création, avant de rompre plus tard avec ce parti politique. Partisan acharné du "oui" au<br />

référendum de 1958, il mène une campagne active dans ce sens. Il déploie, ainsi que ses<br />

partisans, des moyens d'information et financiers importants à cette occasion. Le journal<br />

"Paris-Dakar" lui ouvre largement ses colonnes. La radiodiffusion fédérale, par sa chaîne<br />

régionale notamment, lui a accordé un important temps d'antenne pour populariser sa<br />

position. Ensuite, pour son parti, des appuis ont été nombreux dans d'autres branches<br />

importantes de la confrérie comme celle des "Kanène" de Kaolak 97 et celle de la famille<br />

Tall descendante du grand marabout résistant à la pénétration française au XIXème<br />

siècle.<br />

Cheikh Tidiane Sy dispose aussi, dans la grande confrérie mouride, de<br />

soutiens notoires. Il a joué un rôle important dans le déclenchement de l'émeute qui eut<br />

lieu, le 6 mars 1957, dans la ville de Tivaouane. Il fut condamné à la prison à la suite de<br />

ces incidents sanglants 98 . Ce qui n'entama pas son influence.<br />

Quant à Ibrahima Seydou Ndao, il a été président de l'assemblée territoriale<br />

du Sénégal de 1952 à 1957. Ancien homme fort de la SFIO dans le Sine Saloum, il est<br />

l'une des grandes figures de la fondation du B.D.S en septembre 1948. Mamadou Dia 99<br />

97. Famille de Elhadj Ousmane Kane de Kaolak qui est la famille d'origine de sa mère.<br />

98. Ibrahima Marône, le Tidjanisme au Sénégal, 1971, p.204.<br />

99. Op. cit., P.52.<br />

94


loue ses qualités de courage politique et sa détermination dans la défense de ses idées,<br />

tout en remarquant aussi son caractère peu discipliné. Le transfert de la capitale du<br />

Sénégal de Saint-louis à Dakar à la fin de 1957, fut l'un des principaux mobiles de sa<br />

rupture avec la formation qu'il avait largement implanté au Sine Saloum. Il prit<br />

ouvertement, contre la décision gouvernementale, fait et cause pour Saint-louis.<br />

Comme Cheikh Tidiane Sy, il mène activement campagne pour le "oui" au<br />

référendum et dispose d'énormes moyens matériels et financiers. Membre actif du<br />

"Comité de soutien à l'action du général de Gaulle" créé à Dakar en début septembre<br />

1958, et qui regroupe les nostalgiques de la période du colonialisme triomphant, il prend<br />

violemment à partie les manifestants de la place Prôtet à Dakar, lors de l'arrivée du<br />

général de Gaulle. L'A.F.P rapporte ses propos en la circonstance: « Mon devoir est de<br />

protester contre ces agissements qui déshonorent notre pays... Il ne faudrait pas que les<br />

populations de France et des pays étrangers aient, en aucun moment, le sentiment que le<br />

Sénégal est d'accord avec les manifestants de cette journée »100.<br />

extérieures du parti.<br />

Le P.S.S dès sa création se dote de la direction suivante:<br />

- Cheikh Tidiane Sy : président du parti,<br />

- Ibrahima Seydou Ndao : directeur politique,<br />

- Omar Diop: avocat saint-Iouisien, secrétaire général du parti,<br />

- Charles Grazziani : industriel européen dakarois, chargé des relations<br />

Cette direction est mise en place par le congrès constitutif du P.S.S à Kaolak,<br />

la ville de Ibrahima Seydou Ndao. Le manifeste du parti avait dèjà donné une idée de<br />

l'orientation politique: « Le Sénégal doit rester uni au peuple de France pour le meilleur et<br />

pour le pire ». Parmi les autres objectifs que s'assigne la nouvelle formation politique: «<br />

Refaire l'unité et la solidarité sénégalaise contre la politique de division de l'u.P.S ». Le<br />

parti se dote d'un organe de presse appelé "La Solidarité".<br />

L'activité politique du P.S.S se perçoit surtout à travers l'organisation de<br />

chants religieux à caractère très politique qui lui permettent de pourfendre le<br />

gouvernement Mamadou Dia et son parti politique, l'U.P.S; ce qui mécontente le<br />

pouvoir. Ainsi, le 23 juin 1959, Cheikh Tidiane Sy leader du P.S.S est arrêté à Tivaouane<br />

à la suite de chants religieux particulièrement violents contre le régime. Il est écroué à la<br />

prison de Dakar pendant six mois. Il dut sa libération à une rencontre de négociations<br />

entre Mamadou Dia chef de gouvernement et El hadj Ibrahima Niasse, chef religieux<br />

très puissant de la confrérie tidjane du Sine Saloum, lui aussi membre du P.S.S. La<br />

condition mise par le pouvoir à sa libération fut la dissolution du P.S.S par ses<br />

dirigeants, si l'on en croit diverses sources. En tout cas, le 14 janvier 1960, Cheikh<br />

Tidiane Sy et Ibrahima Niasse annoncent officiellement leur ralliement à l'U.P.S, parti<br />

100. A.F.P du 28/08/1958. (Agence France Presse)<br />

95·


au pouvoir, marquant ainsi la fin d'une activité "politico-religieuse" islamique sous la<br />

bannière du P.S.S. En juillet 1960, concrétisant le ralliement, Cheikh Tidiane Sy vient, à<br />

la tribune du congrès de l'U.P.S, faire amende honorable 101 .<br />

Le P.S.S a donc vécu, tout juste un an. Peut-on apprécier son poids politique<br />

pendant cette courte période ? Aux élections législatives sénégalaises du 22 mars 1959,<br />

le P.S.S présente sa propre liste. Dans l'ensemble de la région du Cap Vert, il est crédité<br />

de 5.448 voix sur 66.034 suffrages exprimés. Ses voix se répartissent géographiquement,<br />

sur le territoire régional, ainsi:<br />

- Dakar-commune: 3.871 voix,<br />

- Gorée : 10 voix,<br />

- Rufisque-commune: 446 voix<br />

- Rufisque subdivision: 1021 voix. 102<br />

Paradoxe remarquable, l'objectif de la création du P.S.S avait été la<br />

recherche de l'unité. Sa disparition était justifiée aussi par la recherche de l'unité<br />

politique. Cheikh Tidiane Sy, lui-même, disait, le 12 juin 1960, sur les ondes de Radio<br />

Dakar, repris le lendemain à la une de Paris-Dakar: « Tout ce que le pays compte<br />

comme forces vives, ouvrières et paysannes, travailleurs de toutes catégories, lettrés de toutes<br />

cultures, doit s'unir en cette heure de ferveur nationale ».<br />

Ainsi, ce parti politique islamique n'eut qu'une existence éphémère, une<br />

représentativité faible et surtout une implantation avant tout, tidjane. En ce sens, son<br />

objectif affirmé fut un échec dans la mesure où d'autres confréries hésitèrent à s'engager<br />

dans le parti, tout comme d'autres familles même tidjanes.<br />

9) Le P.F.A ( Parti de la Fédération africaine).<br />

Ce n'est pas un parti politique sénégalais, mais un parti fédéral dans lequel<br />

l'U.P.S se retrouve, avec le parti de l'Union soudanaise. Le P.F.A est né le 14 janvier<br />

1959 dans la grande salle du Grand Conseil de l'AOF. Quatre délégations territoriales<br />

sont à l'origine de sa gestation: Sénégal, Soudan, Niger, Dahomey auxquelles s'ajoutent<br />

des observateurs d'autres territoires. Roland Colin103, présent à la cérémonie notait<br />

que des larmes d'émotion avaient abondamment coulé ce jour-là parmi les délégués.<br />

Même dans l'assistance, l'émotion fut grande. Modibo Keita, secrétaire général de<br />

l'Union soudanaise, clôturant les travaux, au Grand Conseil, faisait jurer les délégations<br />

présentes: «Je jure sur l'honneur... et si pour la fédération du Mali, pour l'unité politique,<br />

101. Christian Coulon, le Marabout et le prince. 1981.<br />

102. Additif, notice sur le Cap Vert.<br />

103. Systèmes d'éducation... 19n, p.462<br />

96


c'est une forte personnalité politique confirmée. Mais, Lamine Guèye et Senghor sont<br />

de vieux rivaux politiques, même s'ils viennent de se retrouver dans l'U.P.S. La fraction<br />

ex RD.S de l'U.P.S ne l'entend nullement de cette oreille. Ce qui a pour effet de<br />

retarder toute solution acceptée de tous. Deux mois durant, des consultations, des<br />

tractations ont lieu pour débloquer la situation qui bute sur le choix du président de la<br />

Fédération alors même que la date de l'élection était arrêtée pour le 27 août 1960. Dans<br />

la nuit du 19 au 20 août 1960, la Fédération du Mali éclate avec, comme cause directe,<br />

la révocation de Mamadou Dia, numéro deux du gouvernement fédéral, par Modibo<br />

Keïta, le Président. Un conflit ouvert autour de la nomination du chef d'état-major de<br />

l'armée fédérale ( deux colonels: l'un sénégalais présenté par son léSénégal et l'autre,<br />

. /<br />

Soudanais présenté par son pays) avait été à l'origine de la querelle des deux chefs de<br />

gouvernement. Ce conflit sur toile de fond de rivalité autour de l'élection à la<br />

présidence de la Fédération mit le feu aux poudres. La rupture intervient en cette nuit<br />

du 19 au 20 août 1960, soit exactement deux mois, jour pour jour, après la proclamation<br />

de l'indépendance de la Fédération. L'idéogramme renversé à la levée des couleurs lors<br />

de la cérémonie de proclamation de l'indépendance, le 20 juin, augurait-il de cette brève<br />

existence de la fédération du Mali? Le fait, en tout cas, était présenté comme tel dans<br />

divers milieux dakarois les jours suivants. Ils insistaient sur le signe que la précipitation<br />

avait été l'élément principal dans le processus de la mise en place des institutions de la<br />

fédération du Mali. Dans la mentalité dominante de l'époque, cette interprétation est<br />

largement véhiculée même s'il ne s'agit pas là d'un élément scientifique.<br />

La rupture de la Fédération du Mali trouve son explication dans des<br />

éléments plus tangibles; en effet, Soudanais et Sénégalais, par leurs partis politiques<br />

respectifs initiateurs de la fédération, proviennent de deux écoles politiques fort<br />

différentes. L'U.P.S des Sénégalais est un parti politique qui, pendant les cinq dernières<br />

années, a subi une série de mutations. Du RD.S à l'U.P.S en passant par le RP.S, il a<br />

englouti diverses formations politiques sans avoir le temps de les digérer réellement. De<br />

plus, de 1948 à 1960, ses dirigeants sont des hommes étroitement liés aux cercles<br />

coloniaux; ils ont étroitement appuyé les solutions coloniales par l'école de la SFIO<br />

..§Fr6, des I.O.M ou du M.R.P. A l'opposé, l'Union soudanaise, par ses hommes, vient<br />

d'une école politique bien différente: celle du R.D.A qui a longtemps épousé, les<br />

formes d'organisation et de mobilisation du PCF. Depuis de nombreuses années, elle a<br />

engagé un combat conséquent contre la domination coloniale. Cette formation<br />

territoriale a souvent pris position contre la direction Houphouët du mouvement,<br />

particulièrement lors du désapparentement.<br />

Mais, si Soudanais et Sénégalais se sont néanmoins retrouvés, c'est que le<br />

contexte politique d'ensemble de l'AOF, en proie à des mutations politiques et<br />

syndicales très rapides surtout depuis l'année 1956, date de la Loi-Cadre, s'y prêtait. Les<br />

Soudanais du R.D.A ont eu maille à partir avec Houphouët leader du mouvement<br />

99


interterritorial. Les Sénégalais en veulent particulièrement à Houphouët qu'ils<br />

considérent comme la cause même de la balkanisation de l'AüF. La rupture de la<br />

Fédération du Mali s'explique aussi, c'est le moins qu'on puisse dire, par des querelles<br />

de personne et des rivalités d'ambitions politiques: Senghor ne voulait pas s'effacer<br />

devant Modibo Keita et vice versa. Créée par le P.F.A, la Fédération eut une existence<br />

brève. L'absence de solidité du parti initiateur du projet et les ambitions personnelles, à<br />

quoi s'ajoutent les difficultés d'une telle entreprise précipitée à deux seulement, sont les<br />

raisons évidentes de l'echec du projet. L'oeuvre initiée par le P.F.A fut donc un echec<br />

parce que ce parti manquait d'unité idéologique et d'action conséquentes. Des intérêts<br />

extérieurs puissants n'ont certainement pas manqué aussi d'avoir agi dans le sens de la<br />

rupture du P.F.A et donc de sa fédération.<br />

10) Le R.P.F ( Rassemblement du Peuple Français).<br />

Cette étude des partis politiques a jusque-là suivi l'ordre chronologique. Si le<br />

R.P.F se place juste ici, c'est que, de par sa nature même, il nous a donné quelques<br />

embarras quant à sa position. Notre choix de le placer ici, se fonde sur sa nature. En<br />

effet, contrairement aux autres partis politiques, le R.P.F à Dakar, se présente comme<br />

un parti européen, transplanté simplement en terre africaine. Il est entièrement dirigé<br />

par des Européens qui en sont d'ailleurs les fondateurs. Cependant les Africains<br />

constituent la majorité des membres du parti mais n'y ont que la portion congrue aux<br />

postes de responsabilités. Ce sont ces caractéristiques qui font qu'il est placé seulement<br />

ici dans notre étude des partis politiques.<br />

Le R.P.F est fondé par le général de Gaulle à partir de son discours<br />

prononcé à Strasbourg le 7 avril 1947 105 . Il s'est résolu à fonder un parti dans le but de<br />

peser sur la vie politique française. Cela, à peine, un peu plus d'un an après avoir<br />

condamné sans appel les partis politiques existants pour lesquels il n'a exprimé que<br />

haine et mépris. Le 20 janvier 1946, devant ses ministres convoqués, d'urgence, un<br />

dimanche, au grand complet, il a annoncé son départ de la tête du gouvernement et<br />

justifié la chose en ces termes que lui même rapporte : «Le régime exclusif des partis a<br />

reparu. Je le réprouve, il me faut me retirer »106.<br />

Le 5 octobre 1947 à Vincennes, il prononce un discours dans lequel il<br />

reprend publiquement ses attaques contre le système des partis politiques "incapable" de<br />

faire face au danger : « Les petits partis qui cuisent leur petite soupe, au petit coin de leur<br />

feu »107. En créant le R.P.F, de Gaulle devient de fait un homme de parti, même s'il<br />

105. "Paris-Dakar" du 8 avril 1947.<br />

106. De Gaulle, Mémoires de guerre. T III. Le Salut 1954à 1959, p.302.<br />

107. Jean Pierre Rioux, La France de la Quatrième République. T l, Paris 1980, ardeur et necessité, p.l80.<br />

100


entend inscrire sa démarche dans un sens opposé opposé à celui des autres partis qu'il<br />

dénonce.<br />

Dès le mois d'avril 1947, à Dakar, une section du RP.F est créée "autour du<br />

premier résistant" de France, ce qui prouve que son appel trouve ici, un écho. Un<br />

bureau provisoire que dirige Robert Lattes, est chargé de la mise en place des structures<br />

qui se développent rapidement dans plusieurs grandes villes du Sénégal comme Saint­<br />

louis, Thiès, Kaolak, Mbour, Diourbel etc... Le rapide développement du parti, surtout à<br />

Dakar, se marque par l'implantation de comités de nombreux points de la capitale<br />

fédérale. Les quartiers de Dakar-ville, de Colobane, de Fith-Mith, Khayes-Findiou,<br />

Thiaroye, Grand Dakar etc... mettent sur pied des comités du RP.F 1 08. Le nombre des<br />

inscrits atteint, dans la ville de Dakar le chiffre de 800 dès la date du 30 mai 1947. A la<br />

fin de cette même année, 3057 Européens et 2041 Africains y militent. Les effectifs sont<br />

au nombre de 6.200 dès le mois de février 1949 109 . Le RP.F publie un bulletin intérieur<br />

intitulé "L'Eclair" ayant son siège 85, rue Blanchot à Dakar et distribue aussi<br />

"L'Etincelle", l'organe national du parti, imprimé à Dakar par la G.I.A (Grande<br />

Imprimerie Africaine) sur la base des plans envoyés de Paris.<br />

Le rapide développement du R.P.F dans lequel beaucoup de résistants se<br />

sont regroupés, se heurte très vite à des difficultés liées à son fonctionnement et à des<br />

rivalités de personnes. D'abord la question des relations raciales qui surgit dans la<br />

nouvelle formation. C'est que, pour l'essentiel, les directions territoriales et locales sont<br />

presque entièrement occupées par les Européens; or, ceux-ci sont minoritaires sur<br />

l'ensemble des inscrits. Cette situation donne aux Africains, l'impression qu'ils ne<br />

constituent qu'un simple élément d'appoint. La constitution de la liste électorale du<br />

RP.F pour l'Assemblée Territoriale du Sénégal qui réserve toutes les places<br />

importantes aux Européens vient conforter cette impression. Les Africains réclament,<br />

haut et fort, un fonctionnement démocratique du parti dans lequel ils militent de leur<br />

propre gré. A ce mécontentement là, s'ajoute le fait que la direction constituée avant<br />

tout d'Européens, passe, à la suite de longs et nombreux contacts, alliance avec le B.D.S<br />

de Senghor. L'accord entre les deux formations politiques porte sur la constitution d'une<br />

liste commune aux cantonales de 1952. Les Africains sont fort mécontents de n'avoir été<br />

ni consultés ni même informés.<br />

A ces conflits raciaux, se superposent des conflits de personnes entre<br />

Européens qui rendent difficile le fonctionnement interne du R.P.F au Sénégal. Ces<br />

conflits multiples ont pris une dimension telle que le mouvement politique perd de son<br />

influence. A titre d'exemple de conflits, notons celui qui oppose Robert Lattes à<br />

Lemoine pour la direction territoriale du mouvement, puis celui qui existe entre<br />

Lemoine et Rogier pour la même raison. Ces conflits s'étalent publiquement et la<br />

108. Robert Bourgi, Le Général de Gaulle et l'Afrique noire, op. cit., p.163.<br />

109. Idem, P.211 et suivantes.<br />

101


direction nationale du R.P.F de Paris doit intervenir à diverses reprises pour les arbitrer,<br />

faute de solutions locales. Ceci fait même écrire à Maurice Voisin, rédacteur en chef des<br />

Echos d'Afrique Noire: « Soyez sérieux messieurs du RP.F »110 car le rédacteur craint le<br />

mauvais effet sur les indigènes de ces rivalités entre Européens.<br />

Ces rivalités et conflits de personnes entre Européens hauts responsables du<br />

R.P.F aboutissent même à une véritable rupture dans le parti gaulliste. En effet,<br />

mécontent d'avoir été désavoué par la direction parisienne, Robert Lattes dépose, le 12<br />

juillet 1948, les statuts d'une autre association avec ses activités propres. Pour lui, les<br />

dirigeants parisiens ignorent tout du contexte local et leurs interventions, dans ces<br />

conditions, ne peuvent être qu'intempestives; ce qui l'amène à créer son "Union gaulliste<br />

africaine".<br />

Dès lors, dans le camp gaulliste, la situation se complique puisque le R.P.F<br />

continue à mener ses activités politiques à côté de l'Union gaulliste africaine qui, elle<br />

aussi, s'active. Et, chaque formation se réclame de l'Homme du 18 juin. L'Union<br />

gaulliste africaine affiche notoirement sa dépendance directe à l'égard du "Premier<br />

Résistant de France" sans intermédiaire de l'appareil parisien. Mais elle n'a été qu'une<br />

simple manifestation de mauvaise humeur dans la mesure où son influence reste<br />

presque nulle à Dakar. Quant au R.P.F, au niveau territorial, il s'était fait l'allié du parti<br />

de Senghor, après avoir dans une certaine mesure, activé sa démission de la SFIO mais<br />

sans réussir à en faire un militant.<br />

L'alliance R.P.F-B.D.S a été bénéfique à Senghor car la validation de son<br />

mandat de député du Sénégal en 1951,est dû, pour une bonne part, au comportement du<br />

parti gaulliste à son égard lorsque le lOème bureau de l'assemblée nationale doit<br />

trancher la question à la suite de la contestation du résultat électoral par la SFIO.<br />

L'alliance est aussi bénéfique au R.P.F car Senghor, en constituant la liste électorale de<br />

l'Union entre les deux formations, permet aux représentants locaux du gaullisme, de se<br />

faire élire. D'autre part, le R.P.F et le B.D.S ont ensemble et massivement fait<br />

campagne contre la réelection de la liste SFIO conduite par Lamine Guéye à la tête de<br />

la Municipalité de Dakar. Aux municipales d'avril 1953, dans la capitale fédérale une<br />

liste commune R.P.F-B.D.S se constitue mais elle est largement battue.<br />

Le R.P.F, par son mode de fonctionnement qui en fait un parti dirigé quasi­<br />

exclusivement par des Européens, manque d'audience effective à Dakar, surtout lorsque<br />

les Africains, mécontents de la présence et la prééminence totale des Européens,<br />

quittent massivement le parti gaulliste dans les années 1952-1953.<br />

La notoriété du Général de Gaulle n'a pas suffi, à elle seule, à l'asseoir<br />

solidement à Dakar. C'est que la domination des Européens sur ce parti lui donne, plus<br />

ou moins distinctement l'impression, politiquement, d'être le véhicule du colonialisme.<br />

110. "Echos" du 22 juin 1948.<br />

102


Pourtant, malgré cette volonté délibérée de vouloir donner un caractère<br />

politique à ces grèves l'administration ne peut pas occulter leur cause réelle. Le rapport<br />

de 1947 écrit: « Tous les syndicalistes du secteur privé comme du secteur administratif ont<br />

fait preuve d'une grande activité résultant de difficultés matérielles inhérentes à<br />

l'accroissement continu du coût de la vie... Le second problème est le réajustement des<br />

soldes et salaires eu égard à la cherté de la vie »7. Les grèves de 1948 et 1949 restent<br />

nombreuses et sont légalement suivies par les travailleurs. L'administration leur trouve<br />

une autre raison: c'est la revendication d'un code du travail qui garantirait le principe<br />

de l'égalité des salaires, de la sécurité sociale et des allocations familiales. A ces diverses<br />

causes, il faut ajouter l'arbitraire patronal qui apparait nettement à travers la grève de<br />

l'huilerie Lesieur de Dakar. Dans cette importante unité industrielle de Dakar, une<br />

grève éclate le 11 février 1949 parce que l'ouvrier Dieng Mbaye est licencié par sa<br />

direction. Immédiatement, les ouvriers africains arrêtent le travail par solidarité avec<br />

l'ouvrier licencié. Cet arrêt immédiat de travail devient vite une véritable grève.<br />

Diverses tentatives de réconciliation entre la direction et les 280 ouvriers grévistes se<br />

soldent par un échec, chaque camp campant solidement.§Y.e.ses positions 8 .<br />

Une décision surarbitrale intervient donnant entièrement raison à la<br />

direction qui a licencié tous les grévistes dès le début de leur action. Elle n'est pas plus<br />

heureuse pour régler la situation. La justice dakaroise, elle aussi, saisie de la question<br />

donne raison à la direction de Lesieur, rejetant même la demande de réembauchage du<br />

personnel. L'agitation se développe très rapidement dans l'ensemble des industries<br />

dakaroises. Devant les mesures de la direction de l'entreprise Lesieur qu'elle juge<br />

arbitraires et délibérées, l'intersyndicale lance un appel à la grève générale auquel<br />

répondent 5 à 6.000 ouvriers de la capitale. A cause de la paralysie de l'ensemble des<br />

activités de ce secteur, et surtout par crainte de généralisation, la direction de Lesieur<br />

cherche une solution de compromis. Elle y est obligée par la détermination de ses<br />

employés soutenus par les autres travailleurs.<br />

Une autre grève déclenchée contre l'arbitraire patronal a lieu dans<br />

l'enseignement le 7 mars 1949. Elle est organisée par le syndicat du cadre unique de<br />

l'enseignement. Ce mouvement de grève est une protestation contre l'expulsion de la<br />

Fédération du professeur Jean Suret Canale. Quatre vingt des quatre vingt sept<br />

membres du personnel enseignant africain de la Délégation suivent le mot d'ordre de<br />

grève 9 .<br />

7. Affaires politiques AOF, ANS, Dakar, 2G 47-29.<br />

8. Aff polit AOF, Service police et sûreté, rapport 2G 49-123, 1949 1er trimestre.<br />

9. Rapport politique annuel 1949, Délégation, 2G 49-123, Service police et sûreté.<br />

106


Toutes ces raisons se retrouvent dans les causes de la longue grève des<br />

cheminots africains d'octobre 1947 à mars 1949 dont Dakar fut l'un des théâtres<br />

principaux.<br />

En somme, dans la période de l'immédiat après guerre, et jusqu'en 1949, les<br />

grèves furent nombreuses à Dakar. Elles traduisent un niveau d'organisation élevé et<br />

une prise de conscience aiguë des travailleurs devant l'exploitation et l'arbitraire<br />

patronal privé comme administratif. Les grèves sont multiples et manifestent la volonté<br />

des travailleurs salariés de défendre plus fortement leurs intérêts. Les grèves des années<br />

1950-1954 traduisent davantage encore cette détermination dans la lutte syndicale<br />

autour de l'enjeu que fut le code du travail. C'est elle qui explique, par la suite, la<br />

recherche d'unité dans le mouvement syndical pour une plus grande efficacité dans<br />

l'action.<br />

Il LE MONDE SYNDICAL ET SES MODES D'ORGANISATION.<br />

Pendant l'entre-guerre, les syndicats, à Dakar, sont constitués par les<br />

Européens même si quelques Africains peuvent y adhérer.<br />

La seconde guerre mondiale terminée, le mode d'organisation des syndicats<br />

épouse, dans l'immédiat, des contours d'unité mais ce n'est que pour une brève période.<br />

En réalité avant même la fin du conflit mondial, les travailleurs européens et les<br />

travailleurs indigènes agissent séparément, parfois même, sur des intérêts<br />

contradictoires. C'est ainsi qu'à la fin de l'année 1944, chez les dockers du port de Dakar<br />

tout comme chez les ouvriers du chantier de l'aéroport de Yoff, des grèves éclatent chez<br />

les ouvriers indigènes mécontents de leurs salaires dérisoires. Les intéressés insistent<br />

longuement sur la maigreur de leurs salaires par rapport à ceux de leurs homologues<br />

européens. Cette situation se développe dans plusieurs entreprises au point que le défilé<br />

du 1 er mai 1945 auquel les autorités coloniales veulent donner un cachet particulier en<br />

raison de la proximité de la victoire alliée, ne peut regrouper que deux cent travailleurs<br />

européens car les travailleurs indigènes de la ville refusent de participer à cette<br />

manifestation.<br />

Dans la période 1945-1960, il Ya pour l'essentiel un clivage. Les grèves sont<br />

surtout déclenchées par les travailleurs indigènes. Les Européens, par leurs grèves,<br />

défendent, eux aussi, des intérêts spécifiques. Tous ces intérêts sont non seulement<br />

spécifiques, mais très contradictoires. Les syndicats prennent donc une ligne de<br />

démarcation raciale : Africains d'un côté, Européens de l'autre. Dans cette période,<br />

cette forme d'organisation n'est pas caractéristique du seul domaine syndical. Elle existe<br />

aussi au plan politique et social même si l'on trouve des Européens dans la SFIO, dans<br />

le R.D.A et le B.D.S, exactement comme on trouve des Africains dans le R.P.F. Ainsi,<br />

lors de la grève des cheminots du RAN en 1947-1948, les travailleurs européens de la<br />

107


Régie s'organisent pour s'opposer à toute satisfaction des revendications des grévistes<br />

africains. Celles-ci leur apparaissaient comme une tentative de remise en cause des<br />

privilèges acquis, propres aux Européens. L'administration coloniale, en tant<br />

qu'employeur, trouve souvent intérêt, exactement comme le patronat privé, à ce que la<br />

division raciale se poursuive dans le domaine syndical car elle affaiblit les travailleurs,<br />

elle est donc une arme au service de l'employeur qui s'appuie sur les syndicats<br />

européens.<br />

Dans le rapport annuel de la Délégation de Dakar, plus précisément dans la<br />

synthèse du premier trimestre lO , c'est un véritable regret qu'exprime l'administration de<br />

la situation qu'elle appelle "lune de miel". Elle est inquiète des contacts suivis engagés<br />

entre syndicats européens et syndicats africains pour la recherche d'une certaine unité<br />

d'action. Aussi elle ne reste pas inactive; le rapport soumis à la réflexion des<br />

congressistes du SYNEP (Syndicat Unique de l'Enseignement Primaire) réunis du 21 au<br />

24 août 1950 à Saint-louis, évoque ses interventions: « Après le congrès de Dakar, les<br />

manoeuvres administratives furent tel/es que le personnel indigène et le personnel européen<br />

eurent des divergences de vue et se séparèrent. Ce n'est pas hasard que la méfiance s'est fait<br />

jour dans nos rangs et avec el/e, un mal que nous n'avons su combattre qu'en partie: le<br />

séparatisme ».<br />

Le syndicat des enseignants prend la situation très au sérieux. Le rapport dit:<br />

. «Malgré la répression qui sévit actuel/ement...l'intérêt de tous est de se côtoyer dans le même<br />

groupement. La décision ne sert que la cause de nos adversaires».<br />

Cette division raciale, le syndicat en perçoit largement les méfaits puisque<br />

dans sa partie "Analyse de la situation", le rapport continue : «L'opposition du<br />

gouvernement général aux revendications des fonctionnaires africains s'intégre dans la<br />

politique du gouvernement français» 11. Les enseignants du SYNEP ont donc une réelle<br />

conscience des difficultés d'organisation syndicale dans un contexte où l'administration<br />

coloniale et le patronat jouent la carte de la division raciale afin d'affaiblir le<br />

mouvement syndical. Dans ce sens, le rapport du SYNEP, tout en appelant à l'unité,<br />

dénonce également l'opportunisme et le favoritisme basés sur la coloration<br />

épidermique. Mieux, il réaffirme sa ferme volonté de combattre cette situation pour<br />

créer les meilleures conditions de défense de l'école par tous les intéressés, Européens<br />

comme Mricains.<br />

Pour mieux comprendre les manoeuvres de division dont il est question dans<br />

ce rapport, il faut faire un retour vers les années 1945-1950.<br />

En effet, en 1946, à Dakar, un cadre unique de l'enseignement est créé, il<br />

regroupe tous les enseignants: du moniteur auxiliaire au professeur agrégé, sans aucune<br />

distinction raciale. Ce groupement doit remédier à la faiblesse issue du fait que depuis<br />

10. Rapport annuel 1948, Délégation de Dakar, 2G 48-117, Aff polit AOF, ANS.<br />

11. "SYNEP-Lïaîson", Octobre-décembre 1950.<br />

108


1943, les syndicats se sont organisés racialement et par niveau. C'est ainsi qu'il existait<br />

un syndicat des commis expéditionnaires moniteurs, un syndicat des instituteurs des<br />

cadres secondaires, un autre des instituteurs etc... En 1948, tous ces syndicats africains se<br />

sont regroupés dans un ensemble unique, avec les syndicats européens: celui du<br />

personnel enseignant de la Délégation de Dakar. D'après les services de police et de<br />

sûreté de Dakar, l'unification résulte « de l'idée maintes fois émise par le professeur Jean<br />

Suret Canale pour la création de syndicats uniques basés sur le plan strictement corporatifet<br />

non sur des considérations d'ordre racial ou de cadre »12. De fait, le professeur J.S. Canale<br />

est l'un des principaux artisans de l'unité syndicale à Dakar pendant cette première<br />

période.<br />

En effet, les employés européens se sont organisés en syndicats séparés<br />

pendant la période immédiate d'après-guerre. Ainsi, dans les industries et bâtiments, un<br />

syndicat a été mis en place sous la direction de Pierre Chevalier. Les employés<br />

européens du commerce sont regroupés dans un autre syndicat avec Georges Boudin<br />

comme secrétaire général. Ceux de l'administration s'organisent en divers syndicats<br />

respectivement dirigés par Charles Brun et Pierre Bouvier. Quant à Jean Suret Canale,<br />

il dirige le syndicat des enseignants européens, dès son arrivée à Dakar en 1946. Cette<br />

organisation des travailleurs en une multitude de syndicats raciaux et par niveau<br />

n'empêche pas une certaine coopération. Jusqu'en 1947, ils se retrouvent tous dans un<br />

cadre plus vaste, sous une forme confédérée, dans la centrale CGT. C'est le cas de<br />

l'Union des syndicats de la circonscription de Dakar et dépendances qui regroupe les<br />

syndicats africains, dix au total.<br />

Cette union est dirigée par le vieux syndicaliste Maguette Codou Sarr qu'un<br />

rapport de l'inspection du travail en 1946 qualifie de "pondéré et conciliant". Dès la fin<br />

de 1945; il est remplacé à la tête de cette union par Amadou Lamine Diallo. Pour cette<br />

même source, ce dernier « est plus soucieux de faire de la politique que du syndicalisme<br />

»13. Il est secondé par Pape Jean Kâ dirigeant du syndicat des employés de commerce et<br />

de l'industrie que l'inspecteur du travail qualifie ainsi: «Actif, intelligent et intègre mais<br />

qui ne nous aime guère ». On note aussi parmi les responsables de cette union, Abbas<br />

Guèye14 qui passe, aux yeux de l'administration « comme une grande figure qui mène une<br />

politique de revendications qui contribue à maintenir tous les salariés en état d'alerte ». Cet<br />

homme remplace à la tête de son syndicat ouvrier, Théophile Mbaye que les ouvriers<br />

jugent trop modéré et presque inactif. Cette grande union des syndicats confédérés est<br />

un véritable état-major syndical propre à harmoniser les revendications pour mieux<br />

assurer la défense des intérêts des travailleurs de la capitale fédérale.<br />

12. Rapport 2G 48-117, Délégation de Dakar, 1948, Aff polit AOF, ANS Dakar.<br />

13. Délégation de Dakar, 1946, Rapport inspecteur du travail, 2G 45-46, Aff polit AOF, ANS, Dakar.<br />

14. Fut député du Sénégal de 1951 à 1956.<br />

109


Au niveau du Sénégal-Mauritanie, d'autres organisations syndicales et unions<br />

existent également. Tout comme au niveau de chacun des territoires. Les deux unions de<br />

syndicats (africain et européen) regroupées dans cette forme de confédération, sont<br />

dirigées par un collège de deux secrétaires généraux confédérés en l'occurrence les deux<br />

chefs de file des Africains et des Européens c'est à dire Amadou Lamine Diallo et<br />

Pierre Bouvier. Cette union se dénomme "CGT-AOF'.<br />

Face aux employés et ouvriers qui s'organisent ainsi dans la capitale fédérale<br />

et dans toute la fédération, apparaissent également, des organisations syndicales<br />

patronales. Monique Lakroum écrit à ce sujet: « Sur la pression des pouvoirs publics, les<br />

organisations professionnelles s'unifièrent et mirent en place:<br />

- le SCIMPEX: ( Syndicat des commerçants importateurs et exportateurs) au<br />

sein duquel les intérêts des groupes marseillais et bordelais étaient prédominants,<br />

- /,UNISYNDI : (Union des syndicats industriels) où les mêmes intérêts<br />

marseillais et bordelais cohabitaient avec ceux des groupes lyonnais»15.<br />

En somme, la situation d'ensemble à Dakar se présentait de la manière<br />

suivante, au plan organisationnel côté travailleurs et côté employeurs:<br />

- du côté patronal: deux unions: SCIMPEX et UNISYNDI, le tout groupant<br />

douze syndicats dans la fédération nationale du commerce ouest africain,<br />

- du côté des travailleurs: une seule union CGT comprenant cinq syndicats<br />

d'employés et ouvriers européens et dix syndicats d'employés et ouvriers africains.<br />

En somme, une situation simple mais complexe à la fois dans le domaine de<br />

l'organisation. La situation est simple dans la mesure où l'union présente pour chaque<br />

groupe, une force réelle qui rend possible une certaine coordination. La complexité de<br />

la situation réside dans ce que les bases d'un certain affrontement sont mises en place<br />

par le fait que chaque camp s'organise pour se renforcer et peser plus solidement.<br />

Pour marquer son influence sur le monde syndical dakarois, la CGT organise,<br />

en avril 1947, une grande conférence à Dakar. Celle-ci regroupe dans un premier temps,<br />

c'est à dire le 8 avril, les syndicats de Dakar et du Sénégal-Mauritanie et dans un second<br />

temps, tous les représentants des syndicats CGT d'AOF dès le 9 avril 16 . Cette initiative<br />

de la CGT est un moment fort dans la phase d'organisation des syndicats de travailleurs<br />

en AOF, et dans ce contexte global de la politique métropolitaine de reconstruction. Ses<br />

principaux objectifs consistent à permettre aux travailleurs, de dresser ensemble, et pour<br />

la première fois la liste de leurs revendications et d'étudier les moyens qui doivent<br />

permettre d'obtenir satisfaction. La F.S.M qui prête main forte à cette initiative et est<br />

fortement représentée à cette conférence syndicale panafricaine. Cette conférence ne<br />

. passe pas inaperçue aux yeux du quotidien dakarois qui dès le lendemain, affirme<br />

qu'elle fera date dans l'histoire du syndicalisme en Afrique noire. "Paris-Dakar" place<br />

15. Monique Lakroum, Chemin de fer et réseaux d'affaires, p.387, 1983.<br />

16. Falilou Diallo, Histoire du Sénégal 1944-1948, 1983, p 74.


III LA REPRESENTATMTE DES SYNDICATS.<br />

Cette donnée ne peut être appréciée à sa juste valeur qu'au regard du<br />

nombre de travailleurs salariés.<br />

Dans le cadre de cette recherche, les éléments de référence ne sont pas<br />

toujours en rapport direct avec Dakar mais ils n'en demeurent pas moins intéressants.<br />

En 1945, un rapport de l'administration donne les chiffres suivants sur la<br />

main d'oeuvre dans la capitale:<br />

- Européens: 1.080<br />

- Indigènes: 40.505<br />

Le rapport est rédigé par l'inspection du travail. Il donne pour les Européens<br />

943 ouvriers spécialisés ou employés sur les 1.080 recensés soit près de 90 % d'entre eux.<br />

Par contre, chez les indigènes, il y'a 7.463 ouvriers spécialisés et employés soit seulement<br />

17 % dans ces niveaux élevés. Tous les autres, c'est à dire 33.042, sont des manoeuvres<br />

sans qualification aucune dans leur emploi. Ils représentent près de 75 % des<br />

travailleurs indigènes à Dakar 25 .<br />

Tableau de la Fonction Publique d'AOF de 1955.<br />

Cadres % Européens % Africains<br />

Supérieurs 77,5 22,5<br />

Secondaires 70,9 29,1<br />

Subalternes 0,1 99,9<br />

Dans la fonction publique d'AOF, dans un rapport datant de 1955, on<br />

retrouve ces chiffres qui donnent une idée du niveau de qualification dans l'emploi selon<br />

que le travailleur est européen ou indigène. Les Africains représentent 22,5 % des<br />

cadres généraux à l'échelon supérieur de cette fonction publique locale. Ils sont 70,9 %<br />

des cadres secondaires à l'échelon intermédiaire. En chiffres absolus, on trouve 6.219<br />

Africains contre 8.773 Européens. Au niveau le plus bas de la hiérarchie, à l'échelon des<br />

cadres locaux, on trouve 99,9 % d'Africains; soit la quasi-totalité 26 .<br />

Dans l'armée d'AOF, également, les emplois occupés par les indigènes ne<br />

sont que des emplois subalternes. En effet, en 1955, il n'y a que 13 officiers autochtones<br />

contre 1.570 Européens 27 soit moins de 1/100.<br />

25. Rapport 2G 45-46 de la circonscription, Inspection du travail.<br />

26. R. de Benoist, Op. Cit., p. 275.<br />

27:"Afrique nouvelle" du 24 février 1954.<br />

115


TABLEAU DE LA REPARTITION DES EFFECTIFS SYNDICAUX ET<br />

SALARIES EN AOF EN 1956 (secteur public et privé)38.<br />

TERRITOIRES SALARIES SYNDIQUES %<br />

Mauritanie 4.800 1425 30<br />

Sénégal 100.300 62.600 62<br />

Soudan 41.700 17.500 42<br />

Guinée 109.400 46.000 42<br />

Côte d'Ivoire 171.000 20.000 12<br />

Haute Volta 25.500 6500 27<br />

Niger 13.735 3500 26<br />

Dahomey 22.025 18.575 83<br />

Togo 20.000 7.200 36<br />

TOTAUX 507.510 183.300 36<br />

38. Juliette Fausther, aspects du syndicalisme en Afrique noire, 1981, p.62 et Marchés tropicaux, n0645 du 22 mars 19<br />

119


TABLEAU DE LA REPRESENTATIVITE SYNDICALE EN AOF EN<br />

1956 (secteur public et privé)39<br />

Territoires Autonomes CGT CcrA CATC FO<br />

Mauritanie - 9% 39% 24 % 28%<br />

Sénégal 12 % 44% 26% 7% 11%<br />

Soudan - 83 % - 3% 14 %<br />

Guinée 6% 2% 84% 7% 1%<br />

Cte Ivoire 22% 47% 2% 25 % 4%<br />

Hte Volta 24 % 3% 32% 15 % 26%<br />

Niger 9% 40% 37% 4% 10%<br />

Dahomey 27% 33 % - 38 % 2%<br />

Togo 72% - - 28% -<br />

Ces tableaux nous indiquent que le Sénégal et le Dahomey arrivent<br />

largement en tête pour le pourcentage des syndiqués avec 62 % et 83 % par contre ce<br />

taux est le plus faible en Côte d'Ivoire avec seulement 12 % alors que par le nombre de<br />

travailleurs, la Côte d'Ivoire et la Guinée détiennent les plus gros effectifs avec 171.000<br />

et 109.400 salariés. Le Sénégal occupe le 3eme rang avec 100.300.<br />

La CGT arrive au 1er rang des effectifs syndiqués avec 33 % et la CGTA au<br />

2eme avec 32 %. Par contre, les autonomes, la CATC et F.O ont des effectifs trés<br />

réduits avec 14,5 %, 13 et 7,5 % respectivement. Pour les deux principales centrales,<br />

CGT et CGTA, on note la faiblesse particulière de la première en Guinée et en Haute<br />

Volta (2% et 3 %) alors qu'elle syndique les 83 % au Soudan, les 47 % en Côte d'Ivoire<br />

et 44 % au Sénégal. Par contre la CGT- A est très fortement représentée en Guinée, au<br />

Niger et en Haute Volta. Des considérations politico-syndicales expliquent, pour<br />

l'essentiel, cette situation.<br />

Au niveau du Sénégal, en 1956, on dénombre sur une population totale de<br />

2.269.000 habitants, l'effectif de travailleurs suivant: 101.110 dont 73.327 pour le secteur<br />

privé soit 66.951 Africains et 6.376 Européens dans ce secteur. Ces travailleurs se<br />

répartissent en 6449 entreprises publiques et privées de taille diverse.<br />

39. Ibidem.<br />

120-


que « la proportion relativement importante d'enseignants français n'est pas pour étonner si<br />

l'on tient compte du fait que le stage s'adressait à des Afn'cains de langue française »41.<br />

Cette formation met l'accent sur des éléments théoriques mais aussi pratiques. Ces<br />

derniers consistent, selon l'administration, à apprendre « comment rédiger une affiche<br />

appelant les travailleurs de l'entreprise à une assemblée générale afin de décider d'un<br />

mouvement revendicatif, comment rédiger un tract appelant les travailleurs à la grève,<br />

comment confectionner et rédiger un journal d'entreprise... ». Ce stage, dirigé par un<br />

collectif de sept membres sous la responsabilité du présidium du Conseil Central des<br />

syndicats hongrois et de la ES.M, est sous la responsabilité directe de Seydou Diallo<br />

vice président de la ES.M, chef du groupe d'études de ce stage. Sur les 38 stagiaires,<br />

l'administration dakaroise a identifié, par ses renseignements généraux, 27 des<br />

participants dont le Sénégalais Mawade Wade, instituteur 42 . Le stage comporte aussi<br />

d'autres volets comme des visites de réalisations économiques, des rencontres avec des<br />

responsables hongrois de la sécurité sociale, des milieux de jeunesse etc... Toujours en<br />

1959, un autre rapport de l'administration note qu'une école de formation a été créée à<br />

Brazzaville et qu'elle est ouverte aux délégués syndicaux d'AüF dont 18 ont pris part à<br />

la formation. Ce stage est également organisé par la F.S.M et la CGT métropolitaine.<br />

En dehors des stages à l'étranger, très souvent c'est sur place même, en AüF et<br />

principalement à Dakar, que des stages sont organisés. En avril 1947, par exemple, un<br />

stage y est fait pour les délégués CGT de toute l'Afrique noire française.<br />

Ces stages de formation sont, pour la plupart, organisés et financés, soit par<br />

la centrale métropolitaine, soit par la ES.M ou d'autres branches d'activités spécifiques.<br />

Même les billets de déplacements des participants sont pris en charge, car les syndicats<br />

d'AüFjTogo sont, en régIe générale, pauvres, au point de vue financier et matériel dans<br />

la mesure où les militants et sympathisants sont eux-mêmes assez pauvres en raison des<br />

salaires très bas qu'ils reçoivent.<br />

Bien entendu, les relations extérieures des syndicats ne sont pas vues d'un<br />

bon oeil par l'administration coloniale qui surveille tous les déplacements et ne manque<br />

aucune occasion de les rendre difficiles, si elle ne peut les interdire. C'est ainsi, que la<br />

délivrance des passeports reste, pour elle, un moyen privilégié d'intervention. Sur cette<br />

question, la bataille des organisations syndicales d'AüF, plus précisément de la CGT et<br />

des organisations syndicales autonomes, est permanente durant toute la période. C'est<br />

dans ce cadre que Amadou Ndao, instituteur, responsable syndical du S.U.E.L (Syndicat<br />

unique de l'enseignement laïc) envoie une lettre au chef de cabinet du ministre de la<br />

santé publique et de la population à Paris 43 , en décembre 1957. Dans cette missive,<br />

nous lisons: «Je vous signale par ailleurs que le comité de coordination des enseignants<br />

41. Affaires politiques AOF, ANSOM, carton 2230, dos 2.<br />

42. Il est actuellement haut dirigeant des milieux sportifs sénégalais et de la CAF (Confédération africaine de foot t<br />

43. F. H. Boigny à l'époque.<br />

122


d'ADF et le Conseil de la jeunesse m'avaient donné mandat, depuis août 1957, pour<br />

intelVenir auprès de toutes les personnalités et organisations susceptibles de faire lever le<br />

régime de restriction et de discrimination sur la délivrance des passeports »44. Une autre<br />

lettre de l'intéressé est adressée, toujours sur la même question, aux dirigeants des partis<br />

politiques et à diverses personnalités civiles et réligieuses. Dans cette lettre, le secrétaire<br />

général chargé de la propagande au Conseil de la jeunesse du Sénégal écrit: «Je vous<br />

prie de m'indiquer les démarches faites ..Avant le 26 décembre, période à laquelle le<br />

Conseil de la jeunesse du Sénégal et le syndicat de l'enseignement auront certainement à<br />

entendre des rapports sur la question des passeports, consécutive au problème des libertés<br />

démocratiques »45.<br />

Les multiples interdictions de publications syndicales en provenance de la<br />

FSM sont une autre manifestation concréte de la volonté de l'administration de rendre<br />

difficiles, sinon impossibles, les relations extérieures des organisations syndicales qu'elle<br />

ne contrôle pas. C'est ainsi que, par exemple, les services de police et de sûreté de<br />

Dakar signalent, avoir saisi dans le troisième trimestre de 1953, neuf envois de journaux<br />

et autres matériels de propagande en provenance de la F.S.M et qui sont destinés aux<br />

syndicats CGT de la capitale fédérale 46 . Durant toute la période de 1952 à 1953, les<br />

rapports de police et de sûreté signalent, avec force et détails, les multiples saisies<br />

opérées. Elles ne concernent pas seulement des journaux et matériels de propagande en<br />

provenance de la F.S.M. Divers journaux des pays du bloc de l'EST sont signalés dans<br />

ces rapports. Il y a même des saisies sur des journaux en provenance de pays arabes,<br />

comme l'Egypte ou le Liban, considérés comme proches du camp communiste. Ces<br />

saisies se fondent, pour les services de police et de sûreté, sur l'arrêté du gouverneur<br />

général de 1951. Mais, divers organes de presse saisis ne sont pas, de manière explicite,<br />

cités dans cet arrêté. Ce qui offre à la police dakaroise, une liberté d'interprétation de<br />

l'arrêté, selon les opportunités.<br />

Pourquoi donc l'administration dakaroise s'acharne t-elle à rendre difficiles,<br />

sinon impossibles les relations des organisations syndicales locales avec celles des pays<br />

et organisations du camp communiste ? Une réponse à cette question se trouve dans<br />

l'un des rapports de l'administration coloniale: « Les masses endoctrinées et nous pouvons<br />

faire, sur ce point, confiance aux Guéye Djibril et Latyr Camara, dûment dressés au delà du<br />

rideau de fer...Et il leur est facile, ces leaders marxistes, de dresser les travailleurs contre les<br />

pouvoirs publics et le patronat »47. Ces dirigeants syndicaux nommément cités ici sont de<br />

hauts responsables CGT de Dakar. Dans une autre synthèse, quelques mois plus tard,<br />

des dirigeants syndicaux CGT dakarois sont présentés, par le gouverneur, chef de la<br />

44. Archives personnelles de A. Ndéné Ndao, Dakar.<br />

45. "Jeunesse liaison", 4 eme trimestre 1957.<br />

46. Aff polit AOF, ANSOM, carton 2230, Dos 4, rapport de police et de sûreté, 2eme trimestre 1953..<br />

47. Aff polit ANS, Délégation de Dakar, Rapport du 1 er trimestre 1953.<br />

123


Délégation comme « Les fidèles exécutants des consignes marxistes, cultivant l'agitation<br />

sociale dans la fédération ». Pour l'administration, les actions hors de l'Union française,<br />

menées par les syndicats dakarois, sont un danger dès lors qu'elles sont tournées vers les<br />

pays du camp communiste. Ce danger vise le système colonial représenté par<br />

l'administration locale mais aussi le patronat tant du secteur privé que du secteur public<br />

représenté par l'administration à travers la fonction publique. Certains organes de la<br />

presse dakaroise se font fort d'appuyer cette action contre les relations des organisations<br />

syndicales locales et des pays de système communiste. C'est ainsi que "Paris-Dakar"48<br />

publie une lettre d'André Lafont, responsable des activités outre-mer de F.O à Paris.<br />

Selon la lettre, les Soviétiques, par l'intermédiaire du PCF et de la CGT ont fait<br />

parvenir 500 millions de Fr C.F.A aux responsables syndicaux d'Afrique noire pour<br />

développer l'activité syndicale dans la fédération. Cette affirmation vise à accréditer les<br />

thèses patronales et administratives dakaroises, selon lesquelles, la CGT en Afrique<br />

noire est téléguidée par le camp communiste mondial.<br />

Quant aux autres centrales syndicales comme la C.F.T.C et F.O, nos sources<br />

ne font état d'aucune entrave à leurs relations extérieures. Souvent même,<br />

l'administration dakaroise épaule largement ces organisations par les facilités accordées<br />

pour leurs déplacements à l'extérieur, ou même pour l'organisation d'écoles de<br />

formation, sur place. Il est vrai, que ces centrales syndicales en question sont affiliées à<br />

la C.I.S.L (Confédération internationale des syndicats libres), centrale internationale<br />

d'obédience américaine et mise en place pour faire contrepoids à la F.S.M detendance<br />

communiste, dans le contexte de la guerre froide. A cette époque, la politique extérieure<br />

de la métropole s'inscrit dans ce contexte global, selon les vues américaines, sur les<br />

questions tant politiques que syndicales, à cette époque.<br />

Les relations extérieures de la CGT-AüF/Togo, mal vues par<br />

l'administration et le patronat dakarois, ont parfois aussi des répercussions négatives sur<br />

le fonctionnement même de la centrale. La division syndicale intervenue après la tenue<br />

du comité de coordination de la CGT à Conakry en début 1956, s'explique, dans une<br />

certaine mesure, par la conception même de ces relations extérieures. En effet, pour la<br />

tendance CGT-A animée par Sékou Touré, il faut se désaffilier de la CGT<br />

métropolitaine et de la F.S.M. Est ce seulement par nationalisme ou par suite de<br />

pressions plus ou moins directes de ceux qui acceptent mal ces relations? Il est difficile<br />

de répondre d'un bloc.<br />

En somme, le mouvement syndical dakarois est un groupe de pression<br />

puissant dans la mesure où son organisation est solide et bien structurée. Cependant, il<br />

est en bute à l'opposition de groupes de pression contraires, eux aussi solidement<br />

48. Du 7 septembre 19<br />

124


L'objectif visé par cette initiative est d'offrir à toute la jeunesse organisée du territoire<br />

up. véritable creuset pour accroître la prise de conscience dans un cadre unitaire plus<br />

large et plus diversifiée. A cette initiative participe également le scoutisme laïc c'est à<br />

dire le mouvement des éclaireurs qui apporte aussi son poids et son expérience; ils sont<br />

d'ordre international par suite de sa participation aux jamborees qui rassemblent<br />

périodiquement des mouvements de jeunes de divers pays du monde et sont des<br />

occasions de larges échanges de vues, d'informations et de contacts.<br />

Cette initiative, venue de divers milieux particulièrement de l'église<br />

catholique aboutit, en 1950 et à Dakar, à la création du Conseil de la Jeunesse du<br />

Sénégal (C.J.S).<br />

La W.A.Y (World Assembly of Yo4h) a fortement conseillé la création de<br />

ce conseil. Les principales composantes du C.J.S sont:<br />

- le mouvement du "milieu" c'est à dire les associations et mouvements<br />

confessionnels catholiques comme:<br />

* la J.A.C : Jeunesse agricole catholique<br />

* la J.O.C : Jeunesse ouvrière catholique<br />

* la J.E.C : jeunesse étudiante catholique<br />

* la J.U.C : jeunesse universitaire catholique<br />

- le mouvement des éclaireurs<br />

- Les organisations de jeunesse des partis politiques:<br />

* la J.R.D.A: Jeunesse du R.D.A<br />

* le M.J.SFIO : Mouvement de la jeunesse de la SFIO<br />

* le M.J.B.D.S : Mouvement de la jeunesse du B.D.S<br />

- des associations culturelles comme les sociétés des spectacles, de danses et<br />

chants, de théâtre, la Jeunesse Léboue, le Cercle Artistique, le Cercle de la Jeunesse<br />

etc...<br />

- des organisations syndicales aussi.<br />

Ces associations qui se regroupent ainsi dans le c.J.S sont diverses dans la<br />

mesure où certaines ont une étendue territoriale comme celles des partis politiques, des<br />

syndicats, et celles de l'église catholique alors que d'autres n'existent qu'à Dakar ou dans<br />

quelques villes du Sénégal.<br />

Dès sa création, le C.J.S s'affilie à la W.A.Y en raison même de la nature des<br />

forces qui sont à l'origine de sa naissance: l'église et l'administration essentiellement.<br />

Mais dans les années 1951-1952, cette affiliation devient une question épineuse pour le<br />

Conseil et elle a des répercussions internationales. En effet, cette affiliation à la W.Ay<br />

est faite par l'intermédiaire d'une affiliation au Conseil de la Jeunesse de l'Union<br />

française (CJ.U.F). Cette dernière affiliation traduit une sorte d'echec d'un projet de<br />

création d'une fédération des jeunesses d'Afrique qui a été formé par certains milieux<br />

anticoloniaux locaux.<br />

127


Element affilié du C.J.U.F et de la W.AY, le Conseil de la Jeunesse du<br />

Sénégal, à l'exemple des autres conseils territoriaux de jeunesse d'AOF et d'AEF, est si<br />

actif que Dakar est désignée, deux ans après la création de ce Conseil, pour abriter les<br />

assises de la W.AY. C'est ainsi que l'assemblée générale de la W.AY se tient dans les<br />

locaux du lycée Van Vollenhoven du 3 au 13 août 1952. Le président du C.J.U.F,<br />

Antoine Lauvrence, est élu, au terme des travaux, vice-président de la W.A.Y. Cette<br />

assemblée générale de Dakar est préparée par une assemblée générale du C.J.U.F<br />

tenue à Saint-louis. Le quotidien dakarois couvre largement les travaux de Saint-louis<br />

mais aussi ceux de Dakar. Il exprime ainsi la satisfaction morale de tous ceux qui ont<br />

pris l'initiative de tenir des assises d'une telle importance sur le continent africain à<br />

Dakar, capitale de l'AOF. Cette ville prend ainsi le relais d'Ankara qui a abrité les<br />

assises précédentes.<br />

Mais depuis sa création en 1950 et son affiliation au C.J.U.F et à la W.A.Y, le<br />

C.J.S est marqué par le débat de fonds sur l'affiliation; ses répercussions sont<br />

importantes et la tenue de ces deux assemblées générales (du C.J.U.F et de la W.AY)<br />

en terre sénégalaise, en août 1952, lui donne une plus grande acuité.<br />

Abdoul Maham Bâ et Youssou Diop affirment que dès la fin de 1952, le<br />

congrès du c.J.S est marqué par une dissension intense car de nombreux délégués<br />

s'expriment ouvertement dans le sens de la désaffiliation.<br />

C'est l'existence, au niveau mondial, de deux organisations de regroupement<br />

de la jeunesse qui est au centre du débat.<br />

- la W.A.Y regroupant des organisations de jeunesse des pays du camp<br />

occidental dont le C.J.U.F. Cette organisation internationale de jeunesse est<br />

essentiellement d'obédience américaine dans ce contexte des années 50 marquées par la<br />

guerre froide.<br />

- La F.M.J.D : (fédération mondiale de la jeunesse démocratique). Elle<br />

regroupe les jeunesses des pays communistes et les organisations progressistes de<br />

certains pays capitalistes et de pays sous domination coloniale.<br />

1952 et 1953.<br />

W.A.Y ou F.M.J.D, est donc le débat qui agite sérieusement le C.J.S entre<br />

Lorsque du 18 au 28 août 1953, le C.J.U.F tient ses assises à Yaoundé au<br />

Cameroun, le Conseil de la Jeunesse du Sénégal est absent à ce congrès ainsi que celui<br />

du Soudan. La raison en est qu'entre les assises de Dakar en 1952 et celle de Yaoundé,<br />

le débat est pratiquement clos car le congrès du c.J.S a opté pour une désaffiliation<br />

totale tant à l'égard du C.J.U.F que de la W.AY.<br />

Le rapport moral présenté au congrès du C.J.S en novembre 1955, à Kaolack<br />

explique que cette désaffiliation va permettre au Conseil de s'ouvrir à tous les jeunes du<br />

Sénégal; il s'exprime en ces termes : « L'unique but et art de regrouper tous les jeunes car,<br />

en raison de cette situation de dépendance à l'égard du CJ. u.F, beaucoup d'associations


s'étaient tenues à l'égard du Conseil »2. Il montre, en données chiffrées, que la décision de<br />

désaffiliation est salutaire pour l'organisation. Alors que neuf associations seulement se<br />

retrouvent dans le Conseil en 1951, le 1 er congrès après la désaffiliation, celui de 1953,<br />

voit 40 organisations, devenir membres du CJ.S. Le congrès de Thiès, l'année suivante,<br />

compte 68 associations qui y envoyent des délégués. A celui de Kaolak, en 1955, 80<br />

associations sont présentes. Déjà, en 1954, le rapport présenté par le président Ali Bocar<br />

Kane se félicite de la progression remarquable. Prenant en considération cette<br />

progression devenue plus marquante aux assises de 1956, le rapporteur s'exprime ainsi:<br />

« Le congrès peut valablement parler au nom de toute la jeunesse du Sénégal ».<br />

y oussou Diop, secrétaire général du CJ.S pendant près d'une décennie,<br />

explique qu'à partir de 1955, la quasi totalité des associations de jeunesse du Sénégal se<br />

retrouvent dans le Conseil qui offre des avantages très importants en matière de<br />

contacts et d'échanges d'expériences.<br />

L'organisation du Conseil<br />

L'organisation du Conseil est simple dans l'ensemble. Ce sont les sections qui<br />

constituent l'organisation. Chaque section, organisation géographique correspondant au<br />

cercle (entité administrative), regroupe les diverses associations de son aire. Dans les<br />

sections, les associations gardent chacune leur autonomie propre. C'est ainsi que, le<br />

Progrès de Dakar tient le samedi 19 février 1955, son propre congrès, à son siège social,<br />

à la rue 6 dans la Médina. Le congrès du Conseil est annuel depuis sa création en 1950.<br />

C'est ainsi qu'en 1954, les assises se tiennent à Thiès, puis à Kaolak en 1955 et à<br />

Rufisque en 1956. Le congrès de 1957 se déroule à Rufisque et celui de 1958 à Dakar.<br />

Le souci de faire découvrir le pays aux jeunes s'explique par ces assises tournantes.<br />

Chaque congrès élit le Comité exécutif qui élit à son tour et en son sein un bureau<br />

éxécutif. Le comité éxécutif se compose de trente membres et le bureau de douze. Le<br />

congrès de Kaolak en 1955, porte à la présidence du Conseil, Abdoul Maham Bâ.<br />

y oussou Diop est confirmé au secrétariat général tandis que Alioune Badara Paye est<br />

élu aux relations extérieures et Adrien Senghor devient trésorier. Les membres cités<br />

sont tous de Dakar et ils occupent des postes-clef dans l'organe exécutif du C.J.S. On est<br />

tenté d'en déduire que c'est le poids de la section de Dakar au congrès qui explique<br />

cette situation. Mais, interrogé sur ce point, Youssou Diop est formel. Pour lui, ces choix<br />

n'ont rien à voir avec le poids spécifique de Dakar dans les mandats des délégués au<br />

congrès mais ce sont «Seulement les appréciations que se faisaient les différents délégués,<br />

sur tel ou tel individu, pour lui confier telle ou telle tâche. Aucunement à cause du poids de<br />

la capitale dans les votes ». On remarque également que les instances du Conseil de la<br />

2. "Jeunesse-liaison", NU spécial sur congrès de Kaolack, 1955.<br />

129


Jeunesse d'Afrique, en 1955, comptent surtout, elles aussi, des Dakarois : président,<br />

secrétaire général, secrétaire administratif, secrétaire aux relations extérieures et<br />

trésorier. Pour l'essentiel, ce sont les mêmes personnes qui déjà, sont responsables au<br />

bureau exécutif du Conseil de la Jeunesse du Sénégal.<br />

Peut être que la raison de ces choix n'est pas le poids électoral de Dakar dans<br />

les instances, mais incontestablement, cet aspect n'est pas négligeable en la<br />

circonstance.<br />

Bien sûr qu'il faut prendre en considération les immenses moyens dont<br />

dispose la ville de Dakar : ils facilitent le déploiement d'activités d'un Conseil, qu'il<br />

s'agisse de celui du Sénégal ou de celui d'Afrique: moyens de contacts, d'informations,<br />

de communications etc.,. sans oublier que Dakar est la capitale fédérale et que, pour<br />

cela, les autorités les plus importantes de la Fédération s'y trouvent.<br />

11/ LES RELATIONS DU CJ.s.<br />

1) avec l'administration coloniale.<br />

Pour l'essentiel, elles furent mauvaises durant toute la décennie.<br />

A travers la plate-forme revendicative soumise au Haussaire de Dakar lors<br />

de l'audience qu'il a accordée au C.J.S en juin 1955, nous retrouvons l'essentiel du<br />

contentieux.<br />

Cette plate forme s'articule en 7 points:<br />

* point 1 : le remplacement des centres culturels par des maisons de jeunes et<br />

de la culture.<br />

* point 2 : l'abrogation de l'arrêté de 1942 plaçant le service de la jeunesse<br />

sous la tutelle du bureau des affaires politiques et son rattachement au service de<br />

l'enseignement comme en France.<br />

* point 3 : création de deux centres fédéraux d'éducation populaire, l'un à<br />

Mbour au Sénégal, l'autre à Labé en Guinée.<br />

* point 4 : octroi de crédits suffisants pour la construction de la maison des<br />

jeunes et de la culture à Saint-louis.<br />

* point 5 : octroi de crédits suffisants au service de la jeunesse pour organiser<br />

des camps de colonies de vacances.<br />

* point 6 : délivrance de passeports pour nos délégués au festival de la<br />

jeunesse à Varsovie.<br />

* point 7 : autorisation de tenir le congrès fédéral de Bamako et envoi de<br />

jeunes en France pour un stage dans des maisons de jeunes et de la culture 3 ,<br />

3. Congrès du Cl.S, Rapport moral, Kaolack 1955.<br />

130


Dans toute cette plate-forme, deux points permettent d'expliquer tous les<br />

autres et partant, toutes les relations entre le Conseil et l'administration. Ce sont les<br />

points 1 et 6.<br />

a) : le point 1 : les centres culturels ou maisons de jeunes et de la culture?<br />

Il ne s'agit nullement d'une querelle de mots. C'est un débat de fond. De<br />

1953 à 1960, ce débat est l'une des principales pierres d'achoppement entre le C.J.S et<br />

l'administration. De quoi s'agit-il ?<br />

Le 14 mars 1953, Bernard Cornut Gentille, gouverneur général de l'AOF,<br />

signe la circulaire 159/ cab/AS qu'il adresse aux divers gouverneurs placés sous ses<br />

ordres. Le texte est important pour le Haussaire de Dakar car, en l'espace d'un an ,<br />

quatre fois de suite, il envoie à ses subordonnés des circulaires pour l'application de ce<br />

texte du 14 mars qui impose aux gouverneurs des territoires de construire, dans les<br />

principales villes, des lieux où élites africaines et européennes pouront se retrouver et<br />

échanger des vues et, par cette confrontation pacifique, mieux se connaître, s'apprécier<br />

et travailler davantage ensemble à la consolidation de l'oeuvre française en AOF. Ces<br />

lieux de rencontres sont appelés les centres culturels.<br />

Autant l'administration coloniale est favorable à ces centres culturels, autant<br />

le C.J.S leur était hostile. Le rapport du Conseil au congrès de Kaolack en 1955<br />

s'exprime en ces termes: « Le comité exécutif avait condamné le système...Malgré nos<br />

arlic1es, nos motions, nos pétitions, nos meetings et conférences, le service social avait fait la<br />

sourde oreille et développé partout au Sénégal et dans la fédération, les centres culturels ». A<br />

la place des centres culturels, le C.J.S demande des maisons de jeunes et de la culture.<br />

Quelle est donc la différence entre les deux ?<br />

Les centres culturels sont rapidement édifiés car en l'espace de deux ans, on<br />

en dénombre 117 à travers la fédération, ce qui prouve que d'importants moyens sont<br />

débloqués.<br />

L'une des quatre circulaires que le Haussaire consacre à la question, celle du<br />

23 février 1954, concerne leur fonctionnement même. Selon cette circulaire, ces centres<br />

dépendent directement du cabinet du gouverneur général au niveau fédéral et pour le<br />

territoire, la coordination est du ressort exclusif du gouverneur alors que les<br />

commandants de cercles sont responsables au niveau de leurs divisions administratives.<br />

Dans une autre circulaire, le Haussaire dakarois écrit: « Vous savez toute l'attention que<br />

je porte aux problèmes de la fonnation et du développement des élites autochtones.<br />

J'entends contribuer efficacement à leur épanouissement par l'appui solide que doivent


* Les maisons de jeunes et de la culture<br />

Cette forme d'organisation de la culture, au niveau des jeunes, est connue<br />

dans divers milieux, en AOF avant la deuxième guerre mondiale car elle existe en<br />

métropole et dans les premières années de l'après-guerre, l'église dakaroise prend<br />

diverses initiatives pour son développement au Sénégal.<br />

Youssou Diop dit : « Avant 1955, nous étions en relation avec une autre<br />

institution qui nous paraissait plus démocratique, et beaucoup plus adaptée aux besoins des<br />

jeunes: les maisons de jeunes dont le siège se trouvait à Neuilly à Paris, et avec lequel siège<br />

nous avions des relations suivies»8.<br />

D'après cet interlocuteur, une maison des jeunes et de la culture existe à<br />

Dakar dès 1948. Un formateur envoyé par le siège de l'institution de Paris, a permis de<br />

lancer des activités intéressantes. Un Sénégalais, Amadou Diop Sylla, son adjoint, part<br />

en formation en France pour être en mesure de prendre, par la suite, la direction de la<br />

maison des jeunes de Dakar. D'autres villes' du Sénégal comme Thiès et Kaolak se<br />

familiarisent, plus tard, avec l'expérience, après Saint-louis.<br />

Pourquoi ces maisons de jeunes et de la culture ont-elles donc les faveurs du<br />

Cl.S au détriment des centres culturels?<br />

Sur le plan organisationnel, ces maisons de jeunes ont des dirigeants élus par<br />

les jeunes eux mêmes à la différence de ceux des centres culturels qui sont désignés par<br />

les commandants de cercles auxquels ils sont tenus de rendre compte. Au contraire,<br />

dans les maisons de jeunes, les directions rendent des comptes aux assemblées qui les<br />

ont élues.<br />

La différence entre les deux formes de structure est donc énorme puisque<br />

c'est celui qui conçoit et contrôle en amont et en aval qui est le maître véritable; dans<br />

les centres culturels, c'est incontestablement l'administration et les jeunes n'y sont<br />

qu'objet. Par contre, dans les maisons de jeunes, les jeunes sont les exécutants de ce<br />

qu'ils ont décidé; ils sont donc les maîtres. C'est cette dernière situation que le Cl.S<br />

préfère et réclame.<br />

L'opposition entre les autorités administratives et le Cl.S sur cette question<br />

fondamentale explique que, pendant la période 1953-1958, les maisons de jeunes ne<br />

peuvent se développer au Sénégal, l'administration détentrice des moyens matériels et<br />

financiers donnant la priorité absolue à ses centres culturels. Ainsi pour Dakar, la<br />

maison des jeunes et de la culture attend longuement la fin de son édification, après le<br />

début des travaux. Les crédits nécessaires à son achèvement sont régulièrement reportés<br />

d'un budget à un autre 9 .<br />

8. Entretien du 24 janvier 1989 à Dakar.<br />

9. "Reveil" nO 9, Mars 1954.<br />

133


Cependant, après 1958, le gouvernement de la loi-cadre se prononce en<br />

faveur des maisons de jeunes et de la culture. Mais très vite, les nouvelles autorités se<br />

comportent comme l'administration coloniale et agissent par la caporalisation qui n'est<br />

pas davantage acceptée par le CJ.S.<br />

b) : Le point 6 de la plate-forme: la question des passeports.<br />

C'est un problème très important pour le CJ.S puisque, de 1950 à 1958, il est<br />

débattu à tous les congrès de l'organisation de jeunesse. Il en fut de même pour le<br />

Conseil de la Jeunesse d'Afrique. Hors d'AOF également, cette question fait l'objet de<br />

plusieurs démarches et interventions de la FEANF qui appuie la revendication du C.J.S<br />

et du CJ.A.<br />

Cette question des passeports pose un problème fondamental : celui de la<br />

liberté de déplacement des responsables de l'organisation hors des frontières de l'ADF.<br />

Elle est appréciée comme tel par la commission de réorganisation et du programme du<br />

4 ème congrès du c.J.S, tenu à Rufisque du 23 au 25 novembre 1956 : « Mais il est un<br />

problème qui revient chaque fois que nous voulons aller à l'étranger: c'est le problème des<br />

passeports. Il nous faut le résoudre une fois pour toutes. Il ne nous a causé que trop de mal<br />

»10. Pour faire face à cette situation, la commission propose au congrès qui l'adopte, une<br />

véritable stratégie par le lancement d'une vaste campagne d'opinion, en prenant acte: «<br />

de la carence de nos associations en matière de presse ». La résolution finale adoptée par<br />

le congrès à l'unanimité dit: «Le congrès, considérant la nécessité pour les jeunes de visiter<br />

des pays étrangers pour bénéficier de leur expérience et accélérer la fonnation des cadres<br />

aptes à diriger et à animer des mouvements de jeunesse.<br />

Considérant l'intérêt que les organisations internationales portent de plus en plus<br />

au C.IS à cause de sa représentativité<br />

Considérant l'impérieux devoir du Conseil de participer aux différentes instances<br />

de jeunes auxquelles il est invité<br />

Remarque avec indignation la discrimination qui joue dans l'octroi des<br />

passeports<br />

S'élève contre cette restriction des libertés démocratiques ».<br />

La campagne d'opinion que le Cl.S décide pendant ces assises, comprend<br />

une série d'actions concrètes, tels ce meeting et cette marche de protestation à la date<br />

du 7 janvier 1957. Le meeting est tenu au cinéma Empire de la Médina à Dakar. Divers<br />

orateurs y prennent la parole; ils dénoncent les multiples atteintes aux libertés<br />

fondamentales des jeunes et leurs auteurs, notamment le Haut Commissaire de l'ADF<br />

"stratège des anti-libertés" comme dit l'un des intervenants. Ce meeting, massivement<br />

10. "Jeunesse-liaison", janvier 1957.<br />

13-4


de la jeunesse fédérale d'AOF d'autre part était, en même temps, membre du comité<br />

exécutif du RP.S, le parti de Senghor né en 1956 de la réunification de diverses<br />

formations sénégalaises. Refuser cette démarche demandée par Ali Bocar Kane aurait<br />

été un risque politique pour le député du Sénégal. Pour nos interlocuteurs, ce n'est donc<br />

pas par sympathie particulière pour le C.J.S que Senghor a agi en sa faveur. Au<br />

contraire, à diverses reprises déjà, il avait exprimé son mécontentement consécutif à la<br />

désaffiliation du C.J.S du C.J.U.F. De ceci, le quotidien "Paris-Dakar" s'était déjà fait<br />

l'écho en rapportant des propos tenus par l'homme politique sénégalais. A la tribune du<br />

congrès du Cl.U.F, à Tananarive, le 11 août 1955, il dit: « Les problèmes de la jeunesse<br />

sont un des soucis majeurs du gouvernement. Le gouvernement ne croît ni aux états­<br />

généraux, rassemblements et autres soviets avec uniformes et orphéons. Il ne croît ni aux<br />

festivals, ni aux voyages touristiques ». Plus loin dans ce discours, il lance à l'adresse des<br />

délégués: «Je n'aipu que me réjouir, en lisant vos statuts, et votre programme d'action, de<br />

constater que le Cl U.F travaille en communion avec le gouvernement »16. Déjà, à<br />

Yaoundé, en 1953, Senghor a fustigé ceux qui s'opposent au Cl.U.F. A Accra, au<br />

congrès panafricain de la jeunesse, il n'est pas tendre à l'égard de ceux qui prennent<br />

leurs distances à l'égard du C.J.U.F. Ces divers propos ne peuvent pas ne pas s'adresser<br />

au C.J.S et au Cl.A même si Senghor n'en cite pas les noms.<br />

En tout état de cause, la démarche du député du Sénégal pour la libération<br />

des jeunes arrêtés à l'occasion de la marche de protestation relative aux passeports n'eut<br />

aucune suite heureuse pour régler définitivement cette question. Si à cette période, c'est<br />

à dire sept à huit mois, après la mise en place du gouvernement Mamadou Dia, le<br />

problème de la délivrance des passeports se pose toujours, c'est qu'elle ne rentre pas<br />

dans le domaine de compétence des autorités nouvelles issues de la Loi-Cadre. Ceci est<br />

d'autant plus vrai que, dès le 18 juillet 1957, le gouvernement du Sénégal, par la voix de<br />

son ministre de l'éducation et de la culture, assure le CJ.S, de son appui total à cette<br />

revendication, exactement comme l'Assemblée Territoriale par la voix de son<br />

représentant; ceci se fait lors de la réunion de la commission territoriale de la jeunesse.<br />

La campagne d'opinion que le congrès de 1956 décide autour de la question<br />

des passeports, prévoit une sensibilisation des autorités diverses par des<br />

correspondances. Ceci explique les lettres adressées par le bureau exécutif du C.J.S à<br />

Houphouët Boigny ministre du gouvernement français, au ministre de l'intérieur du<br />

Sénégal, au chef de service de police du Sénégal, au gouverneur du Sénégal etc...<br />

Il est à remarquer que le refus de délivrance des passeports au C.J.S n'a pas<br />

été appliqué par l'administration avec la même rigueur au long de la période 1950-1958.<br />

En effet, dans le rapport moral soumis aux délégués au congrès annuel de 1955 du C.J.S,<br />

il est fait état d'un « acte vraiment sensationnel de l'administration car, après évidemment<br />

16. "Paris-Dakar" du 21 novembre 1955.<br />

136


ien des démarches, nous avons pu obtenir des passeports pour nos sept délégués ». Le<br />

rapport ajoute même que ces délégués ont pu effectivement sortir pour accomplir la<br />

mission qui leur est confiée par le C.l.S.<br />

Cette attitude est peut être simplement une tactique de la part de<br />

l'administration. En effet, un fait significatif, aux yeux du congrès de la jeunesse, est le<br />

comportement de la police dakaroise au retour des festivaliers pour lesquels des<br />

passeports ont été délivrés. Dans les premiers jours du mois d'août 1955, en pleine nuit,<br />

la police opére, simultanément, des perquisitions aux domiciliés des festivaliers. Le<br />

journal "Reveil" publie une photographie de la dame Fatou Mbengue, grand mère du<br />

festivalier Samba Taminou secrétaire administratif du C.l.S. L'article accompagnant la<br />

photographie a pour titre" Une victime de plus des colonialistes ". Il relate le meeting<br />

de protestation organisé à Dakar, le Il août, à la place de Mboth par le Conseil de la<br />

jeunesse et les centrales syndicales au sujet de la mort de cette dame de quatre vingt<br />

ans. La vieille Fatou Mbengue s'est brusquement réveillée, aux bruits faits par les<br />

policiers perquisitionnant dans sa chambre, sa surprise voir des hommes en uniforme<br />

chez elle en pleine nuit, est si grande qu'elle s'évanouit immédiatement et meurt. Les<br />

policiers ne se soucient nullement d'elle et continuent tranquillement leur perquisition.<br />

Cette mort soulève une vive indignation dans tous les quartiers indigènes de la ville. Dès<br />

le 4 août, un tract, distribué dans ces milieux, appelle à manifester contre cette action de<br />

la police dakaroise. Le congrès de Kaolack marque une « minute de silence à la mémoire<br />

de la vieille Fatou Mbengue...décès qui a profondément indigné toute la population<br />

dakaroise ». Le rapport retrace les diverses initiatives du bureau exécutif du Conseil<br />

pour stigmatiser, auprès des autorités dakaroises, cette perquisition inqualifiable.<br />

A travers ces deux points, centres culturels ou maisons de jeunes et de la<br />

culture d'un côté et délivrance des passeports de l'autre, un long et épineux conflit se<br />

manifeste entre l'administration coloniale et le Conseil de la jeunesse. La permanence<br />

du conflit impose la recherche des véritables raisons de l'affrontement.<br />

3) Les raisons du conflit.<br />

Elles sont principalement au nombre de deux: la désaffiliation du C.J.S du<br />

C.l.U.F et de la W.Ay et les attaques des jeunesses S.F.I.O et B.D.S, pourtant<br />

membres, contre le Conseil.<br />

a): la désaffiliation<br />

Dès sa naissance, le C.l.S est affilié au C.J.U.F et partant à la W.A.Y. Mais à<br />

cette époque, l'essentiel des troupes du Conseil dépendent de l'église dakaroise qui joue<br />

un rôle non négligeable dans sa gestation. Ensuite, cette situation pose des problèmes en<br />

137


par une sortie du C.J.S de sa dépendance à l'égard du C.J.U.F et de la W.A.Y mais<br />

aussi par une non affiliation à la F.M.J.D.<br />

Donc, la l.R.D.A et le mouvement des éclaireurs, tous deux membres du<br />

C.J.S, ont, avec d'autres associations moins importantes, des positions communes pour la<br />

défense de l'indépendance de l'organisation regroupant la jeunesse territoriale. Le débat<br />

est ainsi largement ouvert au sein du C.J.S entre 1951 et 1953, d'autant plus que<br />

l'assemblée mondiale de la W.A.y et l'assemblée du C.J.U.F ont lieu au Sénégal en<br />

début d'août 1952, comme pour signifier l'intérêt que portent ces organisations du camp<br />

occidental au Conseil de la Jeunesse du Sénégal qui vient de naître. Lorsque le c.J.S<br />

décide, fin 1952, de ne plus dépendre de ces organisations, c'est un coup dur qui est<br />

porté à la politique coloniale en matière de jeunesse, d'autant plus rude que le Sénégal<br />

est considèrè par la métropole comme son fils aîné en Afrique noire. L'administration<br />

coloniale ne pardonne pas cet abandon au C.J.S d'autant moins qu'il réussit à entraîner<br />

le Conseil de la Jeunesse du Soudan dans sa quête d'indépendance.<br />

L'absence des jeunesses des territoires du Soudan et du Sénégal aux assises<br />

du C.l.U F à Yaoundé en 1953 et à Tananarive en 1955 n'est pas acceptée par<br />

l'administration coloniale. En ce sens, on peut comprendre que lorsque L.S. Senghor,<br />

invité d'honneur à Yaoundé et ministre du gouvernement français à Tananarive, fustige<br />

ceux qui refusent la politique du gouvernement métropolitain en matière de jeunesse; il<br />

pense bien sûr, avant tout, aux jeunesses du Sénégal et du Soudan. Sa position de député<br />

du Sénégal, donne davantage de poids à la hargne qu'il manifeste dans les discours qu'il<br />

prononce lors de ces manifestations du C.J.U.F.<br />

b): les attaques des jeunesses SFIO et B.D.S contre le c.JS.<br />

Ces attaques qui se conjuguent avec celles de toutes les forces hostiles au<br />

Conseil apportent à l'administration coloniale des appuis solides à son attitude négative<br />

à l'égard de l'organisation de jeunesse, d'autant plus que ces deux mouvements de<br />

jeunesse de parti politique sont également membres du C.J.S.<br />

Après le congrès de Kaolack en 1955, le C.J.S s'est doté d'une nouvelle<br />

direction, élue conformément à ses statuts. Dès les lendemains du congrès, le quotidien<br />

"Paris-Dakar" ouvre largement ses colonnes, à des responsables des jeunesses SFIO et<br />

B.D.S qui attaquent le Conseil. C'est un certain Massar qui monte, le premier, au<br />

créneau contre le Conseil « Ce sont les dissidents moscoutaires du RDA, à tendance<br />

communiste, qui contrôlent désonnais les mouvements de jeunesse »18. L'auteur de<br />

l'article passe en revue un certain nombre de postes au sein du bureau du Conseil avec<br />

des remarques relatives à l'appartenance politique des titulaires. Il arrive à la conclusion<br />

18. "Paris-Dakar" du 19 novembre 1955.<br />

139


qu'un bureau dont le président, les premier et deuxième vice-présidents, le trésorier et<br />

le secrétaire chargé des relations extérieures, appartiennent tous à un parti politique par<br />

son organisation de jeunesse interposée, un tel bureau apporte la preuve que les<br />

hommes de Moscou contrôlent le Cl.S. "Paris-Dakar" ne précise pas si Massar,<br />

signataire de l'article en question, est d'une organisation politique donnée. Il est<br />

simplement présenté comme un "certain Massar".<br />

Dès le lendemain, le journal officieux dakarois consacre un autre article à la<br />

question. Cette fois, l'auteur de l'article est un délégué de la jeunesse SFIO. Le titre "A<br />

son tour le délégué des jeunesses socialistes nous parle du congrès de Kaolack". L'auteur<br />

écrit: « C'est un échec profond... Sur les centaines que comporte le pays... Que 56 petites<br />

associations qui ne totalisent pas plus de 3.000 adhérents... Y étaient représentées ». Il met<br />

l'accent sur le fait que les jeunesses SFIO et B.D.S, tout comme celle de l'église,<br />

totalisent, elles, plusieurs milliers d'adhérents chacune.<br />

Dès le sur lendemain, "Paris-Dakar", encore, s'ouvre à une plume attaquant<br />

le Cl.S, c'est celle de Mamadou Alcaly Diouf, pharmacien installé à Dakar en sa qualité<br />

de secrétaire général du mouvement des jeunes du RD.S. Cet article est encore plus<br />

virulent contre le C.J.S : «En vérité, comme l'explique la composition du bureau du CJ.S,<br />

il y'a une victoire U.D.S-RIDA... Minorité par rapport aux autres mouvements de jeunesse<br />

»19. Il explique plus loin comment la jeunesse de l'U.D.S a pu arriver à ce résultat de« 6<br />

RIDA et RDA sympathisants communistes sur un bureau exécutif de douze membres ».<br />

Pour lui, la R.l.D.A a fait preuve d'une tactique sans bavure et aussi d'une maturité au<br />

milieu d'une "racaille" de "grandes gueules" vides de bon sens. Mamadou Alcaly Diouf<br />

ajoute: « Un mouvement comme le nôtre, le plus puissant des mouvements de jeunesse du<br />

territoire n'a pas pu avoir de représentant à la direction du CJ.S ».<br />

Un autre organe dakarois, les "Echos d'Afrique Noire", vient ajouter sa voix à<br />

ces attaques contre le C.J.S en appelant l'église à sortir ses associations d'un Conseil<br />

dominé par les communistes.<br />

Attaques orchestrées ou simplement conjonction?<br />

Les liaisons entre l'administration coloniale et la direction du quotidien<br />

dakarois sont trop étroites et trop évidentes pour qu'on puisse penser à une simple<br />

conjonction. Surtout lorsque l'organe des "petits colons" dakarois, les "Echos d'Afrique<br />

noire", s'engage dans la même voie que "Paris-Dakar".<br />

Il est certain que ces attaques posent, par rapport aux normes démocratiques,<br />

des problèmes très sérieux sur le fonctionnement du C.J.S.<br />

Mieux, elles nient même toute représentativité au CJ.S, tout comme elles<br />

posent aussi des questions de même nature pour les organisations politiques de jeunesse<br />

: SFIO et B.D.S.<br />

19. "Paris-Dakar" du 20 novembre 1955.<br />

140


conseil fédéral, b/ entretenir, après avis du comité exécutif, des relations avec des<br />

organisations nationales ou internationales».<br />

Ajoutons aussi que, non seulement le CJ.S proclame son indépendance à<br />

l'égard des organisations comme le C.J.U.F et la W.A.Y, mais il entraîne dans cette<br />

attitude, le Conseil soudanais et plus tard tous les autres territoires dont les Conseils<br />

constituent le C.J.A (Conseil de la Jeunesse d'Afrique) à partir des assises de Bamako<br />

en 1955. Le Conseil fédéral inscrit son orientation dans la même ligne que celle du<br />

Conseil sénégalais : une ligne de refus de caporalisation dans le cadre des centres<br />

culturels, et la dénonciation de tous les maux déjà repertoriés par le CJ.S. Les<br />

résolutions adoptées par le congrès constitutif du CJ.A dénoncent la politique coloniale<br />

comme étant la grande responsable de la progression de l'alcoolisation en AOF, des<br />

films de qualité médiocres et néfastes sur les écrans, des enfants jetés dans la rue par<br />

manque de places dans les écoles, des centres culturels éléments de diversion, de la<br />

guerre colonialiste menée contre l'UPC au Cameroun et contre le F.L.N en Algérie<br />

etc... Le deuxième congrès du C.J.A et le premier festival qu'il organise à Abidjan, en<br />

1957, confirment cette ligne du Conseil fédéral dans son orientation. Sa résolution<br />

générale proclame: « Le seul moyen de libérer totalement les peuples opprimés d'Afrique<br />

est la lutte pour l'indépendance nationale».<br />

A toutes ces raisons internes de conflit entre l'administration et le C.J.S,<br />

s'ajoutent les répercussions des relations internationales. En effet, à diverses reprises,<br />

les hautes autorités dakaroises reçoivent de divers pays et de la FMJD, télégrammes,<br />

motions et lettres qui protestent contre le refus de sortie des délégués du C.J.S et du<br />

C.J.A, par la non délivrance de leurs passeports par l'autorité coloniale.<br />

En somme, dans la période 1950-1960, c'est une très rude et très longue<br />

empoignade qui caractèrise les relations entre le Conseil de la Jeunesse du Sénégal et<br />

les autorités de l'administration coloniale. L'origine de ces relations difficiles, est le<br />

refus que la jeunesse oppose à l'embrigadement que tentent de lui faire subir les<br />

autorités. Cette jeunesse proclame, haut et fort, son indépendance. Par là même, la<br />

jeunesse sénégalaise et la jeunesse d'Afrique œ,Mr-ique, réunies dans le C.J.S et le C.J.A,<br />

l<br />

expriment leur rejet du système colonial. Cette décennie apporte les preuves de la<br />

constance du C.J.S dans son orientation.<br />

142


La progression moyenne annuelle est de 30,7 %. Cependant, les effectifs<br />

n'ont pas été en accroissement constant car en une décennie, on note trois diminutions :<br />

21 % en 1952/1953, 6 % en 1954/1955 et 2,3 % en 1959/1960. La première est<br />

relativement importante: 21 % alors que les autres le sont moins.<br />

Les progressions de 1953/1954 (104 %), de 1955/1956 (35 %) et de<br />

1957/1958 (83 %) sont importantes. La transformation de l'Institut en Université en<br />

1957 explique celle de 1957/1958; nous ne pouvons pas avancer de raison pour les deux<br />

autres, ni pour les trois diminutions.<br />

On remarque que depuis sa création, c'est vers l'école de droit que l'autorité<br />

coloniale a surtout orienté les étudiants. L'école de lettres, jusqu'en 1957, possède les<br />

effectifs les plus faibles car elle arrive seulement en dernière position derrière le droit,<br />

les sciences et la médecine. Mais, dans les trois dernières années, cette école de lettres<br />

connait une réelle progression de ses effectifs pour passer à la deuxième position après<br />

le droit. Au sujet de la répartition raciale des étudiants, Mahjmout Diop indique pour<br />

l'année 1957-58, que sur un total de 1069 étudiants, 368 sont des Français et 628 des<br />

Africains pour 3 étrangers seulement. Sur le même sujet, Roland Colin écrit que les<br />

étudiants métropolitains constituent le tiers des effectifs d'ensemble. Le nombre des<br />

étudiantes africaines est insignifiant puisqu'elles ne sont que 12 sur un total de 310<br />

d'origine africaine pendant l'année universitaire 1955-1956. Il y a néanmoins une<br />

progression numérique car, en 1953, on compte seulement 3 étudiantes africaines pour<br />

80 garçons 8 . L'auteur de l'artic1è, intitulé "Jeunes filles africaines et l'enseignement",<br />

Papa Soulèye Ndiaye, constate que ce n'est pas là une caractéristique propre à l'Institut<br />

car le mal est général. Il conclue qu'il existe une véritable marginalisation de la jeune<br />

fille africaine.<br />

11/ LES ORGANISATIONS ESTUDIANTINES.<br />

Roland Colin écrit : « A l'origine, il n 'y avait qu'une seule association<br />

d'étudiants, l'AGED (Association Générale des Etudiants de Dakar) au sein de laquelle les<br />

étudiants africains étaient naturellement en majorité. La présidence en avait été confiée à<br />

un Européen dont la négligence et l'insuffiSance aboutirent à l'éjection virtuelle de tous les<br />

étudiants blancs».<br />

Citant toujours cette enquête menée à Dakar et dont il rapporte les résultats,<br />

Roland Colin ajoute : « Ceux-ci se regroupèrent à part et formèrent l'association<br />

générale des étudiants français en Afrique noire : AGEFAN »9. Cette division des<br />

étudiants de l'Institut, sur une base raciale est confirmée par "AGE-Presse", organe des<br />

étudiants français de Dakar lorsqu'il écrit : « D'autre part, lorsque nous nous sommes<br />

8. "Dakar Etudiant", NU 1, Janvier 1953.<br />

9. Roland Colin, Systèmes d'éducation... 1977, p. 421.


egroupés au sein de l'AGEFAN, la situation était claire. Nous venions d'être exclus<br />

publiquement, en assemblée générale, où le président de l'AGED, Diané Charles, déclara: "<br />

Quant au cas des camarades européens, il n'est pas à discuter: ils sont exclus d'office"jO.<br />

Ceci se passe en novembre 1955. Dès lors, deux associations corporatives existent sur le<br />

campus universitaire de Dakar-Fann, elles sont organisées sur des bases raciales. Leur<br />

développement se fait par la suite, dans le cadre d'une véritable rivalité dont les<br />

manifestations frisent parfois la violence.<br />

Les associations religieuses apparaissent après les associations corporatives.<br />

La première d'entre elles est celle des étudiants catholiques; puis, une association<br />

musulmane se crée en juillet 1956. Des associations politiques voient le jour à l'IHED; il<br />

s'agit de l'A.E.R.D.A (Association des étudiants du R.D.A) et du M.E.P.A.I<br />

(Mouvement des Etudiants du P.A.I).<br />

L'étude de ces associations montre l'intérêt particulier de la connaissance de<br />

l'AGED dans la mesure où, elle est la plus représentative au plan corporatif, mais aussi<br />

parce qu'elle est présente durant toute la période, de la création de l'Institut à la fin de<br />

notre étude. Les autres associations ont pour des raisons diverses, moins d'impact sur le<br />

campus de Fann.<br />

1) De l'AGED à l'UGEAO<br />

C'est toute l'évolution de l'AGED qui apparaît à travers ce titre.<br />

L'AGED (Association générale des étudiants de Dakar) est mise en place<br />

dès la création de l'Institut car cette nouvelle structure posait aux étudiants des<br />

problèmes tels qu'ils éprouvent la nécessité de s'organiser. Au départ, Africains et<br />

Européens s'y côtoyent. Dans l'organe "AGE-Presse", nous lisons à ce sujet: «Lors de la<br />

création de l'AGED, une juste répartition des postes était effectuée entre Africains et<br />

métropolitains au sein du bureau »11. En effet, le premier président de l'association est<br />

un métropolitain. Mais, cette situation unitaire ne dure pas en raison de l'absence<br />

d'activités effectives, le premier président ne manifestant ni initiative ni intérêt. A cette<br />

raison s'en ajoute une autre de taille; c'est le débat relatif à la question de l'affiliation de<br />

l'organisation. Pour les étudiants métropolitains, il faut affilier l'AGED à l'UNEF<br />

(Union nationale des étudiants de France). Ce point de vue n'est pas celui de la plupart<br />

des Africains qui veulent une organisation largement indépendante. Pour s'opposer aux<br />

arguments de leurs collègues métropolitains, ils mettent en avant la spécificité de leurs<br />

problèmes. Ils ajoutent également le fait que les étudiants africains, en France même, se<br />

sont constitués en une association propre dénommée FEANF, indépendante de<br />

l'UNEF.<br />

10. "AGE-Presse", NU 2, 26 juin 1957.<br />

11. Ibidem.<br />

14-6


de personnel enseignant : noms, prénoms, fonctions et titres universitaires; elle ajoute<br />

même des remarques sur l'organisation des cours des différents enseignants.<br />

Pour les étudiants, cette publication apporte la preuve, pour qui s'y intéresse,<br />

qu'ils ont parfaitement raison.<br />

Face à la querelle entre étudiants africains et autorités universitaires de<br />

métropole, les autorités politiques ont leur mot à dire. Moustapha Diallo que nous<br />

avons interrogé rapporte que le bureau de l'AGED est convoqué par le président du<br />

Grand Conseil, Léon Boissier Palun. Ce dernier fait longuement alterner devant la<br />

délégation, le bâton et la carotte, ceci pour un résultat contraire à son attente car la<br />

direction de l'AGED refuse catégoriquement de signer un texte qu'il lui propose par<br />

lequel elle se dédirait. Léopold Senghor est un autre adversaire de la ligne des<br />

étudiants. Dans un débat au Grand Conseil, en 1953, il affirme que les professeurs de<br />

lycée sont plus aptes que tout autre à enseigner l'art de la dissertation 13 . Il confirme<br />

ainsi indirectement des faits affirmés par les étudiants mais il en conteste la signification<br />

retenue par ceux-ci. Le député du Sénégal prenait fait et cause contre les étudiants.<br />

Ces derniers considérent que leur cause est juste. En tirant les leçons de leur<br />

campagne d'information sur la qualité du personnel enseignant de l'Institut, la rédaction<br />

de l'organe de presse de l'AGED constate « Depuis la parution de notre numéro spécial...<br />

des messages de félicitations et d'encouragements nous arrivent des quatre coins de la<br />

Fédération et de la Métropole. La première phase de l'action s'est donc réalisée: alerter<br />

l'opinion publique. La deuxième doit être réalisée »14. En tout cas, journaux politiques,<br />

organes de jeunesse, syndicats, personnalités diverses font écho à l'AGED sur cette<br />

question et popularisent sa lutte. Les étudiants africains en métropole ne sont pas en<br />

reste dans cette bataille d'opinion puisqu'ils apportent tout l'appui possible à ceux de<br />

l'Institut. Ainsi, au 43 ème congrès de l'UNEF, le 24 avril 1954, à Toulouse, c'est à<br />

l'observateur de l'AGED que la FEANF laisse délivrer le message commun AGED­<br />

FEANF. Sur cette tribune du congrès des étudiants de France, le rapporteur donne<br />

maints exemples qui veulent prouver que c'est un enseignement au rabais qui est<br />

dispensé à l'Institut. Il cite le cas de l'enseignement de la parasitologie où une dame,<br />

élève en troisième année, donne des cours aux étudiants de la deuxième année. Ensuite,<br />

la physique médicale est enseignée par un docteur es sciences. La chaire de chimie étant<br />

vacante, les cours dans cette matière sont concentrés sur une période d'un mois par un<br />

professeur en mission etc... Presque au même moment, le délégué de la FEANF<br />

s'adresse à la tribune du Conseil des étudiants de l'U.I.E (Union Internationale des<br />

Etudiants) réuni à Moscou, et dénonce dans une longue intervention, l'enseignement au<br />

rabais dispensé à Dakar 15 .<br />

13. Numéro spécial de "Dakar-Etudiant", mars 1956.<br />

14. Ibidem.<br />

15. Comité exécutif de l'U.I.E, 20 Avril 1954.<br />

150


Sur cette même question, la FEANF manifeste son soutien à l'AGED,<br />

lorsqu'une délégation de l'organisation des étudiants africains en métropole s'entretient,<br />

à sa demande, avec le Haut Commissaire de l'AüF de passage à Paris, le 24 septembre<br />

1954, dans les locaux de la Délégation générale de l'AüF16<br />

L'AGED reçoit aussi le soutien d'un enseignant de l'Institut, le professeur J.<br />

Trusque, agrégé d'histologie et d'embryologie17. II dit: « Je crois pouvoir dire que je<br />

considère l'atmosphère de l'Institut de Dakar contraire à toute tradition universitaire<br />

authentique ». Répondant à une question plus précise, pendant cet interview accordé à<br />

"Dakar-Etudiant", le professeur Trusques dit: « Il ny a pas de système de recrutement. n<br />

y'a presque autant de cas particuliers que de professeurs dans cet institut ». Pour lui, cette<br />

situation en matière de personnel enseignant est la conséquence d'une politique qui a<br />

toujours consisté à éloigner les hommes de valeur. Ce professeur, apprécié des étudiants<br />

de Dakar, doit rejoindre la métropole à peine un an après son arrivée à Dakar, dans des<br />

conditions que l'AGED cherche vainement à élucider. Ses demandes d'explication se<br />

heurtent à une fin de non recevoir de la part des plus hautes autorités universitaires<br />

d'AüF. C'est du reste pour cela que les étudiants présentent le départ du professeur<br />

Trusque comme une preuve supplémentaire de ce qu'ils dénoncent.<br />

L'AGED a un autre argument relatif à l'incompétence du personnel<br />

enseignant de l'institut; il s'agit du taux d'échec élevé des étudiants dakarois. Par une<br />

analyse de tous les résultats des Africains aux examens et, dans toutes les disciplines,<br />

l'organe de l'AGED conclut que le sabotage est organisé en haut lieu. Les échecs<br />

massifs des étudiants africains font titrer à Babacar Diop : "Des cadres au compte­<br />

goutte" dans un article de "Dakar-Etudiant", en janvier 1959.<br />

Le journal parisien des intellectuels africains, "Présence Africaine", trouve<br />

dans les propos du Recteur Capelle directeur général de l'enseignement en AüF, une<br />

preuve supplémentaire que les étudiants ont parfaitement raison. Ce haut responsable<br />

écrit dans la revue "Education Nationale" paraissant à Paris : « Elle (l'université de<br />

Dakar) doit ajuster ses programmes à ceux des universités métropolitaines... Avoir le même<br />

corps professoral que les universités métropolitaines »18<br />

Le directeur général de l'enseignement d'AüF, peut-être, malgré lui, fait<br />

douter également de la qualité du corps professoral du secondaire en AOF puisqu'il<br />

affirme dans le même article: « 50 % des 496 étudiants boursiers envoyés d'AOF en<br />

métropole n'étaient pas qualifiés pour des études supérieures. En moyenne les déchets se<br />

situent aux environs de 70 % dans les examens en métropole ».<br />

En somme, avec un corps professoral non qualifié au niveau du secondaire et<br />

un corps professoral non qualifié au niveau de l'enseignement supérieur d'AüF, qui<br />

16. L'Etudiant d'Afrique noire, NU 3, Oct-Nov 1954.<br />

17. L'un des deux universitaires que compte l'Institut.<br />

18. "Présence Africaine", Décembre 1959.<br />

151


1<br />

leur indépendance vis à vis du C.J.U.F et de la W.AY. y a t-il une simple coïncidence ou<br />

relation directe?<br />

Moustapha Diallo, ancien président de l'AGED, Y établit une relation<br />

directe. Pour lui, la présence de l'AGED dans le Cl.S est déterminante dans la défense<br />

des principes notamment son indépendance par ce dernier. Pour Youssou Diop, ancien<br />

secrétaire général du CJ.S, cette relation est également directe. Le Cl.S et l'AGED<br />

forment l'aile "marchante" du mouvement démocratique à Dakar, pendant la période.<br />

En définitive, l'AGED, par une longue lutte, préserve son indépendance à<br />

l'égard de l'UNEF, au plan métropolitain. Au plan international, les étudiants dakarois<br />

coopérent avec l'U.J.E, exactement comme ils le souhaitent.<br />

c) Les relations avec les partis et les syndicats<br />

Très vite, les étudiants de l'Institut s'intéressent aux questions politiques et<br />

syndicales locales. Les relations entre l'AGED, plus tard UGEAü, avec le monde<br />

politique dakarois sont un élément important du contexte général.<br />

Pour Moustapha Diallo, à la création de l'Institut, rares sont les étudiants qui<br />

affichent une appartenance politique. Mais ceux qui le font ont toujours eu le courage<br />

de leurs opinions et avec la création du P.A.I, nombreux sont, à Dakar, les étudiants qui<br />

militent ouvertement dans cette formation politique, affirme notre interlocuteur.<br />

Dans "Dakar-Etudiant", la rédaction considére que le rôle des étudiants est<br />

triple: « Rôle social, économique et politique qui doit demeurer la mission de l'étudiant<br />

»22. Dès le numéro suivant, un article signé de Thierno Diop, directeur de publication<br />

de l'organe étudiant, est consacré aux relations entre monde politique et monde<br />

étudiant. L'article s'intitule "Etudiants africains et politique". Il passe en revue les deux<br />

seules voies qui s'offrent aux étudiants: ou bien - «S'occuper de ses études, une fois les<br />

diplômes tenninés, une fois la situation assurée, alors, vous pourrez avoir et défendre vos<br />

OpiniOns ».<br />

Cette attitude est fortement conseillée aux étudiants par de nombreuses<br />

personnes, dit Thierno Diop. A l'opposé l'autre position est qu'- « Une fonnation<br />

culturelle, pour être solide, nécessite une fonnation politique qui n'est pas synonyme de<br />

vaine agitation ou de phraséologie révolutionnaire».<br />

Le directeur de publication exprime le point de vue selon lequel l'étudiant<br />

africain a l'obligation de choisir la deuxième voie. Evidemment, cette politique est bien<br />

définie comme étant très différente de la "poleutic,,23 c'est à dire de la « marche pieds<br />

d'escaliers qui mènent au bureau du commandant de cercle ou du gouverneur ». Cette<br />

politique là considérée comme ayant largement cours en AüF, est « condamnable car<br />

22. "Dakar-Etudiant", Juin 1953.<br />

23. Mot de la langue ouoloff par déformation du mot français "politique".<br />

155·


c'est le fait de troquer le mandat politique contre les faveurs qui sont autant de chaînes<br />

dorées pour l'élu»24. Cette position des étudiants explique, en partie, leur refus d'adhérer<br />

à l'UNEF en laquelle, ils ne voient que l'expression de la domination coloniale.<br />

Avec les partis politiques locaux, les relations des étudiants africains<br />

regroupés dans l'AGED ou l'UGEAO dépendent de la ligne et de la nature de ces<br />

partis.<br />

C'est ainsi, qu'en 1956, invitée au congrès du B.P.S, formation politique de<br />

Senghor, l'UGEAO proclame, à la tribune du congrès, l'engagement de l'organisation<br />

dans la lutte pour la liquidation totale du système colonial. Le président de l'UGEAO<br />

affirme : « Nous voulons vous dire que la liquidation du système colonial, sans<br />

transformation des structures sociales, c'est une mystification des masses ». A propos de la<br />

loi-cadre, le rapporteur des étudiants ajoute plus loin, dans son discours : « Nous<br />

craignons que partout en Afrique, dans quelques mois peut-être, quand les conseils de<br />

gouvernements seront mis en place, des maffia perpétuent leur habituelle et déshonorante<br />

besogne. Nous craignons de connaître de nouveaux Boo-Dai" à la merci des tenants du<br />

sYstème colonial ». Ces déclarations ont lieu à un moment où le B.P.S se prépare<br />

activement à diriger le gouvernement de l'autonomie interne issu de la Loi-Cadre. Pour<br />

bien être compris, les étudiants répétent par l'intermédiaire de leur délégué: « Nous<br />

voulons que les problèmes soient correctement posés... Nous posons sans équivoque le<br />

problème de l'indépendance totale à l'égard de la métropole ». Mais la formation politique<br />

de L. S. Senghor n'a pas la même conception des choses que les étudiants.<br />

A l'égard du R.D.A, l'UGEAO exprime aussi clairement ses vues, en 1957,<br />

lors du lIerne congrès du mouvement de H. Boigny à Bamako. La délégation des<br />

étudiants de Dakar saisit également cette occasion pour délivrer un message dont la<br />

teneur politique est la dominante. Après avoir rappelé les nobles espoirs que le congrès<br />

constitutif du R.D.A a fait naître, dix ans auparavant, dans cette même ville et après<br />

avoir évoqué les énormes responsabilités qui pèsent sur les congressistes pour le devenir<br />

de l'Afrique, les étudiants se situent clairement. « Nous ne sommes pas de jeunes excités,<br />

des illuminés, des exaltés, des rêveurs, des révolutionnaires que l'on veut bien croire... Nous<br />

tenons simplement à ce que les problèmes soient correctement posés, les étudiants, sans<br />

équivoque, posent le problème de l'indépendance, non par théorique, mais concréte »25.<br />

En somme, à ces importantes assises du B.P:S, parti territorial, et du R.D.A,<br />

parti interterritorial, les étudiants de Dakar ont nettement conscience de s'adresser à<br />

des auditeurs privilégiés car ce sont ces hommes politiques qui vont assurer la relève du<br />

colonisateur. Il s'agit, donc de leur exprimer clairement, les appréhensions des étudiants<br />

à l'égard de la question fondamentale de l'indépendance nationale, qui à leurs yeux, ne<br />

doit souffrir d'aucune équivoque. Les étudiants africains qui se sont constitués en<br />

24. "Dakar-Etudiant", NU 2, Juillet 1953.<br />

25. "Dakar-Etudiant", Janvier-Février 1958.<br />

156


Cette orientation correspond t-elle à ce que la hiérarchie catholique<br />

dakaroise attend de cette association qu'elle a porté sur les fonds baptismaux ?<br />

Certainement pas. Un an à peine après l'apparition de "Jeunesse d'Afrique", tout<br />

indique que les relations entre les étudiants catholiques et la hiérarchie sont loin d'être<br />

des plus cordiales. Ainsi, en avril 1956, ils publient une "mise au point" dans leur organe<br />

de presse: «A Dakar, quelques événements nous ont donné à refléchir. Des heurts nous<br />

ont indiqué clairement que notre action commençait à déplaire ». Plus loin, à propos de ce<br />

qu'il leur est reproché, ils écrivent: « Que les étudiants fassent du bruit à Dakar, on peut<br />

encore le souffrir, mais que les jecistes (jeunesse étudiante catholique) aussi se mêlent de<br />

critiquer, voilà qui dépasse les bornes ».<br />

Pour plus de précision, le journal indique qu'un article sur le clergé indigène,<br />

paru dans cet organe de presse a déclenché des réactions en chaîne. Les étudiants<br />

catholiques affirment leur point de vue « Le dialogue avec la hiérarchie ne signifie pas<br />

qu'il soit en sens unique: écouter des conseils»32. C'est à cette hiérarchie catholique<br />

dakaroise qui tente de la museler que l'association s'adresse en écrivant: «L'université<br />

brasse à Dakar les éléments hétéroclites de la Fédération. C'est une chance inouïe et unique<br />

qui est offerte aux futurs cadres de la nouvelle Afrique. Gâcher une occasion aussi belle<br />

serait une trahison pour l'Afrique »33.<br />

Ces propos se dégagent d'un éditorial qui s'intitule "Faire le point". Il indique<br />

que les étudiants tiennent à intégrer globalement leurs activités à celles plus générales<br />

du monde étudiant dakarois.<br />

Cependant, certaines positions de cette association s'inscrivent en faux contre<br />

celles de l'UGEAO. C'est ainsi que parlant de la guerre d'Algérie, les étudiants<br />

catholiques estiment que les Algériens veulent forcer la main à la France en se livrant «<br />

à un terrorisme excessif qui n'épargne pas le sang des innocents» tout en précisant,<br />

cependant, qu'à la haine, la France n'a pas opposé l'amour et la douceur et que sa<br />

répression est terrible 34 . Pour l'organe des étudiants catholiques de Dakar, la<br />

responsabilité de la guerre d'Algérie se situe du côté algérien. La France se trouve<br />

seulement en position de légitime défense. Cette position est totalement différente de<br />

celle défendue par l'AGED sur la question algérienne.<br />

L'association des étudiants catholiques s'intéresse aussi à la situation<br />

économique du continent, en dénonçant les méfaits du capitalisme qui laisse les grands<br />

trusts (Unilever, CFAO, SCOA) piller en toute quiétude avec la complicité de l'Etat.<br />

Ces étudiants catholiques se préoccupent aussi de la promotion de la femme africaine,<br />

de la création d'un clergé authentiquement africain, de la promotion des langues<br />

nationales comme solution à une préservation de la culture africaine.<br />

32. "Jeunesse d'Afrique", NU la, Juin-Juillet 1956.<br />

33. Ibidem, Editorial na la, juin-juillet 1956.<br />

34. "Jeunesse d'Afrique", Decembre 1956.<br />

160


Cette association est également inquiète de la situation du cmema en<br />

Afrique; elle dènonce les films pervers qui inondent les salles de cinéma en AOF et<br />

constituent un véritable danger pour la jeunesse africaine.<br />

Cependant, le rôle de cette association dont le siège se trouve dans la<br />

résidence universitaire de Fann reste secondaire à cause du petit nombre de militants.<br />

Les étudiants catholiques constituent une faible minorité dans la masse des étudiants de<br />

l'Institut. De plus, leur activité est dans l'ensemble trop proche des initiatives de la<br />

hiérarchie catholique pour être attirante à la grande masse.<br />

4) l' AMEAN (Association Musulmane des Etudiants d'Afrique noire).<br />

Du 11 au 15 juillet 1956, à Dakar, les étudiants musulmans d'Afrique noire<br />

tiennent leur premier congrès, au terme duquel ils publient un manifeste et créent<br />

l'AMEAN. Le thème du congrès ,s'intitule: « 'sIam et colonialisme» et les étudiants,<br />

réunis pour en débattre, viennent des milieux africains de métropole ainsi que de ceux<br />

de l'Institut de Dakar. L'analyse qui est faite montre que la place donnée à l'islam dans<br />

la situation coloniale «est particulièrement outrageante et humiliante». Ce constat s'appuie<br />

sur un ensemble de faits et de pratiques : le rôle du bureau des affaires musulmanes, la<br />

place faite aux dates marquantes de l'Islam, la politique d'alcoolisation des populations,<br />

le sort de la jeune fille et de la femme africaine, l'abandon de l'enseignement privé<br />

islamique alors que l'enseignement privé catholique est largement subventionné etc...<br />

C'est sous cet angle que le sort fait à la religion musulmane est jugé "indigne et<br />

humiliant". Pour réagir, les étudiants musulmans se proposent « de faire face résolument<br />

au colonialisme». Pour ce faire, l'obligation de se doter d'un outil de lutte les amène à la<br />

création de cette association.<br />

Le rôle qu'elle s'assigne est clairement défini dans le Manifeste puisque les<br />

étudiants musulmans excluent de leur champ d'action les problèmes syndicaux et<br />

purement corporatifs. L'AMEAN se démarque ainsi des autres organisations comme<br />

l'UGEAO et la FEANF dans lesquelles elle appelle ses membres, à Dakar comme en<br />

métropole, à militer activement. Mais tout en délimitant son domaine d'action par<br />

rapport à ces deux organisations, elle ne s'en réserve pas moins le droit d'avoir son<br />

opinion sur toute question à incidence islamique. L'association reconnait aussi, dans son<br />

Manifeste, toutes les organisations de jeunesse, en Afrique et dans le monde,<br />

notamment les associations musulmanes. Elle proclame également sa volonté<br />

d'entretenir des rapports culturels et amicaux avec toutes les organisations<br />

confessionnelles non musulmanes dans le cadre d'un respect mutuel. Le congrès affirme<br />

qu'il n'a aucune position anti-cléricale. Il exprime le souhait que ses travaux rencontrent<br />

« des échos de compréhension et fassent naître l'espoir et la foi en l'unité africaine ».<br />

L'activité pratique de l'AMEAN, au niveau de l'Institut des Hautes Etudes, se limite à<br />

161


Ce congrès qui installe les structures définitives de l'association s'ouvre, pour<br />

trois jours, à Paris, le 20 mars 1951 à Paris. Au terme des travaux, les membres<br />

fondateurs sont confirmés. Ainsi, Solange Faladé du Dahomey est élue président,<br />

Amadou Mactar Mbow du Sénégal secrétaire général avec Aki Traoré de Guinée<br />

comme adjoint.tandis que Abdoul Moumini du Niger est à la trésorerie. Ce premier<br />

collectif traduit l'interterritorialité du mouvement. Cette naissance marque aussi la fin<br />

de l'Association des Etudiants Africains en France créée au sortir de la deuxième guerre<br />

mondiale. La FEANF fait ainsi une sorte de synthèse de deux courants politiques<br />

divergents animés l'un par des éléments S.F.I.O dont Boubacar Guèye est le chef de file,<br />

et l'autre par le R.D.A avec des étudiants comme Cheikh Anta Diop. Entre ces deux<br />

courants, se situent des éléments non politiques comme Assane Seck et Doudou<br />

Thiam 37 , mais aussi un noyau plus actif animé par Amadou Mactar Mbow, Abdoulaye<br />

Ly, Louis Behanzin et François Amorin. La FEANF fédére, à travers ces courants<br />

politiques, les étudiants africains par un schéma fort simple; elle regroupe:<br />

- les associations territoriales au nombre de 14 (8 de l'AOF, 4 de l'AEF et<br />

celles du Cameroun et du Togo),<br />

- les sections académiques car les étudiants africains poursuivent des études<br />

dans diverses universités comme Paris, Bordeaux, Toulouse, Marseille, Montpellier,<br />

Lyon...<br />

Combien sont-ils, ces étudiants?<br />

Leur nombre varie selon les périodes considérées et les sources.<br />

"AGE-Presse", organe de l'association des étudiants français en Afrique<br />

noire, les chiffre à 5.000 en 1956. En 1957, à la tribune du deuxième congrès du R.D.A,<br />

la FEANF, par la voix de son président, les chiffre à 5.000, originaires de tous les<br />

territoires d'Afrique noire française. Mais, à la fin de l'année 1959, le chiffre de 8.000 est<br />

avancé à la tribune du 11 eme congrès de la FEANF même, par le président sortant<br />

Hamat Bâ.<br />

Au plan de ses relations avec le mouvement étudiant métropolitain, il faut<br />

rappeler que l'UNEF a cherché, mais en vain, à intégrer la FEANF en son sein; ceci<br />

entraîne pendant de très longues années des rapports relativement tendus entre les deux<br />

organisations, et pour des raisons très diverses notamment, à partir de 1955, lorsque la<br />

direction de la FEANF, jugée la plus nationaliste 38 , décide l'affiliation à l'U.I.E dont le<br />

siège est à Prague.<br />

La FEANF, de 1950 à 1960, a tenu onze congrès ordinaires et<br />

extraordinaires. Ses assises ne passent pas toujours inaperçues dans l'opinion publique<br />

française, même si, en général, la FEANF dénonce « La conspiration du silence mais qui<br />

37. Tous deux deviennent ministres au Sénégal après l'indépendance.<br />

38. D'après Roger de Benoîst: par opposition aux années précédentes et plus particulièrement 1954, la FEANF<br />

invite L.S. Senghor.<br />

163


n'a"êteraguère la marche de nos peuples vers l'indépendance »39. Cette attitude tranchait<br />

très nettement d'avec le comportement de cette même presse française vis à vis du<br />

X eme congrès de la FEANF. Plusieurs organes avaient pris de violentes positions contre<br />

le mouvement. C'est ainsi que le "Figaro,40, parlant des motions du congrès, écrit: « Il<br />

faut revenir sur ces motions dont le ton anti-français frise la provocation... Ces jeunes élites<br />

africaines, -ou présumées telles- n'ont pas d'objectif plus positif que la démolition<br />

systématique des institutions auxquelles ils doivent ce qu'ils sont ». L'organe de presse<br />

parisien ne voit en ces étudiants que « des marxisants... aux bourses d'études trop<br />

confortables». "Climats", autre organe de la droite française, dit ceci en parlant d'eux: «<br />

Ces incapables, les exclus, les recalés, les condamnés de droit commun obtenant des<br />

assemblées politiques des bourses d'études en France ». La presse du PCF, elle, est<br />

considérée par la FEANF comme faisant un travail d'information de l'opinion publique<br />

française correct par une couverture objective des assises de la fédération. Evidemment,<br />

pour le "Figaro", c'est que le X eme congrès a «vilipendé comme ''colonialistes'' toute la<br />

presse française saufles journaux communistes ».<br />

a) Les relations entre la FEANF et les autorités administratives.<br />

Dans l'ensemble, elles ne sont pas bonnes. Deux questions permettent de s'en<br />

faire une idée: la presse du mouvement, notamment face à la censure, d'une part et la<br />

question des subventions d'autre part.<br />

- La presse de la FEANF<br />

L'association s'est vite dotée d'un organe de presse, à la fois bulletin intérieur<br />

et journal. Roger de Benoîst écrit que : « Le bulletin de la FEANF fut saisi à plusieurs<br />

reprises par ordre du préfet de Toulouse notamment en décembre 1956 pour critiques à<br />

l'action gouvernementale et en février 1958, pour le compte-rendu du congrès de décembre<br />

1957 ». Ce chercheur, journaliste et ancien rédacteur en chef d"'Afrique Nouvelle",<br />

ajoute: « Le président de la Fédération, fut inculpé le 11 avril 1958 pour atteinte à la sûreté<br />

extérieure de l'Etat» en tant que rédacteur en chef de l'organe étudiant. Même si cette<br />

inculpation fut suivie d'un non lieu, il n'en demeure pas moins qu'elle traduit l'état de<br />

tension qui existe dans les relations entre la FEANF et les autorités métropolitaines.<br />

A Dakar, il en est de même. C'est ainsi qu'un arrêté du gouverneur général,<br />

suivant les instructions du ministre de la FüM, interdit« sur toute l'étendue de l'ADF la<br />

circulation, la vente, la distribution, la production et l'exposition dans tous les lieux publics»<br />

du numéro 10 du journal "L'Etudiant d'Afrique noire" paru en janvier 1958. 11 sera<br />

procédé à la saisie des exemplaires existant 41 .<br />

39. "L'Etudiant d'Afrique noire", Mai 1960.<br />

40. Du 2 janvier 1959.<br />

41. "L'Etudiant d'Afrique noire", tJl de février 1958.<br />

164


En réaction à cette censure, un grand meeting est organisé, le 20 février 1958,<br />

à la place de Mboth, par l'UGEAO, le CJ.S, le P.AI et le P.S.AS. L'ensemble des<br />

organisations présentes adoptent une motion qui proteste contre cette saisie en «...<br />

Considérant l'indignation des masses africaines à l'annonce de la troisième saisie de<br />

l'organe de la Fédération... assure tous les étudiants afdcains de la totale solidan"té dans la<br />

lutte pour l'indépendance nationale»42. De plus, le journal peut également être interdit<br />

par les autorités locales des différents territoires. Ainsi, selon "L'Etudiant d'Afrique<br />

noire" de décembre 1959, il n'a plus droit de cité en Haute Volta.<br />

- La question des subventions.<br />

Elle constitue l'une des causes de tension dans les relations entre la FEANF<br />

et les autorités tant métropolitaines que locales.<br />

Dans un article intitulé "Surdité volontaire", la FEANF écrit : « Nous<br />

apprenons que la conférence des gouverneurs qui vient de se réunir à Dakar, a rejeté la<br />

demande de subvention fonnulée par la FEANF »43. La FEANF publie une lettre de<br />

protestation adressée au Délégué du gouvernement général de l'AOF à Paris relative à<br />

ce rejet en mars 1954. La question revient aussi dans un compte-rendu d'activités du<br />

bureau exécutif de la fédération qui, le 24 septembre 1954, rencontre, à Paris, le<br />

gouverneur général Bernard Cornut Gentille. On la retrouve également dans une autre<br />

lettre de la FEANF adressée au Grand Conseil de l'AOF et la question reste entière<br />

jusqu'en 1959.<br />

La FEANF attend beaucoup des subventions en raison de ses activités qui<br />

nécessitent des moyens financiers. C'est ce qui est avancé dans la discussion du Ill eme<br />

point de l'ordre du jour, lors de la rencontre avec le gouverneur général: «L'organisation<br />

de nos colonies de vacances et de nos congrès, le financement des activités culturelles et<br />

sportives des associations fédérées, nécessitent un budget que, de toute évidence, les seules<br />

cotisations de nos membres ne peuvent équilibrer ». La position de l'administration est<br />

souvent un refus de subventionner la Fédération en invoquant des arguments que les<br />

étudiants de la FEANF jugent infondés.<br />

Dans une lettre envoyée au Délégué du gouverneur général à Paris, ils<br />

donnent leur point de vue sur les raisons du refus: « Vous continuez, depuis quatre ans, à<br />

prétendre que la FEANF n'est pas représentative; à cette fin vous appelez à votre rescousse<br />

des associations territodales dont vous vous moquez éperdument »44. Pour la Fédération,<br />

l'argument de la représentativité déployé par l'administration n'est ni solide, ni<br />

raisonnable, mais il n'est qu'un simple et grossier prétexte. Ils mettent en relief le fait<br />

42. "Dakar-Etudiant", NU de Janv-Fev 1958.<br />

43. "L'Etudiant d'Afrique noire" de Juin-juillet 1954.<br />

44. Lettre du 17 mars 1954, in "L'Etudiant d'Afrique noire", Juin-juillet 1954.<br />

165·


comme celui de la guerre d'Algérie. C'est dire que l'arme de la subvention, utilisée par<br />

l'administration, n'obtient pas le résultat escompté.<br />

b : Les relations entre la FEANF et les partis politiques.<br />

De par ses statuts, la FEANF n'a rien à voir avec un parti politique mais ceci<br />

ne l'empêche pas de se prononcer sur tous les événements relatifs au devenir des<br />

populations d'Mrique noire. C'est ainsi qu'elle qualifie la Loi-Cadre de «nouvelle<br />

manoeuvre colonialiste », considére que « Le général de Gaulle est porté au pouvoir par les<br />

éléments les plus colonialistes qui prétendent restaurer par la force et la terreur 'T'Empire<br />

colonial français" »46. De même, la FEANF estime pouvoir entretenir des relations avec<br />

les partis politiques sans perdre sa liberté d'action. Le congrès extraordinaire de juin<br />

1958 proclame dans sa résolution générale « sa détennination à soutenir toute<br />

organisation ou parti politique africain ayant clairement opté pour l'indépendance<br />

nationale».<br />

En janvier de la même année, la FEANF participe à Paris à la rencontre des<br />

partis politiques africains: R.D.A, P.F.A, P.A.I, P.S.A.S. A la seconde rencontre de ces<br />

partis à Dakar, la FEANF n'a pas participé car elle constate que les partis politiques,<br />

excepté le P.A.I, n'ont pas inscrit la question de l'indépendance immédiate dans leur<br />

projet.<br />

La FEANF préconise le vote en faveur du "non" au référendum du 28<br />

septembre joignant sa voix à celles du P.A.I, du CI.S, de l'UGTAN etc...; elle appelle<br />

les organisations d'étudiants africains, à opter clairement et hardiment pour l'alliance<br />

avec ceux qui, concrètement et quotidiennement, combattent l'impérialisme. La FEANF<br />

répond à diverses invitations de partis politiques africains comme au congrès constitutif<br />

du B.P.S au Sénégal, au lIerne congrès du R.D.A à Bamako etc... Les messages, lors de<br />

ces rencontres ont marqué son désaccord à l'égard de la ligne suivie par ces partis; elle<br />

considére que Houphouët Boigny et le R.D.A ont, en se "repliant", abandonné la lutte<br />

anti-colonialiste engagée au départ. Le mouvement étudiant compare H. Boigny à cet<br />

oiseau de la légende « L'oiseau stupide qui vient de s'engluer a trouvé le bonheur et a<br />

oublié son "akama" (la case de ses mauvais jours) ». En clair, Houphouët devenu ministre<br />

à Paris, a oublié la répression contre le R.D.A. Il a abandonné la lutte de son peuple.<br />

Parlant des attaques multiples contre ce parti, Claude Gérard considére que « La<br />

fédération était systématiquement contre le RDA »47.<br />

La FEANF s'est intéressée à diverses questions comme l'alcoolisme des<br />

populations d'Mrique noire, la politique de non emploi des cadres africains dans la<br />

fonction publique locale d'AOF, les bénéfices scandaleux réalisés par les grandes<br />

46. "Présence Africaine", Congrès extraordinaire de la FEANF, Paris, Juin 1958.<br />

47. R.F.!, Mémoire d'un continent, 29 mai 1989.<br />

167


l'Eglise d'orienter, à sa guise, l'activité des étudiants catholiques, était, à coup sûr, bien<br />

aléatoire.<br />

Dans une certaine mesure, la hiérarchie catholique s'accommode de cette<br />

situation de fait.<br />

169


ECONOMIQUE.<br />

CHAPITRE V<br />

LES GROUPES DE PRESSION A CARACTERE<br />

Trois sortes de groupes se dégagent : la Chambre de Commerce,<br />

d'Agriculture et d'Industrie de Dakar (C.C.A.I), l'Assemblée des Propriétaires de la<br />

Circonscription, le Comité de Défense des Locataires. Ces groupes ont une grande<br />

activité à Dakar, à cause notamment du contexte général. Par ailleurs, il est intéressant<br />

de noter que les deux derniers groupes ont des objectifs souvent contradictoires.<br />

Il LA C.CAI<br />

La Chambre de Commerce, d'Agriculture et d'Industrie de Dakar est l'une<br />

des plus vieilles institutions de la ville puisqu'elle remonte aux premières années de la<br />

création de la ville. Dans la deuxième guerre, la C.C.A.I apporte tout son appui à l'effort<br />

de guerre de la métropole; puis elle apporte sa collaboration au vichysme dakarois. Au<br />

moment du retournement de 1942-1943, cette institution se mobilise pour la nouvelle<br />

cause et prouve ainsi sa capacité d'adaptation aux circonstances. C'est pourquoi, le<br />

contexte de l'après-guerre lui permet de consolider son assise dans le cadre de la<br />

nouvelle politique économique de la France à l'égard de ses colonies d'Mrique noire.<br />

Ainsi, la création de la nouvelle zone monétaire avec le franc CFA (colonies<br />

françaises d'Mrique) décidée par le décret du 26 décembre 1945, est avantageuse pour<br />

les hommes d'affaires. En effet, le franc CFA est« surévalué permettant aux exportateurs<br />

métropolitains des bénéfices de change importants pour les revenus acquis en AOF et AEE<br />

»1.<br />

Outre la réforme monétaire, une nouvelle approche économique entre en<br />

vigueur à partir de 1946. Le principe d'autonomie financière des colonies, jusque là en<br />

vigueur, est remplacé par celui des contributions non remboursables du budget<br />

métropolitain aux budgets locaux. Des institutions financières comme le FIDES (Fonds<br />

d'investissement pour le développement économique et social) et la CCFOM ( Caisse<br />

centrale de la France d'Outre-Mer) sont mises en place pour le financement de la mise<br />

en valeur des colonies.<br />

La mise sur pied de cette nouvelle politique économique constitue un soutien<br />

important au grand capital dans la recherche d'investissements et de débouchés en<br />

Afrique noire. Dans cette perspective, la C.C.A.! de Dakar se trouve très bien placée<br />

pour assumer une fonction de coordination.<br />

1. Papa Waly Danfakha, Les hommes d'affaires sénégalais 1930-1960, DEA Histoire, Université Paris VII, 1985, p. 15<br />

170


Cette institution est, depuis sa création, un domaine réservé des Européens.<br />

Déjà, en 1929, la physionomie des Chambres de commerce du Sénégal se présente de la<br />

manière suivante:<br />

- 100 % d'Européens en 1ere catégorie c'est à dire celle des chefs<br />

d'entreprises commerciales, agricoles et industrielles<br />

- Il Y a une très faible présence africaine en 2 eme catégorie réservée aux<br />

employés ou gérants des grandes maisons de commerce françaises<br />

- Au niveau de la 3 eme catégorie, c'est à dire celle qui regroupe ceux qui sont<br />

installés à leur propre compte, les Africains constituaient la masse.<br />

L'analyse de la composition de la C.C.AI faisait écrire à Papa Waly<br />

Danfakha, qu'il n'y a pas d'entreprises sénégalaises avant 1945.<br />

Marc Diallo est le seul Sénégalais inscrit en 1ere catégorie en 1946. Il est le<br />

fondateur du syndicat des petits commerçants, exportateur d'objets d'art africain et<br />

importateur de produits spécialisés ( Whisky, appareils radios etc...). En 1950, deux<br />

autres Sénégalais sont admis en 1ere catégorie.<br />

Les élections consulaires du 25 avril 1954 à Dakar doivent désigner 25<br />

membres pour la 1ere catégorie, 10 pour la seconde et seulement 4 pour la troisième. La<br />

quatrième catégorie, constituée de 14 membres, ne peut pas être représentée au bureau<br />

de la Chambre de commerce. Le nombre des électeurs inscrits est de 272 à la réunion de<br />

renouvellement du 26 janvier 1956. La composition de la Chambre de commerce de<br />

Dakar est de 34 Européens et seulement quatre Africains. Les chiffres étaient les<br />

mêmes en fin février 1954.<br />

Donc, de 1945 à 1955, l'assemblée de la C.C.A.! se compose d'une<br />

quarantaine de membres dont 90 % sont des Européens.<br />

Cette situation de quasi-monopole des Européens résulte de dispositions<br />

contenues dans le réglement intérieur qui stipule que le nombre total des membres élus<br />

dans les second et troisième collèges ne peut être supérieur à la moitié des membres de<br />

la première catégorie 2 .<br />

De plus, les statuts interdisent toute possibilité de représentation aux<br />

Levantins alors qu'ils sont très actifs dans le domaine économique.<br />

Cette situation de prééminence des Européens à la C.C.A.! de Dakar est<br />

encore remarquée par Régine Bonnardel, bien après l'indépendance puisqu'elle écrit: «<br />

Aucun chefd'industrie, plus de dix ans après l'indépendance, n'est Sénégalais »3.<br />

Diverses raisons expliquent l'importance de la C.C.A.! dans la vie<br />

économique dakaroise. Nous en avons retenu deux plus importantes: la maîtrise de<br />

l'information et la coordination des actions.<br />

2. Ibrahima Thioub, Entreprises-Entrepreneurs et Etat, 1989, p.149.<br />

3. Régine Bonnardel, La vie de relations..., 1976, p.91.<br />

171


gros intérêts coloniaux locaux, la Chambre de commerce manifeste une vive opposition<br />

à toute nouvelle réglementation en matière de travail en AOF. En conséquence, elle se<br />

mobilise fortement. Si de 1945 à 1952, le code du travail a longuement traîné, de projet<br />

à projet, durant toute la période, c'est incontestablement à cause de l'opposition de la<br />

C.C.AI, d'autant plus efficace qu'elle dispose d'appuis solides à Paris.<br />

Les travailleurs de l'AOF doivent l'adoption du code, en 1952,<br />

essentiellement à la détermination qu'ils ont manifestée par le déclenchement de<br />

multiples grèves. La puissance de la Chambre explique aussi que le texte voté en<br />

décembre 1952 ne soit pas mis immédiatement en application.<br />

En somme, la C.C.A.! reste, pendant toute la période de 1945 à 1960, un<br />

organisme très puissant sur le plan économique. Il est l'expression même des puissants<br />

intérêts marseillais, bordelais et lyonnais à Dakar. Son poids économique permet à<br />

l'institution d'imprimer sa ligne "politique" dans la marche des affaires, au niveau local.<br />

11/ L'ASSEMBLEE DES PROPRIETAIRES.<br />

Remarquons, d'abord, que le terme de Circonscription est encore utilisé en<br />

1955 dans la dénomination de cette association dakaroise, expression peut-être d'une<br />

nostalgie, puisque cette entité administrative est supprimée depuis 1946.<br />

Son domaine d'activités se limite à la question de la gestion des immeubles<br />

ou maisons de location. Elle regroupe des Européens, pour l'essentiel, mais elle compte<br />

aussi des Africains. Son conseil d'administration de 1953 se compose de sept membres<br />

dont cinq sont Européens et deux seulement sont des Africains. Cette prééminence des<br />

Européens s'explique, ici, par le fait que ces immeubles et maisons en location sont en<br />

dur. Or, le coût de la construction reste très élevé à Dakar et la condition première est<br />

la possession d'un terrain certifiée par un titre foncier, conformément à la législation<br />

coloniale. Peu d'Africains répondent à ces critères. Ce qui explique leur faible<br />

représentation au sein de l'association. Cette association est donc une expression des<br />

grands intérêts européens auxquels se joignent ceux de quelques Africains.<br />

Le 18 mai 1952, elle écrit au ministre de la FOM, sous le couvert du Haut<br />

Commissaire de l'AOF pour inciter l'autorité parisienne à agir car il y a «...Nécessité<br />

urgente d'édicter une nouvelle réglementation des loyers plus juste et plus efficace». Pour<br />

l'association des propriétaires, cette démarche se justifie par le fait que « la situation<br />

actuelle qui dure depuis 1940, est paradoxale, injuste et nuisible à l'intérêt général,<br />

incohérente et anarchique ». Elle juge que le prix illégal, pratiqué par certains<br />

propriétaires et locataires, fait courir des risques sérieux aux propriétaires qui sont à la<br />

merci d'un changement d'humeur et d'attitude des locataires 9 d'autant plus que le prix<br />

9. Affaires politiques AOF, ANSOM, carton 2163 dos 2, 1952.<br />

174


En septembre 1947, Detraves, secrétaire administrative du groupe socialiste,<br />

adresse à Marius Moutet, ministre de la FOM, une lettre lui demandant si satisfaction<br />

peut être apportée aux desiderata des petits et moyens commerçants de Dakar. Elle<br />

vient d'en être saisie par ce groupe. La réponse du ministre, datée du 30 septembre,<br />

indique à Detraves que sa demande est envoyée au Haut Commissaire de l'AOF pour<br />

qu'il en soit tenu compte dans l'étude en cours d'un projet d'une nouvelle<br />

réglementation sur les baux.<br />

Deux mois plus tôt, la fédération nationale des syndicats du commerce s'est<br />

adressée au ministre de la FOM, par une lettre qui met l'accent sur la précarité de la<br />

situation des locataires dans les grandes villes de l'AOF, particulièrement à Dakar.<br />

D'après elle, les locataires «étaient impitoyablement expulsés avant d'atteindre<br />

quatre ans d'occupation, ce qui représente une absence de garantie de sécurité »10.<br />

Pour cette association, la législation en vigueur est bonne, car elle offre<br />

théoriquement des garanties de sécurité. Donc, il faut que les autorités de la fédération<br />

d'AOF la mettent effectivement en application en en faisant respecter la pratique par<br />

les propriétaires, par intervention de la justice.<br />

Cette lettre dénonce les expulsions administratives dans un domaine où seule<br />

la justice doit être compétente. Cette question d'expulsions, se retrouvent en 1950 et en<br />

1952 dans les échanges de télégrammes entre le ministre de la FOM, le Grand Conseil<br />

de l'AOF et le Haussaire de Dakar. En effet, en janvier 1950, c'est le secrétaire général<br />

du comité de défense des locataires de Dakar, Jamil Haddah, qui écrit au gouverneur<br />

général avec ampliation au Grand Conseil, pour demander la parution urgente d'un<br />

décret devant régler les rapports entre locataires et propriétaires. Il demandee, en outre,<br />

la mise en place d'une commission compétente pour règler les cas épineux. Dans<br />

l'annexe de la lettre, il propose que soit reconsidérée la situation des secteurs<br />

résidentiels de Dakar, au nombre de sept, dont cinq sont réservés aux Européens, un aux<br />

Européens et Africains et un aux Africains.<br />

Le 29 juin 1952, c'est le président du Grand Conseil de l'AOF qui télégraphie<br />

au ministre, sur une démarche urgente de l'association des médecins d'AOF qui se<br />

plaignent des agissements abusifs des propriétaires soutenus en cela par le Haut<br />

commissaire de, Dakar qui ordonne les multiples expulsions administratives.<br />

L'association des médecins télégraphie, aussi, en ce sens, au ministre de la FOM. Ce<br />

dernier, en réponse, demande au Grand Conseil d'informer les médecins africains que le<br />

gouvernement vient d'adopter la réglementation sur les loyers en AOF.<br />

Les journaux dakarois s'intéressent aussi à cette question des loyers.<br />

"Echos d'Afrique noire" accuse le Crédit Foncier de l'Ouest Africain de<br />

saboter la bonne entente entre Blancs et Noirs, à Dakar, par les conditions de location<br />

10. Lettre du 19 juin 1947, carton 2163 dos 2, ANSOM.<br />

176


compris celle qui est tenue par des Africains, restent muets sur les loyers des cases et<br />

baraques.<br />

Ces groupes de pression à caractère économique sont donc très influents à<br />

Dakar. Le réel dynamisme s'explique par les contradictions d'intérêts entre les uns et les<br />

autres. Dans l'expression de ces contradictions à Dakar, l'administration est surtout<br />

sensible aux intérêts des propriétaires, tout en se souciant aussi des aspects de sécurité<br />

dans le cadre des relations entre ces groupes d'intérêts. Le contexte global de pénurie de<br />

logements impose, bien sûr, cette prudence à l'administration, juge entre les parties.<br />

178


11/ LA CONFRERIE TIDJANE<br />

Le recensement démographique de 1955 indique que plus de la moitié des<br />

musulmans à Dakar, exactement 55 % , se réclame de cette confrérie.<br />

La confrérie tidjane est fondée au Sénégal par le marabout toucouleur El<br />

Hadj Omar Tall qui a combattu la présence française sur le territoire. Jean Louis Triaud<br />

dit que: « Ses descendants spirituels passeront pacte avec le colonisateur. Les Français ont<br />

judicieusement utilisé la confrérie. »7 Mais c'est à un autre marabout toucouleur El Hadj<br />

Malick Sy que l'on doit d'avoir introduit le Tidjanisme en pays ouolof. Il est né en 1855 à<br />

Gaya, près de Dagana, dans un Waalo intellectuellement influencé par la Mauritanie. Il<br />

fait le pélerinage de la Mecque, puis s'installe, successivement à Saint-louis, dans le<br />

Gandiolais, à Pire, à Ndiarndé où il se fixe de 1895 à 1902 Y donnant le plein de son<br />

enseignement à des disciples qui viennent de tous les cvoins du territoire. Puis, le chef<br />

religieux se fixe définitivement à Tivaouane, en plein coeur du Cayor, au faîte de sa<br />

notoriété.<br />

Lorsqu'il meurt en 1922, il laisse derrière lui, beaucoup de disciples auxquels<br />

il a longuement enseigné la rhétorique et l'éxégése, mais aussi beaucoup d'écrits soit des<br />

commentaires du Coran, soit de la littérature, soit des chansons à la gloire du Prophète<br />

de l'Islam, Mohamet (Paix et Salut sur Lui). Sa succession ne fut pas facile et les<br />

rivalités internes de sa famille se répercutent, par la suite, sur l'unité même de la<br />

confrérie et ceci jusqu'à Dakar.<br />

Comment s'est-il développé à Dakar, le mouvement esquissé par<br />

l'enseignement religieux d'El Hadj Malick Sy ?<br />

D'après Ibrahima Marône, c'est tout juste un an après la disparition du<br />

Mawdo 8 qu'est créé à Dakar, le premier dahira 9 à l'initiative d'une dizaine de fidèles.<br />

Ce groupement est, à l'origine, un simple canal de relations. Il est dénommé "dahiratoul<br />

kirame tidjaniya". Son siège est au 60 de l'avenue William Ponty à Dakar, mais ses<br />

réunions se tiennent chez El Hadj Ibra Ndiaye Diop, au boulevard de la République.<br />

C'est dans le local où siège l'association que El Hadj Malick était auparavant<br />

hôte lors de ses rares venues à Dakar. Ce premier dahira est important dans l'historique<br />

du développement de la confrérie à Dakar car, très vite, il connait une extension<br />

remarquable dans un contexte politieo-religieux dominé par les divisions relatives à<br />

l'affrontement Galandou Diouf/Lamine Guèye lesquels briguent la succession du<br />

député Blaise Diagne mort en 1934. Les forces religieuses sénégalaises, plus ou moins<br />

directement, prennent parti dans ce conflit. L'après deuxième guerre mondiale et les<br />

7. Jean Louis Triaud, cours de DEA Connaissance Tiers-mondes, 1985-1986, Université Paris VII<br />

8. Terme ouolof désignant le sage.<br />

9. Mot ouolof d'origine arabe désignant groupement religieux.<br />

181


ivalités politiques SFIO de Lamine Guèye et BDS de Senghor se répercutent aussi sur<br />

la confrérie, et jusqu'à Dakar où la dahiratoul kirame tidjaniya se brise sur ce conflit.<br />

Ibrahima Marône passe en détails, dans son étude sur la confrérie tidjane, le<br />

processus qui conduit à cette dislocation. D'après lui, une tendance fidèle au Khalife<br />

Ababacar Sy, premier successeur d'El Hadj Malick Sy, tient à extirper du dahira "les<br />

mauvais éléments". Ceux-là s'opposent violemment aux manoeuvres des partisans du<br />

Khalife. Ils se constituent en une autre association dénommée "Ahmadiya" qui installe<br />

son siège social chez El Hadj Mansour Sy, frère du Khalife Ababacar Sy. Cette division<br />

se manifeste concrètement par le refus de ce clan de rendre visite, en 1950, au Khalife<br />

de Tivaouane Ababacar Sy, lors de la grande cérémonie religieuse du gamou annuel lO .<br />

Cette grande manifestation, à laquelle viennent participer les Tidjanes du pays entier,<br />

rend publique la division de la confrérie. Lorsque, au gamou de 1951, ce sont les frères<br />

même du Khalife qui refusent de lui rendre visite, or cette cérémonie revêt valeur<br />

d'allégeance au chef spirituel, ainsi la division est vraiment consommée d'autant que les<br />

dissidents organisent à part, un autre gamou.<br />

Cette division ouverte des Tidjanes donne lieu à des pamphlets, des<br />

moqueries, des insultes, des chansons rivales obscènes et même des affrontements<br />

physiques sanglants. Lorsque, le 5 mars 1952, à la mosquée d'EIHadj Malick Sy de<br />

Dakar 11 , en pleine prière, de violents incidents se produisent parmiles participants, on<br />

mesure à quel point, les clans dakarois sont devenus antagonistes. C'est ainsi que le 6<br />

mars 1956, dans la ville sainte de Tivaouane, capitale de la confrérie, «ily eut 2 morts, 6<br />

blessés graves, 34 blessés légers, 373 habitations détmites, 90 tonnes d'arachide brûlées, 17<br />

arrestations opérées. »12 Parmi les divers clans, il est fondé de se demander ce qu'est<br />

devenu la recommandation du fondateur à propos de l'unité de la confrérie. Le 23 ,<br />

décembre 1956, lorsque la cour d'assises de Dakar juge ces incidents du 6 mars, la ville<br />

sainte est véritablement en état de siège et Dakar sous haute surveillance policière.<br />

Lorsque le verdict tombe, condamnant à de lourdes peines de prisons et d'amende les<br />

partisans du Khalife Ababacar Sy, surtout, le mécontentement de ce dernier se<br />

manifeste par un communiqué traduisant son indignation. L'unité de la confrérie tidjane<br />

demeure largement compromise.<br />

Le 29 mars 1957, Ababacar Sy meurt à Tivaouane. Quatre jours plus tard, on<br />

annonce la mort de son frère et rival El Hadj Mansour Sy. Les querelles de la confrérie<br />

prennent, par suite, de la conjonction de faits, une dimension nouvelle car le problème<br />

de la succession au Khalifat arrive au premier plan, dans un contexte de profonde<br />

division. Toutes les tentatives de réconciliation entre les tendances échouent. Le<br />

gouvernement Mamadou Dia se croit même interpellé au point de devoir publier un<br />

10. Cérémonie annuelle à la mémoire de la naissance du Prophète Mohamet.<br />

11. Située à l'avenue Maginot.<br />

12. Ibrahima Marône, Le Tidjanisme au Sénégal, op. cit., p. 204.<br />

182


. Dès sa création, le mouvement mouride qui, par l'enseignement et par la<br />

pratique même du fondateur, accorde une grande place au travail de la terre, imprime à<br />

la culture de l'arachide une grande dynamique, à la joie du colonisateur. Mais dès la fin<br />

de la seconde guerre mondiale, le front pionnier de l'arachide se fixe comme le constate<br />

le géographe Paul Pélissier 17<br />

Cette stabilisation du front pionnier arachidier se traduit par un important<br />

changement de caractère du mouvement mouride qui devient essentiellement urbain.<br />

Beaucoup d'adeptes se glissent alors vers les villes et particulièrement à Dakar. Ils sont<br />

attirés par les activités de commerce de détail dans les marchés car Dakar, de ce point<br />

de vue, leur offre d'énormes possibilités.<br />

En somme, c'est un mouridisme urbain qui s'amorce ainsi.<br />

Le recensement démographique de Dakar, en 1955, chiffre les mourides à 20<br />

% de la population totale. Ils sont 25.781, constitués à 85 % par des Ouolofs.<br />

L'étude de Momar Coumba Diop sur la confrérie mouride 18 est<br />

particulièrement intéressante sur son aspect d'implantation urbaine, y compris les<br />

années d'après indépendance. Elle distingue trois formes de Dahiras : le dahira de<br />

quartier, le dahira scolaire et le dahira regroupement. Si les dahiras de quartier ont<br />

comme activités principales, l'organisation de chants religieux à l'occasion des dates<br />

marquantes de la confrérie, les dahiras regroupement revêtent une autre forme. Ils<br />

permettent aux talibés mourides qui travaillent dans la même entreprise ou dans le<br />

même service administratif, de s'organiser culturellement etlou économiquement.<br />

Sur les marchés dakarois, les dahiras mourides constituent des noyaux<br />

importants de ce qui peut être considéré comme un syndicalisme des marchés. En effet,<br />

ces commerçants mourides, par les dahiras qui ressemblent à bien des égards aux<br />

dahiras tidjanes, sont des canaux de revendications et d'organisation en tant que groupes<br />

de pression. Le syndicat des petits commerçants de Dakar doit beaucoup, dans son<br />

implantation et son dynamisme, à ces dahiras regroupements qui se fédèrent pour mieux<br />

organiser la solidarité entre ses membres, mais surtout pour assumer la solidarité à<br />

l'égard des chefs de la confrérie à Touba : la capitale du mouridisme. Ces organisations<br />

mourides à Dakar, tout comme dans les autres villes du Sénégal, jouent un rôle<br />

déterminant dans l'organisation annuelle du magal, la plus grande cérémonie de la<br />

confrérie, celle qui annuellement, marque le retour d'exil du fondateur. A cette<br />

occasion, les organisations urbaines mourides mobilisent des moyens humains,<br />

financiers et matériels considérables.<br />

Le mouridisme urbain se double aussi d'une autre dynamique dont l'ampleur<br />

est considérable: c'est celle d'un projet politique mouride. Ce projet se fonde sur un des<br />

17. P. Pélissier, Les paysans du Sénégal.<br />

18. Mornar Coumba Diop, La confrérie rnouride..., 1980.<br />

----._-- -<br />

184 .


Xassaïds 19 , selon lequel, Ahmadou Bamba Mbacké prédit que le Sénégal sera dirigé,<br />

après un certain Senghor, par des talibés mourides. Selon Mactar Ndiaye, l'un des chefs<br />

mourides de Dakar, qui le rapporte à Momar Coumba Diop20, la prédiction connait un<br />

début de réalisation puisque le premier président du Sénégal fut Senghor. Le Xasaïd a<br />

bien parlé de ce nom.<br />

Cependant, on constate que le mouvement mouride ne donne pas naissance,<br />

pendant la période, à un mouvement politique.<br />

Mais, il est certain que si ce projet politique donnait naissance à un parti, ce<br />

dernier disposerait d'atouts énormes: l'unité directionnelle du mouvement mouride qui<br />

n'est pas éclaté en plusieurs centres, mais aussi de la solidarité organisationnelle dont<br />

font preuve les mourides, en ville comme à la campagne. Il est évident qu'un tel parti<br />

poserait de sérieux problèmes pour l'unité même de la nation. Mais, même sans parti<br />

politique, le rôle des mourides dans la vie sociale du pays et à Dakar, particulièrement,<br />

est très important dans la période étudiée. C'est ainsi qu'en début septembre 1958,<br />

lorsque l'agitation bat son plein au Sénégal en vue du référendum du 28 septembre,<br />

Mamadou Dia, chef du gouvernement, de retour de l'étranger débarque à Yoff, il se fait<br />

immédiatement conduire à Touba. Au cours de l'entretien qu'il a aussitôt avec le chef<br />

de la confrérie mouride, il s'entend dire fermement, le choix fait par la Communauté<br />

mouride, qui à travers son chef, se prononce en faveur du "oui" lequel est déjà annoncé<br />

aux fidèles à titre de consigne de vote. La présence du chef du gouvernement lui offre<br />

seulement l'occasion de la porter sur les antennes de la radiodiffusion 21 . Le chef du<br />

gouvernement n'a d'autre choix que de s'y conformer eu égard au poids moral du chef<br />

religieux dans le pays, surtout quand cette position s'accorde avec celles de diverst)<br />

autres chefs religieux.<br />

Un autre fait marquant l'influence du chef de la confrérie mouride se produit<br />

à l'occasion de l'élaboration et de l'adoption de la constitution sénégalaise après le<br />

référendum de 1958. Des autorités religieuses sénégalaises demandent à être consultées<br />

sur le projet mais le gouvernement refuse car Mamadou Dia craint une orientation<br />

droitière de la constitution. Plusieurs chefs religieux, regroupés dans le cadre du Conseil<br />

Islamique, interviennent alors auprès du Général de Gaulle à Paris. Le Khalife des<br />

mourides dénonce cette démarche du Conseil Islamique. Il apporte ainsi un véritable<br />

soutien au gouvernement de Mamadou Dia et creuse en même temps le tombeau de ce<br />

Conseil Islamique. Ainsi donc, le chef religieux des mourides, Falilou Mbacké, apporte<br />

par delà sa personne, le poids effectif des mourides sur l'échiquier politique sénégalais.<br />

Le mouvement mouride est moins important à Dakar que celui des Tidjanes. Cela<br />

s'explique par le caractère d'urbanisation très récent du mouridisme jusque là orienté,<br />

19. Chants religieux composés ou supposés l'être par le fondateur de la confrérie mouride.<br />

20. Momar Coumba Diop, op. CiL,<br />

21. "Paris-Dakar", 4 septembre 1958.<br />

185


principalement, vers les campagnes. Mais, la crise de la culture arachidière accentue<br />

notablement l'implantation urbaine de cette confrérie.<br />

IV/LA CONFRERIE HAMALLITE<br />

Il s'agit en fait, d'un sous-ensemble de la confrérie tidjane. Le Hamallisme<br />

est né au Soudan, à Nioro du Sahel, en plein fief de la famille Omar Tall, vers 12_00.<br />

Son fondateur est Sidi Momamed Ben Abdallah Cheikh Akhdar. Il prône un<br />

tidjanisme pur. Mais, c'est surtout le disciple Cheikh Hamallah qui marque le plus,<br />

l'histoire du mouvement religieux puisqu'il porte même son nom. L'intéressé prêche la<br />

supériorité de la mystique sur l'érudition. Mais c'est surtout l'homme qui fait changer la<br />

direction de la Kibla en faisant prier vers Nioro et non plus vers vers la Mecque 22<br />

L'agitation spirituelle qui a suivi la naissance de ce mouvement religieux<br />

donne naissance, à Nioro, à des incidents graves. Se sentant menacés dans leur propre<br />

fief, les autorités omariennes présentent Cheikh Hamallah et ses adeptes comme des<br />

éléments dangereux pour l'ordre public, en raison du caractère agressif de leur nouveau<br />

prosélytisme. Les autorités coloniales arrivent vite à la rescousse en prononçant pour<br />

une période de dix ans, l'internement administratif de Cheikh Hamallah par l'arrêté<br />

2639 bis du 28 novembre 1925 du gouverneur général Carde. Interné d'abord en<br />

Mauritanie, Cheikh Hamallah est transféré par la suite en Côte d'Ivoire puisqu'il<br />

continue à influencer la région de Nioro du Sahel 23 , Cependant, dix ans d'internement<br />

n'ont pas eu raison de la vie du chef. Il revient à Nioro après sa libération.<br />

Mais son influence que les années de prison ont fortement grandie, continue<br />

à gêner les Omariens. De nouveaux incidents sanglants éclatent dans la période de<br />

l'administration vichyste. Le gouverneur général, Pierre Boisson, décide, le 19 juin 1941,<br />

d'un nouvel internement du chef religieux. Deux jours plus tard, le 21 juin, Cheikh<br />

Hamallah, enchaîné, lui est présenté au palais du gouvernement général à Dakar, en<br />

présence d'une assemblée de chefs religieux islamiques convoqués pour la circonstance.<br />

Au gouverneur général qui lui demande les raisons pour lesquelles il ne veut pas rester<br />

tranquille comme le font les chefs religieux présents devant lui, la réponse de Cheikh<br />

Hamallah ne se fait pas attendre: «J'attends toujours des preuves de ma culpabilité. Ces<br />

marabouts ne veulent pas être enchaînés publiquement comme mo4 et moi, je ne voudrais<br />

pas être comme eux. Leurs poitrines acceptent vos médailles. Je n'accepterai jamais vos<br />

médailles sur ma poitrine. »24 Après cette entrevue, le chef religieux est conduit à Alger<br />

puis à Montluçon en France où il meurt le 16 janvier 1943 dans l'isolement total. Sa<br />

22. J. C Froelich, Les musulmans d'Afrique, 1%2, p. 239.<br />

23. Alioune Traoré, Contribution à l'étude de l'Islam, 1975, p. 159.<br />

24. Ibidem, p. 205.<br />

186


famille n'est informée de son décès que quatre ans plus tard. Le quotidien dakarois<br />

l'annonce seulement le 7 août 1947.<br />

La dimension du mouvement hamaliste à Dakar est fournie par le<br />

recensement de 1955 qui chiffre à 500 personnes, le nombre de ses adeptes. J. C<br />

Froelich 25 dit qu'ils sont, à travers le Sénégal, seulement quelques milliers pendant la<br />

période.<br />

Quelle est l'influence de ces quelques adeptes hamallistes à Dakar?<br />

L'administration leur consacre beaucoup de notes. Le rapport annuel de la<br />

Délégation de Dakar de 1949, indique que le mouvement religieux est traversé à Dakar<br />

par deux tendances rivales. Elle recommande une surveillance, la 'plus étroite possible,<br />

des croyants dont l'activité peut constituer une sérieuse menace à l'ordre public2 6 . Ce<br />

même rapport note le mécontentement général né chez ces Hamallistes et « dû au fait<br />

que depuis quelques temps, ils ne peuvent rendre visite au Moghadem Fodé Abdoulaye<br />

Doucouré, interné à la prison civile de Dakar. » Cette grande figure du mouvement à<br />

Dakar est emprisonnée par décision administrative.<br />

Un an auparavant, un rapport de l'administration note les diverses tentatives<br />

de réconciliation, demeurées infructueuses, pour calmer le conflit entre deux chefs du<br />

mouvement à Dakar: l'Imam Mohamed Diaby de la mosquée hamalliste et Mohamed<br />

Ould Chérif, frère de Cheikh Hamallah. l'une de ces tentatives de réconciliation,<br />

présidée par le Moghadem Fodé Bakary Touré, a lieu en présence d'un autre frère du<br />

fondateur du mouvement, Chérif Baba Haïdara. La réunion à laquelle participent tous<br />

les Hamallistes de Dakar, n'a pas le résultat escompté à savoir la réconciliation. Ainsi, il<br />

est décidé, sur proposition de Cheikh Baba Haïdara, que les deux chefs religieux<br />

quitteront Dakar pour mettre fin au conflit et que, de Nioro même, viendra une<br />

personnalité pour prendre en main la direction locale du Hamallisme 27 .<br />

Le mouvement hamalliste n'a qu'une faible influence à Dakar. Cependant,<br />

ses divisions internes préoccupent largement l'administration parce que les luttes de<br />

clan aboutissent souvent à des incidents graves.<br />

V/LA CONFRERIE KADIRIYA.<br />

Elle est née en Mauritanie, dans la région de Boutilimit. Au Sénégal, elle est<br />

représentée par la famille des Kounta, installée au village de Ndiassane, à une dizaine<br />

de kilomètres de Tivaouane.<br />

Cette confrérie a été la première à compter des adeptes dans le Fouta Toro.<br />

Mais, le fait que son armature principale, c'est à dire ses cadres, soient de la famille<br />

25. op. Cit., p. 245.<br />

26. Rapport annuel de la Délégation de Dakar, Aff. polit. AOF, ANS, 2G 49-123, 1949.<br />

27. Aff. polit. AOF, ANS, Rapport 2G 48-117,1948.<br />

187


Ibrahima Marône note, qu'entre 1949 et 1951, c'est un total de 22.974.000 F<br />

CFA que l'administration distribue aux chefs religieux. De même, Moriba Magassouba<br />

note aussi des relations particulières entre l'administration et les chefs religieux en<br />

écrivant, à propos de la campagne du référendum de 1958 : « Les marabouts qui ne<br />

veulent pas entendre parler d'indépendance, trouvent un soutien résolu en la personne du<br />

gouverneur Lami dont la porte et les subsides leur étaient largement ouvertes. »37<br />

Cependant des nuages peuvent subsister dans les rapports entre<br />

l'administration et les chefs religieux. ce fut le cas, lorsque par arrêté, le gouverneur<br />

général, en juillet 1951, abaisse les limites d'âge scolaire en AOF. Les marabouts et<br />

l'ensemble des forces islamiques y voient un acte anti-islamique tendant à empêcher les<br />

enfants africains de suivre un enseignement coranique. A ce moment là, le climat est<br />

déjà tendu à la suite de la promulgation du décret Jacquinot sur la femme africaine alors<br />

qu'un député chrétien (Senghor) vient tout juste d'être élu au Sénégal. Ces mesures et<br />

ces faits donnent un tonus particulier à l'association "Combat pour la défense de<br />

l'Islam". Une conférence des chefs de l'Islam est convoquée à Dakar, le 8 janvier 1952,<br />

et conclut à « La gravité de l'heure » décidant en conséquence de développer une<br />

véritable réplique à cette "croisade anti-islamique". La situation est suffisamment<br />

inquiétante pour l'administration qui indique: « Le rapprochement des grands marabouts<br />

et leur plan d'action... ne sont pas sans importance. Ils risquent de créer une dangereuse<br />

psychose de "Défense de la religion" dans la population musulmane. »38 L'administration<br />

discernant le danger, s'active par la suite pour casser ce front islamique, en jouant<br />

surtout sur les rivalités des différentes composantes du mouvement. L'administration<br />

dispose aussi d'une autre carte maîtresse qui est l'organisation, sous sa tutelle, du<br />

pèlerinage aux lieux saints de l'Islam.<br />

Par cette responsabilité, elle peut accorder ou refuser le voyage à qui elle<br />

veut. Les services de sûreté sont étroitement mis à contribution pour la délivrance de<br />

ces véritables autorisations accordées au compte goutte. Moins de 100, au total, sont<br />

accordées en 1947 (52 pour un voyage par la voie maritime et 29 par l'avion). En 1949,<br />

103 autorisations sont accordées sur 250 demandeurs inscrits.<br />

Ce contrôle donne lieu à diverses démarches des chefs religieux auprès de<br />

l'administration ainsi qu'auprès des élus pour qu'il soit moins ctif. Les musulmans<br />

constatent que l'organisation du pélerinage est trop policière car les intéressés sont non<br />

seulement triés au départ, mais sont également surveillés pendant tout le pèlerinage.<br />

Les raisons du caractère restrictif imposé au pélerinage sont données par le<br />

chef de la mission du pèlerinage, en 1954, qui écrit: « '" Un moyen de contacts, une sorte<br />

de grandes assises où les idées sont confrontées et échangées, des mots d'ordre lancés en<br />

faveur de l'unité du monde arabe... Notre pays, l'Afrique noire, semble une cible de choix.<br />

37. Moriba Magassouba, L'Islam au Sénégal, 1985.<br />

38. Ra ort 4eme trimestre 1952, Délégation de Dakar, Aff polit. AOF, ANS Dakar, Service de police et sûreté.<br />

190


»39 L'auteur de ces propos est le chef de bataillon Amadou Fall. Haut cadre de l'armée<br />

coloniale, ce Sénégalais ne fait rien d'autre que mettre l'administration en garde sur les<br />

conséquences du pélerinage.<br />

Les marabouts ne tiennent pas leur puissance du seul soutien de<br />

l'administration. En effet, ils disposent de moyens économiques importants tirés de la<br />

culture de l'arachide dont ils sont les plus gros producteurs car, par le travail des<br />

Talibés, ils disposent d'une force de travail importante et gratuite. En outre, ces<br />

marabouts disposent aussi d'une part non négligeable des revenus urbains de leurs<br />

adeptes par le canal de ces diverses associations religieuses que sont les "dahiras". Paul<br />

mercier, chef de la mission sociologique de Dakar, note l'existence de 19 associations<br />

religieuses dans la capitale en 1955. Pour lui, ces associations, déclarées, ne sont que<br />

peu de choses au regard de celles qui ne sont pas déclarées : dans « La plupart des cas,<br />

les associations de cette nature n'étaient pas déclarées, donc ne pouvaient pas faire l'objet<br />

d'un recensement. »40 Ces associations constituent de solides piliers économiques et<br />

financiers des marabouts. Il est vrai aussi que, parfois, les marabouts doivent venir en<br />

aide aux talibés.<br />

Au total, les relations entre les confréries islamiques et l'administration ont<br />

joué un grand rôle dans le contexte des années 1945-1960. De manière générale, ces<br />

relations ont été bonnes. Mais, en certaines circonstances, des occasions de conflit ont<br />

existé. Cela s'explique par le fait que les intérêts convergent largement, surtout entre les<br />

chefs islamiques et cette administration.<br />

VII/ LE REFORMISME ISLAMIQUE<br />

L'UCM (Union Culturelle Musulmane) est créée à Dakar, en 1953, dans le<br />

but de réformer l'Islam en Afrique noire.<br />

Ses initiateurs sont des jeunes, anciens élèves boursiers des municipalités de<br />

Dakar et de Saint-louis, de retour au Sénégal. El Hadj Cheikh Touré, ancien élève de<br />

l'école Ben Badis de Constantine, centre de formation des maîtres de l'association des<br />

oulémas d'Algérie, en est le chef de file. Dès sa création, l'association lance un<br />

Manifeste qui est publié en français par l'imprimeur dakarois, A Diop. Le manifeste<br />

s'intitule: «Afin que tu deviennes un croyant. »41 J. C Froelich remarque que ce texte<br />

n'a jamais été publié dans un ouvrage européen, preuve du peu d'intérêt qu'il a<br />

représenté ou de la méfiance qui l'a entouré. L'intérêt du texte est pourtant évident. Le<br />

manifeste, après avoir fait le constat du retard des populations africaines, s'exprime ainsi<br />

: «Si l'on regarde attentivement, on constate [00'] que les maux dont elles souffrent [...] que<br />

39. C. Coulon, Le marabout et le Prince, 1981, p. 153.<br />

40. P. Mercier, Contributions à la sociologie, 1968, p. 129-130.<br />

41. J.C. Froelich, Le réformisme de l'Islam en afrique noire, Déc 1961, p. 83.<br />

191


président de l'UCM, comprend sept associations 43 dont l'UCM est la plus importante.<br />

Ces initiatives réformistes islamiques aboutissent à la convocation d'un congrès<br />

interterritorial qui se tient à Dakar du 22 au 25 décembre 1957. Le congrès débute ses<br />

travaux par un véritable meeting populaire, en plein coeur de la Médina, au cinéma<br />

Rex, boulevard de la Gueule Tapée, avec 800 auditeurs 44 .<br />

De hautes personnalités musulmanes sont présentes,; parmi elles, Seydou<br />

Nourou Ta1l 45 grande figure dakaroise et El Hadj Ibrahima Diop, grand Serigne de<br />

Dakar. La suite des travaux a lieu à la Maison des jeunes et de la culture de Dakar.<br />

l'importance du congrès tient au fait que c'est la première fois que le mouvement<br />

islamique, en AOF, tient une assise d'une telle envergure. d'importantes résolutions et<br />

motions sont adoptées. La résolution générale exige la suppression immédiate des<br />

importations de boissons alcooliques, dénonce l'action néfaste du bureau des affaires<br />

musulmanes dans son activité contre l'expansion de l'Islam en Afrique noire, condamne<br />

le colonialisme qui cultive le fatalisme chez les populations en refusant de combattre<br />

l'ignorance pour mieux asseoir sa domination. Le congrès demande aussi que le<br />

vendredi, jour saint de l'Islam, soit férié, chômé et payé pour permettre aux travailleurs<br />

musulmans de pouvoir accomplir leurs obligations religieuses. La guerre d'Algérie est<br />

dénoncée comme une entreprise colonialiste. Le congrès exige, en outre, que les<br />

responsables des événements sanglants de Bamak0 46 soient châtiés, rend hommage à<br />

Sékou Touré chef du gouvernement de Guinée pour sa sollicitude. Par son orientation<br />

et son activité, ce mouvement de l'UCM est aux yeux de l'administration, un mouvement<br />

extrêmiste, surtout lorsque, en 1958, aux côtés du P.AJ, du PRA-Sénégal, de l'UGTAN<br />

et des étudiants, elle prône le "non" au référendum. L'administration qui la considère<br />

comme un pion à la fois communiste et nassérien en Afrique, exerce une surveillance<br />

étroite sur les relations extérieures du mouvement. Cette surveillance va jusqu'à la<br />

confiscation des postes radio par lesquels certains membres peuvent capter Moscou et le<br />

Caire. c'est à une rude tâche de contrôle que se livre l'administration, en raison du<br />

nombre de postes radio, en accroissement, du reste dans la population africaine. Elle<br />

contrevient aussi à ses propres règles qui n'interdisent pas l'écoute d'une station de<br />

radio étrangère. Par contre, il lui est plus facile de censurer la presse écrite ce qui se<br />

traduit par la saisie des organes de presse imprimés, à caractère de propagande<br />

islamique, venant notamment d'Egypte ou du Liban. C'est ainsi que, entre les mois de<br />

mars et de mai 1953, la sûreté dakaroise confisque divers envois de journaux et<br />

brochures en langue arabe. Les journaux saisis sont: "AI AIam" (31 mars, 23 avril, 30<br />

43. Fiche 32.<br />

44. F. Quesnot, Op. Cit., p. 47.<br />

45. Seydou Nourou Tall, dans son allocution devant le congrès, remercie l'administration qui facilite le pèlerinage,<br />

construit des mosquées, arbitre les conflits et autorise les chants religieux.<br />

46. Les 17 et 18 mai 1957. Plusieurs morts. L'administration est soupçonnée d'être à la base des incidents.<br />

193


avril, 4 mai), "Afrique Levant" (30 avril et 4 mai)47. Des matériaux en provenance de la<br />

F.S.M, des mouvements culturels ou de la jeunesse des pays communistes et destinés à<br />

l'UCM sont également saisis par les autorités dakaroises.<br />

Un organe de la presse métropolitaine, "Revue de la Communauté France­<br />

Eurafrique,,48, proche de la droite, explique l'importante activité de l'UCM par<br />

l'influence que les communistes y exercent. Le gouverneur général de l'AOF discerne,<br />

lui, une autre cause: « L'évolution a des bases d'idées proche-orientales et à tendance<br />

xénophobe et nationaliste. Le Wahabisme réfonniste a son influence la plus nette au sein<br />

des collectivités noires islamisées. »49<br />

Naturellement, il n'y a pas que l'administration qui essaie d'endiguer ce<br />

courant islamique réformiste. Les chefs islamiques locaux, eux-aussi, cherchent à freiner<br />

le mouvement dont le déploiement d'activités, particulièrement à Dakar, leur semble<br />

être une menace pour leur puissance établie.<br />

C'est la raison pour laquelle ils s'organisent en fondant, en 1957, un outil de<br />

riposte appelé "Ligue de défense de l'Islam". Cette nouvelle organisation est présidée<br />

par El Hadj Seydou Nourou Tall, porte-parole des traditionnalistes et homme<br />

particulièrement lié à l'administration; à ses côtés, on trouve aussi El Hadj Ibrahima<br />

Niasse, autre figure du tidjanisme, très influent dans le bassin arachidier. d'autres chefs<br />

islamiques de Tivaouane et de Dakar y participent. De ce point de vue, cette "Ligue de<br />

défense de l'Islam" apparaît comme une manoeuvre administration-confrérie tidjane.<br />

Cette ligue ne fait pas long feu car les dissensions internes la minent. Lorsque plusieurs<br />

des piliers de cette ligue glissent, un an plus tard, sur le terrain politique, par la<br />

constitution d'un parti politique islamique, on peut dire que le mouvement réformiste,<br />

engagé par l'DCM, peut avoir de longs jours devant lui puisque l'outil créé pour le<br />

contrer s'est effondré. Son développement ultérieur l'atteste. Ce réformisme islamique<br />

accorde une place de choix à l'enseignement qu'il dispense dans des écoles créées sur le<br />

modèle européen, à Dakar et dans le reste de l'AOF. Les ouvrages, utilisés dans ces<br />

établissements scolaires, sont importés d'Egypte surtout. L'état-major chiffre à un<br />

millier le nombre d'élèves qui est touché par cet enseignement à Dakar. A ceux-ci,<br />

s'ajoutent quelques milliers qui suivent tant bien que mal, l'enseignement dispensé aux<br />

portes des mosquées 50 .<br />

Pour ce mouvement réformiste, l'Islam est un facteur de progrès car « les<br />

pays arabes qui ont embrassé les premiers la religion musulmane passent pour les plus<br />

civilisés du monde.»51 Le réformisme est donc un mouvement puissant par ses activités<br />

aux dominantes anti-colonialistes et anti-maraboutiques.<br />

47. Aff. Polit AOF, ANSOM, carton 2230, dos4.<br />

48. N° de février 1959.<br />

49. R. de Benoist, l'Afrique occidentale, op. cit., p. 429.<br />

50. Fiche 32, p. 4, Notice état-major AOF.<br />

51. Ibidem.<br />

194


prêtres européens pour 11 autochtones)4. L'Eglise dakaroise accorde une grande place<br />

à la fonction d'enseignement et à la culture. Ses organes de presse, qu'il s'agisse de<br />

"Afrique Nouvelle" ou "Horizons Africains", publient régulièrement ses effectifs scolaires<br />

à Dakar, tout comme ses succès aux différents examens primaires et secondaires. Ces<br />

journaux traduisent ainsi ses multiples efforts dans le domaine de l'éducation. Ses<br />

moyens en la matière lui sont procurés, pour une large part, par le gouvernement<br />

général de l'AOF, sous la forme de subventions. Ceci ne manque pas d'attirer<br />

l'animosité sur l'Eglise dakaroise qui fut à plusieurs reprises violemment attaquée par<br />

des laïcs, par des syndicats d'enseignants, par le C.J.S, par les associations musulmanes<br />

etc... Sur ce point, les organes "Afrique Nouvelle" et "Horizons Africains" assurent une<br />

ferme défense de l'action éducative de l'Eglise. Des procès ont même été intentés à ce<br />

sujet, sans oublier les correspondances et circulaires aux responsables locaux à travers la<br />

fédérationS. L'Eglise dakaroise bénéficie aussi d'importants moyens financiers<br />

provenant des fonds du FIDES. Parfois, lorsque certains financements lui sont refusés<br />

par l'Assemblée Territoriale par suite de la pression des différents secteurs favorables à<br />

l'orientation de l'ensemble des crédits publics à l'école laïque, mais l'Eglise obtient<br />

toujours les financements sollicités par l'intermédiaire du FIDES.<br />

L'Eglise dakaroise entretient toujours d'étroites relations avec la hiérarchie<br />

musulmane sénégalaise. Le Père Roger de Benoîst confirme, en réponse à une question<br />

posée à ce sujet que la presse de l'Eglise évite toujours d'attaquer l'Islam, pour<br />

préserver les bons rapports entre les deux communautés religieuses dominantes. D'après<br />

lui, il est arrivé même que les journalistes locaux de cette Eglise refusent de publier des<br />

articles du chef de la chrétienté dakaroise, Mgr Lefèbvre, parce que ceux-ci sont jugés<br />

offensant à l'égard de l'Islam.<br />

Les conférences épiscopales, régulièrement tenues à Dakar ou ailleurs dans<br />

la Fédération, permettent à cette Eglise de se mettre au diapason sur les principaux<br />

événements politiques et syndicaux. Ainsi, elle intervient dans l'enseignement et dans la<br />

presse, tout comme dans les oeuvres sociales et dans le secteur de la jeunesse, l'Eglise<br />

accorde une grande importance aux relations dans le monde du travail. C'est ainsi que<br />

ses appuis vont à la centrale syndicale de la C.F.T.C (Confédération africaine des<br />

travailleurs croyants). Cette centrale syndicale a très souvent des positions contraires à<br />

celles de la CGT largement majoritaire dans le monde du travail dakarois. Mais, on<br />

remarque aussi qu'en certaines circonstances, les positions entre les syndicats ont<br />

convergé malgré des positions contraires de l'Eglise.<br />

En somme, l'Eglise catholique dakaroise a un rôle particulièrement<br />

important dans cette période. Sa solidité se perçoit notamment à travers un fait<br />

relativement anodin au départ, à Dakar, mais dont les conséquences ont, par la suite,<br />

4. Louis Axel, Les dangers du panislamisme en Afrique noire, 1958, pAl.<br />

5. Voir le contenu des journaux, ne partie, chap nI.<br />

197


des répercussions sur le gouvernement de Paris, lui- même. C'est la question du procès<br />

intenté à Dakar, au journal "Afrique Nouvelle", organe de l'Eglise dakaroise. Ce procès,<br />

est lié à la publication par le journal du déroulement d'un autre procès intenté à un<br />

autre journal dakarois, "Les Echos d'Afrique noire"; il a même failli entraîner la<br />

démission du gouvernement lorsque l'Assemblée Nationale française a décidé de le<br />

sanctionner pour son attitude dans cet événement. Le Père Roger de Benoîst insiste sur<br />

le fait que seule la situation politique particulière de l'époque n'a pas entraîné le<br />

renversement du gouvernement 6 . C'est dire à quel point les relations extérieures de<br />

l'Eglise dakaroise sont puissantes.<br />

Sur le plan politique, on note, à Dakar, d'une certaine manière, certes<br />

indirecte, une intervention de l'Eglise dans ce domaine. En effet, en 1958, la création<br />

dans la capitale fédérale du M.L.N (Mouvement de libération nationale) par d'anciens<br />

responsables étudiants catholiques, est perçue à Dakar comme une tentative de la<br />

hiérarchie catholique d'avoir, par ce parti, un outil politique spécifique.<br />

A Dakar, il existe aussi une Eglise protestante. Ses adeptes sont peu<br />

nombreux. La notice de l'état-major les chiffre, sur la base du recensement de 1955, à<br />

environ 500 personnes 7 . Cette Eglise protestante dispose, dans la capitale fédérale, d'un<br />

temple dans la rue Thiers, et d'une mission dans la rue de Bayeux. Son poids est faible<br />

aussi que celui de l'Eglise catholique de rite maronite qui recrute ses adeptes surtout<br />

dans la communauté libanaise de la capitale et qui dispose, depuis 1953, d'une chapelle:<br />

Notre Dame du Liban située dans la nouvelle zone urbaine, au Front de terre.<br />

6. Voir les problèmes de la presse, ne partie, chap III, entretien avec l'intéressé à Dakar en décembre 1988.<br />

7. Fiche 32, état-major de l'AOF, 1959.<br />

198


un mois à l'avance, elle se précipitera vers le garage pour commencer une journée de loisirs<br />

qui ne laisse place à aucun choix. »8 Cette "gentry" dakaroise ne dispose pas directement,<br />

d'un organe de presse. Cependant, l'officieux quotidien dakarois, "Paris-Dakar" qui<br />

traduit les positions de l'administration, exprime ainsi largement ses vues. D'autre part,<br />

cette "gentry" dispose dans la presse métropolitaine vendue à Dakar, d'appuis très<br />

solides avec des journaux comme "Climats" dont le fondateur, Chevance Bertin, députè,<br />

est un élu de la droite col9niale en Guinée. Cette publication, par sa défense acharnée<br />

de la colonisation pure et dure, est en plein accord avec les vues de cette "gentry"<br />

dakaroise. Chevance Bertin, lui-même, a largement pignon sur rue à Dakar où il est un<br />

très grand propriétaire foncier. Un autre organe de presse, "Marchés coloniaux", sert<br />

également de porte-parole à la "gentry" dakaroise. Chacun des articles que la rédaction<br />

consacre, régulièrement, aux problèmes de la Fédération, est un moyen d'expression de<br />

ce groupe, notamment ceux qui sont publiés autour de la bataille pour le code du travail<br />

et des allocations familiales. Ce "Tout Dakar" connaît parfois des difficultés internes à<br />

ses membres à cause des rivalités et de luttes d'influence. En ce sens, les conflits entre la<br />

SCIMPEX et l'UNISYNDI, au sujet des questions sociales des travailleurs prennent<br />

souvent un caractère de conflit ouvert nécessitant parfois même l'intervention des<br />

conciliateurs pour calmer la situation. C'est le cas, en mars 1949, lorsqu'il faut fixer les<br />

nouveaux salaires des employés européens, par suite de la hausse du coût de la vie. Dans<br />

le domaine administratif également, cette "gentry" dakaroise n'est pas exempte<br />

d'animosités et de conflits même s'ils sont moins feutrés. A ce sujet, Michel Jobert<br />

consate : « L'indiscipline était fréquente et je n'avais finalement que mépris pour ces<br />

fonctionnaires coloniaux qui, par lettres personnelles adressées à Paris, essayaient de saper<br />

l'autorité de leur chefsans avoir le courage de l'affronter. ))9 Cette couche de la population<br />

dakaroise n'exprime pas d'hostilité ouverte à l'égard du processus politique conduisant à<br />

l'indépendance. L'un de ses porte-parole les plus écoutés, Charles Henry Gallenca,<br />

président de la Chambre de commerce de Dakar, depuis la mort de Tascher, en 1955,<br />

manifeste toute la sérénité de ce milieu par ses propos : «... L'expérience de ces derniers<br />

mois nous a montré que telles sont et seront les caractéristiques du pouvoir des responsables<br />

des nouveaux Etats de l'Afrique noire d'expression française, et en même temps, nous les<br />

félicitons vivement. »)0 L'organe de la section sénégalaise du PAI voit dans ces<br />

félicitations que Gallenca adresse aux gouvernements africains de la Loi-Cadre, un<br />

indice de la soumission totale de ces pouvoirs aux grands intérêts économiques<br />

coloniaux.<br />

En somme, la "gentry" dakaroise joue un rôle très important dans la<br />

naissance et la manifestation de l'opinion publique de la ville; ce rôle est d'autant plus<br />

8. Revue internationale de la FOM, Mai 1957.<br />

9. Michel Jobert, Op. Cit.<br />

10. "Momsarew" N"2.3.<br />

201


grand qu'elle peut s'appuyer, largement, pour satisfaire ses intérêts, sur la couche<br />

inférieure de la population européenne de la ville.<br />

202


enquêtées reconnaissent cet aspect; preuve évidente de l'existence d'une forte solidarité<br />

des travailleurs blancs contre les travailleurs africains, notamment à l'encontre des<br />

autochtones qui ont poursuivi de hautes études.<br />

Au plan de l'habitat, ce petit colonat vit, à Dakar, dans son splendide<br />

isolement, exactement comme la "gentry" dakaroise, même si les zones sont loin d'être<br />

les mêmes à cause des différences de niveau de vie. Tout comme la "gentry", ce petit<br />

colonat organise aussi ses divertissements propres. C'est ainsi que de nombreuses<br />

associations sont constituées: Club breton, Club corse, Club des 3 "B" (Basque, Béarn,<br />

Bigorre) etc... A ce niveau, aussi, certaines associations traduisent une consécration de<br />

la promotion au sein même du groupement blanc comme par exemple la qualité de<br />

membre du Rotary club ou à défaut du Lions' club.<br />

Donc, isolement social, isolement géographique, tout ceci est renforcé par le<br />

fait que le colonat, en général, le petit particulièrement, ignore "superbement" les<br />

langues locales, se privant ainsi -à dessein- d'un moyen privilégié de communication et<br />

de compréhension avec les autochtones.<br />

Les femmes ne sont confrontées à aucun problème d'emploi - exactement<br />

comme les maris - car elles trouvent toujours un poste de secrétaire, de caissière,<br />

dactylo, de comptable, ou vendeuse etc... Cet emploi des femmes est important dans la<br />

mesure où il procure un second salaire au couple; il est généralement utilisé pour faire<br />

face aux dépenses courantes du ménage. Le salaire du mari, en général plus substantiel<br />

peut ainsi fournir d'importantes économies à transférer en métropole, dans la situation<br />

avantageuse du change entre le franc CFA et le franc métropolitain; ceci explique<br />

l'obsession des "économies" remarquée par Paul Mercier 4 . Michel Jobert a passé 20<br />

mois à la colonie en économisant sou par sou: «Rentré à Paris, avec les mêmes valises du<br />

départ, j'avais suffisamment économisé pour m'acheter une Dauphine et prendre des<br />

vacances »5.<br />

Dans ce groupement européen de la population dakaroise, on se reçoit<br />

beaucoup et toutes les études qui lui sont consacrées l'affirment. Tout cela autour d'une<br />

table où on met les petits plats dans les grands et où, pour un repas, tout jusqu'à la<br />

salade, vient de la métropole. On dispose même d'un boy cuisinier et d'une<br />

blanchisseuse africaine prouvant ainsi que l'on gravit les échelons de la structure sociale,<br />

surtout pour des gens qui viennent essentiellement des régions pauvres de France. Au<br />

cours des repas, les conversations vont bon train sur des sujets qui sont invariablement<br />

les mêmes: le nègre. Chacun cherche à surpasser l'autre dans les "preuves" de l'idiotie<br />

du "grand gamin". Ainsi, des histoires plus fantastiques, les unes<br />

-<br />

les autres circulent de<br />

salon en salon à travers la ville. Des journaux: propres à ce colonat ouvrent même de<br />

véritables concours à la "meilleure nouvelle". Les colonnes des "Echos d'Afrique noire"<br />

4. Ibidem, p. 135.<br />

5. Michel Jobert, Mémoires d'avenir, op. ciL, P.lll.<br />

204


CHAPITRE X : AUTRES GROUPES DE PRESSIONS<br />

Dans la période étudiée, on note aussi l'existence de divers autres groupes de<br />

pression dans la capitale fédérale de l'AOF. Ils sont soit régionaux, soit ethniques, soit<br />

tout simplement de ville ou autres... Leur importance dans la vie de la ville est souvent<br />

fonction des événements dans lesquels ils peuvent être plus ou moins impliqués.<br />

Il LES GROUPEMENTS A CARACTERE ETHNIQUES ET REGIONAUX<br />

On en compte un certain nombre dans la ville, comme, par exemple:<br />

- l'amicale des Oualo-Oualo : association créée à Dakar et regroupant<br />

uniquement dès originaires de cette région du Sénégal appelée le Oualo dont la ville<br />

principale est Dagana, sur la vallée du fleuve. Le président de cette association est<br />

Massogui Bâ. Selon les renseignements de police, cette association est née entre les<br />

deux guerres. Au début de décembre 1944, les services de police notent que dans une<br />

large fraction de l'opinion publique de la ville, l'association -mais particulièrement son<br />

président- est considérée comme étant un bon collaborateur de l'administration 1 . Le<br />

rapport fait état de l'esprit de la population à propos des événements ayant entraîné la<br />

mort de plusieurs tirailleurs africains dans le camp de Thiaroye, à l'aube de la nuit du 30<br />

novembre au 1 er décembre. Selon cette source, le président de l'amicale a reçu divers<br />

messages téléphonés anonymes dans lesquels l'attitude de l'association est<br />

vigoureusement dénoncée car elle n'a pas pris position contre la fusillade dont ont été<br />

victimes ces tirailleurs dont le seul tort était de revendiquer leurs droits. La sûreté<br />

dakaroise note aussi que Massogui Bâ a été l'objet de propos sarcastiques de la part de<br />

plusieurs notables de la ville qui se sont publiquement exprimés devant lui, et qu'il est<br />

reproché à l'Amicale d'avoir tenu, quelques jours avant la tuerie de· Thiaroye, une<br />

réunion à la Chambre de commerce de Dakar et à cette occasion, d'avoir voté à<br />

l'unanimité une motion de soutien et de loyalisme à l'égard de la France. Alors que<br />

lorsque des événements aussi graves concernent les Africains, elle garde le silence total.<br />

Cette association, par la suite, devient l'un des piliers de LS. Senghor et de<br />

son parti dans la capitale, particulièrement dans les années 1948-1956.<br />

1. Renseignements généraux 1944, dossier 1/2 D3 nO 21, Incidents de Thiaroye, Police el sûreté, Aff. polit. AOF<br />

207


- L'amicale des Toucouleurs: Elle regroupe une autre ethnie de la vallée du<br />

fleuve Sénégal, les Toucouleurs. Pendant de longues années, son président d'honneur, à<br />

Dakar, est le chef religieux El Hadj Seydou Nourou Tall. Cette grande figure du milieu<br />

toucouleur de la ville est un descendant direct du grand résistant et chef religieux, El<br />

Hadj Omar TalI. Ces Toucouleurs sont nombreux dans la ville puisque le recensement<br />

de 1955, indique qu'ils représentent 12,2 % de la population africaine de la capitale c'est<br />

à dire presque autant que l'élément lébou de la ville 2 . C'est une amicale aux activités<br />

nombreuses dans la capitale de l'AOF mais qui, par ses structures directionnelles, est<br />

proche de l'administration coloniale; tout particulièrement son président d'honneur qui<br />

est à plusieurs reprises, chargé, par l'administration, de missions diverses à travers la<br />

Fédération, notamment dans la fonction officielle d"'Imam général des troupes noires".<br />

Par cette charge, il parcourt les casernements, pendant la 2 eme guerre, pour prôner le<br />

loyalisme et la discipline dans l'armée coloniale.<br />

Dans les luttes politiques, cette amicale apporte un soutien non négligeable à<br />

la formation dissidente de la SFIO: c'est à dire le RD.S.<br />

On note également, à Dakar, l'existence de plusieurs groupements comme les<br />

associations de Sérères, de Baol-Baol, de Casamançais etc... Certaines associations<br />

divisent même leur communauté ethnique en structures rivales surtout dans les luttes<br />

politiques. Leur influence sociale est notable quoique elle ne soit pas toujours facile à<br />

cerner avec précision. D'autres groupements ethniques de non natifs du Sénégal sont<br />

notés dans la ville de Dakar dont les fonctions économiques et administratives<br />

entraînent la venue, dans la capitale, de nombreux Bambaras (3% de la population),<br />

Eburnéo-béninois (1 % de la masse africaine) et des Voltaïques. Ces groupements<br />

ethniques se sont constitués en diverses associations à Dakar.<br />

. Les associations léboues.<br />

Enfin, dans ces associations à caractère ethnique, incontestablement une<br />

place particulière revient à celles des Lébous dont l'influence est déterminante dans la<br />

politique de la ville.<br />

leurs associations sont de deux sortes:<br />

- les anciennes structures,<br />

- les nouvelles organisations.<br />

Ces associations sont à la fois ethniques et régionales dans leurs<br />

caractéristiques principales.<br />

Les anciennes structures:<br />

- Les diambours : ce sont les anciens, les vieux, dans le milieu lébou. Dans la<br />

politique et la vie sociale de la République léboue, ces hommes constituaient une<br />

2. Abdoulaye Diop, L'immigration Toucouleur à Dakar, 1959, p.13.<br />

208


accusés par certains lébous d'avoir la main-mise sur la Municipalité. Lamine Guéye<br />

n'échappe pas aux reproches puisque de nombreux Lébous l'accusent d'avoir facilité<br />

cette main-mise. Ils ne sont pas tous à la SFIO puisque dans le parti rival, le B.D.S, une<br />

association d'originaires de la ville de Saint-louis se constitue à Dakar. Les rapports de<br />

police notent en février 1949, deux organisations de vin d'honneur à Dakar par deux<br />

associations rivales de ressortissants saint-Iouisiens. L'un des vins d'honneur est organisé<br />

pour Senghor et l'autre est fait en hommage à Lamine Guéye. L'administration a même,<br />

en la circonstance, des soucis de sécurité puisque ces deux vins d'honneur sont organisés<br />

presque côte à côte dans le quartier de la Médina.<br />

Lorsqu'en en 1958, le transfert de la capitale du Sénégal de Saint-louis à<br />

Dakar par le gouvernement Mamadou Dia, entraîne une véritable atmosphère d'émeute<br />

dans la ville de Saint-louis, à Dakar même, la collectivité saint-Iouisienne s'associe à la<br />

dénonciation de cette décision dont les effets négatifs pour Saint-louis sont trop<br />

évidents.<br />

D'autres associations de Thiessois, de Kaolackois, de Diourbelois etc...<br />

pèsent aussi, plus ou moins fortement, sur la vie sociale à Dakar.<br />

III/ LE CONSEIL MONDIAL DE LA PAIX.<br />

Cette association est présente à Dakar. Ses activités sont attestées par<br />

certains organes de la presse locale et aussi par des sources administratives.<br />

"Reveil" titre: « Malgré le déploiement spectaculaire et provocateur des forces<br />

de répression, les partisans de la Paix dakarois rendent hommage aux fusillés de Thiaroye<br />

»5. Le journal note surtout le jeu de cache-cache par lequel ce groupement réussit à<br />

ridiculiser la sûreté dakaroise : « Le Haut commissaire a dû piquer une crise de rage<br />

lorsque ses inspecteurs, commissaires et autres lui ont rendu compte, en fin de matinée, que<br />

déjouant la police, les partisans de la Paix venaient de tenir la cérémonie prévue, mais non<br />

plus à Thiaroye, mais au monument aux morts, place Protêt, en plein centre de Dakar, à<br />

quelques mètres des directions des Affaires Politiques et de l'Intérieur et du Gouvernement<br />

Général ». Le lendemain, c'est au lieu initialement prévu que le Comité dépose, en toute<br />

tranquillité et solennellement une gerbe de fleurs. La police dakaroise qui pense que<br />

tout est terminé, a levé son impressionnant dispositif mis en place la veille. Jusqu'en<br />

1959, les activités de cette association sont encore signalées à Dakar. C'est ainsi que la<br />

revue de la Communauté France-Eurafrique indique qu'une cinquantaine de<br />

ressortissants d'AOF ont participé, à divers congrès internationaux de ce mouvement, de<br />

1941 à 1958. Parmi ceux-ci, 13 ont participé, à Stocholm au congrès sur le désarmement<br />

et la paix mondiale, en juillet 1958, et 7 autres en décembre 1957, à la conférence afro-<br />

5. "Réveil" du 27 février 1950.<br />

210


asiatique, organisée par le Conseil de solidarité des peuples d'Afrique et d'Asie, au<br />

Caire.<br />

La Délégation rapporte l'organisation d'une conférence tenue à Dakar, le 22<br />

septembre 1948, sous l'égide du Comité des Partisans de la Paix et à laquelle 800<br />

personnes participent. Le conférencier est le professeur Dresch de la Sorbonne, de<br />

passage à Dakar 6 . La notice de l'état-major insiste également sur les importantes<br />

activités de ce Comité en 1959 à Dakar, raison pour laquelle le professeur Abdoul<br />

Moumini, président du Conseil mondial de la Paix dakarois, est porté à la vice­<br />

présidence de cette organisation internationale dont le siège est à Vienne. Avant lui,<br />

Ndéné Ndao, ancien fonctionnaire des P.T.T assure la présidence de la branche<br />

aofienne de ce mouvement mondial 7 . Mais ces activités ne plaisent pas à<br />

l'administration; le gouvernement général de Dakar interdit par l'arrêté nO 3366/int/<br />

AP du 31 décembre 1952, les revues et publications de ce Conseil mondial de la Paix,<br />

sur toute l'étendue du territoire de l'AüF. Ce conseil a exercé une certaine influence sur<br />

les activités du CI.S, du CI.A, des syndicats d'enseignants etc... C'est dire que son rôle<br />

fut loin d'être négligeable à Dakar, surtout dans la permanence du souvenir de Thiaroye<br />

comme Cimetière des martyrs. Cette influence s'est largement exercée sur les milieux<br />

nationalistes dakarois.<br />

IV/LE COMITE DE DEFENSE DES LIBERTES DEMOCRATIQUES.<br />

Il est créé à Dakar à l'annonce des événements d'Alger, en mai 1958. Il<br />

regroupe des forces de gauche, à Dakar, puisque le P.A.I, l'UGTAN, le C,J.A et le C,J.S,<br />

tout comme l'UGEAO, le Mouvement de la Paix et le Groupes d'Etudes et des Réalités<br />

africaines en sont membres. La création de ce comité s'explique par la peur que les<br />

événements d'Alger font naître dans les milieux progressistes dakarois. Ses initiateurs<br />

constatent : «Les fascistes préparent activement l'instauration d'un gouvernement de<br />

dictature. En Afrique, les panisans de la réaction appellent ouvertement à soutenir les<br />

contre-révolutionnaires d'Alger »8.<br />

Cette peur locale s'explique par le fait qu'une agitation assez intense<br />

parcourt la ville. Le colonat dakarois publie de nombreux tracts dans la ville et constitue<br />

même un Comité de Salut Public dans lequel des militaires, des civils et autres<br />

administratifs se retrouvent et appellent à soutenir les généraux d'Alger. Certes le<br />

gouverneur général Gaston Cusin multiplie les mises en garde à l'endroit de ce Comité<br />

211<br />

6. Rapport 2G 48-117,1948.<br />

7. A ne pas confondre avec son cousin Amadou Ndéné Ndao du CJ.S et du S.U.E.L, Inspecteur de l'enseignement,<br />

retraite.<br />

8. R. de BenoÎst, L'Afrique occidentale... op. cit., P.619.


CONCLUSION PARTIELLE.<br />

Outre ces principales forces passées en revue, il en existe à Dakar, d'autres<br />

qui sont de moindre importance, mais, toutes constituent des groupes de pression plus<br />

ou moins actifs. Les études du sociologue Paul Mercier, indiquent 215 associations<br />

africaines reconnues.<br />

Solange Faladé dans son étude sur la femme dakaroise10, MomarCoumba<br />

Diop parlant du mouvement mouride dans son mode d'implantation urbaine11,<br />

Ibrahima Marône se consacrant à la confrérie tidjane 12 , Christian Coulon analysant les<br />

relations entre marabouts et le pouvoir 13 , tout comme Colette La Cour Grandmaison se<br />

penchant sur les stratégies matrimoniales des femmes dakaroises etc... mettent l'accent<br />

sur l'importance de la vie associative en milieu africain à Dakar. Ces associations et ces<br />

groupements européens constituent des forces de pression. Exactement comme les<br />

partis politiques, les syndicats, les associations de jeunesse, les organisations d'étudiants,<br />

l'Eglise et les marabQuts, tout comme les organisations à caractère économique... Tout<br />

cela montre que Dakar des années 1945-1960, connait une multitude de groupes de<br />

pression ou "faiseurs" d'opinion. Certes, les influences de ces divers groupes de pression<br />

ne sont pas égales, mais tous s'activent et participent à la richesse de la scène dakaroise<br />

qui se comprend mieux en découvrant les moyens d'information, de communication et<br />

d'expression de ces groupes de pression.<br />

C'est l'objet de la partie suivante de notre étude.<br />

10. Solange Faladé, Femmes de Dakar et de son agglomération, 1960.<br />

11. Momar Coumba Diop, La confrérie mouride... 1980.<br />

12. Ibrahima Marône, Le Tidjanisme au Sénégal, janvier 1971.<br />

13. Christian Coulon, Le marabout et le prince, 1978.<br />

213


DEUXIEME PARTIE<br />

MOYENS D'INFORMATION, DE COMMUNICATION ET<br />

D'EXPRESSION.<br />

L'étude de ces moyens s'impose dans la mesure où, par leur intermédiaire,<br />

les groupes de pression ou "faiseurs d'opinion", interviennent pour la satisfaction de<br />

leurs intérêts propres. Ces moyens sont divers. Ce sont: la radiodiffusion, la presse, le<br />

téléphone, le télégraphe et le courrier, mais aussi à l'opposé de ces moyens modernes,<br />

les moyens traditionnels comme le tam-tam, la chanson, l'habillement et le "fanal". Ces<br />

derniers se nourrissent de l'insuffisance et/ou de l'inadéquation des premiers.<br />

214


217<br />

L'année 1950, marque une étape nouvelle dans le développement de Radio­<br />

Dakar. En effet, à la suite de longues et difficiles négociations, le gouvernement général<br />

de l'AOF et l'agence Havas parvenaient à un accord par lequel l'agence Havas/France<br />

presse est chargée de confectionner un journal parlé présentable pour un programme<br />

quotidien de huit heures.<br />

Une nouvelle fois, la radiodiffusion déménage à Dakar en venant s'installer<br />

dans un local sis angle avenue de la République et de la rue Felix Faure. Dès lors, on<br />

peut entendre, à travers toute la fédération, ces mots «Ici Radio-Dakar à Dakar ».Dès<br />

l'année suivante, le quatrième déménagement a lieu. La radio vient s'installer au 58,<br />

Boulevard de la République où deux chaînes furent mises en route le nouvel immeuble<br />

de Radio-Dakar est achevé en 1953 avec les crédits du FIDES. Cette date est<br />

importante parce qu'elle marque vraiment la naissance d'une radiodiffusion digne de la<br />

capitale fédérale de l'AOF. Jacques Sol Rolland en est le directeur. Les deux chaînes<br />

permettent de toucher un public plus large. La chaîne" Inter" s'adresse surtout à<br />

l'élément européen de la fédération, par son programme en langue française. Certains,<br />

dans les milieux africains de la ville, l'appelaient la "radio des toubabs". La chaîne, dite<br />

régionale ou "radio des Africains", émettait dans diverses langues ouest africaines<br />

comme le Ouoloff, le Fon, le Mossi, le Soussou, le Bambara, le Baoulé, le Sarakollé<br />

etc...« Pour instruire, distraire et éduquer les populations autochtones»8. En 1957 cette<br />

chaîne régionale émettait pour 48 heures par semaine alors que l'autre n'émettait que<br />

24 heures. Elle utilisait deux émetteurs en ondes moyennes et en ondes tropicales, ce<br />

qui lui permettait essentiellement de couvrir le Sénégal, le sud de la Mauritanie, le nord<br />

de la Guinée.La chaîne inter ou fédérale disposait, elle, de quatre émetteurs couvrant<br />

toute l'étendue de l'AOF et émettant en ondes moyennes pour l'un et en ondes<br />

tropicales pour l'autre, les deux autres servant pour les ondes courtes 9 .<br />

Quotidiennement Radio-Dakar réalisait, à cette époque, cinq bulletins d'information.<br />

Les sources de l'animation sont variées comme l'indique la Revue internationale de la<br />

FOM consacrée au centenaire de la ville. Ce sont<br />

- des programmes métropolitains réalisés par la RTF (Radio Télévision<br />

française) pour l'auditoire métropolitain, mais dont une sélection est reprise par Radio­<br />

Dakar. Durée 10 h et demi par semaine; soit environ 1/7 du temps d'émission total.<br />

- des émissions de variétés réalisées à Dakar<br />

- des éléments d'émission enregistrées dans les territoires à l'intention de la<br />

chaîne fédérale par les reporters et producteurs dakarois.<br />

Ces deux dernières catégories d'émission représentaient environ 60 heures<br />

par semaine.<br />

8. Ibidem<br />

9. Revue internationale de la FOM, Numéro spécial Centenaire de Dakar, Mai 1957.


Jacques Sol Rolland, directeur de Radio-Dakar indiquait, dans ce numéro<br />

spécial sur Dakar de la revue de la FOM, que dans des circonstances particulières, des<br />

émissions spéciales étaient réalisées par la radio comme ce fut le cas pour les élections<br />

du 31 mars 1956 renouvelant les assemblées territoriales.A cette occasion et pendant<br />

toute la durée du dépouillement, Radio-Dakar a pris contact, et en direct, toutes les dix<br />

minutes, avec un chef lieu de territoire. L'émission s'était poursuivie pendant 12 heures<br />

consécutives. Elle avait permis de faire connaître les résultats progressivement dans<br />

l'ensemble du territoire fédéral.Toujours d'après le directeur de la radiodiffusion de<br />

l'AOF, tous les dimanches, une émission spéciale était réalisée. Intitulée "Bonsoir<br />

l'Afrique, ici Dakar", elle constituait un lien entre les territoires, à partir de 20 heures<br />

30. Une station prenait en charge, l'émission pour une soirée; ce qui permettait à<br />

chaque territoire de présenter au reste de la Fédération son folklore, ses coutumes, ses<br />

événements marquants etc...<br />

C'est dire que progressivement, l'équipement arrive à la portée de tous les<br />

territoires de la Fédération. Selon J.P. Biyiti bi Essam, l'AOF était divisée en quatre<br />

grandes zones<br />

* l'Ouest Mauritanie-Sénégal-Guinée,<br />

* l'Est Togo-Dahomey,<br />

* le Nord Soudan-Haute Volta-Niger,<br />

* le Sud Côte d'Ivoire et territoires limitrophes.<br />

Dakar, Bamako, Abidjan et Cotonou étaient les centres d'émission, pour<br />

leurs zones respectives. Radio-Dakar continuait, bien entendu, à couvrir les besoins de<br />

toute l'étendue de la fédération. Tout ceci avait été facilité par l'installation, à<br />

Yeumbeul, dans la banlieue dakaroise, d'un puissant centre émetteur. Lorsque le 1er<br />

novembre 1958 la station régionale de Radio-Saint-Louis commence ses émissions, cette<br />

couverture radiophonique fut plus grande.<br />

Au point de vue administratif, le décret du 14 septembre 1954 portant<br />

organisation de la radiodiffusion Outre-mer, avait mis en place la SORAFOM (Société<br />

de Radiodiffusion de la France d'Outre-mer). L'objectif assigné à cette structure était<br />

de faciliter l'amélioration et le développement de la radio dans l'ensemble des<br />

territoires de la FOM.Un arrêté intervenu le 18 janvier 1956 portait application du<br />

décret de 1954 sur la SORAFOM. Pour la direction de la radiodiffusion dakaroise, la<br />

formation d'un personnel adéquat s'imposait. D'où l'envoi en métropole, dès septembre<br />

1955, d'une trentaine de stagiaires à l'école de Maison-Lafitte, près de Paris, pour la<br />

technique et l'animation des programmes. Ce stage dura 9 mois.<br />

Parlant du personnel de la radiodiffusion M.A de SuremaÏn écrit «<br />

L'encadrement syndical des journalistes était réduit. En AOF, il existait une section du<br />

syndicat national des journalistes de France, section qui ne regroupait qu'une quinzaine de<br />

218


membres dont beaucoup travaillaient à la radiodiffusion »10.Quant aux travailleurs<br />

africains de la radiodiffusion de Dakar, leurs conditions de vie et de travail étaient<br />

difficiles. Leur congrès, tenu à la mairie de Dakar du 1 er au 3 juillet 1957, avait<br />

regroupé une centaine de délégués. Diverses personnalités politiques avaient répondu à<br />

l'invitation des congressistes parmi lesquelles L.S. Senghor, Sékou Touré et Adandé le<br />

secrétaire général du parti de la Convention africaine. A propos de ce congrès,<br />

l'hebdomadaire parisien "Marchés Tropicaux" notait «... Le rapport introductif a<br />

constitué un véritable réquisitoire contre la SORAFOM et notamment contre son directeur<br />

général et en faveur d'une organisation en AOF, d'une radio africaine détachée de la<br />

métropole... Les congressistes ont insisté pour une africanisation des cadres et une mission<br />

plus éducative de la radiodiffusion )1.<br />

11/ LA QUESTION DE L'ECOUTE.<br />

En matière d'infrastructure, les progrès ont été importants pour la<br />

radiodiffusion de Dakar. Cette question n'a d'intérêt réel qu'en rapport avec les moyens<br />

d'écoute c'est à dire la réception; c'est la question de l'écoute.<br />

On peut dire que dans la population dakaroise, surtout indigène, la<br />

possession d'un poste récepteur était un fait rarissime, particulièrement dans les<br />

premières années de l'existence de la Radiodiffusion à Dakar. Il faut disposer de<br />

l'électricité à domicile ce qui n'est pas souvent le cas dans les habitations, ou alors d'une<br />

pile d'alimentation. A l'époque ces piles sont de taille encombrante et s'épuisent très<br />

rapidement, la recharge n'est pas facile et le coût de l'opération reste élevé. Le prix du<br />

poste, lui-même, n'est pas à la portée de tout un chacun. Ces difficultés nombreuses<br />

sont peu surmontables pour la grande masse de la population indigène de la ville. Par<br />

contre, l'élément européen de Dakar réunit dans sa quasi-totalité les conditions<br />

d'acquisition d'un poste radio récepteur habitat avec électricité, mais surtout relative<br />

aisance matérielle permettent cet équipement.<br />

Combien de postes récepteurs sont disponibles à Dakar?<br />

La réponse est fonction de la période considérée dans ces années 1945-1960.<br />

Quelques renseignements sont fournis par les sources administratives et en particulier la<br />

direction fédérale des postes qui a charge de percevoir la taxe annuelle de 1.000 F CFA<br />

dont chaque détenteur de poste Radio doit s'acquitter.<br />

En 1935, c'est à dire bien avant la création de la radiodiffusion de Dakar, il y<br />

avait, dans l'ensemble de l'AOF, 529 postes récepteurs 12 d'après le rapport du service<br />

des réseaux radiotélégraphiques de l'AOE<br />

10. MA de Suremaïn, L'indépendance politique du Sénégal, 1989, P.lO.<br />

11. "Marchés Tropicaux", n° 608 du 6 juillet 1957.<br />

12. Affaires politiques AOF, ANS, 2G 36-15. Année 1936.<br />

219


La situation était la suivante de 1935 à 1939 en AOF<br />

Années<br />

1935<br />

1936<br />

1938<br />

1939<br />

Nombre de postes récepteurs<br />

529<br />

808<br />

1529<br />

1961<br />

Après la fin de la seconde guerre mondiale, l'AOF connait une progression<br />

rapide dans l'équipement de ces postes récepteurs car dans desrapports de 1952, 1953<br />

et 1954, la direction fédérale des postes et télécommunications donne les chiffres<br />

suivants pour le nombre de postes récepteurs déclarés -elle précise bien "déclarés" ce<br />

qui laisse entendre que d'autres ne le sont pas- et leur répartition géographique.<br />

TERRITOIRES ANNEE ANNEE ANNE<br />

1952 1953 1954<br />

Délégation de Dakar 2726 - -<br />

Sénégal 1616 5114 7645<br />

Côte d'r"voire 934 1214 1610<br />

Guinée 13 597 977 1129<br />

Mauritanie 190 - -<br />

Niger 328 455 574<br />

Soudan 927 1232 1566<br />

Haute Volta 196 216 460<br />

Dahomey 268 402 475<br />

Totaux 7782 9610 12859<br />

A travers ces chiffres, la répartition des récepteurs entre Européens et<br />

Africains n'apparaît pas. Mais il paraît évident que les Européens, à au moins 90 à 95%,<br />

en sont les détenteurs dans la phase 1935-1939 surtout.Dans la phase 1945-1954,<br />

certainement le rapport s'atténua au profit des Africains peut-être avec 60 à 70 %. Pour<br />

la gestion 1952, nous remarquons l'importance du poste "Délégation" avec environ 35%<br />

des récepteurs (2726 sur 7782).14<br />

Les gestions 1953 et 1954 ne font pas ressortir le poste "Délégation" c'est à<br />

dire Dakar et sa banlieue. Tout laisse croire à son intégration à "Sénégal-Mauritanie"<br />

dont la progression est très importante (1952 Sénégal = 1616 et Mauritanie = 190;<br />

1953 = 5114 pour Sénégal-Mauritanie et 7045 en 1954). Cette progression dépassant les<br />

13. Affaires politiques AOF, ANS, 2G 52-22 (1 à 4) et 2G 54-11 qui concerne 1953 et 1954.<br />

220


400 % n'aurait pour seule explication qu'une intégration du poste "Délégation" à<br />

l'ensemble "Sénégal-Mauritanie" comme poste.<br />

Le regroupement Sénégal-Mauritanie en tant que poste n'est pas un fait<br />

particulier au service des postes et télécommunications. Il en est de même sur le plan<br />

syndical.<br />

Cette importante progression du nombre de postes récepteurs surtout en<br />

1953-1954 est due, d'après le rapport de la direction fédérale, au fait que d'importants<br />

travaux d'équipement ont été effectués, au profit des centres émetteurs et récepteurs<br />

fédéraux. La mise en service du centre de Yeumbeul au cours du 1er trimestre de 1954<br />

et le transfert à Rufisque du centre récepteur, au dernier trimestre de l'année, attestent<br />

de cet équipement. Ces différents travaux permirent au service de la radiodiffusion<br />

d'étendre plus largement la couverture du territoire de l'AOF.<br />

En moyenne, sur ces trois années, 1952, 1953 et 1954, il Y a 10.100 postes<br />

environ. Comparé à la population, ceci donne un poste pour 2000 habitants environ.<br />

Ceci traduit évidemment le caractère presque insignifiant de l'écoute radiophonique, en<br />

AOF, dans la période. Par contre la situation est meilleure à Dakar. Pour la Délégation,<br />

en 1952, il y a 2726 postes récepteurs pour une population chiffrée à 375.000 par la<br />

direction des affaires politiques 7,26 postes /1000 habitants.<br />

Sur le nombre de postes-récepteurs en Afrique, l'UNESCO a fait réaliser<br />

une étude en 1981-1982 pour les années 1960. L'étude "Nombre de postes-récepteurs en<br />

service et/ou de licences délivrées pour 1000 habitants" donne au poste "Sénégal<br />

1960 = 230 postes/lOOO hbts<br />

1970 = 268 postes/1000 hbts,<br />

c'est-à- dire 38 postes supplémentaires en moyenne pour 1000 habitants dans<br />

la décennie. Ceci est dû aux énormes efforts faits par le gouvernement du Sénégal dans<br />

les années 1957-1970 dans la politique d'équipement en postes-récepteurs avec ses<br />

moyens propres mais surtout ceux de la coopération internationale pour mener à bien<br />

sa politique d'animation rurale et urbaine.<br />

Un autre élément permet d'apprécier les efforts de l'équipement<br />

radiophonique en AOF dans la période 1945-1960. Les Comptes économiques de<br />

l'AOF pour l'année 1956 donnent en F CFA<br />

* Pour radio-émetteurs 38 millions<br />

* pour radio-récepteurs 81 millions<br />

* pour piles électriques 159 millions<br />

* pour pièces radio 20 millions 15<br />

Cette évolution permet d'aborder d'autre part, la question de l'écoute qui est<br />

aussi celle de la motivation, c'est-à-dire du désir des gens d'écouter les émissions de la<br />

15. Rapport n° II du Haut commissariat de l'AOF, Mars 1959.<br />

221


adio. C'est en d'autres termes, le problème de la préparation psychologique. A cette<br />

dernière, s'ajoute également un autre élément les émissions doivent être comprises et<br />

assimilées. Le facteur intellectuel est très étroitement lié au facteur psychologique.C'est<br />

très certainement pour répondre à ces deux facteurs que les autorités responsables, à<br />

Dakar, intègrent les langues locales dans les moyens de la diffusion des nouvelles<br />

comme l'affirme J. Sol Rolland, le directeur de Radio-Dakar., et que Alassane Diop<br />

directeur de la chaîne régionale de Radio-Dakar disait dans une interview au<br />

correspondant de la revue internationale de la FOM «... Pour ce qui est des informations<br />

diffusées sur la chaîne régionale... nous résumons les nouvelles internationales dans de brefs<br />

bulletins rédigés de façon simple et claire. Présentation différente de la chaîne fédérale »16.<br />

Bien entendu, l'administration dakaroise a cherché à pallier l'insuffisance de<br />

postes-récepteurs pour faire davantage passer les informations. C'est ainsi qu'elle a eu<br />

recours au système d'écoute collective qui existe dans la capitale fédérale dès la seconde<br />

guerre mondiale. En 1945 "Paris-Dakar", annonçait à l'occasion de la capitulation sans<br />

conditions de l'Allemagne nazie «Durant toute la journée, les haut-parleurs de Radio­<br />

Dakar seront branchés en permanence. Les informations seront annoncées au fur et à<br />

mesure et entre temps, les concerts de musique militaire et de musique de danse seront<br />

donnés... Le gouverneur général parlera à la radio à 20 heures »17.En 1951, il y a encore<br />

des preuves de l'existence de cette écoute collective à Dakar. La revue "AOF", organe<br />

du gouvernement général, s'exprimait en ces termes «C'est la radio en langues<br />

vernaculaires ou en français qui s'adresse de ses haut-parleurs -un peu criards- aux masses<br />

illettrées arrivées hier de la brousse »18.Ces haut-parleurs permettant une écoute<br />

collective des informations se retrouvent dans la vie sociale de Dakar jusqu'à la<br />

proclamation de l'indépendance. Le gouvernement de l'autonomie interne a attaché<br />

une importance particulière à ce moyen de toucher les masses de la ville. Ils sont<br />

branchés aux places publiques les plus importantes des quartiers indigènes de la ville;<br />

ces milieux étant, évidemment, les plus nécessiteux en la matière.<br />

Par la suite, une certaine amélioration du système de l'écoute collective est<br />

opérée avec la télédiffusion dans les premières années de l'indépendance.Avec ce<br />

système, à partir d'un récepteur central, des maisons individuelles sont branchées par<br />

l'intermédiaire d'amplificateurs et de lignes de distribution. Cette expérience, de par les<br />

multiples problèmes qu'elle pose dans les maisons, est abandonnée par la suite.<br />

Quant à la qualité de l'écoute, des éléments de satisfaction ainsi que des<br />

critiques sont notés.<br />

Le rapport annuel de la Délégation en 1953 écrit «La radiodiffusion fédérale<br />

fait de gros efforts et beaucoup de ses récentes réalisations (programmes artistiques,<br />

16. Numéro spécial Centenaire de Dakar, Mai 1957.<br />

17. "Paris-Dakar" du 8 mai 1945.<br />

18. "AOf" n° 2, Mai 1951.<br />

222


etransmissions, reportages) ont élargi le cercle de ses auditeurs »19. En 1953 le journal<br />

"Afrique noire", dans un article intitulé "En écoutant Radio-Dakar" exprimait sa<br />

satisfaction en ces termes «C'est rendre juste hommage au dynamique autant que<br />

sympathique directeur de la radiodiffusion et des informations fédérales en AOF, que de<br />

souligner la complète transformation heureusement subie par les émissions du poste<br />

fédérab,)O. Il remerciait également Radio-Dakar, plus tard 21 , pour avoir tenu compte<br />

des suggestions qui ont été faites par son intermédiaire, sur l'annonce des titres des<br />

disques avant et après leurs émissions. Cependant il ne ménage pas ses critiques sur la<br />

qualité d'une des émissions «Ne dirait-on pas deux concierges de mon quartier parisien ».<br />

Il recommande la suppression de ce dialogue de "vieilles filles combien sottes et si peu<br />

séduisantes". Il demande aussi un peu de rythme et un peu de gaieté dans les<br />

émissions.En août 1953, il porte une critique plus virulente encore sur l'ensemble des<br />

émissions en écrivant « ... Au poste fédéral, le 'Je m'en foutisme" règne en maître »22.<br />

D'autres critiquent l'inadéquation du langage utilisé par Radio-Dakar.L'hebdomadaire<br />

"l'Action", organe central du M.P.S, à propos de l'information dit «Il faut regretter que<br />

l'information ne soit pas mieux adaptée à nos régions où domine l'analphabétisme et où le<br />

niveau de vie très bas ne pennet pas aux habitants de se procurer un poste radio. Alors, les<br />

discours officiels ne sont pas à la hauteur des masses »23. Peu avant l'indépendance, de<br />

multiples critiques portent sur le contenu politique des émissions de Radio-Dakar.<br />

"Echos d'Afrique noire,,24 écrit « Les Européens n'écoutent presque plus<br />

Radio-Dakar... La chaîne régionale est presque exclusivement réservée aux Africains. Nous<br />

demandons l'intervention du Haut commissaire pour que Radio-Dakar cesse d'être un poste<br />

communiste à peine voilé ».Dans une autre livraison, Maurice Voisin se plaignait de la<br />

prééminence trop grande du Sénégal sur Radio-Dakar «Les Sénégalais ont le tort de<br />

croire que toute l'Afrique leur appartient ».<br />

La radio devient un moyen de pression politique utilisé par les autorités<br />

coloniales qui exercent une véritable censure contre les nouvelles autorités de la loi­<br />

cadre. C'est le cas par exemple dans le conflit ayant opposé Mamadou Dia, chef du<br />

gouvernement territorial du Sénégal, au Haut commissaire Gaston Cusin, en décembre<br />

1957. Le discours prononcé à l'ouverture de la session de l'assemblée territoriale par<br />

Mamadou Dia avait été refusé d'antenne par le chef de la fédération. Une vive<br />

polémique s'en était suivie. Entre autres éléments constituant cette polémique, il y a<br />

cette lettre particulièrement acerbe du chef du gouvernement territorial 25 .<br />

19. Affaires politiques ADF, ANS, Dakar, 2G 53-183.<br />

20. "Afrique noire" n° 26 du 1er Juillet 1953.<br />

21. Idem, N° 43.<br />

22. N° 42 du 17 août 1953.<br />

23. "L'Action" n° 1, Décembre 1955.<br />

24. N° du 13 janvier 1958.<br />

25. Mamadou Dia, Mémoires d'un militant...op. cit., PP.77-81<br />

223


Les "Echos d'Afrique noire" avaient titré à ce sujet «Le torchon brûle entre<br />

M. Dia et le Haut Commissaire. »26.<br />

Dans le domaine politique l'impact de la radiodiffusion est attesté par ces<br />

propos de Ernest Milcent ancien directeur du journal catholique "Afrique Nouvelle" «<br />

Lorsque le général de Gaulle débarque à Dakar le 26 août 1958, ce que l'on sait de l'accueil<br />

de Conakry a achevé de surchauffer les esprits en pleine ébullition »27.pour ce journaliste,<br />

il est évident que le discours de Sékou Touré mais aussi la réponse du général de Gaulle<br />

ont été particulièrement suivis dans la capitale fédérale, à travers la radiodiffusion.Le<br />

rôle des ondes dakaroises apparaissait aussi comme très important pour chacun des<br />

interlocuteurs de la place Protêt, ce 26 août 1958.<br />

Enfin, toujours au sujet de l'écoute, les éléments suivants -hors de notre<br />

étude, il est vrai- permettent de se faire une idée plus précise.<br />

Une enquête, menée à Dakar en 1962, indiquait que, dans les milieux<br />

salariés, les informations radiophoniques étaient écoutées par 85 % quotidiennement.<br />

23 % les écoutaient en ouolof, 26 % en français, 36 % tantôt en ouolof, tantôt en<br />

français.L'enquête indiquait que l'écoute en ouolof l'emportait très largement en<br />

fréquence sur l'écoute en français 28 .<br />

Une autre étude, réalisée à Dakar en 1964 par l'IFOP/Marconer, signale<br />

l'existence au Sénégal de 180.000 postes récepteurs avec 84 % des auditeurs écoutant la<br />

radio chez eux et 16 % hors de chez eux. Elle montre que la chaîne nationale touchait<br />

une population de 78,92 % des auditeurs alors que la chaîne internationale, elle, n'en<br />

touchait que 56,20 %, et que le public de la chaîne internationale était plus jeune et<br />

d'un niveau d'instruction plus élevé que celui de la chaîne nationale. Cette enquête<br />

réalisée à la demande du BOM (Bureau d'organisation et de méthode) de la Présidence<br />

de la République, indiquait qu'à Dakar, 4% de la population n'écoutaient pas la radio<br />

et 73 % l'écoutaient tous les jours, 16 % plusieurs fois par semaine et 7 % moins<br />

souvent.<br />

Enfin, on note aussi, à Dakar, entre 1945 et 1960, l'existence de liaisons<br />

radiophoniques à caractère privé ou à utilisation particulière. L'Etat-major de l'AOF,<br />

dans son étude sur la presqu'île du Cap Vert signale<br />

- Un système de télécommunication à "liaisons fixes" pour l'aéronautique<br />

avec 17 fréquences H.F réparties dans une gamme de 3000 à 21.000 kilocycles pour les<br />

échanges entre aérodromes, de messages météo et intéressant le trafic maritime<br />

- un système de "liaisons mobiles" avec 4 fréquences en radiotélégraphie<br />

réparties dans la gamme de 3000 à 12.000 kilocycles et la fréquences<br />

radiotéléphoniques dans la gamme de 3000 à 17.000 kilocycles<br />

26. "Echos" du 13 janvier 1958.<br />

27. Ernest Milcent, Aux carrefours des options. africaines, 1965, P.56.<br />

28. Enquête du centre d'études sociologiques de Paris, déjà citée.<br />

224


La presse confessionnelle était présente avec des journaux comme<br />

"Horizons africains" pour les milieux catholiques, "Réveil Islamique" pour les<br />

musulmans et "Maintenir", organe protestant.<br />

Des publications économiques comme les bulletins de la Chambre de<br />

Commerce, des publications scientifiques notamment celles de l'IFAN et de<br />

l'Université,une presse d'information et de loisirs avec des journaux comme<br />

"Bingo", "Ande-dieuf' ,des journaux sportifs paraissaient à Dakar qui avait aussi sa<br />

presse étudiante avec "Dakar Etudiant", "AGE-Presse", ou "Jeunesse d'Afrique"<br />

etc... , sa presse scolaire avec des organes comme "le Petit dakarois", "Gerbe<br />

d'AOF", "le Cap verdien" etc... tout comme aussi sa presse jeune comme "la voix<br />

des jeunes", "jeunesse-liaison" etc...<br />

En somme, une presse diversifiée existait à Dakar animant la vie<br />

politique, économique et culturelle des milieux "lettrés" des territoires ouest­<br />

africains de l'Union française.<br />

III/ LA LIBERTE DE LA PRESSE<br />

Cette question revêt une grande importance dans le contexte. Certes,<br />

depuis la fin de la guerre, une législation assurant la liberté de la presse a été<br />

votée par les assemblées métropolitaines et promulguée!'en AOF. Mais entre la<br />

8<br />

législation, elle-même, et la réalité concrète, au niveau local, il y a un large<br />

décalage tout à fait naturel dans une situation coloniale où la totalité des pouvoirs<br />

est détenue par des administrateurs peu enclins à accepter la liberté d'expression<br />

des populations des territoires assujettis. Divers journaux paraissant à Dakar vont<br />

se battre pour le respect de la liberté de presse.<br />

devant les tribunaux,,5.<br />

1) Le procès d' "Afrique nouvelle"<br />

L'organe de la hiérarchie catholique dakaroise titrait ''Afrique nouvelle<br />

La raison de ce titre était «Afrique nouvelle ayant publié le 20 janvier<br />

1951 un article sur le procès des ''Echos d'Afrique noire" et la liberté de presse, le RP<br />

Patemot, directeur et RP Rummelhart rédacteur en chef, se voient assignés par le<br />

procureur de la République, devant le tribunal correctionnel pour le 8 mars 1951 ».<br />

De février à juin, le journal rend compte du procès et de ses suites.<br />

Dans l'édition du 24 février, le journal faisait état de la vive émotion<br />

que cette perspective de procès avait fait naître tant dans la population<br />

5. "Afrique nouvelle du 10 février 1951.<br />

228


européenne que dans la population africaine, aussi bien à Dakar qu'à travers toute<br />

la fédération. Cette émotion a été même partagée en métropole par l'association<br />

des rédacteurs en chef des journaux français qui s'en était saisie par une lettre de<br />

protestation envoyée au Président du Conseil et par divers milieux parlementaires<br />

l'organe annonçait que dix députés, membres de la commission des TOM «<br />

protestaient solennellement et se réservent le droit de porter "l'affaire Afrique nouvelle"<br />

devant l'Assemblée nationale »6.<br />

Après le procès, le journal publie la liste des témoins ayant défilé<br />

devant la barre du tribunal correctionnel pour apporter leur soutien à l'organe de<br />

presse ; les multiples mesures prises par la police et la gendarmerie dakaroise<br />

pour interdire, au public, l'accès au tribunal furent dénoncées.<br />

Le verdict ainsi annoncé «A la stupéfaction du public, ''Afrique<br />

nouvelle" est condamnée, le 15 mars aux dépens et à 50 F d'amende avec sursis pour<br />

le directeur et le rédacteur en chef »7, permet à l'organe catholique de publier<br />

divers témoignages du "plébiscite de la rue" à son égard et deux numéros successifs .<br />

du journal aux dates des 24 mars et 31 mars, firent le compte-rendu analytique du<br />

procès en correctionnelle. Dans la livraison du 21 avril, le journal publiait le texte<br />

d'une motion adoptée par le Conseil de la République, par 147 voix contre 127 qui<br />

demandait le respect de la liberté de presse, l'indépendance de la magistrature et<br />

le respect des règles de gestion des finances publiques dans les T.O.M. Elle était<br />

assortie d'une amputation d'une somme de 1000 F du budget du gouvernement, à<br />

titre de blâme, contre l'action du ministre de la FOMS et du Haut<br />

commissaire.Roger de Benoist confirmait, lors d'un entretien, le caractère<br />

symbolique de la sanction contre le ministre de la FOM qui a cherché à disculper<br />

le gouverneur général de Dakar. Pour lui, le gouvernement, suite à la sanction qui<br />

lui apparaissait comme morale, a voulu donner sa démission après l'adoption du<br />

texte par l'Assemblée nationale. Mais eu égard au contexte politique particulier, la<br />

sanction a été levée pour éviter une crise gouvernementale.L'ancien directeur de<br />

"Mrique nouvelle" expliquait cette sanction par la solidité des appuis du journal<br />

dans les milieux soucieux du respect de la liberté de presse. Il insistait sur le fait<br />

que c'était le seul procès que le journal ait connu.<br />

Les raisons véritables de ce procès seraient ailleurs d'après Me J.C<br />

Legrand du barreau de Casablanca venu à Dakar pour assurer la défense du<br />

journal catholique.<br />

A l'adresse du procureur, l'avocat s'était exprimé dans ces termes «Je<br />

vois ici le bras qui exécute, mais j'ai le droit de chercher la tête qui commande. Car<br />

6. "Afrique nouvelle" du 3 mars 1951.<br />

7. "Afrique nouvelle" du 17 mars 1951.<br />

8. François Mitterand à l'époque, actuel Président de la République française.<br />

229


pour abattre ''Afrique nouvelle" le gouverneur général entend se servir de ses juges. Son<br />

agent, c'est vous /», et n'occultant pas l'aspect politique du procès, l'avocat ajoutait<br />

« ''Afrique nouvelle" gêne le "Proconsul" de la section française de l'internationale<br />

socialiste»9.Le journal apportait diverses preuves du caractère singulier de la<br />

mesure qui le frappait par l'assignation devant la justice le quotidien "Paris­<br />

Dakar" était cité comme ayant relaté, 19 fois de suite, entre le 24 janvier et le 23<br />

mars 1949, des débats judiciaires au sujet du procès Kravchenko, sans être<br />

inquiété. De même l "AOF" organe politique de la SFIO dakaroise et le "Réveil",<br />

organe de l'UDS/RDA, avaient publié plusieurs fois des éléments de ce procès<br />

sans être inquiétés par la justice dakaroise. Des procès avaient fait l'objet de<br />

compte-rendus dans des journaux sans que ceux-ci aient fait l'objet d'assignation<br />

alors qu'il s'agissait d'affaires en diffamation jugées à Dakar même.<br />

Ce procès intenté à "Afrique nouvelle" prouvait donc que la justice, à<br />

Dakar, utilisait "deux poids-deux mesures" envers un journal qui osait dénoncer les<br />

violations de la liberté de presse.<br />

2) Le procès des "Echos d'Afrique noire".<br />

En septembre 1950 l'organe titrait "Paul Béchard passe à la contre­<br />

offensive et traduit Maurice Voisin devant les tribunaux pour défendre sa police/l lO .<br />

La rédaction du journal rappelait sa position «La police dakaroise ne<br />

défend pas les Blancs parce qu'elle n 'aJTête pas les crapules noires ». ce qui était à la<br />

base de cette assignation en justice.Elle insistait sur le fait que, sans "preuves<br />

solides", il n'aurait jamais attaqué la police. Son inquiétude s'était déjà exprimée<br />

en juillet 1950 par ces écrits<br />

« La police va t-elle protéger les Européens... Police, vous avez fait une<br />

nouvelle fois, preuve de votre incapacité et de votre volonté de ne sévir que contre les<br />

Européens... Tel est le régime actuel »11.La rédaction du journal annonçait aussi,<br />

dans la même édition, le projet de création d'une police supplétive pour faire<br />

respecter "la peau blanche': Malgré l'assignation, cet organe de la presse dakaroise<br />

avait multiplié les écrits sur la police. D'après lui on trouvait des policiers blancs<br />

dans tous les coins de la ville de Dakar, qu'ils ne faisaient rien, exactement<br />

comme lorsqu'ils n'étaient pas nombreux et que cette insuffisance servait à<br />

justifier l'inactivité de la police dakaroise et que maintenant les effectifs<br />

européens de la police avaient quintuplé dans la capitale fédérale 12.<br />

9. "Afrique nouvelle" du 10 mars 1951.<br />

10. "Echos d'Afrique noire" du 29 septembre 1950.<br />

11. "Echos d'Afrique noire" du 20 juillet 1950.<br />

12 "Echos d'Afrique noire du 15 Décembre 1950.<br />

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En janvier 1951 il était jugé. Le rédacteur des "Echos" fut condamné à 4<br />

mois de prison ferme et à une amende. Pour avoir relaté ce procès en diffamation<br />

à son tour "Afrique nouvelle" fut assigné en justice.<br />

En décembre 1950 un fait insolite pour ne pas passer inaperçu fit titrer<br />

à la rédaction "Coup de force fasciste contre notre journal". Maurice Voisin faisait<br />

état d'une décision prise par la G.LA de ne plus imprimer son joumal 13 .A propos<br />

de cette décision, "Afrique nouvelle,,14 écrivait «... Sans aucune espèce<br />

d'explication, la G.IA s'est subitement refusée à imprimer les Echos d'Afrique noire<br />

bien qu'ayant été régulièrement payée ».Pour l'organe catholique, ces procédés<br />

étaient inadmissibles et traduisaient un désir d'empêcher la parution de cet organe<br />

qui ne plaisait pas à tout le "monde" à Dakar.<br />

Une question se posait dès lors, celle de savoir s'il y avait une<br />

quelconque relation entre ce refus d'imprimer "les Echos d'Afrique noire" et<br />

l'assignation du même journal devant le tribunal.Dans le contexte dakarois de<br />

l'époque on peut avancer l'hypothèse d'une pression exercée sur cette imprimerie,<br />

de la part du gouvernement général., mais d'autres sont également valables. Il est<br />

possible aussi qu'il n'y ait pas de pression du Palais et que la G.LA se décide à<br />

partir d'une initiative propre. La chose est fort probable si l'on tient compte du fait<br />

que cette imprimerie est l'un des maillons du gros capital dakarois dont Charles<br />

Breteuil son chef, est l'un des porte-parole. Les "Echos" s'opposent souvent à ce<br />

grand capital local.<br />

Possible aussi que ces pressions ne soient ni du Palais ni du grand capital, mais<br />

des milieux politiques 10caux."Echos d'Afrique noire,,15 constatait «Le Conseil<br />

Général du Sénégal, à la majorité, demande l'expulsion de Maurice Voisin ». Or, dans<br />

ce Conseil Général, les grands milieux d'affaires sont solidement présents, tout<br />

comme l'administration. Donc refus d'impression par pressions politiques ou<br />

administratives ou économiques ou par conjugaison de plusieurs à la fois, la réalité<br />

est que le journal ne manque pas d'ennemis dans la capitale. Cependant le journal<br />

continue à paraître à Dakar. En effet, "Afrique Noire" annonçait, en février 1951,<br />

que "Echos d'Afrique noire" se fait imprimer au Maroc. Roger de Benoist écrit<br />

dans "Situation de la presse" que l'organe dakarois a été imprimé de 1952 à 1958 à<br />

Casablanca, puis à Bordeaux avant de revenir à Dakar. Ceci n'avait pas été facile,<br />

surtout sur le plan financier, mais l'important, pour la rédaction, était de continuer<br />

à paraître. Il était certain que les moyens n'avaient pas fait défaut dans une telle<br />

opération.<br />

13. "Echos..." du 29 décembre 1950.<br />

14. N" du 24 février 1951.<br />

15. Du 29 décembre 1950.<br />

231


porter la protestation aux autorités mit l'accent sur le fait qu'elle intervenait à trois<br />

mois des examens et que Bâ Thierno tenait un cours à deux cycles CMl et CM2.<br />

Les enseignants du syndicat autonome de l'enseignement primaire de la<br />

Délégation intervinrent auprès des autorités pour exiger la levée de la décision<br />

affectant Bâ Thierno à Ziguinchor, et devant l'échec de leur démarche, ils<br />

arrêtèrent même le travail, plusieurs heures durant, à titre de protestation .De<br />

même le Comité Territorial d'Unité d'Action des enseignants du Sénégal­<br />

Mauritanie, prit la défense de Bâ Thierno. Mais le gouverneur général de l'AOF<br />

refusa de recevoir leur délégation, exactement comme le gouverneur du Sénégal<br />

l'avait fait auparavant.Le parti politique U.D.S-R.D.A éleva une vive protestation<br />

contre cette mesure frappant l'un de ses principaux responsables.<br />

Toute l'agitation autour de cette mesure administrative était-elle<br />

justifiée simplement par le fait qu'un enseignant était la victime?<br />

En partie, si l'on considère les initiatives des parents d'élèves de Yoff<br />

mais aussi celles des syndicats d'enseignants. Mais, à travers l;enseignant,<br />

manifestement le journaliste était le plus visé. La preuve est que Bâ Thierno, muté<br />

à Ziguinchor, restait jusqu'à la fin de l'année, sans classe effective alors qu'il<br />

abandonnait une classe d'examen à Yoff.<br />

De plus, cette mesure intervenait dans un contexte marqué par toute<br />

une série de mesures administratives mutations arbitraires de militants actifs et<br />

responsables de l'U.D.S et même emprisonnements . Toutes ces mesures, pour<br />

l'U.D.S, rentraient dans la politique des autorités de la fédération qui ne<br />

pardonnaient pas, à la section territoriale du R.D.A, son refus de suivre la ligne de<br />

collaboration engagée par la direction du mouvement.Le rapport moral, au<br />

congrès de la section territoriale, en juillet 1955, passait longuement en revue ces<br />

mesures et concluait qu'elles avaient été sans succès puisque le redressement<br />

s'était opéré partout et que la section s'était consolidée .Il insistait sur les mesures<br />

prises, dans le secteur de la presse du parti, pour éviter tout impact négatif de la<br />

mutation du rédacteur en chef, et effectivement, "Réveil" continua à paraître.<br />

b) "Dakar-Etudiant" fut l'objet de diverses mesures arbitraires de<br />

l'administration. En 1957 sous le titre "Fausse alerte" les étudiants de Dakar<br />

écrivaient «... Ceux qui croyaient que le refus des imprimeurs locaux de faire notre<br />

bulletin signait l'acte de décès de Dakar Etudiant, se sont rendus compte, en<br />

entendant notre voix s'élever une nouvelle fois, de leur impuissance. Ont-ils conçu une<br />

machination plus efficace pour éteindre à jamais notre voix? »20.<br />

20. N" de mai-juin 1957.<br />

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L'article se référait à l'arrêté n° 4392/API/du 2 mai 1957 du<br />

gouverneur général de l'AOF, interdisant la vente, la circulation, l'exposition sur<br />

les lieux publics, du journal des étudiants. La rédaction proclamait la ferme<br />

détermination des étudiants à continuer à publier leur organe de presse. Les<br />

propos apaisants tenus par le directeur de cabinet du Haut Commissaire selon<br />

lequel la dite mesure ne visait pas à interdire définitivement la parution du<br />

bulletin, n'étaient qu'une tactique à laquelle les autorités étaient contraintes,<br />

devant la détermination des étudiants.Contre le journal des étudiants de<br />

l'UGEAO les pressions ne cessèrent pas elles aboutirent même à la situation<br />

suivante que l'organe mettait bien en exergue par cet encadré «... Ce numéro du<br />

journal Dakar-Etudiant a été tiré sur les presses de l'imprimerie nationale à Conakry,<br />

République populaire et démocratique de Guinée (devenue indépendante) à 1000<br />

exemplaires»21.<br />

Un an plus tard il continue à se plaindre des violations de la liberté de<br />

la presse dans la capitale fédérale de l'AüF «Cent et une fois, Dakar-Etudiant a<br />

subi des menaces. Certains pouvaient rire sous cape. "Ils n'ont pas d'imprimerie, ils<br />

n'ont pas notre soutien financier... On n'entendra plus crier ce ghetto d'agitateurs<br />

politiques à l'université de Dakar»22. Ces mesures administratives n'avaient pas eu<br />

raison du journal.<br />

De plus, d'autres initiatives frappèrent indirectement les étudiants de<br />

Fann par les diverses interdictions du journal de la fédération des étudiants<br />

africains en France entre 1954 et 1960. Toutes ces mesures avaient un caractère<br />

administratif car appliquées par le Haut Commissaire de l'AOF à l'encontre de cet<br />

organe paraissant en métropole. Le 20 février 1958 la troisième saisie de cet<br />

organe donna lieu à un imposant meeting de protestation place de Mbott à<br />

Dakar, à l'initiative de plusieurs organisations étudiantes, politiques, de jeunesse,<br />

culturelles, syndicales etc...<br />

Ces diverses mesures contre "Réveil", "Dakar-Etudiant", "l'Etudiant<br />

d'Afrique noire"etc... mais aussi les procès contre "Echos d'Afrique noire" et<br />

"Afrique nouvelle", constituaient-ils des mesures isolées, même si elles furent<br />

nombreuses ? Apparemment pas. Les autorités de la fédération, directement ou<br />

indirectement, menèrent une politique d'ensemble contre la presse libre et<br />

critique. Beaucoup de faits le prouvaient. Cette circulaire du Gouverneur général<br />

de l'AOF relative à l'exercice du droit d'écrire dans la presse pour les<br />

fonctionnaires rentrait dans cette politique. Ce texte, signé du gouverneur général<br />

B. Cornut Gentille, disait<br />

21. "Dakar-Etudiant" Février 1959.<br />

22. "Dakar-Etudiant", nouvelle série nOI, Avrill960.<br />

240


« 10) Interdiction est faite à tout fonctionnaire, quel qu'il soit, mis en cause<br />

dans la presse, de répondre sans y avoir été expressément autorisé, soit par le haut<br />

commissaire ou le gouverneur secrétaire général à l'échelon fédéral, soit, dans les<br />

territoires par le chefdu territoire lui-même.<br />

2°) De même, aucun article rédigé par un fonctionnaire ne sera publié<br />

sans qu'il ait été préalablement soumis à l'approbation des mêmes autorités.<br />

3°) Les fonctionnaires appelés à prononcer une conférence autre que<br />

littéraire, en soumettront le texte à mon cabinet ou au cabinet du gouverneur.<br />

Ces instructions doivent être rigoureusement appliquées...<br />

Ces directives s'appliquent naturellement à tous les échelons de la<br />

hiérarchie administrative et je n'hésiterai pas à sanctionner sévèrement »23.<br />

Cette circulaire du Chef de la Fédération avait fait l'objet d'une vive<br />

controverse. Elle apparaissait, pour beaucoup, comme une véritable censure<br />

contre les fonctionnaires.La polémique qu'elle souleva fut telle que le Haut<br />

Commissaire crut devoir rédiger une nouvelle circulaire « pour préciser<br />

exactement le sens de la première... pas question de porter atteinte à la liberté de<br />

la presse » écrivait-il le 28 mai 1953.Malgré cette précision apportée par le<br />

"Palais", la polémique n'en continue pas moins, de plus belle. C'est dire à quel<br />

point, l'opinion publique avait été sensible à la circulaire du Haut Commissaire,<br />

perçue comme une véritable censure et donc une atteinte réelle à la liberté<br />

d'expression.En cela, on peut parler d'une politique délibérée des autorités locales<br />

pour éviter toute expression d'une presse démocratique, à Dakar et en AüF.<br />

IV/IMPRESSION, TIRAGE, COUT ET LECTORAT<br />

1) L'impression<br />

- historique<br />

Il faut remonter à la deuxième moitié du XIXeme siècle pour voir la<br />

gestation de l'imprimerie au Sénégal.<br />

La dépêche ministérielle approuvant le projet survînt quelques<br />

semaines avant la nomination de Faidherbe comme gouverneur de ce territoire.<br />

C'est donc lui qui organisa l'imprimerie entre 1855 et 1857. Son<br />

installation remonte précisément à 1856 même si la réglementation n'intervînt que<br />

plus tard.L'administration coloniale disposait ainsi d'un outil lui permettant non<br />

seulement de publier les arrêtés, décisions et ordonnances, mais aussi les premiers<br />

journaux au Sénégal.<br />

23. "Afrique noire" n"38 du 18 juillet 1953.<br />

241


périodiques politiques.Il imprimait aussi des journaux publiés à Paris et imprimés<br />

à Paris. C'était le cas de la revue "l'Etincelle" organe du R.P.F, mais aussi<br />

"Carrefour". L'imprimerie recevait, en double exemplaire les plans de ces<br />

journaux. Elle les imprimait en remplaçant le nom de l'imprimerie parisienne par<br />

le sien. Cette opération permettait un gain de temps appréciable dans la mesure<br />

où le journal était en kiosque la semaine même de sa parution à Paris. Mais<br />

surtout, le tirage pouvait être nettement plus élevé que le nombre des exemplaires<br />

envoyés de la métropole. Et par exemple, la revue "Etincelle" voyait ainsi sa<br />

diffusion en AOF passer de 750 exemplaires à plus de 5.0002 5 . Le groupe de la<br />

G.I.A s'appuyait, au niveau de la fédération, sur d'autres imprimeries moins<br />

importantes, en Guinée, au Cameroun et en Côte d'Ivoire. Ainsi, "Paris-Dakar"<br />

qu'elle produisait était un maillon d'une chaîne plus vaste comptant la presse de<br />

Guinée, la presse du Cameroun, "Abidjan matin" et également "Bingo".<br />

Outre l'imprimerie de l'Eglise et celle de la G.I.A, il y avait aussi<br />

quelques petites imprimeries à Dakar. Comme l'imprimerie Diop dont "Echos<br />

d'Afrique noire" nous dit qu'elle avait été montée avec des capitaux du<br />

gouvernement général. Beaucoup d'organes de la presse syndicale ou de jeunesse<br />

sortaient de chez elle, entièrement ou partiellement, parfois seulement la page de<br />

garde si le reste était multigraphié.L'activité d'impression assurée par A. Diop<br />

suscitait l'hostilité du colonat. "Echos d'Afrique noire", un des porte-parole attitrés<br />

de ce milieu le dénonçait « ...Pendant ce temps, le même Diop imprime, à bas prix,<br />

le joumal anti-français, organe du Parti Africain de l'Indépendance "La lutte". Et les<br />

machines achetées par Diop l'ont été avec l'aide du FIDES ou de la CCFOM »26.Le<br />

journal de Maurice Voisin n'avait pas la même réaction à l'égard des autres<br />

organes que l'imprimerie réalisait à cette époque comme "Afrique noire" de Guy<br />

Etcheverry, "l'AOF" ou "Condition Humaine".<br />

La presse à Dakar comptait aussi sur des moyens d'impression situés<br />

hors du territoire de la fédération. Exemple, "Echos d'Afrique noire", après le<br />

refus d'imprimer de la G.I.A, avait été imprimé au Maroc, dès le mois suivant, et<br />

plus tard, en métropole même. Il en fut de même pour Dakar-Etudiant.<br />

Outre ces moyens, la presse dakaroise comptait aussi, en ce qui<br />

concerne les petites publications, sur des moyens rudimentaires comme la machine<br />

à écrire et la ronéo; ce qui se ressentait assez nettement sur la qualité de ces<br />

organes. Seuls, les moyens financiers dérisoires leur imposaient cette solution. La<br />

plupart des cas, ces organes ne disposaient même pas, à titre propre, de ces<br />

moyens. Abdoul Maham Bâ et Youssouf Diop, anciens haut-responsables de la<br />

jeunesse, insistaient sur les énormes difficultés qu'ils rencontraient, souvent, pour<br />

25. R. Bourgi, Le général de Gaulle et l'Afrique... 1980, op. cit., P.226.<br />

26. "Echos d'Afrique noire" du 12 mai 1958.<br />

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et considère même «Maurice Voisin pris en flagrant délit de mensonge ».11 est vrai<br />

que ces écrits se situent dans une virulente querelle entre les deux rédacteurs en<br />

chef, par journaux interposés.<br />

L'organe de la hiérarchie catholique dakaroise tirait à 3.500<br />

exemplaires lors de sa création en 1947, pour atteindre les 5.000 numéros en 1950<br />

et les 7.000 en 1955. "Mrique nouvelle" monta à 12.000 exemplaires en 1957,<br />

15.000 en 1958 pour revenir à 12.000 en 1959.<br />

"Bingo" avec l'ensemble de ses trois éditions couvrant l'AOF et l'AEF,<br />

tirait à 20.000 exemplaires."L'Unité" de 5 à 6.000 numéros.<br />

"Lettre africaine" tirait à 5.50 exemplaires dont les 3/4 étaient, lus à<br />

Dakar, les administrations et services s'abonnant pour les 450 numéros. "La voix<br />

des jeunes" de 5.00 à 1500.<br />

Quant à "La lutte", organe central du P.A.I, elle tirait à 4.000<br />

exemplaires et "Momsarew", organe de la section territoriale du Sénégal à 1.000<br />

exemplaires.<br />

"Indépendance africaine" du P.R.A-Sénégal avait 4.000 numéros 30 et<br />

"l'Action" se situait à 2.000 exemplaires.<br />

"Dakar-Etudiant", tiré en Guinée en 1959, atteignait les 1.000<br />

exemplaires.<br />

Le quotidien "Paris-Dakar" était tiré à 15.000 exemplaires. Il était en<br />

fait le plus grand et le plus régulier des tirages de la presse dakaroise.<br />

Ces problèmes de tirage étaient en rapport étroit avec ceux de la vente,<br />

laquelle était subordonnée à divers éléments comme imprimé ou ronéotypé,<br />

régulier ou pas, organe politique ou non, etc... Dès 1943, à l'initiative de Charles<br />

de Breteuil, directeur de la G.I.A et de Pierre Douillet, avait été créée l'A.D.P<br />

(Agence de distribution de presse) chargée d'assurer la distribution, de la manière<br />

la plus large possible, au Sénégal comme dans les autres territoires, de la presse<br />

française, d'une partie de la presse locale, et autres produits de librairies 31 .<br />

L'agence avait son siège à Dakar. Elle percevait 20% sur le montant total des<br />

ventes. "Paris-Dakar" fit appel à ses services contrairement à d'autres, comme<br />

"Mrique nouvelle", le deuxième grand de la presse locale qui trouvait la<br />

rémunération trop élevée . Dans les budgets de cet organe catholique, une<br />

certaine somme était régulièrement inscrite, au titre de l'expédition du journal<br />

dans toute la fédération. En 1958-1959, cette somme fut de 5 millions de F. CFA<br />

A cette date, c'est par la voie aérienne que le journal est diffusé, mode<br />

relativement coûteux, mais la direction estimait que tout autre moyen était<br />

incompatible avec les impératifs de la diffusion hebdomadaire.<br />

30. Fiche 42 pour ces journaux politiques 1959.<br />

31. Abd. Thiongane, Le public de la presse locale et française à Dakar, 1982, P.19.<br />

245


L'ADP et ses tarifs sont inaccessibles à la majorité des journaux<br />

dakarois, irréguliers et à faible tirage. La seule possibilité de distribuer des<br />

journaux politiques, syndicaux, de jeunesse, étudiants, etc... était la vente militante<br />

comme le note M.A de Suremain dans une recherche sur cette presse. En février<br />

1958 "La lutte" consacrait un éditorial consacré à la question «... ces militants<br />

savent l'effort qu'il a fallu consentir pour faire sortir en un temps record... Ils<br />

connaissent les embarras financiers, les fatigues enthousiasmantes de la vente<br />

militante»32. D'après nos interlocuteurs Abdoul Maham Bâ et Youssouf Diop, la<br />

presse du Conseil de la jeunesse était répartie entre les différentes associations<br />

constitutives de cet organisme, par quota. Chaque association avait pour<br />

obligation de faire parvenir à la trésorerie du Conseil, la valeur totale des numéros<br />

reçus. Mais la vente militante à laquelle avait recours l'essentiel de la presse<br />

politique ou syndicale dakaroise, n'était pas sans difficultés majeures faiblesse du<br />

nombre des militants, éloignement, niveau de conscience etc...Le SYNEP, dans<br />

presque tous ses congrès, reconnaissait ces difficultés réelles mais avait la<br />

conviction qu'elle était la seule méthode possible.<br />

Abdoulaye Thiongane,indique que, plusieurs années après<br />

l'indépendance, à peine 30 % des organes de la presse dakaroise étaient vendus<br />

par l'intermédiaire de l'agence de presse 33 .<br />

3) Le coût et le lectorat.<br />

"Afrique Nouvelle" constatait, en octobre 1951, que les journaux étaient<br />

chers en raison des coûts prohibitifs du papier. Le prix du papier, 2230 F la tonne<br />

à la fin de 1939, avait vertigineusement grimpé après la guerre et à compter du<br />

1er octobre 1951, des hausses nouvelles étaient encore intervenues. La tonne de<br />

papier en bobine se vendait à 83.750 F et celle de papier en rame à 130.000 F. Le<br />

journal s'inquiétait surtout de la cadence des hausses des 16 derniers mois écoulés.<br />

Considérant surtout que c'étaient des produits étrangers, il rejetait la<br />

responsabilité de cette situation sur l'administration qui n'avait pas su pallier ces<br />

hausses, et arrivait à la conclusion suivante «La presse est devenue un produit de<br />

semi luxe réservé aux seuls aisés» et que les journalistes eux-mêmes en éprouvaient<br />

des soucis.<br />

Presque à la même période le rapport administratif soumis à la<br />

réflexion des délégués au Berne congrès territorial de la S.F.I.O, dénonçait les<br />

hausses dont la papeterie en général, avait été l'objet au cours de l'année écoulée.<br />

Il expliquait ainsi la cause des réductions, au strict minimum indispensable, des<br />

32. "La lutte" du 13 février 1958.<br />

.33. Abdoulaye Thiongane..., P.10?<br />

246


conditions de travail difficiles. En effet, le personnel ne disposait d'aucun jour de<br />

repos dans la semaine et s'en était plaint auprès des autorités. L'inspection du<br />

travail avait même envoyé à ce sujet une véritable mise en demeure à A Lauzé, le<br />

chef du bureau de l'AFP à Dakar. Mais ce chef prétexta par la suite le manque<br />

de qualification de ce personnel africain, pour opérer le licenciemené 4 et se<br />

débarrasser d'un personnel revendicatif.<br />

La réorganisation du bureau de l'agence Havas selon une formule<br />

nouvelle, ne changea en rien sa dépendance à l'égard du gouvernement général.<br />

La principale mission confiée à l'AFP consistait en la réalisation du bulletin<br />

quotidien d'information destiné à la radiodiffusion et au journal "Paris-Dakar",<br />

mais aussi à la vente au public.Ce bulletin réalisé par l'agence constituait le moyen<br />

d'information principal de la presse d'opinion.<br />

Cependant, tous les journaux paraissant à Dakar n'avaient pas les<br />

moyens financiers pour pouvoir obtenir un abonnement au bulletin de l'agence.<br />

C'était le cas des journaux de jeunes ou d'élèves, tout comme de plusieurs<br />

associations. Mais, pour d'autres organes, dans la mesure où ce bulletin était<br />

d'inspiration coloniale, il n'était nullement question de s'y abonner. C'était le cas<br />

des journaux politiques comme "Réveil", "l'Action", "Indépendance africaine", "La<br />

Lutte", "Dakar-Etudiant" etc...<br />

Les journaux qui, soit pour des raisons politiques ou économiques,<br />

n'étaient pas abonnés, comptaient sur d'autres sources, essentiellement en<br />

provenance des informations des militants. C'est ce que notait la rédaction de "La<br />

Lutte" «... Ils (les rédacteurs) connaissent les fièvres des tables de rédaction, les<br />

difficultés de la collecte des articles...»45. Moustapha Diallo expliquait que le<br />

bulletin de presse de l'AGED était constitué d'articles faits par les membres de<br />

l'association ou des articles repris de "l'Etudiant d'Afrique noire", organe de la<br />

FEANF ou d'informations en provenance de la presse des autres associations<br />

démocratiques. Abdoul Maham Bâ et Youssouf Diop confirmaient la même chose<br />

pour l'organe du C.J.S "Jeunesse Liaison".<br />

Un de nos interlocuteurs considérait que s'inspirer des informations de<br />

source coloniale, c'était une manière d'être au service de cette administration, ce<br />

qui enlevait toute crédibilité à une presse qui dénonçait le système colonial.<br />

En somme, ce bulletin de Havas n'avait pour utilisateurs, dans la presse<br />

dakaroise, que les organes d'Européens ou les publications de l'administration<br />

coloniale.<br />

2) Les rédacteurs de la presse dakaroise.<br />

44. Hervé Tenoux, ibidem, 1986.<br />

45. "La Lutte", éditorial du 13 février 1958.<br />

250


Dans son analyse de la presse en AOF, R. de Benoist note « La--'<br />

majorité des journalistes professionnels sont d'origine européenne. Les journalistes<br />

africains occupent des postes subalternes »46. M.A de Suremain remarquait « Il<br />

n'existe pas à l'époque d'école de journalisme en AOF; dans ces conditions, le<br />

journalisme constituait un champ d'expression ouvert aux individus, écrivant à<br />

l'occasion, dans des organes de presse de tendances parfois différentes »47.Parlant de<br />

l'encadrement syndical des journalistes, M.A. de Suremain disait « Il existait en<br />

A OF, une section du syndicat national des journalistes de France, section qui ne<br />

regroupait qu'une quinzaine de membres ». En fait, dans les organes de presse<br />

publiés à Dakar, la situation d'ensemble était complexe pour la qualité du<br />

personnel de rédaction.<br />

Les journaux européens comme "Paris-Dakar", "Afrique noire", "La<br />

Lettre africaine", "Echos d'Afrique noire" etc... avaient pour rédacteurs des<br />

professionnels formés au journalisme dans des écoles de la métropole. La presse<br />

de l'Eglise avait ses professionnels comme Ernest Milcent, Roger de Benoist... Les<br />

journaux catholiques firent même venir d'ailleurs, de la Fédération, des<br />

professionnels pour leur confier des responsabilités à Dakar. En 1958 "Afrique<br />

nouvelle" avait même obtenu une compensation financière de la part du<br />

gouvernement sénégalais qui avait débauché un rédacteur que la direction avait<br />

fait venir du Dahomey48.<br />

Par contre, une certaine presse, à Dakar, dépend d'une rédaction sans<br />

formation professionnelle. C'est le cas pour pratiquement tous les organes de<br />

jeunesse, d'étudiants, de syndicats et partis politiques. Du directeur de publication<br />

jusqu'au dernier de la rédaction en passant par les rédacteurs en chef, personne<br />

n'était journaliste de profession. Cependant, cette situation n'enlevait en rien sa<br />

valeur au journal même si M.A de Suremain remarque des lourdeurs, des phrases<br />

incorrectes, un style parfois incohérent dans cette presse. Le personnel de<br />

rédaction était formé sur le tas. Tout le monde pouvait être rédacteur dans<br />

certains organes de presse. Il suffisait d'être un militant lettré. C'était<br />

véritablement une presse militante par opposition à la presse européenne<br />

professionnelle.<br />

A voir même l'importance des articles anonymes dans cette presse,<br />

parfois jusqu'à près de la moitié des articles 49 ou les multiples changements des<br />

équipes rédactionnelles, cette qualité de personnel formé sur le tas était évidente<br />

46. R. de Benoist., La situation de la presse., 1960, P.128.<br />

47. MA de Suremain, PA<br />

48. Entretien avec R. de Benoist qui affirme que l'intéressé fut nommé chef de cabinet par A. Peytavin ministre des fi<br />

49. MA de Suremain, P.26.<br />

1<br />

251·


1) "Paris-Dakar"<br />

C'est le seul journal à paraître quotidiennement à Dakar. Les autres<br />

bulletins quotidiens -celui de l'AFP et celui de la Chambre de Commerce- s'y<br />

retrouvent largement ."Paris-Dakar" paraît à Dakar depuis février 1933 et jusqu'à<br />

la fin de notre période régulièrement car ses interruptions orit été presque<br />

insignifiantes. Il reçoit ses informations de l'AFP et les publie presque toujours<br />

comme telles. Cependant dans les périodes de tensions, les dépêches sont<br />

modifiées par la censure officieuse ou officielle. En janvier 1946 le journal<br />

indiquait «Au cours des 48 heures, les mouvements de grèves indigènes ont pris une<br />

ampleur accrue. La menace de grève générale se précise; seules les activités essentielles<br />

telles que le service de l'eau, de l'électricité et des transmissions pou"aient être<br />

assurées. Les troupes ont été consignées. La garde des principaux édifices a été<br />

renforcée. Un dispositif est mis en place pour assurer le ravitaillement de la population<br />

européenne et indigène. Le calme le plus complet règne »50. Il publiait ainsi une<br />

dépêche de l'AFP qui avait fait l'objet d'une remise en forme assez serrée puisque<br />

les termes suivants furent enlevés « Grève beaucoup plus politique que<br />

professionnelle... L'union des syndicats présentant des revendications volontairement<br />

i"ecevables pour maintenir l'agitation... Démonstration aviation et chars eut lieu ce<br />

matin »51. Sur cette information publiée par le journal après les "correctifs"<br />

apportés à la dépêche AFP, la rue Oudinot avait eu son mot à dire, malgré toutes<br />

les précautions prises<br />

«... Le cabinet du ministre de l'infonnation nous fait savoir que le ministre<br />

des colonies s'est ému de la publication dans nos feuilles d'une infonnation intitulée<br />

"les mouvements de grève indigène à Dakar" et demande qu'à l'avenir<br />

publiées à ce sujet<br />

1°) nous soyons extrêmement prudents dans les tennes des infonnations<br />

2°) nous notions dans une prochaine infonnation que des négociations<br />

sont en cours pour la reprise du travail<br />

3°) nous communiquions toute infonnation par téléphone à Mr Rétine du<br />

cabinet du Ministre des colonies avant publication»52.<br />

"Paris-Dakar", dès le lendemain, signale « la tenue de négociations se<br />

poursuivant à Dakar où le calme et l'ordre règnent».<br />

Le surlendemain, le quotidien dakarois en revenant sur cette grève,<br />

mettait surtout en avant les mesures de réquisitions décidées par l'administrateur<br />

50. "Paris-Dakar" du 14 janvier 1946.<br />

51. H. Tenoux, l'Agence Havas... 1 1986, P.75<br />

52. Idem, P.74<br />

253.


C'était une série d'articles contre le communisme qui rappelaient les<br />

positions de principe de l'Eglise, en traitant d'événements propres à la ville de<br />

Dakar 69 . L'ancien directeur se défendait pourtant que son organe ait fait preuve<br />

d'un anticommunisme systématique. Il donnait l'exemple d'une série d'articles<br />

publiés par le journal, au titre d'un reportage fait par les étudiants de l'AOF ayant<br />

séjourné en République populaire de Chine. Parmi ces étudiants, certains, comme<br />

Joseph Mathiam, étaient membres actifs des associations catholiques locales.<br />

Roger de Benoist insistait sur le fait que tous les articles furent publiés sans la<br />

moindre censure. Tout juste crut-il devoir faire un "article-complément" pour<br />

montrer le prix énorme que la Chine avait dû payer pour arriver aux succès que les<br />

étudiants vantaient 70 .<br />

Cependant, les propos de l'ancien directeur d'''Afrique Nouvelle" ne<br />

concordaient pas exactement avec la pratique même du journal qui avait souvent<br />

brocardé le R.D.A pour ses activités ou ses soutiens communistes et ceci jusqu'en<br />

1950. A partir de cette époque, le langage changea. Les conférences, meetings,<br />

déplacements du leader du mouvement interterritorial furent suivis plus<br />

positivement. Exemple le meeting de H. Boigny à Abidjan le 6 octobre 1951, était<br />

placé en première page. Ce reportage appréciait positivement les raisons avancées<br />

par le leader politique africain pour le désapparentement à l'égard du P.C.F. Selon<br />

le journal, 8.000 personnes étaient massées au stade d'Abidjan lorsque Houphouët<br />

déclarait «... La lutte contre le RDA de ces trois dernières années a distrait trop<br />

souvent l'exécutif local de son rôle principal qui doit être celui de guide, de conseiller,<br />

d'ami des populations dont il a la charge »71.<br />

"Afrique Nouvelle" accordait une grande importance aux questions<br />

sociales en Afrique. A propos du mariage, le journal titrait «Grâce au décret<br />

Jacquinot, la femme africaine cesse d'être une chèvre »72. Il se réjouissait du fait que<br />

les autorités parisiennes et d'AOF mettent, ainsi, en place, toute une législation<br />

pour imposer le mariage chrétien en Afrique noire. Le journal ne semblait pas<br />

s'apercevoir du caractère outrancier du titre de l'article, encore moins des<br />

bouleversements sociaux négatifs que cette législation coloniale allait entraîner. Il<br />

semblait aussi faire peu de cas de la position même des musulmans d'Afrique<br />

noire sur cette réglementation ignorant qu'au même moment, à Dakar, une<br />

riposte était examinée par divers milieux islamiques. Mieux, le journal catholique<br />

se vantait d'avoir été indirectement à la base de cette législation par toute une<br />

campagne menée dans ses colonnes, plusieurs mois auparavant.<br />

69. N" du 21 février 1956.<br />

70. Entretien.<br />

71. "Afrique nouvelle" du 21 octobre 1951.<br />

72. "Afrique nouvelle" du 6 octobre 1951.<br />

259 .


Il critiqua vivement les membres du Grand Conseil de l'AOF qui s'étaient<br />

prononcés en faveur du versement des allocations familiales à tous les enfants des<br />

travailleurs en considérant que ceci était « un exemple révoltant de favoritisme à<br />

l'égard de la caste des fonctionnaires polygames ». Il ridiculisait ceux qui, par cette<br />

polygamie, entretenaient une sorte de semi-esclavagisme et faisaient la chasse<br />

aux orphelins. Les fonctionnaires africains polygames étaient bien désignés. Toute<br />

cette ferme opposition du journal à la question des allocations familiales<br />

revendiquées par les centrales syndicales relevait en fait de deux considérations<br />

lutter contre le système de la famille africaine, mais aussi devenir un porte-voix du<br />

grand capital local fermement opposé à cette revendication des travailleurs<br />

d'Afrique noire.<br />

Les autres publications catholiques telles que "Horizons africains" ainsi<br />

que des organes du colonat dakarois comme "Echos d'Mrique noire" avaient la<br />

même position.<br />

Si "Mrique Nouvelle" avait, en général, défendu l'octroi d'un code du<br />

travail pour les TOM, diverses positions du journal comme la question des<br />

allocations familiales, constituaient, en fait, des ambiguïtés sur la ligne générale du<br />

journal. On imagine mal, comme position logique, une défense des intérêts des<br />

travailleurs en remettant en cause fondamentalement leur mode d'existence. Il est<br />

vrai que la défense des intérêts des travailleurs d'Mrique noire passait au second<br />

rang pour la rédaction. Les intérêts exclusifs de l'Eglise opposée à la polygamie<br />

du milieu et le soutien aux intérêts économiques du patronat passaient au premier<br />

plan.<br />

En somme, "Afrique Nouvelle" s'était vraiment intéressée à diverses<br />

questions et développait les positions de l'Eglise essentiellement, mais aussi celles<br />

du patronat en partie.<br />

4) Les "Echos d'Afrique Noire"<br />

Antérieurement, cet organe s'appelait "Echos guinéens". C'est à partir<br />

de 1948 que le journal est venu s'installer définitivement à Dakar et le titre<br />

devient "Echos d'Afrique noire". Dès 1953, il est doublé du "Petit Jules Illustré"<br />

fondé par Maurice Voisin, rédacteur en chef des "Echos d'Mrique noire".<br />

La directrice de publication était Mme Voisin, née Anne Mosseson.<br />

"Echos d'Afrique noire" était le véritable porte-parole des cercles les plus<br />

conservateurs du petit colonat. Par ses publications, le journal s'attaquait<br />

régulièrement à la haute administration dakaroise, jusqu'au chef de la fédération<br />

lui-même.<br />

'--<br />

262


Ainsi, à propos d'une affaire d'autorisation d'importation de frigidaires,<br />

la rédaction avait publié une lettre ouverte adressée au chef de l'AOF. Une autre<br />

fut adressée au parquet à la suite du silence du chef de la fédération. Pas plus<br />

heureux du côté du parquet, elle écrit au directeur de la SCOA83 espérant<br />

vainement une réaction directe et le journal publiait par la suite le rapport du<br />

contrôle financier de l'AOF qui mettait en cause les plus hautes autorités dans<br />

cette affaire. Ces dernières ne crurent même pas devoir réagir devant cette<br />

nouvelle initiative des "Echos d'Afrique noire" et l'accusation de gaspillage des<br />

deniers publics qui pesait sur les autorités ne fut pas éclaircie.<br />

C'est ce qui amenait "Echos d'Afrique noire", dans plusieurs livraisons<br />

consacrées à la question, à demander «Plus jamais démission Paul Béchard »84 .<br />

Ce dernier, Chef de la Fédération, était présenté comme le véritable bénéficiaire<br />

de l'opération frauduleuse qui lui aurait rapporté 1 million de francs CFA. Le<br />

journal ne fut pas plus tendre à l'égard de son successeur. A la suite de plusieurs<br />

révélations de gaspillage, il écrit<br />

« Bernard Comut Gentille fait beaucoup mieux que Béchard, en matière<br />

de gaspillage des deniers publics .85<br />

Le journal avait engagé une véritable campagne anti-libanaise dans ses<br />

colonnes, plusieurs numéros durant. "Une véritable invasion étrangère" considérait­<br />

il à propos de l'afflux des levantins à qui il reprochait les problèmes coloniaux<br />

clairement, en ces termes «... Car, enfin, qui a donné le premier choc de<br />

l'ébranlement de notre Empire si ce n'est cette Syrie et ce Liban qui étaient le plus<br />

ancien joyau de notre couronne ».86 La rédaction de l'organe expliquait que la<br />

défense qu'elle assurait contre cette invasion était dans l'intérêt exclusif des<br />

populations africaines d'AOF. A la suite de la condamnation à trois mois de<br />

prison ferme prononcée contre lui par le parquet dakarois au sujet de cette affaire,<br />

il écrivait «... Pour avoir défendu les Africains contre les agissements de certains<br />

Libanais... j'irai en prison la tête haute... Les étrangers triomphent provisoirement ».<br />

Le journal se référait au verdict du tribunal, suite de la plainte déposée par le<br />

Consul du Liban à Dakar mécontent de cette campagne anti-levantine de Maurice<br />

Voisin. Le parquet avait statué sur cette plainte, le 22 décembre 1954. En écrivant<br />

que «Cordonnier n'est plus maître chez lui », le journal accusait les autorités<br />

fédérales de faire preuve de complaisance et de concussion à grande échelle, à<br />

l'égard des "Levantins. De plus il accusait la justice dakaroise de laxisme et de<br />

complaisance en ces termes «J'ai été attaqué par Moussa Bathily. Depuis 15 jours,<br />

83 "E h d'Af· ." d 7 14 2O··U<br />

84· c os nque nOire, es 1 et JUI et 1950.<br />

85. N° du 1/09/1950.<br />

86. N° 152.<br />

. N° du 1/01/1955.<br />

263


économiques et en cadres avertis, en insistant sur les divisions politiques, raciales<br />

etc... le journal, en fait, cherchait à créer un sentiment de peur devant<br />

l'indépendance. Le calcul profond était que ce sentiment de peur et d'abandon<br />

entraînerait une réaction opposée par laquelle les Africains feraient tout pour que<br />

la métropole restât, avec tous ses attributs de la phase du colonialisme triomphant.<br />

On constatait également que malgré la virulence des attaques dont la rédaction<br />

des "Echos d'Afrique noire" avait fait l'objet de la part des hommes politiques, des<br />

syndicalistes, des étudiants, des milieux de jeunesse, de personnalités, pour ses<br />

activités de presse jugées racistes, Maurice Voisin était demeuré, comme un roc, à<br />

Dakar, continuant à publier son journal tranquillement. Ceci posait évidemment la<br />

question de savoir quelles forces occultes constituaient le rempart pour cet homme<br />

tant décrié par les Africains.<br />

5) "Condition Humaine"<br />

Le premier numéro de ce journal parut à Dakar le Il février 1948 avec<br />

comme sous-titre "Au service de la révolution socialiste". Il était imprimé, en deux<br />

pages grand format, par l'imprimerie Diop. L.S. Senghor était le directeur de<br />

publication, et Amadou Arona Sy le rédacteur en chef.<br />

L'éditorial expliquait «Pourquoi ce nouveau journal, nous dira t-on<br />

comme s'il yen avait pas assez au SénégaL.. Notre réponse est qu'il n y a pas assez de<br />

journaux au Sénégal ». La décision de créer le journal remontait, aux assises du<br />

congrès de Kaolack, en septembre 1947. La section SFIO donnait, à cette date, à<br />

L.S. Senghor, l'opportunité de faire paraître unorgane de presse. Pour le député<br />

du Sénégal, ses vues sur la décentralisation, sur la paysannerie, sur les questions<br />

culturelles etc... trouvaient ainsi une plate-forme d'expression d'autant plus qu'il<br />

avait été lors de ce congrès de Kaolack, largement mis en minorité sur ces<br />

questions. Le nouveau journal fut d'abord bi-mensuel, puis hebdomadaire. Dès<br />

1949 "Condition Humaine" prit de l'importance après la rupture politique entre<br />

les deux députés du Sénégal.<br />

Pendant les quinze années de cette étude, le journal changea de nom à<br />

deux reprises en relation avec la recomposition du paysage politique, dans le<br />

territoire. En octobre 1956, avec la création du B.P.S alliance entre diverses forces,<br />

"Condition Humaine" disparaissait pour faire place à "l'Unité". Avec la naissance<br />

de l'U.P.S en 1958 traduisant la réconciliation entre les deux principaux leaders<br />

politiques sénégalais, "l'Unité" était remplacé par un nouvel organe appelé<br />

"l'Unité Africaine" qui garda ce nom jusqu'à la fin de 1960.<br />

L'orientation générale de "Condition Humaine" était indiquée dans la<br />

première édition «... Nos buts sont les mêmes que ceux des partis et mouvements<br />

267


politiques qui ont pour objet la réconciliation de l'Afrique dans le cadre de l'Union<br />

française. ... Nous disons autonomie et non indépendance. Nous sommes francs et<br />

nets sur ce sujet capitaL.. Nous affinnons que l'indépendance est un rêve... ». Au sujet<br />

des moyens à mettre en oeuvre, la rédaction affirmait «... Et sur le choix des<br />

moyens, nous nous séparons des autres journaux.. ». L'option fondamentale servait<br />

de conclusion à cet éditorial de présentation «... Nous sommes donc, socialistes ».<br />

"Condition Humaine" devînt, avec la création du RD.S, l'organe central<br />

de ce nouveau parti, après avoir été au début un journal de Senghor.<br />

Dans plusieurs livraisons de l'organe était nettement mis en relief, par<br />

un encadré, que «Condition humaine ,ce journal ne s'achète pas dans la rue. c'est<br />

un journal d'études et de combat ». Méprisant la vente de rue, c'est à dire la vente<br />

militante, un choix important était ainsi fait car le journal se voulait "haut de<br />

gamme" par rapport aux autres organes politiques paraissant à Dakar.<br />

En tant qu'organe politique il portait son intérêt sur une multitude de<br />

sujets développés, plus ou moins régulièrement. L'enseignement faisait l'objet<br />

d'une attention particulière. Très souvent, c'était le directeur de publication, le<br />

député Senghor, qui signait ces articles. Dès le premier numéro, il faisait paraître<br />

un article intitulé "La condition de notre évolution Réforme de l'enseignement".<br />

Senghor y indiquait qu'il avait déposé une proposition de loi devant le bureau de<br />

l'Assemblée nationale. Ce texte visait «de transférer le contrôle culturel c'est à dire<br />

technique et professionnel de l'enseignement» du ministère de la FOM aux autorités<br />

administratives locales d'outre-mer. Le député insistait sur le fait que dans sa<br />

proposition de loi, la rue Oudinot conservait le contrôle politique de<br />

l'enseignement. Il distinguait nettement la ligne de démarcation entre ces deux<br />

éléments contrôle politique d'une part, et de l'autre, contrôle technique et<br />

professionnel. Il laissait donc l'essentiel c'est à dire le pouvoir d'orientation, à la<br />

puissance coloniale. Le professeur et député faisait une description exhaustive de<br />

l'enseignement en AOF, chiffres à l'appui. Il indiquait qu'un enfant sur 20<br />

fréquentait l'enseignement élémentaire, que l'enseignement catholique intervenait<br />

pour le quart des effectifs dans cette Afrique noire française, qu'une part congrue<br />

était faite à l'enseignement technique, tant côté public que côté privé, et que les<br />

crédits étaient dérisoires. Mais comparant l'enseignement dans les deux<br />

fédérations d'AOF et d'AEF, il indiquait que «En AEF, l'organisation de<br />

l'enseignement est tout juste sortie de l'état embryonnaire»103, et par rapport aux<br />

autres dominations «En Afrique noire française, l'enseignement est moins répandu<br />

que dans les colonies anglaises et au Congo Belge».<br />

163. Base année 1945-1946.<br />

268-


égulièrement, dans la période 1948-1955, à Lamine Guèye, le principal adversaire<br />

politique, sur le thème de la défense de l'islam. C'est ainsi que sous le titre "Drôle<br />

de défenseur de l'Islam", la rédaction écrivait que Lamine a préféré pourtant «<br />

Une femme catholique à une musulmane, le code civil au code musulman, l'église à<br />

la mosquée, la bénédiction d'un prêtre à la khoutba d'un marabout ». Lamine Guèye,<br />

le musulman, était présenté en train de boire le champagne au bar du Palais<br />

Bourbon, à Paris.<br />

Outre l'enseignement et l'islam, "Condition Humaine" s'intéressait aussi<br />

à d'autres questions sociales celle des terres léboues était abordée en donnant la<br />

parole à Robert Delmas, grand conseiller de l'AOF au titre du Sénégal qui passait<br />

en revue la législation coloniale sur la terre et ses conséquences à Dakar.<br />

L'analyse du décret de novembre 1930 et de l'ordonnance de novembre 1945<br />

posaient des difficultés énormes aux populations locales dans ce contexte de<br />

domination coloniale. L'auteur montrait la volonté de coopérer des autorités<br />

léboues et la mauvaise volonté de l'administration coloniale 108 . Le directeur de la<br />

publication du journal, le parlementaire Senghor, était intervenu sur la même<br />

question foncière par un article intitulé "Le remembrement de la presqu'île du<br />

Cap Vert et le problème des terres léboues"l09. L'article ainsi titré occupait une<br />

page entière -la première- sur les deux du journal, marquant ainsi l'importance de<br />

la question à Dakar. Il estimait qu'il était « impolitique de dissimuler» l'impact<br />

social de cette réglementation qui entraînait un malaise réel.<br />

Autre problème social l'égalité des pensions pour les anciens<br />

combattants outre-mer avec ceux de la métropole. Senghor, lors d'une intervention<br />

à l'Assemblée nationale, avait présenté la situation d'inégalité comme une marque<br />

de discrimination raciale110. Plusieurs articles furent consacrés à la question dans<br />

les colonnes du journal.<br />

La question du commandement indigène retient longuement l'attention<br />

du rédacteur en chef du journal, Amadou Arona SY, de Mamadou Dia, secrétaire<br />

général du RD.S. et de Senghor. Ce dernier intervint sur cette question en signant<br />

un article intitulé "Du commandement indigène, il faut conclure".<br />

Une grande importance est donnée aux problèmes du monde du travail<br />

salarié. Les articles étaient souvent signés du député Abbas Guèye ou de Ibrahima<br />

Sarr, tous deux syndicalistes influents. Le premier avait été secrétaire général de la<br />

CGT de Dakar; ce qui avait pesé, pour beaucoup, dans son choix par Senghor en<br />

1951, comme co-listier. Le second avait conduit la longue grève des cheminots en<br />

270


6) "Réveil"<br />

Cet organe était celui de la section territoriale du R.D.A, au Sénégal<br />

l'U.D.S. Ce ne fut pas le cas au départ dans la mesure où, en 1945, Charles Guy<br />

Etcheverry en était le propriétaire et l'administrateur. "Réveil" était alors un<br />

organe d'opinion. A partir de 1947, il ouvrait les colonnes au R.D.A qui n'avait pas<br />

d'organe. Puis une partie du journal fut entièrement réservée au parti politique.<br />

Les problèmes politiques que la direction du R.D.A connut à partir de sa décision<br />

de désapparentement à l'égard du P.C.F, en 1950 , avaient eu des conséquences<br />

jusques et y compris au niveau de cet organe de presse dont d'Arboussier était<br />

devenu le rédacteur en chef. Un long et complexe conflit aux aspects politiques<br />

mais aussi juridiques, aboutit à ce que le journal passât entre les mains de la<br />

direction territoriale du mouvement politique, laquelle avait pris fait et cause pour<br />

Gabriel d'Arboussier. Dès lors, "Réveil" devenait un organe politique c'est à dire<br />

l'organe central de l'U.D.S, après une éclipse de quelques temps.<br />

Le journal, à partir de 1950 et jusqu'en 1955, s'était intéressé à divers<br />

sujets. En février 1950, il insistait longuement sur les manifestations organisées<br />

dans la capitale fédérale par les Partisans de la Paix. L'administration coloniale<br />

qui avait voulu empêcher ces manifestations -mais sans succès- avait été présentée<br />

par le journal comme ''seulement répressive, à l'imagination peu féconde". Il<br />

dénonçait les mesures de mutations arbitraires, d'emprisonnements et autres<br />

brimades engagées contre des militants de l'UDS. Il condamnait la répression<br />

contre le journal lui-même frappé par la mutation de son rédacteur en chef Bâ<br />

Thierno (cf liberté de la presse).<br />

Il condamnait le conseiller sénégalais de l'Union, Babacar Diop, de la<br />

SFIO, qui s'était rendu en Côte d'Ivoire avec le gouverneur général de Dakar au<br />

moment de la violente répression contre le R.D.A dans ce territoire «Honteuse<br />

manoeuvre de division. .. tendant à accréditer la monstrueuse idée que le Sénégal se<br />

désolidarisait des populations de Côte d'Ivoire »116.<br />

Au sujet de cette situation en Côte d'Ivoire, "Réveil" dénonçait les<br />

manoeuvres administratives tendant à priver l'union territoriale du soutien moral<br />

et politique de la section soeur du Sénégal. Le journal se référait au blocage, par<br />

le service fédéral des postes, des télégrammes envoyés par la section sénégalaise.<br />

La sectionU.D.S avait même, à ce sujet, envoyé un télégramme de protestation à<br />

Georges Bidault, à l'époque président du Conseil à Paris. TI publiait également<br />

une lettre de Modibo Keïta, secrétaire territorial du R.D.A au Soudan, dénonçant<br />

les mesures répressives du gouverneur du territoire contre le mouvement. Modibo<br />

116. "Réveil" du 27/02/1950.<br />

272


l'Afrique noire<br />

« JO) la lutte pour l'indépendance d'abord, et l'unification ensuite de<br />

2°) la réhabilitation de la femme noire, l'affirmation de sa personnalité<br />

et sa lutte sur le plan politique, économique, social et culturel ».<br />

Abdel Khader Fall qui se référait à la possibilité de choix au<br />

référendum s'en prenait vivement« à ceux qui ont osé repousser cette offre inespérée<br />

et sans précédent dans l'histoire de la colonisation»136 . Parlant de la communauté<br />

mise en place après les votes de septembre, Bachir Thioune, l'un des éditorialistes<br />

de "Momsarev" disait «La réalité est que nous sommes dans la Communauté, dans<br />

un état de soumission honteuse à l'impérialisme français »137.<br />

Le journal conviait les partis politiques sénégalais à une rencontre pour<br />

le 28 septembre 1959 afin de sceller l'unité nationale pour l'indépendance,<br />

puisque, un an auparavant, la chance n'avait pas été saisie.<br />

La place que le rédaction de "Mornsarev" accordait à la question de<br />

l'indépendance n'avait pas occulté les autres problèmes. C'est ainsi que les<br />

questions syndicales furent l'objet d'une attention notable. Ainsi, lorsque le maire<br />

de Dakar refusa à l'VGTAN, en grève, le terrain du Champ de Courses pour<br />

l'organisation d'un meeting, "Mornsarev" dénonça l'attitude du premier magistrat<br />

de la ville en termes très vifs et rendit un hommage appuyé au C.l.S qui, en la<br />

circonstance permit à la centrale syndicale d'utiliser son terrain I38 . Cet hommage<br />

à la jeunesse mettait en relief le fait que le Conseil ne s'était pas contenté de<br />

prêter son terrain, mais avait aussi organisé une grande soirée artistique dont la<br />

recette fut versée intégralement à l'VGTAN. Ce geste fut apprécié en raison des<br />

nombreux licenciements opérés par les autorités gouvernementales contre les<br />

grévistes.<br />

Lorsqu'à la SOCOCIM, importante unité industrielle de production de<br />

ciment, la grève éclate en novembre 1958, le journal qualifiait l'attitude des<br />

autorités gouvernementales -- qui avaient envoyé les forces de police contre les<br />

grévistes -- de geste de soumission au grand capital local. Le ministre de<br />

l'intérieur fut traité «d'agent zélé du colonialisme »139. Quant au directeur de cette<br />

unité industrielle, son comportement fut considéré comme celui d'un maître<br />

devant ses esclaves.<br />

L'homme avait élaboré, seul, un règlement intérieur et exigeait des<br />

ouvriers qu'ils le signent. Ce règlement intérieur comportait des mesures<br />

vexatoires telles que « Aller au ''besoin'' impliquait une demande obligatoire ». La<br />

grève dura un mois. "Mornsarev" salua le courage et la détermination, tout comme<br />

136 "M v" N°16<br />

nT omsare .<br />

138. N'I2.<br />

139 om .<br />

.m.<br />

277


la lucidité des travailleurs grévistes qui obtinrent aux élections du personnel<br />

organisées après la grève, six sièges de délégués du personnel sur sept. Le<br />

septième délégué devant, lui, représenter 12 employés africains de bureau et le<br />

personnel européen de l'usine. La victoire était totale dans cette unité industrielle<br />

pour ces travailleurs qui avaient osé et su se battre.<br />

Lorsqu'en fin 1958 début 1959, l'usine Valdafrique, toujours à Rufisque<br />

licencia la moitié de son personnel sans préavis, "Momsarev" dénonça l'inertie du<br />

gouvernement de l'autonomie interne pour la défense des intérêts légitimes des<br />

travailleurs. Le journal mit cette attitude en contradiction avec la rapidité par<br />

laquelle ce même gouvernement faisait intervenir ses forces de police et de<br />

gendarmerie pour défendre les intérêts des capitalistes. Nors que se multipliaient<br />

les grèves au Sénégal, l'organe l40 de la section territoriale du P.AI remarquait<br />

qu'au même moment, les travailleurs guinéens ne faisaient pas la grève, eux qui<br />

s'étaient battus pour obtenir leur indépendance. Le journal tirait également les<br />

enseignements de l'échec de la grève générale déclenchée par l'UGTAN, le 5<br />

janvier 1959. Seck Moussé Guèye trouvait plusieurs raisons à cet échec certes les<br />

pressions des autorités gouvernementales étaient évidentes par le biais des<br />

discours radiodiffusés du Chef de gouvernement menaçant les grévistes, les<br />

communiqués radiodiffusés publiés aussi par "Paris-Dakar", les arrestations des<br />

leaders syndicaux etc... mais l'UGTAN, elle-même avait montré des faiblesses. La<br />

direction de la centrale faisait preuve de trop de timidité et étouffait la lutte sous<br />

le poids de la "légalité". Le journal reprochait aussi à cette direction de comporter<br />

beaucoup de responsables trop portés à la politique. Cette situation apparaissait<br />

même inquiétante à plusieurs égards. Ces dirigeants syndicaux qui étaient en<br />

même temps responsables politiques dans un parti au pouvoir, en lutte contre les<br />

travailleurs, ne pouvaient pas conduire des actions concrètes de grève.<br />

"Momsarev" tirait plus tard une autre conclusion de cette situation d'ensemble du<br />

monde syndical dakarois « Un congrès extraordinaire s'avère opportun pour<br />

consolider l'unité territoriale du monde du travail du Sénégal, qui doit reprendre sa<br />

place dans le mouvement de libération nationale »141 ; il en appelait à un retour à la<br />

ligne syndicale définie par le congrès de juin 1958, à Kaolak car ils'in<br />

quiétait de la division qui était intervenue dans le monde syndical sénégalais, et<br />

qui fut étalée au grand jour le 1 er mai 1959 par l'organisation de deux meetings<br />

différents, raison pour laquelle les adversaires des travailleurs en lutte s'en<br />

réjouissaient dans la presse officielle et officieuse 142 . Les difficultés multiples des<br />

travailleurs sénégalais étaient expliquées par la place grandissante que les<br />

278


aciste, ne pouvant pas concevoir qu'un Blanc soit relativement sous les ordres d'un<br />

Nègre »147.<br />

A propos de la répression qui s'abat sur les membres du P.A.I et<br />

notamment sur les rédactions des journaux du parti, "Momsarev" qui avait donné<br />

beaucoup de détails sur les manifestations concrètes de cette répression, concluait<br />

en ces termes «Le Sénégal est hors la loi »148. Selon lui toute cette répression<br />

engagée par les autorités gouvernementales n'avait qu'un objectif briser le parti<br />

marxiste léniniste. "Momsarev" voyait dans la détermination, le courage,<br />

l'abnégation et le sacrifice des militants, la preuve que cette politique des autorités<br />

était, à coup sûr, vouée à l'échec.<br />

A partir d'août 1960, "Momsarev" s'engageait dans la parution<br />

clandestine après la dissolution administrative du P.AI consécutive aux élections<br />

municipales de la fin de juillet.<br />

14'7' "M ... N 0 lS<br />

148' omsarev .<br />

. N" 22bis.<br />

280<br />

• _ SU.Sii


CHAPITRE III. TELEPHONE, TELEGRAPHE, TELEX ET COURRIER.<br />

Ces moyens de communication modernes ont pris une importance réelle dans<br />

la ville de Dakar suite à l'accroissement de la population - surtout européenne - mais<br />

aussi au développement des multiples activités économiques, des hautes responsabilités<br />

administratives et militaires. Leur existence et leur développement dans la capitale<br />

fédérale de l'AOF sont étroitement liés aussi à la position de carrefour de la ville.<br />

Il BREF HISTORIQUE DU SERVICE DES POSTES.<br />

L'origine des relations postales entre la côte ouest africaine et la France<br />

remonte à 1626( 1 ). Deux villes du Sénégal, Gorée et Saint-louis, eurent leurs premiers<br />

bureaux de postes respectivement en 1842 et 1856, mais ce n'est qu'en 1879 que les<br />

compagnies de navigation maritime Fraissinet et Chargeurs réunis organisent un<br />

véritable service postal au Sénégal 2 , lequel est suivi dès 1894 par celui de la Côte<br />

d'Ivoire et en 1897 par ceux de Guinée et du Haut Sénégal. En 1903, est créée à Dakar<br />

une inspection fédérale des postes et télégraphes qui voit ses activités s'étendre dès le 10<br />

janvier 1910 lorsqu'un arrêté ministériel autorise l'envoi de colis postaux et mandats. La<br />

création dès 1949 de l'Office des Postes et Télécommunications élargit davantage les<br />

responsabilités de la poste qui regroupe désormais l'ensemble des moyens de<br />

transmission de toute la Fédération 3 .<br />

Ainsi, dès 1954, le service fédéral des postes compte 416 bureaux<br />

télégraphiques et 114 stations radioélectriques et 20.000 abonnés. Il véhicule 2.200.000<br />

télégrammes et 13.500.000 communications urbaines et 1.200.000 communications inter­<br />

urbaines assurées par 6.191 fonctionnaires et agents répartis en 3 cadre. Les Européens<br />

occupent près de 100 % des emplois du cadre général qui recrute soit à partir des écoles<br />

Polytechnique et Centrale mais aussi 60 à 70 % du cadre commun supérieur où le<br />

diplôme exigé est le baccalauréat ou la hiérarchie de contrôleur. Les Africains<br />

représentent la quasi-totalité des effectifs du cadre local exigeant comme qualification le<br />

CEPE et parfois même aucune référence intellectuelle 4 . Pour répondre aux besoins de<br />

plus en plus grand de cadres qualifiés, l'Ecole Fédérale des postes est créée dès 1952 à<br />

Rufisque pour la formation des agents du cadre commun supérieur.<br />

1. La mise en valeur de l'ADF in Série "Réalités africaines", 1955, p. 277.<br />

2. Affaires politiques de l'ADF, ANS Dakar, Rapport 2G 54-11,1954.<br />

3. Arrêté n04641 D.P.T du 13 septembre 1949 du gouverneur général de l'ADF.<br />

4. Affaires politiques ADF, ANS Dakar, D.P.T, Rapport annuel 1954, 2G 54-11.<br />

281


Au niveau de Dakar, les progrès accomplis par le service des postes sont plus<br />

marquants surtout à partir de 1905, date à laquelle la liaison par câble sous marin est<br />

réalisée entre Dakar et Brest et que dès l'année 1908, une première station radio­<br />

électrique fut installée au Cap des Madeleines, laquelle est suivie d'une autre plus<br />

grande, installée dans la banlieue à Rufisque dès 1920. Cette nouvelle station permettait<br />

à la capitale fédérale de pouvoir communiquer avec les principales localités de la<br />

Fédération. Dès 1928, d'importants efforts d'équipement permirent l'installation d'une<br />

nouvelle liaison radiotéléphonique entre la métropole et Dakar. Les premières années<br />

de l'après-guerre connurent des investissements plus importants. Au premier central<br />

téléphonique automatique de 200 lignes installé en 1943, vient s'ajouter dès 1949, un<br />

autre de 2.000 lignes et ensuite l'important central de Médina avec ses 3.000 lignes<br />

complète dès 1950, l'ensemble du dispositif téléphonique à une période où les autres<br />

grandes villes du Sénégal : Saint-louis, Thiès, Kaolack, Ziguinchor etc... se dotent de<br />

centraux manuels. La poursuite des investissements réalisés par le FIDES profite<br />

largement à la capitale fédérale dans le domaine des communications et<br />

particulièrement pour le téléphone.<br />

11/ POPULATION FACE AUX ACTIVITES DU SERVICE DES POSTES.<br />

Au 1 er janvier 1955, les services administratifs comptaient, pour la ville de<br />

Dakar, 4.005 postes principaux et 3.300 postes téléphoniques secondaires. 5.547.000<br />

communications étaient assurés, soit en moyenne 4,6 communications par abonné et par<br />

jour. Ceci traduit un progrès notable par rapport à l'année 1950 pour le nombre de<br />

téléphones 5 :<br />

Entité 1/1/50 1/1/53 1/1/55 Progression<br />

Dakar 4412 6574 7616 13%<br />

Sénégal 1686 3136 3356 7%<br />

AOF 9894 16285 19380 19%<br />

Cette progression pour la ville de Dakar pouvait aussi être comparée à<br />

l'équipement dans d'autres villes importantes de la fédération. Ainsi au 1/1/55, nous<br />

avons les données suivantes 6 :<br />

5. Rapports de 1950 à 1954, Direction fédérale des Postes.<br />

6. Ibidem<br />

282


Ville Postes principaux Postes secondaires<br />

Dakar 4005 3300<br />

Abidjan 975 1301<br />

Conakry 606 536<br />

du 1/1/55 :7<br />

283<br />

La situation se présentait, au niveau du trafic téléphonique urbain, à la date<br />

Villes Total communications Moyenne/1 /Personne<br />

Dakar 5.547.000 4,6<br />

Abidjan 1.328.000 4,5<br />

Conakry 817.000 4,5<br />

La Chambre de commerce de Dakar donnait les chiffres globaux suivants (<br />

sur toute la période de 1948 à 1958)8.<br />

Entité Postes principaux postes secondaires Total<br />

Sénégal 7389 6448 13875<br />

AOF 13690 11391 25351<br />

Bien entendu, ces chiffres n'avaient de signification que éomparés à la<br />

population pour savoir qui, effectivement, disposait d'un poste téléphonique. Pour toute<br />

l'AOF, la direction fédérale des postes et télécommunications, dans le rapport de<br />

gestion de 1952, estimait qu'il y avait en moyenne 1 poste pour 1.000 habitants. Ce qui à<br />

son avis était faible. A Dakar, à cette date, il y a 6574 appareils pour une population<br />

totale de 375.220 habitants (Dakar et sa banlieue), soit une moyenne de 1,7 poste pour<br />

1000 habitants. Une source militaire, le rapport de l'état-major de l'AOF considère que<br />

dans la ville, elle-même, en 1958, le nombre d'abonnés s'élevait à 10.000 sur une<br />

population totale de 350.000 habitants; soit en moyenne 1 poste pour 35 habitants 9 . Par<br />

7. Ibidem<br />

8. Syntbèse de la situation économique AOF, P.439.<br />

9. Fiche 21.


contre, Pierre Biarnes, ancien secrétaire général de la chambre de commerce de Dakar,<br />

écrit: «Les abonnés au téléphone passent de 1947 à 1956, de 4500 à 14.000 »10.<br />

Tous ces chiffres ne traduisent qu'une situation globale. Le détail permettait<br />

une appréciation plus significative de l'existence du téléphone comme moyen de<br />

communication dans la ville de Dakar.<br />

Le recensement démographique de la population africaine, effectué à Dakar,<br />

en 1955, comportait divers volets sur l'équipement dans le milieu africain. Le téléphone<br />

ne figurait pas dans les éléments à recenser, preuve qu'il occupait une place négligeable<br />

dans l'équipement de l'habitat indigène. Sinon, il aurait mérité l'attention des autorités<br />

sauf si ces dernières, à partir de leurs propres informations, n'avaient pas cru utile de<br />

faire figurer cet élément dans les renseignements qui leur étaient utiles. Toutefois, la<br />

répartition des abonnés téléphoniques par groupe racial par exemple, aurait pu<br />

intéresser les autorités à l'instar de l'équipement en appareils radio.<br />

En réalité, c'est l'extrême faiblesse de l'équipement téléphonique dans<br />

l'habitat indigène qui expliquerait son absence dans le répertoire des équipements établi<br />

dans le cadre des enquêtes relatives au recensement démographique de 1955. Ceci était<br />

d'autant plus vrai que, en 1959, il n'y avait que 10.000 abonnés pour la ville. En prenant<br />

en considération les administrations et services pour environ 70 à 80 % des<br />

abonnements, et également le milieu européen de la ville pour environ la à 20 % -tout<br />

en tenant compte du fait que les Européens disposaient également des lignes des<br />

administrations et services en quasi-liberté absolue, même pour les besoins personnels,<br />

l'insuffisance de l'équipement téléphonique en milieu indigène s'avérait être une réalité<br />

indéniable. Surtout si l'on intégrait dans cette analyse le coût des installations d'une<br />

ligne téléphonique ainsi que le coût des communications.<br />

Ainsi, il y avait, moins de 5 % d'Africains abonnés au téléphone à Dakar.<br />

Plusieurs informations permettent d'y croire. Dans le rapport soumis aux<br />

délégués au congrès de la SfIO, en mai 1951, à Thiès, il était signalé que le siège du<br />

parti n'avait pas de machine à écrire ni à ronéotyper. Cette situation avait déjà été<br />

signalée aux assises de 1950 et revenait dans le rapport de 1952. Il est à penser, dans ces<br />

conditions, que ce siège n'avait pas de téléphone non plus. Or, à cette époque,<br />

incontestablement, la SFIO était le parti tout puissant à Dakar. Hormis les journaux<br />

tenus par des Européens, "Paris-Dakar", "Echos d'Afrique noire" et "Afrique nouvelle",<br />

aucune rédaction ne signalait à l'intention de ses lecteurs, un numéro de téléphone, et<br />

pas davantage les journaux de partis ou de syndicats africains ni même les organes de<br />

jeunesse ou d'étudiants, étant donné leurs difficultés financières. De plus, quelques<br />

grandes personnalités de l'administration municipale dakaroise ne disposaient pas de<br />

téléphone. Ce qui était un handicap à la bonne marche du conseil municipal. Ainsi, lors<br />

10. Pierre Biarnes, Les Français en Afrique noire, op. cit., p.298.<br />

284


de la délibération du 17 juillet 1952, les difficultés de fonctionnement de ce conseil<br />

étaient apparues dans diverses interventions. Le conseiller Amadou Barry les résumait<br />

ainsi : « Beaucoup d'intervenants l'ont déjà dit avant moi... Si l'on a une affaire à<br />

soumettre, on ne peut toucher le maire ll . Il habite très loin. Il n'a pas de téléphone ». Déjà,<br />

à diverses reprises, en 1950, Paul Bonifay, faisant office de maire, était intervenu auprès<br />

de l'ingénieur chef du service technique des transmissions de la capitale, pour que<br />

l'adjoint au maire de Dakar, délégué aux affaires sociales et domaniales, ait une<br />

installation de ligne téléphonique. Il écrit, le 22 novembre 1950 à l'ingénieur chef: «J'ai<br />

l'honneur de vous rappeler ma lettre n° 814/SG du 26 octobre 1950, dans laquelle je vous ai<br />

demandé de vouloir bien faire installer, dans les meilleurs délais, au domicile de l'adjoint<br />

délégué aux affaires sociales et domaniales 'lie la commune, à Gorée, un appareil<br />

téléphonique, avec ligne directe de Dakar à Gorée...». Dans une autre délibération, au<br />

début de novembre 1950, l'adjoint au maire, chargé des affaires sociales et<br />

domaniales12 rapportait diverses plaintes de responsables municipaux, trop souvent<br />

dans l'impossibilité de le joindre, dans le cadre du service, pour des questions urgentes.<br />

En somme, le téléphone n'était manifestement pas un élément à la portée<br />

des indigènes, y compris de hauts responsables, dans la ville de Dakar.<br />

Sur la qualité du service téléphonique, quelques renseignements notent des<br />

insuffisances. La Chambre de commerce, à diverses reprises, émit des critiques, souvent<br />

même acerbes, contre le service des postes et télécommunications. A propos de<br />

l'annuaire téléphonique, un procès verbal de délibération disait : « La chambre de<br />

commerce est unanime à reconnaître le bien fondé des critiques... Les recherches des<br />

abonnés y sont très difficiles et souvent infrnctueuses par suite de nombreuses e"eurs et<br />

omissions qu'il comporle »13. L'Assemblée Consulaire prenait la décision d'engager, dans<br />

ce sens, une démarche urgente auprès des services compétents. Quatre mois plus tard, la<br />

chambre de commerce intervenait encore pour porter, à la direction des postes et<br />

télécommunications, les doléances de ses ressortissants en ce qui concerne le nouvel<br />

annuaire téléphonique. En réponse à sa démarche, elle s'entend dire que «les desiderata<br />

formulées ne peuvent pas avoir une suite immédiate pour les e"eurs et omissions qui sont<br />

reconnues comme réelles»14.<br />

A propos de la discrétion des communications, l'hebdomadaire "Marchés<br />

coloniaux,,15 écrivait : «... Enfin, le secret des communications radiophoniques. Des<br />

dispositifs mis en place... pour rendre incompréhensible la parole des co"espondants à<br />

quiconque capte la communication par un poste émetteur récepteur ordinaire. Des essais<br />

sont en cours pour étendre l'emploi de tels dispositifs aux liaisons radiotéléphoniques<br />

11. Il s'agit de Bâ Amadou, 1er adjoint faisant fonction de maire.<br />

12. Il s'agit de Thierno Amath Mbengue.<br />

13. Délibération du 28 février 1950<br />

14. Lettre de la direction de l'O.P.T en date du 19 mai 1950.<br />

15. N°l99 du 3 septembre 1949.<br />

285


Le professeur Jean Suret Canale parle lui aussi de l'existence d'une certaine<br />

censure à Dakar. Il indique qu'il avait reçu, de la métropole, deux lettres postées à la<br />

même période, à partir de deux villes différentes. Le contenu des deux lettres différait<br />

réellement. A sa grande surprise, lorsqu'elles lui parvinrent, elles étaient chacune dans<br />

l'enveloppe de l'autre. Ceci lui apportait la preuve que les deux correspondances avaient<br />

été lues. Peut-être dans une certaine précipitation et simple inattention, elles furent<br />

inversées au moment de la remise dans les enveloppes 20 . J.S Canale, militant<br />

communiste, avait eu, à Dakar, d'importantes responsabilités politiques mais surtout<br />

syndicales en tant que secrétaire général de l'union locale CGT de la Délégation. Ses<br />

activités n'avaient pas été pour plaire aux autorités dakaroises car beaucoup de grèves<br />

furent menées par la centrale syndicale dans la période. Il fut même expulsé de la<br />

Fédération, sur ordre du Haut Commissaire, le socialiste Bechard, par avion spécial.<br />

C'était certainement à cause des activités syndicales et politiques de Suret Canale que<br />

son courrier était censuré.<br />

Un haut fonctionnaire de l'administration coloniale dakaroise fit aussi état de<br />

la censure. Michel Jobert 21 qui a été directeur de cabinet du Haut commissaire de<br />

l'AOF, Gaston Cusin, profitait de ses nombreux déplacements à l'aéroport de Dakar­<br />

Yoff où il accompagnait des hôtes de marque, pour envoyer son courrier, afin d'éviter la<br />

censure. La presse dakaroise aussi dénonce la censure. Ainsi dans son édition en date du<br />

28 avril 1955, "Echos d'Afrique noire" se demandait ce qui se passe aux P.T.T en AOF.<br />

Le journal s'en prenait à ces "messieurs de la censure" ou du "cabinet noir" qui ouvraient<br />

son courrier, à deux reprises. Il condamnait cette action illégale et imprudente. En<br />

somme, ces moyens modernes de communication, d'information et d'expression jouèrent<br />

un rôle important dans la vie sociale à Dakar dans cette période. Cependant, ils ne<br />

furent pas exempts d'insuffisances réelles liées surtout au contexte colonial. D'où la<br />

persistance et même le développement des moyens traditionnels plus disponibles pour la<br />

masse de la population africaine.<br />

20. Entretien avec l'intéressé.<br />

21. Fut ministre des affaires étrangères de France sous Giscard D'Estaing, in Mémoires d'avenir, 1974, p.98.<br />

287.


CHAPITRE IV : LES MOYENS TRADITIONNELS<br />

Il LA RUMEUR PUBLIQUE<br />

288<br />

Elle est définie par les chercheurs américains Gordon (W) Allport et Leo<br />

Potsman comme étant «une affinnation générale que l'on présente comme vraie, sans qu'il<br />

y ait des données concrétes pennettant de vérifier son exactitude»1.<br />

Alfred Sauvy la considère comme la transmission de l'information de "bouche<br />

à oreille". Pour lui, c'est ce qu'il convient d'appeler "les nouvelles orales,,2.<br />

1) Sa permanence<br />

Sa place a été importante dans les courants d'opinion de la ville de Dakar<br />

pendant la période 1945-1960 comme l'attestent diverses sources en particulier la presse<br />

et les rapports administratifs.<br />

Au début d'août 1948, dans un rapport qu'il dresse après les entretiens<br />

relatifs au renouvellement de la convention entre l'AFP et le gouvernement général de<br />

l'AOF, le négociateur de l'agence présente comme suit la position du gouvernement<br />

général en matière d'information: «... On est bien obligé de tenir compte de l'état mental<br />

arriéré de la masse africaine sensible à la moindre rumeur, parce que dénuée, aussi bien de<br />

sens de l'objectivité telle que nous le concevons, que de celui de la mesure»3<br />

En décembre 1944, de graves incidents ont lieu dans le camp militaire de<br />

Thiaroye, dans la banlieue dakaroise. Autorités militaires et administration tentent de<br />

faire en sorte qu'ils ne soient pas connus de la population indigène. Mais, vainement.<br />

La presse dakaroise aussi, par ses divers organes, prouve l'existence de cette<br />

rumeur publique. Ainsi, à propos d'un scandale financier dû à un trafic de licence<br />

d'importation, l'officieux "Paris-Dakar" dit : «... Toute la ville en parle... De bouche à<br />

oreille, les tuyaux courent... certains y croient dur comme fer» 4 .<br />

Lors d'un procès dans lequel diverses personnalités dakaroises sont<br />

impliquées, "Echos d'Afrique noire" écrit: «... Qu'ont dû penser les Africains présents dans<br />

la salle d'audience, car chez eux, les phrases circulent et se répandent »5. L'hebdomadaire<br />

catholique "Afrique nouvelle", à diverses reprises, a fait état de la rumeur publique<br />

1. Les bases psychologiques de la mmeur in Psychologie sociale, textes fondamentaux, Tl par Andre Levy, P.183.<br />

2. Alfred Sauvy, Que sais je? L'opinion publique, p. 24.<br />

3. Affaires politiques AOF, ANS, 9 AR-47.<br />

4. "Paris-Dakar" du 9 juin 1948.<br />

5. "Echos d'Afrique noire" du 7 juillet 1950.


comme élément d'information à Dakar. L'organe de la section sénégalaise du P.A.I<br />

communiste rapporte que commentaires et protestations se sont multipliés dans la<br />

Médina à propos d'un décret sur l'habitat: « Tout le monde en parle dans la ville ».<br />

Le contenu des diverses sources permet d'établir une typologie. Utilisant la<br />

classification de Gordon, Allport et Potsman qui différencient rumeurs hostiles et<br />

rumeurs diffusant la peur, nous classons les rumeurs circulant à Dakar dans la période<br />

étudiée en rumeurs ayant un fondement dans la réalité et en rumeurs s'appuyant sur le<br />

symbolique et l'imaginaire de la population.<br />

- 1er type : Les rumeurs ayant un fondement dans la réalité sont les plus<br />

nombreuses d'après nos sources. Leur fonction est bien particulière; elles sont un<br />

palliatif aux carences des canaux officiels et mieux qu'eux, elles dynamisent la vie<br />

sociale. La circulation de l'information fait naître le débat, donne aux gens les<br />

références qui leur manquent pour juger des problèmes traités et parfois aide à une<br />

prisd de conscience collective qui peut déboucher sur des structures d'organisation<br />

r<br />

revendicatives. Ainsi, en juillet 1959, la population de la Médina s'organise et s'oppose à<br />

l'application du décret mettant ce quartier à la disposition de l'OHLM qui veut y édifier<br />

des logements neufs. En 1990, il n'est pas encore appliqué.<br />

Elle sont positives quand elles aident la population à défendre ses intérêts et<br />

peuvent devenir hostiles quand la population se sent impuissante. Elles expriment alors<br />

la tristesse, la colère, l'agressivité mais aussi bien souvent tout cela se transforme en<br />

rires et en dérision car l'humour est très présent dans la mentalité et la vie quotidienne<br />

africaines.<br />

Le 1er décembre 1944, de graves incidents ont lieu au camp militaire de<br />

Thiaroye, dans la banlieue dakaroise. Autorités militaires et admiilistration tentent de<br />

faire en sorte qu'ils ne soient pas connus de la population indigène. Ce fut vain. Les<br />

rapports de police établissent que dès le lendemain, 2 décembre, la population.<br />

autochtone en est informée par la rumeur publique. Cette population dakaroise a connu<br />

les événements par la concordance de divers faits isolés rapportés dans les milieux<br />

indigènes par les subalternes de l'hôpital européen, par les habitants du village proche<br />

du camp, mais aussi par quelques soldats indigènes 6 . L'émotion créée est telle qu'une<br />

délégation de notables se rend auprès du chef de la Circonscription pour s'informer<br />

mais aussi demander justice pour les familles des tirailleurs assassinés pour avoir<br />

revendiqué leurs droits. Pendant des années, tristesse et colère entretenues par la<br />

rumeur publique se sont concrétisées par le dépôt d'une gerbe au cimetière par le<br />

Conseil de la Jeunesse du Sénégal et du Conseil Mondial de la Paix à Dakar.<br />

6. Affaires politiques AOF, ANS, dossier 1/2 D3, rIl21, Tirailleurs prisonniers de guerre rapatriés.<br />

289 .'.


voyez où ça nous mène leur indépendance ». Il s'agit, ici, de l'indépendance de la<br />

Fédération du Mali au sujet de laquelle, Mamadou Dia, dans un message radiodiffusé à<br />

l'occasion du nouvel an, avait dit: « 1959 a été l'année de l'autonomie interne, 1960 sera<br />

une année faste. 1960 ouvrira l'ère de l'indépendance »10. L'indépendance du Mali est en<br />

voie de réalisation puisque, à la date du 4 avril déjà, les accords entre autorités<br />

maliennes et françaises en ont fixé les grandes lignes. Existe t-il un lien de cause à effet<br />

entre cette indépendance du Mali prévue pour juin et cette rumeur de raz de marée à<br />

Dakar? Il est fort probable que l'origine de cette rumeur se trouve dans les milieux<br />

hostiles à l'indépendance, africains comme européens. Un sentiment général de peur et<br />

de panique aurait pu servir de levier à des forces hostiles au processus, pour une<br />

tentative de remise en cause. Ces milieux opposés à toute indépendance n'avaient pas<br />

cessé d'être actifs à Dakar, particulièrement en septembre 1958 et après. Que ces forces<br />

agissent donc ici par un autre moyen, c'est à dire en créant un sentiment de peur et de<br />

panique, il n'y a qu'un pas à faire.<br />

La rumeur devient une arme politique de taille. De ce point de vue, on peut<br />

considérer qu'elle diffuse la peur, mais qu'elle est aussi le reflet d'un désir: celui de<br />

faire en sorte que cette indépendance ne se réalise pas.<br />

Rapidité et solidité de "sa vérité" fondent la rumeur publique.<br />

- Rapidité. Le grand roman sénégalais Abdoulaye Sadji, à ce sujet, s'exprime<br />

ainsi: «... Le bruit qui courait à Dakar avait pris le sillage du train quelque temps après son<br />

départ. Or, un bruit, cela va plus vite que la fumée de la locomotive et ça brûle les gares. Il<br />

ne stationne pas. Bien au contraire »11.<br />

- Solidité. Un adage ouest africain dit que: « L'hyène proclame qu'elle ne<br />

connaft pas la vérité; mais qu'elle sait que ce que tout le monde dit est la vérité »12. En tout<br />

cas, le vendredi 13 mai 1960, aucun événement particulier n'eut lieu à Dakar dans le<br />

sens du raz de marée que la rumeur publique avait véhiculé. Les faits apportèrent la<br />

preuve que la rumeur était fausse. Ce qui ne veut pas dire que les objectifs des milieux à<br />

l'origine de la rumeur s'étaient assignés étaient sans valeur.<br />

Pourquoi donc une telle place à la rumeur publique à Dakar?<br />

2) Les causes<br />

a) Longue tradition de l'oralité.<br />

Dans cette société africaine traditionnelle, la place de l'écriture était très<br />

faible, dans les cas où elle existait. Ainsi dans le milieu lébou, toutes les décisions<br />

importantes étaient prises, après débat, par les assemblées représentatives (celles des<br />

10. "Paris-Dakar" du 2 janvier 1960.<br />

11. Abdoulaye Sadji, Maïmouna, p. 212.<br />

12. Traduction d'un adage qu'on trouve dans toutes les langues de l'ouest africain.<br />

292


Diambours et des Freys). Rien n'était consigné par écrit. L'éxécution des décisions<br />

n'était susceptible de se heurter ni à la moindre contestation ni au moindre doute. La<br />

diffusion de l'information se faisait oralement et dans les milieux adéquats c'est à dire<br />

intéressés. Le fait que diverses personnes pouvaient, individuellement, répondre des<br />

décisions prises donnait à l'oralité, comme moyen de circulation et d'information, tout<br />

son crédit et toute sa garantie. De plus, tout un ensemble de sanctions étaient prévues<br />

pour permettre de maintenir le caractére de véracité de l'information à véhiculer. Cette<br />

conception de l'oralité était -à quelques légères différences près- partagée par les autres<br />

groupes ethniques de la ville de Dakar.<br />

Bien entendu, la colonisation apporta ses moyens et canaux de<br />

communication et d'information, comme la presse, la radiodiffusion, le téléphone, le<br />

télégraphe etc... Or, ces moyens ont ceci de différent par rapport à l'information<br />

traditionnelle liée à l'oralité que la source de l'information devient très distante, pour le<br />

contrôle pour ne pas dire qu'elle devient impossible à contacter. Dans ce sens, si l'auteur<br />

de l'information dans le nouveau mode ne disparaît pas en tant qu'élément physique,<br />

son éloignement, par rapport à la masse africaine, en fait presque un élément<br />

"inexistant". D'autant plus que le contexte dakarois de domination coloniale, les<br />

responsables de l'information - qu'elle soit écrite ou parlée - sont essentiellement des<br />

Européens. Or ceux-ci vivent socialement dans leur"ghetto", totalement coupés de la<br />

grande masse africaine.<br />

Alfred Sauvy remarquait que « toute transmission comporte deux actes; une<br />

expédition et une réception »13. Dans le contexte dakarois, l'expéditeur est l'élément<br />

européen, le récepteur est l'élément africain. Or la distance économique, sociale,<br />

politique, culturelle étant très grande entre ces deux pôles, la communication est<br />

d'autant plus difficile. Cette situation fait que, grosso modo, chaque pôle est à la fois<br />

expéditeur et récepteur de ses informations.<br />

L'élément indigène de la population ne dispose, pour l'essentiel, que de son<br />

moyen traditionnel d'information: l'oralité.<br />

b) L'inadéquation des moyens modernes.<br />

Ces moyens modernes c'est à dire la presse, la radiodiffusion etc seront<br />

étudiés en détail dans les chapitres précédents. Ici, nous nous intéressons aux éléments<br />

d'explication de la persistance de l'oralité, c'est à dire le faible taux de scolarisation et<br />

l'inadéquation de ces moyens.<br />

Une enquête effectuée à Dakar par une équipe pluri-disciplinaire conduite<br />

par Marc Sankalé 14 en 1962, indiquait que 50 % des salariés dakarois ne savaient ni lire<br />

13. Alfred Sauvy, L'opinion publique, Que sais je ? 4eme édition, 1977, p. 23.<br />

14. Futur doyen de la Faculté de médecine de l'Université de Dakar. Voir Ouvrage Dakar en devenir... P.447.<br />

293 .


était différente selon que le tam-tam annonçait une cérémonie heureuse ou<br />

douloureuse.<br />

La lecture de la presse dakaroise dans la période montre l'importance de<br />

1 l'utilisation du tam-tam. L'organe "Réveil" en parlant du congrès du C.J.S à Thiès en<br />

1<br />

, 1954, insistait sur le fait que la séance d'ouverture avait été précédée par un grand tam-<br />

tam, exactement comme la séance de clôture.<br />

"Condition Humaine", parlant du meeting d'information animé au Parc<br />

municipal des sports de Dakar par les étudiants de la FEANF en vacances au Sénégal,<br />

indique que le tam-tam avait servi à l'animation avant, pendant et après le meeting. A<br />

cette occasion, les étudiants africains en métropole avaient développé, pour le public<br />

nombreux, divers thèmes sur leurs conditions de vie et de travail 16 .<br />

"Afrique nouvelle", relatant la finale de la coupe théâtrale organisée par le<br />

C.J.S lors de sa 3 eme rencontre territoriale exprime la joie du public venu très<br />

nombreux assister à la compétition. La clôture de la rencontre avait donné lieu à un<br />

imposant défilé à travers les rues de la Médina, au son et rythme du tam-tam 17 .<br />

Des sources administratives également, font état de l'importance de la place<br />

du tam-tam dans les activités politiques. Les rapports de police et sûreté rapportaient<br />

que les divers partis en compétition en 1953, avaient donné libre cours à une animation<br />

très intense de tam-tam18. Cette source rapportait même que l'organe de presse "Echos<br />

d'Afrique noire" du 1 er janvier 1953, regrettait que la police dakaroise soit incapable de<br />

faire taire les tam-tam en milieu indigène à Dakar, à partir de 22 heures.<br />

Les délibérations et autres activités du Conseil municipal attestaient bien de<br />

la place du tam-tam dans la ville, surtout sous son aspect d'information. Délibérant à la<br />

requête de l'administration, sur l'interdiction du tam-tam, dans la ville à partir de 22<br />

heures, le Conseil municipal avait estimé qu'il n'était aucunement en son pouvoir,<br />

encore moins dans son intention, d'interdire ces formes de manifestations. Cette<br />

démarche de l'administration avait été introduite, auprès du Conseil municipal parce<br />

que des éléments européens de la ville se plaignaient de la nuisance du tarn-taro en<br />

provenance des quartiers indigènes. Cette initiative était très certainement en rapport<br />

avec la publication par "Echos d'Afrique noire" d'une demande adressée, au début de<br />

janvier 1953, à l'administration afin qu'elle fasse taire les tam-tam à 22 heures.<br />

Cette administration coloniale, elle-même, utilisait parfois le tam-tam dans le<br />

cadre du fonctionnement de ses services 19 . Exemple: le Délégué du gouverneur du<br />

Sénégal à Dakar adressait au maire de la ville, à la date du 22 mars 1952, une lettre dans<br />

laquelle il demandait« de diffuser, par crieur public, dans tous les quartiers indigènes, l'avis<br />

295 .<br />

16. "Condition Humaine" du 22 septembre 1952.<br />

17. "Afrique nouvelle" Juin 1958<br />

18. Affaires politiques AOF, ANSOM, carton 2142 dos 6 sur les municipales de 1953.<br />

19. Il en est de même en métropole où dans les petites communes et encore à la fm des années 1960, le garde champ<br />

faisait très souvent office de crieur public.


informant la population, de la distribution des cartes électorales du 23 au 26 mars 1952 »20.<br />

Le Délégué du gouverneur souligna l'importance qu'il attachait à l'utilisation de ce<br />

moyen d'information et de communication en ces termes «... Vous serait bien<br />

reconnaissant si cette disposition était prise ». Quelques jours plus tard, inquiet de la<br />

lenteur du retrait des cartes par la population, le Délégué insistait encore auprès du<br />

maire de la ville, pour que le même moyen soit utilisé pour informer du report de la<br />

date limite du retrait.<br />

De même, les autorités gouvernementales de la Loi-Cadre accordèrent une<br />

grande place au tam-tam dans leur processus de communication et d'information.<br />

- Moyen d'animation<br />

Lors de la préparation de la réception du général De Gaulle au Sénégal en<br />

décembre 1959, ces autorités voulurent tout mettre en place pour faire oublier, au<br />

Général, l'accueil "incorrect" de l'année précédente, place Prôtet. Le rapport de la<br />

commission d'organisation de la réception indiquait que tous les groupes folkloriques<br />

avec leurs tam-tam, devaient accompagner les comités d'action mis en place pour la<br />

circonstance 21 . Toutes les réceptions de personnalités gouvernementales, politiques,<br />

administratives et mêmes culturelles et religieuses, congres et autres donnent lieu à<br />

l'utilisation du tam-tam comme forme d'animation populaire.<br />

Dans sa forme récréative, le tam-tam avait ce pouvoir particulier d'attirer<br />

très vite la foule, dans le schéma suivant: d'abord les enfants, puis les jeunes, les adultes<br />

et enfin les personnes d'âge mûr. Dans la mesure où hommes et femmes pouvaient se<br />

retrouver tout autour du tam-tam, sans distinction aucune, on comprend sa place<br />

particulière comme élément de réjouissance mais aussi de mobilisation. L'aspect<br />

réjouissance précédait toujours, dans le cadre de la mobilisation, la délivrance du<br />

message, objet de la mobilisation. Cette place importante du tam-tam allait,<br />

relativement de pair avec la chanson.<br />

2) La chanson<br />

Comme le tam-tam était important dans ce milieu urbain, la chanson qui lui<br />

était étroitement liée, avait une place de choix. Le rôle de la chanson comme élément<br />

de mobilisation dans le travail de groupe était évident. Elle était un élément<br />

particulièrement privilégié dans les luttes politiques, surtout lors des campagnes<br />

électorales.<br />

20. Archives municipales, Série 2G dos 40 H et 35 H<br />

21. Archives municipales, Série 2G, dos A/75 réception du général de Gaulle.<br />

296 :'


Iba Der Thiam a montré l'importance de la chanson politique dans la<br />

campagne des législatives de 1914 22 . Pour la première fois qu'un indigène, en la<br />

personne de Blaise Diagne, se portait, avec de fortes chances, comme candidat pour le<br />

siège du territoire au Palais Bourbon à Paris, la mobilisation avait été grande dans les<br />

milieux indigènes. Le succès électoral du candidat nègre s'expliquait, dans une large<br />

mesure à la mobilisation rythmée par la chanson composée en la circonstance. Plusieurs<br />

couplets des multiples chansons en l'honneur du candidat devenu député, Blaise Diagne,<br />

se terminaient par ces termes très significatifs de la dimension raciale que l'élection<br />

avait revêtu : « Le bélier noir a vaincu le bélier blanc »23. La chanson politique se<br />

développa encore entre les deux: guerres quand les candidats africains furent en<br />

compétition. A la fin de la deuxième guerre mondiale, lorsque les luttes politiques<br />

.reprirent de plus belle, elle devint plus importante encore, particulièrement avec<br />

l'élargissement progressif du corps électoral. Bakary Traoré montrait cette dimension<br />

car elle a «folklorisé l'action politique »24.<br />

Avec la chanson, la place du griot restait déterminante, en tant que batteur<br />

de tam-tam, mais surtout en tant que compositeur. Certaines grandes figures de la<br />

chanson marquèrent profondément et durablement la mémoire collective. C'est le cas<br />

de Gallo Mbaye, griot de talent dans l'entre deux: guerres. Son oeuvre de composition<br />

fut poursuivie par son fils Badara Mbaye Kaba. Plus talentueux encore que son père, il<br />

était le griot attitré du B.D.S et essentiellement de l'homme politique L.S. Senghor. Il<br />

dominait, incontestablement, la composition de la chanson politique de l'époque. Il était<br />

de toutes les multiples tournées du député Senghor à travers le territoire. Partout, c'était<br />

sa voix d'or qui précédait les meetings et réunions importantes. La chanson politique,<br />

c'était aussi des voix non moins renommées comme celles de Bou Counta Ndiaye, Omar<br />

Ndiaye Samb, Abdoulaye Nar Samb, Samba Diabaré Samb etc... Elle glorifiait les faits<br />

d'armes du leader sur le terrain politique, exactement comme ce fut le cas pour les faits<br />

d'armes sur le champ de bataille à l'époque des guerres.<br />

297·<br />

Si la place du griot compositeur était aux: côtés du chef politique, c'était pour<br />

qu'aucun fait important ne puisse lui échapper. Lors des discours du leader, à tout<br />

moment, il pouvait l'interrompre pour chanter un couplet à la gloire du nouveau chef en<br />

même temps donner le ton à l'éxécution d'un air de tam-tam et un morceau de danse.<br />

Le griot coordonnait tout ceci car il était le chef d'une équipe importante de batteurs de<br />

tarn-tam, de danseurs, mais aussi de chanteurs. La place des femmes dans ces équipes de<br />

griots était importante dans la danse et la chanson. Par contre, elles ne battaient pas le<br />

tam-tam par respect de la coutume. Ces griots étaient, de tradition, des personnes de<br />

22. Iba Der Thiam, l'Evolution politique et syndicale du Sénégal de 1840 à 1936, Thèse d'état Histoire, Université Par<br />

1983.<br />

23. Traduction des mots ouolofs.<br />

24. Bakary Traoré, Forces politiques en Afrique noire.


caste, surtout en milieu lébou et ouolof. Parlant de la place des femmes dans la<br />

popularité de leur "homme" ou héros, Djibo Hadiza écrivait : « Elles contribuent à la<br />

popularité du leader politique... Chantent une douce mélopée à la gloire de leur idole »25.<br />

Elle résumait en ces termes, la chanson pro-Lamine Guèye : « Bachelier es lettres,<br />

professeur, premier docteur en droit, premier avocat noir »26. Dans le principal camp<br />

adverse, c'est à dire celui du RD.S, la chanson tournait sur « Premier agrégé noir ».<br />

Evidemment, à travers ces chansons, on remarque la place importante accordée au culte<br />

du diplôme. Il contribuait à accuser le prestige des élites intellectuelles, dans un<br />

contexte global où le diplôme est l'exception de fait.<br />

La chanson politique revêtait des aspects très divers. Chaque camp n'hésitait<br />

pas à fredonner les airs des plus obscènes, des plus outrageantes, des plus perverses à<br />

l'égard de l'adversaire. Dans ce camp, par exemple, un air très connu disait du leader<br />

adverse « qu'il a engrossé sa propre mère et parce que n'ayant pas les moyens financiers<br />

nécessaires pour assurer le baptême à l'accouchement, se fondait en larmes. Que X ayant<br />

pitié de lui, lui demanda de cesser ses pleurs car lui-même lui donnerait l'argent dont il a<br />

besoin pourfaire face à la cérémonie ». Dans le camp Y la réplique était à la dimension:<br />

« X n'a pas de père. Sa mère couchait partout avec n'importe qui. Lui-même agissait ainsi et<br />

l'a prouvé puisqu'il venait de le faire publiquement à l'occasion d'une réunion avec ses<br />

militants. C'était pour prouver à ses partisans qu'il n'était nullement frappé d'impuissance<br />

sexuelle comme le clament les adversaires ».<br />

'Le camp X chantait que "la mère politique", c'est à dire la responsable des<br />

feinmes du camp adverse n'était rien d'autre que la« commandante des garces et putaines<br />

». Cette chanson répondait à l'initiative du camp Y disant que « Celles qui couchent à<br />

tour de bras, celles qui se prostituent, celles qui sont disponibles pour les orgies... sont les<br />

militantes du camp X »27.<br />

Cet air, fredonné en choeur dans le camp X, se proposait de mettre de la<br />

brillantine 28 sur la tête du leader bien aimé et de lui donner un baiser. Par contre, la<br />

tête de Y serait arrosée avec du pétrole puis mise à feu. Dans le camp Y, il était repris<br />

dans les mêmes termes, à la seule différence que Y devenait X, ce qui donnait bien<br />

l'inverse.<br />

A travers la violence verbale que véhiculait la chanson populaire, le débat<br />

politique, lui-même, était nettement absent. Tout se résumait à haïr ou aimer, du moins<br />

dans les apparences. Aucun programme, aucune stratégie. Paul Mercier, en analysant<br />

cette situation, concluait par ces termes « L'examen de ces cas individuels a montré que le<br />

contenu conscient de l'appartenance politique se réduisait à peu près entièrement à la<br />

25.Djibo Hadiza, La participation des femmes, P.137.<br />

26. Ibidem<br />

27. L'auteur de ce travail se rappelle ces chansons.<br />

28. Produit de luxe pour les cheveux.<br />

298


elation avec le leader »29. Djibo Hadiza, arrivait à une conclusion identique en analysant<br />

le rôle de la femme sénégalaise dans le développement de ce processus politique,<br />

largement véhiculé par la chanson. L'aspect vénération du chef politique apparaissait.<br />

299,.' .-<br />

Pour Amadou Ndéné Ndao, cette chanson pouvait bien traduire une<br />

adhésion complète à un programme politique et non pas seulement à un homme<br />

politique. Tout dépendait de la nature des formations politiques. L'intéressé cite<br />

l'exemple des hommes mais surtout des femmes de la zone de Kagué Chérif dans la<br />

subdivision de Foundiougne. L'U.D.S-R.D.A mena une longue et dure bataille contre<br />

l'administration coloniale qui avait donné en bail, pour un franc symbolique,<br />

d'immenses et riches terres à un commerçant originaire de Saint-louis. La pertinence<br />

des arguments et la hauteur de la mobilisation des populations locales avaient fait<br />

obtenir la suspension du dit bail. Lorsque les leaders du parti vinrent annoncer aux<br />

habitants de Kagué Chérif la nouvelle de la victoire ainsi obtenue, les femmes et les<br />

hommes composèrent beaucoup de chansons à la gloire du R.D.A et des options de ce<br />

parti politique.<br />

Pour Amadou Ndéné Ndao, les responsables du parti avaient<br />

particulièrement apprécié cette forme de reconnaissance. Mais, il insiste sur le fait que<br />

c'était le parti qui était chanté et non ses leaders 30 .<br />

Cependant dans la personnalisation de la chanson politique, la présentation<br />

physique du leader occupait une place non négligeable. Lamine Guéye avait des atouts<br />

de taille de ce point de vue; de haute stature, beau et élégant, cultivant l'art des salons, il<br />

ne laissait certainement pas les femmes indifférentes. A l'opposé, L.S.Senghor, par sa<br />

petite taille, ses manières très proches du "toubab", son attitude souvent distante dans les<br />

relations sociales, attirait peu les foules vers lui. De plus, il ne parlait que très mal le<br />

ouolof.<br />

Cette place de la chanson politique dans la période 1958-1960, devient moins<br />

importante avec la mise sur pied de la formation politique unitaire U.P.S regroupant<br />

partisans de L.S.Senghor et de Lamine Guèye. Certes, cette formation dominante avait<br />

face à elle des partis d'opposition comme le P.A.I et le PRA-Sénégal mais ces dernières,<br />

relativement nouvelles, n'avaient pas une influence assez grande sur les masses<br />

dakaroises, plus précisément sur le plan de la chanson.<br />

nouveau.<br />

Celle-ci traduisait l'intégration d'une donnée traditionnelle, à un contexte<br />

3) Habillement.<br />

29. Paul Mercier, La vie politique... Op. Cit., p.72.<br />

30. Entretien avec A. Ndéné Ndao.


En tant qu'aspect d'expression d'une appartenance politique, l'habillement<br />

avait eu une place importante dans la vie locale. Le renouveau des dernières années de<br />

la guerre pour les organisations politiques mais surtout les premières élections ­<br />

municipales et constituante- avaient donné une place de choix au Bloc Africain,<br />

rassemblement de diverses forces politiques plus ou moins importantes, avec comme<br />

chef de file Lamine Guèye. Les femmes dakaroises s'étaient confectionnées une tenue<br />

spéciale appelée "robe Bloc" longue, de couleur rouge, laissant l'épaule gauche<br />

complètement nue. Elles se transformaient ainsi en panneau publicitaire pour le succès<br />

politique du Bloc Africain. Cette "robe Bloc" s'était répandue dans les communes de<br />

plein exercice et à Dakar particulièrement. La campagne activement et fortement<br />

menée pour le droit de vote des femmes de ces communes de plein exercice, dirigée par<br />

l'avocat dakarois et surtout la satisfaction obtenue au terme de cette lutte avaient<br />

solidement assis le succès personnel du leader. Les femmes avaient massivement porté<br />

cette tenue "Bloc" en hommage à ce Bloc Africain qui s'était vaillamment battu pour<br />

elles. Par la suite, lorsque Lamine Guèye quitte de façon ostentatoire le Bloc Africain<br />

pour consolider la SFIO, les femmes des communes de plein exercice suivirent le leader.<br />

Elles assurèrent ainsi ses succès électoraux futurs, à Dakar notamment. La robe "Bloc"<br />

devint l'expression de l'appartenance à la formation laministe et était de toutes les<br />

manifestations politiques, surtout dans la période de 1945 à 1960. Lorsqu'en septembre<br />

1948, l'unité de la SFIO fût ébranlée par la rupture survenue entre Lamine Guèye et<br />

Senghor, la tenue, comme élément d'expression d'une appartenance politique, prenait<br />

une grande ampleur. La période 1948-1957, particulièrement dans ses temps forts de<br />

consultations électorales, donnait à l'habillement politique une dimension nouvelle.<br />

Désormais, les femmes et les hommes se réclamant du B.D.S se vêtirent en vert, couleur<br />

de la nouvelle formation politique. A l'opposé, les partisans de la SFIO portèrent le<br />

rouge pour non seulement la robe mais aussi d'autres vêtements comme la camisole et<br />

le pagne, ou le grand boubou et le mouchoir de tête etc...<br />

Le signe distinctif de l'habillement politique était la chemise et le béret de<br />

couleur rouge pour la SFIO et vert pour le B.D.S. Les rapports politiques de la période<br />

avaient bien consacré les expressions "bérets rouges" et "bérets verts" pour dire partisans<br />

de Lamine Guèye pour les premiers, de Senghor pour les seconds. Dans les fréquentes<br />

manifestations politiques dakaroises de l'époque, cortèges "vert" et cortèges "rouge" se<br />

croisaient régulièrement, provoquant ainsi, très souvent, des bagarres violentes<br />

desquelles, par impuissance ou par expectative, la police dakaroise restait souvent à<br />

l'écart, se contentant de constater les dégâts. A travers les organes de presse de l'époque<br />

se retrouvaient divers témoignages de cette violence, qualifiée selon les cas, de "bérets<br />

rouges" ou de "bérets verts". C'est ainsi que "Paris-Dakar" publiait une lettre du R.P.F<br />

prônant l'abstention dans les élections municipales d'avril 1953. Elle situait les<br />

300


l'on lisait:


indigène, telles que les danses et chants religieux. Parmi ces journaux, citons "Echos<br />

d'Afrique noire".<br />

Le fanal, comme l'habillement, la chanson et le tam-tam, représentaient bien<br />

des formes spécifiques d'information, de communication et d'expression du milieu<br />

africain de Dakar. Les moyens à la disposition de l'administration coloniale n'étant que<br />

très partiellement à la portée de la population indigène, celle-ci n'avait d'autre choix<br />

que de continuer à développer et utiliser ses propres instruments sociaux. Mais dans le<br />

contexte de domination, l'administration ne laissait subsister que ce qui rentrait dans la<br />

ligne globale de préservation de ses intérêts de dominant conformément à la logique<br />

coloniale.<br />

305


TROISIEME PARTIE:<br />

QUALITE DE LA VIE A DAKAR<br />

OU<br />

OPINION PUBLIQUE ET QUESTIONS SOCIALES<br />

Les questions sociales constituent des paramètres importants pour une<br />

connaissance de l'opinion publique de la ville.<br />

En effet, à travers les questions comme la propriété du sol, l'habitat,<br />

l'alimentation, la santé, la propreté, la sécurité, l'école, la condition de la femme, le<br />

transport, l'impôt etc... tous les groupes de pression interviennent plus ou moins<br />

directement sur la qualité de la vie à Dakar.<br />

306


CHAPITRE 1 : SOL ET PROPRIETE DU SOL<br />

Cette question reste largement posée à Dakar dans les années 1945-1960.<br />

Elle traduit concrètement un état de relations entre puissance coloniale et population<br />

dominée. Les milieux indigènes dakarois avaient tenté de s'opposer à la mainmise sur la<br />

terre par l'administration. Les initiatives sont, à ce sujet, nombreuses.<br />

Dans les années 1943-1944, l'administration réquisitionna des terres aux fins<br />

de construire un nouvel aéroport à Dakar-Yoff. Cette mesure n'avait pas plus aux<br />

Lébous. Ceux-ci s'étaient adressés aux autorités locales pour faire prévaloir leurs droits<br />

sur les terres en question. Comme personne ne semblait avoir la moindre attention pour<br />

leurs doléances au niveau de la Fédération, les milieux lébous avaient saisi les autorités<br />

du Gouvernement de la France combattante à Alger pour obtenir un renoncement aux<br />

réquisitions de terres, ou, pour être dédommagés de manière équitable dans le cas<br />

contraire. Lamine Guéye et Thierno Amath Mbengue qui avaient fait le déplacement à<br />

Alger n'avaient pas pu obtenir un engagement dans le sens du renoncement, mais une<br />

simple promesse que les Lébous seraient dédommagés, non suivie d'effet dans<br />

l'immédiat. En 1954, c'est l'agent d'affaires dakarois, Omar Ndoye, dornicïlié au 10 de la<br />

rue de Valmy, qui, agissant en son nom propre et en celui de ses mandataires lébous<br />

Moussa Ndoye et consorts, réclamait à l'administration la somme de 250 millions de<br />

F.CFA en indemnisation d'une réquisition vieille de plus de trente ans. Le terrain en<br />

question, d'une superficie de 85 ha, n'était autre que celui sur lequel le quartier de la<br />

Médina avait été édifié, pour des raisons sanitaires, à partir de 1914. Une épidémie de<br />

peste qui s'était déclenchée à Dakar avait conduit les autorités à isoler les indigènes,<br />

loin de la zone d'habitation des Européens 1 .<br />

En 1956, Amadou Sène Thiam, personnalité léboue mais demeurant à<br />

Tivaouane, réclamait le versement d'une indemnité pour le terrain immatriculé sous le<br />

n03050 du livre foncier de Dakar-Gorée. Ce terrain, d'une surface de 81 hectares, avait<br />

servi à l'installation de l'Institut des Hautes Etudes de Dakar. D'autres revendications,<br />

sur d'autres terrains, avaient été formulées par El Hadj Diène et Madame Kalomby<br />

Diop, autres personnalités lébous. Quelques années plus tard, en 1959, la Collectivité<br />

léboue de Dakar réclamait la restitution, à elle-même, de l'ensemble de tous les titres<br />

fonciers établis au nom de l'Etat français dans la totalité de la presqu'île du Cap Vert 2 .<br />

Outre ces principales revendications, on en notait également d'autres,<br />

formulées par les Lébous de Dakar. Ainsi, le Grand Sérigne de Dakar, au nom de toute<br />

1. Salleras Bruno, La peste à Dakar, 1980, p.118<br />

2. Bernard Moleur, Le droit de propriété sur le sol sénégalais, 1978, p.318<br />

307


la Collectivité léboue, avait demandé le dédommagement, à propos de la réquisition<br />

n06087 déposée par l'administration le 20 décembre 1950, au sujet d'un terrain de 62 ha,<br />

à Yeumbeul, dans la banlieue dakaroise. L'administration avait installé un centre<br />

récepteur de télécommunications sur ce terrain. Toujours à Yeumbeul, le Grand Sérigne<br />

de Dakar s'élevait contre la réquisition n06403 du 1 er août 1952, immatriculant un autre<br />

terrain de 15 hectares pour y installer un centre radio servant à la navigation aérienne.<br />

L'implication du grand Sérigne de Dakar dans le mouvement revendicatif de<br />

sa collectivité donnait un poids plus important à la contestation des procédures<br />

d'acquisition des terres menées par l'administration coloniale. Malgré les multiples<br />

pressions de l'administration, les milieux lébous maintinrent leurs réclamations.<br />

En définitive, c'est le tribunal de Dakar qui trancha, par un jugement en date<br />

du 6 septembre 1956. Sans exception aucune, le tribunal concluait "au non fondé" des<br />

plaignants qu'il débouta tous 3 .<br />

Mesurant le degré d'indépendance de cette justice dakaroise à l'égard de<br />

l'administration, particulièrement sur cette question, les Lébous opérèrent un recul. Ils<br />

proposèrent, de donner main levée, sur les terrains de Yeumbeul d'une superficie de 77<br />

hectares, moyennant une somme totale de 12 millions. L'administration donna son<br />

accord, espérant ainsi ne plus avoir d'opposition de la part des Lébous pour l'avenir.<br />

Mais avant même l'exécution de cet arrangement, alors qu'elle voulait, quelques mois<br />

plus tard, effectuer une réquisition sur 4900 m 2 pour édifier un forage dans la banlieue<br />

dakaroise, une nouvelle fois, les Lébous s'opposèrent à la réquisition.<br />

Donc, à travers la période, ily eut diverses oppositions entre milieux lébous<br />

et administration à propos de la question fondamentale de la propriété du sol à Dakar<br />

et sa banlieue. L.S. Senghor, député du Sénégal, reconnaissait que le problème des<br />

réquisitions de terres par l'administration, « avait créé un malaise qu'il serait impolitique,<br />

parce que vain, de dissimuler». IlIa mettait en garde: « On ne gagne rien à prolétariser un<br />

peuple autochtone» 4 .<br />

En fait, le décret du 23 octobre 1904 organisant le Domaine en AOF et en<br />

AEF, stipulait: « Le Domaine est propriétaire en AOF de toutes les te"es vacantes et sans<br />

maître ». Le décret introduisait néanmoins une restriction, au sujet des terres formant<br />

"propriété collective" des indigènes. Que signifiaient ces termes "terres vacantes et sans<br />

maître" ?<br />

Par là, il fallait entendre toute terre ni immatriculée, ni possédée suivant les<br />

règles du Code Civil français. Ainsi, à partir d'une telle interprétation, toute la terre<br />

d'AOF été propriétaire du Domaine de l'Etat français.<br />

3. Idem, p.320<br />

4. "Condition Humaine" W6, Mai 1948.<br />

308


Un autre décret, intervenu le 25 novembre 1930 et publié en AOF par<br />

l'arrêté du gouverneur général du 19 décembre 19305, stipulait que l'expropriation, pour<br />

cause d'utilité publique, s'opérait en AOF, sous l'autorité de la justice. Le texte en<br />

question donnait à l'administration le pouvoir, pour des raisons d'''intérêt général", de<br />

prononcer l'expropriation sur les terres appartenant aux collectivités indigènes. Selon<br />

que la superficie en question, était inférieure ou supérieure à 100 ha, intervenait soit le<br />

gouverneur du territoire, soit le gouverneur général pour le montant de l'indemnisation<br />

qui était prévue par le texte. Le 15 octobre 1935, une nouvelle modification intervint.<br />

Elle abandonnait, pour l'essentiel, les termes de "terres vacantes et sans maître" pour<br />

faire place à : «Appartiennent à l'Etat, les te"es qui, nefaisant pas l'objet d'un titre régulier<br />

de propriété ou de jouissance [...] sont inexploitées ou inoccupées depuis plus de 10 ans »6.<br />

Une vingtaine d'années plus tard, la législation subissait une nouvelle modification. En<br />

effet, le décret du 20 mai 1955 modifiait l'article 1 er du décret de 1935 qui obligeait les<br />

occupants, qui s'opposaient à une concession par l'Etat, à faire la preuve de l'existence<br />

de droits coutumiers sur la terre. Désormais, la législation stipulait qu'une concession<br />

était accordée « après une enquête publique et contradictoire, si cette enquête n'a pas fait<br />

apparaître l'existence de droits coutumiers sur la te"e ».<br />

En résumé, de 1904 à 1955, toutes les modifications intervenues dans la<br />

législation domaniale n'avaient eu pour unique but que celui d'affirmer la toute<br />

puissance du colonisateur, sur la terre, en AOF et à Dakar particulièrement. Du reste,<br />

c'était bien cela qui justifiait l'impossibilité dans laquelle se trouvait toute la Collectivité<br />

léboue, mais aussi, les individualités lébous, d'apporter des preuves tangibles au tribunal<br />

dakarois. Si ce tribunal déboutait toutes les oppositions de la période 1950-1956, par un<br />

seul arrêt, ceci était dû au fait que les preuves attendues par la justice n'avaient pas pu<br />

être apportées par les plaignants. Par manque de connaissance de la législation ou par<br />

impossibilité de faire la preuve que le législateur colonial avait pour vocation de donner<br />

satisfaction à l'occupant colonial; la dernière hypothèse paraissait plus plausible.<br />

Ces oppositions indigènes aux réquisitions de la terre étaient, en réalité, sans<br />

fondement, au regard du droit tout puissant de la puissance occupante. C'était du reste<br />

ce que constatait Bernard Moleur lorsqu'il écrivait, à propos des oppositions formulées<br />

au sujet des terres à Dakar, qu'elles apparaissaient comme « intempestives pour les<br />

autorités coloniales ».<br />

En somme, toute la législation coloniale n'avait pour but que d'asseoir la<br />

primauté absolue de l'Etat français sur la terre en AOF. Cette primauté absolue<br />

justifiait que l'Etat français pouvait aliéner sa propriété exactement comme bon lui<br />

semblait.<br />

S. Robert Delmas in "Condition Humaine" nOS, Avril 1948.<br />

6. E. Le Bris, Enjeux fonciers...1983, p.7S<br />

309


était la suivante:<br />

La situation domaniale, dans la presqu'île du Cap Vert, au 31 décembre 1951<br />

- 12.650 hectares immatriculées dans le Domaine de l'Etat<br />

- 3481 ha, propriété des indigènes et répartis en 1705 titres fonciers.<br />

De ses 12.650 hectares, l'Etat avait rétrocédé 957 hectares à des Européens<br />

et seulement 17,4 hectares aux indigènes7.<br />

La situation du quartier de la Médina était particulièrement significative. La<br />

terre avait été arrachée aux Lébous. Le terrain immatriculé était devenu propriété de<br />

l'Etat. Pendant 30 ans, les populations indigènes avaient considéré que leur occupation<br />

de la Médina, constituait un droit de propriété irrévocable. Mais, en juillet 1959, un<br />

décret fit passer toute la Médina sous l'administration et la gestion d'un Office des<br />

Habitations à Loyer Modéré (O.H.L.M) nouvellement créé. Le décret en question<br />

stipulait que le nouvel organisme prendrait possession des parcelles, selon les besoins de<br />

son programme. Le sort réservé aux occupants était:<br />

- être relogés dans des cités provisoires en attendant la fin des travaux pour<br />

ceux qui se porteraient candidats à l'acquisition de nouvelles cités<br />

- être dédommagées de leurs dépenses sur la base des tarifs fixés par une<br />

commission qui restait à mettre en place 8 .<br />

Abdel Khader Fall estimait dans un article de "Momsarev" que cette<br />

conception de l'intérêt des masses africaines était vraiment singulière. Il traduisait<br />

l'émoi des habitants du quartier à propos de ce décret. "L'adresse aux populations"<br />

demandait aux victimes de s'opposer vigoureusement à cette législation.<br />

Si la spéculation foncière s'était beaucoup développée à Dakar, comme<br />

divers organes de presse ou même les groupes de pression économiques comme<br />

l'Assemblée des Propriétaires et l'Association des Locataires avaient eu à la regretter,<br />

c'était, avant tout le résultat de cette législation coloniale sur la terre. Du reste,<br />

l'administration, elle-même, avait bien conscience de cette situation puisque le<br />

gouverneur général de l'AOF écrivait, à l'adresse du ministre, à Paris, à la date du 12<br />

mai 1952 ceci: «... Les propriétaires moyens et surtout de nombreux Africains, vendent leurs<br />

te"ains nus à d'importantes sociétés ou à des riches commerçants... base de graves<br />

inconvénients signalés dans la spéculation »9. En fait, cette question de la propriété du sol<br />

ne manquait pas d'avoir de l'importance aux yeux de l'administration qui lui avait<br />

consacré toute une série de textes. Les populations locales prirent conscience, avec<br />

amertume, ressentirent amèrement qu'elles étaient purement et simplement spoliées de<br />

leurs terres par la force, dans la mesure où pratiquement toutes leurs initiatives pour en<br />

7. Bernard Moleur, op.ciL, p.333.<br />

8. "Momsarev" N°15, article Abus ou spoliation<br />

9. Affaires politiques AOF, ANSOM, carton 2163 dos 2.<br />

310


ester les maîtres furent vouées à l'échec, comme le prouvait la décision de la justice<br />

dakaroise considérant toutes les oppositions aux réquisitions comme non fondées.<br />

Puissance de l'administration face à l'impuissance des populations, ce que<br />

Senghor considérait comme un «problème complexe en raison de la multiplicité et de<br />

l'importance des intérêts qui sont en jeu: intérêt de l'Etat, de l'AOF, du Sénégal, de la<br />

Municipalité de Dakar, de la Collectivité [éboue, il 1'est aussi par les conséquences politiques<br />

»10 n'était en fait qu'un problème très simple: avait toute la terre celui qui avait la<br />

force. On était en système colonial.<br />

Or, cette question de la propriété du sol conditionnait, incontestablement, le<br />

problème des terres de culture, mais surtout celui de l'habitat.<br />

10. "Condition Humaine" nOS,Mai 1948.<br />

311


Il L'HABITAT<br />

CHAPITRE II : L'HABITAT DAKAROIS<br />

Le recensement démographique de 1955 à Dakar, avait eu plusieurs volets<br />

secondaires. L'un s'intéressait à la qualité de l'habitat. Le résultat était le suivant:<br />

- 44.000 constructions de type africain<br />

- 12.740 habitations de type européen1.<br />

Cette répartition globale donnait, dans le détail, une situation plus précise<br />

quant à la qualité de l'habitat dans la capitale fédérale. En effet, les constructions de<br />

type africain étaient à 54 % constituées de baraques c'est à dire d'habitation en bois, à<br />

33 % de paillotes et seulement à 13 % de constructions en dur. Cet habitat indigène se<br />

constituait de 16.700 "carrés,,2, chaque carré regroupant généralement plusieurs foyers.<br />

L'analyse des données du recensement permettait à Assane Seck d'écrire que, dans la<br />

capitale fédérale, l'habitat de type traditionnel permettait à 165.000 personnes de se<br />

loger, contre 95.000 dans l'habitat de type moderne. La population européenne de la<br />

ville habitait ce dernier type, soit environ 25.000 habitants. Ceci permet de déduire qu'à<br />

peine 70.000 Mricains étaient logés dans des constructions de type moderne à Dakar.<br />

C'est dire qu'à peine le tiers des Mricains occupaient des logements de type moderne.<br />

Depuis la fin de la guerre, la question du logement avait été une des<br />

préoccupations centrales de divers secteurs de la ville, tant pour les autorités que pour la<br />

population elle-même. Le quotidien "Paris-Dakar"3, traduisait, en août 1946, cette<br />

préoccupation dans une série d'articles sous le titre: "Dakar... sous les ponts". Il écrivait:<br />

« Le problème du logement est actuellement l'un des plus délicats mais aussi l'un des plus<br />

urgents à Dakar. La population européenne de la ville est estimée à 30.000 personnes.<br />

Dakar en 1939 offrait la possibilité pour 6.000 à ZOOO Européens de se loger. Pendant la<br />

guerre, arrêt de la construction civile et réquisitions, en nombre impressionnant,<br />

d'appartements civils ». Le journal dakarois analysait la situation sous l'aspect unique de<br />

la population européenne. Mais ceci traduisait bien, un état de crise du logement pour<br />

ces métropolitains, dans la ville, et avant tout, pour les fonctionnaires. Quant aux<br />

fonctionnaires indigènes, c'était seulement en 1948 qu'il fut question, pour la première<br />

fois, de prévisions en leur faveur, dans le budget fédéral de l'AüF.<br />

L'habitat indigène n'échappa pas aux préoccupations, dans la période<br />

suivante, des plus hautes autorités coloniales de Dakar. Ainsi, le Haut Commissaire,<br />

gouverneur général traduisait cette préoccupation dans un discours prononcé le 13<br />

1. Assane Seck, Dakar, métropole ouest africaine, op. cit., p.%.<br />

2. Terme désignanlla concession faite à un chef de famille indigène et mesurant 20 m • 15 m.<br />

3. Numéros des 14, 17 et 30 Août 1946.<br />

312 .


l'éducation, la santé mais aussi l'habitat etc... Dans le domaine de l'habitat, les ambitions<br />

du programme étaient « de 46.000 pièces en immeubles collectifs et 18.000 habitations<br />

individuelles correspondant aux besoins les plus urgents. » 7 L'exécution de ce vaste<br />

programme rentrait dans la ligne de la politique d'investissement du FIDES.<br />

Divers organes de la presse métropolitaine comme locale tendaient à<br />

démontrer que cette masse de crédits constituait une oeuvre grandiose entreprise nulle<br />

part d'ailleurs par une puissance coloniale. Diverses personnalités officielles comme non<br />

officielles exprimaient cette opinion. Ainsi, Gerard Jacquet, ministre de la FOM,<br />

s'exprimant sur cette politique d'investissement, montrait que la France, à elle seule,<br />

avait fait pour l'ensemble de ses possessions d'outre-mer, mieux que la Banque<br />

Mondiale. Le ministre s'exprimait, à Dakar, lors d'une réception offerte par la Chambre<br />

de Commerce, le 3 mars 1958. «... En 10 ans, la France, de 1946 à 1956, le FIDES a<br />

dépensé, pour l'ensemble des rOM, un total de 625 milliards de francs métropolitains, soit 2<br />

fois plus que la Banque Mondiale qui, en 9 ans, a prêté 260 milliards aux pays sous­<br />

développés du monde entier ». Selon Gérard Jacquet, dans les deux premiers plans<br />

quinquennaux « Les seuls territoires de l'AOF, ont bénéficié, au titre des diverses<br />

interventions, d'un montant de 280 milliards métro »8.<br />

Une source quasi officielle, la brochure "AOF" publiée par les services du<br />

Haut commissariat de Dakar, chiffre les investissements réalisés dans la Fédération, par<br />

le FIDES, à 86 milliards de F CFA, dont 22,3 milliards en direction du Sénégal. De cette<br />

somme investie dans ce territoire, 7,5 milliards l'étaient uniquement pour la ville de<br />

Dakar. Soit en pourcentage 6,43 % du total pour l'AüF et 33,66 % des sommes investies<br />

au Sénégal. "Marchés coloniaux", journal des milieux d'affaires métropolitains, dans un<br />

article signé par Robert Delmas, président de la commission permanente du Grand<br />

Conseil, chiffrait « de 1948 à 1957, 133 milliards 891 millions étaient prévus pour la<br />

Fédération. La répartition était la suivante:<br />

* 80 % aux dépenses économiques soit 100 milliards 175 millions<br />

* 18,35 aux dépenses sociales (santé, enseignement, urbanisme, habitat,<br />

cartographie etc)<br />

* 1,15 à la recherche scientifique. »9<br />

D'après la notice sur le Cap Vert, réalisé par l'Etat-Major, l'ardoise des<br />

investissements du FIDES à Dakar de 1947 à 1957, était de 7,879 milliards de F.CFA.<br />

Pierre Biarnès écrit «De 1947 à 1957, environ 400 milliards de francs français<br />

(valeur 1956) de fonds publics d'origine métropolitaine, allaient être investis en A OF, AEF,<br />

Cameroun et Togo ainsi qu'une cinquantaine de milliards de fonds privés. »10 Sur la<br />

7. Marchès Coloniaux n"363 du 25 octobre 1952.<br />

8. Bulletin C.CA.I du 31 mars 1958.<br />

9. Marchés Coloniaux nO 191 du 9 juillel1949<br />

10. Pierre Biarnès, Les Francais en Afrique noire, op. cit., p.297.<br />

314


question précise de l'habitat, le mensuel "Chronique d'Outre-Mer" paraissant à Paris,<br />

donne l'information suivante: « La SICAP, créée en 1951 et pour résoudre le problème du<br />

logement à Dakar, a édifié de 1951 à 1957, 2540 logements et quelques 6.000 pièces pour un<br />

investissement de 1 milliard 500 millions, règlant le problème du logement pour 20.000<br />

personnes...»1 J. Ganiaga et H. Deschamps parlant des investissements en matière de<br />

logement, écrivent: «... Surtout Dakar, capitale fédérale, bénéficie largement des crédits du<br />

FIDES et d'investissements privés. La ville gagne en hauteur et extension : gratte-ciel et<br />

monuments publics modernes bouleversèrent le centre, tandis que, pour la Médina, de<br />

nouveaux quartiers...»12<br />

Dans le cadre des festivités marquant le centenaire de la ville de Dakar, les<br />

autorités coloniales réalisèrent un film documentaire passant en revue les grandes<br />

réalisations, surtout au plan de l'urbanisme. Ce film fut largement projeté dans les salles<br />

de cinéma de la ville. L'hebdomadaire "Afrique Nouvelle" qualifiait le film d'oeuvre de<br />

pure propagande en ironisant : « Une ville hérissée de buildings, où des avenues ombragées<br />

et impeccablement bitumées reliant les piscines olympiques aux marchés aux fleurs, les<br />

plages ensoleillées aux jardins verdoyants. »13 L'organe catholique mettait en garde les<br />

invités et autres visiteurs venus pour la circonstance en ces termes «... Contre ces<br />

tournées bien préparées et des itinéraires savamment combinés ». Le journal, en parlant du<br />

sentiment des populations indigènes de la ville, à l'égard de ce film disait: « Qu'ils<br />

seraient fort surpris, d'apprendre que le temps où ils logeaient dans des taudis est fini et que<br />

tous, maintenant, ont des maisons modernes à leur disposition ». Pour la rédaction de<br />

l'hebdomadaire, il fallait comprendre que ce film ne reflétait nullement la réalité mais<br />

avait seulement pour objectif de soutenir une image de marque.<br />

Le journal "Les Echos d'Afrique Noire" publie une série de photos allant<br />

dans le même sens que le film. Le titre donné à l'article en question était bien<br />

significatif: "Et vous dites que la France n'a rien fait. Alors, les images parlent"14. L'organe<br />

du petit colonat, manifestement, s'adressait aux milieux nationalistes qui, à Dakar,<br />

dénonçaient la colonisation et réclamaient l'indépendance.<br />

A l'opposé des apologistes de cette politique d'investissements, des voix<br />

s'étaient faites entendre. Ainsi, "Présence Africaine" écrivait : « Le FIDES est une<br />

véritable institution d'exploitation au service des métropolitains installés outre-mer »15. Le<br />

journal, chiffres à l'appui, démontrait que les investissements réalisés en AOF étaient<br />

faits en fonction de la présence européenne. Il montrait que les sommes consacrées au<br />

Sénégal, à la Guinée, à la Côte d'Ivoire, représentaient les 3/4 des investissements. Or,<br />

cette zone côtière était, avant tout, la zone d'installation des métropolitains.<br />

11. "Chronique d'outre-mer" N° 51, décembre 1958.<br />

12. Histoire de l'Afrique au XXeme siècle. 1966, p.348.<br />

13. "Afrique nouvelle" du 1 er janvier 1958.<br />

14. "Echos d'Afrique noire" du 20 janvier 1958.<br />

15. PA., Fév-Mars 1957.<br />

315


Jacques Arnault, parlant du FIDES et de son action constatait: « 171<br />

milliards d'investissements faits sur fonds publics métropolitains aux frais de la masse des<br />

contribuables français, 150 milliards de transferts privés nets des TOM vers la métropole ont<br />

été entassés dans les caisses des monopoles... il en est pourqui les liens coloniaux sont des<br />

anneaux d'or»6. '<br />

Un organe de la presse dakaroise "Momsarev" estimait que, si les milieux<br />

d'affaires, regroupés dans la Chambre de Commerce, félicitaient le gouvernement du<br />

territoire du Sénégal, c'était bien parce que la politique des investissements continuait à<br />

leur être favorable.<br />

La politique d'investissements apportait-elle des changements positifs<br />

importants pour les populations des TOM et d'AOF plus particulièrement? "Marchés<br />

Coloniaux,,17 répondait affirmativement par ces termes: « Plus de 50.000 Africains,<br />

depuis 1946, ontpu être déplacés de la Médina surpeuplée vers de nouvelles zones assainies,<br />

convenablement urbanisées où ils ont pu trouver des conditions de vie décentes... grâce à la<br />

politique des grands travaux. »<br />

La réponse était du même genre dans la revue "AOF", tout comme dans la<br />

revue "Industries et Travaux d'Outre-Mer". Ce dernier journal exprimait la satisfaction<br />

éprouvée par le Haut Commissaire de Dakar, à la suite d'une visite des réalisations de la<br />

SICAP, à la fin de 1958. Pour d'autres milieux, la réponse était négative.<br />

Maurice Voisin, dans les "Echos d'Afrique Noire" indiquait que les Africains<br />

avaient été les laissés pour compte dans cette politique de l'habitat. L'organe prenait<br />

comme exemple spécifique le cas du Crédit Foncier, organisme de la Banque de<br />

l'Afrique Occidentale. Pour le journal, ces grands milieux financiers à travers leurs<br />

réalisations, ne faisaient qu'exploiter les Africains18. Le journal accusait même, les<br />

services administratifs de négligence voire de corruption pour avoir permis au Crédit<br />

Foncier de réaliser des habitations pas "respectueuses" des Noirs.<br />

Toujours dans le sens d'une réponse négative, le congrès constitutif des<br />

jeunes du B.P.S avait été très critique à l'égard de l'orientation de ces investissements.<br />

Le rapport introductif au congrès de ce mouvement de jeunesse remarquait, qu'une<br />

belle autoroute traversait la Médina mais que ses populations continuaient à connaître<br />

d'énormes difficultés pour pouvoir trouver de l'eau, ce minimum indispensable à la<br />

vie 19 .<br />

L'expérience des "Castors", tentée à Dakar, avait été considérée par les<br />

autorités administratives et par divers milieux comme d'un intérêt réel pour les<br />

Africains. Elle fut même, comme expérience, rapportée à la conférence tenue par le<br />

16. J. Arnault, Procès du colonialisme, 1958, p.257.<br />

17. N° du 22 août 1953.<br />

18. "Echos d'Afrique noire" du 3 août 1953.<br />

19. Congrès de Mars 1958, Résolution générale.<br />

316


lesquels furent déguerpis. Le témoignage suivant est apporté par le service d'hygiène de<br />

Dakar : « Le service du déguerpissement nous fut confié voici 15 ans... Aucun<br />

déguerpissement ne peut être fait sans décision de justice. Or, pas une démolition ou<br />

déguerpissement n'est nantie, à la base, d'une décision de justice. Toutes sont<br />

administratives. C'est souligner notre position illégale...»25 "L'Action", autre organe de la<br />

presse dakaroise fustigeait ces déguerpissements « Constructions de quartiers, percement<br />

de rues, d'un canal de déversement... On se contente d'invoquer à chaque instant, l'aspect<br />

social de la question... la nécessité de l'urbanisme, sans se soucier de son aspect humain »26<br />

Mais celle-ci revêtait un aspect tactique et stratégique de la part du pouvoir<br />

colonial. En effet, l'arrêté n046861APAI du 28 septembre 1949 du Délégué du<br />

gouverneur à Dakar, interdisait d'édifier, dans la ville, de nouvelles baraques et même<br />

de réparer les anciennes sans autorisation préalable du service d'hygiène.<br />

Incontestablement, cette décision créait un véritable malaise à Dakar où<br />

l'essentiel de l'habitat indigène était constituée par des baraques. Ce malaise explique la<br />

démarche du député Abbas Guèye auprès des autorités. Dans une lettre au Délégué du<br />

gouverneur, il constate « Que le refus systématique opposé par ce service, aux requêtes des<br />

propriétaires, les mesures draconiennes prises par ce même service pour l'application de ce<br />

même texte ont eu, pour résultat, l'aggravation du nombre des sans-logis dans la Médina et<br />

l'entassement de familles entières dans des taudis »27. Abbas Guèye estimait que cette<br />

décision de l'administration avait créé une situation grave. Il demandait l'abrogation<br />

dans l'immédiat du texte ou son remplacement par un autre plus humain.<br />

Sur la question du taux d'occupation par logement à Dakar, le Secrétariat<br />

Social faisait état des données suivantes, lors de ses deuxièmes journées, consacrées à<br />

"l'habitat africain à Dakar", en juillet 1958. François Faye rapportait les résultats d'une<br />

enquête prouvant l'existence d'un véritable entassement social:<br />

« 50 foyers occupent 1 pièce à 2 personnes<br />

38foyers occupent unepièce à 3 personnes<br />

26 foyers occupent unepièce à 4 personnes<br />

8 foyers occupent une pièce à 5 personnes<br />

1 foyer occupe unepièce à 7personnes<br />

2 foyers occupent une pièce à 8 personnes<br />

1foyer occupe une pièce à 9 personnes<br />

Et pour achever sa besogne, la misère poussera son insatiabilité jusqu'à entasser<br />

un foyer de 15 membres dans une pièce de 4,5 m * 3,5. »28<br />

25. A.N.S : Rapport 2G 57-33,1957.<br />

26"L'Action" du 31 octobre 1955.<br />

27. "Condition Humaine" du 20 octobre 1952.<br />

28. 20 personnes seulement sur les 425 interrogées avaient le privilège de se retrouver seules dans une pièce,<br />

c'est à dire 1 personne par pièce.<br />

318


1956: 40.000 m 3 par jour<br />

Pour cet organe de presse, durant toute cette période, les besoins de la ville<br />

restent nettement insatisfaits. En effet, alors que la ville produit 40.000 m 3 /jour, ses<br />

besoins sont évalués à 80.000 m 3 . C'est dire que seulement la moitié des besoins étaient<br />

couverts. Le journal présente la situation, en 1958 dans d'autres villes du Sénégal. Ainsi<br />

Thiès ne fournit que 1.100 m 3 /jour alors que ses besoins sont estimés à 4.000 m 3 et<br />

Saint-louis, pour des besoins de 6.000 m 3 , ne produit que 4.800 m 3 .<br />

La synthèse de la situation économique de l'AüF de 1948 à 1958, par la<br />

Chambre de Commerce, indique que « 20.000 personnes seulement, soit 1/8 de l'ensemble<br />

des occupants des lieux, jouit d'une alimentation directe d'eau dans les habitations du<br />

milieu africain à Dakar ». Cependant, elle souligne que grâce aux bornes-fontaines, l'eau<br />

peut être fournie aux habitations non raccordées au réseau de distribution.<br />

Selon la synthèse, 90 % des personnes occupant les habitations de type<br />

européen, jouissent de l'eau et de l'électricité 33 .<br />

Mahjmout Diop souligne que dans la ville de Dakar, 75% des Africains<br />

utilisent les bornes-fontaines et que chaque borne dessert en moyenne, un millier de<br />

personnes 34 . L'intéressé note comme explication, la pauvreté des habitants ne pouvant<br />

aucunement faire face aux frais d'installation de l'eau, mais aussi de location. Les<br />

incidences négatives d'une telle situation sur la vie quotidienne des Dakaroises<br />

n'échappent pas à cet auteur.<br />

G. Brasseur indique qu'en 1952, on compte 3200 abonnés à l'eau dans la ville<br />

de Dakar. Dans les quartiers indigènes de la ville, sans donner de chiffres, il estime à<br />

plusieurs centaines de maisons, celles dotées de branchements individuels. Il dénombre<br />

200 bornes-fontaines dans la ville, en 1952 utilisées seulement par la population<br />

africaine. Jamais de mémoire de Dakarois, on n'avait vu une Européenne faisant la<br />

queue à une borne-fontaine. Beaucoup de nos interlocuteurs ont souligné cet aspect. Les<br />

besoins en eau des Européens de Dakar étaient largement couverts. Ces besoins étaient,<br />

de loin, supérieurs aux moyennes de consommation. A. Jourdain, ingénieur général des<br />

travaux publics de la füM, écrit qu'ils sont de 250 à 400 litres par personne et par<br />

jow-3 5 .<br />

Le problème des bornes-fontaines fut, dans le cadre de la politique de l'eau<br />

pour la capitale, une question très importante ayant intéressé plusieurs organes de<br />

presse mais aussi le conseil municipal, des chefs de quartiers indigènes, des<br />

personnalités politiques, des associations etc... Le conseil municipal a consacré plusieurs<br />

séances à la question de l'eau tant dans son aspect social que dans ses conséquences<br />

33.P.298<br />

34. Mahjmout Diop, Histoire des classes sociales au Sénégal, 1972, p. 191.<br />

35. A. Jourdain, L'alimentation en eau de Dakar.<br />

320


Cette situation est perçue presque de manière identique par d'autres organes<br />

de presse comme "Réveil", "Condition Humaine", "l'AOF', "Echos d'Afrique Noire" etc...<br />

Même l'administration partage cette constatation en écrivant, dans le rapport du service<br />

d'hygiène, de l'année 1957 : « l...] L'eau est en général bonne mais douteuse et souvent<br />

souillée dans nombre de citernes privées...» 3 9 Le rapport des comptes économiques de<br />

l'AOF, Territoire du Sénégal, en parlant de l'eau, donne les informations suivantes: «<br />

20 F CFA le m 3 en moyenne, mais la distribution dans les villes n'était pas régulière. Les<br />

parleurs vendent l'eau à 5 F CFA la tonique de 20 litres, le prix du m 3 atteint 1.000 F CFA<br />

» 4 O. Cette même source indique pour l'année 1959, que le m 3 d'eau était vendu à 37,5 F<br />

CFA par la Compagnie des Eaux, prix trop élevé pour beaucoup d'habitants de la ville.<br />

2) L'électricité<br />

La Chambre de Commerce de Dakar, à propos de l'alimentation en<br />

électricité de la ville indique que « 50.000 personnes, soit un peu moins du tiers de ceux<br />

qui occupent les carrés recensés en disposent.»41 L'institution consulaire explique que ce<br />

chiffre était plus élevé que celui des abonnés en eau, en raison du fait que<br />

l'infrastructure électrique est plus étendue et développée. Pour elle, l'électricité ne peut<br />

pas parvenir dans les habitations ne disposant pas de l'équipement adéquat,<br />

contrairement à l'eau, par le système des bornes-fontaines.<br />

Mahjmout Diop insiste, lui, sur cette insuffisance de l'équipement de<br />

l'électricité, tout comme de l'eau et met le doigt sur le problème des frais d'installation<br />

et de location prohibitifs.<br />

L'Etat-Major détaille, pour la ville, la fourniture d'électricité à partir de<br />

l'usine de Bel-Air dans la zone portuaire 42 , en 1958 :<br />

- puissance installée: 37.670 KW<br />

- puissance normale disponible: 16.100 KW<br />

- énergie vendue:<br />

* éclairage: 10.913.000 KWIH<br />

* applications ménages: 8.263.000<br />

* force motrice H.T : 5.501.000<br />

* fourniture H.T : 44.767.000<br />

Total: 69.444.000<br />

39. Affaires politiques AOF, ANS, rapport 2G 57-33<br />

40. C.E.S 1956, rapport B 4849/2, pA8<br />

41. C.CAJ de Dakar: Synthèse situation 1948-1958.<br />

42. Fiche 21, les industries.<br />

323


Les Comptes Economiques du Sénégal indiquent pour l'année 1956, « une<br />

production de 91.567 KW et une vente de 74.288 KW dont 13.173 pour l'éclairage »43.<br />

D'après cette source, il y a 32.000 abonnés pour le territoire du Sénégal dont 26.000 à<br />

Dakar. A cette date, toute l'AOF comptait 60.000 abonnés.<br />

Les critiques de la presse à l'égard de la distribution de l'eau s'appliquent<br />

également à l'électricité. L'eau comme l'électricité sont vendues aux populations à des<br />

prix prohibitifs. les coupures fréquentes agitent aussi l'opinion puisque les journaux dont<br />

"Afrique noire", parlent même d'une politique de "je m'en foutisme" de la part des<br />

E.E.A.O. La revue "Partisans" écrit: « Un exemple suffit à montrer comment les<br />

capitalistes exploitent honteusement le Sénégal : la Compagnie des E.E. DA » 44 . Le<br />

rédacteur de l'article, Samba Seytane, met en relief le monopole de la Compagnie sur<br />

ces deux ressources capitales, mais surtout les bénéfices énormes qu'elle réalise. Ceux-ci<br />

sont passés de 100 à 818 (base 100 en 1951) en pourcentage et de 62 à 507 millions de F.<br />

CFA en valeur absolue, en une période de dix ans seulement: 1951-1960. "L'Etudiant<br />

d'Afrique Noire", organe de la FEANF, se scandalisait des énormes profits réalisés sur<br />

le dos des populations ouest-africaines. Il reprenait l'analyse d'un organe de la presse<br />

parisienne, "Fortune française" du 4 mars 1960. Ce journal montrait la progression<br />

suivante des profits réalisés par les E.E.O.A, sur la période 1950-1958. « Base 100 en<br />

1951, les bénéfices nets arrivaient en pourcentage à 580 en 1958. En valeur relative: de 62<br />

millions en 1951 et 360 millions en 1958 ».<br />

L'opinion reste réellement sensible aux questions de la tarification, de la<br />

régularité et de la qualité de la fourniture de l'eau et de l'électricité. De plus, elle est<br />

retenue également par l'utilisation de l'eau comme élément de chantage, entre les mains<br />

des autorités et aussi des capitalistes.<br />

Sembéne Ousmane, au sujet de la grève des cheminots de 1947-1948, retient<br />

cet aspect de l'utilisation de l'eau. En effet, à propos du rassemblement de protestation<br />

des femmes de la Médina devant le commissariat de police, il écrit : « Il y eut des<br />

bousculades tandis que les pompiers sautaient à terre et déroulaient les tuyaux. Les lances<br />

furent braquées. - Restez assises! hurla Mame Sophie. Il ny a pas d'eau pour les incendies<br />

mais, pour nous arroser, ily en a » 45 . Il fait allusion à l'incendie qui, la veille, a ravagé la<br />

Médina lors de la bagarre ayant opposé les femmes du quartier aux forces de l'ordre.<br />

Les pompiers ne se montrèrent pas.<br />

Autre exemple de cette utilisation comme moyen de chantage; Sembéne,<br />

dans la bouche de son héroïne Marne Sophie, s'adressant à la collégienne Ndéye Touti,<br />

place ses mots: «Fermer les boutiques et l'eau! ce n'est pas la vie?»<br />

43. Rapport B : 4849/2, pA8<br />

44. "Partisans" n"29/30, Mai-juin 1958.<br />

45. Sembéne Ousmane, Les bouts de bois de Dieu, 1960.<br />

324


Le romancier sénégalais traduit par là, la longue et pénible angoisse des<br />

ménagères de la Médina devant l'absence d'eau dans les bornes-fontaines, pendant<br />

plusieurs jours, situation créée sciemment par l'administration coloniale pour<br />

contraindre, indirectement, les épouses à faire pression sur les maris grévistes afin qu'ils<br />

reprennent le chemin des ateliers et bureaux du R.A.N.<br />

Autre exemple d'utilisation de l'eau comme moyen de pression, cette lettre<br />

adressée à la Chambre de Commerce de Dakar par la Compagnie des Eaux et<br />

Electricité, à la date du 12 août 1953. Elle informait la Chambre de Commerce, de sa<br />

décision de couper entièrement toute forme d'eau à la ville de Rufisque, à partir du 1 er<br />

octobre, si, à cette date, elle n'obtient pas de la dette que cette municipalité lui<br />

devait 46 .<br />

La société avait - elle mis effectivement à exécution sa menace? nos sources<br />

écrites ne nous ont pas permis de répondre à la question, aucune d'elles n'ayant parlé<br />

de cette application. Quant à nos interlocuteurs, ils ne se rappellent pas que la coupure<br />

ait eu lieu à la suite de cette menace. Très probablement, la Municipalité et la<br />

Compagnie ont trouvé un terrain d'entente. La Chambre de Commerce pouvait, en la<br />

circonstance, sur la base de l'information qui lui était fournie par les E.E.G.A, exercer<br />

une pression plus ou moins discrète sur l'équipe municipale pour préserver ses propres<br />

intérêts en jeu.<br />

Pour la même raison, la municipalité de Dakar, elle aussi a été l'objet de<br />

pressions très fortes de la part des E.E.G.A. Diverses délibérations le prouvent. Prenant<br />

la parole dans une séance en date du 22 juillet 1957, le conseiller d'origine européenne<br />

Sinibaldi s'exprime en ces termes: « La ville de Dakar doit 90.000.000 à la Compagnie<br />

des Eaux. Le m 3 vaut actuellement 27 F 50. Pénaliser encore les habitants de la ville de<br />

Dakar de 2 F 50 par m 3 d'eau pour payer la dette de la Commune, comme le suggère<br />

l'autorité de tutelle, c'est trop ». Le conseiller municipal Thierno Bâ, face à cette dette,<br />

propose même un refus de payer. Il évoque les tarifs exorbitants imposés par la<br />

Compagnie pour justifier sa position.<br />

Ces pressions de la Compagnie aboutissent à la situation suivante, comme<br />

l'écrit le journal "Condition Humaine" : «La mairie s'est endettée auprès de la compagnie<br />

des Eaux au point que celle-ci se trouve dans l'obligation de supprimer les bomesfontaines»<br />

47.<br />

L'endettement de la municipalité de Dakar vis-à-vis de la Compagnie des<br />

Eaux et de l'Electricité fut donc permanente de 1945 à 1960. Les délibérations du<br />

Conseil municipal, comme beaucoup de sources, le prouvent. Etait-il possible cependant<br />

que la Compagnie exerçât une pression sur la Municipalité dans le même sens qu'à<br />

Rufisque, jusqu'à couper toute alimentation? La chose, était, en elle même, peu<br />

46. C.CA.! de Dakar, Délibération du 27 août 1953.<br />

47. "Condition Humaine", Avril 1953.<br />

32-5


probable. Certes, Dakar était beaucoup plus endettée que Rufisque, mais elle<br />

représentait un enjeu qui, de par sa taille, n'avait rien de comparable à la situation de<br />

Rufisque. Le pouvoir s'exerçait entièrement à partir de la ville. La direction générale<br />

des E.E.O.A devait, par la force des choses, tenir compte de cet élément non<br />

négligeable. Outre le pouvoir administratif, il y avait également, dans la ville, une<br />

certaine opinion relativement solide, donc à prendre en compte. De plus les intérêts<br />

économiques industriels particulièrement, mais aussi maritimes avec l'avitaillement des<br />

bateaux, représentaient un poids suffisamment lourd pour dissuader toute action dans le<br />

sens d'une coupure effective de l'eau à toute la ville. Incontestablement, la municipalité,<br />

tout comme la Compagnie, se devait d'y regarder à plus d'une fois avant de prendre une<br />

responsabilité d'une telle dimension. Dakar était, à tous points de vue, d'un poids trop<br />

important pour qu'on y coupe l'eau, pour simple endettement de sa municipalité.<br />

326-


CHAPITRE III : LA QUESTION ALIMENTAIRE A DAKAR<br />

Il L'ALIMENTATION EN MILIEU INDIGENE<br />

Dans leur quasi unanimité, les sources s'accordent à reconnaître que la<br />

situation alimentaire, dans la ville, n'était pas bonne de manière générale. En effet,<br />

lorsqu'en 1945, le conflit mondial se termine, la ville avait connu presque six années de<br />

pénurie relative.<br />

Le gouvernement général pro-vichyste avait entretenu un climat officiel<br />

d'incitation à l'effort en faveur de la métropole. Ainsi, sommes d'argent comme produits<br />

alimentaires prirent régulièrement la mer. Une sorte de concurrence dans l'effort fut<br />

même stimulée par les autorités. "Paris-Dakar" rendait régulièrement compte des envois<br />

en direction de la "mère-patrie". Dans un discours radiodiffusé, le gouverneur général de<br />

l'AOF rappelait à la Fédération les objectifs définis depuis 1940 : « Je veux qu'on sache<br />

que l'Afrique Noire, dans tous les domaines, n'a qu'un souci : celui de venir en aide à la<br />

métropole »1. Cet effort en direction de la "mère-patrie" avait déjà atteint, dès janvier<br />

1941, son dixième million 2 sans compter les envois de toutes sortes et la mobilisation de<br />

tous les groupes de populations : Africains, Européens et Levantins. Le Chef de la<br />

Fédération pouvait même s'en orgueillir car, pour lui, la situation alimentaire locale<br />

était bonne


11948, les multiples grèves des travailleurs traduisent une sorte de ras le bol devant leur<br />

situation alimentaire. C'est du reste ce que constate le rapport annuel du Territoire, en<br />

1948, en ces termes: «La population autochtone est très mécontente. Elle s'étonne que les<br />

autorités ne prennent aucune mesure efficace pourstopper la hausse des prix et mettre fin au<br />

marché noir, lequel est plus florissant que jamais »4. Ce constat avait déjà été fait en 1946<br />

par cette même administration. Un autre rapport de l'administrateur de la capitale, en<br />

1953, met l'accent sur la baisse constante du niveau de vie des indigènes en raison du<br />

chômage qui ne cesse de croître. Tout ceci appelle l'attention des autorités sur les<br />

répercussions politiques probables de la situation. En 1957, l'administrateur de la<br />

Délégation arrive au même constat : « Deux mouvements importants de grève dont les<br />

fondements étaient essentiellement économiques, le coût de la vie ayant augmenté<br />

régulièrement et les salaires n'ayant pas été réajustés depuis longtemps »5.<br />

Des sources autres que l'administration, font le même constat sur la situation<br />

alimentaire. Dans son programme économique et financier, la SFIO-Sénégal, dans son<br />

rapport au g eme congrès de Kaolak en septembre 1947 remarque: « L'équilibre des<br />

prix et des salaires est en état perpétuel de rupture. Le parti socialiste estime nécessaire<br />

et équitable l'adaptation des bas salaires au coût de la vie pour permettre aux<br />

populations locales de mieux se nourrir »6.<br />

Le journal "Horizons Africains" dénonce la misère alimentaire dans la<br />

Médina, laquelle est largement perceptible chez les femmes et les enfants<br />

particulièrement, pour tout observateur qui viendrait à visiter ce quartier 7 .<br />

Le docteur Léon Palès, chef de la Mission Anthropologique de l'AOF de<br />

1945 à 1951, au terme de plusieurs enquêtes, arrive au constat suivant « Les Africains<br />

demeurent, pour l'immense majorité d'entre eux, à un stade alimentaire où l'apaisement de<br />

la faim et la satisfaction que procure la plénitude gastrique dominent toute autre<br />

considération ». Les travaux de Leon Palès ont fait dire à André Mayer, professeur<br />

honoraire au Collège de France et membre des Académies de Sciences Coloniales et de<br />

Médecine, dans la préface de l'ouvrage: «Le beau livre, probe, solide qu'on va lire<br />

contribuera à éclairer ceux que passionne cette oeuvre grandiose » 8 .<br />

Cette précarité nutritionnelle en Afrique Noire Française est mise en relief<br />

par la Délégation de l'AOF à la conférence interafricaine tenue à Dschang au<br />

Cameroun, en octobre 1949. Dans sa communication, elle constate: « Qu'un trouble<br />

survienne dans la vie du pays, mauvaise récolte, destruction partielle, incidence pathologique<br />

etc... et l'équilibre est rompu »9. Cette précarité explique même à Dakar,<br />

4. Affaires politiques, A.N.S, 2G 48-117, Délégation 1948.<br />

5. Affaires politiques AOF, A.N.S, Rapport 3994JAG du 20 mars 1958.<br />

6. "L'AOF du 21 août 1947.<br />

7. "Horizons africains" N"45, Juin 1951.<br />

8. Leon Palès, L'alimentation en AOF, 1955, p.9<br />

9. Abdoulaye Ly, Les masses africaines, 1956, p.200<br />

328


particulièrement, la prise d'un certain nombre d'initiatives pour y faire face, comme la<br />

création à Dakar d'une association groupant des syndicats d'employeurs et de salariés.<br />

L'objectif de cette association était la mise en place de "restaurants communautaires" en<br />

vue de fournir « Un repas sain et abondant, à un prix calculé, au plus juste et dans un<br />

cadre répondant aux règles d'hygiène. »10<br />

La Chambre de Commerce de Dakar, dès le départ, apporte son soutien à<br />

l'opération par une subvention de 100.000 F CFA Les autorités administratives, elles<br />

non plus, ne sont pas indifférentes à l'initiative de ces restaurants. Ainsi, lorsqu'en<br />

septembre 1952, le projet devint réalité, le gouverneur Geay, Chef du Territoire du<br />

Sénégal, vint le visiter. Au terme de cette visite, il exprime sa satisfaction et surtout ses<br />

encouragements, souhaitant que d'autres unités se multiplient dans la capitale ainsi qu'à<br />

l'intérieur du Sénégal. Même le gouverneur général manifeste son intérêt au projet en<br />

raison de la situation alimentaire des travailleurs, préoccupante à plus d'un titre. Bien<br />

sûr, des soucis de rentabilité des travailleurs - faibles physiquement comme le<br />

remarquaient les chefs d'entreprise - ne sont pas étrangers à la mise en place de ce<br />

projet.<br />

Cette expérience, n'eut pas une longue vie dans la mesure où les travailleurs<br />

des entreprises principales de la ville s'en détournèrent. A leurs yeux, les coûts des repas<br />

ne sont pas en rapport avec leurs salaires et leurs responsabilités sociales. Pour eux,<br />

manger au restaurant communautaire ne dispense en rien de donner "la quotidienne" à<br />

la maison. De ce point de vue, cette dépense pour acheter un repas au restaurant<br />

communautaire fait, en fait, double emploi et surtout, dépasse largement leurs moyens.<br />

Pour ces travailleurs, les salaires étaient déjà jugés insuffisants.<br />

Les 6 catégories de salaires, fixés le 1 er février 1948, donnent, pour ces<br />

Africains, manoeuvres dans leur grande majorité, donc aux 1 ere et 2 eme catégories ll<br />

enF.CFA:<br />

Catégorie Salaire horaire journalier mensuel<br />

1ere 10 80 2080<br />

2eme 12,2 97,20 2527,5<br />

Ces salaires comprenaient aussi la nourriture comme le spécifiaient la<br />

commission consultative du travail ainsi que la commission mixte ayant fixé ces salaires<br />

après consultation. La commission consultative avait aussi arrêté les tarifs des rations<br />

alimentaires au taux de 10 F par repas ou 20 F par jour selon que l'entreprise assurait<br />

10. Marchès coloniaux, N"332 du 22 mars 1952.<br />

11. Marchès coloniaux N"317, 7 février 1948.<br />

329


partiellement ou intégralement la nourriture fournie à ces travailleurs indigènes de la<br />

capitale. On remarque, dans ces conditions, qu'un travailleur de la première catégorie,<br />

pour avoir un repas, devait débourser l'équivalent d'une heure de travail: 10 F le repas<br />

= 10 F l'heure de travail. Avec deux repas journaliers, il devait dépenser 600 F<br />

mensuellement soit 1/3 de son salaire. Dans cette situation, il apparaît évident que le<br />

travailleur indigène ne pouvait pas manger à la cantine de son entreprise sinon il<br />

compromettait davantage la précarité de sa situation dans la mesure où plusieurs de ses<br />

dépenses étaient incompressibles: loyer, transport...<br />

Dans une étude sur la restauration en tant que secteur informel, Made B.<br />

Diouf 12 remarque qu'autour de toutes les grandes unités industrielles de Dakar, les<br />

travailleurs africains se restauraient auprès des gargotières africaines. Les prix pratiqués<br />

par celles-ci étant davantage à la portée des travailleurs et ceci d'autant plus que les<br />

possibilités de paiement étaient diverses: par semaine, par quinzaine ou par mois. Made<br />

B. Diouf montre que cette forme de restauration était aussi vieille que l'industrie<br />

dakaroise.<br />

Dans ces conditions, l'opération des restaurations communautaires ne<br />

pouvait se solder que par un échec parce qu'elle ne tenait pas compte du pouvoir<br />

d'achat réel du travailleur indigène. Le couple alimentation - salaire restait infernal<br />

pour les travailleurs indigènes de Dakar. Par exemple, pour les personnels domestiques<br />

et gens de maison, l'étude réalisée par Le Divelec Broussous 13 , montre que pendant la<br />

période 1945-1958, sur la base de l'indice 100 en 1945, la progression des salaires avit<br />

été de 466 pour les domestiques et 574 pour les gens de maison. Le coût de la vie avait,<br />

été quant à lui nettement le double dans la même période. Pour Régine N'guyen Van<br />

Chi Bonnardel 14 citant des résultats d'enquêtes menées à Dakar en 1961, l'alimentation<br />

représentait plus de la moitié -exactement 56 % - des budgets familiaux de la ville.<br />

Mais la faiblesse des salaires n'était pas le seul facteur de dégradation de la<br />

situation alimentaire dans la ville. En effet, la spéculation par le marché noir, jouait<br />

aussi un rôle très néfaste puisque les produits de première nécessité : riz, sucre, huile<br />

etc... furent l'objet de spéculation parfois très forte en certaines circonstances.<br />

Un rapport de l'administration, en 1955, souligne «Un autre aspect décevant<br />

de l'action engagée par le contrôle des prix, se révèle dans la vente du riz à Médina. ..<br />

Constamment, le contrôle aura à intervenir pour les raisons suivantes:<br />

al les prix réglementaires ne sont pas respectés par les petits commerçants<br />

(maures en général) que s'il y a présence effective des contrôleurs. Dès que ceux-ci quittent,<br />

ily a retour à la majoration.<br />

12. Dakar et son secteur informel: étude des restaurations de la zone industrielle, 1979.<br />

13. Les salaires en AOF, p.55.<br />

14. La vie de relations..., 1976, p.243.<br />

330


lLe petit commerçant est-il en mesure de respecter les prix fixés? la pratique<br />

généralisée de la vente à crédit est, à lui seulfacteur de hausse. ))15<br />

Ce rapport étalait, en fait, au grand jour la permanence de la spéculation. Un<br />

constat identique était établi par le service de la répression des fraudes et poids et<br />

mesures. En 1956, il avouait son incapacité totale à faire correctement sont travail à<br />

cause de l'insuffisance notoire de ses moyens humains et matériels. Le rapport insistait<br />

sur le fait que cette situation perdurait depuis de nombreuses années 16 .<br />

Des organes de la presse dakaroise n'étaient pas en reste sur cette<br />

dénonciation de la spéculation et du marché noir à Dakar pendant la période.<br />

"Momsarev,,17 écrit « Tout le monde se plaint. Le bon riz manque. Il fait l'objet d'une<br />

inadmissible spéculation de la part des grosses maisons importatrices et des Libano­<br />

Syriens... Ainsi fleurit une spéculation lucrative qui pèse lourdement sur le coût de la vie et<br />

aggrave les conditions des petits salariés )). En somme, une situation alimentaire précaire<br />

pour les larges couches de la population indigène de la capitale fédérale.<br />

11/ L'ALIMENTATION DES EUROPEENS<br />

Dans l'ensemble, cette partie de la population ne connaissait pas le chômage.<br />

En 1953, par exemple, le Chef de la Sûreté Locale signale 200 Européens résidant dans<br />

la ville et se trouvant sans emploi. La chose était présentée comme "particulière" par le<br />

rapport annuel de la Délégation.<br />

Dans son étude sur le groupement européen de Dakar, Paul Mercier fait<br />

apparaître une situation de plein emploi dans cette partie de la population, même dans<br />

sa composante féminine : « Le nombre de salariées européennes représente, dans<br />

l'ensemble de la population non autochtone, en 1951, 16 % de la population active contre<br />

30 % en métropole et 14 % pour le reste de l'AOF))18. Non seulement ces Européennes<br />

travaillent, mais leurs salaires sont relativement importants pour permettre d'assurer le<br />

maintien d'un standing de "Blanc,,19. Le salaire du mari était thésaurisé pour le retour<br />

en métropole. Mercier remarquait que c'était dans les couches les moins favorisées que<br />

l'épouse travaillait pour apporter un deuxième salaire.<br />

Parlant de la vie alimentaire des Européens de Dakar, Pierre Biarnès<br />

constate: « On se recevait beaucoup, et l'on mettait alors les petits plats dans les grands,<br />

avec inévitablement du veau, du fromage et de la salade de France importée par avion...))20.<br />

15. Rapport 2G 55-119, Délégation de Dakar.<br />

16. Délégation, rapport 2G 56-86.<br />

17. N°lO.<br />

18. P. Mercier, Le groupement européen... op. ciL, p.139<br />

19. Expression de P. Mercier et P. Biarnès.<br />

20. P. Biarnès, Les Français en Afrique... op. cit., p.321<br />

331


Pierre Richard, lui aussi, ayant largement séjourné à Dakar, souligne la place<br />

très importante de ces dîners et cocktails dans l'élément européen de la population 21 .<br />

En effet, dans une ville où, selon Pierre Richard, le pourcentage d'Européennes au<br />

volant d'une voiture est le plus élevé, à coup sûr, l'alimentation n'était certainement pas<br />

une préoccupation pour la population européenne. Même dans les pires années<br />

immédiates de l'après-guerre, non seulement les travailleurs avaient des salaires<br />

substantiels, mais ils bénéficiaient même de fourniture en nature comme l'eau, la glace,<br />

l'électricité, tout ceci à des tarifs dérisoires dans les cas où il y avait retenue sur ces<br />

prestations.<br />

La population européenne de Dakar disposait d'une alimentation suffisante<br />

et de qualité. Son poids dans les importations était marquant. Les Comptes<br />

Economiques de l'AOF, pour l'année 1959, montrent que 15.000 familles européennes,<br />

installées au Sénégal, pesaient, à elles seules pour 12 milliards de F CFA sur 87,2<br />

milliards dans la consommation. Dans ce total, la moitié représentait les importations.<br />

La Situation Economique de l'année 1956 avait déjà fourni des indications<br />

presque identiques. Sur la base de cette consommation, une comparaison est possible :<br />

consommation européenne: 12 milliards de F CFA pour 15.000 familles européennes:<br />

- Moyenne de consommation par famille européenne<br />

Rapport = 12.000.000.000 = 800.000 F CFA<br />

15.000<br />

Consommation des 4 - Moyenne de consommation par famille africaine<br />

Consommation des 435.000 familles africaines: 75.200.000.000 F.CFA<br />

75.200.000.000 = 172.000 F CFA<br />

435.000<br />

Le rapport entre les deux moyennes de consommation permet de conclure<br />

qu'une famille européenne équivalait à 4,6 familles africaines. Une famille européenne<br />

large comprenait 4 personnes (père, mère et deux enfants). Une famille africaine était<br />

constituée au moins du double, c'est à dire 8 personnes en moyenne. En somme, pour<br />

une personne européenne =<br />

800.000 = 200.000 F.CFA<br />

4<br />

Pour une personne africaine =<br />

172.000 = 21.000 F.CFA<br />

8<br />

21. P. Richard, Revue Internationale de la FOM, Mai 1957.<br />

332


C'est dire que la consommation d'un Européen représentait en moyenne celle de dix<br />

Africains.<br />

Négativement, le poids de la consommation de l'élément européen se faisait<br />

ressentir comme le remarquait l'hebdomadaire "Marchés coloniaux,,22 : « La fédération<br />

de l'AOF reçoit plus de la moitié de ses importations de la métropole... Ce qui explique en<br />

partie, le coût de la vie qui n'a cessé d'augmenter car, en métropole, la hausse des prix est<br />

considérable ».<br />

Léon Palès note aussi les effets néfastes de ces importations alimentaires,<br />

surtout pour la capitale fédérale: « Dakar est dans une région naturelle où la culture<br />

industrielle de l'arachide a considérablement réduit les cultures vivrières... Le déficit en<br />

légumes et fruits n'arrive pas à être comblé malgré les importations d'Europe et des<br />

territoires voisins. »23 Dans ces importations en provenance de la métropole, le blé<br />

occupait une place de choix. Or pour Leon Palès « Le pain, malgré son prix élevé a un<br />

succès considérable et qui va croissant. La bonne nutrition et l'économie africaine ont peu à<br />

y gagner »24.<br />

III/ IMPORTATIONS ET ALCOOLS<br />

Dans le cadre des importations, un aspect particulier était celui des boissons<br />

alcoolisées. Cette question mérite un développement dans la mesure où diverses sources<br />

en dégagent le caractère néfaste pour les populations indigènes particulièrement. Le<br />

Chef de la Mission Anthropologique écrivait: «Les Africains consomment des boissons<br />

dont les alcools d'importation contre lesquels une campagne légitime s'est récemment<br />

engagée »25.<br />

En juin 1951, René Reive, dans un poème publié par "Horizons Africains",<br />

parlait des gens de la Médina qui ne rêvent que de digèns (femmes) et d'alcool.<br />

Un autre organe de la presse, "Echos d'Afrique Noire", posait, en juillet 1950<br />

à ceux qui prônaient la fin des importations d'alcool, la question de savoir ce que les<br />

caisses de "Pernod et fils", "Cinzano", "Whisky" etc deviendraient sans leur utilisation<br />

dans les habitations indigènes. Par là, le journal satirique dakarois ironisait qu'on ne<br />

pouvait pas se passer de l'importation de ces alcools dans la mesure où non seulement<br />

l'alimentation était satisfaite, mais également l'habitation.<br />

Le journal des étudiants africains en métropole s'alarmait de la progression<br />

importante de la consommation d'alcool. "L'Etudiant d'Mrique Noire" montrait<br />

22. N° du 13 mars 1948.<br />

23. Uon Palès, op. cit., p.142<br />

24. Ibidem, p.142<br />

25. Ibidem, p.307<br />

333


qu'entre 1938 et 1951, les exportations d'alcool de la métropole vers les territoires<br />

avaient été multipliés par 9 en AOF, 23 en AOF, 12 au Togo et 19 au Cameroun.<br />

En tonnages, pour l'AOF :<br />

Années Vins et Apéritifs Eau de vie et liqueurs<br />

1938 2238 tonnes 108 tonnes<br />

1951 13.969 tonnes 2214 tonnes<br />

Pour les étudiants africains, cette hausse vertigineuse n'était rien d'autre<br />

qu'une "politique délibérée d'alcoolisation" des populations 26 , entreprise par la<br />

domination coloniale. Pour prouver le bien fondé de cette information, le journal des<br />

étudiants se référait à une publication de la presse parisienne "Afrique Information"<br />

d'avril 1954 d'où il puisait les chiffres utilisés ci-dessus.<br />

Le journal "Afrique Noire", aussi, s'inquiétait de la progression des<br />

importations d'alcool. A plusieurs reprises, il avait publié des articles sur la question. En<br />

mai 1954, Guy Etcheverry titre : "Les ravages de l'alcool en Afrique Noire". Le<br />

rédacteur en chef se fait l'écho du cri d'alarme qu'il entend de partout. «Ainsi, les<br />

assemblées territoriales s'emparent de la question et expriment une vive inquiétude devant la<br />

prodigieuse ascension des importations d'alcool. C'est ainsi que l'Assemblée territoriale du<br />

Sénégal a adopté un voeu... tendant à engager le territoire dans une lutte énergique contre<br />

l'alcoolisme »27. Il constate la multiplication des cas de mort subite, de cécité partielle<br />

ou totale, de débilité physique propice à la tuberculose etc... tout cela à cause de la<br />

consommation sans cesse croissante d'alcool. Pour le journal, la campagne dans laquelle<br />

il s'engageait n'était pas solitaire puisque d'autres journaux comme "Afrique Nouvelle",<br />

"Horizons Africains" avaient mis en évidence le danger que représentait cet<br />

accroissement de la consommation en Afrique Noire et que les autorités coloniales<br />

avaient été particulièrement dénoncées comme responsable de cette politique<br />

d'alcoolisation par les étudiants musulmans d'Afrique noire. En effet, le congrès<br />

constitutif de leur association, A.M.E.A.N, dans le Manifeste adopté au terme de 4 jours<br />

de travaux, s'exprime ainsi: « Ils (les étudiants musulmans) s'alarment en constatant que<br />

malgré le nombre particulièrement important de musulmans en Afrique noire, et malgré les<br />

dispositions coraniques, la France déverse, sans scrupule, des milliers de tonnes de vins et de<br />

boissons alcoolisées sur les territoires d'outre-mer ».<br />

26. "L'Etudiant d'Afrique noire", Juin 1954<br />

27. "Afrique noire", 31 mai 1954<br />

334


L'A.M.E.A.N affirme que : « La politique d'alcoolisation des populations<br />

d'Afrique noire les touche profondément car elle met déjà sérieusement en danger l'existence<br />

de la race et favorise une transgression malencontreuse d'un impératifcoranique. »28<br />

Le géographe Richard Mol(ilrd s'inquiéte également de cette politique<br />

d'alcoolisation dans une série d'articles publiés par le Bulletin de l'IFAN en 1950 et<br />

1951. Dans l'un de ses articles, il rapporte les écrits d'un reporter du "Figaro" ayant<br />

parcouru l'Afrique Noire Française: « Tous les moyens, politiques, et autres sont bons<br />

pour mettre à la raison un gouverneur général qui tenterait de les contrer ». Le reporter<br />

désigne ainsi les vrais responsables de cette politique d'alcoolisation : le grand<br />

commerce. Le professeur Richard Molard n'en distinguait pas moins d'autres<br />

responsables même s'ils étaient secondaires : « Les Assemblées territoriales parce que<br />

parmi les recettes douanières, les alcools d'imporlations sont forl considérables. »29 Une<br />

voix célèbre, celle de l'agronome René Dumont, condamnait aussi l'alcoolisation des<br />

populations en constatant qu'en 1951, l'AOF importait 15 fois plus d'alcools qu'en 1938.<br />

Sur la base de l'année 1953, il donnait, à titre d'exemple,les chiffres suivants: «L'alcool<br />

représentait 8 % des imporlations de la Côte d'Ivoire, 9,6 % de celles du Dahomey»30.<br />

En plus des journaux, les organisations de jeunesse, les partis politiques, les<br />

organisations syndicales, les personnalités etc avaient fortement élevé la voix pour faire<br />

entendre leurs critiques. En métropole aussi, des politiques, des artistes, des hommes de<br />

sciences et de culture, des milieux religieux etc s'étaient joints à la condamnation de la<br />

progression de l'alcoolisation en Afrique.<br />

Devant ce concert de protestations d'origines diverses, les autorités<br />

gouvernementales furent mêmes obligées d'intervenir. Un décret, en date du 14<br />

septembre 1954, manifestait une volonté de lutter contre la progression des importations<br />

d'alcools en Afrique Noire et dans les TOM. Mais les grands milieux d'affaires<br />

exprimèrent leur opposition à cette réglementation particulière contre les importations<br />

d'alcools. Ainsi, lors de la réception offerte en l'honneur de Robert Buron, ministre de<br />

la FOM de passage à Dakar, ces grands milieux d'affaires locaux s'opposèrent<br />

ouvertement au décret. En effet, dans son discours - le président Charles Tascher étant<br />

absent - M. B Dubois, intérimaire, avait, au nom de son assemblée, exprimé leur<br />

position en ces termes:


gouvernementale (de Paris et aussi de Dakar) n'aurait pour résultat, qu'un<br />

accroissement du coût de la vie, des pertes importantes pour le fisc alors que le mal<br />

persisterait et même s'aggraverait. A la place de cette action, le porte-parole des milieux<br />

d'affaires suggérait plutôt de mener « une action d'éducation des jeunes et une action sur<br />

le plan psychologique, lesquelles actions fourniraient le meilleur remède. »Dans sa réponse,<br />

Robert Buron n'avait pas été insensible aux arguments des milieux d'affaires locaux. «<br />

La quantité d'alcool introduite dans les territoires d'Afrique noire a été sans cesse en<br />

accroissement dans les dernières années... Je suis d'accord avec vous... C'est que la lutte<br />

contre l'alcoolisme ne peut être seulement une question de réglementation; elle est aussi un<br />

état d'esprit. C'est une question de propagande, de formation ».<br />

La concordance de vue entre le ministre, haut responsable de l'AOF et les<br />

milieux d'affaires dakarois était manifeste. De ce fait, il était fort probable que Paris ne<br />

fasse effectivement pas grand chose pour arrêter ce déversement croissant d'alcool vers<br />

l'Afrique Noire. Dans les faits, ce que le président M.B. Dubois appelait "réserves"<br />

n'était rien d'autre qu'une opposition totale et ouverte à toute entrave à l'élargissement<br />

des importations d'alcool dans l'étendue de la Fédération.<br />

On remarque, entre 1954 et 1960, la permanence des dénonciations de la<br />

politique d'alcoolisation des populations. C'est bien la preuve que des quantités<br />

croissantes de ce produit continuaient à arriver en Afrique Noire. Les intérêts du grand<br />

commerce l'emportaient donc sur ceux des populations. Il en résultait une certaine<br />

précarisation de l'alimentation et de la santé des populations africaines.<br />

La question de savoir si la partie européenne de la population était<br />

négativement touchée par cet accroissement constant des importations et de la<br />

consommation ne manque pas d'intérêt. Pierre Richard, Paul Mercier, Pierre Biarnès,<br />

Léon Palès sont unanimes à indiquer la place de choix des alcools dans les multiples<br />

réceptions, dîners, cocktails etc dans les milieux européens de la capitale fédérale.<br />

Toutes ces sources sont aussi unanimes à dire qu'il s'agissait d'alcools importés. Par<br />

contre, aucune de ces sources ne parle explicitement d'aspects négatifs de cette<br />

consommation sur ce groupe de population.<br />

Un auteur africain, Sembéne Ousmane, nous en donne une idée dans un<br />

roman à grand succès 32 . Il décrit un Européen toujours ivre, s'introduisant dans les<br />

villas cossues réservées au personnel européen dans un quartier spécialement conçu par<br />

la direction de la Régie des chemins de fer. Cet homme se heurte à un ostracisme<br />

général de la part des Européens de Thiès. Si ce milieu en question n'accepte pas cet<br />

homme, ivre en permanence, ce n'est pas à cause de son alcoolisme mais bien à cause<br />

des idées anticoloniales que l'intéressé véhicule partout dans les "cercles blancs" où<br />

pourtant il n'est jamais convié mais il impose sa présence.<br />

32. Les bouts de bois de Dieu, 1960.<br />

336


Ces Européens avaient déjà une certaine familiarité avec l'alcool avant<br />

d'arriver en Afrique Noire. Il en résulte que ses effets semblent ne pas avoir été aussi<br />

néfastes pour eux; par contre sur les Africains pas ou peu habitués aux boissons<br />

alcoolisées, la consommation des alcools importés faisait des ravages.<br />

337


INDICATIONS SUR LA CONSOMMATION A DAKAR<br />

1) production maraîchère (Janvier à Mai 1957)<br />

Produit<br />

Choux<br />

Salades diverses<br />

Courges<br />

Carotte<br />

Tomate<br />

Aubergine<br />

Haricots verts<br />

Poireaux<br />

Pommes de terre<br />

Celeri<br />

Navet<br />

Choux fleurs<br />

Concombres<br />

Oignons verts<br />

Betterave<br />

Poirée<br />

Divers<br />

TOTAL<br />

Presqu'île.<br />

Quantité/T<br />

4000<br />

3000<br />

2100<br />

2000<br />

2000<br />

1600<br />

1000<br />

1000<br />

1000<br />

800<br />

800<br />

500<br />

400<br />

400<br />

300<br />

200<br />

500<br />

21.600 tonnes entièrement consommées dans la<br />

2) Arachide: 1.500 à 2.000 tonnes annuellement ( produites et consommées sur place).<br />

3) Pêche:<br />

- artisanale : 20 tonnes de poissons sont vendues chaque jour sur les marchés de Dakar.<br />

- industrielle du thon: largement exportée vers la France. Seule une faible part est<br />

consommée sur place.<br />

Années Production/T<br />

1955/56 1.300<br />

1956/57 6.000<br />

1957/58 9.000<br />

338


4) Viande: les abattoirs de Dakar traitent annuellement:<br />

35.000 boeufs, 40.000 moutons, 6.000 porcs et 1400 chevaux<br />

5) Les autres besoins de la presqu'île (viande, produits laitiers, farine etc... doivent être<br />

couverts par les productions des régions environnantes ou de France.<br />

6) En huile, boissons diverses (limonade, bière...), biscuits, chocolats, confiserie, pain<br />

etc... les industries alimentaires nombreuses dans la ville couvrent largement les besoins<br />

locaux et même de la Fédération.<br />

7) Le mil est largement consommé dans le milieu indigène de Dakar où en règle<br />

générale, cette céréale est la base du repas du soir. Le tonnage de la consommation<br />

reste difficile à connaître au niveau de la ville dans la mesure où il provient de<br />

l'intérieur du Sénégal et souvent hors circuits commerciaux.<br />

8) Le riz, tout comme le mil est avant tout consommé par les milieux africains. Certes<br />

une faible production locale alimente les circuits commerciaux mais avant tout, il est<br />

importé par les soins de l'administration coloniale, à partir d'Indochine.<br />

339


CHAPITRE IV : SANTE, PROPRETE ET SECURITE<br />

Il SANTE ET PROPRETE<br />

1) La santé<br />

La lecture de la presse dakaroise et diverses sources administratives<br />

dépeignent à quel point la situation sanitaire était précaire dans la ville.<br />

Les investissements dans le domaine de la santé étaient chiffrés par la<br />

Chambre de Commerce, pour la période 1948-1958, pour l'ensemble de l'AOF, et du<br />

Sénégal 1 , tout comme de Dakar, de la façon suivante:<br />

- pour l'AOF pendant le 2 eme plan du FIDES, c'est à dire de 1953 à 1957;<br />

4,752 milliards ainsi répartis:<br />

* ressources locales: 1,663 milliards<br />

* section générale du FIDES: 0,052 milliards<br />

* section locale du FIDES: 3,037 milliards.<br />

- Pour la ville de Dakar, pendant toute la période des 1 er et 2 eme plan allant<br />

de 1947 à 1957, la masse totale des investissements en matière de santé s'élevait à 586<br />

millions de F CFA. A titre de comparaison, la ville de Kaolack, capitale du bassin<br />

arachidier sénégalais, recevait, dans la même période la somme de 65 millions dont<br />

l'essentiel était destiné à la construction d'une formation sanitaire 2 .<br />

La revue "Présence africaine" faisait remarquer que les priorités accordées<br />

dans la politique des investissements, par le FIDES, étaient loin d'aller dans le sens de<br />

la lutte contre les maladies tropicales et contre l'analphabétisme. La rédaction de cette<br />

revue chiffre à 17 % des sommes globales affectées à ces aspects sociaux contre 83 % à<br />

la défense. Au total, 5,7 milliards allaient à la santé et à l'enseignement des TOM ,soit<br />

exactement le montant des investissements en direction de la seule gendarmerie 3 . Pour<br />

l'organe de presse, il ne pouvait en être autrement dans la mesure où le secteur social<br />

apparaissait très secondaire dans les préoccupations coloniales. Le journal se référait à<br />

des propos tenus par Bernard Cornut Gentille, Haut Commissaire, gouverneur général<br />

de l'AOF, à Paris, devant le Comité Supérieur de la FOM, à savoir que: « L'impératifde<br />

progrès économique paraît devoir être limité par les impératifs de la défense nationale. »<br />

Ces données confirmaient simplement les faits : la faiblesse des<br />

investissements dans le domaine de la santé en AOF. Pour la ville de Dakar, le docteur<br />

Moustapha Diallo, ancien président de l'AGED, remarquait que, entre 1945 et 1960,<br />

1. C.CA.I, Synthèse de la situation économique, p.221<br />

2. Ibidem, p.236<br />

3. "Presence Africaine" Fév-Mars 1957<br />

340


- Centre hospitalier de Fann (en voie d'achèvement avec 1000 lits)<br />

Au total général (civils et militaires), la ville de Dakar disposait de 2275 lits.<br />

L'état-major indiquait également que 3 cliniques chirurgicales étaient en<br />

chantier sous l'égide de l'armée.<br />

Pour apprécier correctement l'état de couverture sanitaire de la population,<br />

il faut se rappeler que l'hôpital Principal était exclusivement réservé à une infime partie<br />

de la population : les Européens et les fonctionnaires africains des hauts cadres, peu<br />

nombreux. Par contre, les Africains ordinaires devaient se contenter de l'hôpital Aristide<br />

Le Dantec. D'où cette distinction ancrée dans la mentalité de la population: hôpital des<br />

"Toubabs" d'une part et hôpital africain d'autre part.<br />

La revue "Présence Africaine" traduisait cette distinction en montrant qu'il y<br />

avait une ségrégation raciale ou par l'argent. Les facultés financières des populations<br />

respectives obligeaient les Africains à se contenter des dispensaires mal propres et<br />

insuffisants. Par contre, les Européens étaient admis dans des hôpitaux propres, bien<br />

équipés, avec un personnel compétent et vanté par les actualités cinématographiques 6 .<br />

Parlant de cette couverture sanitaire en termes de capacité d'accueil, le journal "Réveil"<br />

considérait qu'il y avait en moyenne 1 lit pour 500 personnes7. Le journal passait en<br />

revue la situation de l'hôpital indigène en ces termes: «A la maternité, la situation est<br />

inquiétante. Les femmes sont obligées, faute de place, de rentrer chez elles le deuxième jour<br />

de leur accouchement ». "Réveil" expliquait cette situation comme le résultat des diverses<br />

modifications opérées sur les locaux : «A la première division, sur 55 lits, 30 ont été<br />

supprimés et la place qu'ils occupaient antérieurement, aménagée en bureaux. A la<br />

deuxième division, il y a transformation complète. Il n'y a plus que des employés européens,<br />

de la dactylo au patron, et chacun a son bureau propre. C'est dire qu'il y a très peu de<br />

places... base d'une spéculation de toute sorte ».<br />

Cet aspect de la situation de la maternité de l'hôpital indigène était confirmé<br />

par un rapport administratif de la Délégation: « Le trop bref séjour des malades dans<br />

notre service, 3 jours en moyenne, ne nous permet guère, au demeurant, d'observer ·la<br />

plupart des maladies endémiques »8. Le docteur Paul Corréa qui signait cette partie<br />

relative à la maternité dans le rapport d'ensemble de l'hôpital, montrait plus loin la<br />

permanence de cette situation par ces termes : « Les grandes lignes que nous avions<br />

exposées dans notre précédent rapport restent valables. Notre situation en personnel et en<br />

matériel ne s'est point améliorée en 1955». Dans la division "Analyses médicales et<br />

recherches pathologiques", le chef, dans son rapport, soulignait : « Tous les jours, on<br />

refuse du monde faute de place ».<br />

6. "Présence Africaine", Fév-Mars 1957<br />

7. "Réveil" n04, Janvier 1954<br />

8. Affaires politiques AOF, A.N.S, Rapport 2G 55-65,1955<br />

342


Le service d'oto-rhino pharyngologie et d'ophtalmologie exprimait une<br />

situation plus préoccupante encore : « Il est curieux qu'un service comme le nôtre n'ait<br />

connu, depuis sa création, qu'une sorte de dédain et d'abandon. » Le docteur Amoussou,<br />

chef de la division de psychiatrie de l'hôpital indigène, exprimait une indignation aussi<br />

virulente par ces mots : « Comme si rien de cette division ne devait être pris au sérieux...<br />

Les rapports précédents restent sans suite». Parlant des malades, il ajoutait: « Dans cette<br />

enceinte ignoble, vivent pourtant des hommes et des femmes sans distinction de sexe.<br />

L'indispensable même leur est refusé: une natte de jonc pour se coucher... Tels des chiens<br />

enragés, jour après jour, ils vivent impuissants ces scènes dramatiques qui les conduisent,<br />

inexorablement, au rang d'animaux ». La situation n'est bonne nulle part dans l'hôpital<br />

indigène puisque le service de pédiatrie signalait qu'il y avait une infirmière pour 20<br />

enfants alors qu'en métropole, la moyenne était d'une infirmière pour 4 enfants.<br />

Dans sa partie "Synthèse", le rapport général sur la situation de l'hôpital<br />

indigène, pour l'année 1955, ne dégageait autre chose que les négligences et le laisser<br />

aller. « Tout ce qui a été dit dans nos rapports précédents, depuis dix ans, reste de plus en<br />

plus valable... La capacité hospitalière de Le Dantec n'a pas suivi la course ascendante de<br />

la population de Dakar. Une rupture d'équilibre - si jamais il avait existé - s'en est suivie ».<br />

Expliquant les facteurs d'encombrement au niveau de l'hôpital indigène, le rapport en<br />

retenait, principalement, deux: « - La ville de Dakar manque d'asiles pour accueillir les<br />

chroniques et les incurables. Ceux-là, ramassés par la police - très souvent - sont conduits<br />

automatiquement sur Le Dantec et ils y réduisent le nombre de places disponibles pour les<br />

maladies aiguës.<br />

- Le Dantec reçoit quantité de malades étrangers à Dakar venant de territoires<br />

quelque fois très éloignés ».<br />

Parlant du personnel, le rapport insistait sur son dévouement tout en faisant<br />

ressortir qu'il était débordé et surmené. Le rapport se terminait en ces termes: « J'attire<br />

à nouveau l'attention sur cette situation particulièrement défavorable dans un hôpital<br />

d'enseignement ».<br />

En somme, ce rapport était particulièrement intéressant comme descriptif de<br />

l'hôpital indigène de la ville. Les synthèses partielles, tout comme la synthèse générale,<br />

dépeignaient une situation grave et qui n'était pas nouvelle. Cette situation révélait des<br />

crédits dérisoires, des locaux: non entretenus, un personnel qui fait défaut<br />

qualitativement comme quantitativement, un nombre de places insuffisant, des malades<br />

pas toujours acceptés, des séjours trop brefs pour les malades hospitalisés, un niveau de<br />

guérison problématique etc... Cet hôpital était, pourtant, un centre d'enseignement<br />

universitaire pour les élèves infirmiers, les sages-femmes et les étudiants de l'école de<br />

médecine de l'Institut des Hautes Etudes de Dakar.<br />

Dans cette situation d'ensemble, quelle pouvait être la signification exacte<br />

des chiffres donnés par le rapport ?<br />

343"


Nombre de lits = 917<br />

hospitalisés = 14.078<br />

journées d'hospitalisation = 333.780<br />

consultants = 21.215<br />

Le moins que l'on puisse dire dans ce contexte, est que la santé des indigènes<br />

était, en fait, laissée pour compte par l'administration coloniale. Surtout, à la lumière de<br />

la comparaison des situations entre les hôpitaux pour Indigènes et pour Européens.<br />

En effet, l'hôpital Principal de Dakar avait été créé en 1920 sous le nom<br />

d'''Ambulance de Dakar" et entrait dans le cadre d'un ensemble d'hôpitaux mis en place<br />

au Sénégal, au début du siècle, à Saint-louis, Gorée et Rufisque. A l'origine de ces<br />

hôpitaux militaires, il y avait l'application d'une ordonnance royale du 15 août 1681 pour<br />

recevoir les officiers et les soldats qui tomberaient malades. Le développement rapide<br />

de la population européenne de la ville de Dakar, au début du siècle surtout, expliquait<br />

l'importance du développement de cet hôpital, essentiellement grâce à la politique<br />

d'investissement du FIDES dans les années 50. L'hôpital était placé sous administration<br />

militaire et hospitalisation civile. Son personnel était essentiellement composé de<br />

militaires et de civils français. On notait aussi des religieuses de diverses nationalités,<br />

des Françaises en majorité. Quant au personnel subalterne, il était constitué<br />

d'autochtones.<br />

Contrairement à l'hôpital indigène, Principal ne recevait pas d'indigènes. Ne<br />

pouvaient y accéder que des militaires, des fonctionnaires des hauts cadres et ceux qui<br />

pouvaient payer eux-mêmes les frais. Les militaires admis, étaient entièrement pris en<br />

charge par leur armée. Pour les fonctionnaires, l'admission s'y faisait sur la base<br />

d'imputations budgétaires pour lesquelles le 1/4 des frais était à leur charges et les 3/4 à<br />

la charge de l'administration. Quant aux particuliers, leurs dépenses leur étaient<br />

totalement imputées. La durée minimale d'admission pour laquelle, au préalable, ils<br />

devaient s'acquitter des 60 % du montant était de 5 jours.<br />

L'Etat-Major donnait, pour cet hôpital, un chiffre de 300 lits en 1959, à quoi<br />

s'ajoutait un chiffre presque équivalent de 297 lits sous administration militaire dans les<br />

diverses infirmeries des armées, soit 597 lits au tota1 9 .<br />

Dans sa thèse de doctorat de médecine consacrée à cet hôpital, Marne<br />

Thierno Aby Sy donnait le chiffre de 562 lits pour l'année 1968, c'est à dire dix ans plus<br />

tard10. Cette source indiquait pour l'année 1960, 175.298 journées d'hospitalisation. Le<br />

chiffre de 1959 était de 173.460. Le taux moyen d'hospitalisation était évalué à 89,4% et<br />

le taux de non occupation seulement de 1,6 %. D'autres paramètres comme celui de<br />

l'occupation/population, étaient dégagés par ce travail universitaire. Pour le Cap Vert,<br />

9. Fiche 21.<br />

10. Marne Thierno Aby Sy, l'hôpital Principal de Dakar: contribution à l'élaboration d'une doctrine hospitalière<br />

sénégalaise, 1971, p.44.<br />

344


l'indice lit/population se situait à 5,92 lits pour 1.000 habitants. Pour l'hôpital Principal,<br />

cet indice était seulement 1,85 lit pour 1.000 habitants.<br />

Ces chiffres étaient donnés pour la période post coloniale. Cependant, dans<br />

une large mesure, ils traduisaient bien la situation des années 50 puisque, de ce point de<br />

vue, les choses n'avaient pas beaucoup changé. Peut-être même avait -elle empiré en<br />

raison de l'accroissement de la population par rapport à la capacité hospitalière de la<br />

ville.<br />

2) Hygiène et propreté.<br />

Ce problème ne traduisait pas moins une situation préoccupante pour la<br />

période. Les rapports de l'administration ainsi que la presse dakaroise en apportaient<br />

des témoignages réels.<br />

Le rapport annuel du service d'hygiène de la Délégation, en 1956, qualifiait<br />

son personnel "d'insuffisant", ses crédits de "dérisoires" et son matériel technique de "très<br />

insuffisant". La carence des moyens logistiques n'était pas oubliée11. Pourtant cette<br />

structure était rattachée, depuis 1953 12 , à la direction générale de la santé publique de<br />

l'AOF mais constituée en organisme autonome. Ce rattachement avait pour objectif<br />

d'améliorer la situation de ce service, laquelle n'était pas brillante au moment où il<br />

dépendait de l'hôpital central indigène. Un autre rapport de ce même service, pour<br />

l'année 1957, montrait qu'aucune amélioration n'était notée par rapport à l'année<br />

d'avant. A propos du personnel, il appréciait: «Insuffisant et de qualification très basse ».<br />

La situation était analysée, pour les effectifs « 12 agents techniques de santé, 67 infinniers<br />

d 'hygiène alors qu'il en faudrait 100, 167manoeuvres alors qu'il en faudrait 250. »13 Quant<br />

aux crédits affectés au service, le rapport mettait particulièrement l'accent sur leur<br />

baisse vertigineuse et constante «Il faut signaler la diminution d'année en année de nos<br />

crédits de fonctionnement.<br />

1952 = 36.765.000 F CFA<br />

1953 = 23.900.000 F CFA<br />

1957 = 20.000.000FCFA<br />

1958 = 15.675.000 F CFA»<br />

Le rapport annuel du service d'hygiène de Dakar insistait sur le fait que la<br />

ville manque de lieu d'isolement en cas d'épidémie. Le service dégageait, dans ces<br />

conditions, toute responsabilité sur les conséquences fâcheuses qui pourraient en<br />

résulter en cas d'épidémie. Le rapport signalait que, suite à la diminution des crédits, la<br />

lutte anti-pestance avait particulièrement souffert depuis 3 ans.<br />

11. Rapport 2G 56-46, Institut d'hygiène sociale de Dakar, 1956.<br />

12. Arrêté N° 3553/SP/du 23 juillet 1953.<br />

13. A.N.S: 2G 57-33, Rapport d'ensemble de la Délégation de Dakar, 1957.<br />

345


"augias" qui devait aboutir à faire sortir la capitale de son lamentable état de saleté »22. Le<br />

journal notait la puanteur, les moustiques, la fumée, les tas d'ordures remués, les égouts<br />

aux odeurs pestilentielles etc...<br />

Le Conseil municipal de la ville se saisit lui-même de la question de façon<br />

permanente entre 1945 et 1960, prouvant ainsi qu'aucune solution adéquate et durable<br />

n'était trouvée. Dans une séance en date du 18 décembre 1950, le conseiller Paye Djigo,<br />

au sujet de la question du nettoiement de la ville, constatait: «Je vois que ça marche<br />

mal, surtout dans la Médina. les poubelles restent quelques fois 10jours sans être enlevées. »<br />

Un autre conseiller, Abbas Guèye, militant du B.D.S, refuse de s'associer à la majorité<br />

SFIO de l'instance, dans la campagne contre Maurice Voisin dont les articles étaient<br />

présentés comme racistes par plusieurs conseillers : « En cherchant les moyens de nous<br />

déban-asser de lui (Maurice Voisin), nous devons chercher les moyens de redresser notre<br />

municipalité... Nos mes sont sales... Notre personnel ne fait rien. »<br />

La question de la propreté de la ville constitua une pomme de discorde entre<br />

le Conseil municipal, à dominante SFIO, et le gouvernement de l'autonomie interne mis<br />

en place par le parti adverse, le B.P.S. En effet le gouvernement Mamadou Dia voulut<br />

placer le service de nettoiement de la ville, sous la responsabilité directe du ministère de<br />

l'intérieur. La municipalité opposa un refus catégorique au projet 23 . Une longue<br />

procédure s'engageait ainsi sur le problème des compétences, officiellement, même si<br />

d'autres raisons inavouées servaient de soubassement à l'argumentation, de part et<br />

d'autre. En tout cas, ce 24 janvier 1958, le débat était tranché par un vote. La majorité<br />

de l'institution refusa le transfert du service de nèttoiement de la ville, de la commune<br />

au ministère de l'intérieur. Pourtant la question n'était pas tranchée définitivement car<br />

même le camp socialiste de l'équipe municipale ne pouvait pas s'empêcher de constater<br />

qu'il y avait un problème sérieux à ce niveau. Dans ces conditions, dès le 5 avri11958, le<br />

Conseil plancha, à nouveau, sur la question. L'importance de cette séance est attestée<br />

par la longue intervention du maire ouvrant la séance : «Lorsque je me promène dans<br />

Dakar, même seul dans ma voiture [...J, j'ai de la peine à regarder devant moi et autour de<br />

moi, ces tas d'ordures. Cette saleté que les circonstances nous ont imposés à subir [...JLa<br />

ville n'est pas tenue aussi proprement qu'on l'aurait souhaité...» Insistant sur la taille de la<br />

ville, l'insuffisance des moyens de tous genres, le maire en arrivait à une proposition<br />

pour conclure: « Le Conseil Municipal, Après avoir entendu l'exposé de son maire...<br />

l'exécution du service du nettoiement des ordures ménagères et du nettoiement de la ville de<br />

Dakar sera confiée à l'entreprise (!!!). A cet effet, un appel d'offres devra être lancé... donne<br />

mandat à Monsieur le Maire... ».<br />

L'intervention du maire mais surtout sa proposition donnèrent lieu à un long<br />

débat au terme duquel un scrutin intervint. Sur les 37 membres du conseil municipal,<br />

22. "Afrique nouvelle" du 18 juillet 1958<br />

23. Délibération du 24 janvier 1958, Conseil Municipal de Dakar.<br />

347


seuls 24 étaient présents. Le vote donnait les résultats suivants: 22 voix pour, une voix<br />

contre et une abstention. La proposition du maire fut donc entérinée. Elle donna lieu,<br />

séance tenante, à la constitution d'une commission de 7 membres, chargée d'étudier les<br />

modalités pratiques de l'exécution et ceci sur la proposition du conseiller Abdoulaye<br />

Fofana 24 . La mise à exécution de ce projet ne fut pas immédiate car plusieurs réunions<br />

convoquées à cet effet ne purent se tenir, faute de quorum. Ceci, parce que des<br />

événements très importants occupaient la scène politique : ceux d'Alger et leurs<br />

répercussions en métropole et à Dakar.<br />

Bien après le Référendum, le conseil municipal put se réunir, pour reprendre<br />

la question. En sa séance du 30 octobre 1958, Diaw Djibril, adjoint au maire,<br />

responsable du nettoiement, fit l'exposé sur la situation de son service, avec, à l'appui,<br />

des chiffres, tant pour le personnel que pour les moyens matériels disponibles.<br />

Années 1951 1958 En moins<br />

bennes 160 121 39<br />

Personnel<br />

alayage 625 275 350<br />

Total 785 396 389<br />

Au résultat, l'adjoint délégué au nettoiement montrait que cette diminution<br />

des effectifs humains et matériels, était lourde de conséquence pour une tâche aussi<br />

immense, la ville étant si grande. Il montrait, en termes très nets, que cette diminution<br />

avait été imposée à la Municipalité, et concluait à la gravité de cette situation. Après son<br />

exposé, deux questions restèrent au centre des interventions :<br />

- le cahier des charges de la convention<br />

- la forme administrative de l'appel d'offres.<br />

Un vote sanctionna la discussion, permettant la mise en route du projet de<br />

privatisation du service du nettoiement de la ville de Dakar. Ainsi, prenait fin, une<br />

longue discussion mais surtout une longue procédure. Certes, le conseil municipal avait<br />

opposé un refus catégorique à la proposition gouvernementale de faire dépendre le<br />

nettoiement directement de la tutelle du ministère de l'intérieur mais acceptait<br />

l'établissement d'une convention avec une société privée. Par là, le conseil atteignait un<br />

objectif de taille : ne plus être indirectement responsable du nettoiement, tout en<br />

gardant une possibilité de contrôle sur ce service. C'est dire qu'il avait pris conscience de<br />

l'insuffisance de ses moyens à accomplir la tâche. Mais surtout, il prenait acte des<br />

diverses critiques formulées au sujet du nettoiement, lesquelles n'étaient pas toutes<br />

formulées par simple calcul politique. Ce choix de l'équipe municipale lui offrait bien<br />

24. Il fut par la suite, PDG de la SOADIP, la société créée à cet effet.<br />

348


une issue de secours. Le conseil aurait été sans moyens adéquats de s'opposer à une<br />

décision du gouvernement si ce dernier avait placé d'office le nettoiement de la ville<br />

sous sa propre responsabilité, par voie législative. Le contexte politique de majorité<br />

absolue du BPS, parti gouvernemental à l'Assemblée du Territoire, le permettait. Mais<br />

surtout, la détermination du gouvernement Mamadou Dia à transférer immédiatement<br />

la capitale du Sénégal à Dakar, accentuait le poids de la décision. En somme, les enjeux<br />

étaient de taille, de part et d'autre.<br />

De ce point de vue, cette décision de mettre en gérance privée le service de<br />

nettoiement de la ville, préservait les intérêts politiques de la municipalité et donnait<br />

satisfaction à ses adversaires par la même occasion. Elle était, somme toute, salutaire<br />

pour chacune des parties impliquées.<br />

Bien entendu, les changements intervenus au plan politique avec la naissance<br />

de l'U.P.S, issu du regroupement entre le BPS et le P.S.AS, permirent de trouver au<br />

niveau municipal, cette issue de secours que fut la mise en gérance du service de<br />

nettoiement de Dakar, à l'initiative même du conseil municipal de la ville.<br />

11/ LA SECURITE A DAKAR<br />

De manière générale, la période qui nous concerne est caractérisée par un<br />

calme réel, à quelques rares exceptions près, comme la fin du mois d'août 1958.<br />

Comment était assurée la sécurité de la ville?<br />

L'Etat-Major donne de précieuses indications sur cette question en<br />

présentant le dispositif d'ensemble de la sécurité établi dans la capitale fédérale:<br />

1. La sécurité dans la région du Cap Vert était placée sous les ordres d'un<br />

commissaire divisionnaire ayant sous sa responsabilité les services suivants:<br />

- une section de renseignements généraux (information et contrôle de la<br />

circulation des étrangers)<br />

l'émigration)<br />

- une section de police judiciaire (recherches des crimes et délits)<br />

- un commissariat spécial du port (contrôle de l'immigration et de<br />

- un commissariat de l'aéroport.<br />

2. Quant aux commissariats de police,<br />

- un commissariat central ( avec un personnel en civil et un personnel en<br />

uniforme) compétent sur l'ensemble de la presqu'île du Cap Vert<br />

- 7 commissariats d'arrondissements<br />

- 1 commissariat à Rufisque<br />

- 1 poste. de police à Gorée.<br />

3. Pour la gendarmerie:<br />

349


de l'AOFjTogo<br />

- 1 commandement du détachement de la gendarmerie de la zone de défense<br />

-le groupe de gendarmerie du territoire du Sénégal<br />

- l'escadron de gendarmerie de Dakar pour l'ensemble de la presqu'île ( y<br />

compris les brigades maritime et aérienne de Dakar et Ouakam)25.<br />

Cette source, peut-être pour des raisons de sécurité, ne donne aucun chiffre<br />

sur l'importance numérique des forces de ce dispositif de sécurité. Cependant, à travers<br />

quelques autres sources administratives, quelques indications apparaissent et permettent<br />

une appréciation du poids numérique de ces forces. Exemple, le service des<br />

renseignements généraux (chargé particulièrement de la recherche et de l'exploitation<br />

des renseignements intéressant l'ordre public, la sûreté du territoire, la surveillance des<br />

étrangers, des partis politiques et groupements professionnels, mais aussi de la police<br />

administrative) était considéré par un rapport comme ayant « un effectif insuffisant, eu<br />

égard au développement de la ville impériale et à l'accroissement de la population, ces<br />

dernières années »26. Cette source, elle aussi, n'avance pas de chiffre, qui permette une<br />

comparaison.<br />

"Echos d'Afrique noire" donne une indication qui, pour significative, n'en<br />

demeure pas moins vague. En effet, ce journal estime que les effectifs de la police<br />

dakaroise avaient quintuplé et qu'on trouvait des policiers blancs à tous les coins de<br />

rues 27 . L'organe qualifiait pourtant cette même police d'incapable 28 . Evidemment pour<br />

la rédaction du journal, cette police était simplement "partisane" à vrai dire et non<br />

inefficace et incapable. D'où le projet nourri à un moment donné de créer une police<br />

privée à Dakar, aux fins de préserver la sécurité des Européens ainsi que leurs biens,<br />

tâche "négligée" par la police de la ville. Un autre organe, "Afrique noire" note une<br />

inefficacité de la police dakaroise, ce qui expliquait le développement d'une pègre dans<br />

la ville : « Heureusement, elle n'atteint pas encore - Dieu merci - la haute école de la<br />

malfaisance. Ce n'est encore qu'une voyouterie adolescente [...J le tout, assaisonné d'une<br />

belle audace et d'une grande aisance. »29 "Condition Humaine", aussi, se plaint que la<br />

police dakaroise ne fasse pas correctement son travail puisqu'elle laissait en quasi<br />

impunité les bandes des "bérets rouges" armés à travers la ville. S'ils étaient arrêtés, la<br />

police s'empressait de les remettre immédiatement en liberté, surtout lorsque ces<br />

bandes pillaient les domiciles d'opposants, en pleine campagne électorale de 1953.<br />

Parlant de la situation sociale dans la capitale, l'organe du BDS écrit: « Trop de vauriens<br />

sy promènent, trop de malades sy coudoient, trop d'indigents entravent la circulation, trop<br />

25. Fiche 31.<br />

26. Affaires politiques AOF, A.N.S, Rapport annuel2G 47-29, Délégation de Dakar, 1947.<br />

27. "Echos d'Afrique noire" du 15 décembre 1950<br />

28. N° du 30 août 1954<br />

29. "Afrique noire" du 15 août 1953.<br />

350


n'en avait pas vu depuis 45 ans. Pendant 5 heures d'affilée, il était tombé 236 mm d'eau.<br />

2000 sinistrés et 400 cases détruites étaient dénombrés. A quoi s'ajoutait un noyé de 14<br />

ans 36 . Pour la ville indigène, construite sur la zone marécageuse, la violence de la pluie<br />

avait, de toute évidence, des conséquences néfastes sur l'hygiène.<br />

En somme, la ville de Dakar connaissait surtout dans sa partie indigène, des<br />

problèmes nombreux de sécurité même si une situation de véritable catastrophe ne se<br />

dégage pas de nos sources.<br />

36. "Paris-Dakar" du 29 août 1946.<br />

353


CHAPITRE V : ECOLE ET PROBLEMES CULTURELS<br />

Il L'ECOLE<br />

1) Investissements. effectifs. résultats<br />

Cette question était l'une des plus importantes pour la population de la ville.<br />

On peut considérer que la longue bataille des étudiants de l'Institut avait fait ressortir<br />

les problèmes du niveau de l'enseignement supérieur. Pour l'essentiel, ces problèmes<br />

étaient : enseignement de qualité, moins d'échecs, formation pour un plus grand<br />

nombre, liberté pour les contacts extérieurs, plein emploi en AOF etc... Dès lors, l'école<br />

dans ses niveaux primaire et secondaire restait à étudier. Dans la période, nombreux<br />

étaient ceux qui vantaient l'oeuvre coloniale à l'égard de cette école. Cependant, non<br />

moins nombreux étaient ceux qui n'en retenaient d'essentiel, que ses aspects "misérable"<br />

et "aliénant".<br />

"Paris-Dakar" rapporte les travaux de la conférence des gouverneurs<br />

généraux et gouverneurs d'Afrique Noire Française tenue à Paris en mars 1947. Cette<br />

conférence, présidée par Ramadier, président du Conseil, et le ministre de la FOM,<br />

était consacrée aux problèmes de l'éducation dans les territoires. La conférence<br />

adoptait, après plusieurs jours de travaux, un plan décennal tendant à donner aux<br />

autochtones la possibilité d'accéder à tous les diplômes, à toutes les hiérarchies, à toutes<br />

les carrières. Son financement global était arrêté à la somme de 19,755 milliards de F<br />

CFA1. Ce plan d'organisation et de financement de l'enseignement en Afrique Noire<br />

Française avait-il atteint ses objectifs?<br />

Selon la Chambre de commerce de Dakar, un total de 10,610 milliards de F<br />

avaient été investis dans la décennie 1947-1957 dans toute la fédération de l'AOF. Cette<br />

somme, quant à ses origines, se répartissait ainsi:<br />

- 5,299 milliards du FIDES<br />

- 5,311 milliards en ressources locales.<br />

Ce financement global était allé tant à l'enseignement public que privé.<br />

Sur les prévisions de 19,755 milliards, le reste, c'est à dire les 9,145 milliards,<br />

serait-il allé vers les autres ensembles AEF, Madagascar, Cameroun? La chose paraît,<br />

en soit, peu probable au regard de l'importance de l'AüF par rapport aux autres<br />

ensembles. La conclusion qui semblait ici s'imposer était que les objectifs du plan<br />

n'avaient pas été atteints intégralement.<br />

1. "Paris-Dakar" du 22 mars 1947<br />

354


Etudiants Africains, faute de place en 1954, c'étaient 2.800.000 enfants qui n'allaient pas<br />

à l'école en AOF. Pour la rédaction du journal, il ne pouvait pas en être autrement dans<br />

la mesure où seulement 208.538.000 F CFA soit 0,67 % du budget général de l'AOF<br />

étaient investis dans l'école. Le journal reconnaissait pourtant la faible progression du<br />

budget scolaire de l'année suivante, 1953, mais seulement pour un rapport de 0,98 % du<br />

budget au lieu de 0,67 % antérieur. Ces chiffres étaient donnés dans le message<br />

commun délivré par la FEANF et l'AGED, au 43 eme congrès de l'UNEF, en Avril 1953<br />

à Toulouse.<br />

"Présence Africaine,,6 indiquait, pour l'ensemble des TOM, les chiffres<br />

suivants pour la scolarisation:<br />

1946 1953<br />

11,6 % 19,16 %<br />

1954<br />

20,4 %<br />

1955<br />

22%<br />

Les auteurs de cet article avaient bien raison de parler de "misère de<br />

l'enseignement". Le journal donne, pour l'année 1952, les chiffres que voici pour les<br />

investissements en matière de constructions scolaires dans l'ensemble de la Fédération 7<br />

- budget fédéral: 205.538.000 F CFA<br />

- budgets des territoires: 3.505.051.000 F CFA<br />

- Plan FIDES: 725.000.000 F CFA<br />

La rédaction montrait qu'en réalité, le FIDES ne représentait qu'un faible<br />

élément dans cet investissement global.<br />

La délégation des enseignants d'AOF, dans son rapport à la conférence<br />

mondiale des enseignants tenue à Varsovie, en août 1957, indiquait que le taux de<br />

scolarisation dans le territoire n'était que de 10 %.<br />

Roland Colin donnait des chiffres différents dans sa thèse, à propos de la<br />

scolarisation au Sénégal:<br />

1948: 6 %<br />

1954: 15 %<br />

1957: 20 %<br />

L'intéressé insistait sur les efforts notoires faits par les autorités puisque en<br />

l'espace d'une décennie, le taux de scolarisation avait plus que triplé (6 % en 1948 et<br />

20% en 1957)8. Pour Roland Colin, en 1954, la population du Sénégal était de 2.092.000<br />

habitants. Les scolarisables se chiffraient à 313.920 enfants, 56.192 allaient à l'école et se<br />

répartissaient ainsi:<br />

6. "Présence Africaine", Décembre 1956-janvier 1957<br />

7. Ibidem, Oct-Nov 1957.<br />

8. R. Colin, pAlS.<br />

356


apport considére que « Le plan quinquennal de développement de l'enseignement<br />

primaire, établi en 1951, a été jusqu'à présent respecté [...] Une légère avance, pour<br />

1953/1954, avec la situation de 221 classes réalisées alors que 218 étaient prévues. »9<br />

L'inspection, par ailleurs déplorait la situation regrettable de ne pouvoir ouvrir aucun<br />

CP nouveau à la rentrée 1953/1954 dans la mesure où aucune classe de libre n'était<br />

disponible. A cette occasion, on escompterait 49 classes de CP, exactement comme à la<br />

rentrée 1952/1953. Cette situation était dépeinte, comme grave, par le rapport, dans la<br />

mesure où, à ce niveau, le retard était appréciable. Le plan prévoyait 66 classes de CPI<br />

et il n'yen avait que 49, soit 17 classes manquantes, c'est à dire 25 % des prévisions. Le<br />

chef de la circonscription scolaire regrettait d'autant plus cette situation, qu'à son avis, la<br />

population de Dakar ne cessait de croître et que certaines couches sociales prenaient<br />

davantage conscience de l'avenir de leurs enfants. Il s'inquiétait de l'afflux massif<br />

d'enfants de 6 à 8 ans à la rentrée suivante, situation devant laquelle il n'y aura, en fait,<br />

aucun remède.<br />

Se basant sur une étude démographique sommaire, le rapport prévoyait<br />

qu'en l'espace de 5 ans - durée du plan -, les élèves à recruter passeraient de 3400 en<br />

1952 à 6900 en 1956, terme du plan, c'est à dire en moyenne annuellement, un millier<br />

d'élèves supplémentaires. Pour l'inspecteur de la 4eme circonscription, logiquement, il<br />

faudrait disposer de 394 classes à la rentrée de 1955/1956, soit 208 classes nouvelles par<br />

rapport à 1951 c'est à dire 35 écoles de 6 classes chacune.<br />

En somme, par ces 2 rapports, la situation de l'école dans la ville apparaissait<br />

clairement au nombre d'écoles, de classes, d'élèves etc... Mais ces rapports étaient<br />

instructifs aussi sur la qualité même des infrastructures scolaires. En effet, le rapport de<br />

1948/1949 citait 6 écoles sur les 32 de la Circonscription scolaire, comme étant<br />

constituées de baraques provisoires dans lesquelles il faisait terriblement chaud les<br />

après-midi. Ces écoles se localisaient, toutes, dans le quartier indigène de la Médina. La<br />

source ajoutait, plus loin: « Les anciennes écoles de la ville sont vétustes et exiguës et ne<br />

répondent plus aux besoins actuels. Les plus belles écoles de la Médina et surtout Malick 5y<br />

ont besoin d'entretien (vitres, peinture, portes à refaire, magasins etc... » Parlant de la<br />

situation de l'école de la rue Thiong


examens:<br />

-entrée en 6 eme : 485 succès dont 196 Mricains<br />

-brevet: 148<br />

- 2 eme bac: 83<br />

Le journal "Horizons africains"11, organe de l'église catholique dakaroise,<br />

chiffrait pour l'enseignement privé au Sénégal:<br />

1951/1952 1954/55<br />

, , , , , , , , , , , , , , , , ,<br />

CEPE 134 """" 262<br />

""""""""<br />

, , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,<br />

Entrée en 6eme 105 103<br />

, , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,<br />

Brevet 56 38<br />

, , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,<br />

1er Bac 11 11<br />

, , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,<br />

2eme Bac 7 3<br />

, , , , , , , , , , , , , , , ,<br />

Total """"""" 313 """"'" 417<br />

Ces chiffres concernaient l'ensemble du Sénégal. Cependant, pour l'essentiel,<br />

Dakar où les infrastructures étaient dominantes, intervenait.<br />

Un autre journal catholique "Mrique Nouvelle"12, donnait pour l'année<br />

scolaire 1955, dans l'Archevêché de Dakar:<br />

- CEPE : 251 succès soit 153 garçons et 98 filles<br />

- entrée en 6 eme : 99 succès.<br />

Pour l'année scolaire 1955/1956, des chiffres plus complets sont donnés:<br />

- total des élèves de l'archevêché : 6463 dont 3570 garçons et 2893 filles13. A<br />

la fin de l'année scolaire, le journal 14 publiait les résultats aux examens du secondaire:<br />

avait:<br />

Bac série A = 1 Série B = 12 / Série philo = 13<br />

Pour l'année scolaire suivante (1956/57), au niveau du baccalauréat, il y<br />

CEPE : 212 garçons et 99 filles, total: 311<br />

entrée en 6 eme : 79 garçons et 79 filles soit 158<br />

Ces élèves provenaient d'un enseignement élémentaire qui comptait, à cette<br />

date, 7586 élèves.<br />

Au secondaire, cet enseignement comptait 486 garçons et 493 filles soit un<br />

total de 979.<br />

11. ml, Janvier-février 1953 et N'79 Juin-juillet 1955.<br />

12. N" du 28 février 1956.<br />

13. Ibidem<br />

14. "Afrique Nouvelle" du 6 novembre 1956<br />

360


ase minimale à atteipdre pour pouvoir exercer des responsabilités dans les<br />

organisations syndicales nouvellement autorisées aux colonisés. R.Colin cite une<br />

enquête, menée dans la capitale, et relève ces propos: « Un jeune instituteur de l'école de<br />

Médina nous disait un peu désabusé: "Quand l'élève franchit le seuil de l'école, tout ce qu'il<br />

a fait dans la journée est oublié, il entre dans un autre monde.»17<br />

Les renseignements, indiqués par le recensement démographique de 1955<br />

dans la ville, montraient que 53 % des enfants de fonctionnaires et commerçants allaient<br />

à l'école, contre 37 % chez les employés, 28 % chez les sans-profession, 23 % chez les<br />

ouvriers et 19 % chez les cultivateurs. Par rapport aux principales ethnies de la<br />

population de Dakar, ces scolarisés représentaient 35 % chez les Ouolofs, 45 % chez les<br />

Lébous, 26% chez les Séréres, 52 % chez les Casamançais, 31 % chez les Toucouleurs,<br />

28 % chez les Peuls, 56 % chez les Bambaras et 32% chez les Sarakollés 18 . A partir de<br />

ces deux éléments, profession des parents et groupe ethnique, une remarque s'impose :<br />

la majorité des enfants de Dakar n'allaient pas à l'école du colonisateur, la seule qui<br />

permettait d'accéder à l'emploi dans la fonction publique ou même dans le secteur privé<br />

moderne. Or, cette école chassait l'école coranique - indirectement, il est vrai - dans la<br />

mesure où le colonisateur mettait beaucoup d'embûches à la fréquentation de cette<br />

dernière qui, pourtant, se faisait dans la journée seulement après l'école française, dans<br />

les familles africaines. Ainsi, par exemple sous le prétexte que les enfants n'étaient pas<br />

suffisamment attentifs à l'école française, l'administration découragea la fréquentation<br />

de l'autre école. L'argument insidieusement avancé était qu'il y avait surcharge de<br />

travail pour ces enfants, qu'ils dormaient en arrivant à l'école française. Les parents<br />

devaient choisir s'ils voulaient que leurs enfants réussissent leurs études et accèdent aux<br />

diplômes coloniaux.<br />

Dans la circonscription scolaire de Dakar et banlieue, l'insuffisance notoire<br />

des infrastructures est rapportée par des sources administratives spécialisées, des<br />

organes de presse, des partis et mouvements d'étudiants et de jeunesse. Pourtant, de<br />

nombreux éléments attestent l'intérêt manifesté par la population : le rapport de la<br />

4 eme circonscription de 1949 le dit clairement, tout comme celui de 1953. Les longues<br />

queues devant les écoles dakaroises à la veille des inscriptions nouvelles traduisaient ce<br />

désir réel d'envoyer les enfants à l'école. On remarquait aussi que malgré les conditions<br />

peu dignes de certaines écoles, les parents persévéraient à y envoyer leurs enfants (cas<br />

de la rue de Thiong). Autre témoignage de l'intérêt de la population pour l'école: la<br />

création de l'association des parents d'élèves. Le geme congrès du SYNEP fixait cet<br />

objectif « Il faut que partout, soit organisée une association des parents d'élèves ou un<br />

comité de défense de l'école, que chaque militant du SYNEP aura à coeur d'aider» 19.<br />

17. Ibidem<br />

18. Ibidem<br />

19. "SYNEP-liaison", congrès de Saint-louis, août 1950<br />

362


demander d'agir rapidement, et sous les formes qu'ils jugeraient les meilleures, auprès<br />

des autorités de Dakar et de Paris, tant gouvernementales qu'universitaires, pour<br />

obtenir la réintégration de ces élèves de Rufisque. Parents d'élèves de la Délégation<br />

mais aussi du Sénégal et d'autres régions de la Fédération s'étaient joints à la<br />

protestation. Tout comme les journaux politiques et les organisations de jeunesse. La<br />

diversité de ces marques d'indignation et leur unanimité à exiger le retour immédiat des<br />

14 élèves-maîtresses et la cessation du climat de persécution dans cette école, avaient<br />

amené les autorités administratives à lever les sanctions en question et même à prendre<br />

diverses mesures pratiques en faveur de ces élèves. Le gouverneur du Sénégal<br />

s'engageait à faire réintégrer immédiatement les élèves en question, mais aussi à ce que<br />

ne figurât pas sur le dossier des intéressées, la moindre trace de cette sanction. Mieux,<br />

Colombani, chef du Territoire, prenait même des mesures concrètes pour que ces élèves<br />

ne soient pas victimes, lors du déroulement de leur examen de sortie, d'éventuelles<br />

manoeuvres rancunières de la part du personnel enseignant et administratif de<br />

l'établissement. Des enseignants africains probes furent associés au jury d'examen. Le<br />

Chef du Territoire s'engageait même - par écrit tout cela - à garantir l'emploi comme<br />

monitrices, dans la fonction publique, des élèves dans le cas éventuel d'un échec à leur<br />

examen. "L'Etudiant d'Afrique Noire,,22 tirait de tout ceci la conclusion qu'une grande<br />

victoire avait été remportée contre les autorités et dans le sens de la défense des intérêts<br />

des élèves.<br />

Autre exemple pour illustrer cette condition des élèves : le cas de la grève<br />

générale du lycée Van Vo de Dakar. "Dakar-Etudiant" écrivait à ce sujet: « Depuis un<br />

certain temps, ce lycée était le théâtre d'incidents malheureusement à sens unique, accablant<br />

exclusivement les élèves noirs internes des classes du premier cycle. »23 Le journal des<br />

étudiants de Dakar condamnait le malaise créé dans cet unique lycée d'enseignement<br />

général de la ville, le 16 février 1956. Pour le journal, 9 élèves avaient été renvoyés «<br />

pour n'avoir pas pris leur soupe qu'ils n'avaient pas pris à leur goût. » Devant<br />

l'intransigeance des autorités à maintenir leur décision, tous les élèves internes de<br />

l'établissement décidèrent une grève générale de la faim. Diverses manoeuvres<br />

d'intimidation furent développées contre les élèves. Le journal citait, à ce propos, des<br />

personnalités comme Léon Boissier Palun, président du Grand Conseil de l'AOF, le<br />

Recteur Directeur Général de l'enseignement, des parlementaires et homtnes politiques<br />

etc... La détermination des élèves amena l'autorité, en fin de compte, à faire marche<br />

arrière. L'organe des étudiants de Dakar tirait comme conclusion, que l'incident était<br />

banal et la dimension qui lui fut donnée par les autorités, grave. Le journal, en arrivant à<br />

une réflexion plus globale, se demandait si, en définitive, toute l'agitation dans les<br />

établissements scolaires et secondaires, n'était pas orchestrée en cette période politique<br />

22. N" spécial, Juin-sept 1956<br />

23. "Dakar-Etudiant", Mars 1956<br />

364


de mutations. Dès le mois suivant, le journal approfondissait son analyse sur le malaise<br />

en milieu scolaire dans l'espace de deux à trois mois écoulés, à Dakar. Sa conclusion<br />

était la suivante : « Ces milieux sont inquiets et désemparés par l'arbitraire : sanction<br />

disciplinaire, fantaisie sur les emplois du temps, réglements intérieurs, composition des<br />

conseils cie discipline, trousseau des élèves, bourses etc...»<br />

Un organe de la presse métropolitaine, "Marchés Tropicaux", s'intéressait<br />

aussi, de près, à cette situation dans les établissements scolaires : « Or, depuis quelques<br />

temps, un vent d'insubordination et même de révolte, passe une certaine rafale sur certains<br />

collèges africains: ConaJay, Libreville, Dahomey, Niamey etc... »24 Le journal des grands<br />

milieux d'affaires métropolitains s'étendait plus longuement sur la situation du lycée<br />

Maurice Delafosse. Ce lycée technique fédéral comptait 1520 élève. Il fut fermé le 5<br />

février 1959 pour plusieurs jours, à la suite d'une manifestation collective. D'après le<br />

journal, le point de départ était le refus collectif des élèves d'une classe de seconde<br />

commerciale d'assister à un cours d'anglais. La sanction prise contre les intéressés<br />

entraîna immédiatement la grève générale dès le lendemain. Tirant les enseignements<br />

de toute cette agitation dans plusieurs territoires de la fédération, le journal<br />

métropolitain s'exprimait dans ces termes : « Si les ministres africains n y mettent bon<br />

ordre, les maîtres refuseront d'enseigner en Afrique. Les élèves doivent changer de mentalité.<br />

Ils doivent se plier à la discipline rigoureuse et se voir interdire toute manifestation politique<br />

[. ..f Un pays où les collégiens commandent un gouvernement, est un pays voué à l'anarchie<br />

».<br />

"Marchés Tropicaux" demandait - directement - aux nouvelles autorités d'agir<br />

fermement contre les élèves du secondaire. Un de nos interlocuteurs insiste sur la<br />

répression policière dans ce lycée technique lors de la grève générale. Ceci n'était pas<br />

une nouveauté contre les élèves en grève. C'est ainsi qu'à Saint-louis, en février 1957, la<br />

police avait violemment chargé les élèves sur les rails, dans le quartier de Sor. La<br />

violence de la répression avait créé une véritable atmosphère d'émeute dans la ville. Les<br />

pêcheurs du quartier de Guet Ndar s'étaient particulièrement mobilisés en faveur des<br />

élèves 25 . Le chercheur Roger de Benoist qualifia "d'émeutes" les journées des 12 et 13<br />

février 1957, à Saint-louis. Le gouverneur général de l'AOF avait même cru devoir<br />

s'adresser à la population et aux élèves sur les ondes de Radio-Dakar. A l'égard des<br />

élèves, ses propos furent très durs : « La licence de votre conduite n'apparaît pas aux<br />

autres comme une manifestation de l'esprit révolutionnaire, mais au contraire comme une<br />

mesure de l'esprit conservateur... C'est seulement en servant qu'on acquiert le droit de<br />

commander »26. La dimension des manifestations de grèves dans les établissements de<br />

la Fédération avait conduit les ministres de l'Education des gouvernements de<br />

24. W612, 14 février 1959<br />

25. L'auteur de cette recherche fut blessé lors de cette action policière.<br />

26. "Afrique nouvelle" du 19 mars 1957<br />

365


l'autonomie, réunis à Conakry du 18 au 20 novembre 1957, à condamner les grèves<br />

qualifiées de "futiles" dans leurs revendications de nourriture, vêtements, bourses etc...<br />

Le journal parisien "Climats", parlant de grèves en AOF dans les<br />

établissements scolaires, avançait une explication tout autre : «Prenez 20 écoliers de<br />

brousse qui vivent dans leurs familles, misérables et nus. Rassemblez-les dans un internat<br />

moderne et neuf Logez-les, habillez-les, nourrissez-les au delà de leurs rêves les plus<br />

ambitieux. Quinze jours plus tard, ils se mettent en grève pour ne plus faire leur lit le matin<br />

ou réclamer de l'argent de poche. »27 Pour le journal des milieux de la droite colonialiste<br />

française, les élèves en Afrique Noire n'étaient pas lucides. Ils étaient égoïstes, mus par<br />

intérêts personnels et mesquins. Ils manquaient également de maturité, raison pour<br />

laquelle ils engageaient souvent des grèves fréquentes et sans fondement objectif. En<br />

somme, les établissements secondaires de la Fédération en général et de Dakar plus<br />

particulièrement, connurent une agitation très intense dans la période 1956-1960<br />

surtout.<br />

Mais la "grève pour la grève" n'était nullement l'objectif fondamental des<br />

élèves. Par ces manifestations, en fait, ils démontraient leur attachement à l'institution<br />

coloniale dans laquelle Ils fondaient beaucoup d'espoir. Cette espérance exigeait d'eux<br />

qu'ils défendent leurs intérêts légitimes. Peut-être que le contexte était particulier, dans<br />

la mesure où des responsabilités étaient déléguées par la puissance coloniale dans le<br />

cadre de la réforme de la Loi-Cadre, mais l'agitation scolaire n'avait nullement une base<br />

politique comme certaines sources tendaient à en faire accréditer la thèse. Ces élèves<br />

avaient des objectifs bien nobles.<br />

Paul Mercier, après des enquêtes effectuées dans plusieurs écoles primaires<br />

de la capitale fédérale faisait ressortir ces ambitions: « Entre 65 et 80 % se prononcent<br />

pour les professions intellectuelles (enseignement, professions libérales, avocats, médecins<br />

etc... »2 8. Mais entre ces souhaits et la réalité quotidienne des établissements, quel était<br />

le sort des élèves de Dakar?<br />

Le Secrétariat Social de Dakar apportait un élément de réponse dans sa<br />

réflexion relative à la question de l'emploi dans la capitale. Les renseignements obtenus<br />

auprès des maîtres et pour la fin du cycle élémentaire indiquaient que:<br />

- Dans une école publique de la Médina, sur 42 élèves sortis de 2 classes:<br />

24 élèves ont obtenu le CEPE et parmi ceux-ci :<br />

* 3 continuent leurs études au lycée technique<br />

* 3 au centre d'apprentissage<br />

* 1 au cours normal<br />

* 5 sont employés dans une imprimerie<br />

27. "Climats" du 7 mai 1952.<br />

28. Paul Mercier, Contribution à la sociologie... op. ciL, p.197<br />

366


* Tous les autres apprennent la dactylographie, occupent des emplois divers.<br />

Certains sont perdus de vue par leurs anciens maîtres.<br />

- Dans une école privée:<br />

39 reçus au CEPE sur 41 candidats:<br />

* 7 ont réussi à l'entrée en 6eme<br />

* 14 continuent leurs études dans un cours commercial privé<br />

* 1 est apprenti mécanicien<br />

* les autres sont perdus de vue.<br />

A travers ces données, quelques conclusions sont évidentes : la faiblesse<br />

notoire du nombre des enfants accédant aux lycées et collèges à la fin de ce cycle<br />

élémentaire. D'autre part, l'immense majorité perdue de vue, par les maîtres, signifiait,<br />

pour l'essentiel, des enfants dans la rue. Sinon, très probablement, les familles et les<br />

maîtres auraient gardé le minimum de contacts et ces derniers auraient su exactement<br />

ce que leurs élèves de l'année précédente, étaient devenus.<br />

La condition des élèves apparait, en définitive, dans toute sa précarité :<br />

conditions de travail difficiles, infrastructures insuffisantes mais aussi l'agitation presque<br />

permanente, débouchés incertains mais surtout échecs massifs; tout cela, en réalité,<br />

répondait à une logique de système colonial.<br />

3) Subventions et enseignement privé<br />

Cette question fut un centre d'intérêt pour des syndicats d'enseignants,<br />

associations de parents d'élèves, de jeunesse, d'étudiants, de personnalités etc... Elle<br />

était donc bien présente dans le débat autour des questions sociales dans la ville. Par<br />

exemple, le congrès du SUEL de 1956, dans son rapport moral, disait à ce sujet: «Point<br />

premier de notre plate-fonne revendicative : "la suppression de toutes les subventions aux<br />

écoles privées f. ..] la position de principe des enseignants: "pas un centime aux écoles<br />

privées" ». Deux ans plus tard, dans une résolution votée par son congrès de juillet 1958,<br />

le SUEL regrettait vivement que la quasi totalité des crédits destinés aux oeuvres<br />

privées, aille aux écoles privées confessionnelles. Le congrès s'élevait aussi contre la<br />

répartition irrationnelle des crédits alloués par le FIDES. La situation des maîtres du<br />

privé laïc était jugée difficile à cause de l'insuffisance des moyens financiers. Le rapport<br />

demandait en conséquence que ces écoles ne soient pas privées de ces crédits alors que<br />

les écoles privées confessionnelles en recevaient largement.<br />

Cette position de principe et ses appréciations n'étaient pas chose nouvelle<br />

dans les milieux syndicaux enseignants de Dakar et du Sénégal. En effet, en août 1950,<br />

déjà, les enseignants de Sénégal-Mauritanie, dans leur rapport de congrès, faisaient état<br />

d'un ordre du jour voté par le bureau du SYNEP et demandant à l'Assemblée<br />

367


Territoriale du Sénégal de n'accorder aucune subvention aux congrégations et de se<br />

pencher avec une plus grande sollicitude sur l'école publique devenue indigente.<br />

Le rapport au congrès notait que malgré la motion de protestation, mais<br />

aussi le rejet de la demande de 125 millions de F CFA de subvention, par l'Assemblée<br />

Territoriale, par le biais de la subvention du FIDES, l'Eglise avait obtenu entière<br />

satisfaction. Tout ceci faisait dire au rapport que les adversaires de l'école laïque ne<br />

désarmaient pas et qu'il était impératif de mener conséquemment le combat contre les<br />

saboteurs de l'école de tous. Plus de 8 ans après la réaffirmation de ces principes, les<br />

enseignants de l'école publique du Territoire, réunis en congrès à Thiès, exigeaient que<br />

la répartition des crédits alloués aux territoires par le FIDES soit entièrement laissée à<br />

la discrétion de ces territoires en toute souveraineté. C'est dire que jusqu'à la veille de<br />

l'indépendance, la question restait une préoccupation des enseignants parce que les<br />

subventions continuaient à s'orienter massivement vers les congrégations comme le<br />

confirme "Marchés Tropicaux" en 1959 : « Les missions religieuses et oeuvres privées<br />

bénéficieront, au titre du fond d'aide et de coopération - nouvelle appellation du FIDES· de<br />

75 millions de subventions dont 52, en première urgence. Ces sommes serviront à bâtir,<br />

notamment 76 classes primaires, 5 dispensaires, 2 maternités, 2 foyers ruraux et à achever le<br />

cours normal catholique de Thiès. »29<br />

Autre protestation contre les crédits alloués à l'enseignement privé: celle du<br />

Conseil de la Jeunesse du Sénégal, demandant que cesse l'affectation massive de crédits<br />

au privé lorsque l'enseignement public était laissé pour compte. Le texte, adopté par le<br />

congrès du c.J.S de juillet 1955, exigeait que la primauté absolue, en matière de crédits,<br />

soit accordée à l'enseignement public. Le Congrès de la Jeunesse du Sénégal concluait,<br />

après une longue analyse, que l'école en AOF était victime d'une politique de sabotage<br />

systématique avec sa masse globale de 1,79 % des crédits du budget fédéral pendant que<br />

6,32 % de ce même budget allaient aux forces de répression. Autre dénonciation des<br />

subventions : le congrès des Femmes de l'Ouest Africain, réuni à Bamako, demandait<br />

que les subventions cessent d'aller à l'école privée pour que tous les fonds soient<br />

exclusivement consacrés à l'école de tous.<br />

Notons aussi que cette bataille pour la suppression des subventions aux<br />

écoles des congrégations à Dakar et ailleurs dans la Fédération n'était pas, une initiative<br />

nouvelle dans la capitale fédérale. Avant même la fin de la seconde guerre mondiale,<br />

elle avait laissé des marques indélébiles. En effet, la conférence de l'enseignement,<br />

réunie à Dakar au milieu de 1944, en présence de Delage, Inspecteur-Conseil près du<br />

Commissaire des Colonies à Alger, avait voté un certain nombre de voeux en direction<br />

des autorités gouvernementales de la France Combattante. Le premier de ceux-ci<br />

recommandait que le monopole de l'enseignement en Afrique Noire Française, soit<br />

29. "Marchés Tropicaux" m16, 1er août 1959.<br />

36-8


confié à l'Etat. Le deuxième voeu demandait que la réglementation de l'enseignement,<br />

en vigueur à la date du 16 juin 1940, soit rétablie.<br />

Ces voeux n'avaient pas plu à l'Eglise dakaroise que l'un des hauts<br />

responsables qualifiait de "fondées sur le mensonge". Ils devaient être transmis à Alger<br />

comme documents officiels. Contre ces voeux, s'était violemment et publiquement élevé<br />

le Père Bertho, responsable supérieur de l'enseignement catholique en AOF. Très amer<br />

à l'égard de ces voeux, l'intéressé considérait que le journal "Réveil" n'avait pas été<br />

étranger à cette orchestration. Selon lui, ce deuxième voeu, adopté par la conférence de<br />

Dakar, ressemblait comme une goutte d'eau, au texte que ce journal avait publié bien<br />

avant la conférence 30 . Avec force l'Eglise s'était jetée dans la bataille pour préserver<br />

ses positions incontestablement menacées par une éventuelle adoption de ces voeux. Le<br />

Père Bertho adressait en conséquence à l'inspecteur Cros de l'enseignement du Sénégal,<br />

une longue lettre polémique le journal "Côte d'Ivoire Chrétienne" publiait. C'était<br />

même, au sujet de cette question des voeux sur l'enseignement, que naquit le projet de<br />

l'Eglise Dakaroise, d'avoir son journal pour publier ses positions. La création d"'Afrique<br />

nouvelle", trois ans plus tard, matérialisait le projet. En 1951, cette question des<br />

subventions occupait une place nouvelle sur la scène locale. Dans la nuit du 14 au 15<br />

décembre, une grande affiche fut placardée dans la ville. "Afrique Nouvelle" ne se<br />

contentait pas de qualifier ceci de « Nouvelle campagne de mensonges contre<br />

l'enseignement privé en AOF »31. Il annonçait qu'une plainte avait été déposée auprès<br />

des autorités judiciaires. Pour le journal catholique, le vrai responsable de cette<br />

campagne était« Un inspecteur primaire du Sénégal dont nous tairons le nom. » Le procès<br />

eut lieu. La hiérarchie s'estimait heureuse du jugement qui condamnait le syndicat de<br />

l'enseignement laïc à 1 F symbolique et à la publication du verdict dans 5 journaux<br />

différents, à ses frais. On le voit, la question des subventions à l'enseignement privé<br />

restait au centre d'une grande controverse dans toute la période 1945-1960.<br />

Cette question avait aussi un rapport plus ou moins direct avec le fait que<br />

l'Eglise formait à part ses maîtres avec la création de son école de moniteurs à Ngazobil<br />

dès 1949 et de son école d'instituteurs, dix ans plus tard, à Thiès. Or, ces promotions<br />

d'enseignants, par la nature des engagements souscrits auprès de l'Eglise restaient à<br />

l'écart du mouvement syndical laïc, dans leur quasi totalité.<br />

De plus, beaucoup de gens percevaient cette école privée catholique de<br />

Dakar comme l'école d'une minorité de nantis et de favorisés par le système colonial. A<br />

ceci s'ajoutait, une réelle conscience du fait indubitable que l'école publique était<br />

misérable. Certainement aussi à travers cette question des subventions à l'école,<br />

apparaissait un aspect non exprimé: des relents de conflits religieux; l'école de la masse<br />

était l'école publique donc l'école négligée par les pouvoirs publics, par opposition à<br />

30. "Réveil" du 26 mai 1944, 5éme page, 3eme colonne.<br />

31. "Afrique nouvelle" du 22 décembre 1951<br />

369


l'école de la minorité, favorisée dans la répartition des crédits. Cette école était<br />

essentiellement chrétienne. On notait en tout cas qu'à travers cette question des<br />

subventions, la toute puissance de l'Eglise locale apparaissait évidente.<br />

4) Conditions de travail des maîtres<br />

Dans l'ensemble, elles n'étaient pas bonnes surtout pour le personnel<br />

indigène. Diverses sources permettent de l'affirmer.<br />

Faisant l'analyse de la situation, le rapport introductif au congrès des<br />

enseignants du syndicat de l'enseignement primaire, écrit: « Nos revendications sabotées<br />

stagnent dans les bureaux et garnissent leurs hécatombes paperassières... L'opposition du<br />

gouvernement fédéral aux revendications des fonctionnaires s'intégre dans la politique du<br />

gouvernement français. » Dans la partie du rapport intitulée "Revendications générales",<br />

la question du logement est évoquée en premier lieu: «Aucune solution n'a été apportée<br />

à cette revendication intéressant l'ensemble de la Fédération. Le personnel enseignant<br />

continue à être mal logé. » Sur les questions pédagogiques, ce congrès de Saint-louis<br />

regrettait l'application brutale des programmes et diplômes métropolitains en AOF sans<br />

qu'une transition ait été prévue, ce qui avait des conséquences néfastes tant sur les<br />

élèves que sur les maîtres. Certes c'était le syndicat SYNEP, le leur, qui, depuis<br />

longtemps, avait revendiqué cela, mais la période transitoire sur laquelle il avait insisté,<br />

n'avait pas été retenue comme solution par l'administration. Or ceci représentait une<br />

condition sine qua non du succès de la réforme. Plus loin, le rapport dénonce les<br />

mesures arbitraires ayant frappé les enseignants de la 4 eme circonscription scolaire<br />

(celle de Dakar), mutés pour des raisons extra-professionnelles. Ces victimes étant,<br />

comme instituteurs, irréprochables d'après le rapport. Cette partie du rapport reproche<br />

vivement à l'administration coloniale de ne pas respecter la liberté d'opinion des<br />

enseignants africains et d'utiliser contre eux les mutations arbitraires et constantes.<br />

Autre preuve : au congrès des enseignants d'AOF, à Bamako, en 1954, la<br />

délégation du Sénégal rapporte qu'en 1947, l'administration avait été principalement,<br />

responsable de la division des enseignants sur une base raciale. Par ses manoeuvres, elle<br />

avait réussi à soustraire tous les Européens du syndicat unique, ce qui favorisait un<br />

climat de suspicion et de méfiance entre les enseignants. Par suite de cette situation, la<br />

période 1947-1950 avait été marquée par d'énormes difficultés pour les enseignants<br />

autochtones. Un constat est fait par le congrès de 1950 : « Ces années attestèrent une<br />

température basse de la force de notre syndicat J...] et nos revendications étudiées par nos<br />

chefs avec le plus grand mépris. » Le rapport note comme une preuve de cette situation,<br />

l'échec lamentable de la grève des enseignants de la Délégation, pour s'opposer à la<br />

370


mutation arbitraire de Thierno Bâ, instituteur de C M 2 à Yoff, déplacé à Ziguinchor 3 2.<br />

Les raisons de cet échec situaient certes les responsabilités propres aux enseignants dans<br />

l'insuffisance de la préparation de la grève, mais surtout les manoeuvres d'intimidation,<br />

de toutes sortes, entreprises par l'administration coloniale pour amener beaucoup<br />

d'enseignants à ne pas s'associer au mouvement.<br />

Sous les autorités de la Loi-Cadre, la réalité fut pratiquement la même que<br />

sous celles de la colonisation quant à la situation des enseignants. En effet, leur organe<br />

SUEL-liaison écrit: «Les mesures abusives auxquelles se livre le gouvernement du Sénégal<br />

contre les enseignants, viennent d'atteindre, par décision en date du 2/2/1960 quatre<br />

professeurs africains de Saint-louis, tous militants du SUEL. »33 Ces professeurs avaient<br />

été révoqués. Le bulletin de liaison des enseignants africains publiait aussi une lettre des<br />

enseignants de Dakar au ministre de l'Education. Cette lettre faisait part du trouble<br />

profond suscité par la mesure en question chez les enseignants en tant que<br />

fonctionnaires, mais aussi en tant que citoyens. Toujours sur cette condition des<br />

enseignants africains, Mamadou Dia, ancien instituteur et plus tard président du<br />

Conseil, écrit: « Les médecins africains, eux, avaient une situation meilleure que celle des<br />

instituteurs qui étaient socialement les parias. Notre état de parias expliquait notre<br />

révolte.» 3 4 Un autre instituteur, très connu dans le monde des lettres et des arts,<br />

. Abdoulaye Sadji témoigne sur la condition des enseignants en écrivant : « L'instituteur<br />

indigène n'a aucun prestige dans son milieu. A la ville, il fait piètre figure» 3 5. Il dénonçait<br />

ainsi les salaires misérables payés aux enseignants.<br />

Les sources administratives, aussi, témoignent dans le sens de cette situation<br />

mauvaise de la condition enseignante. Le rapport de l'inspecteur de la 4eme catégorie<br />

administrative du Sénégal, en 1948/1949 note: « La question du logement est loin d'être<br />

satisfaisante. Nombre de logements obtenus de la Délégation du Sénégal, du gouvernement<br />

général et de la mairie de Dakar = 14, ce qui porte à 23 le nombre de logés parmi les<br />

instituteurs sur les 150 maîtres en service à Dakar et Médina. »<br />

A peine 16 % des maîtres africains de Dakar étaient logés par<br />

l'administration. Pendant ce temps, la totalité des maîtres européens étaient, eux, logés.<br />

Les 84 % devaient, d'eux-mêmes, trouver un logement dans ce contexte de crise et de<br />

cherté des loyers. Au sujet de la qualification professionnelle des maîtres, le congrès des<br />

enseignants d'AOF, réuni à Bamako, dénonçait l'administration dans sa pratique<br />


européen très instable, (souligné en rouge dans le rapport) et africain très médiocre dans<br />

l'ensemble, à des suppléants mal rémunérés, pour assurer la garde des enfants. Cette<br />

situation compromet gravement les résultats scolaires. »36<br />

Sur le personnel enseignant européen, diverses sources indiquent la<br />

"progression" qui lui était assurée dans la colonie. Les instituteurs étaient bombardés<br />

professeurs, les professeurs de lycée, professeur d'université etc...Les étudiants de<br />

l'Institut des Hautes Etudes, dans leur lettre au gouverneur général de l'AOF - laquelle<br />

lettre avait suscité de violentes réponses des académies de Bordeaux et de Paris - s'en<br />

plaignaient. P. Mercier, dans ses enquêtes sur le groupement européen de Dakar et P.<br />

Biarnès, dans son étude sur les "Français en Afrique noire", arrivent, eux aussi, aux<br />

mêmes conclusions sur la qualité du personnel enseignant européen: la médiocrité.<br />

En rapport avec cette condition des maîtres, il faut noter une question<br />

préoccupante à Dakar: à savoir comment ils étaient encadrés au plan administratif. A<br />

travers le syndicalisme enseignant, cette question des maîtres était nettement posée. Le<br />

2 eme congrès du SUEL, réuni à Saint-louis en août 1955, adoptait, entre autres<br />

résolutions, celle-ci qui exigeait le départ de la Fédération, du chef de la circonscription<br />

scolaire de Dakar. Le congrès considérant « L'importance de la circonscription et la<br />

nécessité d'avoir à sa tête un inspecteur alliant de solides qualités professionnel/es et morales<br />

à un sens aigu de l'équité et un respect de la personne des enseignants [. ..J demande le<br />

départ de Condette de la Fédération qui n'a que faire d'un chefdont les agissements revêtent<br />

un racisme inadmissible. » Le congrès assurait les enseignants de la Délégation de sa<br />

solidarité effective dans les actions qu'ils seraient amenés à entreprendre, pour le<br />

triomphe de cette revendication. Cinq ans auparavant, le SYNEP en congrès expliquait<br />

la création de ce syndicat par « la nécessité de combattre l'opportunisme et le favoritisme<br />

basé sur la coloration de l'épidenne. »<br />

Ces éléments montrent bien que l'administration scolaire, dakaroise en<br />

particulier, était loin d'assurer une paix sociale en milieu enseignant. Si l'on ajoute à<br />

cela les conditions matérielles difficiles et l'insuffisance de la qualification, on<br />

comprend, dès lors, facilement la position de combat prise par les enseignants pour<br />

défendre leurs revendications légitimes, négligées par l'administration. Cet ordre de<br />

bataille, réaffirmé par le congrès du SUEL réuni à Mbour du 5 au 7 octobre 1956 «<br />

Notre dernier congrès avait été unanime à reconnaître la nécessité, cette année, d'user de<br />

nouveaux moyens pour la satisfaction des revendications que nous présentons d'année en<br />

année et que nous répétons, comme une ritournelle dans nos motions et résolutions )),<br />

traduit bien un véritable ras le bol des enseignants : aucune de leurs multiples<br />

revendications ne trouvait satisfaction. Preuve aussi de cette précarité de la situation en<br />

milieu enseignant indigène. Cette précarité n'avait certainement pas été étrangère à<br />

36. Affaires politiques AOF, AN.S, 2049-127,1949.<br />

372


l'engagement de bon nombre d'enseignants africains dans les luttes politiques de<br />

l'époque. Cet engagement était, dans une large mesure, à l'origine de la prise en charge<br />

des problèmes de l'école, par les organisations politiques. Ainsi, le rapport moral,<br />

soumis aux congressistes du SUEL réunis à Mbour, en 1956, réserve un chapitre spécial<br />

"Enseignants et les partis politiques" à la question : « Il suffit de prendre les différentes<br />

professions de foi présentées par les candidats aux élections législatives du 2 janvier 1956<br />

pour reconnaître la part que les partis réservent à l'école dans leurprogramme. )) Le rapport<br />

recommandait aux délégués d'élever la voix pour exiger, des élus, qu'ils étudient les<br />

propositions faites par les enseignants et que, de manière conséquente, ils les défendent<br />

effectivement.<br />

En fait, malgré toute cette agitation et ces actions, pourquoi l'administration<br />

coloniale avait-elle accordé, si peu d'attention, à la condition de l'enseignant indigène?<br />

Pour diverses raisons:<br />

- les moyens en direction de l'école publique étaient faibles comme des<br />

investissements dans le secteur scolaire école le prouvaient. L'école des congrégations,<br />

par l'intermédiaire des subventions, était prise en considération, plus que l'école<br />

publique.<br />

- Une certaine inefficacité de l'action syndicale n'était pas à écarter dans la<br />

mesure où les querelles de personnes n'étaient pas absentes au niveau de la directioJ}<br />

des organisations syndicales enseignantes, elles-mêmes. Ces failles ci constituaient un<br />

point d'appui solide pour l'administration coloniale.<br />

- Une certaine ambiguïté dans cette situation mêlant politique et<br />

syndicalisme (par leur formation, les enseignants étaient de hauts responsables dans les<br />

partis politiques) permettait à l'administration de frapper, à n'importe quel moment,<br />

sans qu'il soit possible de savoir si, à travers la personne, c'était l'homme politique qui<br />

était visé ou le syndicaliste. Ces circonstances constituaient une situation difficile pour<br />

cerner correctement le champ même dans lequel il fallait organiser la riposte adéquate.<br />

- Lorsqu'avec le gouvernement de l'autonomie interne, beaucoup de cadres<br />

syndicaux enseignants étaient devenus cadres gouvernementaux ou hauts responsables<br />

dans l'appareil administratif, les enseignants avaient pu nourrir quelques espoirs<br />

d'amélioration de leur condition. Cependant, la continuité coloniale étant la règle dans<br />

cette période; dans la réalité, presque rien de positif ne put être enregistré dans<br />

l'amélioration de la condition même des enseignants. La permanence des mêmes<br />

revendications l'atteste.<br />

373


5) L'orientation de l'enseignement<br />

Cette question d'importance capitale n'eut pas dans le contexte dakarois,<br />

l'attention qu'elle méritait. Tout juste de manière subsidiaire, elle apparait surtout dans<br />

la presse.<br />

Exemple, le 5 février 1949, le président Tascher, à la réception offerte au<br />

ministre de la FOM, Paul Coste Floret, avait suscité une protestation des élus présents,<br />

manifestée par la publication d'un communiqué de presse 3 7. Contre cette<br />

manifestation, "Marchés Coloniaux" estimait que « le président de la Chambre de<br />

commerce avait dit tout haut, ce que beaucoup pensaient tout bas. »38 "Condition<br />

Humaine", organe du BDS de L.S Senghor, titrait, au sujet de ce discours : « Tascher<br />

contre l'Union Française". La rédaction écrivait « Tascher, président de la Chambre de<br />

commerce a grossièrement offensé les élus d'Afrique Noire en étalant, sans vergogne, sa<br />

hargne de colonialiste. » 39 . Le texte, publié par cet organe de presse, de la protestation<br />

des parlementaires parlait seulement de « termes discourtois, de critiques qu'ils jugent<br />

absolument déplacées à l'égard des grandes réformes constitutionnelles. » De quoi<br />

s'agissait-il exactement? Le président de la Chambre Consulaire exprimait les voeux des<br />

grands milieux d'affaires de voir s'engager une réforme de l'enseignement, de manière à<br />

donner à ces milieux d'affaires les cadres nécessaires à leurs besoins. Ces cadres<br />

n'étaient, pour la Chambre, que de niveau très faible: cultivateurs, maçons, menuisiers,<br />

forgerons, électriciens etc... Elle dénonçait aussi l'association des maîtres et élèves à la<br />

préparation et à l'exécution des programmes. En somme, la Chambre demandait toute<br />

une réorientation de l'enseignement technique sur d'autres bases. Ce point de vue ­<br />

malgré la protestation des parlementaires africains - était immédiatement pris en<br />

considération par l'administration. En effet, la Chambre de Commerce de Dakar<br />

recevait, du Recteur, Directeur Général de l'enseignement, une invitation pour une<br />

commission de travail, sur l'orientation à donner à l'enseignement technique 40 . Elles<br />

s'empressait de répondre favorablement et désignait un représentant dans ce groupe de<br />

travail.<br />

S'agissait-il d'une simple coïncidence entre cette initiative du chef de<br />

l'enseignement en AüF et ce discours du président de la Chambre de Commerce ?<br />

Difficile de retenir l'idée d'une simple coïncidence. Plutôt, la direction générale de<br />

l'enseignement se faisant l'exécutant fidèle des desiderata des milieux économiques, sur<br />

les problèmes de l'orientation de l'enseignement. Pourtant les hommes politiques<br />

présents à la réception avaient compté bénéficier de l'appui du ministre de la FOM. Ce<br />

37. "Condition Humaine" du 8 février 1949<br />

38. "Marchés Coloniaux" du 5 Mars 1949<br />

39. "Condition Humaine" du 8 février 1949<br />

40. "Marché Coloniaux" du 26 mars 1949<br />

374


l'administration appelle les professions de luxe pour l'Afrique. »44 Certes, le 28 octobre<br />

1958, la commission permanente du Grand Conseil de l'AOF votait un crédit d'aide<br />

pour le cinéma. Mais le montant était dérisoire - 5 millions de F CFA - pour qu'on<br />

puisse parler d'une action concrète et conséquente en direction du cinéma. De plus,<br />

c'était la première fois que ces crédits étaient votés dans le budget fédéral. Aucune<br />

production locale n'existait. Les salles d'AOF étaient alimentées essentiellement par des<br />

films en provenance de la métropole mais aussi des Etats-Unis, de l'Inde et de l'Egypte.<br />

Ces films s'articulaient, dans leur contenu, sur la violence, le sexe, le rêve etc... Du<br />

reste, divers milieux en Afrique dénonçaient leur médiocrité et leur caractère nocif.<br />

Ainsi, les évêques catholiques du Soudan et de Haute Volta, dans une lettre du 1 er mars<br />

1954, à l'adresse du chef de la Fédération, remarquaient que les films en AOF étaient «<br />

des films licencieux ». Pour eux, si les choses continuaient à aller ainsi, le rôle de l'Eglise,<br />

en AOF, deviendrait plus difficile notamment dans son action d'éducation des<br />

populations 45 . Mamadou Sarr, président du ciné-club des étudiants d'outre-mer, à<br />

Paris, au nom de son organisation, publiait un communiqué de presse dénonçant l'aspect<br />

dominant du cinéma en Afrique Noire: le porno, le western et la violence. Le sénateur<br />

Ouezzin Coulibaly élevait la voix contre ce cinéma assimilé à «l'apothéose des caids ».<br />

C'était en présence du ministre de la FOM, à l'occasion de l'inauguration du lycée de<br />

Cocody à Abidjan.<br />

Quelques éléments d'appréciation de la qualité de ce cinéma en Afrique<br />

Noire apparaissaient dans les objectifs et les activités de l'A.S.S.E.A ( Association<br />

Sénégalaise pour la Sauvegarde de l'Enfance et de l'Adolescence). Cette association,<br />

créée à Dakar, conformément à la loi de 1901 régissant les associations, avait un<br />

caractère strictement privé. Le Rotary Club de Dakar avait été à l'origine de sa<br />

gestation 4 6. Plusieurs personnalités dakaroises en étaient membres. L'association<br />

s'activait, entre autre, contre la mauvaise qualité des films programmés à Dakar.<br />

Le journal "Jeunesse d'Afrique", organe des étudiants catholiques de l'Institut<br />

des Hautes Etudes de Dakar, titrait "Alerte au cinéma". L'organe indique qu'il y avait<br />

une vingtaine de salles de cinéma à Dakar et que chaque soir, des milliers de spectateurs<br />

s'y pressaient. Rapportant les résultats d'une enquête menée dans les salles de cinéma<br />

de la Médina, le journal nous apprend que certains spectateurs fréquentaient 3 fois en<br />

moyenne dans la semaine ces salles et que d'autres y étaient plus réguliers. Dans<br />

chacune des salles, une vingtaine d'enfants se retrouvaient chaque soir. Le caractère<br />

nocif de cette fréquentation par des enfants était illustré par des résultats d'enquêtes<br />

auprès de la justice. Il en ressortait qu'en 1956, dans la ville, une trentaine d'enfants<br />

44. "Présence Africaine", Avril-Mai 1957<br />

45. Roger de Benoîst, l'Afrique Occidentale francaise, op. ciL,<br />

46. "Afrique Nouvelle", 27 juin 1958<br />

376


en décembre 1988 sous le titre de "Camp de thiaroye". Toujours à ce sujet,<br />

l'administration coloniale mit en oeuvre tous les moyens pour oublier ce massacre. Le<br />

journal "Réveil" parlait de l'impressionnante mobilisation de la police et de la<br />

gendarmerie dakaroises, en février 1950, pour empêcher la cérémonie organisée au<br />

cimetière de Thiaroye, par les Partisans de la Paix.<br />

Nos interlocuteurs Abdoul Maham Bâ et Youssou, tout comme Thierno Bâ<br />

insistent sur ces affrontements violents entre les forces de sécurité et les jeunes du C.J.S,<br />

chaque fois que ces derniers cherchaient à commémorer ce souvenir de Thiaroye.<br />

L'arrêté du gouverneur général interdisant aux fonctionnaires d'écrire dans la<br />

presse - sans autorisation - ressortit également à cette forme à peine voilée de<br />

censure 51 .<br />

L'insuffisance notoire de salles pouvant abriter des conférences et autres<br />

débats, relevait aussi d'une certaine politique visant à marginaliser toute possibilité de<br />

contestation publique réelle. La construction par l'église dakaroise, de la salle Daniel<br />

Brottier (500 places) en 1957 - seulement - vint certes pallier cette faiblesse. Cependant<br />

cette salle située juste, en face et à deux pas du Commissariat Central de Dakar, ne<br />

pouvait recevoir qu'une certaine forme d'expression durant la période. Ceci, malgré ce<br />

qu'en dit le Père Roger de Benoist insistant sur le fait que la parole était donnée à tout<br />

le monde dans cette salle, même les marxisants. Pour la jeunesse, l'absence de Maison<br />

de Jeunes à Dakar pendant longtemps ne peut pas être interprétée autrement que<br />

comme une certaine forme de limitation de ses activités culturelles. Surtout que les<br />

travaux de cette Maison des Jeunes traînèrent en longueur pour des raisons qui ne<br />

pouvaient être "qu'administratives et colonialistes".<br />

La question des échanges extérieurs restait handicapée par le problème de la<br />

délivrance des passeports. En cela, le C.J.S eut à payer lourdement un tribut à son<br />

activité non conformiste. Le refus des subventions relevait dela même politique. Bref,<br />

les problèmes culturels souffraient d'entraves multiples pendant la période, alors que<br />

l'école était manifestement à la traîne.<br />

51. Voir liberté de presse.<br />

378


CHAPITRE VI : LA CONDITION DE LA FEMME DAKAROISE<br />

Telle qu'elle se dégage des renseignements sur l'école, l'emploi, mais aussi la<br />

vie quotidienne, elle était difficile dans l'ensemble. Mais, il n'en était pas ainsi pour<br />

toutes les couches de la population.<br />

Il A TRAVERS LES TEXTES<br />

La population dakaroise était considérée comme citoyenne depuis l'érection<br />

de la ville en commune de plein exercice. Mais pour l'élément indigène de la<br />

population, comment se présentait cette situation de manière concréte ?<br />

Dès 1945, une question fondamentale se posa avec acuité: celle de savoir si<br />

les femmes indigènes auraient, ou pas, le droit de vote reconnu aux femmes<br />

métropolitaines, au sortir de la guerre. Le décret du 19 février 1945 portait adaptation à<br />

l'AOF et au Togo de certaines dispositions de l'ordonnance du 21 avril 1944 sur<br />

l'organisation des pouvoirs publics, en France après la Libération. L'article 4 de ce<br />

décret stipulait : « Seront inscrites sur les listes électorales de leur résidence coloniale, les<br />

citoyennes françaises qui auraient pu prétendre, à leur inscription, sur la liste électorale de la<br />

métropole ou de l'un des territoires ». Le texte excluait, donc, de son champ d'application<br />

les femmes sénégalaises citoyennes des communes de plein. exercice parce qu'elles<br />

n'étaient ni en métropole ni dans l'un de ses territoires. Le Sénégal était encore au<br />

statut de colonie à cette date.<br />

Si l'on appliquait ce texte, même en cas d'élections municipales organisées<br />

dans ces communes de plein exercice, les Françaises d'origine métropolitaine résidant<br />

dans les villes de Dakar, Rufisque, Gorée et Saint-louis avaient entière possibilité de<br />

voter. Mais les citoyennes françaises originaires de ces villes n'auraient pas, elles, cette<br />

possibilité de voter pour désigner les responsables des communes où elles étaient nées<br />

et vivaient.<br />

Cette réglementation créait ainsi, deux catégories distinctes de Françaises.<br />

Cette situation parut très vite paradoxale. Elle fut ressentie immédiatement, dans les<br />

communes de plein exercice, notamment à Dakar, comme un véritable affront. La<br />

réaction ne se fit pas attendre. Lamine Guèye indique qu'elle donna naissance à<br />

l'organisation immédiate de meetings de protestations pour dénoncer l'iniquité « Ceci<br />

dans une atmosphère de colère et de nervosité indescriptibles. »1 Au coeur même de la<br />

contestation, l'avocat dakarois conduisit une délégation de personnalités locales pour<br />

transmettre, au Chef de la Fédération, les protestations indignées de la population. Dès<br />

1. Lamine Guèye, Itinéraire africain, p.I25<br />

379


la sortie de l'audience avec le gouverneur général, Lamine Guèye reçut mandat des<br />

membres de la délégation pour adresser, au Palais de Dakar, une lettre dans laquelle les<br />

arguments développés à l'adresse du gouverneur général étaient intégralement repris.<br />

L'intention était de disposer ainsi d'un document écrit dont l'importance pouvait être<br />

capitale ultérieurement. Dans cette lettre en date du 1 er mars 1945, l'avocat dakarois<br />

écrit : «Au cours de notre entretien de ce matin, je n'ai pas manqué de souligner l'injustice<br />

et le caractère vexatoire à notre endroit, d'une telle mesure [...] C'est frapper les Sénégalais<br />

d'une humiliation aussi injustifiée qu'exorbitante du droit commun, en régime<br />

démocratique. J'ai la certitude absolue qu'il n y a pas dix Sénégalais dans toute la colonie<br />

pour admettre une telle monstruosité. »<br />

Un mois après cette audience et cette lettre, rien n'était encore fait pour<br />

corriger les effets de la mesure. Me Lamine Guèye prit l'avion pour Paris afin de<br />

s'adresser directement au ministre des Colonies, car la situation locale commençait à<br />

devenir explosive. De retour à Dakar où il rendit compte de sa démarche à Paris,<br />

Lamine Guèye rapporte la joie des populations des quatre communes, à l'annonce que<br />

la rue Oudinot reconsidérait favorablement la revendication des autochtones. En tout<br />

cas, le 30 mai 1945, un nouveau décret était rendu public. Il abrogeait l'article 4<br />

précédent qui avait été à l'origine de la fronde au Sénégal. Le nouvel article était ainsi<br />

rédigé : « Les femmes citoyennes françaises sont électrices dans les mêmes conditions que<br />

les citoyens français. » Une injustice avait donc été réparée. Les femmes des communes<br />

de plein exercice du Sénégal retrouvaient exactement les mêmes droits que leurs<br />

homologues de la métropole. Lamine Guèye avait joué un rôle déterminant dans la<br />

modification de cette réglementation portant haut une revendication populaire. Il avait<br />

contribué à l'éclairer sous ses aspects juridiques. Son audience personnelle n'en fut que<br />

plus grande, surtout dans ce contexte où l'électorat était appelé, dans un proche avenir,<br />

à jouer un rôle important. Cette audience fut particulièrement grande dans les milieux<br />

féminins de la capitale, qui lui savaient gré de la réparation de l'injustice qui sur le<br />

moment les avait écartés des urnes.<br />

L'activité de l'avocat dakarois n'était certainement pas étrangère à cette<br />

remarque faite par toutes les études sociologiques sur la ville de Dakar: l'attachement<br />

de l'électorat féminin de la ville à l'égard de Lamine Guèye. Cet attachement est l'un<br />

des facteurs essentiels du maintien de Lamine Guèye, comme maire de la ville pendant<br />

plus de 15 ans ( de 1945 à 1961).<br />

Le corps électoral féminin dans les TOM en général, subissait une autre<br />

modification dans le sens de son élargissement. En effet, le 23 mai 1951, une nouvelle<br />

loi était adoptée. Elle stipulait : « Sont électeurs en particulier les mères de 2 enfants<br />

vivants ou morts pour la France et les pères de famille payant des impôts. » Cette loi<br />

ajoutait, au corps électoral, toutes les femmes ayant "deux enfants vivants ou morts pour<br />

la France". Sans nous attarder sur le caractère manifestement ambiguë de cette<br />

380


déclarée et totale de la loi coloniale sur la coutume, sur un domaine proprement social,<br />

dans l'objectif d'imposer le code de la Métropole avec une volonté évidente<br />

d'assimilation. Une lecture de la presse dakaroise de l'époque permet de penser que les<br />

pressions de l'Eglise n'étaient pas étrangères à cette réglementation.<br />

Toute la presse catholique, "Afrique Nouvelle", "Horizons Africains", "Savoir<br />

pour agir", "Jeunesse d'Afrique", préparait le terrain pour cette réglementation du<br />

mariage chrétien à imposer à l'Afrique Noire. Ces journaux fourmillaient d'articles plus<br />

ou moins violents contre le mariage coutumier et le mariage islamique. "Horizons<br />

Africains" s'exprime dans ces termes : « [...] Les coutumes sont tout de même<br />

remarquablement uniformes quant à cette conception générale qui assimile le mariage à un<br />

achat [...] les femmes jouets de leurs propriétaires, jouets séduisants. » La rédaction, en<br />

parlant de l'Islam, ajoute: « Notons que sur le plan religieux, l'islamisme est extrêmement<br />

nocif. Il sclérose les coutumes (du mariage) en leur état actueL »4 Dans les livraisons<br />

suivantes, le journal exposait les raisons pour lesquelles le mariage chrétien était la<br />

seule voie de salut pour l'Afrique Noire Française.<br />

Sur la question de la dot, autre coutume en rapport direct avec le mariage,<br />

l'organe dakarois avait publié plusieurs études et témoignages, avec un objectif bien<br />

précis que le journal livre en ces termes « Cependant, un objectif important reste à<br />

atteindre, l'usage de la dot [...] n'a plus aucune raison. »5 Pour ce journal catholique,<br />

coûte que coûte, il fallait modifier juridiquement, le sort de la femme africaine<br />

conformément au sort de sa collègue métropolitaine. Pierre Debeauce, l'un' des<br />

premiers à avoir lancé cette campagne contre l'islam et les coutumes du mariage local,<br />

exprime toute son argumentation en fonction de l'Européen qui arrive pour la première<br />

fois en Afrique noire. Celui-ci était particulièrement surpris de la grande différence<br />

entre le statut social de la femme européenne et celui de la femme africainé. Après<br />

toute cette campagne, la presse catholique dakaroise ne pouvait qu'exprimer sa joie, de<br />

voir une nouvelle réglementation, intervenir. Il s'agissait du décret Jacquinot publié par<br />

le J.O. du 18 septembre 1951. "Afrique Nouvelle" constatait : « Grâce au décret<br />

lacquinot, la femme africaine a fini d'être une "chèvre" >J. Le décret Jacquinot n'était, en<br />

fait qu'un maillon supplémentaire dans le processus de christianisation et<br />

d'européanisation du mariage en Afrique Noire. Cette presse catholique trouvait<br />

d'autres raisons de pourfendre encore un autre aspect du mariage en Afrique, la<br />

polygamie. "Afrique Nouvelle" qualifiait la polygamie en ces termes : «[...] demi<br />

esclavagisme qu'est la polygamie [...] l'avilissante condition du harem »8<br />

4. "Horizons Africains" N"2, Mai 1947.<br />

5. "Horizons Africains" N"4, 4 juillet 1947.<br />

6. "Horizons Africains" N"2, Mai 1947<br />

7. "Afrique Nouvelle" du 6 Octobre 1951<br />

8. "Afrique nouvelle" du 1er décembre 1951.<br />

382


juste, à la veille de la 2 eme guerre mondiale que le système colonial, en AOF, chercha à<br />

élever la jeune fille africaine à un niveau semblable à celui des garçons.<br />

Vincent G. Simiyu donnait les chiffres suivants pour souligner la faiblesse de<br />

la scolarisation des filles 14 donne:<br />

Années 1938 1946 1949-1950<br />

% de la scolarisation 2,35 3,35 4,15<br />

(garçons et filles) par<br />

rapport à la population<br />

% des filles par rapport - 19 20<br />

aux garçons<br />

Vincent G. Simiyu rapporte ces chiffres donnés par le docteur Aujoulat,<br />

ministre de la FOM dans les années 50 :<br />

- 23.489 filles scolarisées<br />

- contre 97.000 garçons<br />

- soit 120.489 élèves au total.<br />

Ces chiffres sont relatifs à l'année 1950. Ils confirment le retard énorme, pris<br />

par les filles vis à vis des garçons, dans la fréquentation scolaire comme en France à<br />

cette même période. L'organe catholique dakarois confirme le peu de cas fait de la<br />

promotion de la jeune fille africaine. En effet, pour l'admission à l'Ecole des Sages­<br />

Femmes Africaines de Dakar, pour l'année 1951, seulement 20 candidates avaient été<br />

admises pour toute la Fédération.<br />

Les inscriptions des jeunes filles à l'Ecole des Infirmiers et Infirmières d'Etat,<br />

située aussi à Dakar, avaient été peu nombreuses pour la même année, seulement 18<br />

places étaient mises en concours avec la répartition suivante:<br />

- élèves internes: 8 filles et 4 garçons<br />

- élèves externes: 6 garçons et filles15<br />

Dans le rapport présenté aux premières journées sociales de Dakar, en mai<br />

1956, l'un des conférenciers du Secrétariat Social, Jean Servant, introduisant le thème<br />

"emploi des jeunes à Dakar, problèmes d'orientation, de formation et de débouchés"<br />

donne pour l'année 1956 dans l'école élémentaire : 19.805 filles et 18.803 garçons<br />

(secteur public et privé confondus). A la lecture de ce rapport, on remarque que le<br />

nombre des filles est supérieur à celui des garçons, à ce niveau de l'enseignement.<br />

Malheureusement, au niveau du secondaire, la répartition entre garçons et filles<br />

n'apparait pas dans le rapport. Mais on peut considérer qu'au niveau du premier cycle,<br />

14. V. G. Simiyu, l'Assemblée de l'Union française, 1975, pp.492-493<br />

15. "Afrique Nouvelle" du 10 Novembre 1951. Il s'agit de la l ere promotion.<br />

385


du Sénégal qui devint Assemblée Territoriale, la situation ne fut guère différente. En<br />

conséquence, aucune ne put être membre du Grand Conseil de l'AOF, en raison du<br />

mode de représentation au sein de cette institution. Au conseil municipal de Dakar, la<br />

situation de la femme était identique. Les hommes occupaient tous les postes de<br />

candidats et d'élus et ceci au temps de la toute puissance de la SFIO dans cette instance<br />

aussi bien qu'au temps où l'opposition B.P.S s'y affirmait, exactement comme avec la<br />

fusion des deux grandes formations B.P.S et P.S.AS avec la création de l'U.P.S en 1958.<br />

De même les femmes étaient absentes au sein des institutions entièrement contrôlées<br />

par les Européens, comme la Chambre de commerce de Dakar.<br />

Dans les partis politiques et les syndicats, les choses allaient de la même<br />

manière. Les femmes étaient absentes à presque tous les niveaux de responsabilité.<br />

Quelques exceptions - confirmation de la règle - parmi les 23 signataires du Manifeste<br />

annonçant la création du P.A.I, en septembre 1957, Madame Basse était la seule femme<br />

de l'équipe 20 . Autre exception: aux élections municipales de Dakar en 1945, Madame<br />

Gaspard Kâ, épouse d'un notable, fut inscrite 22 eme sur la liste conduite par Lamine<br />

Guèye. Ceci fut considéré à l'époque comme une marque de promotion de la femme<br />

africaine.<br />

Cependant, l'absence des femmes dakaroises dans les instances dirigeantes<br />

n'était nullement synonyme de leur rôle insignifiant dans les secteurs en question. Si la<br />

SFIO et Lamine Guèye furent omnipuissants à la municipalité de Dakar après chaque<br />

élection, ils le devaient essentiellement à la forte mobilisation des femmes dans leur<br />

camp. Jusqu'aux synthèses de police et sûreté qui mettent en évidence cette influence<br />

des femmes en faveur de l'avocat, jusqu'aux études sociologiques faites sur la ville à<br />

cette période, jusqu'aux études de sciences politiques et recherches historiques, tout<br />

confirme cette place déterminante des femmes dans la mobilisation. De même, le rôle<br />

joué par les femmes dans les luttes syndicales est jugé unanimement, comme<br />

déterminant. Par exemple, dans le conflit syndical le plus long que la fédération ait<br />

connu dans l'après-guerre, avec la grève des cheminots du R.A.N (Réseau d'Afrique<br />

Noire). c.c. Vidrovitch montre le caractère social de ces revendications à la base de la<br />

grève, mais surtout la place éminente prise par les femmes dans le déroulement du<br />

conflit 21 . Falilou Diallo, n'insiste pas moins sur ce rôle des femmes dans le Sénégal<br />

d'après-guerre 22 . G. Martens, dans son étude sur les questions syndicales pendant la<br />

période, met aussi en exergue le rôle déterminant des femmes pour soutenir les hommes<br />

dans les conflits 23 . Dans le domaine littéraire, Sembène Ousmane illustre parfaitement<br />

20. Voir liste dans "Gëstu" N"24, Août 1987, p.9.<br />

21. c.c. Vidrovitch, Permanences et ruptures, 1985, p.334.<br />

22. Falilou Diallo, Histoire du Sénégal 1944-1948.<br />

23. G. Martens in Le mois en Afrique, N"205/206, Fév-Mars 1983.<br />

387


ce rôle des femmes dans la grève des cheminots 24 de 1947-1948. Dans un dialogue entre<br />

Hadramé, le commerçant maure, et la ménagère, Ramatoulaye, on trouve ces propos:<br />

« - Hadramé, tu sais que j'ai toujours payé mon dû. Et puis c'est toi qui nous a<br />

acheté nos bijoux. Tu peux me donner au moins 2 kg de (riz)<br />

- Dites à vos hommes de reprendre le travail (répond le boutiquier maure).<br />

Vous allez crever de faim; cette grève, c'est la guerre entre des oeufs et des cailloux [...] Je<br />

sais que si vous, les femmes, cessez de les soutenir, ils reprendront le chemin des ateliers. »25<br />

Dans la ville de Thiès, centre principal de la Régie, Sembène Ousmane<br />

donne la parole à l'une des femmes. Penda s'adresse à l'assemblée des grévistes, en ces<br />

termes: « Je parle au nom des femmes. Pour nous, cette grève, c'est la possibilité d'une vie<br />

meilleure [. ..J Nous vous demandons de garder la tête haute et de ne pas céder. Et demain,<br />

nous allons marcher jusqu'à N'dakaru [...] et les toubabs verront si nous sommes des<br />

concubines. »26 Cette initiative des femmes constitua la pierre angulaire du<br />

dénouement. Elles partirent très nombreuses de Thiès, dans la fatigue, la soif et la faim.<br />

Lors des étapes de Sébikotane et Rufisque, elles furent particulièrement bien reçues par<br />

les femmes de ces villes. Les marcheuses eurent droit, par contre, dans les abords<br />

immédiats de la capitale, à une répression sanglante. Dès le lendemain, toute la ville de<br />

Dakar était paralysée par une grève générale de soutien au mouvement des marcheuses<br />

et des cheminots. Les autorités coloniales durent intervenir puissamment contre la<br />

direction de la Régie pour l'obliger à entamer des négociations sérieuses qui aboutirent<br />

à la fin du conflit.<br />

2) La femme face à l'emploi<br />

Rapportant les résultats d'une enquête menée à Dakar dans la période, sur<br />

un échantillon de 336 femmes mariées, Colette La Cour Grandmaison 27 écrit:<br />

commerce etc) : 100<br />

« - femmes sans activité: 130<br />

- femmes indépendantes c.a.d ayant une activité de type traditionnel (tissage,<br />

- femmes salariées: 106. »<br />

Dans une intervention faite au 6 éme séminaire international organisé par<br />

l'université d'Ibadan au Nigéria, en juillet 1964, D. Van Der Vaeren Aguessy donne les<br />

conclusions d'une étude sur la place des femmes dakaroises dans le secteur des activités<br />

des marchés dans la ville : « Les femmes dakaroises occupent 60 % de cet emploi en<br />

1959.»28 Au même moment, les proportions étaient 83 % à Lagos, 85 % à Accra, 66 %<br />

24. Sembéne Ousmane, Les bouts de bois de Dieu, 1960.<br />

25. Ibid, p.75.<br />

26. Ibid, p.288.<br />

27. Stratégies matrimoniales... p.202<br />

28. D. Van Der Vaeren Aguessy, Les femmes commerçantes de détail sur les marchés dakarois, p.244.<br />

38-8


à Brazzaville, remarquait la communication. Pour son auteur, si les femmes occupent<br />

une place dans ce commerce de détail, c'est pour améliorer le niveau de vie familial.<br />

Elles visent aussi à acquérir plus d'indépendance personnelle. Analysant ce que rapporte<br />

cette occupation aux femmes en question - lequel apport est relativement faible ­<br />

Aguessy en conclut que ces Dakaroises constituent une nouvelle partie du prolétariat<br />

urbain qui se développe avec l'accroissement constant de la population de la ville.<br />

Colette La Cour Grandmaison évalue la part du salariat féminin dans la capitale à 7,5 %<br />

par rapport à la population féminine. Elles étaient 13.700 salariées. Cette étude qui date<br />

de 1964, traduit une situation qui, dans l'ensemble, n'a pas beaucoup changé par rapport<br />

à la décennie antérieure. La répartition, issue de l'enquête, indique:<br />

- professeurs d'enseignement secondaire: 30<br />

- secrétaires de direction: 50<br />

- sages-femmes: 70<br />

- institutrices: 300<br />

- infirmières diplômées: 90<br />

- employées des P.T.T : 50<br />

- dactylos et filles de salles: 300<br />

- domestiques: 1.000<br />

- ouvrières en usines: 790.<br />

Pour c.L. Grandmaison, les 3/4 du salariat féminin dans la ville de Dakar<br />

étaient constitués de domestiques et assimilés. Les emplois de bureau et le grand<br />

commerce représentaient près du 1/4. Par contre, le travail industriel féminin ne<br />

représentait que 0,4 % de la population féminine active. On retrouve ces femmes, en<br />

quasi-totalité, dans les conserveries de poissons. Elles étaient recrutées souvent de façon<br />

saisonnière, au moment des grandes pêches. 1.000 employées domestiques seulement<br />

étaient déclarées et payées sur la base du SMIG mais en réalité les femmes domestiques<br />

étaient beaucoup plus nombreuses. Elle se chiffrait à 5.000 sur l'ensemble des 10.000<br />

femmes salariées estimées pour tout le territoire du Sénégal. Cette prédominance du<br />

travail domestique salarié chez les femmes se justifiait, d'après C.La Cour Grandmaison,<br />

par la faible scolarisation; seulement 5 % des femmes, à Dakar, savaient lire et écrire le<br />

Français. En 1965, on compte dans la ville à peine une vingtaine à détenir un titre<br />

universitaire, dont 3 étaient magistrats. Deux femmes seulement étaient universitaires et<br />

une était député. L'enquête montre aussi:<br />

- femmes indépendantes<br />

commanditaires de tisserands: 200<br />

marchandes de poisson: 500<br />

vendeuses de produits maraîchers: 1.300<br />

vendeuses sur les marchés: 1.200<br />

389


étaient «des indices de transfonnation des structures économiques, sociales, mentales et des<br />

habitudes de vie. »31 Chez ces femmes dakaroises, il est évident que la situation de<br />

l'emploi n'était pas brillante,par suite des bouleversements introduits par le système<br />

colonial, en particulier l'école. Cependant, ces difficultés eurent pour conséquences une<br />

activité réelle en vue de chercher une amélioration des conditions de vie. Sur ce point, la<br />

femme africaine de Dakar a cherché à prendre en main son propre destin.<br />

111/ MARIAGE, FAMILLE, PROSTITUTION ET ENFANCE ABANDONNEE.<br />

1) Le mariage.<br />

Dans la partie relative à la situation de la femme définie dans les textes, on<br />

note que l'administration coloniale avait introduit toute une législation et<br />

réglementation sur le mariage. Cependant, comment, dans la réalité, se présentait la<br />

question?<br />

P. Mercier constate qu'il n'y avait pratiquement pas de mariages mixtes<br />

(Européens et Africains), célébrés sur place. Evidemment, ceci ne signifiait pas que des<br />

couples mixtes n'existaient pas à Dakar. Certains étudiants africains étaient revenus de<br />

métropole avec des épouses européennes. Numériquement, cela représentait quelque<br />

chose de très faible. Du reste, l'opinion publique dans l'ensemble était hostile à cet état<br />

de fait. En effet, diverses organisations en condamnaient la pratique. Du côté africain, il<br />

y avait le C.l.S, l'U.F.S et l'U.F.O.A (Union des femmes ouest-africaines). Dans ces<br />

conditions, les Africains se mariaient entre eux, mais aussi les Européens entre eux car<br />

ils considèrent le mariage inter-racial comme l'atteinte essentielle au prestige de<br />

l'Européen. P. Mercier rapporte « La presque totalité de nos interviewés expriment une<br />

nette réprobation de tels mariages. » et que « Les relations entre membres du groupement<br />

européen et couples mixtes sont rares. »3 2<br />

Paul Mercier indique que 71 % des ménages à Dakar étaient constitués par<br />

des entités dans lesquelles les hommes et les femmes appartenaient à la même ethnie.<br />

Ainsi, 29 % seulement des ménages étaient constitués d'hommes et femmes d'ethnies<br />

différentes 33 .<br />

Colette La Cour Grandmaison, dépouillant des enquêtes sur un échantillon<br />

de 336 femmes mariées, en conclut que le mariage le plus recherché à Dakar était celui<br />

au sein de la parenté "m'boka", soit en lignée maternelle, soit en lignée paternelle 34 .<br />

Elle remarque que les cas d'exogamie étaient très rares.<br />

31. D. Van Der Vaeren Aguessy, op. cit., p.247<br />

32. P. Mercier, L'agglomération dakaroise, op cit. 1954.<br />

33. P. Mercier, Le groupement européen de Dakar, 1955, p.140.<br />

34. Colette Lacour Grandmaison, op. cit., p.202.<br />

391


liens étroits de cette parenté, des éléments intervenaient pour que le mariage ne soit pas<br />

seulement une opération mercantile.<br />

Soeur André Marie, parlant de l'attitude de la femme vis à vis du mariage,<br />

écrit: « Habituée par des siècles de servitude à une apparente passivité, la femme africaine<br />

n'avait aucune notion de sa responsabilité morale, ni de sa dignité humaine et trouvait<br />

nonnal de ne pas s'appartenir. » Pour Soeur André Marie, parce que l'homme achète sa<br />

femme en Afrique, le mariage étouffait l'âme de l'Africaine. De la jeune fille africaine,<br />

elle écrit « Devenue grande, elle se laisse aller à la douceur d'être aimée. Son entourage<br />

même lui offre les complicités qui favorisent sa licence. Sa mère lui apprend à dissimuler ses<br />

fugues, comme elle lui enseigne l'art de rapiner et de satisfaire ses caprices. »40 M. Bertaud<br />

parle de la jeune fille africaine, en des termes peu différents de ceux de Soeur André<br />

Marie: «A peine née, la fille est l'objet de convoitises, elle subit l'homme dont elle est la<br />

servante née [...Jses parents, ses frères, son père, sa mère surlout provoquent et favorisent ses<br />

amours dont ils tirent profit. »41 Pour ces derniers auteurs, le mariage en Afrique n'était<br />

que le couronnement logique de l'exploitation de cette valeur marchande qu'était la<br />

femme africaine.<br />

Evidemment la question était de savoir le degré d'indépendance de ces<br />

chercheurs en question comme de tant d'autres par rapport aux hautes préoccupations<br />

des grands milieux économiques coloniaux. On remarque que ces "spécialistes" de la<br />

condition de la femme africaine, officiaient à une période de vaste campagne contre la<br />

famille africaine lancée par divers cercles, mais surtout exactement dans la ligne<br />

directrice de ces milieux en question. Soeur Marie André, par exemple, était invitée, le 6<br />

juin 1952, devant le haut parterre de l'Académie des Sciences Coloniales. On note qu'au<br />

terme de la longue discussion qui suivit son exposé "scientifique" comme le qualifiait un<br />

intervenant, c'est à l'unanimité que l'institution décidait de faire rédiger un voeu à<br />

l'adresse des autorités gouvernementales. Ce voeu avait trait à la question du paiement<br />

des allocations familiales aux travailleurs salariés en Afrique. Il demandait que ces<br />

allocations soient versées uniquement pour une femme: la première. En Afrique Noire<br />

Française, ces allocations avaient constitué une revendication fondamentale des<br />

travailleurs. A travers l'argumentation de ces "spécialistes" des questions sociales<br />

africaines - genre M. Bertaud ou Soeur André Marie - les grands milieux coloniaux<br />

recherchaient bien les moyens de refuser toute satisfaction aux revendications des<br />

travailleurs. En cela, ces "spécialistes" constituaient simplement les lits moelleux des<br />

intérêts des grands milieux d'affaires. Un certain racisme pointait, du reste, dans<br />

l'approche de cette question du mariage.<br />

40. Cité par "Présence Africaine" N" AV-Mai 1957, p.B3.<br />

41. Ibidem<br />

39'4


2) Famille<br />

L'enquête menée à Dakar et dont les résultats furent présentés lors des<br />

deuxièmes journées organisées par le Secrétariat Social sur l'habitat, avait mis l'accent<br />

sur la taille très importante de la famille africaine. Du reste, ce même constat était déjà<br />

fait lors des premières journées, deux ans auparavant, à partir de l'observation de<br />

l'emploi.<br />

D'autres sources avaient également mis l'accent sur ce fait: la grande taille<br />

de la famille en milieu indigène dakarois. Par exemple, V. Martin, étudiant la chrétienté<br />

dakaroise, en 1955, indique que chaque foyer comprenait en moyenne 4 personnes.<br />

Refaisant le même travail, 5 ans plus tard, il constate que la taille de la famille s'était<br />

accrue en passant de 4 personnes en 1955, à 4,6 personnes en 1960. La moyenne des<br />

enfants par ménage était de 2,7. V. Martin constate que cette moyenne est variable<br />

selon les ethnies, selon le niveau social de la famille, mais selon que le mariage a été<br />

célébré ou non à l'église, ou à l'état civil.<br />

Y. Mersadier, étudiant en 1954/55 les budgets familiaux dans les 3<br />

principales villes sénégalaises (Saint-louis, Thiès et Dakar) donne les chiffres suivants<br />

quant aux tailles des familles, selon les catégories socio-professionnelles 42<br />

Catégories professionnelles 1 Nombre de personnes*<br />

Ouvriers 6,3<br />

Employés 5,2<br />

Manoeuvres 5<br />

Plantons 5,7<br />

Artisans 7,5<br />

Cultivateurs 10,2<br />

L'étude indique cependant que les étrangers étaient peu nombreux dans ces<br />

familles puisque les chiffres les plus bas étaient 0,1 et les plus élevés 1,2 en moyenne.<br />

La revue "Marchés Coloniaux" aussi s'était intéressée à la taille de la famille,<br />

surtout chez le travailleur africain. Dans un article intitulé" Comment vit un travailleur<br />

africain au Sénégal" - article signé "un de nos informateurs dakarois" - le journal donne<br />

le chiffre de 5 personnes en moyenne par famille.<br />

42. Y. Mersadier, Budgets familiaux tableau II, p.42.<br />

• Ces chiffres incluent, outre les parents et les enfants, les étrangers.<br />

395


Le journal fait la distinction entre la famille "étroite" (à l'européenne) et la<br />

famille "étendue". La différence réside pour la revue, dans le fait qu'à la famille<br />

"étroite", le salarié africain ajoute trop d'étrangers sous le prétexte d'hospitalité.<br />

L'organe de presse ajoute: « Il s'agit là, d'un grave problème social aboutissant à faire<br />

vivre aux dépends d'un élément actif, tout un groupe improductif et plus ou moins<br />

parasite.»44 Cet article n'était que l'un de toute une série. "Marchés coloniaux"<br />

dénonçait la taille démesurée de la famille des salariés africains intégrant trop de<br />

nouveaux venus "parents". Dans ces conditions, le journal déniait aux travailleurs<br />

africains la légitimité de leurs revendications sur les salaires et les nouvelles indemnités<br />

et allocations puisque les avantages obtenus étaient sans cesse annulés par la croissance<br />

constante de la famille. Pour l'organe des grands milieux d'affaires coloniaux, c'était<br />

l'environnement familial qui était à l'origine des difficultés de vie du travailleur africain.<br />

En conséquence, tout effort d'augmentation des salaires était voué à l'échec.<br />

Evidemment, le contexte expliquait bien les véritables fondements de cette<br />

argumentation. Dans cette période 1950-1953, le coût de la vie à Dakar avait<br />

vertigineusement augmenté. Les travailleurs indigènes, misérables, se battaient pour un<br />

code du travail garantissant à tous points de vue une situation décente. Devant cette<br />

bataille revendicative, les milieux économiques en partie, responsables de cette situation<br />

des travailleurs, multipliaient les arguments en faveur de "l'inutilité d'un effort salarial".<br />

Etudes économiques, sociales etc... tout était mis à profit pour atteindre l'objectif<br />

fondamental: exploiter au maximum la force de travail africaine. La famille africaine<br />

était ainsi présentée, largement, comme un véritable frein au développement du<br />

travailleur africain. Le système des salaires n'y était pour rien.<br />

Cette famille africaine était elle solide?<br />

L'étude de Colette La Cour Grandmaison fait apparaître que 100 femmes<br />

dakaroises avaient divorcé de 150 hommes. Dans cette étude, les femmes de la tranche<br />

d'âge 50-60 ans, avaient, en moyenne, chacune contracté deux mariages. Dans la tranche<br />

d'âge des 30 ans, 8 % en moyenne des femmes mariées avaient déjà divorcéS. Ainsi,<br />

selon l'auteur de cette enquête, les risques de divorce étaient plus élevés dans les 4<br />

premières années du mariage.<br />

Cette solidité plus ou moins grande de la famille, à Dakar, était en rapport<br />

étroit avec la polygamie. Mais cette pratique était relativement peu importante puisque<br />

« Le nombre d'hommes polygames représente 18 % de la population masculine<br />

dakaroise.»46 L'enquête indiquait que dans les ethnies de la ville, la polygamie était plus<br />

grande chez les Lébous avec 26 %. Au total, 10 % des foyers lébous avaient au moins<br />

deux ménages.<br />

44. "Marchés coloniaux" N°406, Avril 1953.<br />

45. Colette La Cour Grandmaison, op. cit., p.213.<br />

46. Ibidem, p.209 citant Paul Mercier.


quartiers indigènes. Celle-là était la petite prostitution au point de vue de son<br />

organisation et des tarifs pratiqués. Selon ces interlocuteurs, à plusieurs reprises, des<br />

bruits - qu'ils ne peuvent étayer de preuves évidentes - avaient couru, dans la capitale,<br />

faisant état de réseaux organisés pour expédier en métropole des jeunes filles africaines<br />

qu'on lançait dans la prostitution. Ces affirmations ne nous semblent pas sans<br />

fondement étant donné le caractère répétitif de ces rumeurs qui laissaient percer une<br />

certaine inquiétude des milieux africains de la ville. D'autre part, lorsque la rédaction<br />

des "Echos d'Afrique Noire" parle d'opération anti-corse montée par la police de la ville<br />

avec ce que le journal présentait comme le "prétexte" « histoire d'enlèvements de mineurs<br />

et de séquestration »54, il est fort à parier qu'une relation existait entre ces rumeurs et ce<br />

"prétexte". Un autre organe "Condition Humaine" titrait "Offre d'emploi" dans une de<br />

ses livraisons. A la lecture de l'article, il était question de la circulaire N D<br />

585/DIR/cab<br />

du Chef du Territoire du Sénégal, à la date du 9 juillet 1952. La circulaire du gouverneur<br />

rappelait à l'ordre les responsables administratifs qui sapaient leur propre autorité en<br />

cédant à des considérations de complaisance. Le journal, explicitant la circulaire,<br />

indique que les commandants de cercles, de subdivisions et autres responsables, usant<br />

de leur autorité, entretenaient des relations de bas niveau avec des filles africaines.<br />

L'organe du BDS dénonce ainsi l'organisation d'une certaine forme de prostitution dans<br />

l'administration elle-même. Cet article, plein d'humour et de sarcasme, montre qu'à<br />

partir des bureaux de ces autorités administratives, les filles africaines pouvaient « avoir<br />

accès directement aux appartements privés du commandant qui, en ce qui le concerne saura<br />

étouffer sa haine du nègre.»55 L'organe du BDS insiste aussi sur le fait que les<br />

responsables SFIO orchestraient une certaine forme de prostitution dans le cadre de<br />

leurs manifestations de réjouissance : "khawarés", "tannebers", "fanaux" etc... Pour<br />

"Condition Humaine", les activités laministes étaient l'équivalent de perversions. En<br />

retour, le journal laministe "AOF' montrait que les véritables organisateurs de la<br />

perversion étaient ceux du BDS. Pour les uns comme pour les autres, celle-ci se situait<br />

dans le camp adverse. Christianisme et Islam, religions dominantes à Dakar,<br />

condamnent la prostitution. Mais à travers l'utilisation de cette arme morale dans la<br />

lutte politique, chaque camp cherchait à attirer les faveurs des autorités religieuses. Le<br />

recours à cette arme montre bien que le milieu social condamne la prostitution qui<br />

même non acceptée, était pourtant bien présente à Dakar.<br />

54. Ibidem<br />

55. "Condition Humaine" du 21 août 1952.<br />

400


: L'enfance abandonnée.<br />

Elle était présente à Dakar de manière évidente avec les Eurafricains dans la<br />

ville. Combien étaient-ils ? Faute de sources précises et de chiffres crédibles, une<br />

réponse est difficile à donner.<br />

Pour l'ensemble de l'AEF, en tout cas, le chiffre de 5 à 6.000 Eurafricains est<br />

avancé, avec une majorité résidant au Gabon qui était la plus ancienne des colonies de<br />

ce groupe de territoires. Ce chiffre est avancé par un des animateurs de Radio­<br />

Brazzaville lors d'une conférence donnée à Dakar et rapportée dans ces grandes lignes,<br />

par les journaux catholiques de la ville 56 . Les conclusions de cette conférence indiquent<br />

que le phénomène de l'existence des Eurafricains était largement fonction de<br />

l'ancienneté de la présence française. Or, le Sénégal était la plus ancienne de toutes les<br />

colonies françaises au sud du Sahara, ce qui par voie de conséquence, donne des<br />

indications sur le développement local probable du phénomène. Cette importance était<br />

également attestée par la création d'une association reconnue par les autorités<br />

administratives. Elle avait son siège social à Dakar et étendait ses compétences à<br />

l'ensemble de la Fédération d'AOF et au Togo. Cette association publiait à Dakar, un<br />

bulletin intitulé "l'Eurafricain". Ses activités étaient diverses : organisation de<br />

conférences, distributions de secours, organisation de cours de couture et cuisine, prise<br />

en charge d'enfants eurafricains, participation à des congrès internationaux de métis...<br />

Elles étaient largement relatées dans les colonnes du bulletin de liaison.<br />

Les subventions octroyées par l'administration, sans difficulté aucune,<br />

permettaient à l'association de pouvoir faire face à l'organisation de ces activités.<br />

Parlant de ces Eurafricains, "Horizons Mricains,,57 écrit « Les enfants de la misère, qui<br />

errent trop nombreux dans la cité. »<br />

L'Eglise catholique dakaroise accueillait beaucoup de ces enfants dans ses<br />

oeuvres comme Saint Joseph du Cluny, route de Ouakam dans la Médina. Elle faisait<br />

appel, pour faire face à cette situation, à des aides financières ou matérielles diverses.<br />

L'Eglise avait également conscience que ces Eurafricains pouvaient jouer un rôle<br />

important, dans la communication sociale entre les groupes raciaux de la ville. Aussi<br />

s'évertuait-elle à créer les conditions d'instauration d'un dialogue entre Européens,<br />

Mricains et Eurafricains. Mais, l'enfance abandonnée, dans la capitale fédérale, n'était<br />

pas seulement l'enfance eurafricaine. Diverses sources parlent d'enfants africains<br />

abandonnés, dans les quartiers indigènes, souvent par leurs mères, elles aussi,<br />

abandonnées par les hommes responsables de ces grossesses. Les oeuvres sociales<br />

catholiques jouaient un rôle non négligeable dans la récupération de ces enfants et par<br />

la suite leur éducation.<br />

56. "Afrique nouvelle" et "Horizon Africain", Mars 1951.<br />

57. N°42, Mars 1951.<br />

401


\" L<br />

A propos de cette enfance abandonnée, la responsabilité de certains<br />

marabouts était évidente: ils précipitaient dans la misère beaucoup de petits talibés ­<br />

élèves coraniques - qui leur étaient confiés. Ces enfants quémandaient l'aumône du<br />

matin au soir. Ils en profitaient, aussi souvent, pour rapiner par-ci et par-là. Pour<br />

expliquer l'importance du phénomène de l'enfance abandonnée, l'insuffisance notoire<br />

des infrastructures scolaires est un facteur de taille. Trop d'enfants ne pouvaient pas<br />

aller à l'école. Beaucoup étaient périodiquement rejetés hors de l'école, chaque fin<br />

d'année, par un système éducatif incohérent, inadapté et qui montrait peu d'intérêt à<br />

éduquer le plus grand nombre.<br />

Toute ces catégories d'enfants constituaient la masse des jeunes délinquants.<br />

La presse locale dénonce très souvent la délinquance juvénile importante dans la<br />

capitale fédérale. Une conférence, donnée à Dakar par le magistrat Benglia, président<br />

du tribunal pour enfants mineurs, illustrait parfaitement certains des mécanismes<br />

conduisant de l'enfance abandonnée à l'enfance délinquante à Dakar. La presse<br />

dakaroise, en particulier catholique, avait fait largement écho à cette conférence. Parmi<br />

les facteurs d'explication, un était naturellement déterminant: la condition déplorable<br />

que connaissait la femme dakaroise qui, quotidiennement, subissait des pesanteurs très<br />

lourdes.<br />

On le voit, prostitution et enfance abandonnée avaient une réelle ampleur<br />

dans la ville. Incontestablement, les maux du système colonial s'ajoutaient - sur le plan<br />

arithmétique - à ceux de la société africaine traditionnelle, bouleversée par la<br />

domination étrangère, facteur fondamental d'explication.<br />

4) Une journée de la femme dakaroise.<br />

Dans les pages précédentes, les conditions de l'habitat, de la santé, de l'école<br />

etc... ont été passées en revue. On peut en conclure que, pour la grande masse de la<br />

population, la situation d'ensemble était précaire. A l'opposé, une minorité avait une<br />

existence décente et même enviable. Dans cette situation globale, comment se déroulait<br />

la journée de la femme dakaroise ?<br />

Pierre Richard, en parlant de la femme européenne de la "gentry" dakaroise,<br />

écrit que la première chose qu'elle faisait, au réveil, était de consulter son agenda, puis<br />

elle commençait une journée de loisirs 58 .<br />

La femme africaine, elle, avait « réveillé le soleil à la borne fontaine »59.<br />

Solange Faladé remarque que cette corvée d'eau lui demandait plusieurs allées et<br />

venues et que la longue queue d'attente à la borne fontaine entamait largement sa<br />

patience. "Condition Humaine" traduit cette situation en remarquant que cette femme<br />

58. Pierre Richard, Revue internationale de la FOM, Mai 1957.<br />

59. "Condition Humaine" du 11 avril 1953, article: "Mon quartier accuse".<br />

402


qui avait « réveillé le soleil », avait déjà l'astre au dessus de la tête alors que la corvée<br />

n'était toujours pas terminée.<br />

Dès que celle-ci se terminait, elle avait autre chose à faire: préparer les<br />

enfants qui devaient aller à l'école - s'ils y avaient de la place -, s'atteler au ménage de la<br />

chambre avant de vaquer à cette tâche moralement pesante et redoutée : aller au<br />

marché. Véritable angoisse de la femme dakaroise puisqu'il était obligatoire de passer<br />

d'abord chez le boutiquier maure du coin pour trouver le riz et l'huile indispensable.<br />

Rarement ces denrées pouvaient être considérées comme acquises d'avance. Le<br />

problème de la qualité n'intervenant que dans le cas où il y avait possibilité financière<br />

d'en avoir. La spéculation était souvent de règle aussi bien sur la qualité que sur la<br />

quantité.<br />

Le nécessaire de ces denrées quotidien en main, elle pouvait se diriger alors<br />

vers le marché. C'était une étape de calvaire dans la mesure où ses 200 à 300 F CFA<br />

devaient obligatoirement suffire à acheter les condiments et autres: oignons, tomates,<br />

poisson, - très rarement de la viande trop chère - carottes, pomme de terre ou patate,<br />

charbon, pétrole etc... Tout ceci en quantité suffisante pour pouvoir préparer les deux<br />

repas de la journée et pour une large famille. Difficile opération en tout cas.<br />

Le chemin qui menait de la maison au marché était redoutable dans la<br />

mesure où pour cette femme, manifestement ses moyens étaient insuffisants pour<br />

pouvoir faire face aux nécessités. Mais il fallait coûte que coûte trouver ce minimum<br />

pour faire manger "correctement" la famille. Ainsi souvent, ce bout du chemin était fait<br />

avec la voisine, ce qui permettait d'échanger les impressions réciproques sur les cours de<br />

tel ou tel produit, sur la gymnastique financière opérée pour pouvoir acheter telle chose<br />

au lieu de telle autre, ou avec telle autre etc... La calebasse moitié vide - ou moitié<br />

pleine, comme on voudra - après mille et une palabres avec les vendeurs de détail du<br />

marché, il fallait alors retourner à la maison. En cours de route, les deux compagnes ne<br />

manquaient que très rarement l'occasion de médire de telle ou telle autre voisine ou co­<br />

épouse. C'était alors un divertissement par rapport à ces soucis permanents liés au<br />

marché.<br />

Pendant ce temps, Madame l'Européenne avait fini depuis longtemps de<br />

dicter ses ordres à la bonne ou au boy indigène ou aux deux parfois. Alors, au volant de<br />

sa voiture personnelle ou à l'arrivée de la voiture de fonction du mari, ou du service du<br />

mari, elle commençait une journée professionnelle ou une journée de plaisir, selon les<br />

cas. Dans un cas comme dans l'autre, le repas était fin prêt au retour de Madame, la<br />

maison bien entretenue, le linge lavé et repassé etc... Si Madame avait une journée<br />

professionnelle, à coup sûr, elle avait, sous ses ordres soit, les institutrices, soit les<br />

infirmières, soit les dactylos, soit les employées africaines qui exécutaient ses ordres,<br />

directives et instructions.<br />

403


La femme indigène avait aussi des soucis de santé pour les enfants. Où les<br />

faire consulter et espérer des soins corrects ? Une peur bleue de l'ordonnance la<br />

tenaillait. Elle savait bien qu'il n'y avait pas d'argent pour l'acheter. La nourriture du<br />

midi et du soir était déjà un problème épineux. Le petit déjeuner, lui, n'était pas<br />

toujours considéré comme partie intégrante de l'alimentation quotidienne dans de<br />

nombreux foyers.<br />

Au soir d'une journée qui n'avait pas été de tout repos, aller au lit signifiait<br />

rejoindre sa case ou sa baraque dans la plupart des cas. Elle était hantée par la crainte<br />

permanente que le quartier ne connaisse un incendie cette nuit là, parce que tout le<br />

voisinage n'était qu'un bidonville qui pouvait s'enflammer facilement. Une chose était<br />

certaine: il ne fallait pas compter sur l'électricité pour s'éclairer. Au mieux il y avait une<br />

lampe tempête ou une bougie. A coup sûr aussi, il y avait beaucoup de monde dans la<br />

chambre. Le lit était en bois grossièrement taillé si ce n'était pas la natte. Dans le ca où<br />

il y avait un matelas, celui-ci était fait de paille de riz ou d'autres herbes. Bien entendu,<br />

la Dakaroise se couchait sans lire quoi que ce soit puisqu'elle était, en règle générale,<br />

analphabète. Les informations radiodiffusées ? Dans la chambre sinon dans toute la<br />

concession, il n'y avait pas de poste récepteur. Les informations de la journée se<br />

limitaient souvent à ce qu'elle avait vu ou entendu sur le chemin du marché ou à la<br />

borne fontaine. En somme, une information peu "informante" sur l'actualité dans la ville<br />

et à plus forte raison sur le reste du monde.<br />

Une fois au lit, dormait-elle aussitôt? Rien n'était moins sûr. Les enfants<br />

étaient peut-être encore dans la rue à s'amuser avec les camarades d'âge. Apparemment<br />

rien ne pouvait arriver de fâcheux mais sait-on jamais? surtout dans ces ruelles du<br />

quartier où l'électricité était absente. D'autres soucis se bousculaient dans la tête. Le<br />

mari, parti depuis la première aube, n'était souvent pas encore de retour au foyer. Avait­<br />

il trouvé ou non un emploi de journalier aujourd'hui? Etait-il resté en journée continue<br />

à l'usine ou au chantier ou aux docks du port? L'homme ne s'était-il pas simplement<br />

attardé à la "grand'place" avec les autres de sa génération. Etait-il passé voir la 2 eme , la<br />

3 eme sinon la 4 eme épouse? Si elle était dans un ménage polygame et qu'elle était de<br />

"tour", l'idée ne manquait pas de l'effleurer que son homme serait passé rendre une<br />

visite de "courtoisie" à l'autre ou aux autres. Si elle apportait une réponse à toutes ces<br />

interrogations qui la tenaillaient, alors, seulement, elle pouvait espérer pouvoir dormir<br />

d'un sommeil réparateur. C'était possible, si évidemment, un tam-tam n'était pas<br />

organisé cette nuit dans le voisinage à l'occasion d'un baptême, d'un mariage, de<br />

fiançailles ou d'autres motifs comme le milieu n'en manquait pas.<br />

De quoi serait faite la journée de demain? Cet aspect la préoccupait moins.<br />

A sa quasi certitude, elle serait dure comme celle qui venait de s'achever. Aucun espoir<br />

réel qu'elle soit une journée différente, apportant de réelles raisons morales et<br />

matérielles de satisfaction. Par ailleurs, les enfants avaient-ils appris les leçons du<br />

404


lendemain - s'ils avaient cette chance d'aller à l'école - ? Elle ne pouvait nullement<br />

contrôler, puisqu'elle n'avait jamais "fait les bancs" de l'école. Tout juste savait-elle que<br />

les enfants retourneraient demain matin à l'école ou peut-être demain après-midi selon<br />

qu'ils étaient ou non dans une classe à mi-temps. Ce système, l'administration coloniale<br />

l'avait introduit largement pour pallier le manque de salles de classe. Il n'était en<br />

vigueur que dans la partie indigène de la ville 60 .<br />

Pendant ce temps, comment se terminait la journée de Madame<br />

l'Européenne? Elle venait juste de ranger sa voiture dans le garage, pour prendre<br />

l'escalier menant au bel appartement du building si ce n'était pas la villa cossue du<br />

Plateau ou de Fann Résidence ou du Point E. Electricité, eau, aucun souci. Madame<br />

avait encore dans l'haleine les meilleurs vins importés qui clôturaient la soirée chez<br />

l'industriel ou le banquier ou le haut fonctionnaire. Evidemment à table on avait<br />

beaucoup changé les plats. Problèmes d'école ou de santé pour l'enfant? Nullement,<br />

puisque les privilégiés du système étaient là. Le boy et/ou la bonne indigène avait déjà<br />

tout mis en ordre dans la chambre à coucher de Madame qui pouvait dormir<br />

tranquillement. Le tam-tam, à·coup sûr, ne résonnait pas à plusieurs lieues à la ronde.<br />

Incident? presque hors de l'imagination. Tout juste Madame vérifiait si le téléphone<br />

était bien à son chevet. Souci d'argent? Oui peut être, mais en tout cas, pas pour les<br />

dépenses dans la colonie6 1 . Peut-être tout juste rêvait-elle avant de dormir, à la belle<br />

villa que le couple s'achèterait après le séjour colonial, objectif en vue duquel un gros<br />

salaire était économisé: celui de Monsieur.<br />

A travers cette journée de la femme dakaroise, l'échantillon se limitait aux<br />

deux groupes dominants de la population : le groupe indigène et le groupe européen.<br />

Dans chacun de ces groupes, c'est la femme-type qui a été campée ici car comme le<br />

disait Madame Sira Diop, présidente de l'Union des Femmes du Soudan, ouvrant, le 20<br />

juillet 1959 à Bamako, le congrès des Femmes Ouest Africaines: « De l'océan atlantique<br />

au Tchad, du sahara au Golfe de Guinée [...] Les conditions offertes à la femme africaine<br />

sont identiques. »62 Solange Faladé, premier président de la FEANF et chercheur à<br />

l'IFAN de Dakar, à son retour en Afrique, avait, après une étude minutieuse de la<br />

condition de la femme dakaroise, fait un constat presque identique: « Certes le paysage a<br />

subi beaucoup de modifications [...] l'introduction des progrès techniques n'en a pas moins<br />

laissé presque intactes les conditions matérielles de l'existence des femmes [...] pennanence<br />

du mode de vie de leur mère ou grand-mère. »63<br />

60. R. de Benoist, l'Afrique Occidentale francaise, op.ciL, p.410.<br />

Cette expérience est tentée à Dakar depuis le 3 janvier 1955 puis abandonnée.<br />

Plus de 30 ans après, l'expérience est reprise au Sénégal dans le cadre de la politique éducative du ministre Iba Der<br />

61. A.N.S: 2G 52-22, Rapport annuel de la direction fédérale des P.T.T, 1952.<br />

La moyenne par compte de déposant était de 27.045 F CFA pour un Européen et de 3619 F CFA pour un Africain.<br />

Les Européens étaient titulaires de 9,6% des comptes pour 25% du capital des 82.010 comptes de déposants.<br />

62. "Afrique-document" W48-49, 1959.<br />

63. Solange Faladé, Femmes de Dakar... p.206.<br />

405


A l'opposé, Madame - la femme européenne - le milieu colonial et la logique<br />

du système lui créaient, de facto, toutes les conditions qui lui permettaient de se<br />

différencier de la femme africaine, matériellement en tout cas, et à son avantage.<br />

406


Il TRANSPORT<br />

CHAPITRE VII : LE TRANSPORT ET L'IMPOT<br />

Parce que la ville était le principal centre industriel et commercial de la<br />

Fédération et que les services y étaient importants, la question des transports ne<br />

manquait pas d'être un problème angoissant, surtout pour cette population indigène<br />

déguerpie loin du centre-ville.<br />

Cette grande métropole, Dakar, était reliée par chemin de fer à Saint-louis1,<br />

à Linguère 2 , à Kaolack 3 et à Bamako 4 au Soudan. Par ce rail, la ville avait vu passer en<br />

1954 3.249.000 passagers et 735.000 tonnes de marchandises 5 (arrivées et départs.) Le<br />

port ne manquait pas de dynamisme car si en 1956, il Y avait eu 40.055 passagers<br />

embarqués et débarqués, ce chiffre était passé à 55.713 en 1957 et à 62.534 en 1958.<br />

L'aéroport avait vu s'embarquer et débarquer 100.347 passagers en 1956 et 118.539 en<br />

1957. L'année 1958 voyait ce chiffre atteindre 129.019. Un réseau routier dense<br />

desservait la ville. Le parc automobile de la capitale, au 31 décembre 1957, se composait<br />

de 17.482 véhicules dont 10.625 voitures particulières et 904 autobus et autocars. L'âge<br />

moyen des véhicules dépassait 6 à 7 ans. Pour l'année 1958, c'étaient 959 voitures<br />

particulières et commerciales qui étaient nouvellement immatriculées dans la presqu'île.<br />

L'intensité de la circulation automobile était attestée, en 1959, par ces chiffres:<br />

- 4.000 véhicules par jour à la sortie de l'autoroute Dakar-Rufisque<br />

- 10.000 véhicules par jour au pont de la Gueule Tapée, dans la Médina,<br />

- 20.000 véhicules au carrefour de la place Protêt, au centre du Plateau 6 .<br />

Ces chiffres d'immatriculation et de moyenne circulation traduisent, tout<br />

juste un niveau d'équipement pour la capitale de l'ADF. L'important est de savoir<br />

comment la population réagissait par rapport au problème quotidien du transport.<br />

Différents éléments montrent que la question du transport était épineuse<br />

dans cette vaste agglomération. "Paris-Dakar,,7 faisait état d'une lettre adressée au<br />

Délégué du gouverneur à Dakar. Des habitants de Rufisque et Bargny se plaignaient des<br />

tarifs décidés par les pouvoirs publics, à compter du 1 er octobre 1948. Ils trouvaient trop<br />

élevés les tarifs suivants:<br />

- 30 F entre Dakar et Rufisque<br />

1. 263 km<br />

2.321 km<br />

3. 225 km<br />

4.1230 km<br />

5. Fiche N"21, notice état-major.<br />

6. Fiche 32, Infrastructures.<br />

7. N° du 17 novembre 1948.<br />

407


- 35 F entre Dakar et Bargny<br />

Les plaignants constataient que, sur ces mêmes trajets, une hausse de 5 F<br />

était intervenue. Ils soulignaient les nouvelles difficultés nées de ces majorations<br />

entraînant une nouvelle ponction, non négligeable sur le pouvoir d'achat. La lettre<br />

remarquait que cette situation était d'autant plus sensible que ces travailleurs, obligés,<br />

quotidiennement d'effectuer la navette, étaient dans leur écrasante majorité des<br />

ouvriers dont les salaires variaient entre 3280 et 5720 F CFA par mois. Le coût du<br />

transport était ainsi chiffré à 1500 F CFA par mois soit 45 % des bas salaires et près de<br />

26 % des salaires élevés. Les plaignants mettaient en relief un autre facteur. Ne pouvant<br />

faire quotidiennement 4 fois le même trajet, ils étaient obligés de se mettre en demi­<br />

pension, à midi, dans la capitale. Ceci entraînait, en moyenne, une dépense<br />

supplémentaire de 500 F par mois. Ces habitants de Rufisque et Bargny en arrivaient à<br />

se demander ce qu'il leur resterait, dans ces conditions, pour pouvoir nourrir leurs<br />

familles. Bien sûr, à travers cette lettre transparait la condition souvent misérable de ces<br />

travailleurs. Mais, on remarque que ceux qui se plaignaient ainsi étaient des travailleurs<br />

salariés aux revenus certains. Il était évident que ces hausses de tarifs des transports<br />

créaient pour les non salariés, obligés de faire la même navette quotidienne, des<br />

problèmes difficilement surmontables. Salariés et non salariés subissaient donc,<br />

amèrement, ces hausses.<br />

Près d'une dizaine d'années plus tard, un véritable conflit surgit entre<br />

l'administration et les fonctionnaires, à propos de ce même problème du transport; la<br />

cause en était l'arrêté n09.489-SET du 2 novembre 1956 du gouverneur général de<br />

l'AOF. Celui-ci ordonnait la hausse des prix du transport au profit de la Régie des<br />

Transports du Cap Vert 8 .<br />

Dans une lettre adressée au gouverneur général, le président de l'Association<br />

des fonctionnaires africains de la ville exprimait toute l'indignation ressentie par les<br />

membres de son association. Moussa SalI, médecin africain et président de cette<br />

association, regrettait que la démarche faite par son bureau pour rencontrer les<br />

autorités à propos de ces mesures de hausse, se soit heurtée à une fin de non recevoir.<br />

La lettre n° 17.526/cab/CA/C du directeur du cabinet civil du Haut Commissaire<br />

confirmait ce refus. Cette démarche, introduite avant même que l'arrêté soit publié,<br />

était l'occasion de faire pression avant que le projet ne devienne réalité. C'était dès le 16<br />

octobre 1956. La hausse des tarifs concernait uniquement la Régie des Transports du<br />

Cap Vert, laquelle société avait vu le jour en avril 1951, à l'initiative de l'administration.<br />

La décision mettait, à la charge complète du fonctionnaire, une somme de 1.000 F par<br />

mois pour son transport par les moyens de la Régie. Les épouses des fonctionnaires<br />

également devaient acheter des carnets de couleur verte pour leur transport au prix de<br />

8. "l'AOF du 15 décembre 1956.<br />

408


1000 F, exactement comme les domestiques travaillant en milieu européen dakarois.<br />

Pour l'association des fonctionnaires, ces nouvelles mesures décidées par<br />

l'administration revêtaient un caractère injuste, sur un double plan:<br />

- depuis avril 1951 c'est à dire la création de la Régie, les tarifs étaient en<br />

hausse constante pour le fonctionnaire. En effet, au début, son transport était gratuit. A<br />

partir de janvier 1952, il avait dû payer 400 F pour son transport. La hausse, intervenue<br />

en octobre 1956, représentait 150 % par rapport au prix de 1952. Son épouse, par<br />

rapport à la même période subissait une hausse de 100 % pour son transport: 1000 F au<br />

lieu de 500 F. Pour elle aussi la hausse avait été progressive; de 500 F le prix avait passé<br />

à 700 F en 1953 pour aboutir à 1000 F en 1956.<br />

Ces hausses apparaissaient à l'égard des fonctionnaires, comme trop fortes,<br />

avec des incidences incontestablement néfastes, pour le pouvoir d'achat, surtout lorsque<br />

le tableau du minimum vital n'était pas revu à la hausse.<br />

- Sur les principes, les fonctionnaires constataient la vitesse vertigineuse avec<br />

laquelle les avantages acquis étaient progressivement rognées par l'employeur, c'est à<br />

dire l'administration. Ils faisaient remarquer que la ville de Dakar, depuis la fin de la<br />

guerre, avait connu un net accroissement de son espace, au moment même où ces<br />

avantages diminuaient dans un sens inversement proportionnel à cette extension. D'un<br />

transport entièrement gratuit, on était passé à une étape où le fonctionnaire devait<br />

payer 400 F et où l'administration prenait en charge le complément, 800 F. Puis toute la<br />

charge de son transport lui était revenue. En somme, un renversement complet de la<br />

situation était ainsi opéré.<br />

Ce mécontentement des fonctionnaires s'articulait sur d'autres hausses<br />

concernant l'eau et l'électricité. La conjonction de ces diverses hausses, faisait dire à<br />

l'association « Qu'on cherchait à démolir de plus en plus l'équilibre dans les familles des<br />

fonctionnaires africains, mais même de tous les Africains dans la mesure où les<br />

répercussions évidentes étaient générales. » Les fonctionnaires craignaient de voir les<br />

hausses opérées par l'administration faire boule de neige dans la mesure où les tarifs de<br />

transport étaient de 20 F par trajet dans la capitale, et ceux des "cars rapides", transports<br />

privés, de 15 F. « Cette anomalie va appeler à très brève échéance, une réaction des<br />

transporteurs privés qui majoreront leur tarif sans que vous ayez la possibilité de vous y<br />

opposer par le fait même que vous avez donné l'exemple » écrivait le président Moussa<br />

SaIl à ce sujet au gouverneur général.<br />

Il réfutait les arguments développés pour justifier ces hausses, à savoir une<br />

situation déficitaire de la société de transports publics, pour ne retenir qu'une volonté<br />

délibérée de porter atteinte au niveau de vie des fonctionnaires africains. En effet,<br />

constate la lettre, les fonctionnaires européens et leur famille n'étaient aucunement<br />

touchés par ces hausses et ceci « en raison des privilèges de toutes sortes que le régime<br />

(leur) accorde. » Le président Moussa SaIl détaillait ces privilèges en matière de<br />

409


transport de la manière suivante: la femme du fonctionnaire européen pouvait partir au<br />

marché avec son boy, ou avec ses enfants à la plage par exemple, dans une voiture de<br />

l'administration. Le mari, évidemment, n'avait aucune difficulté à utiliser la voiture de<br />

son service. En outre, estiment le président et les membres de son association, ces<br />

hausses étaient d'autant plus inquiétantes qu'elles s'inscrivaient dans une logique<br />

coloniale, concrétisée par les plans d'urbanisation de la capitale fédérale : « Les<br />

Européens se déplacent, de plus en plus, de la banlieue vers la ville et les Africains, de<br />

Dakar vers les quartiers périphériques et la banlieue. »<br />

L'association des fonctionnaires africains n'hésitait pas à faire part au Haut<br />

Commissaire de la stratégie d'opposition qui serait développée par la suite : « Notre<br />

association est décidée à employer tous les moyens, afin d'éveiller la conscience des<br />

fonctionnaires à défendre jusqu'au bout leurs droits constamment foulés au pied et leurs<br />

intérêts de plus en plus menacés... boycott des cars de la Régie au profit des transporteurs<br />

particuliers jusqu'à ce que les autorités se penchent sur notre situation. » L'autre aspect de<br />

la stratégie que l'association comptait développer était une réponse unitaire sur la<br />

question dans la mesure où des contacts allaient être établis avec toutes les centrales<br />

syndicales intéressées par ces hausses des tarifs de transport. Les uns et les autres<br />

mèneraient ainsi, ensemble, des actions concrètes de lutte. Cette lettre, adressée au<br />

gouverneur général, traduisait bien un véritable ras le bol des milieux indigènes sur la<br />

question du transport urbain.<br />

Du reste, des enquêtes, menées en 1952 et 1953 par A. Hauser, membre de<br />

l'équipe sociologique de Dakar, sur les industries de transformations, faisaient<br />

apparaître qu'une seule entreprise transportait son personnel 9 . La banlieue s'étendait<br />

sur 30 km. Dans une autre étude sur le mode de vie du travailleur africain, menée en<br />

1953 à Dakar, aucun élément ne permet d'affirmer que dans le secteur privé, la question<br />

du transport du personnel africain était prise en considération10.<br />

Par contre, un fait insolite est signalé; des entreprises qui, en temps normal<br />

ne transportaient pas leur personnel, le faisaient pour des non grévistes. A ce sujet,<br />

"Marchés tropicaux"ll, parlant des grèves de plusieurs semaines dans la capitale<br />

fédérale au milieu de l'année 1957, écrivait: « Les véhicules des entreprises transportant<br />

les non grévistes sont toujours pris à partie par les grévistes qui leur lancent des pierres »<br />

Sous le gouvernement de la loi-cadre, les coûts des tarifs de transport<br />

connaissaient de nouvelles hausses. Ainsi, par arrêté du ministre de l'économie générale<br />

du Sénégal, les tarifs suivants étaient homologués le 1 er février 1958 :<br />

25 F Dakar - Pikine<br />

50 F Dakar - Rufisque<br />

9. A. Hauser, Les industries de transformation... p.73<br />

10. "Marchés Coloniaux" 0°406, TI août 1953.<br />

11. N" 617, 7 septembre 1957.<br />

410


65 F Dakar - Bargny<br />

Cette nouvelle hausse fut à l'origine d'un véritable mécontentement de la<br />

population. Ainsi, lorsque les grèves générales éclatèrent quelques mois plus tard, l'une<br />

des revendications centrales, tant chez les fonctionnaires que dans le secteur privé, porta<br />

sur la réduction, à défaut de la suppression pure et simple de ces mesures du 1 er février<br />

1958.<br />

Elles concernaient les transports urbains de Dakar et des autres villes, mais<br />

également le transports automobiles inter-urbains, tout comme les transports<br />

ferroviaires. Or, la situation générale des chemins de fer n'avait jamais été mauvaise.<br />

Bien au contraire. Par exemple, en 1948, la Régie des Chemins de Fer avait dégagé un<br />

bénéfice de 138 millions de F CFA12. Or, cette même année, un long conflit social avait<br />

paralysé ce moyen de transport, près de 6 mois durant, sur la quasi totalité du réseau.<br />

La question du transport restait une préoccupation réelle dans la capitale<br />

fédérale. Les travailleurs, dans le secteur public, comme dans le secteur privé, avaient<br />

eu, diverses occasions de traduire leur mécontentement.<br />

Le rôle de l'administration comme responsable de ces hausses - souvent<br />

disproportionnées par rapport aux revenus - donnait bien l'impression d'une politique<br />

appliquée sciemment. La situation des non salariés, face au difficile problème du<br />

transport à Dakar, apparait à travers ces protestations des salariés des secteurs public et<br />

privé, comme plus dramatique encore. Seuls avaient été pris en considération dans ces<br />

hausses, les intérêts de la Régie des Transports et des hauts milieux économiques<br />

locaux.<br />

11/ L'IMPOT<br />

Cette question apparaît comme l'un des paramètres d'appréciation de la<br />

prise de conscience de la population, mais aussi, de l'efficacité des structures<br />

d'imposition et de recouvrement; tout comme de l'importance de la liberté de<br />

manoeuvre de l'équipe municipale, ainsi que du niveau de vie de la population dans la<br />

capitale fédérale.<br />

"Echos d'Afrique Noire", pendant toute la période 1948 à 1960, a consacré<br />

toute une série d'articles à cette question de l'impôt. La rédaction du journal demandait<br />

aux Africains, s'ils voulaient profiter de la civilisation, de payer d'abord les impôts13. Le<br />

journal insistait sur le fait que les Européens en avaient assez d'être les seuls à payer les<br />

impôts. Dans une autre livraison, le journal accusait la Municipalité de Dakar<br />

"d'arroser" toutes ses réceptions, avec le champagne provenant de l'impôt payé par les<br />

seuls Européens. Plus tard à propos des investissements faits par le FIDES, la rédaction<br />

12. "Marchés Coloniaux" N"199, 3 septembre 1948.<br />

13. "Echos d'Afrique noire", Août 1950.<br />

411


Le rapport de la Cour des Comptes, après avoir passé au crible les exercices<br />

budgétaires de 1945 à 1950, retenait aussi, entre autres causes de cette situation, une<br />

certaine complaisance des services municipaux, dans le recouvrement des impôts et<br />

taxes 21 . D'autres organes de la presse dakaroise avaient fait, eux aussi, le même constat,<br />

comme "Echos d'Mrique noire", "Condition Humaine", "Réveil" etc...<br />

Mais sur cette question précise de la fuite et du retard du paiement de<br />

l'impôt, le maire de Dakar réfutait l'essentiel des arguments développés contre ses<br />

services en écrivant: « Il ne faut pas perdre de vue que les recettes ne dépendent nullement<br />

de la Municipalité de Dakar et encore moins le recouvrement. » Le maire le rappelait en<br />

1953, au Haut Commissaire et en 1954 au ministre de la FOM. En fait, les services du<br />

receveur général de l'AOF étaient seuls chargés du recouvrement des impôts et taxes<br />

directes et indirectes au titre de la municipalité de Dakar, et ceci en application de la loi<br />

créant les communes de plein exercice du Sénégal.<br />

Parmi les raisons de cette situation, une certaine impunité à l'égard des<br />

mauvais payeurs. Par exemple si des contribuables solvables, avertis du rôle social de<br />

l'impôt, comme les membres du barreau de Dakar, s'acquittaient de leurs impôts avec<br />

des retards importants, c'était bien parce qu'ils bénéficiaient de l'impunité. Du reste,<br />

lorsque la Cour des Comptes recommandait d'user à leur égard de "discrétion" pour<br />

faire rentrer les impôts, c'était parce que leur poids social les autorisait à un tel<br />

comportement à l'égard de l'impôt. Autre élément d'explication, le le fait qu'à cette<br />

période, ils étaient Européens dans leur quasi totalité.<br />

Quant à la masse des indigènes, diverses raisons jouaient à la fois:<br />

- la complaisance des services municipaux. Le rapport de la Cour des<br />

Comptes en faisait état. Il prenait comme preuve, la gestion des halles et stalles des<br />

marchés de la ville. Les comptes avaient fait apparaître des entrées de 243.000 F pour<br />

l'année 1950. La somme qui aurait dû être versée s'élevait à 637.500 F CFA c'est à dire<br />

2,62 fois plus.<br />

- Le caractère flottant d'une large fraction de la population de la ville. Des<br />

études, menées pendant cette période, chiffraient entre 10 à 15 % cette population non<br />

fixe. La forte immigration dans la capitale pendant les années 50, est l'explication de<br />

cette importance de la population flottante.<br />

- Un certain aspect de prolétarisation progressive de cette masse de la<br />

population. Ceci entraînait des difficultés réelles, sinon une impossibilité, pour de larges<br />

couches de s'acquitter de l'impôt.<br />

D'autre part, comme le remarquent quelques uns de nos interlocuteurs,<br />

certains habitants de Dakar, continuaient à payer l'impôt au niveau de leur village<br />

d'origine en raison de l'exigence du commandant de cercle, du chef de canton ou du chef<br />

21. Carton 2129, dos 7.<br />

414


de village... Les parents, demeurés sur place, n'avaient aucun moyen de refuser de payer<br />

pour les leurs partis à la capitale. Ceux-ci se devaient obligatoirement d'envoyer<br />

l'argent.<br />

Sous tous ces aspects: retard et fuite, la question de l'impôt ne manquait pas<br />

de peser lourdement sur les problèmes de la gestion financière et matérielle de la<br />

Commune de Dakar. Au point de vue politique, cette gestion restait un point central,<br />

particulièrement lors des compétitions municipales, pour la direction de la ville.<br />

L'administration, tout comme l'Assemblée Territoriale du Sénégal, étaient impliquées<br />

directement dans ce débat. C'est dire à quel point le problème de l'impôt revêtait une<br />

importance capitale à cette période.<br />

415


QUATRIEME PARTIE<br />

GESTION ET ORIENTATION<br />

INTRODUCTION<br />

Avec les problèmes de la gestion de la municipalité de Dakar et aussi la<br />

validité des consultations électorales, reste posée la question de la conception du<br />

pouvoir surtout dans les années qui ont suivi la loi-cadre. Pour l'essentiel, une continuité<br />

coloniale se dessine dans le nouvel appareil étatique au regard de son orientation<br />

politique, économique et sociale.<br />

416


CHAPITRE 1 LA GESTION DE LA MUNICIPALITE DE DAKAR<br />

Il LES RESPONSABLES MUNICIPAUX<br />

La période 1945-1960 est marquée par une permanence de la présence du<br />

parti SFIO à la direction des affaires municipales. La présence d'une opposition faible et<br />

tardive au sein de l'équipe municipale n'est jamais en mesure d'empêcher la SFIO de<br />

mener à terme ses activités en raison de son quasi monopole de l'ensemble. Cependant,<br />

cette longue gestion donne lieu à de multiples critiques. Les responsables municipaux<br />

sont issus d'élections dont les caractéristiques globales laissent une large place à la<br />

contestation. (Voir questions électorales, chap. suivant).<br />

1) Le maire et ses adjoints<br />

Lamine Guèye avait conduit toutes les listes électorales SFIO à la conquête<br />

de la municipalité. Avocat de formation, cet homme politique est très connu dans les<br />

milieux dakarois de l'entre-deux guerres à cause de ses plaidoiries contre<br />

l'administration et le grand commerce. Relativement en marge de la résistance pendant<br />

la guerre, il n'est tout de même pas compromis dans la collaboration avec le vichysme.<br />

Sa stature lui ouvre, à Dakar particulièrement, les portes politiques après la guerre. Aux<br />

premières élections municipales de l'après-guerre en 1945, sa liste "Bloc Africain"<br />

remporte la victoire contre celle du maire sortant Alfred Goux, malgré le passé notoire<br />

de résistant de ce dernier. A la tête de la municipalité de Dakar, en octobre 1947, il<br />

confirme largement la victoire acquise deux ans plus tôt. En avril 1953, tout comme en<br />

novembre 1956, il obtient de nouveaux: succès électoraux. Au niveau même du conseil<br />

municipal, il n'a d'opposant au poste de maire qu'en novembre 1956, date à laquelle se<br />

présente contre lui son ancien adjoint, Bâ Amadou, passé à l'opposition B.P.S un an<br />

auparavant. Mais le rapport de force au niveau de l'équipe municipale élue pour la<br />

première fois à la proportionnelle, lui permet de garder son poste de maire1.<br />

Pour diverses raisons, Lamine Gueye ne fut que très rarement présent aux<br />

délibérations de son conseil municipal. En effet, il est député du Sénégal de 1945 à juin<br />

1951, et cette responsabilité exercée au Palais Bourbon, à Paris, le retient souvent loin<br />

de son conseil municipal. D'autre part, l'exercice de sa profession d'avocat, notamment<br />

lors du procès des députés malgaches accusés par l'administration coloniale d'avoir<br />

fomenté, en 1947, la rébellion dans la Grande Ile, l'empêche d'être présent à Dakar, car<br />

1. Délibération spéciale du Conseil Municipal, 24 Novembre 1956.<br />

417


il circule alors entre Tananarive et Paris. Une autre raison de sa longue absence de<br />

Dakar, vient des hautes responsabilités qu'il exerce dans les instances dirigeantes de la<br />

SFIO à Paris, où longtemps, la section d'AOF/Togo dont il est le chef, est la sixième<br />

fédération par ordre d'importance . De plus l'homme assume aussi des responsabilités<br />

ministérielles. II est sous-secrétaire d'Etat à la présidence du conseil dans le<br />

gouvernement Léon Blum, du 17 décembre 1946 au 22 janvier 1947 2 . La durée de cette<br />

activité gouvernementale est brève mais elle le retient à Paris. II est aussi chargé de<br />

diverses missions aux Nations Unies, à Genève et en Afrique comme par exemple lors<br />

de la préparation du voyage du Président de la République Vincent Auriol en Afrique<br />

noire en Avril 1947 3 .<br />

Des raisons politiques le retiennent largement à Paris entre 1951 et 1952 car<br />

il doit suivre la procédure qu'il a engagée auprès des instances parisiennes pour<br />

contester sa défaite électorale. A ces multiples causes d'absence, s'ajoutent des raisons<br />

personnelles de santé qui l'immobilisent de longs mois durant à Paris 4 pendant l'année<br />

1952. Tout cela explique donc que Lamine Guèye soit souvent porté "absent excusé" sur<br />

les procès-verbaux de délibération du conseil municipal de Dakar. Du reste, lui-même<br />

reconnait cet état de fait dans une importante intervention devant l'équipe municipale,<br />

dans les termes suivants «l...] Je n'ai pas eu l'occasion de présider si souvent que je le<br />

souhaiterais les délibérations de notre conseil municipal et ceci à cause de mes nombreuses<br />

obligations. »5<br />

Ces longues et fréquentes absences de Lamine Guèye, maire de Dakar, ne<br />

manquèrent pas d'avoir des répercussions néfastes sur le fonctionnement même de<br />

l'administration municipale. En effet, les limites objectives liées à toute délégation de<br />

pouvoir mais surtout les rivalités de personnes au sein même de l'équipe dirigeante, en<br />

particulier entre ses divers adjoints, se conjuguent pour rendre parfois la situation<br />

difficile. Celle-ci est même réellement explosive en certaines circonstances. Ainsi, à<br />

plusieurs reprises en 1948 et 1949, des rapports de police et de sûreté mettent largement<br />

en exergue cette mésentente au sein des responsables. La synthèse d'août 1948 de ces<br />

services écrit «[...] Les querelles d'influence au sein du conseil municipal entre conseillers<br />

lébous et conseillers saint-louisiens se poursuivent sans arrêt l...] en l'absence du maire<br />

titulaire»6. La même source notait un an plus tard, toujours à ce sujet «Deux clans se<br />

sont formés au conseil municipal le clan Bonifay 1er adjoint et le clan BâAmadou... »7 En<br />

1952, encore la situation atteint presque un point de non retour dans la mesure où un<br />

véritable acte de défiance est même voté par plusieurs conseillers contre l'adjoint<br />

2. "Paris-Dakar" du 17 décembre 1946 et 27 janvier 1947.<br />

3. "Paris-Dakar" du 5 mars 1947 et du 1er avril 1947.<br />

4. Lettre de Thierno Amath Mbengue à Lamine Guèye à Paris, Septembre 1952.<br />

5. Délibération du conseil municipal, Dakar, 5 avril 1958.<br />

6. Affaires politiques AOF, Délégation rapport 1948, ANS, dos 2G 48-117.<br />

7. Ibidem, 1949, dos 2G 49-123.<br />

418


délégué faisant fonctions de maire 8 . Les signataires d'un document intitulé "injonctions"<br />

-- s'articulant en 8 points -- exigent purement et simplement la fin de la délégation pour<br />

le "faisant fonctions" Amadou Bâ. Ce texte est envoyé au maire titulaire, se trouvant à<br />

l'époque à Paris, mais aussi au délégué du gouverneur du Sénégal à Dakar, au<br />

gouverneur à Saint-louis et au Haut commissaire de l'AOF. Le conseiller lébou Thierno<br />

Amath Mbengue, adjoint délégué aux: affaires sociales et domaniales, qui conduit la<br />

rébellion, exige l'abrogation immédiate de la délégation faite à Bâ Amadou et le<br />

remplacement par le 1 er adjoint Paul Bonifay, dans la lettre expédiée d'urgence au<br />

maire. II demande même à Lamine Guèye «Si votre état de santé vous le permet, [. ..J de<br />

venir à Dakar pour quelques jours pour régler cette affaire qui nous préoccupe au mieux des<br />

intérêts de notre parti. » Pour cet adjoint, le maire titulaire doit se décider rapidement car<br />

« Les événements ont pris brusquement une tournure, tellement dangereuse, avec une telle<br />

'd" 9<br />

rapi Ife... »<br />

Cependant Lamine Guèye, à chacun de ses retours à Dakar, a suffisamment<br />

de ressources pour mettre de l'ordre dans l'équipe municipale. Les rapports de police et<br />

sûreté confirment ce poids moral du maire de Dakar. Par exemple, une synthèse, à la<br />

date du 12 août 1949, écrit « Lamine Guèye, de retour à Dakar, à son domicile, a tranché<br />

le différend qui opposait certains conseillers municipaux [. ..J a définitivement fixé les<br />

attributs de chacun dans l'administration de la commune. » Mais la bonne volonté du<br />

maire et sa carrure politique n'empêchent pas, à diverses occasions, les disputes et<br />

querelles de rebondir surtout sur les questions de la gestion de la ville ou à l'occasion<br />

des renouvellements des structures municipales. Dès lors, une question se pose.<br />

Comment sont élus ces adjoints au maire?<br />

Une délibération en date du 2 mai 1953 donne une réponse. En effet, après<br />

les élections municipales du 26 avril, l'assemblée communale tient sa première session.<br />

Un seul point figure à l'ordre du jour l'élection du maire et de ses adjoints. Toute<br />

l'équipe municipale est élue au scrutin majoritaire sur la liste SFIO. Si Lamine Guèye<br />

est candidat unique au poste de maire et obtient les suffrages des 36 présents, l'élection<br />

des adjoints est une véritable compétition, qui manifeste la rivalité et la jalousie qui<br />

existent entre ces élus de la même liste, ainsi qu'un manque de coordination dans les<br />

rangs laministes. Les vainqueurs se disputent chaudement les postes par suite du climat<br />

qui règne au sein de l'équipe municipale pendant l'année 1953 . En effet, cette période<br />

est marquée par divers conflits de personnes, par exemple ceux: qui opposent Bara Diop<br />

et Amadou Bâ, ou Thiemo Amath Mbengue et Amadou Bâ, sans oublier celui de la<br />

défiance ouverte de divers conseillers à l'égard d'Amadou Bâ faisant fonctions de<br />

maire. En effet, lors de cette séance du 2 mai 1953, après que Paul Bonifay est élu -­<br />

candidat unique -- comme 1 er adjoint, il y a<br />

8. Délibération du 17 septembre 1952.<br />

9. Dossier A/42, Archives municipales, Mairie de Dakar.<br />

419


scrutin.<br />

3 candidats pour le poste de 2eme adjoint<br />

3 à celui de 3eme adjoint<br />

3 candidats pour le poste de 4eme adjoint.<br />

Il faut même un 2eme tour de scrutin pour départager les candidats.<br />

3 candidats pour le poste de 5eme adjoint, ce qui nécessite un second tour de<br />

5 candidats pour celui de 6eme adjoint<br />

4 candidats pour le poste de 7eme adjoint<br />

6 pour celui de 8eme adjoint<br />

4 pour celui de geme adjoint<br />

5 pour le poste de lOeme adjoint<br />

3 pour celui de lIerne adjoint<br />

5 candidats pour le poste de 12eme adjoint<br />

Tout ceci donne une moyenne de 3,14 candidats par poste pour l'ensemble<br />

du bureau municipal. En considérant la diversité des candidats, pour les postes en<br />

compétition, des données de simple démocratie ne suffisent pas à expliquer l'âpreté<br />

d'une telle lutte entre élus de la même liste. Un autre scrutin relatif à cette équipe<br />

municipale permet de se faire une idée de cette situation de féroce compétition. En<br />

effet, après les élections municipales du 18 novembre 1956, le conseil élu pour la<br />

première fois à la proportionnelle, par suite de la modification de la loi électorale,<br />

comprend 3 partis politiques P.S.A.S et R.D.A alliés, et le B.P.S constituant<br />

l'opposition. Le parti laministe pouvant se prévaloir de la majorité absolue, use<br />

largement de cette arme pour opposer une fin de non recevoir à la proposition des<br />

adversaires B.P.S. qui souhaitent constituer un bureau municipal englobant les trois<br />

formations représentées au conseil


du budget. Il décide alors de s'abstenir totalement lors du vote, et la majorité socialiste<br />

du conseil fait adopter le budget par 26 voix contre 9.<br />

Quant au fonctionnement des commissions de travail du conseil municipal,<br />

l'analyse des résultats de la délibération du 27 mai 1953 devant désigner les membres<br />

des 10 commissions, fait apparaître<br />

Total des commissaires 164<br />

Nombre de membres du conseil 37<br />

Chaque conseiller était membre de 4,4 commissions en moyenne.<br />

Ces commissions sont chargées de faire le travail préparatoire soumis à la<br />

délibération de l'assemblée municipale ; étant donné le caractère technique et<br />

l'importance des travaux, il en résulte effectivement une véritable surcharge de travail<br />

individuel. Tout ceci alors que le conseil, de sa propre initiative, décide d'élargir le<br />

nombre de membres par commission, en alléguant les difficultés du travail. Il contourne<br />

ainsi d'ailleurs l'article 59 de la loi du 5 avril 1884 qui fixe le nombre en rapport avec<br />

l'importance numérique des conseillers municipaux.<br />

Une plus grande surcharge individuelle dans le travail apparait en novembre<br />

1956 lorsque seul le parti laministe - 21 conseillers sur 37 - écarte les membres de l'autre<br />

formation, B.P.S, de la constitution des commissions, après avoir accaparé tous les<br />

postes du bureau municipal. Tout compte fait, même avec les 8 commissions au lieu des<br />

10 arrêtées en 1953, la surcharge de travail individuel est encore plus nette à cette<br />

période. Les effets négatifs apparaissent vite. L'analyse des procès-verbaux des travaux<br />

des commissions permet d'apprécier l'effectivité de la présence des conseillers dans<br />

l'exécution de leurs tâches<br />

- la moyenne de présence aux séances se situe entre 20 et 26 avec les<br />

absences excusées et les autres absences nombreuses.<br />

- diverses séances sont reportées faute de quorum. Exemple celle du 12 mars<br />

1951 13 présents, 5 excusés et 17 absents. Or cette séance doit être importante car la<br />

semaine précédente l'assemblée s'est séparée dans un climat de confusion totale, après<br />

avoir discuté d'une proposition de résolution présentée par Abbas Guèye et relative au<br />

projet municipal de nomination des chefs de quartier. La discussion est si vive et confuse<br />

que le procès-verbal, rédigé à la fin de la réunion, donne lieu à de vives contestations<br />

particulièrement de la part de Abbas Guèye qui adresse une lettre au maire à ce sujet.<br />

Cette surcharge devient plus évidente quelques années plus tard lorsque le<br />

parti larniniste, simplement majoritaire en 1956, s'empare de la totalité des<br />

commissions. Les 21 élus du parti doivent seuls garnir les 8 commissions. De toute<br />

évidence, cette situation crée en elle-même une obligation de présence trop lourde aux<br />

réunions et ne permet plus l'efficacité nécessaire au travail municipal des élus.<br />

421


2) Quelques caractéristiques de l'équipe municipale.<br />

A travers quelques documents comme la liste des candidats SFIO aux<br />

municipales de 1953, il est possible de faire une analyse sociologique du conseil<br />

municipal 10. Au total, il y a 37 membres dont 31 Africains et 6 Européens. Tous sont de<br />

sexe masculin.<br />

ans.<br />

a) Au plan professionnel<br />

- à la retraite = 3<br />

- administration générale = 12<br />

- employés banque, commerce = 8<br />

- commerçants et agriculteurs (service personnel) = 7<br />

- professions libérales = 4<br />

- propriétaires = 3<br />

- directeur de société = 1<br />

- anciens militaires (officiers en retraite) = 2<br />

b) Age des conseillers<br />

Le plus âgé a 69 ans. Il est Africain alors que le plus jeune, un Européen, a 34<br />

De 30 à 35 ans = 1<br />

36-40 ans = 2<br />

41-45 ans = 6<br />

46-50 ans = 9<br />

51-55 ans = 8<br />

56-60 ans = 4<br />

61-65 ans = 6<br />

66 ans et plus = 1<br />

L'âge moyen des conseillers municipaux élus en avril 1953 est de 50 ans. Ils<br />

sont relativement âgés. Cependant, comparativement aux caractéristiques du milieu<br />

lébou notamment, ceci correspond à l'âge de responsabilité parce que c'est celui de<br />

maturité. En effet, l'âge moyen des Diambours -- principale assemblée de ce groupe -est<br />

la cinquantaine.<br />

10. Commune de Dakar, élections municipales du 26 avril.<br />

Candidats - liste socialiste SFIO-Républicaine.<br />

422


c) Lieu de naissance<br />

17 conseillers sont nés à Dakar, Gorée et banlieue c'est-à-dire dans<br />

l'ensemble de la presqu'île du Cap vert.<br />

6 sont nés à Saint-louis<br />

4 en d'autres lieux du Sénégal<br />

5 sont nés ailleurs en Mrique<br />

4 sont nés en métropole<br />

1 sans précision aucune.<br />

On remarque que les conseillers nés à Dakar et dans sa banlieue, constituent<br />

numériquement près de la moitié des membres 17 sur le total de 37 élus. Les Saint­<br />

louisiens représentent un groupe non négligeable avec un total de 6, c'est le deuxième<br />

par ordre d'importance. Des conflits éclatent fréquemment entre ces deux principaux<br />

groupes de l'équipe municipale, surtout dans la période 1945 à 1953 et divers rapports<br />

municipaux et administratifs, ainsi que divers articles de presse l'attestent. Le maire,<br />

Lamine Guèye, Saint-Iouisien d'origine -- même s'il est né au Soudan -- arbitre<br />

difficilement ces querelles. Lorsque l'adjoint délégué faisant fonction de maire est<br />

Amadou Bâ, autre Saint-Iouisien, de nombreux Lébous, membres du conseil municipal<br />

ou non, pensent que ce groupe "nord" pèse d'un poids trop lourd sur "leur" ville. Ceci<br />

explique leurs multiples protestations. Pourtant, Lamine Guèye s'est adjoint un Lébou<br />

influent comme second responsable de la municipalité en la personne de Omar Ndir.<br />

Mais, au décès de ce dernier, en juillet 1947 11 , il ne rétablit pas l'équilibre par le choix<br />

d'un autre Lébou comme 1 er adjoint. Incontestablement cette situation est dans une<br />

certaine mesure à la base des dénonciations du clan saint-Iouisien par les Lébous. Les<br />

attaques du clan lébou dirigé par Thierno Amath Mbengue contre Bâ Amadou, en 1952,<br />

sont l'expression d'une des phases de la lutte d'influence entre les deux villes, dans le<br />

conseil municipal de Dakar.<br />

d) Niveau culturel<br />

Sur cette question, la base d'appréciation est la profession exercée, dans la<br />

mesure où aucun critère plus précis n'était disponible. La liste des candidats SFIO en<br />

avril 1953 permet de distinguer<br />

- sans C.E.P.E = 4<br />

- C.E.P.E = 10<br />

- Brevet = 14<br />

- Baccalauréat = 5<br />

11. "Paris-Dakar" 1 er et 2 juillet 1947.<br />

423


- Université = 4<br />

On peut estimer que le niveau culturel du conseil municipal se situe à celui<br />

du Brevet et au-delà, ce qui traduit pour la période, des dispositions non négligeables.<br />

Leur âge moyen est une garantie de leur connaissance solide des mécanismes de<br />

fonctionnement d'un conseil municipal.<br />

e) Décorations<br />

10 membres du conseil municipal sont titulaires de la médaille de chevalier<br />

de la légion d'honneur et autres distinctions. Deux (Européens) sont officiers retraités<br />

de l'armée. C'est en somme, une équipe appréciée du colonisateur.<br />

f) Comment ces conseillers sont-ils choisis?<br />

La connaissance de la manière dont le choix est fait pour figurer sur la liste<br />

du parti ne manque pas d'intérêt. Sur les 37 membres du conseil municipal, 15 sont<br />

effectivement les représentants des milieux lébous de la ville. Ils sont désignés comme<br />

candidats de la manière suivante<br />

- 1 représentant par quartier traditionnel ou "pinth" soit au total 12. Selon des<br />

critères propres, chaque village ou quartier traditionnel désigne son propre<br />

représentant.<br />

- 1 représentant pour chacune des assemblées traditionnelles léboues (les<br />

Principaux, les Diambours et les Freys) soit 3. Ces représentants des assemblées<br />

traditionnelles sont choisis au cours d'assises de l'ensemble de la collectivité léboue 12 .<br />

Les villages de la banlieue c'est-à-dire Ouakam, Ngor, Yoff, Cambérène... désignent 3<br />

autres représentants.<br />

Au total, sur les 37 sièges, les Lébous de la ville et de la banlieue occupent 18<br />

sièges au conseil municipal, soit près de la moitié. Cette situation fait que les milieux<br />

lébous de la ville considèrent le conseil municipal comme étant, de fait, leur chose<br />

propre. Ceci explique qu'ils revendiquent le poste de 1 er adjoint responsable de<br />

l'administration de la municipalité. Ce sentiment de "propriétaire" apparait en diverses<br />

circonstances de l'histoire de la ville dans ces années 1945-1960. Par exemple lorsque<br />

l'administration informe le conseil municipal, à la fin de 1953, par lettre, de son<br />

intention de procéder à un nouveau sectionnement électoral de Dakar, accepté déjà par<br />

une délibération de l'assemblée territoriale, elle se heurte à une vive résistance des<br />

milieux lébous. Toùs les grands dignitaires de la Collectivité organisent deux assemblées<br />

extraordinaires sur la question en l'espace d'une semaine. Au cours de ces réunions, des<br />

12. P.V, réunion du 16 avril 1953 chez le Ndeye djirev<br />

pour désigner les candidats lébous aux municipales du 26 avril 1953.<br />

424


propos particulièrement durs sont tenus à l'égard des hautes administrations territoriale<br />

et fédérale et même du parti politique B.D.S. Lors de la première réunion tenue dans le<br />

quartier de Santhiaba chez El Hadj Diagne Mbor, maire indigène, ils expriment leur<br />

indignation en ces termes « L'administration assez gênée dans sa politique de déposséder<br />

la Collectivité de ses te"es [...] trouve mieux de contourner la difficulté en éliminant la<br />

Collectivité léboue de toute représentation forte au sein des assemblées, particulièrement<br />

dans la municipalité de Dakar. »13 . La collectivité léboue voit dans ce projet du<br />

gouverneur du Sénégal une manière de donner à la population européenne de la ville<br />

une représentation plus importante que celle des milieux lébous par la détermination<br />

des 4 secteurs en question et surtout par le poids donné au secteur du Plateau, lieu<br />

d'habitat des métropolitains dans le sectionnement proposé.<br />

Le 1 er secteur (celui du Plateau) = 18 conseillers<br />

le 2eme (la Médina) = 6<br />

le 3eme ( le Grand Dakar) = 6<br />

le 4eme ( toute la banlieue) = 7<br />

Le conseil municipal de Dakar, à la demande des autorités léboues refuse de<br />

suivre l'administration dans son projet de sectionnement de la capitale fédérale. Dans<br />

l'immédiat, l'opposition des Lébous et du conseil municipal empêche l'exécution du<br />

projet.<br />

Quant aux autres membres non lébous du conseil municipal, ils sont désignés<br />

à la candidature par la direction de la SFIO locale selon divers paramètres dont celui<br />

des alliances politiques. Par exemple aux élections municipales d'avril 1953 à Dakar, 35<br />

conseillers portent l'étiquette socialiste, les deux autres sont des Européens radicaux<br />

socialistes alliés à Lamine Guèye maire sortant. Sur les 37 candidats, 6 sont des<br />

Européens dont l'un, Paul Bonifay devient 1 er adjoint après la victoire SFIO, ce qui est<br />

significatif du poids de ces Européens dans l'arène politique. Ces alliances tiennent lieu<br />

de stratégie globale face au principal adversaire c'est-à-dire le B.D.S qui lui, trouve des<br />

alliés locaux dans le R.P.F, le parti gaulliste.<br />

Une autre caractéristique de ce conseil municipal est le rôle très important<br />

que joue Paul Bonifay. Ce riche avocat des milieux d'affaires dakarois est le 1 er adjoint<br />

au maire de juillet 1948 à la fin de 1956. Très influent dans la gentry dakaroise, il ne<br />

manque pas de poids non plus dans les milieux indigènes qui le surnomment « Bouna<br />

Faye»14 -- simple déformation de son nom en un prénom et un nom locaux faite par<br />

sympathie ou par dérision. Ce poids de Me Paul Bonifay apparait dans les luttes entre<br />

adjoints au maire mais aussi dans celles qui opposent la communauté léboue et les<br />

Saint-Iouisiens. Au plus fort de ces luttes intestines, en 1952, il devient, en fait, un<br />

recours incontournable. Thierno Amath Mbengue, à la tête des signataires du "factum" à<br />

13. Délibération de la collectivité léboue en date du 3-01-1954. Archives municipales, Dakar.<br />

14. P. Biarnès, Les Francais en Afrique noire, 1987, op. cit., p.326.<br />

425


l'adresse de Amadou Bâ, exprime bien cette situation «Notre volonté de voir ue Bonifay<br />

prendre la direction des affaires municipales [. ..J Tel est l'avis de l'opinion publique ».<br />

D'autre part, pour l'administration coloniale, Paul Bonifay est l'homme qu'il faut à la<br />

place qu'il faut. Divers rapports officiels louent sa volonté et son courage à assainir la<br />

gestion municipale15. Il est, au niveau de la SFIO et surtout de la municipalité, le<br />

pendant exact de Léon Boissier PaluA - autre Européen - au B.D.S et au Grand Conseil<br />

de l'AOF. Ce dernier passe pour le "faiseur" des listes de son parti politique. Paul<br />

Bonifay est l'homme des grandes décisions au conseil municipal même si cela ne<br />

manque pas de lui attirer de réelles inimitiés. Une synthèse de police, en fin 1953, dit à<br />

propos des licenciements massifs de personnel opérés par lui «[...J Ceci suscite certaines<br />

critiques dans les milieux SFIO car on l'accuse de faire porter les économies sur les<br />

manoeuvres et petits salariés alors que le "personnel politique" n'est pas atteint»16<br />

En somme le poids de "Bouna Faye" au conseil municipal de Dakar est<br />

important et se fait sentir en diverses circonstances, notamment lors des nombreuses<br />

luttes de clans au sein de l'équipe municipale. Force est de constater que sa qualité<br />

d'Européen -- riche et généreux de surcroît -- et ses solides relations, fondent la toute<br />

puissance du personnage, et lorsqu'en novembre 1956, il perd le poste de 1 er adjoint au<br />

profit d'une grande figure léboue, Amadou Assane Ndoye, c'est très vraisemblablement<br />

que l'impérieuse nécessité de mettre un représentant lébou à ce niveau apparait alors à<br />

Lamine Guèye comme l'ultime moyen de garder un électorat indispensable à son<br />

maintien à la tête de la municipalité. Bonifay n'a cependant nullement perdu sa<br />

confiance.<br />

11/ LA GESTION<br />

L'étude du contenu de la presse dakaroise nous apprend que les critiques à<br />

l'égard de la gestion municipale représentent l'essentiel des commentaires. Très rares<br />

sont les éléments de satisfaction. Ces critiques donnent le point de vue de secteurs très<br />

divers de l'opinion publique dakaroise.<br />

Dans cette partie de l'étude nous présentons la gestion municipale surtout<br />

sous un autre angle, celui des relations entre la municipalité et l'administration<br />

coloniale. Cette dernière est très intéressée par les problèmes du budget communal, du<br />

personnel municipal et de l'utilisation de l'un et de l'autre. Elle réagit souvent tant à<br />

son niveau local que saint-Iouisien et même parisien. Face à l'administration, le conseil<br />

municipal, confronté à des réalités financières, humaines mais aussi politiques<br />

spécifiques, défend son point de vue fermement et avec doigté. Ainsi ce sont des<br />

15. Rapports en Conseil privé les 21 sept et 8 déc 1953.<br />

Synthèse de police et de sûreté, 3eme trimestre 1953.<br />

16. Affaires politiques AOF, ANSOM, Synthèse de police et sûreté, 3eme trimestre de 1953, carton 2230 dos 4.<br />

426


problèmes de fond qui se posent avec acuité à travers cette question de la gestion<br />

municipale.<br />

1) Le budget municipal<br />

Il faut garder en mémoire qu'à partir de 1946, la Circonscription a été<br />

supprimée pour être rattachée directement au territoire du Sénégal. Les moyens<br />

budgétaires de la Circonscription sont, par le décret supprimant cette entité, transférés à<br />

Saint-louis, chef-lieu du territoire. La ville de Dakar n'en garde pas moins ses<br />

caractéristiques de grande métropole, et ses responsabilités de capitale fédérale de<br />

l'AOF. Tout ceci se traduit dans son budget municipal, d'autant plus que dès le 1 er<br />

juillet 1946, une réforme des communes de plein exercice transfère aux municipalités<br />

divers services supplémentaires comme le bureau militaire, l'hygiène municipale, la<br />

petite voirie, la police municipale17 etc... C'est dans ces conditions d'ensemble que le<br />

budget municipal doit être élaboré et exécuté. Le contexte politique général du Sénégal<br />

a, lui aussi, des répercussions plus ou moins importantes, surtout après 1952.<br />

a) Evolution du montant.<br />

Pour quelques exercices budgétaires, des documents disponibles permettent<br />

de voir l'évolution du budget de la municipalité. Cependant, les renseignements relatifs<br />

aux budgets additionnels restent fragmentaires.<br />

Tableau établi à partir de diverses sources sur<br />

l'évolution du budget de la commune de Dakar<br />

Budgets en F.CFA 1952 1953 1957<br />

primitif<br />

additif<br />

total<br />

463.211.000 492.208.500 762.611.200<br />

337.789.000 268.742.247 189.200.000<br />

800.000.000 760.951.247 951.811.200<br />

17. Affaires politiques AOF, A.N.S, Dakar, Rapport annuel de la Délégation, 1946.<br />

427


L.S. Senghor, lors d'un meeting électoral tenu au cinéma Rialto de Dakar, le<br />

8 avril 1953, dit «Les recettes de la municipalité sont 500 millions. Avec une bonne<br />

gestion, elles pou"aient être portées à 800 millions sans qu'il Y ait à faire payerplus d'impôts<br />

»18. Quant au maire de Dakar, il situe l'enveloppe de 1952 pour Dakar à environ 800<br />

millions 19 tant en budget primitif qu'additif. Le gouverneur du Sénégal, au sujet du<br />

budget primitif de l'exercice 1952, donne le chiffre de 463.211.000 F dans une réponse<br />

faite au référé du 1 er président de la Cour des comptes à Paris. Quant au budget de<br />

1953, un rapport fait par le gouverneur du Sénégal en Conseil privé, le 13 octobre 1953,<br />

donne, pour son budget primitif, la somme de 492.208.500. Pour ce même exercice<br />

budgétaire, une réunion du Conseil privé autour du chef du territoire détaille le budget<br />

additif ainsi<br />

- dépenses ordinaires<br />

- dépenses extraordinaires<br />

Total<br />

266.479.326<br />

2.263.421<br />

268.742.747<br />

Une autre réunion du Conseil privé en date du Il février 1954 indique un<br />

autre budget additif de la municipalité de Dakar pour un montant de 39.411.548 F. Le<br />

conseil municipal, en sa délibération du 4 octobre 1956, adopte un budget additif de<br />

327.432.599 F. De même, par une autre délibération en date du 13 octobre 1957, il<br />

approuve un budget primitif de 732.611.200 F dans la section ordinaire et de 30.000.000<br />

en dépenses extraordinaires, soit au total 762.611.200 F.<br />

En considérant simplement les budgets primitifs des exercices 1952, 1953 et<br />

1957, l'évolution du budget municipal était évidente. Cette évolution en 1957, sur la base<br />

100 en 1952 était de 171% soit une augmentation très nette.<br />

b) Confection du budget.<br />

Un certain nombre de critiques sont formulées par les services compétents de<br />

l'administration du territoire à Saint-Louis, sur la confection du budget municipal de<br />

Dakar.<br />

En août 1953, le Bureau des communes indique avoir reçu, à la date du 22<br />

juillet 1953, le budget de la commune de Dakar délibéré et voté le 6 juillet c'est-à-dire<br />

quelques 2 semaines auparavant. A son sujet, l'administration remarque qu'il est<br />

accompagné du procès-verbal de délibération, d'un exposé des motifs et d'un<br />

18. "Paris-Dakar" du 9 avri11953.<br />

19. Lettre du maire de Dakar au Haut commissaire de l'AOF, 21 juin 1953.<br />

428


développement des dépenses de personnel 20 . Elle ajoute «Ce document a été réclamé<br />

au moins 20 fois à la municipalité et il a été question, à un moment donné, de l'établir<br />

d'office ». Le Bureau des communes a même pris des dispositions conservatoires dans ce<br />

sens puisqu'il écrit dans ce rapport à l'adresse du gouverneur du Sénégal «Il est à<br />

signaler que les grandes lignes ont été établies depuis le mois de juin, les seTVices du Haut<br />

commissaire en ont été infonnés depuis début juillet ». Sur cette question un autre rapport<br />

à l'adresse du gouverneur du Sénégal en Conseil privé le 21 septembre 1953, s'exprime<br />

ainsi en son introduction «Ce rapport de présentation du budget de la commune de Dakar,<br />

paTVenu le 1 er septembre, ne sera pas absolument orthodoxe. » La conclusion du rapport<br />

est que «Ce budget est malheureusement influencé par les élections du 26 avril qui ont<br />

empêché qu'il soit présenté plus tôt à l'approbation. »<br />

Un autre rapport, en Conseil privé, en date du 13 octobre 1953, relatif au<br />

budget de la commune de Dakar, pour l'exercice 1953 remarque «Il doit être signalé<br />

toutefois [. ..) la carence des municipalités et aussi le fait que les budgets primitifs sont<br />

établis avec un retard considérable. » Ce rapport recommande cependant, au gouverneur<br />

du territoire d'approuver la délibération du conseil municipal du 25 août portant sur ce<br />

budget. Toujours au sujet de l'élaboration du budget communal, un rapport<br />

administratif, soumis au Conseil privé du 26 janvier 1954, sur une délibération<br />

municipale de Dakar pour un budget additionnel, constate «Les prévisions budgétaires<br />

étant insuffisantes pour assurer le fonctionnement nonnal des seTVices durant la période<br />

d'exécution du budget, il est indispensable de procéder à un renforcement de ces prévisions.»<br />

Un rapport destiné au chef du territoire, en Conseil privé le 2 février 1954,<br />

recommande l'annulation, par arrêté, de la délibération du Conseil municipal de Dakar<br />

créant, à la date du 30 décembre 1953, 20 centimes spéciaux dont le produit est destiné<br />

au paiement de 54 millions de dépenses d'hospitalisation. Le Bureau des communes<br />

justifie cette proposition par le fait que cette délibération de l'assemblée municipale<br />

n'est pas conforme à la législation arrêtée par l'assemblée territoriale et que de plus, la<br />

commune n'a pas cru devoir solliciter l'approbation préalable de l'autorité de tutelle. De<br />

même, à propos d'un budget additionnel délibéré par la commune de Rufisque, un<br />

rapport de l'administration remarquait, en Conseil privé le 11 février 1954 «Les autres<br />

communes de plein exercice Saint-Louis et Dakar, sont d'ailleurs dans la même situation.<br />

C'est le propre de ces collectivités de gager des dépenses sur des recettes incertaines,<br />

accumulant ainsi, d'année en année, un passif dont on n'envisage pas qu'il puisse être, un<br />

jour résorbé. »<br />

En somme, dans cette période des années 50, le budget de Dakar fait<br />

régulièrement appel à des rallonges sous forme de budget additionnel. L'élaboration de<br />

ces budgets se réalise avec beaucoup d'incertitudes. Les retards sont fréquents et la<br />

20. Affaires politiques AOF, ANSOM, Rapport Bureau des communes. Gouvernement territoire Sénégal, Août 1953.<br />

Carton 2118, dos 1.<br />

429


- un senJÏce de nettoiement qui fonctionne comme un bureau de<br />

bienfaisance, comme une caisse de secours,<br />

besoins<br />

technique des agents,<br />

- un nombre important de surveillants... ne co"espondant pas aux<br />

- des avancements ne paraissant guère être justifiés par la qualification<br />

- l'absence d'actions concrètes de l'autorité de tutelle pour limiter les<br />

dépenses non justifiées de toutes sortes... »23<br />

Le premier président insiste sur le fait que cette situation n'est pas spécifique<br />

à la ville de Dakar puisque toutes les communes de plein exercice sont dans la même<br />

situation.<br />

Le député L.S. Senghor, critiquant la gestion municipale lors d'un meeting<br />

électoral en avril 1953 , s'attire une réponse publique de la municipalité 24 . Mais cette<br />

réponse est la bienvenue puisque l'opposant politique use de son droit de réponse dans<br />

le même journal et précise ses critiques. « Tout le monde sait que, dans un budget, ne<br />

figurent pas des journaliers payés sur la rubrique du matériel [...] Je ne parle pas des<br />

340.000.000 de francs que la municipalité de Dakar doit au territoire du Sénégal... Le .<br />

député du Sénégal ajoute


qui se manifestent dans la gestion des communes l...] Le mal est plus profond et ses causes<br />

sont ailleurs que dans l'administration municipale. »<br />

Pour le maire t ces causes se trouvent surtout dans les insuffisances de<br />

l'administration incapable de faire rentrer de manière suffisante et régulière les recettes<br />

budgétaires. L'année 1952 est' prise en exemple puisque 75% seulement des<br />

recouvrements sont effectués au terme de l'exercice budgétaire. Le maire dégage toute<br />

responsabilité dans cette situation dans la mesure où « les recettes ne dépendent<br />

nullement de la municipalité à laquelle échappe totalement la détennination de la masse<br />

imposable et encore moins de son recouvrement. » Il indique que les exercices 1950 et<br />

1951 ont eu les mêmes caractéristiques en matière de recouvrement que l'exercice 1952.<br />

Au sujet du personnel t le maire fait état d'une compression massive opérée<br />

en 1952 et portant sur 1200 agents. C'est dire qu'il est sensible aux critiques relatives à la<br />

question du personnel. Mais le maire attire fortement l'attention du gouverneur général<br />

sur les inévitables conséquences de tous genres parce que « les fournisseurs non payés<br />

refusent de livrer à la mairie et ont été autorisés à intenter des actions contentieuses. Le<br />

selVice du nettoiement risque d'être particulièrement arrêté. » Le premier magistrat<br />

communal ne précise certes pas qui a autorisé les fournisseurs à engager des poursuites,<br />

mais il lui apparait évident que les autorités administratives ne peuvent pas être<br />

étrangères à ces initiatives contre la commune. Lamine Guèye dégage une autre cause<br />

de cette mauvaise gestion et l'impute à l'administration «1. 'absence totale de subventions<br />

et de fonds de concours imposent à notre municipalité un immobilisme préjudiciable à<br />

l'intérêt généraL »<br />

Il met en relief la réduction du personnel communal imposée à son équipe et<br />

qui fait passer les effectifs de 4.000 en 1952 à 2.700 en 1954 pour mieux insister sur « il<br />

n'est plus possible de poursuivre cette politique de licenciement qui préjudicierait au<br />

fonctionnement de ses selVices et pourrait avoir des conséquences sociales sérieuses. »<br />

Chiffres à l'appui, le maire met le doigt sur les responsabilités de l'Assemblée<br />

territoriale qui avait imposé à la municipalité une réduction drastique des centimes<br />

additionnels. Ceci a pour conséquence un écart de l'ordre de 200 millions entre les<br />

prévisions en recettes et l'encaisse réelle dans les exercices 1952 et 1953. Pour 1954 t la<br />

situation se dégrade davantage. En conséquence t Lamine Guèye dénonce cette pression<br />

fiscale néfaste et préjudiciable au bon fonctionnement des services communaux. Pour<br />

conclure, il émet le point de vue suivant sur le projet de réforme municipale «Dans ces<br />

conditions, il ne peut être question, à mon avis, de vouloir imposer aux communes des<br />

dépenses obligatoires supplémentaires comme l'envisage la commission des Affaires<br />

financières de l'Assemblée de l'Union françm.se. ».<br />

L'essentiel de cette argumentation réapparaît dans une autre lettre que le<br />

maire adresse au ministre de la FOM31.<br />

31. Lëttre n0860 - 1Îs/SG du 16.04.1954.<br />

435


D'autres éléments témoignent aussi d'une réelle volonté de la commune<br />

d'avoir une gestion correcte et honnête. L'adjoint Bara Diop, dans le conflit qui l'oppose<br />

à Bâ Amadou, écrit «Pour mettre fin à ces scandales, le maire principal qui avait de sa<br />

mission une singulière conception plus élevée que la vôtre, n'hésitait pas à imposer des<br />

mesures susceptibles de tarir les sources par où coulaient les biens de la commune au profit<br />

de quelques individus. » Il rappelle que son action de contrôle sur l'essence, le bois, le<br />

ciment, le fer etc... est entreprise à la demande de Me Paul Bonifay mais aussi à la<br />

requête de El Hadj Bibi Ndiaye, secrétaire général de la municipalité.<br />

Pour faire travailler normalement le personnel des initiatives multiples sont<br />

prises et des efforts déployés. Ainsi, la note de service n° 1792/SG du 17 septembre 1955<br />

du maire, à l'adresse de tous les chefs de bureaux et de services rappelle les horaires de<br />

travail en insistant particulièrement «Il y a lieu de tenir dans chaque bureau ou service<br />

un carnet de présence pour y consigner les retards constatés journellement et qui doivent<br />

faire l'objet d'une sanction confonnément à la réglementation en vigueur. » La note de<br />

service en question s'appuie sur une décision municipale de l'année précédente fixant<br />

les horaires de travail 32 . Dans le même sens le chef du nettoiement responsabilise les<br />

chefs de benne dans leurs équipes avec obligation pour chacun d'eux de rendre compte<br />

de toute absence momentanée constatée pendant le temps de travail. Le sérieux à<br />

apporter à la gestion financière et administrative du personnel n'échappe pas à Thiam<br />

Ibrahima Abdoulaye, l'adjoint faisant fonctions de maire, lorsque dans une lettre<br />

circulaire aux chefs de bureaux et de services, à la date du 14 octobre 1955, il écrit «<br />

Dans les décisions relatives à la refonte du statut municipal et au reclassement [... ] il a été<br />

en effet constaté beaucoup d'anomalies (... ] C'est pourquoi j'ai chargé ensemble MM les<br />

chefs du bureau du personnel et des finances d'effectuer à nouveau un travail de<br />

redressement... »<br />

En somme, l'étude de cette gestion municipale de Dakar fait apparaître<br />

d'énormes faiblesses. Souvent, celles-ci ne sont pas du tout imputables à la municipalité<br />

elle-même. Très souvent les jugements formulés à l'encontre de cette gestion reposent<br />

sur une comparaison avec l'activité municipale en métropole alors que le statut colonial<br />

influençe fortement les données sénégalaises. Cependant ceci ne signifie aucunement<br />

que ces faiblesses ne sont pas crées, voulues et entretenues parfois par tel ou tel<br />

personnage municipal, tel ou tel clan, ou même toute l'équipe municipale. Des<br />

considérations politiques partisanes expliquent beaucoup des faiblesses de cette<br />

municipalité SFIO dans un contexte territorial globalement acquis au RD.S.<br />

Mais les faiblesses n'effacent pas pour autant les forces qui sont évidentes et<br />

solides. Il est indéniable que des considérations qui se situent à un niveau élevé,<br />

participent fortement aux entreprises de dénonciations de la gestion municipale. Cela<br />

transparaît dans cette position de la direction du contrôle financier de Paris qui estime à<br />

32. Archives muniCipales, Séne 2G, dos Hj40, note n0558jP du 22 juillet 1954.<br />

43.6


dernière catégorie du reclassement concerne 24 personnes au salaire mensuel de 3.000<br />

F 38 .<br />

La nomination de ces chefs donne très souvent lieu à des contestations<br />

jusqu'au niveau le plus élevé dans la hiérarchie de la Collectivité léboue, et dans le<br />

cadre des relations entre administration et municipalité. El Hadji Moussé Diop,<br />

domicilié au 16, rue Blanchot à Dakar, écrit à l'administrateur de la circonscription de<br />

Dakar, le 22 mars 1945 en ces termes «Par décision municipale n0161jF du 14 avril 1942<br />

de Mr le gouverneur des colonies F. Martine, alors maire de Dakar, je fus nommé, en tant<br />

que Sérigne Ndakarou, chefsupérieur des agents auxiliaires d'hygiène des quartiers indigènes<br />

de la commune en remplacement du défunt Alpha Diole [...] Or, depuis l'arrivée de Mr<br />

Alfred Goux Maire [...] Je me vois déparli de mes fonctions dans des conditions dont j'ose<br />

considérer illégales, par l'absence totale d'une nouvelle décision révoquant mes<br />

attributions... ». Le chef supérieur de la Collectivité léboue considère Ibrahima Diop,<br />

bénéficiaire des attentions du nouveau maire, Alfred Goux, comme un "usurpateur". Il<br />

dénonce l'attitude du maire car elle crée ainsi « la situation équivoque qui règne parmi la<br />

collectivité léboue [...] ces fonctions ne pouvant être exercées que par un seul titulaire. ».<br />

Cette querelle, au sujet de la plus haute fonction en milieu lébou, se terllÙne à<br />

l'avantage de El Hadj Ibrahima Diop confirmé chef supérieur de la Collectivité . En<br />

mars 1950, il écrit au maire de Dakar en cette qualité pour lui faire part de son intention<br />

d'effectuer une tournée en banlieue de Dakar comme le lui imposent ses obligations. Il<br />

demande au maire « Je vous serai reconnaissant de bien vouloir en faire parl aux autorités<br />

locales, notamment à Mr le Haut Commissaire, gouverneur général de l'ADF, à Mr le<br />

Délégué du gouverneur du Sénégal et à la sûreté locale... »<br />

Une autre haute fonction en milieu lébou est l'objet d'une contestation. Il<br />

s'agit de la présidence du conseil des notables Diambours, une des 3 assemblées de la<br />

Collectivité. En effet, le 9 mai 1955, dans le bureau du maire adjoint délégué aux<br />

affaires sociales et coutullÙères de la commune, les chefs des 12 pinths ou quartiers<br />

traditionnels de Dakar se réunissent, et le procès-verbal de cette réunion indique<br />

l'objectif que les intéressés se sont assignés «Les signataires ci-dessous, en vue de<br />

rappeler au maire de Dakar la nomination de El Hadj Ismaila Guèye comme président du<br />

Conseil des notables Diambours, en remplacement de El Hadj Ousmane Diop révoqué pour<br />

faute grave, relevé de ses fonctions.... »<br />

Les dignitaires lébous souhaitent que l'intéressé puisse bénéficier de tous les<br />

avantages dont jouissait son prédécesseur pendant qu'il était en fonction. Pour donner<br />

plus de poids à leur proposition, les participants à la réunion demandent en particulier<br />

un acte de nomination à compter du mois d'août 1954, date à laquelle El Hadj Ousmane<br />

Diop a cessé ses fonctions d'auxiliaire municipal d'hygiène. Le texte est transmis aux<br />

autorités compétentes. L'adjoint au maire porte son visa sur le document. Il motive son<br />

38. Archives municipâles Dakar, série 2G dos H/35.<br />

439


chefs, le groupe qui réussit à obtenir l'acte municipal est le gagnant de la compétition.<br />

C'est en ce sens que le poids des institutions municipales est déterminant dans la<br />

question des chefferies de quartier. En rapport direct avec cet aspect de la nomination,<br />

il n'est pas rare que le leader du clan qui n'a pas réussi à obtenir son acte de nomination<br />

passe, avec partie ou totalité de ses supporters, dans le camp politique adverse. Ou bien<br />

l'intéressé continue à mener contre le chef nommé une sorte de guérilla politique en<br />

contestant son autorité de manière plus ou moins ouverte. Il en résulte parfois que la<br />

municipalité et l'administration coloniale soient placées dans une situation<br />

embarrassante. C'est ce qui fait dire au gouverneur de la circonscription, dans une lettre<br />

à l'adresse du maire de Dakar « il serait d'ailleurs superflu que je souligne l'intérêt qui<br />

s'attache en ce qu'en la matière, nos deux administrations adoptent les mêmes principes [. ..]<br />

la même attitude générale. 41». Cette lettre évoque la situation de trouble - d'après le<br />

chef de la Circonscription - créée dans le village de Yoff où le nommé Talla Diagne<br />

cherche à renverser le chef du village en fonction. Des cas identiques sont multiples.<br />

- Le deuxième atout important dont dispose la Municipalité est la<br />

rémunération de la fonction de chef de Quartier ou de village. Elle l'utilise au mieux de<br />

ses intérêts. Au cours de la période, les autorités municipales sont saisies de diverses<br />

démarches pour cette rémunération. Elles émanent de chefs de quartier demandant, soit<br />

un classement dans le tableau des chefs de quartier payés, soit un reclassement dans la<br />

hiérarchie des quartiers. Cette hiérarchie comprend plus d'une dizaine de niveaux<br />

assimilés aux grades et échelles du corps des agents du service d'hygiène. Comme le<br />

salaire du chef du village ou de quartier - pour ceux qui sont payés - est fonction de la<br />

place occupée dans cette hiérarchie, les récriminations sont nombreuses à ce sujet et ne<br />

laissent pas la mairie indifférente. Du reste, c'est pour y mettre fin dans une certaine<br />

mesure, que le conseil municipal, au cours de sa première séance suivant les élections<br />

d'avril 1953, met sur pied une commission de 20 membres chargés d'étudier la<br />

délimitation géographique des quartiers et leur classification. Par exemple Ibrahima<br />

Ndiaye, chef du quartier de Potou Biscuiterie, dans le Grand Dakar, écrit au maire, le 5<br />

mai 1953 pour « l'obtention d'une faveur exceptionnelle pour un "classement" dans le<br />

tableau des chefs de quartier payés. 42» Parmi les arguments développés, une longue<br />

carrière sous le drapeau français, une situation familiale et un état de santé précaires<br />

mais également - et principalement - un long passé et une activité débordante dans le<br />

parti SFIO. D'autres engagent des démarches identiques. Cette question de la<br />

rémunération ne laisse pas l'administration coloniale insensible puisqu'elle y voit une<br />

marque de puissance. C'est ainsi que l'administrateur de la Circonscription attire<br />

l'attention du maire sur la situation du village de Yoff en ces termes « [...] S'agissant de<br />

ce village où reste à régler l'épineuse question de la nomination du chef, j'estime imprudent<br />

41<br />

42' Lettre du 20 octobre 1944) 0°414 ACO.<br />

. Archives municipales, sérIe 2G dos H/40.<br />

442


d'accorder une rétribution aux deux candidats. Il convient d'attendre que la désignation soit<br />

aite... . 43<br />

»<br />

fi<br />

En somme l'attitude des autorités municipales à l'égard de la question des<br />

chefs de quartiers ou de villages est rendue difficile par les divisions politiques, inter­<br />

ethniques ou autres qui existent dans la population indigène de la capitale, à cette<br />

période. Mais il reste que la municipalité, au delà des apparences, en tire un profit non<br />

négligeable pour sa pérennité.<br />

43. Archives municipales, série 2G dos H/40, lettre du 21 novembre 1945.<br />

443


CHAPITRE II : REGULARITE DES ELEcrI0t'lS A DAKAR<br />

Une des préoccupations politiques principales de l'opinion publique et de<br />

l'administration coloniale, reste celle de la régularité des élections dans la ville de<br />

Dakar. On remarque que dans la période considérée, les consultations sont nombreuses,<br />

le corps électoral sans grande expérience pratique, la législation et son application<br />

souvent en porte en faux avec les réalités locales. En conséquence, il n'est certainement<br />

",--=---pas<br />

exagéré de parler d'une permanence de la contestation au sujet de la pratique<br />

électorale à Dakar dans ces années.<br />

Il LE CORPS ELECTORAL ET LA PARTICIPATION ELECTORALE<br />

Les consultations électorales<br />

- Référendums = 3<br />

- Juin 1946 : adoption du 1er projet de la constitution<br />

- 13 Octobre 1946 : adoption du 2ème projet de la IVeme<br />

- République<br />

- 28 Septembre 1958: adoption du projet de la VèmeRépublique<br />

- Législatives = 4<br />

Octobre 1945<br />

17 juin 1951<br />

Janvier 1956<br />

Mars 1959<br />

- Cantonales = 3<br />

Mars 1947<br />

30 mars 1952<br />

22 mars 1957<br />

- Municipales = 5<br />

30 juin 1945<br />

10 octobre 1947<br />

26 avril 1953<br />

18 novembre 1956<br />

30 juillet 1960<br />

444


On remarque, la faiblesse du corps électoral dakarois. Il n'a jamais atteint 50<br />

% de la population totale de la ville (voir évolution de la population dans la première<br />

partie) .<br />

L'évolution de ce corps électoral est influencée par une série des facteurs<br />

dont les plus importants demeurent la législation en matière électorale et de<br />

citoyenneté, l'intérêt des populations à participer à ces consultations en s'inscrivant sur<br />

les listes pour les habitants auxquels ce droit est reconnu - et les réalités administratives<br />

locales. Quant à la participation électorale réelle, elle traduit une situation plus<br />

significative encore. Les pourcentages des votants par rapport aux inscrits lors des<br />

élections municipales - 57 % en 1947, 39 % en 1953, 83 %en 1956 et 85 % en 1960 ­<br />

indiquent une évolution en dents de scie. Des facteurs politiques précis en sont les<br />

éléments d'explication.Ainsi, en 1947, l'unité de la SFIO est encore totale au Sénégal.<br />

La population de la ville, dans sa partie inscrite sur les listes électorales, trouve intérêt à<br />

reconduire presque entièrement l'équipe élue en 1945. Les élections de 1953, se<br />

déroulent elles dans un contexte particulier. Des législatives ont eu lieu en juin 1951 et<br />

des cantonales en mars 1952. Celles-ci sont reprises par suite de l'annulation de leurs<br />

résultats par le Conseil du contentieux administratif de l'AOF. Moins d'un an, plus tard<br />

une nouvelle consultation a lieu. L'effet de saturation ...; mais surtout l'âpreté de la<br />

compétition due au fait que les deux principaux leaders politiques s'affrontent<br />

directement à ce niveau local, constituent des facteurs importants d'explication de la<br />

faible participation électorale. Le problème de l'identification de l'électeur qui est au<br />

centre des difficultés lors de la distribution des cartes joue un rôle notable dans la<br />

faiblesse de la participation effective des populations au scrutin.<br />

Quant aux municipales de Novembre 1956, la tension est certes encore vive<br />

entre les deux principales formations concurrentes,la SFIO et le RD.S., mais sous la<br />

pression de l'administration, un modus viventi a été trouvé entre elles. Ceci a en partie,<br />

détendu le climat ce qui permet un pourcentage élevé de la participation: 83 % . Pour<br />

les élections municipales de juillet 1960, tout comme pour les législatives" de mars 1959<br />

et le référendum de septembre 1958, la politique locale est marquée par une<br />

recomposition globale. Les anciens adversaires "SFIO" et "BPS" ont conjugué leurs<br />

efforts pour obtenir ces résultats élevés. L'U.P.S., née de la fusion, est devenue le parti<br />

gouvernemental organisateur des consultations. Cette situation a pour conséquence un<br />

accroissement global de la participation dans la frange de la population inscrite sur la<br />

liste électorale.<br />

Au regard de la participation électorale, il reste que l'évolution constante de '<br />

la liste des électeurs appelle des remarques importantes. Au sortir de la guerre et<br />

jusqu'en 1950, seuls participent aux élections, les citoyens, c'est à dire les métropolitainS<br />

et les habitants de 4 communes. Un élargissement de ce corps électoral intervient en<br />

1951 avant les législatives, exactement comme en 1956. Les sources disponibles n'ont<br />

446


pas permis de chiffrer ceux qui accèdent, à Dakar, en particulier, à cette nouvelle<br />

possibilité qu'est le droit de participer aux élections. Cependant le nombre des inscrits<br />

sur les listes électorales de la ville a beaucoup évolué sans qu'il soit possible d'affirmer<br />

que ce soit en relation directe avec la loi électorale. De 1950 à 1956, on observe<br />

l'évolution suivante; 76.023 inscrits en 1952, 81.525 en 1953 soit une augmentation de<br />

plus de 5000 personnes en l'espace d'un an alors qu'aucun fait nouveau, d'ordre<br />

législatif, n'est intervenu pendant cette période.<br />

La consultation de novembre 1956 voit le corps électoral se réduire de façon<br />

drastique. Il passe de 81.525 inscrits en 1953 à 50.371 en 1956 soit une diminution de<br />

près de 40 %. Ici également aucune donnée législative n'en est l'explication. Celle ci doit<br />

être recherchée dans les données pratiques guidant l'élaboration de cette liste<br />

électorale. Mais, on note qu'aucune révision spéciale de la liste électorale n'est<br />

intervenue entre les deux dates. Du reste un télégramme du Ministre des colonies au<br />

Haussaire de Dakar, le 5 novembre 1955, dit à ce sujet: ''En ce qui concerne la révision<br />

spéciale de l'ensemble des listes électorales du Sénégal (...) je vous rappelle que vous aviez<br />

convenu avec moi de son impossibilité...) (1 ).Le Ministre fait état d'un télégramme qui lui<br />

a été envoyé, la veille, par le gouverneur général de l'AOF. Ce télégramme, transmet le<br />

compte rendu du gouverneur du Sénégal relatant des difficultés rencontrées par<br />

l'administration" du fait de l'obstrnction qui lui a été opposée à ce sujet par la mairie de<br />

Dakar." Juste un mois plus tard, c'est à dire le 6 décembre 1955, le ministre parle de<br />

cette question en ces termes: "le premier devoir des autorités de tutelle consistait à veiller<br />

en pennanence à la bonne tenue des listes électorales; or, c'est le désordre, reconnu par tous,<br />

de ces listes ... "(2) Le chef du territoire du Sénégal, dans un rapport, écrit en parlant de la<br />

confecti.on de la liste électorale de Dakar: "La municipalité, présidée par Lamine Guèye,<br />

bat certainement les records de malthusianisme électoraL.. "(3) Le gouverneur s'étonne<br />

que la liste des électeurs inscrits à Dakar connaisse une "diminution inexplicable" à un<br />

moment où de nouvelles catégories d'électeurs sont venues s'ajouter aux électeurs<br />

traditionnels. En parlant de la diminution du corps électoral, "Afrique Nouvelle", organe<br />

de la presse dakaroise, titre ceci : "Cimetière électoral" dans l'une de ses livraisons(4).<br />

Quant à l'évolution du corps électoral qui passe de 50.371 en 1956, à 91.643<br />

en septembre 1958, puis à 90.087 en mars 1959 et ensuite à 135.330 en juillet 1960 elle<br />

s'explique par un fait déterminant: c'est l'application du suffrage universel issu de la<br />

réforme introduite par la loi Gaston Defferre de juin 1956. Tous peuvent voter pour la<br />

première fois. Cependant, la très forte progression du corps électoral passant de 90.087<br />

en mars 1959 à 135.330 en juillet 1960 soit 45.243 électeurs en valeur absolue et 50 % en<br />

valeur relative pose des interrogations sérieuses. Cette progression se fait en l'espace<br />

d'un an alors qu'aucune donnée nouvelle n'est interveue dans la détermination du corps<br />

électoral.<br />

44·7


Toute cette évolution en dents de scie du corps électoral dakarois traduit, de<br />

façon globale, une absence de maîtrise des listes électorales. Il est à craindre que trop<br />

de données non objectives, de "politique politicienne", interviennent dans leur<br />

confection. Dans ces conditions, l'équipe municipale, dirigée par Lamine Guèye dans<br />

toute la période de 1945 à 1960, porte une part très importante de responsabilité dans<br />

cette situation aux paradoxes multiples. Mais il est aussi certain qu'une part des<br />

responsabilités incombe à l'administration coloniale elle-même. Le ministre de tutelle<br />

met l'accent, sur ce fait en 1953, en s'adressant au chef de la fédération(5). Une part de<br />

responsabilité revient à la population dakaroise, elle même, du moins dans sa frange<br />

électrice. En effet, lorsque le corps électoral subit une diminution de 40 % environ entre<br />

1953 et 1956, comment comprendre que des citoyens antérieurement inscrits, n'élèvent<br />

pas de protestation véhémente? Nos sources ne font état ni de protestation ni de<br />

réclamation tant auprès des services municipaux qu'au niveau des autorités judiciaires.<br />

Alors, pourquoi une telle absence de revendications ? Il est difficile de savoir<br />

exactement. Est-ce le niveau de prise de conscience ou le manque d'intérêt pour les<br />

consultations municipales ? Ces raisons sont difficilement compréhensibles dans le<br />

contexte politique dakarois où les luttes revêtent un caractère exacerbé.<br />

Une autre donnée à prendre en considération dans l'évolution de<br />

cette liste électorale, est le sérieux dans son élaboration pratique. Cet aspect a fait<br />

l'objet, à diverses reprises, d'empoignades particulièrement rudes à Dakar. C'est ainsi<br />

qu'à la veille des municipales d'Avril 1953, le député L.S. Senghor, tête de liste du<br />

B.D.S., déclare, dans un exposé fait au cinéma Rialto: ''Nous abordons cette troisième<br />

lutte électorale, dans des conditions difficiles car sur 83.000 électeurs inscrits à Dakar, nous<br />

avons un handicap de 30.000 fausses inscriptions. "(6) La série d'attaques débitées contre<br />

la municapilité SFIO de Dakar par LS.Senghor, enchaîne une réponse vigoureuse.<br />

"Paris-Dakar", mettant en relief son souci d'impartialité - il a fait le compte rendu du<br />

meeting B.D.S.- publie le point de vue de la Municipalité de Dakar. Sur la question<br />

précise des fausses inscriptions, la mairie s'étonne de la grossiereté du propos qui<br />

accuse gratuitement et la municipalité, et l'administration en même temps. La réponse<br />

met l'accent sur la conformité de la liste avec la loi électorale en vigueur, celle du 23<br />

mai 1951, plaçant sous la responsabilité directe de l'administration, la distribution des<br />

cartes électorales (7) La mairie ajoute que les représentants des partis politiques en<br />

compétition contrôlent la distribution des cartes en toute indépendance. Pour les<br />

responsabilités de l'équipe municipale à laquelle la loi fait charge de constituer cette<br />

liste, une remarque s'impose: "Ce serait, du fait même, impliquer la complaisance ou<br />

l'aveuglement des divers représentants des partis siègeant au sein des commissions de<br />

distribution." Tout compte fait, pour la mairie, l'accusation de Senghor ne peut donc<br />

qu'être une simple manoeuvre de bas étage(8) maladroite de surcroît. La conclusion de<br />

cette réponse tout en marquant la volonté municipale de ne pas engager une polémique,<br />

448


mais simplement de répondre à des propos dépourvus d'objectivité, est la suivante: "Si<br />

la critique est permise faut-il encore pour être valable qu'elle soit fondée sur des faits<br />

objectifs dûment contrôlables et non sur des affirmations purement subjectives et gratuites<br />

qu'il est toujours aisé, en définitive, de réduire à néant. "<br />

En somme, le sérieux de la confection de cette liste donne lieu à des<br />

contestations entre les partis politiques en lice dans les consultations au niveau de la<br />

capitale fédérale. L'administration coloniale, en dénonce elle aussi, durant la période,<br />

le caractère souvent peu sérieux de l'élaboration. Dans un rapport spécial sur les<br />

élections ayant eu lieu de 1947 à 1953, elle regrette que des inscriptions fantaisistes<br />

émaillent les listes, si le malthusianisme ne l'emporte pas (9).<br />

En plus de l'élaboration de la liste électorale, la question de la distribution<br />

des cartes, elle-même, fait souvent l'objet d'énormes difficultés à la veille de toutes les<br />

consultations, surtout dans la phase 1951-1956 pendant laquelle l'affrontement SFIO­<br />

RD.S. est total. Au centre de cette question, il yale problème de l'identification de<br />

l'électeur. Dans un rapport adressé le 13 avril 1953 au Haut commissaire, gouverneur<br />

général de l'AOF, le chef du territoire du Sénégal reconnaît qu'il se trouve placé dans<br />

une situation particulièrement difficile devant les prises de position des partis en<br />

compétition. Il insiste surtout sur le fait qu'il se voit même contraint de faire la navette<br />

entre Saint-Louis et Dakar, pour trouver avec les chefs des partis, une solution<br />

acceptable pour tous. Il indique les positions respectives de ces formations sur<br />

l'identification de l'électeur. " Position SFIO: possibilité d'utiliser bulletins ou extraits de<br />

naissance car maints électeurs, femmes surtout n'ont aucune piéce d'identité. Position<br />

B.D.S. : rejette toute possibilité d'utiliser des extraits ou bulletins de naissance. Exige pièce<br />

d'identité uniquement." Le chef du territoire a t-il trouvé avec les intéressés une solution<br />

acceptable? En tout cas, il envoie les instructions suivantes aux présidents des bureaux<br />

de distribution des cartes électorales de Dakar mais aussi de Rufisque et Saint-Louis.<br />

"A : si électeur connu de tous, même sans pièce d'identité: oui.<br />

B : si muni d'un titre d'identité: port d'arme, carte d'étudiant, carte<br />

ancien combattant, passeport, livret famille pour les femmes: oui<br />

extrait, bulletin, ancienne carte électorale, certificat de mariage: non.<br />

e : Electeur sans pièce d'identité, si 2 témoins ayant leur identité<br />

certifient cela avec consignation sur le registre, de l'identité des témoins: oui. Mais refus des<br />

témoins professionnels à ce sujet. "(11).<br />

Le Haut Commissaire, s'adressant au ministre de tutelle, dans un rapport<br />

faisant le point sur le déroulement de la campagne et des élections, affirme qu'à Dakar,<br />

cette distribution des cartes a donné lieu à des conflits très aigus (12). Le Ministre de la<br />

P.O.M. lui-même, reconnait que cette question de la confection de la liste électorale et<br />

également de la distribution des cartes a pris trop d'importance à Dakar. Dans une<br />

lettre adressée au chef de la Fédération, il fait part de ses griefs suivants : " n est<br />

449


egrettable que des problèmes mineurs, tels ceux posés par la confection de listes électorales<br />

d'une commune, si importante soit-elle, n'aient pas reçu une solution satisfaisante sur le<br />

plan local et que le réglement ait nécessité l'intervention du pouvoir central" (13)<br />

Après la confection de la liste électorale et la distribution des cartes<br />

d'électeurs, une question annexe a aussi longuement occupé, avant les scrutins,<br />

l'attention des autorités compétentes : c'est celle du déroulement même de la<br />

consultation. Ainsi, à la veille des minicipales d'avril 1953, L.S. Senghor, chef du RD.S.,<br />

interroge, dans une lettre en date du 26 mars, le ministre de la FOM. Il expose les<br />

préoccupations suivantes:<br />

" 1°) Les délégués des partis politiques seront ils présents dans les<br />

bureaux de vote pour contrôler les opérations électorales.<br />

2° ) Ces délégués pourront-ils être expulsés par le président du bureau<br />

de vote qui sera forcément un amipolitique du maire sortant.<br />

3° ) Instructions données à Haut Commissaire de Dakar pour<br />

combattre la fraude électorale qui sévit dans les communes de plein exercice, depuis la<br />

libération ?" (14)<br />

Le député du Sénégal annonce au ministre, qu'il considérait toute réponse<br />

négative de sa part comme "une preuve de la volonté du gouvernement de la République de<br />

s'opposer à la sincérité des opérations électorales au Sénégal." La menace de porter la<br />

question devant l'Assemblée Nationale est même annoncée dans l'éventualité d'une<br />

telle hypothèse. Cette démarche du chef du B.D.S. n'est pas sa seule initiative sur la<br />

question. En effet, une lettre du haussaire de Dakar à son chef, le 5 février 1953, fait<br />

état d'une proposition de loi dûe à l'initiative de L.S. Senghor et de son groupe. Le<br />

haussaire écrit : "Cette proposition de loi m'apparaît comme satisfaisante dans son<br />

ensemble en ce sens qu'elle consacre le renforcement des pouvoirs de l'autorité de tutelle<br />

ainsi qu'il avait été demandé à plusieurs reprises dans mes précédentes correspondances et<br />

notamment mon rapport n01215/cab/AP du 4/12/1952. "(15)<br />

Les principaux axes de cette proposition de loi apportent des modifications<br />

profondes à la législation en vigueur. En effet, une note technique de la direction des<br />

affaires politiques de l'AOF - 2ème bureau - s'en félicite dans la mesure où, elle donne à<br />

l'administration "toutes les attributions actuellement détenues par les municipalités. "Pour<br />

les affaires politiques, ces dispositions particulières visent "à assurer la sincérité des<br />

opérations électorales. "(16)<br />

Dans une interview au quotidien "Paris-Dakar", Lamine Guèye exprime sa<br />

totale opposition à la proposition de Senghor : "Nos adversaires veulent que les pouvoirs<br />

attribués aux maires de France soient, au Sénégal, attribués à l'administration qui aurait le<br />

pouvoir de dissoudre les municipalités pour des raisons extra-municipales. Modifier les<br />

conditions actuelles dans le sens qu'ils veulent serait une régression. "(17) A l'opposé, le<br />

450


président du Grand Conseil de l'AOF, Léon Boissier Palun, trouve, lui, dans cette<br />

proposition, une garantie de sincérité des élections(18)<br />

Le groupement européen de Dakar donne également son point de vue sur la<br />

question comme le rapporte "Paris-Dakar"(19) : ''Nombreux parmi les Européens de<br />

Dakar, instruits par l'expérience, que les élections de dimanche 26 avril n'apporteraient<br />

rien car la loi a mis entre les mains de la municipalité la liste électorale et que la fraude est<br />

pratique courante dans les mairies socialistes, particulièrement de Dakar... "<br />

Le quotidien rapporte aussi dans la même livraison la prise de position du<br />

parti gaulliste de Dakar : le R.P.F., lequel parti politique a passé alliance avec la<br />

formation senghorienne. Ainsi, il traduit une certaine inquiétude qui est semblable aux<br />

préoccupations exprimées par le chef du B.D.S.<br />

En somme, les contestations sont nombreuses autour de la liste électorale et<br />

de l'organisatin pratique des consultations qui se déroulent à Dakar. Le sérieux de ces<br />

contestations apparait nettement dans l'appréciation que portent sur les résultats<br />

électoraux de la capitale fédérale les autorités compétentes du Conseil d'Etat.<br />

n/ VALIDITE DES CONSULTATIONS<br />

Un fait demeure permanent au Sénégal dans les années 1945-1960 : c'est<br />

celui de la contestation des résultats électoraux. A Dakar particulièrement, surtout lors<br />

des consultations municipales où cette contestation revêt une grande dimension. Le<br />

gouverneur du Sénégal, dans un long rapport sur la consultation du 17 juin 1951, tire les<br />

principaux enseignements suivants : "les élections du Sénégal se caractérisent<br />

traditionnelement par des incidents et des fraudes courantes. "(20)<br />

A travers quelques résultats électoraux, il est possible de cerner de plus près<br />

les fondements mêmes de cette permanente contestation. Certaines élections ont surtout<br />

donné lieu à diverses initiatives pour faire accréditer ou pour invalider les résultats<br />

proclamés; il s'agit:<br />

-des législatives du 17 janvier 1951<br />

-des cantonales de mars 1952<br />

-des municipales d'avril 1953 et de novembre 1955<br />

-du réferendum de septembre 1958.<br />

La variété de ces consultations et la constante contestation de leurs<br />

résultats indiquent une possibilité de fraude électorale.<br />

451


C'est ainsi par exemple que le haussaire a envoyé des télégrammes dans ce sens à tous<br />

les chefs de territoire, et de même, le gouverneur du Sénégal a fait autant en direction<br />

des commandants de cercles, de subdivisions et du Délégué à Dakar. Le rapport indique<br />

aussi un autre raison de la neutralité administrative. Il s'agit de "l'ignorance totale" de<br />

l'incident de Bakel. Au cours d'une altercation dans cette ville de la vallée du fleuve<br />

Sénégal, le député candidat, Lamine Guèye, a giflé le chef de la subdivision. Certes, le<br />

fait aurait pu, s'il était connu, avoir des incidences subjectives sur le comportement du<br />

personnel administratif du commandement remarque le rapport de synthèse. Le chef du<br />

Territoire affirme: 'Très nombreux étaient les Européens même occupant de hauts postes<br />

dans l'administration qui, 8 jours après, je l'ai, personnellement, constaté, ignoraient tout de<br />

ce petit drame. " La presse, elle aussi, semble avoir ignoré ou négligé, jusqu'aux élections,<br />

ce fait de Bakel, comme l'affirme le gouverneur qui indique que seul l'organe "Afrique<br />

nouvelle"(23) a fait un entrefilet de 4 lignes à ce sujet et ceci, la veille même de la<br />

consultation.<br />

Neutralité totale de l'administration, responsabilités correctement<br />

assumées, loi électorale démocratique par laquelle les partis exercent un contrôle total,<br />

à toutes les phases etc... rien ne manquerait donc à un déroulement normal de cette<br />

consultation. Aux yeux du chef du territoire, les véritables raisons de la victoire de L.S.<br />

Senghor et de son co-listier Abbas Guèye sur le tandem Lamine Guèye Ousmane Socé<br />

Diop pour les 2 sièges du Sénégal à l'Assemblée nationale française sont les suivantes:<br />

-"le parti SFIO a été victime de la nouvelle loi (24) qui a triplé le nombre<br />

des électeurs (les nouveaux inscrits paysans et ouvriers étant la clientèle attitrée du B.D.S) de<br />

la maladresse de ses dirigeants qui lui aliénèrent notamment les principaux marabouts, du<br />

"lâchage" de ses principaux supporters qui travaillèrent, en dessous, mais très efficacement<br />

contre lui. "<br />

-"C'est le vote de la Casamance qui donne le coup degrâce à la SFIO" (25)<br />

Eric Makédonsky donne une autre raison à la victoire électorale du<br />

B.D.S. lorsqu'il écrit: ''Après la création du B.D.S., toute la brousee suit le député des<br />

"badoolos" les déshérités. En vue de la campagne des législatives de juin 1951, il parcourt<br />

10.000 Km du terroir, tient 450 meetings.C'en est fini de la prédominance de la ville sur la<br />

vie politique sénégalaise." (26) Bakary Traoré remarque que les ruraux, intéressés par<br />

l'arachide ont été particulièrement sensibles à la promesse faite partout par L.S.<br />

Senghor de faire payer le 'barigo n'diouni" (27). Bakary Traoré écrit: "vêtu de kaki,<br />

coiffé d'un calot qui deviendra légendaire, une voiture jeep, Senghor visite<br />

systèmatiquement tout le Sénégal, de l'Est à l'ouest, du nord au sud (...) devant les<br />

paysans, partout, il brandit dans sa main un billet de 5000 F CFA et s'écrie "barigo<br />

n'diouni" (28)<br />

Moriba Magassouba s'accorde avec Bakary Traoré et le gouverneur<br />

du Sénégal puisqu'il écrit: ''Le fondateur du BDS (...) délaisse les villes bastion traditionnel<br />

453


La contestation des résultats de juin 1951<br />

La loi électorale en vigueur marginalise l'immense majorité de la<br />

population du Sénégal dans la consultation. Un autre rapport de l'administration,<br />

également consacré aux élections à l'Assemble nationale du 17 juin 1951, donne des<br />

renseigments sur cette participation (33).<br />

-Les c.P.E. : (Commune de plein exercice)<br />

Dakar: 31,3 % de la population totale<br />

Saint-Louis: 20,6 % de la population totale<br />

Rufisque: 55,4 % de la population totale<br />

Banlieue de Rufisque: 34 % de la population<br />

totale.<br />

-Les 11 cercles du Sénégal:<br />

* 7 cercles ont un taux de participation inférieur à 10 % (Matam,<br />

Linguère, Diourbel, Louga, Tambacounda, Kédougou et Zinguinchor)<br />

Kaolack)<br />

* 3 cercles se situent entre 10 et 12,6 % (Bas -Sénégal, Thiès et<br />

* 1 seul atteint 24,6 % (celui de Podor)<br />

Il est à remarquer que la participation est plus forte dans les villes<br />

et particulièrement dans les communes de plein exercice que dans les cercles du<br />

Sénégal. D'autre part, dans la participation des cercles, il serait intéressant de disposer<br />

des chiffres de répartition entre les villes de ces cercles et le reste du terroir; par<br />

exemple, pour le cercle de Kaolack qui compte 44.324 inscrits. -sur une population de<br />

424.621 habitants combien d'inscrits et combien de votants se concentrent dans la ville<br />

de Kaolack elle-même. Faute de renseignements, il est difficile de fonder un jugement<br />

valable sur cet aspect. Mais nous savons, que les villes de ces cercles représentent la<br />

majorité de la population, et que ce sont elles surtout qui s'expriment dans cette<br />

consultation électorale. En conséquence, est difficile de croire à une "revanche" des<br />

campagnes sénégalaises sur les villes. Les analystes ayant corroboré cette thèse semblent<br />

n'avoir pas retenu l'essentiel de l'explication des résultats de cette consultation: une<br />

manipulation par les divers niveaux des structures administratives locales. Le niveau réel<br />

de la manipulation est certes difficile à établir avec précision, mais divers indices<br />

laissent apparaître la chose elle-même. On constate une contradiction évidente entre<br />

deux rapports de l'administration consacrés à la consultation du 17 juin 1951. Le rapport<br />

classé dans le carton 2171 dos 7 donne les chiffres du cercle de Ziguinchor qui" a donné<br />

le coup de grâce à la liste SFIO":<br />

51.007 suffrages exprimés<br />

46.409 pour la liste B.D.S<br />

4.598 pour la SFIO.<br />

455


Dans le rapport classé au carton 2179 dos.8, le même cercle de<br />

Ziguinchor a 312.759 habitants et 12.133 inscrits , ce qui donne un pourcentage<br />

d'électeurs de 3,8 % par rapport à la population totale: Une analyse des chiffres de ce<br />

dernier rapport fait apparaître que dans la totalité des cercles du Sénégal, nulle part, le<br />

nombre des électeurs inscrits n'atteint 25 % de la population sauf à Podor ; ce<br />

pourcentage moyen est au maximum de 10 %. Si comme l'indique le rapport 2171 dos. 7,<br />

le cercle de Ziguinchor a 51.007 suffrages - donc plus d'inscrits, cela signifie qu'il a au<br />

moins 16 % d'inscrits par rapport à sa population totale. La chose n'est pas impossible<br />

en soi, car Podor par exemple a 24,6 % d'inscrits sur 84.789 habitants. Ce cas du cercle<br />

du Ziguinchor représente véritablement, dans le cadre des résultats proclamés de cette<br />

consultation électorale, une question qui mérite un approfondissement réel, pour mieux<br />

expliquer la victoire du B.D.S.<br />

En tout cas, nous constatons que, à la tête du cercle de Ziguinchor,<br />

l'administrateur en place est un ancien du vichysme qui ne porte que haine et mépris<br />

(34) à la SFIO de l'après-guerre. Il ne serait pas étonnant, loin s'en faut, que sa patte ait<br />

marqué le résultat du cercle. Surtout dans le contexte d'un gouvernement de droite à<br />

Paris. En effet, l'administration SFIO largement prépondérante dans les structures de<br />

Dakar et de Saint-Louis auparavant, subit un fort remaniement avant les élections de<br />

juin 1951. Ainsi, le gouvernement général de l'AOF, le député socialiste Béchard quitte<br />

Dakar à la veille de la consultation électorale. L'intérim est assuré par le général<br />

Chauvet. D'autre part, le chef du territoire du Sénégal, lui aussi, est remplacé par un<br />

intérimaire à la même période. Il n'est pas impossible que, dans cette situation générale,<br />

la F.O.M dirigée par la droite - le M.R.P - laisse les consultations électorales à la<br />

discrétion et aux "manoeuvres" de l'administration locale.<br />

La SFIO, proclamée battue, a beau fournir ses preuves de<br />

manipulations, et compter sur de solides appuis parisiens le résultat officiel n'est pas<br />

changé. Le bureau de l'Assemblée Nationale française conclut à la validité du scrutin.<br />

Dans cette décision, le poids des alliés de Senghor, le R.P.F. est déterminant puisque les<br />

8 commissaires de la formation gaulliste s'ajoutent à 7 autres pour faire la différence par<br />

15 voix contre 13 (35) lors du vote d'arbitrage. Les communistes se sont abtenus.<br />

Le journal "Echos d'Afrique noire", fait état du soutien<br />

particulièrement actif apporté par son rédacteur en chef dans la campagne<br />

d'information et d'opinion pour la validation des résultats de ces législatives. En effet,<br />

Maurice Voisin écrit dans une lettre ouverte à L.S. Senghor ''Nous avions aidé, risquant<br />

notre vie, aux élections législatives dernières, engloutissant dans la bataille des dizaines et<br />

des dizaines de mille francs, en tracts, en circulaires, en numéros spéciaux. Nous pensons<br />

qu'il fallait finir avec la SFIO, Rappelez-vous notre voyage à Paris alors que Lamine Guèye<br />

prétendait faire casser les élections de 1951. Nous avons inondé l'Assemblée nationale de<br />

nos appels. Nous avions multiplié nos contacts." (36). La direction de l'organe insiste sur<br />

456


le fait que Abbas Guèye lui doit une certaine reconnaissance pour l'activité déployée en<br />

faveur du RD.S. Bien entendu, cette dernière remarque de Maurice Voisin s'adresse<br />

aussi à l'homme politique Senghor. Cette victoire, légitimée par l'Assemblée nationale,<br />

est, avant tout, sa chose. Abbas Guèye n'est qu'un "obscur" homme politique, porté à la<br />

candidature à la députation par la stratégie politique de Senghor soucieux de s'attirer<br />

l'électorat lébou de Dakar, mais aussi les voix des travailleurs. En effet, ce co-listier de<br />

Senghor est d'origine léboue, mais c'est aussi un haut responsable syndical de la CGT<br />

dakaroise. Il a été élu conseiller municipal de Dakar en 1947 sur la liste SFIO et il est<br />

passé à la dissidence RD.S. pour des mobiles plus personnels que politiques. Très tôt<br />

d'ailleurs, les relations entre les deux députés se détériorent pour aboutir à la rupture<br />

totale faisant ainsi le grand joie de divers milieux du colonat dakarois et des adversaires<br />

politiques.<br />

2) Les consultations cantonales et municipales de 1952<br />

à 1956<br />

-Les cantonales de mars 1952 doivent désigner les membres de<br />

l'Assemblée Territoriale locale. Une nouvelle loi votée le 25 janvier 1952 et promulguée<br />

le 6 février met en place cette structure. Les Assemblées territoriales, nouvellement<br />

créées en remplacement des conseils généraux, doivent, d'après la nouvelle loi, être<br />

élues au scrutin majoritaire à un tour, par circonscription et de liste. La Délégation de<br />

Dakar et banlieue constitue l'une des douze circonscriptions électorales dans lesquelles<br />

l'affrontement entre le RD.S et la SFIO a lieu. Le R.D.A. est candidat mais son poids<br />

est faible sur l'échiquier local. Le déroulement de la consultation se traduit par la<br />

situation suivante au Sénégal: le B.D.S qui a remporté les législatives de juin 1951,<br />

gagne toutes les circonscriptions électorales sauf celles de Dakar et de Saint-Louis. En<br />

effet, la SFIO obtient la majorité des voix sur les ''33.799 cartes distribuées et 43.122<br />

suffrages exprimées" (37) à Dakar.<br />

Le Conseil du Contentieux administratif de l'AOF estime que les<br />

élections sont irrégulières et, par décision en date du 16 septembre 1952, les annule<br />

pour la capitale fédérale. Leur reprise donne lieu au même résultat. La SFIO de Lamine<br />

Guèye envoie à l'Assemblée Territoriale 9 élus contre 41 au RD.S. En la circonstance,<br />

chose importante, le député Abbas Guèye, tête de la liste RD.S à Dakar, n'est pas élu<br />

(38) tout comme le conseiller Djim Momar Guèye.<br />

-Quand aux élections municipales d'avril 1953, elles représentent la<br />

3eme occasion pour les populations des 3 communes de plein exercice, de renouveler<br />

leurs représentants. La liste SFIO emporte la municipalité de Dakar par 21.113 voix<br />

contre 10.521 à sa rivale conduite par L.S. Senghor. Cet affrontement au plan local des<br />

deux principaux leaders politiques, constitue une partie de revanche pour les vaincus de<br />

45.7


conditions la maîtrise des municipalités est fort réduite, elles deviennent alors, les cibles<br />

toutes désignées des adversaires politiques et de l'administrtion à la fois.<br />

Cette situation fait même dire à certains, que les municipalités des<br />

communes de plein exercice sont placées dans une logique d'échec devant démontrer<br />

l'immaturité du nègre colonisé à s'administrer. Que la philosophie coloniale est en<br />

somme de créer les conditions de la survie du système colonial. L'organe politique du<br />

B.D.S ne dit pas autre chose lorsqu'on y lit: '1es précautions prises par l'administration<br />

ont abouti toutes, et sans doute à dessein, à favoriser la fraude... A la vén'té nos gouvernants<br />

sont les gagnants de la compétition électorale. "(42) Pour le journal du parti de Senghor, il<br />

est clair que l'équivoque n'est plus possible sur cette question.<br />

Autre insuffisance de la loi électorale qui alimente dans une<br />

certaine mesure la contestation: l'application du scrutin proportionnel à la veille des<br />

municipales de novembre 1956. En effet, après les consultations, le journal "AOF"<br />

analyse les résultats des partis tant en voix qu'en sièges pour l'ensemble des 9 communes<br />

élevées au rang de plein exercice (les 4 anciennes et Thiès, Louga, Diourbel, Kaolack et<br />

Ziguinchor). La rédaction arrive à la conclusion: ''De quelque manière qu'on interpréte<br />

les résultats, que l'on mette en ligne de compte le nombre de suffrages obtenus ou le nombre<br />

des sièges, il est révélé qu'en aucun cas, le B.P.S n'est arrivé à doubler la SFIO." (43) La<br />

rédaction de l'organe met ainsi l'accent sur l'iniquité" de la loi électorale.<br />

Autre fait de contestation de la loi: le sectionnement électoral de<br />

la capitale fédérale à la veille de la consultation de novembre 1956. Sur proposition de<br />

l'administration, l'Assemblée Territoriale du Sénégal vote un sectionnement électoral<br />

de Dakar. La municipalité s'oppose au projet, tout comme la collectivité léboue. Ces<br />

oppositions furent vaines, et le projet fut finalement voté.<br />

L'enquête, organisée pour avoir le point de vue de la population de<br />

la ville, est menée dans des conditions largement contestables: réelle précipitation et<br />

listes des électeurs favorables échaffaudées de manière fort douteuse par le délégué à<br />

l'enquête s'appuyant sur le B.D.S.(44) . Tout compte fait, le sectionnement est effectué<br />

malgré l'opposition manifestée par plusieurs milieux. Lamine Guèye et ses partisans<br />

politiques, mais aussi la Collectivité léboue dans son ensemble, saisissent les mobiles<br />

réels de l'opération : une dissolution de la municipalité élue mais aussi une plus grande<br />

représentation de la partie européenne de la ville au conseil municipal. Le maire de la<br />

ville, interrogé par le quotidien "Paris-Dakar" sur la question, est, on ne peut plus clair<br />

dans son affirmation: "le sectionnement, comme chacun le sait, n'a pas recueilli l'adhésion<br />

de la majon'té des dakarois." (45)<br />

-La pratique électorale<br />

Elle est à l'origine de divers arguments - et certainement des plus<br />

solides - de la contestation des résultats électoraux de Dakar.<br />

459


Le Conseil d'Etat décide en juillet 1955, d'annuler, à la requête de<br />

L.S.Senghor (46), les résultats d'avril 1953. L'institution se base sur les arguments<br />

suivants: " (...) Considération qu'il résulte de l'instfUction que de nombreuses personnes<br />

ont été admises à voter sans que leur identité ait été réellement contrôlée et que dans<br />

plusieurs bureaux de vote, aucun électeur n'est passé par l'isoloir (...) qu'ainsi le requérant<br />

est fondé à soutenir que c'est à tort que le Conseil du Contentieux administratifde l'ADF a<br />

rejeté sa protestation (...) décide (...) annulation (...r. Deux ans auparavant, au niveau de<br />

la capitale fédérale, les juges retenaient : "(...) Considérant que le requérant base son<br />

argumentation (...) sur les cartes retirées sans justification d'identité...<br />

Considérant l'arrêté du gouverneur du 22 avril 1953 que la production<br />

d'une pièce d'identité n'est pas nécessaire (...) qu'ainsi donc qu'aucun des griefs articulés<br />

n'est susceptible d'être recueilli (...) "(47).<br />

Principe de la loi électorale contre application locale de la loi<br />

électorale: La question est ainsi posée. Le moins qu'on puisse dire, c'est que le secret<br />

du vote n'a jamais été au plan local, une caractéristique des consultations. Cependant,<br />

selon les circonstances, la question est agitée. Par exemple, le C.C.A annule les<br />

municipales du 19/10/1947 à Saint-Louis parce que les isoloirs n'ont pas existé dans<br />

cinq bureaux de vote sur six. A Dakar, en juin 1953, le C.C.A rejette la demande en<br />

annulation déposée par Senghor et fondée sur le non respect du secret du vote lors de<br />

la consultation électorale. Pourtant, en 1951 Lamine Guèye et la SFIO, ont mis cet<br />

aspect en première ligne avec force détails à l'appui. Cependant, cette demande, elle, est<br />

rejetée par le Conseil d'Etat.<br />

Après les municipales de 1947 à Dakar, le R.P.F demande<br />

l'annulation du scrutin. Dans son argumentation écrite pour la Cour, le chef de la<br />

formation gaulliste, à Dakar, R. Lattes reproche au Haut Commissaire, gouverneur<br />

général Barthes, à Brun, directeur de la sûreté locale, et à Mr Pasquini d'avoir,<br />

ostentiblement voté avec un bulletin SFIO (48). La cour de Dakar ne retient pas le bien­<br />

fondé des arguments développés par le requête de R. Lattes. Cependant même si<br />

l'accusation n'est pas retenue, elle reste très significative du climat politique dakarois.<br />

Le R.P.F qui argumente l'accusation laisse les autres électeurs faire la déduction qui<br />

s'impose. L'acte constitue pour les subordonnés de ces hautes autorités un<br />

encouragement à voter dans le même sens. Ceci est d'autant plus logique que durant<br />

cette période où la SFIO règne en maîtresse absolue à la FOM, le gouverneur général<br />

de Dakar est logiquement un socialiste grand teint, tout comme le gouverneur du<br />

Territoire et le gouverneur délégué à Dakar. En effet, au moment où Béchard, le<br />

remplaçant de Barthes, est chef de la fédération, Wiltord, socialiste comme lui, occupe<br />

le palais de Saint-Louis. Claude Michel, socialiste, est remplacé à la tête de la<br />

Délégation par Jacquemin Vergnet, autre socialiste (49). En fonction de l'influence que<br />

ces chefs peuvent avoir dans les rouages directs de leur administration, on comprend<br />

460


toute la gravité de l'accusation. Lorsque le journal "AOF' tire la leçon du scrutin<br />

municipal d'avril 1953, il met en exergue l'absence de neutralité du chef de la sûreté<br />

dakaroise, donc un élement important de l'administration. La rédaction écrit : ''Le<br />

commissaire Bloch n'a pas mérité notre confiance au cours de cette campagne électorale.<br />

Nous lui demandons une stricte neutralité. "(50).<br />

Lamine Guèye, leader SFIO aux élections de 1953 à Dakar, dans<br />

une adresse de remerciements aux électeurs qui lui permettent, pour la troisième fois<br />

après la guerre, de diriger la municipalité, reproche à l'administration et à ses protégés<br />

un manque de neutralité dans les diverses étapes: "(...) Ce verdict rendu en conformité de<br />

la loi d'exception, voulue, rédigée et interprétée par nos adversaires eux-mêmes, est<br />

suffzsament éloquent... " (51)<br />

L'interprétation de la loi est, avant tout, du ressort de<br />

l'administration. Cette dernière est accusée de chercher à garantir la sincérité du vote à<br />

Dakar et à Saint-Louis et de fermer les yeux sur toutes les violations de régularité<br />

partout ailleurs, au même moment (52)<br />

La question de la direction "politique" de la fédération ou du<br />

Sénégal, n'est pas neutre dans la relation avec le déroulement des élections. En effet, on<br />

remarque que, lorsque le chef de la fédération et le chef du territoire du Sénégal se<br />

trouvent être des socialistes, la SFIO est toute puissante dans les assemblées<br />

représentatives de Paris, de Saint-Louis ou de Dakar. Or, cette situation existe<br />

exactement au moment où la FOM est dirigée par la SFIO. Très souvent, lorsque la<br />

FOM passe en d'autres mains, Dakar change de titulaire, tout comme Saint-Louis et par<br />

voie de conséquence la Délégation de Dakar. A cette situation correspond exactement,<br />

au plan de la politique locale, la puissance des adversaires politiques de la SFIO: ceux<br />

du B.D.S. Or ce B.D.S est partie intégrante des I.O.M, eux-mêmes alliés du M.R.P qui a<br />

assumé longuement la responsabilité de la FOM. De tout ceci, il se dégage que: le poids<br />

"politique" de l'administration sur les consultations électorales est une réalité indéniable.<br />

C'est dire en quoi la pratique électorale, pêche lourdement. Cette pratique dakaroise est<br />

d'abord faussée par ces manifestations plus ou moins directes, mais il y a également les<br />

autres multiples pressions indirectes. La rédaction de "L'AOF", tirant les conclusions du<br />

scrutin de novembre 1956, dénonce les pressions exercées sur l'électorat et met l'accent<br />

sur les responsabilités de l'administration, agissant en faveur de ses "protégés" : ''Nos<br />

adversaires devraient, pour assainir le climat politique de ce pays, intervenir fermement<br />

auprès de leurs amis (la haute administration) et leur faire respecter scrupuleusement la<br />

liberté de vote. Ces pressions et ces violences exercées aujourd'hui en leur faveur, se<br />

retourneront tôt ou tard contre eu.x."(53)<br />

Pourtant, dans la période 1948-1951, c'est le B.D.S qui se plaint des<br />

pressions qu'exerce l'administration entièrement aux mains de la SFIO. L'organe du<br />

parti, "Condition Humaine" dénonce ''un gouverneur nommé par qui on sait et pour faire<br />

461


vote. Puisque l'organisation des élections en 1947, 1952 et 1953 par la municipalité SFIO<br />

a donné naissance à des contestations et des annulations, il en résulte que la<br />

responsabilité de ce parti politique est largement engagée.<br />

Pourtant, diverses autres élections dakaroises de la période 1945­<br />

1960 n'ont pas été annulées, ce qui n'est pas une preuve absolue qu'elles aussi n'ont pas<br />

été entachées d'irrégularités de taille à situer au niveau de l'équipe municipale<br />

dakaroise . En effet, avant 1947, une contestation n'a qu'une très faible chance d'être<br />

entendue. Il en est de même entre 1957 et 1960 à Dakar. La raison en est que les<br />

principaux protagonistes de la scène politique dakaroise, c'est à dire le RD.S et la<br />

SFIO, ont partie liée pendant ces périodes là. Dans ces conditions, les leviers sur<br />

lesquels les intéressés s'appuient sont si puissants et si solides qu'aucune contestation<br />

des résultats n'a la moindre chance d'aboutir. C'est par exemple le cas en septembre<br />

1958. Les forces ayant préconisé le "non" au référendum élèvent leur protestation contre<br />

la pratique du scrutin. Administration coloniale et coalition politique nouvelle de<br />

l'U.P.S qui se sont largement déployées pour un vote favorable à de Gaulle, ne laissent<br />

la moindre possibilité d'être entendue à la protestation. Pourtant, maints observateurs<br />

indépendants considèrent ce scrutin comme entâché d'irrégularités énormes et<br />

flagrantes.<br />

Ici, contrairement à d'autres moments où les élections ont été<br />

annulées, l'enjeu ne met pas, face à face, des adversaires de taille identique. En<br />

septembre 1958, au Sénégal comme en métropole, l'indépendance immédiate du<br />

territoire n'est pas concevable aux yeux des tenants de l'appareil politico-administratif.<br />

Cette pratique électorale mettant en cause la municipalité de Dakar dans les<br />

irrégularités, se dégage d'une multitude des documents de nature fort diverse. Quelques<br />

exemples illustrent bien cette réalité. Dans un télégramme envoyé par le sénateur<br />

Mamadou Dia, secrétaire général du RD.S., au ministre de la FOM et que ce dernier<br />

répercute à son haussaire de Dakar, 4 jours plus tard, il est dit que les "listes de la<br />

commune de Dakar (...) ont été truquées (...) répartition des électeurs faite non suivant le<br />

domicile ou résidence réelle, mais d'après un calcul de dosage tendant à gonfler telle section<br />

au détriment de telle autre... " (60) En conséquence de ce télégramme, le locataire de la<br />

rue Oudinot à Paris donne, ordre au chef de l'AOF, de mettre en application les<br />

instructions qui ont été arrêtées lors du passage de ce dernier à Paris. Il lui demande, en<br />

outre, de lui rendre compte, de toutes les mesures qui ont été prises à cet effet.<br />

Bien entendu, cette situation dénoncée par le Sénateur Mamadou<br />

Dia ne peut avoir, - si elle existe - qu'un seul responsable: la municipalité de Dakar<br />

dans le cadre de ses attributions en matière d'organisation d'élections, attributions<br />

conférées par la loi elle-même. Dans une déclaration publique, le député L.S.Senghor<br />

met en relief cette responsabilité de la municipalité de Dakar dans l'irrégularité de<br />

l'organisation des consultations surtout lorsque celles-ci revêtent un caractère municipal<br />

463


ou cantonal. Parlant de l'arrêt du conseil d'Etat de juillet 1955, le candidat vaincu de<br />

1953 s'exprime en ces termes: "(...) Le second argument est de poids. Tant que les<br />

présidents de bureau de vote se refuseront à identifier les électeurs, c'est à dire à leur<br />

demander une pièce d'identité, le conseil d'Etat, faisant son devoir, continuera d'annuler<br />

nos élections. (61) Il reste que ces présidents de bureau de vote sont proposés à la<br />

désignation de l'autorité administrative par la municipalité de Dakar. Leur neutralité<br />

reste difficile à observer. Quelques faits rapportés par des services administratifs ou des<br />

délibérations d'instance, confirment cette pratique électorale largement marquée par la<br />

fraude au niveau de la capitale. Ainsi, un rapport du gouverneur du Sénégal, établi le Il<br />

juillet 1951, dégage des fraudes manifestes dans plusieurs bureaux de vote de Dakar lors<br />

de la consultation du 17 juin. "(...) Le cas du bureau de vote de Dakar-Yoff est<br />

parliculièrement troublant. Le nombre des enveloppes trouvées dans l'ume dépasse non<br />

seulement celui des votants, mais même celui des inscrits (inscrits : 1021. émergement :<br />

1299. enveloppes trouvées: 1304.<br />

Ont obtenu: SFIO: 1104 voix; BDS : 180, RPF: 15.<br />

Dans ce bureau de vote, la liste SFIO, à elle seule a obtenu plus de suffrages<br />

qu'il ny avait d'électeurs inscrits... " (62)<br />

Un autre élément troublant pour le chef de Territoire: le cas du<br />

bureau de vote de Dakar-Fann. La liste électorale, pour ce bureau, comporte 5535<br />

inscrits. Mais, le jour du scrutin, seulement 223 sont venus manifester leur existence en<br />

venant voter. Où réside l'explication d'un tel phénomène? Est-ce seulement l'abstention<br />

des électeurs? Difficile de croire que dans la population inscrite dans ce quartier, la<br />

prise de conscience ou l'intérêt soit à ce point si bas pour que moins de 5 % se donne la<br />

peine de venir faire preuve de leur existence. Il se trouve que le quartier de Fann est<br />

essentiellement une zone résidentielle européenne, et cette catégorie de la population<br />

dakaroise ne se sent pas concernée par les activités politiques locales. Plusieurs<br />

rapports administratifs, ainsi que les divers organes de presse et des nombreuses études<br />

ont mis l'accent sur la faiblesse de la participation des Européens aux consultations<br />

électorales de la ville. Cependant ceci ne suffit pas à expliquer que moins de 5 % des<br />

électeurs potentiels participent à ce scrutin. De plus, ce quartier et toute la zone voisine<br />

comprennent aussi une part non négligeable de résidents d'origine africaine, dont, la<br />

participation est relativement importante: Contrairement aux Européens, ces Africains<br />

sont plus concernés; Par ces élections, il s'agit de désigner les représentants locaux au<br />

Conseil municipal de la ville ou à l'Assemblée Territoriale ou au Parlement français. Il<br />

est donc peu probable qu'une telle abstention existe réellement.<br />

Alors quel autre élément avancer pour expliquer une telle situation.<br />

L'hypothèse d'une manipulation de la liste électorale ne peut être rejetée d'un simple<br />

revers de main, surtout quand on sait la place que cet aspect occupe dans la<br />

contestation, tant au niveau local qu'en métropole.<br />

464


En somme, la pratique électorale à Dakar est entachée de<br />

fréquentes irrégularités et partant la sincérité du scrutin est remise en cause. Dès lors, il<br />

s'agit d'essayer d'en connaître les raisons; c'est à dire de savoir qui trouve intérêt dans<br />

l'irrégularité des consultations. Il est certain que l'administration coloniale ne manque<br />

pas d'avoir des intérêts à ce que les hommes et femmes qui lui sont soumis sortent<br />

vainqueurs de ces consultations. Jean Suret Canale remarque: "C'est surtout panni les<br />

fonctionnaires et à travers les mandats électoraux (municipalités, assemblées locales,<br />

assemblées parlementaires) que l'autorité coloniale recherche les intermédiaires nouveaux<br />

qui pourront suppléer, sinon relayer la chefferie usée et discréditée... " (63) En effet, les<br />

fonctionnaires restent le principal élément bénéficiaire des mandats électoraux, dans<br />

tous les territoires de la Fédération mais surtout à Dakar. Le Haut Commissaire,<br />

gouverneur général de l'AOF, Bernard Cornut Gentille, dans un rapport sur la fonction<br />

publique locale remarque : "Les fonctionnaires de l'AOF représentent 1/60 de la<br />

population, se partagent 1/7 du revenu national (...) Cette "caste de privilégiés" qui fournit<br />

dans l'ensemble, élus et grands électeurs, joue un rôle prépondérant au moment où nous<br />

sommes dans l'évolution politique et sociale de l'A OF. "(64) La place de ces<br />

fonctionnaires dans les structures nouvellement mises en place en 1952 pour remplacer<br />

les conseils généraux - les Assemblées territoriales - est prépondérante. En effet, ils sont<br />

72 % des élus au Sénégal pour 59,3 % en Côte d'Ivoire, 70,8 % au Niger et 60 % en<br />

Haute Volta.<br />

Pour l'essentiel, ces fonctionnaires sont avant tout des enseignants<br />

portés à ces assemblées. Au Sénégal, 32 % des élus sont diplômés de l'Ecole Normale<br />

William Ponty pour 43,7 % en Côte d'Ivoire, 17,5 % en Haute Volta et 8,3 % au Niger.<br />

Les fonctionnaires occupent également dans le principal parti politique du Sénégal, une<br />

position dominante. François Zuccarelli écrit dans son étude sur l'u.P.S : ''Au comité<br />

directeur du B.P.S en 1956, sur les 85 membres, 49 sont des fonctionnaires parmi lesquels<br />

25 enseignants en majon'té des instituteurs." (65) Cette Ecole Normale William Ponty qui<br />

pourvoie ces assemblées, de manière aussi importante, est présentée par Chistophe<br />

Batch comme ''un rouage du colonialisme" (66) eu égard aux objectifs que le système de<br />

domination lui a assignés depuis sa création. Cette école apparaît comme un outil<br />

privilégié dans l'assimilation des cadres ainsi formés. Un ancien directeur de l'éducation<br />

en AOF, Georges Hardy, dit de l'école coloniale: ''L'enseignement est l'instrument de la<br />

conquête morale de l'Afrique". (67)<br />

Ces fonctionnaires l'AOF occupent une place plus grande encore<br />

aux élections à ces mêmes assemblées 5 ans plus tard. En effet lorsque après cette<br />

consultation les gouvernements de l'autonomie interne sont mis en place en juillet 1957<br />

l'importance numérique et qualitative des fonctionnaires leur permet d'occuper 52 %<br />

des postes ministériels en AOF et 56 % en AEF. Au Sénégal, le gouvernement<br />

Mamadou Dia se compose de 27 % des membres appartenant aux professions libérales,<br />

465


36 % de fonctionnaires et agents de l'administration et 36 % d'enseignants. Au total, ce<br />

gouvernement comprend 72 % de fonctionnaires. Sur ses Il membres, 7 sont issus de<br />

l'Assemblée Territoriale ainsi élue avec 4 seulement qui ne sont pas des parlementaires.<br />

Cette prépondérance de fonctionnaires parmi les élus aux<br />

consultations sénégalaises fait d'eux de manière plus ou moins directe, des éléments<br />

sur lesquels l'administration coloniale peut exercer dans une large mesure, sa très<br />

grande influence. Ainsi, par exemple, les élus qui ne sont pas assurés d'une réélection<br />

n'ont d'autres choix que le retour de la fonction publique coloniale. Mais,ce retour dans<br />

la plupart des cas, n'est pas conçu comme un retour à la place initiale. Il en résulte qu'il<br />

faut compter sur l'administration pour espérer obtenir un poste plus lucratif que celui<br />

qui était occupé antérieurement. Ainsi la toute puissance de l'administration s'affirme. Il<br />

s'ensuit que c'est à tout moment - avant, pendant et après le mandat électoral mais<br />

surtout pendant - que le fonctionnaire doit chercher les grâces du colonisateur.<br />

La représentation élective devient, très souvent, une étape certes de<br />

force, mais surtout de faiblesse de l'élu par rapport à cette administration. RS.<br />

Morgenthau écrit en parlant des élus, après 1952 : ''Pour le conseillers territon'aux B.n.S.,<br />

il ny eut des postes réservés dans les organismes dingeants des sociétés de prévoyance. "(68)<br />

L.S.Senghor remarque, très amer, en 1958, lors du renouvellement du bureau du Grand<br />

Conseil de l'AOF et des représentants de cette assemblée dans les institutions<br />

économiques fédérales: "Plusieurs des sociétés sont sur notre tem'toire et régulièrement, les<br />

représentants du Sénégal sont écartés (...) Si c'est un acte politique, qu'on le dise': (69) Est­<br />

ce la défense des intérêts du territoire du Sénégal ou celle des intérêts des élus RD.S. ?<br />

Difficile à dire. Cependant, cette prise de position intervient à un moment où l'homme<br />

et ses partisans viennent d'essuyer un revers politique de taille. Contre leur candidat à la<br />

tête du Grand Conseil de l'AOF, Djibodé Aplogan, soutenu par le P.R.A, c'est le<br />

candidat du RD.A, Gabriel d'Arboussier qui est élu. De plus, les autres postes du<br />

bureau sont allés aux formations RD.A et l'V.P.M de Mauritanie par suite de la<br />

position négative adoptée par les uns et les autres face à la proposition d'une répartition<br />

équitable les responsabilités du bureau. Mais une chose est, ici, particulièrement<br />

remarquable. La présence d'élus du Sénégal à ces postes importants, apparaît, comme<br />

une nécessité. Pour ces représentants B.D.S au Grand Conseil. Il est certain que les<br />

intérêts financiers et divers autres tirés de cette position à l'Assemblée du Grand<br />

Conseil et dans les organismes économiques fédéraux représentent des avantages dont<br />

ces élus du Sénégal ne peuvent que difficilement se passer, surtout quand on sait que<br />

depuis la mise en place de ces structures, les représentants du Sénégal en ont toujours<br />

eu la part belle.<br />

La situation d'élu offre maints avantages tant au niveau du Grand<br />

Conseil que de l'Assemblée Territoriale de même qu'au Conseil Municipal de Dakar car<br />

466


lettre adressée à son chef à Paris, le 7 mai 1953, soit quelques jours seulement après la<br />

défaire du B.D.S aux municipales du mois d'avril, il recommande l'attitude à avoir à<br />

l'égard de cette formation politique vaincue: "(...) En cette circonstance, il faut souligner,<br />

une fois de plus, le danger que représenterait une attitude officiellement hostile au B.D.S,<br />

tendant à rejeter le mouvement dans une opposition hargneuse. Il faut, au contraire, lui<br />

faire bon visage et aider les quelques leaders qui sont pnulents et désirent le rester, à<br />

conserver le contrôle de leurs troupes." (72) Cette recommandation revêt une importance<br />

particulière si on se rappelle que, deux ans auparavant, cette formation politique a reçu,<br />

un coup de pouce important pour enlever les deux sièges de député du Sénégal à<br />

l'Assemblée Nationale à Paris. Ce coup de pouce lui provenait de l'administration<br />

locale.<br />

En somme, dans toute la période, l'irrégularité plus ou moms<br />

prononcée des consultations est dûe, dans une large mesure, à la manière même de<br />

concevoir l'activité politique chez de nombreux individus. C'est la conception du clan<br />

politique qui doit gagner le maximum pour distribuer à une infime minorité de<br />

partisans. En cela, elle est très proche de ce que F.e. Bailey remarque en parlant de la<br />

politique en Inde: "(...) Une année de mercenaires, ayant les yeux fixés sur le butin (...)<br />

L'année ne combattra pas s'il n'y a pas de perspectives de butin et changera promptement<br />

de côté si la perspective de butin semble meilleure dans l'autre camp." (73) La seule<br />

différence ici est que dans cette politique, la perspective de butin est permanente, pour<br />

ceux qui le recherchent. Les miettes, laissées à ces hommes par l'administration,<br />

représentent, pour eux, un gain considérable et qu'ils ne peuvent dans aucun cas,<br />

dédaigner. R.e. Morgenthau écrit en parlant de la formation de Senghor : ''Après la<br />

victoire, le B.D.S utilise au maximum le patronage. Pour l'élite instruite du parti, il y a des<br />

places dans coopératives et les organismes arachidièrs. Pour les fonctionnaires loyaux il y<br />

eut des promotions. Pour les dignitaires religieux et les chefs traditionnels, des facilités de<br />

prêts et des décorations." (74)<br />

En conclusion, il apparaît nettement que l'organisation des élections est peu<br />

sérieuse et les résultats peu crédibles pendant cette période 1945-1960.<br />

468


NOTES DU CHAPITRE II.<br />

1. Af. polit. AOF. ANSOM. Carton 2205, dos 2, Elections<br />

mtmicipales dans les 3 communes de plein exercice,<br />

Rapport de 1955.<br />

2 . Télégramme du ministre de la FOM au haussaire à Dakar.<br />

Affaires politiques AOF, ANSOM, carton 2205, dos 2,<br />

1955.<br />

3 Af. polit. AOF. ANSOM. Carton 2171, rapport du Il<br />

juillet 1951, 16 pages et annexe.<br />

4 N° du 7 juillet 1951.<br />

5 Télégramme du 5 novembre 1953. du MFOM à Haussaire<br />

de Dakar.<br />

6. "Paris-Dakar" du 9 avril 1953.<br />

7 . Article 17 de la loi du 6 février 1952.<br />

8. "Paris-Dakar" du 13 avril 1953.<br />

9. Af. polit. AOF. ANSOM Carton 2143, dos 2, rapport 1953.<br />

10 Affaires politiques AOF, ANSOM, carton 2143 dos 2,<br />

Rapport de 1953 du gouverneur du Sénégal.<br />

11 Lettre du Haut Commissaire de Dakar au ministre de la<br />

FOM, 7 mai 1953.<br />

12 Lettre du ministre de la FOM au hussaire à Dakar,<br />

6 décembre 1955.<br />

13 Af. polit. ANSOM lettre in carton 2205 dos 2, Mars 1953<br />

14 Carton 2143 dos.2, proposition de loi n05309 déposée le<br />

20/01/1953.<br />

15 Note direction affaires politiques, 27/02/1953.<br />

16 Ibidem.<br />

17 N° du 23 avril 1953.<br />

18 N° du 23 avril 1953<br />

19. Af. pol. AOF, ANSOM, carton 2171 dos.7, Rapport du 11<br />

juillet 1951.<br />

20. Af. pol. AOF. ANSOM, carton 2171 dos.7, Rapport du 11<br />

juillet 1951.<br />

21. Af. polit. AOF, ANSOM, carton 2171 dos.7, rapport<br />

juillet<br />

22. Afrique Nouvelle N° du 16 juin 1953.<br />

469


1989, p.146.<br />

44. "Paris-Dakar" du 13 septembre 1955.<br />

45. Il est ministre dans le gouvernement français à<br />

l'époque. Une relation existerait-elle entre cette<br />

position et ce résultat dans le contexte?<br />

46. Décision n° 30 du C.C.A de l'AOF 26 juin 1953.<br />

47. R. Bourgi, op. cit.<br />

48. Ibidem.<br />

49. "AOF" du 9 mai 1953.<br />

50. "Paris-Dakar" du 27 avril 1953.<br />

51. "AOF" du 4 mai 1953.<br />

52. "L'AOF" du 15 décembre 1956.<br />

53. "Condition Humaine" du 4/01/1949. Il s'agit du<br />

gouverneur Wiltord.<br />

54. "Condition Humaine" du 11 décembre 1948, éditiorial..<br />

55. "Echos d'Afrique noire" du 16 mai 1955.<br />

56. "Afrique Nouvelle" du 23 juin 1951.<br />

57. "Paris-Dakar" du 2 juillet 1945.<br />

58. AFF. pol. AOF ANS, Résultats du référendum, communiqué<br />

de l'UGTAN, 31 sept 1958.<br />

59. J.S. Canale, Géographie des capitaux en Afrique<br />

tropicale d'influence française, 1984, p. 142.<br />

60. F. Zuccarelli, Un parti politique africain: l'Union<br />

progressiste sénégalaise, 1970.<br />

61. C. Batsch Un rouage du colonialisme: L'Ecole Normale<br />

d'instituteurs de l'AOF, 1973.<br />

62. Cité par Ibrahima Baba Kaké, R.F.I, Rencontres de<br />

Dakar du 17 au 20 décembre 1984.<br />

63. "Afrique-documents" n° 48-49, 1959.<br />

64. Cité par C. Coulon, élections, factions et idéologies<br />

au Sénégal, 1978, p.177.<br />

65. Condition Humaine 6 mai 1953. Article ''Triomphe de la<br />

politique d'équilibre par Ousmane Alioune Sylla.<br />

66. Aff. Polit. AOF. ANSOM rapport du gouverneur du Sénégal<br />

sur les élections de 1959, carton 2142 dos. 2<br />

67. Cité par C. Coulon, Elections, factions et idéologies<br />

au Sénégal, 1978, p. 151<br />

68. Idem<br />

471


1960<br />

CHAPITRE III: ORIENTATION POLITIQUE ET SOCIALE DE 1957 A<br />

Nettement perceptible dès les années 40, cette orientation se précise<br />

surtout à partir de 1957, date à laquelle un nouvel état se met progressivement en<br />

place. Mais, de par le contexte général (politique, économique et social) il est<br />

simplement une continuité de l'administration coloniale à la seule différence que<br />

ses dirigeants sont les hommes politiques autochtones. Ainsi, ceux-ci assument en<br />

fait l'héritage de l'ancienne puissance administrante. Cette situation globale se<br />

remarque à travers les conceptions des relations avec la métropole et de l'unité,<br />

mais aussi de la consolidation de ce nouvel Etat. Au moment, de l'accession à la<br />

souveraineté en 1960, tout indique que les masses urbaines et rurales ne sont<br />

d'aucun poids déterminant sur l'appareil d'Etat aux mains de la minorité à laquelle<br />

la métropole a bien voulu laisser le legs. Il en résulte un divorce nettement<br />

perceptible entre appareil d'Etat et masses populaires, soulignant ainsi la fragilité<br />

relative du nouvel Etat. La précipitation de la transmission de l'héritage dans un<br />

contexte chaotique, à quoi s'ajoute un réel désir, des tenants d'hier à assurer une<br />

mainmise indirecte sont les raisons essentielles, de toute absence de perspectives<br />

nationales claires dans l'immédiat.<br />

Il CONCEPTION DES RELATIONS AVEC LA METROPOLE ET DE L'UNITE.<br />

1). Relation avec la métropole<br />

On distingue 4 étapes principales dans ces relations:<br />

la toute puissance du système d'administration coloniale totale qUl<br />

domine les années 1945 à 1956,<br />

une période de semi-autonomie brève, 1957 à 1958, suivie de celle de<br />

l'autonomie complète, 1958 à 1960, et enfin une période d'indépendance à partir de<br />

juin 1960.<br />

Chacune de ces étapes est riche en expressions de conceptions politiques<br />

diverses quant aux relations avec la métropole.<br />

472


- l'étape de 1945 à 1956.<br />

Au sortir de la 2ème guerre mondiale, la France puissance coloniale a<br />

défini une nouvelle conception de ses relations avec les possessions par les<br />

conclusions de la conférence de Brazzaville du 30 janvier au 8 février 1944. A cette<br />

conférence tenue en terre africaine, n'ont participé que des adminisctrateurs<br />

coloniaux et hommes politiques métropolitains. Aucune représentation des<br />

populations autochtones en fut prévue et n'eut lieu. La conférence écartait dès le<br />

début de ses travaux, toute idée d'indépendance et même toute autonomie. (1). Elle<br />

ne prévoyait qu'un processus de relations à bien des égards identique à celui d'avant<br />

l'éclatement du deuxième conflit mondial. En ce sens, tout indique qu'aux yeux de la<br />

métropole, rien de fondamental n'avait changé dans les années de guerre. Appareil<br />

colonial et personnel restèrent solidement en place, limitant par voie de<br />

conséquence, toute possibilité d'expression d'une conception différente les relations<br />

entre la métropole et les possessions. Certes, des modifications relativement<br />

mineures, intervinrent : ainsi à la place de l'Empire colonial français, on parle<br />

désormais de l'Union Française. Le chef de l'AOF avait troqué son titre officiel de<br />

gouverneur général contre celui de Haut commissaire, gouverneur général. La<br />

Circonscription de Dakar et Dépendances fut supprimée et l'entité autonome<br />

qu'elle constituait depuis 1924 est rattachée directement au gouvernement au<br />

territoire du Sénégal, revenant ainsi à la situation antérieure à son détachement de<br />

ce territoire. Un gouverneur, dépendant de celui de Saint-Louis y exerçait la<br />

fonction de Délégué, (2) avec des pouvoirs réduits.<br />

Bref, rien de vraiment important n'avait changé au plan de<br />

l'administration locale.<br />

Les principaux leaders politiques autochtones du territoire considérait ce<br />

système de relations comme un élément viable et partant, à préserver en tout état<br />

de cause. Ainsi Lamine Guèye, sous secrétaire d'Etat sous Léon Blum déclarait à<br />

Rufisque lors d'un grand rassemblement à son honneur et en présence du Haut<br />

Commissaire de Dakar: "Nous pouvons tout par la France, tout par la République...<br />

jamais rien sans la France, jamais rien sans la République." (3). Cette conception fut<br />

répétée le lendemain à Saint-Louis comme elle avait été développée la veille à<br />

1. J. Arnault. Du socialisme au socialisme. 1966.<br />

2. Le décret 46-1108 du 17 mai 1946, supprimait la Circonscription et rattachait son territoire au Sénégal.<br />

Le Délégué du gouverneur n'eut plus le go attributs dévolus au chef de la circonscription lequel<br />

administrait cette entité presque comme un territoire de l'AüF.<br />

3. Paris Dakar du 29 décembre 1947.<br />

473


Dakar lors du vin d'honneur offert par la municipalité à son premier magistrat porté<br />

à la dignité de membre du gouvernement de la métropole. Parlant en la<br />

circonstance, Omar N'Dir exprimait l'adhésion générale aux thèses de celui qu'il<br />

seconde directement dans l'équipe municipale de la capitale fédérale de l'AOF:<br />

"Lamine Guèye a su rallier autour de lui, à Dakar et au Sénégal, les meilleurs" (4).<br />

Lamine Guèye principale figure politique sénégalaise de cette période<br />

réclamait l'assimilation totale! L'oeuvre parlementaire marquée par l'adoption de<br />

deux lois dont il fut l'initiateur, traduit cette recherche de l'assimilation (5) pour la<br />

population de l'Afrique noire française dans le cadre de la gestion par la métropole<br />

des territoires de l'Union Française. Le long passé colonial du territoire du Sénégal<br />

servait de justification à cette revendication.<br />

Léopold Sédar Senghor, député du Sénégal dès 1945, avec l'appui de<br />

Lamine Guèye, lui aussi se faisait un chantre de cette assimilation. Il écrivait dans<br />

l'un de ses poèmes: (6)<br />

"Oui, Seigneur, pardonne à la France qui hait l'occupation et m'impose<br />

l'occupation si gravement.<br />

Car j'ai une grande faiblesse pour la France."<br />

Cet homme politique, il est vrai, prononça les paroles suivantes lors<br />

d'une interview accordée au journal parisien Gavroche:<br />

"... Nous sommes prêts, s'il le fallait en dernier recours à conquérir la<br />

liberté par tous les moyens fussent-ils violents" (7)<br />

Senghor n'engagea aucun combat réel dans le sens dégagé par cet<br />

interview. Au contraire, parlant le 20 mars 1947 devant le Conseil National SFIO, il<br />

affirme:<br />

"... cela m'amène à dire que si la volonté d'autonomie correspond à une<br />

réalité géographique, biologique et historique, la volonté d'indépendance totale, par<br />

contre n'est que l'expression d'un mirage." (8)<br />

Dans l'action de Léopold Sédar Senghor rien ne fut de nature à<br />

constituer la moindre raison d'inquiétude pour le colonisateur. Bien au contraire<br />

puisqu'il fut même nommé secrétaire d'Etat à la recherche scientifique dans un<br />

4. Paris Dakar. '19/12/1947.<br />

5. Il s'agit des lois sur la citoyenneté et "salaire égal à travail égal".<br />

6. Osties noires. Avril 1945.<br />

7. Gavroche. 8 septembre 1946.<br />

8. Le journal "l'AOF, 2 mai 1947.<br />

474


gouvernement de la métropole dirigé par Edgar Faure (9). Si le député du Sénégal<br />

fut très critique à l'égard de l'oeuvre parlementaire de son parrain Lamine Guèye à<br />

partir de 1948, ceci s'explique simplement par la rupture intervenue entre les deux<br />

hommes, le premier acceptant très difficilement - par ambition - d'être simplement<br />

un "second". Il fut ardent défenseur de l'assimilation, autant sinon plus que Lamine<br />

Guèye.<br />

Parmi les formations politiques les plus importantes à cette période sur<br />

l'échiquier du Sénégal et de Dakar plus particulièrement, seule l'UDS, c'est-à-dire<br />

la section territoriale du RDA, pose en termes clairs et nets, la question de<br />

l'indépendance de l'AOF. Mais cette formation présentée par les rivales SFIO et<br />

BDS comme un parti "ivoirien" pour mieux la marginaliser n'eut qu'un poids très<br />

faible au Sénégal comme l'attestent les résultats des consultations électorales de<br />

l'époque. Du reste, de multiples rapports administratifs indiquent la faible influence<br />

de cette section prônant l'indépendance. La SFIO laministe et le BDS senghoriste<br />

rivalisèrent longuement à qui défendra mieux la continuité coloniale.<br />

Les organisations d'étudiants tout comme celles de la jeunesse firent de<br />

la remise en cause de la domination coloniale leur objectif fondamental. Cependant<br />

en raison de leur nature même, ces groupes de pression n'inquiétèrent pas outre<br />

mesure, par ce choix, l'administration. Mais leur refus systématique de se laisser<br />

orienter par celle-ci entrava, à bien des égards les initiatives coloniales comme ce<br />

fut le cas à Dakar avec le débat autour des centres culturels.<br />

Tout comme les organisations d'étudiants et de jeunesse, les<br />

regroupements syndicaux développèrent des revendications nationalistes. Le<br />

cheminement vers l'indépendance, leur apparaissait comme une étape dans laquelle<br />

il fallait obligatoirement s'orienter. De ce point de vue, la forme de politisation des<br />

syndicats, organisations d'étudiants, de jeunesse, de femmes, etc n'était rien d'autre<br />

que la suite du contexte politique et administratif. Immanuel Wallerstein remarque,<br />

du reste, à ce sujet:<br />

"De toute évidence même lorsque l'indépendance le but, on ne la<br />

réclamait pas habituellement de prime abord... Des revendications en chaîne,<br />

chacune amenant la suivante." (10). Pour ces organisations, le slogan général<br />

devient "politique d'abord" pour s'opposer à la thèse coloniale" apolitisme". Il<br />

résulte de cette situation d'ensemble que les leaders syndicaux, étudiants et de<br />

jeunesse se retrouvèrent très nombreux dans la formation politique qui prône<br />

9. Du 13 au 29 novembre 1955, il garda ce porte-feuille ministériel. Lamine Guèye lui, avait été sous-<br />

secrétaire pour 2 mois fm 1946, début 1947.<br />

10. Immanuel Wallerstein : L'Afrique et l'indépendance, 1968, p. 66, traduit de l'américain par A. Lesquen.<br />

475


l'immédiat, d'autres secteurs de l'opinion s'incrivent en faux contre elles. Ainsi, le<br />

PAl communiste propose à toutes les formations politiques d'Afrique noire réunies<br />

à Paris en février 1958 l'adoption d'un texte recommandant l'unification de tous les<br />

efforts pour obtenir l'indépendance immédiate. Ce parti cherche ainsi à faire<br />

partager la position exprimée dans son manifeste: "une situation qui plaide pour un<br />

seul mot d'ordre, l'indépendance nationale." (15). Cet objectif est également celui<br />

fixé par le congrès constitutif de l'Union des syndicats du Sénégal tenu à Kaolack du<br />

20 au 22 juin 1958 car la résolution générale spécifie: "la tâche des organisations<br />

syndicales doit être la conquête de l'indépendance nationale pour l'institution d'un<br />

système économique socialiste." (16).<br />

Quand aux étudiants de Dakar ou de la métropole, leurs positions vont<br />

dans le même sens. Ainsi le 8e congrès de la FEANF tenu à Paris du 27 au 31<br />

décembre 1957 réaffirme comme objectif fondamental "la lutte pour l'indépendance<br />

nationale". (17). Le ge congrès de l'organisation reconfirme et renforce cette prise<br />

de position des étudiants. Le Conseil de la jeunesse du Sénégal, tout comme le<br />

Conseil de la jeunesse d'Afrique s'incrivent dans la même ligne.<br />

Mais ce ne sont pas seulement des forces autochtones qui s'expriment en<br />

faveur de l'indépendance. Les organes de presse sous contrôle d'Européens<br />

adoptent la même démarche, même si l'objectif réel n'est pas le même. Le journal<br />

Echos d'Afrique Noire organe d'une partie du petit colonat local plaide pour<br />

l'indépendance immédiate à cette époque. Cependant l'organe de Maurice Voisin<br />

en présentant l'indépendance comme un épouvantail, cherche à obtenir l'effet<br />

contraire de ce qu'il écrit. Des multiples cercles de la presse métropolitaine,<br />

adoptent la même stratégie. C'est le cas des journaux comme Climats, Marchés<br />

Tropicaux, Paris-Match, etc. Du reste, le rédacteur en chef de ce dernier organe a<br />

effectué en 1953 une tournée en Afrique noire française. Le Quay d'Orsay comme<br />

la rue Oudinot, ont adressé des instructions pressantes aux plus hautes autorités de<br />

la Fédération à Dakar pour que ce voyage de reportage soit entouré de la plus<br />

grande attention, eu égard à "l'importance du tirage, la diffusion à l'étranger et<br />

l'autorité de Cartier". (18). A l'adresse du Haut commissaire de Dakar, le MFOM<br />

précise davantage les objectifs en ces termes: "Ce voyage de Raymond Cartier est<br />

de nature à lui donner une idée exacte de la nature de notre oeuvre en Afrique... en<br />

15. Manifeste du PAl-Thiès. 15 septembre 1957. Voir Gëstu n° 24.<br />

16. Gëstu n° 24. Août 1987. 30e anniversaire PAl.<br />

17. L'Etudiant d'Afrique noire. 1er trimestre 1958.<br />

18. Af. pol. AOF. ANSOM. carton 2118 dos. 4. lettre du Ministre des Af. étrangères à MFOM. 23 juin 1953.<br />

477


direction de l'opinion mondiale" (19). Paris-Match s'engage déjà au même moment<br />

dans une campagne au nom célèbre de "cartérisme" (20).<br />

L'administration dakaroise elle aUSSI évoque à cette époque<br />

l'indépendance de l'Afrique pour des "raisons stratégiques". Ainsi le Haut<br />

Commissaire Gaston Cusin exprime lors d'une conférence de presse donnée à<br />

Dakar le 19 février 1958: "Il faut parler d'indépendance parce qu'il faut, avec la<br />

franchise, voir que ce problème est posé et qu'il ne faut pas qu'on agite ce mot<br />

d'indépendance comme un chiffon rouge excitant les extrémistes, mais il faut que<br />

très rapidement nous exorcisions cette formule, que nous la vidions de son sens<br />

politique pour lui restituer sa valeur véritable". (21). Le Chef de la fédération<br />

rendant compte le 21 février 1958 des travaux de la conférence des présidents et<br />

vice-présidents de gouvernement revient sur la question abordée pendant les<br />

travaux et affirme: "les Constituants de 1946 se sont engagés à accorder cette<br />

indépendance dès que la situation la rendra possible." (22)<br />

Après que les événements de la mi-mai 1958 à Alger porte de Gaulle de<br />

nouveau à la tête du gouvernement à Paris, les relations métropole - territoires<br />

d'outre-mer connaissent une nouvelle évolution. Une naissance symbolique de<br />

l'Etat africain autonome intervient par l'ordonnance du 26 juillet 1958. Désormais<br />

les vice-présidents des conseils - les lers des ministres africains - remplacsssssent à<br />

la présidence les chefs des territoires qui représentent l'Etat français (23). Mais une<br />

réforme plus profonde de ces relations intervient avec l'adoption des conclusions du<br />

Comité Consultatif Constitutionne mis en place par de Gaulle avec la participation<br />

de 4 Africains tous partisans notoires de la domination coloniale.<br />

Un autre africain - Houphouët Boigny en tant que ministre - participe<br />

aux travaux du Comité. Lui aussi est un ardent défenseur du maintien de l'essence<br />

des relations entre Métropole et T.a.M.<br />

Uopold Sédar Senghor constate que les travaux de ce c.c.c. offrent la<br />

possibilité d'accéder à l'indépendance et à l'unité africaine. "Le général a fait droit à<br />

nos revendication" conclut-il (24) en expliquant la position adoptée par son parti:<br />

19. Lettre MFOM à Re. 18 juillet 1953. même dossier.<br />

20. Doctrine politique déftnie par R. Cartier. Elle prône l'indépendance immédiate des colonies. Ainsi la<br />

métropole débarrassée de ce fardeau consacrerait toutes ses ressources à son propre développement.<br />

21. Revue internationale de la F.O.M. nO 341. Avril 1958.<br />

22. R. de Benoist. L'AfriQue Occidentale française, 1978, p. 568.<br />

23. Colloque: la politique africaine du général de Gaulle: 1958-1969. Paris octobre 1979.<br />

24. L.S.S. Position sur le référendum de 1958 : les cahiers de la République. Octobre 1958. Liberté 2.<br />

478


le P.R.A, laquelle position n'est différente de celle du parti rival: le RDA que sur<br />

des aspects fort secondaires et se résumant à "liens directs ou indirects" avec la<br />

métropole. Aucune remise en cause de la dépendance n'est revendiquée par ces<br />

représentants de l'Afrique noire au sein de ce Comité Consultatif Constitutionnel.<br />

Ainsi lorsque la campagne pour le référendum s'ouvre, tous ces partis prônent le<br />

"oui" pour rester au sein du nouvel ensemble colonial réformé proposé par la<br />

métropole. La victoire électorale acquise en faveur de cette réforme a pour<br />

conséquence immédiate la mise en place des structures de la Communauté<br />

Française en remplacement de celles de l'Union Française. La résolution adoptée le<br />

25 novembre 1958 par l'Assemblée territoriale du Sénégal stipule: "Le territoire du<br />

Sénégal adopte le statut d'Etat membre de la Communauté. Il décide d'adhérer en<br />

outre à la fédération qui sera formée entre les anciens territoires d'Afrique noire<br />

qui auront fait la même option." (25). Une cérémonie riche en couleurs et<br />

hautement orchestrée le 14 juillet 1959 voit le Président de la République française<br />

remettre à chacun des chefs des gouvernements africains le drapeau de la<br />

Communauté Française, lequel n'est rien d'autre que la bannière tricolore frappée<br />

de la devise française: "Liberté - Egalité - Fraternité" symbole on ne peut plus<br />

partant comme la remarque Abdoulaye Ly (26). Les nouveaux états autonomes<br />

d'Afrique noire française sont encore solidement rivés au char colonial français<br />

artificiellement rebaptisé.<br />

- L'étape 1959-1960.<br />

La dominante reste une consolidation quelque peu masquée du maintien<br />

de relations de dépendance. Certes, en 1960, une cascade d'indépendances<br />

intervient en Afrique noire française. La métropole a appliqué une stratégie<br />

nouvelle qui consiste à "pousser" les états vers la souveraineté dans des conditions<br />

d'accords de coopération préservant ses intérêts fondamentaux.<br />

En début 1959, Sénégalais et Soudanais mirent en place une fédération à<br />

deux, faute de pouvoir y englober un plus grand nombre, suite aux défections des<br />

Voltaïques et Dahornrens et face à la mise en place d'un ensemble articulé autour<br />

d'Abidjan: le Conseil de l'Entente regroupant les états de Côte d'Ivoire, du Niger,<br />

du Dahomey et de la Haute-Volta. La rivalité Senghor-Houphouët Boigny joua<br />

ainsi jusqu'au bout après avoir revêtu un caractère de parti à un moment donné<br />

(querelle PRA/RDA) dans la mesure où chacun des 2 principaux leaders appuie sur<br />

un appareil politique à sa dévotion. Cette fédération du Mali, poussée par le<br />

25. Paris. Dakar. 27/1/58.<br />

26. Abdoulaye Ly. Emergence du néo-colonialisme au Sénégal. 1981. p. 42.<br />

479


contexte général, et surtout par le militantisme plus progressiste de la partie<br />

soudanaise, s'engage rapidement dans la voie de la recherche de l'indépendance<br />

négociée avec la puissance coloniale. C'est aussi que dès le 4 avril 1960, à Paris,<br />

négociateurs français et maliens (27) bouclent avec une rapidité notoire, le dossier<br />

du transfert des compétences permettant de la sorte, à la Fédération d'accéder<br />

rapidement et pacifiquement à l'indépendance. Senghor lui-même exprime sa<br />

grande joie de la compréhension manifestée par la métropole (28). Par contre, le<br />

PAl, constate qu'à travers cette rapide négocisation, les représentants du Mali ont<br />

simplement enregistré le "diktat" de la partie française (29). Monsarew passe en<br />

revue les accords en question pour mettre en exergue leur caractère d'inégalité<br />

totale car ils mettent en place une nouvelle forme de dépendance.<br />

Outre cet aspect des accords, lorsque le 20 juin 1960, sur le palais du<br />

gouverneur général de l'AOF à Dakar, le drapeau tricolore français est baissé pour<br />

être immédiatement remplacé par les couleurs du Mali (30) officiellement, la<br />

domination coloniale prend fin d'autres points importants, d'ombres restent. Les<br />

parties prenantes de la Fédération du Mali n'ont pas mis en place toutes les<br />

structures importantes du nouvel Etat. La présidence de la nouvelle république,<br />

entre autre, n'a pas fait l'objet d'un accord entre Sénégalais et Soudanais. Chacune<br />

des composantes de la fédération cherche à faire élire son leader politique à la<br />

magistrature suprême. Or chacun de ces leaders occupe déjà un poste fort<br />

important: Senghor préside l'Assemblée Fédérale et Modibo Keita est le Chef du<br />

gouvernement. De même, la direction de l'armée fédérale devient un élément de<br />

conflit ouvert puisque chacune des parties a son candidat et que tous les 2 candidats<br />

ont le même grade: colonel. Toute nomination au poste de chef d'Etat major<br />

fédéral suppose un acte du ministre fédéral de la sécurité et de la défense c'est-à­<br />

dire du Sénégalais Mamadou Dia mais un tel acte ne peut avoir de valeur que<br />

revêtu de la signature du Soudanais Modibo Keita chef du gouvernement fédéral.<br />

Ce conflit ouvre donc une réelle crise dans l'appareil d'Etat malien d'autant plus<br />

qu'il se produit exactement au moment même où les tractations entre Sénégalais et<br />

27. Il s'agit de Michel Debré pour la partie française, et Modibo Keita et Mamadou Dia pour le Mali.<br />

28. Paris-Dakar. 5 avril!960 résume ces accords.<br />

29. Monsarew. Mai 1960.<br />

30. vert-jaune et rouge avec un idéogramme au milieu du jaune.<br />

480


Soudanais pour régler la question litigieuse de la présidence fédérale sont<br />

réellement au point mort. (31)<br />

Ainsi, dans la nuit du 19 au 20 août 1960, la fédération du Mali éclate<br />

seulement après deux mois de souveraineté (32). Cette existence éphémère malgré<br />

les serments de fidélité à la "patrie africaine" clamés lors de la constitution du Mali<br />

marque en réalité une mésentente fondamentale autour du concept même de<br />

l'indépendance. Etait-il possible à ceux qui hier encore plaidaient si chaudement et<br />

partout les intérêts de la métropole, de concevoir une accession à une indépendance<br />

réelle?<br />

La réponse à cette question est non. De plus, en 1953 encore Senghor<br />

estime que l'indépendance ne peut par intervenir avant 10, 20, ou 30 ans (33) et<br />

prône l'apprentissage de la démocratie au sein des assemblées mises an place par la<br />

puissance coloniale. Cet homme politique lui même reconnait lors d'une conférence<br />

de presse donnée à Dakar en août 1960 que les Soudanais et les Sénégalais -parties<br />

prenantes de la fédération - "n'avaient pas été formés à la même école politique...<br />

que les Soudanais sont pour des méthodes plus totalitaires, tandis que les Sénégalais<br />

sont pour des méthodes plus libérales". (34). Cette formation et cette orientation<br />

différentes constituaient, pour l'homme politique Sénégalais, les raisons profondes<br />

des divergences ayant entraîné la rupture de la fédération du Mali.<br />

En fait la raison fondamentale de la dislocation de cet ensemble fédéral<br />

est que Senghor n'est pas prêt à se séparer de la métropole par quelque forme<br />

d'indépendance qu'il soit. Trop longtemps il a plaidé pour la préservation des<br />

relations établies par la puissance coloniale. Le contexte politique global de<br />

l'Afrique noire a certes influencé les positions du leader politique mais pas jusqu'à<br />

l'amener à accepter un bouleversement de ces relations. Si l'ensemble fédéral du<br />

Mali s'est néanmoins orienté vers l'indépendance - et dans les conditions que l'on<br />

sait - c'est que le poids des hommes politiques de la partie soudanaise y est très<br />

certainement pour l'essentiel. Du reste, la période comprise entre août (date de la<br />

rupture de la fédération) et la fin de l'année 1960, marque une certaine continuité<br />

de la domination coloniale au Sénégal malgré les apparences de souveraineté. En<br />

31. Le 20 août 1960, une réunion préparatoire devrait se tenir à Dakar pour préparer les élections du 27<br />

courant pour les postes de présidences de la Fédération et de l'Assemblée Fédérale. Une seule<br />

candidature: ceUe de Senghor avait été officieUement enregistrée d'après Paris-Dakar du 17 août 1960.<br />

32. Paris-Dakar. 20 août 1960.<br />

33. Afrique Nouvelle. 4 mars 1953.<br />

34. Paris-Dakar. 23 août 1960.<br />

481


effet, ni sur le plan économique, ni sur le plan social encore moins sur les plans<br />

militaire et culturel, aucune mesure de remise en cause de la situation n'est prise<br />

pour Senghor devenu chef de l'Etat depuis le 5 septembre 1960 date à laquelle "à<br />

l'unanimité des 118 votants L.S. Senghor a été élu Président de la République du<br />

Sénégal" (35) ni par Mamadou Dia qui conduit le nouveau gouvernement (36).<br />

L'accession du Sénégal à la souveraineté internationale ne modifie donc pas de<br />

manière réelle, les relations avec l'ancienne métropole.<br />

Le chef de l'Etat et son gouvernement mettent tout en oeuvre pour<br />

réduire au silence toute expression en faveur d'une indépendance réelle.<br />

2).La question de l'unité.<br />

Comme le problème de l'indépendance, la question de l'unité est un<br />

point central pendant les années 1945-1960. Partis et hommes politiques,<br />

organisations syndicales, de jeunesse et de femmes, etc... l'abordent largement.<br />

L'administration coloniale elle aussi, lui attache une grande importance.<br />

Cependant, les raisons des uns et des autres sont loin d'être les mêmes.<br />

En 1960, on peut constater que la réponse apportée à la question est<br />

essentiellement donnée par la métropole. Les intérêts coloniaux ont été pour<br />

beaucoup de chose dans cette approche définitive. L'Afrique française est<br />

balkanisée et à la place des ensembles fédéraux, une multitude d'Etats accèdent à<br />

l'indépendance dans des conditions peu viables.<br />

, . La phase 1945-1955 :<br />

La métropole exerce une autorité sans partage. La vie politique est à<br />

peine introduite dans l'ensemble de la Fédération exception faite des 11 communes<br />

de plein exercice qui sont toutes sénégalaises. Les multiples réformes introduites<br />

par le gouvernement français dans les années 1943-1944 mais surtout dès la fin du<br />

2e conflit mondial servent de soubassement à cette activité politique nouvelle en<br />

AüF. La question de l'unité est déjà posée. Ainsi le RDA dont la gestation a été<br />

étroitement soutenue par le Parti Communiste Français (P.C.F) se fixe dès le départ<br />

l'objectif d'une solide assise unitaire à travers toute la Fédération. Mais les<br />

principaux leaders politiques sénégalais, Lamine Guèye et Léopold Sédar Senghor<br />

signataires du texte de base, refusent, en définitive d'être parmi les fondateurs du<br />

35. Paris-Dakar. 6 septembre 1960.<br />

36. Paris-Dakar. 7 septembre 1960. Mamadou Dia conduit le gouvernement territorial depuis l'application<br />

de la Loi-Cadre.<br />

482


RDA. Les pressions des milieux gouvernementaux et surtout de la F.O.M ont<br />

dissuadé ces élus S.F.r.O d'honorer leur engagement.<br />

Ce fait constitue pour la trame historique des événements à venir, la<br />

toile de fond du débat sur l'unité en AOF. Ainsi lorsque le RDA développe ses<br />

activités dans l'ensemble de l'AOF en installant de solides sections dans la plupart<br />

des territoires, il crée ainsi un outil très puissant car pour la première fois, la<br />

possibilité est ainsi offerte aux Africains de s'organiser sur toute l'étendue de la<br />

Fédération.<br />

Mais très tôt, le RDA est durement combattu par l'adllÙnistration<br />

coloniale et son apparentement au P.C.F ne constitue qu'accessoirement la<br />

cause. (37). Au niveau du territoire du Sénégal et plus particulièrement dans la<br />

capitale fédérale de l'AOF, l'UDSjRDA est visée par la répression coloniale<br />

surtout lorsque la direction du Rassemblement décide de changer de cap en 1950 et<br />

que sa section sénégalaise refuse de suivre la nouvelle orientation.<br />

Avec la SFIO, la création du groupe des Indépendants d'Outre-Mer<br />

(rOM) après le congrès de Bobo-Dioulosso en février 1953 met sur la scène<br />

politique de l'AOF deux formations concurrentes en RDA. Dès lors, dans les<br />

relations entre les forces politiques africaines mais aussi dans leurs relations<br />

extérieures, la position de l'unité est posée: Organisations syndicales de jeunesse, de<br />

femmes, d'étudiants et autres s'en préoccupent longuement. Les solutions<br />

préconisées par les uns ne manquent pas d'échos chez les autres et ceci dans un<br />

contexte où la puissance coloniale cherche à orchestrer l'ensemble du jeu.<br />

Cette question de l'unité de la Fédération est posée sous diverses formes.<br />

Ainsi dans les travaux du Grand Conseil de l'AOF, elle est présente à travers les<br />

débats autour du poste budgétaire de la "Délégation de Dakar". Elle est soulevés<br />

toutes les fois que la haute assemblée locale se penche sur le budget de l'ensemble<br />

colonial. Les revendications éllÙses pour faire de la ville de Dakar une entité<br />

fédérale comme l'est le district de Washington aux USA ressortent en partie d'un<br />

désir d'asseoir la fédération sur des bases solides et égalitaires entre tous les<br />

territoires. En effet, certains représentations comprennent mal que la suppression<br />

de la "Circonscription de Dakar et Dépendances" et son remplacement en 1946 par<br />

la "Délégation" opérés par l'adllÙnistration confèrent au territoire du Sénégal des<br />

avantages substantiels particuliers. En réclamant ce statut fédéral, leur objectif n'est<br />

37. Le poète et homme politique Aimé Césaire a consacré à cette répression un poème: "RDA qui se bat<br />

pour la conquête des libertés africaines". Il immortalise Dimbokro, Bouaké, Séguela: principaux centres<br />

de la répression coloniale contre la Rassemblement.<br />

483


pas de s'en prendre au Sénégal (38). contrairement à ce que les répliques des<br />

représentants de ce territoire laissent croire.<br />

En 1955 L.SQ Senghor pose la question de l'unité de l'ensemble fédéral<br />

de l'A.O.F en préconisants "la constitution de 2 territoires économiquement viables,<br />

- articulés l'un autour de Dakar - et constitué de Snégal, Mauritanie, Soudan et<br />

Guinée - et l'autre autour d'Abidjan - et comprenant: Côte d'Ivoire, Dahomey,<br />

Haute Volta, Niger." (39).<br />

Il change d'opinion dans les années 1957-1960 se proclamant défenseur<br />

zélé de l'AOF. On remarque cependant qu'au moment où Léopold Sédar Senghor<br />

préconise la division de l'ensemble colonial, il est membre du gouvernement<br />

français dans le cabinet d'Edgar Faure. Cette position lui a peut-être fait épouser les<br />

vues des cercles dirigeants coloniaux. Lorsqu'il quitte le gouvernement, il<br />

l'abandonne.<br />

Comme Léopold Sédar Senghor en 1955, d'autres hommes politiques<br />

dans la période 1945-1955, souhaitent la dislocation des ensembles coloniaux<br />

d'Afrique noire. Ainsi, le Sénateur ivoirien Djaumont disait: "nos tam-tam sont<br />

impatients de saluer la mort du gouvernement général" (40). Le député et grand<br />

conseiller du Dahomey Justin Ahomadegbé dénonce "l'hydre de Dakar" (41).<br />

Cette question de l'unité de la fédération de l'AOF ne laisse pas<br />

insensibles le gouvernement français et les plus hautes autorités administratives et<br />

économiques de la Fédération. Dès janvier 1945, un des gouverneurs, en réponse à<br />

une consultation, adresse à son chef à Dakar un mémorandum dans lequel il<br />

préconise la suppression du gouvernement général et son renplacement par 4 unités<br />

territoriales.<br />

Le Directeur général des affaires économiques de l'AOF Charles Jarre<br />

demande lui aussi, en 1950, le morcellement de l'AOF en "3 grandes colonies<br />

économiques et un territoire saharien". En 1953, Louis Delmas homme des grands<br />

milieux d'affaires locaux représentant du Sénégal au Grand Conseil et rapporteur<br />

de sa commission des finances développe, devant cette assemblée, le caractère de<br />

pauvreté notoire de la Fédération dont 6 des 8 territoires sont régulièrement<br />

déficitaires et engloutissent des recettes en provenances des 2 autres (Côte d'Ivoire<br />

38. Fily Dabo SÏssoko du Soudan, Sourou Migan Apitby du Dahomey ont été parmi les principaux<br />

adversaires de l'ensemble fédéral.<br />

39. Roger de Benoist. L'Afriqu Occidentale francaise. 1978. p.337.<br />

40. Roger de Benoist. l'Afrique Occidentale Française, 1978, p. 124.<br />

41. L'Afrique Nouvelle. 22 novembre 1955.<br />

484


et Sénégal). Au même moment Jean Delafose autre représentant des milieux<br />

d'affaires et membre de la haute assemblée locale se plaint que son territoire - la<br />

Côte d'Ivoire - soit obligé de payer trop cher sa solidarité avec les autres territoires<br />

de l'AOF. (42).<br />

Quelques années plus tard le MFOM, charge l'inspecteur général<br />

Sauner d'un projet de réforme des structures de l'AOF. Ce dernier conclut à la<br />

nécessité de morceler l'ensemble colonial: "l'AOF est trop grande et le territoire<br />

trop petit." et cette opinion est développée à la réunion présidée le 21 juillet 1955 à<br />

Dakar par le Ministre de la FOM, Tietgen lui-même. Devant les gouverneurs et<br />

directeurs généraux de la Fédération, le conseiller du ministre présente l'AüF<br />

"comme un ensemble fr démesuré et misérable" (43) et préconise son morcellement<br />

en 3 groupes de territoires dont le Haut Commissaire ne serait plus qu'un<br />

coordinateur résidant à Paris et non plus à Dakar et serait un conseiller du<br />

gouvernement.<br />

En somme les années 1945-1955 sont dominées par la question de savoir<br />

si oui ou non il faut conserver l'ensemble fédéral de l'AüF. La période de 1956 à<br />

1960 voit le débat se prolonger et prendre de l'ampleur, surtout à partir de la<br />

réforme constitutionnelle de juin 1956 plus connue sous le nom de Loi-Cadre ou Loi<br />

Gaston Defferre.<br />

L'étape 1957. 1960.<br />

Le 23 juin 1956, le Ministre de la France d'Outre-Mer, Gaston Defferre<br />

fait adopter par l'Assemblée nationale française un texte de réforme de l'Union<br />

Française. Le contexte, il est vrai, oblige car dès le 1er novembre 1954, et alors qu'à<br />

peine la France sort affaiblie de la guerre d'Indochine, le F.L.N. ouvre un autre<br />

conflit armé en Algérie. Devant cette 'bourrasque" (44) le gouvernement n'a dans<br />

l'immédiat qu'une solution: "on ne transige pas lorsqu'il s'agit de défendre la paix<br />

intérieure de la Nation et l'intégrité de la République" comme le dit le 12 novembre<br />

le Président du Conseil. Mais cette volonté affichée n'est pas suffisante tant<br />

l'opinion française se divise sur la question au point que l'Assemblée Nationale est<br />

dissoute et de nouvelles élections organisées en janvier 1956. Elles permettent<br />

l'investigature du gouvernement Guy Mollet le 5 février 1956. Dans ce cabinet,<br />

42. Roger de Benoist. L'Afrigue Occidentale Francaise. 1978, p 331 et suivantes.<br />

43. Roger de Benoist. L'Afrigue Occidentale Française. p. 338<br />

44. J. P. Rioux. La France de la Ouatrième République, 1980, T. II. p. 66.<br />

485


Gaston Defferre, qui prend en charge la France d'Outre-Mer est pressé de trouver<br />

une réforme susceptible de sauver l'essentiel, d'autant plus que le conflit algérien<br />

s'éternise et s'internationalise et que la Maroc et la Tunisie voisins soutiennent<br />

fortement le F.L.N auquel ils offrent de précieuses possibilités de repli, de<br />

concentration et de stockage de l'armement. Pour Gaston Defferre, les événements<br />

dictent une attitude urgente et courageuse: "En agissant vite, nous ne serons pas à<br />

la remorque des événements. Il existe actuellement outre-mer un certain malaise et<br />

il importe de dissiper par une action efficace pour rétablir un climat de<br />

confiance" (45). Le gouvernement et le parlement vont vite dans le processus de<br />

réforme, la loi est adoptée dès le 23 juin 1956 et ses décrets d'application pris moins<br />

de 2 mois plus tard. Le gouverneur général de l'AOF estime que cette réforme "était<br />

impérative et urgente" en se référant à la situation "l'AOF était le théâtre d'un<br />

conflit de plus en plus aigu" (46).<br />

L'application de cette Loi-Gaston Defferre ou Loi-Cadre permet en<br />

Afrique Noire française, la mise en place de gouvernements territoriaux et engage<br />

un processus de "balkanisation". A ce sujet des voix diverses se sont élevées.<br />

Léopold Sédar Senghor dénonce les 'Joujoux et les sucettes". Mahjmout Diop écrit:<br />

"c'est en tant que député que j'ai participé aux discussions sur la Loi-Cadre. Cela<br />

m'a permis de soutenir Senghor plus efficacement et plus vigoureusement dans la<br />

lutte contre la balkanisation de l'Afrique" (47). Mamadou Dia dénonce la Loi-Cadre<br />

qui a fait "proliférer en Afrique Noire (..) quelques deux cents ministres, directeurs<br />

et chefs de cabinet dans la même situation que celle des "Deux cents familles" en<br />

France" (48). Il considère la Loi-Cadre comme "le lest jeté aux Africains pour<br />

endiguer le torrent irréversible (l'indépendance)". Le manifeste du PAl communiste<br />

dénonce la Loi-Cadre en ce sens qu'elle perpétue - indirectement - la domination<br />

coloniale: "le record fut battu au Sénégal où un ministre et tous les directeurs de<br />

cabinet sans exception, sont d'anciens hauts fonctionnaires coloniaux d'origine<br />

métropolitaine" (49). La formation marxiste reproche aux grands partis politiques<br />

"d'accepter dans les faits la balkanisation de l'Afrique Noire c'est-à-dire le rejet de<br />

l'unité nationale" (50). Le docteur Roseta, leader politique de la Grande île, dans<br />

45. Afrique Nouvelle. 6 mars 1956.<br />

46. Roger de Benoist L'Afrigue Occidentale Française. 1978. p. 456.<br />

47. Mamadou Dia. Mémoires d'un militant du Tiers-monde. 1985. p. 70.<br />

48. Mahijmout Diop. Contribution à l'étude du problème politique. 1959. p. 256.<br />

49. Gëstu n° 24. Août 1987.<br />

50. Item.<br />

486


un "Appel au peuple malgache en octobre 1957" écrit: "Elle (la France) nous a<br />

octroyé unilatéralement la Loi-Cadre, loi qui a pour but de perpétuer le<br />

colonialisme et d'abusear le monde de la prétendue générosité de la France envers<br />

e"<br />

ses colonisés" (51). BessiQre, vice-président du gouvernement de Tamatave se<br />

demande si la Loi-Cadre n'est pas un "marché de dupes" minant l'unité de la<br />

Grande Ile. Il considère: "Madagascar est un territoire, il doit le demeurer. La<br />

présence de six exécutifs est une source permanente de conflits qui iront en<br />

s'aggravant" (52). Cette Loi-Cadre est également condamnée par diverses<br />

organisations. Les travailleurs regroupés dans l'UGTAN pensent qu'elle "est une<br />

mystification, une façade qui ne trompe personne; elle a pour seul but de nous<br />

diviser, de masquer et de perpétuer le régime colonial" (53). Les étudiants africains<br />

en France regroupés dans la FEANF dénoncent les manoeuvres de diversion et de<br />

mystification entreprises par la France et condamnent fermement les élus africains<br />

qui se font les instruments de cette politique. S'associant à eux, à ce sujet, l'UGEAO<br />

et le C.J.A présent aux travaux de leur VIlle congrès en décembre 1957. Le IX<br />

congrès de l'organisation réuni à Paris les 21, 22 et 23 juin 1958 réaffirme la<br />

condamnation de la division de l'Afrique Noire opérée par la réforme de la Loi­<br />

Cadre. Le Grand Conseil de l'AOF vote le 28 juin 1956, une motion adoptée à<br />

l'unanimité et réclamant le maintien de l'échelon fédéral. La délégation de 4<br />

membres désignés par la Commission Permanente de cette assemblée pour<br />

défendre à Paris cette motion auprès du M.F.O.M n'obtient aucun résultat positif.<br />

Du reste, à sa session budgétaire de novembre 1956, se produit ce que le Père<br />

Roger de Benoist a appelé "la révolte du Grand Conseil". A à cause de sa démarche<br />

négative à Paris l'Assemblée décide le 4 décembre, de surseoir au vote le budget de<br />

la fédération parce qu'elle ne dispose pas d'informations sur les décrets et leurs<br />

conséquences financières. (54) Paris publie, le jour même, les décrets d'application<br />

de la Loi-Cadre indiquant ainsi sa volonté totale de réformer l'Union Française sans<br />

avoir à consulter le Grand Conseil de l'AOF à ce sujet. Les Assemblées territoriales<br />

du Soudan, du Sénégal, de la Guinée et du Dahomey se solidarisent avec le Grand<br />

Conseil de l'AüF dans sa démarche concernant la Loi-Cadre mais cette révolte<br />

n'eut pas de lendemain car dès mars 1957, de nouvelles élections renouvellent les<br />

assemblées de territoire et aussi le Grand Conseil. En raison de la percée électorale<br />

importante du RDA qui obtient 19 des 40 sièges de l'Assemblée de la place<br />

51. Présence Africaine. Décembre 1957.<br />

52. Déclaration faite au journal Combat le 15 février 1958.<br />

53. Travaux du Congrès de Cotonou, 16 janvier 1957.<br />

54. Item.<br />

487


Tascher (55) et dont le leader Houphouët Boigny, ministre du gouvernement<br />

français, défenseur acharné de la Loi-Cadre pour laquelle il a contribué<br />

effectivement à l'élaboration et à l'adoption, la prise de position du Grand Conseil<br />

est contrée par les événements, en particulier l'élection du leader ivoirien à sa<br />

présidence dès la 1ère session après le renouvellement des membres.<br />

La mise en place des gouvernements de la Loi-Cadre dès mai 1957 et<br />

surtout, la volonté de la France de disloquer les ensembles fédéraux qu'elle a mis<br />

sur pied en AOF, en AEF et à Madagascar dès l'achèvement de la conquête à la fin<br />

du 1ge siècle - début 20e, portent un rude coup à l'unité, surtout après l'arrivée du<br />

Général de Gaulle au pouvoir. La nouvelle réforme constitutionnelle de septembre<br />

1958 précipite la dislocation de ces fédérations avec le passage des territoires de<br />

l'étape de la semi-autonomie à celle de l'autonomie complète dès 1958. Diverses<br />

tentatives de maintenir l'unité se soldent par des résultats peu élogieux comme par<br />

exemple le projet de création du Mali avec les 4 territoires parties prenantes au<br />

départ et qui ne furent que 2 en définitive et l'éclatement par la suite.<br />

Désormais le processus de la dislocation est engagé. Dès le 5 mars 1959,<br />

suite aux travaux de. la 2e session du Comité Exécutif de la Communauté, se tient à<br />

Paris une réunion des chefs de gouvernement africains sous la présidence du Haut<br />

Commissaire général de l'AOF Pierre Messmeer. Cette réunion adopte dans les<br />

grandes lignes, le principe du partage des biens de la fédération. L'inspecteur<br />

général des affaires économiques, le gouverneur Risterruci est nommé président de<br />

la Commission des Transferts et liquidation. Celle-ci tient sa première réunion à<br />

Dakar dès mars 1959 et une 2e début juin. L'accord est fait sur le principe de<br />

répartition géographique tant pour les immeubles que pour biens meubles. Chaque<br />

territoire garde ce qui se trouve dans ses limites. Mais comme la moitié des<br />

immeubles fédéraux se trouve à Dakar, la Commission arrête que le Sénégal doit<br />

verser aux autres territoires la somme de 4 milliards de F.CFA (56). Les discussions<br />

ultérieures courant 1959 et début 1960 aboutissent à "la solution à l'africaine"<br />

(expression rapportée de l'un des participants) (57) qui ramène la dite somme à un<br />

montant total de 1,4 milliard. La seconde tâche de la commission, la liquidation des<br />

services publics (archives, imprimerie de Rufisque, service des logements, Régie des<br />

transports, garage central, building administratif) imposée par la disparition du<br />

gouvernement général est accomplie parce qu'ils sont supprimés ou transférés à<br />

55. Il s'agit du Grand Conseil de l'AOF ainsi appelé à cause de la place qui lui fait face et porte le nom de<br />

l'ancien Président de la CCAI de Dakar.<br />

56. Marchés Tropicaux. 17 octobre 1959.<br />

57. Afrique Nouvelle. 30 mars 1960.<br />

488


l'Etat fédéral du Mali. (58). Quelques rares structures fédérales sont néanmoins<br />

conservées comme le Centre de recherche sur les grandes endémies situé en Haute<br />

Volta (59). L'acheminement séparé vers l'indépendance des Etats, du Conseil de<br />

l'Entente et aussi de la fédération du Mali consacre la rupture définitive de la<br />

Fédération de l'AOF que la Guinée par son vote négatif au référendum de<br />

septembre 1958 a déjà quittée, à un moment où la Mauritanie regarde de plus en<br />

plus vers les états arabes du nord. La cascade des indépendances en juin et août<br />

1960 marque le terme du processus de la dislocation de l'AOF.<br />

Dès lors, la question de l'unité ne se pose plus, dans les termes du<br />

maintien des ensembles fédéraux édifiés par le colonisateur. Dans l'immédiat, les<br />

états issus de la dislocation sont directement en rapport avec la France dans le<br />

cadre de la Communauté Française. Leur poids politique, économique,<br />

démographique en fait des nains comparativement à la France. Cette situation<br />

traduit incontestablement un succès de la politique de l'ancienne puissance<br />

coloniale car elle obtient, sans coup férir, et avec la complicité notoire de maints<br />

hommes politiques africains, une situation favorable de "face à face" entre elle et<br />

des "Etats nains" (60). La rapidité de ce processus de dislocation et de "marche<br />

forcée" vers l'indépendance n'ont pas manqué de retenir l'attention de l'opinion en<br />

métropole. Ainsi, en parlant de la précipitation avec laquelle la Fédération de<br />

l'Ouest est démantelée, la Revue Internationale de la F.O.M écrit : "Le sigle de<br />

l'AOF a déjà disparu des en-têtes administratifs, sur les instructions officielles<br />

venues de Paris. Cette hâte, à vrai dire, nous paraît surprenante... Tout se passe<br />

comme si l'on avait hâte d'accélérer, d'approfondir l'émiettement d'une fédération<br />

vieille de plus de 50 ans". La rédaction de la revue remarque "qu'on voulait pousser<br />

à l'extrême les conséquences des divisions crées par la Loi-Cadre". Dans une autre<br />

publication de la revue, un mois plus tard, il est fait état des frictions que la<br />

conférence de dévolution du poste de Radio-Inter de Dakar a créées entre le Haut<br />

Commissaire général et certains ministres du Mali (61). Ces derniers reprochent au<br />

Chef de la fédération la précipitation de ses mesures. Marchés Tropicaux autre<br />

organe de la presse parisienne fait état d'un véritable conflit apparu lors de cette<br />

conférence au cours de laquelle, les ministres maliens évoquant même l'éventualité<br />

d'utiliser la force pour s'opposer aux positions du Palais de Dakar. Le<br />

gouvernement du Mali prend dès le 6 avril 1959 un décret pour s'attribuer le poste<br />

58. Roger de Benoist. L'Afrique Occidentale Francaise. 1978. p. 753.<br />

59. Ce centre Jamot a été préservé de la dévolution par la conférence des 7 ministres de la santé.<br />

60. Revue internationale de la F.O.N n° 351, février 1959.<br />

61. Item. n° 355. Mars 1959.<br />

489


de Radio-Inter et une série de réunions seront nécessaires pour régler le litige. (62).<br />

La droite coloniale française peut manifester sa joie au sujet de cette balkanisation,<br />

elle dont l'organe "Climats" a demandé la "mort aux gouvernements généraux"<br />

plusieurs années durant.<br />

L'unité de l'AOF ne résiste donc pas aux multiples pressions<br />

métropolitaines mais aussi locales. La loi Gaston Defferre ou Loi-Cadre a précipité<br />

le processus de division.<br />

II. La consolidation du nouvel état<br />

Le vote de la Loi-Cadre en juin 1956 et sa mise en application en mai<br />

1957 se traduisent au niveau du Sénégal par la constitution du gouvernement de la<br />

semi-autonomie, puis de l'autonomie et ensuite de l'indépendance. Les relations<br />

avec les diverses forces vives du Territoire sont marquées par de nombreux heurts<br />

plus ou moins importants avec la nouveau pouvoir, laissant présager un réel divorce<br />

surtout avec le monde du travail salarié, une des bases essentielles du nouvel état en<br />

édification.<br />

Mamadou Dia qui a constitué le gouvernement à la demande pressante<br />

de Léopold Sédar Senghor qui trois mois durant à ""travailler" mes amis de façon à<br />

m'arracher mon acceptation" (63). Les ministres ont été choisis, d'après le Chef du<br />

gouvernement, selon des critères de dévouement, de désintéressement et de<br />

compétence et en toute liberté (64). Sept sont parlementaires contre quatre non<br />

parlementaires, ce qui indique la place importante d'un parlementarisme naissant.<br />

Fait important, les 2 ministres d'origine métropolitaine sont André<br />

Peytavin titulaire de la charge des finances et Boissier Palun au porte-feuille du<br />

Plan et de l'Economie générale. Philippe Guillemin insiste dans son étude sur la<br />

structure des premiers gouvernements locaux en Afrique, (65), sur le fait qu'il n'y a<br />

eu "aucune pression des services de la F.O.M dans ces choix" car il remarque que<br />

dans la quasi totalité des cas, des ministres de race blanche sont installés à la tête de<br />

ces secteurs clefs.<br />

62. Marchés Tropicaux du 25 avri11959.<br />

63. Mamadou Dia. Mémoires... 1985. p. 71.<br />

64. Ibidem<br />

65. Philippe Guillemin. in Afrique. documents. cahiers n° 48-49.1959.<br />

490


Mamadou Dia lui-même reconnaît cette importance particulière des<br />

portefeuilles laissés aux mains des ministres d'origine métropolitaine. Parlant de<br />

l'ancien président du Grand Conseil de l'AOF Boissier Palun, il qualifie de "Super<br />

ministère" le poste qu'il occupe dans son gouvernement. Du reste, lorsque Dia<br />

remanie à la fin de 1957, son équipe en scindant ce ministère en deux (Plan et<br />

Economie Générale) Boissier Palun prend mal la chose et démissionne (66). Le<br />

manifeste du P.A.I critique la présence des ministres d'origine métropolitaine à ces<br />

postes-clefs tout comme le choix de directeurs de cabinet européens pour<br />

l'ensemble des ministères: "En vérité nul cadeau merveilleux et aucune aussi bonne<br />

surprise ne pouvaient être faits à l'administration coloniale." (67). L'organe de la<br />

section sénégalaise de ce parti marxiste léniniste fustige ces européens milliardaires<br />

qui gouvernent le pays (68) et cite entre autres, Boissier Palun. Un autre organe de<br />

la presse dakaroise "Echos d'Afrique Noire" dénonce par contre la toute puissance<br />

que la Loi-Cadre a apporté aux Indigènes et qui fait que "les fonctionnaires<br />

européens sont réduits au rôle de larbins qui tremblent devant le pouvoir d'un<br />

simple planton." (69)<br />

L'application de la Loi-Cadre pose, dès les premiers mois des problèmes<br />

sérieux dans la répartition des compétences entre le gouvernement territorial et les<br />

autorités coloniales métropolitaines locales: ceci a un point tel que les nouveallX<br />

responsables sénégalais se plaignent de pratiques non conformes à l'esprit de la loi.<br />

Ainsi, dans une communication devant le Conseil du gouvernement, Mamadou Dia<br />

dénonce la situation crée par les instructions de la F.O.M, transmises par le chef du<br />

Territoire le 28 août 1957 et qui aboutissent à ce que "des ministres, considérés non<br />

comme les chefs des administrations dont ils ont le contrôle mais comme des élus en<br />

mission, se voient refuser, par des textes restrictifs, des délégations dont jouissent<br />

encore des fonctionnaires qui leur sont, en principe subordonnés". (70). Le<br />

gouvernement Dia dénonce les contradictions de l'Administration divisée en<br />

services d'Etat et en services territoriaux ce qui permet au Haut Commissaire de<br />

garder la haute main sur la marche du Territoire. (71).<br />

66. Mamadou Dia Mémoires... 1985. p. 55.<br />

67. Gëstun n° 24. Août 1987. p. 5.<br />

68. Monsavew n° 9. 1959.<br />

69. Echos d'Afrique Noire. 24 août 1958.<br />

70. Mamadou Dia Mémoires... 1985. p. 75<br />

71. La sécurité, l'armée, la monnaie, la diplomatie, l'enseignement supérieU!, etc... sont encore du domaine<br />

d'Etat c'est-à-dire de la responsabilité unique du Chef du Territoire, représentant la métropole.<br />

491


Pour ce gouvernement, il apparaît indispensable de dépasser l'étape de<br />

la semi-autonomie pour celle de l'autonomie interne. L'arrivée au pouvoir du<br />

Général de Gaulle en 1958 et les diverses réformes engagées dans le cadre des<br />

institutions se traduisent dès octobre 1958 par cette évolution politique qui fait que<br />

le premier des ministres africains, de vice-président jusque là, devient le président<br />

du gouvernement de son territoire, remplaçant ainsi le Haut Commissaire c'est-à­<br />

dire l'ancien gouverneur colonial qui dans la Loi-Cadre assume cette charge. Ainsi<br />

c'est donc une responsabilisation supplémentaire des autorités locales qui est<br />

décidée par la métropole.<br />

Mamadou Dia explique qu'il a beaucoup lutté, comme quelques autres<br />

chefs de gouvernement territoriaux comme Sékou Touré en Guinée pour que soit<br />

mis fin à cette dichotomie "cette dyarchie entre un chef du territoire nommé par le<br />

ministre de la France d'Outre-Mer et un vice-président qui, lui, était élu par<br />

l'Assemblée territoriale" (72). Mais il n'en reconnaît pas moins que le gouverneur<br />

Lami s'est montré très ouvert et coopératif et qu'il s'est toujours effacé devant lui<br />

sauf "lorsque nos sommes arrivés au bout du tunnel, au bout du processus, il ait eu<br />

un comportement qui jurait avec l'attitude qu'il avait eu antérieurement." (73)<br />

La mise en place de la Communauté permet cependant à la métropole<br />

de garder encore l'essentiel des pouvoirs dans la période fin 1958 mi 1960. La<br />

proclamation de l'indépendance de la fédération eu Mali d'abord en juin 1960 et<br />

celle du Sénégal en août de la même année marquent une étape importante dans le<br />

processus de consolidation du nouvel Etat. Dès début septembre 1960, toutes les<br />

structures d'un Etat indépendant sont créées avec l'élection par l'Assemblée,<br />

teritoriale de L. S. Senghor comme Président de la République et la constitution<br />

d'un gouvernement à la tête duquel il confirme Mamadou Dia. Le premier<br />

ambassadeur étranger accrédité au Sénégal est celui de France (74). Il devient par<br />

la suite le Doyen du corps diplomatique ce qui traduit la solidité des nouveaux<br />

rapports entre un Sénégal accédant à la souveraineté internationale et son ancienne<br />

puissance coloniale.<br />

Les rapports entre le nouvel état et les appareils politiques existant, de<br />

même qu'avec le monde du travail, tout comme avec la jeunesse et les intellectuels<br />

permettent d'éclairer la nature de cet état. Pour l'essentiel ces relations sont<br />

marquées par de nombreux conflits souvent très violents et qui aboutissent à créer<br />

des déceptions profondes chez ceux qui pensaient que le cheminement et l'accession<br />

72. Mamadou Dia Mémoires... 1985. CDOp. 72.<br />

73. item. p. 73.<br />

74. Paris-Dakar. 7 septembre 1960.<br />

492


à la souveraineté apporteraient des modifications positives dans leurs conditions de<br />

vie et de travail. La période de 1957 à 1960 c'est-à-dire celle de responsabilité des<br />

élites locales est riche en enseignements de toutes sortes sur les relations du pouvoir<br />

et ces diverses forces préludant ce que ces rapports seraient dans la période à venir<br />

c'est-à-dire les premières années de l'indépendance.<br />

A.Nouvel appareil d'Etat et forces politiques et syndicales de 1957 à<br />

A.1 Relation avec les partis.<br />

Avec l'application de la Loi-Cadre, le BPS, parti politique de Senghor a<br />

constitué un gouvernement approuvé par l'Assemblée Territoriale dans laquelle<br />

cette formation politique avec 47/60 des sièges est très largement majoritaire. La<br />

création de l'UPS, parti né de la fusion des deux principaux partis rivaux du<br />

Sénégal (75) en 1958 et la constitution d'un gouvernement entièrement composé<br />

des membres de cette nouvelle formation dans un contexte de mutations politiques<br />

très rapides et dictées par la métropole pose les jalons du parti unique - de fait - au<br />

Sénégal. Dès lors, les relations entre ce pouvoir et les diverses autres formations<br />

politiques sont largement marquées par une tendance à la monopolisation du<br />

pouvoir engagée par les nouveaux responsables gouvernementaux.<br />

Mamadou Dia, dès son discours d'investiture devant l'Assemblée<br />

territoriale, le 18 mai 1957, définit ainsi les objectifs de son gouvernement face à<br />

tout ce qui peut apparaître comme pressions externes: "nous sommes résolu à<br />

opposer une résistance farouche à toute tentative d'ingérence dans nos affaires<br />

intérieures, à toute pression directe ou indirecte, à toute manoeuvre tendant à<br />

alliéner l'indépendance du gouvernement local" (76). Ces propos peuvent être<br />

entendus dans le sens d'une lutte contre des pressions d'origine étrangère c'est-à­<br />

dire menées de l'extérieur du territoire, mais également on peut les considérer<br />

comme une volonté affichée de mener son action sans avoir à tenir compte<br />

effectivement de critiques d'une quelconque opposition politique au niveau du<br />

territoire.<br />

Les formations politiques constituant l'opposition c'est-à-dire le P.AI (de<br />

1957 à 1960) et le P.S.S (de 1958 à 1959, mais aussi le P.R.A Sénégal (de 1958 à<br />

1960) eurent une existence particulièrement rude en raison de la politique menée<br />

75. BPS de Senghor et PSAS de Lamine Guèye. Fusionnent dans l'UPS.<br />

76. Paris-Dakar. 19 mai 1957.<br />

493


En somme, au plan politique le pouvoir s'est fait fort et absolu. Toute<br />

forme d'opposition reste difficile à exprimer et tout indique que cette situation ne<br />

peut que s'aggraver par la suite.<br />

A.2 Relation avec les syndicats<br />

Le monde syndical est traversé, au niveau de la Fédération, par les<br />

querelles de l'autonomie syndicale juste au moment où la bataille pour obtenir le<br />

Code du Travail aboutit. La mise en place des gouvernements de l'autonomie<br />

interne survient dans cette phase de querelles. La balkanisation de l'ensemble<br />

fédéral met donc, au niveau de chaque territoire, les organisations syndicales face<br />

au nouveau pouvoir, ce qui se traduit, au Sénégal par une lutte très intense. Il en<br />

résulte que le mouvement syndical se morcelle et s'affaiblit.<br />

En effet, dans le gouvernement de Mamadou Dia installé en mai 1957,<br />

Latyr Camara militant du B.P.S mais surtout leader syndical U.G.T.A.N occupe le<br />

portefeuille de la Fonction Publique, preuve d'un intérêt manifesté par le nouveau<br />

pouvoir d'associer le monde du Travail à la gestion des affaires publiques. Du reste,<br />

la tendance est la même dans plusieurs territoires car Abdoulaye Diallo haut<br />

responsable de la centrale D.G.T.A.N est nommé ministre du travail au Soudan;<br />

en Guinée pendant que Sékou Touré très connu dans le monde syndical pour les<br />

hautes responsabilités occupées au sein de la CGT puis de la CGTA et de<br />

l'UGTAN devient chef du gouvernement autonome, Camara Bengali autre leader<br />

syndical prend en charge le ministère du Travail (78). Par là-même, le syndicat<br />

africain est organiquement lié aux partie politiques au pouvoir.<br />

Cependant cette situation ne dure pas car dès le référendum de<br />

septembre 1958, la centrale syndicale majoritaire en AOF et particulièrement au<br />

Sénégal appelle à voter en faveur du "non" et fait campagne dans ce sens avec<br />

diverses autres forces. Or, le gouvernement de Mamadou Dia s'est prononcé lui,<br />

pour le vote du "non". Latyr Camara ministre de la Fonction Publique démissionne<br />

donc, du gouvernement à l'instar des autres qui ont les mêmes positions.<br />

Un autre syndicaliste militant du BDS dès la création en 1948 le<br />

remplace, dès le 23 décembre 1958 (79); c'est Ibrahima SaIT dont le nom reste<br />

attaché à la longue et dure grève des cheminots d'Afrique Noire d'octobre 1947 à<br />

mars 1948. Cette nomination a lieu sur fond de grève massivement suivie des 2100<br />

78. Seydou Guèye. La loi-Cadre et l'éclatement de l'AOF 1956-1960.1974. p. 42.<br />

79. Malick N'Diaye: La crise politique Sénégalaise de décembre 1962.1984. p. 239.<br />

495·


postiers de Dakar et du Sénégal en cette fin d'année 1958 marquée par une réelle<br />

agitation sociale due aux revendications des centrales syndicales en particulier de<br />

l'UGTAN. Le début de l'année 1959 est dominée par une vague de grèves<br />

déclenchée par la centrale dans le service des postes, dans la Fonction publique,<br />

dans les activités des hydrocarbures, dans le secteur du commerce, etc (80). Les<br />

mesures contre les grévistes indiquent la détermination des pouvoirs publics à ne<br />

pas tolérer l'agitation sociale. Ainsi, tous les 260 travailleurs du Mobil-Oil sont<br />

licenciés à l'exeption de 3 (81) pour avoir déclenché la grève "avant l'épuisement<br />

des procédures de conciliation et d'arbitrage". Quant aux grévistes de la Fonction<br />

Publique le gouvernement décide leur licenciement immédiat et la suspension des<br />

salaires alloués aux permanents syndicaux après avoir décrété que les grèves sont<br />

illégales et procédé à des réquisitions devant la généralisation du mouvement de<br />

grèves (82). La centrale syndicale est même interdite de meeting le 8 janvier 1959<br />

lorsque les autorités municipales de Dakar lui refusent le lieu traditionnel: le Parc<br />

municipal des sports. Le Haut Commissaire général de l'AOF se met aussi de la<br />

partie car un arrêté général du 7 janvier 1959 décide d'appliquer les mêmes mesures<br />

que le Sénégal aux grévistes ,du gouvernement général et que d'importantes forces<br />

de gendarmerie et de police dispersent violemment les participants au meeting<br />

organisé par l'U.G.T.A.N le 8 janvier au terrain prêté par le C.J.S. L'assemblée du<br />

Sénégal adopte une loi permettant au gouvernement de pouvoir réquisitionner, sans<br />

exception, tous les travailleurs (83).<br />

La revue Marchés Tropicaux exprime sa satisfaction en ces termes<br />

devant toutes ces mesures prises à l'encontre des grévistes: "ces diverses mesures<br />

mettent fin à l'agitation sociale entretenus par l'UGTAN pour de motifs<br />

politiques" (84).<br />

Lamine Guèye et L.S. Senghor hommes politiques influents du parti<br />

gouvernemental UPS condamnent la grève. Le Comité Directeur de cette formation<br />

dénonce "les revendications sans nombre ni fin... il n'est pas raisonnable de<br />

consacrer 65% du revenu national à 5% de la population car 8 sur 14 milliards du<br />

budget vont à la Fonction Publique". Parlant de ces grèves l'ancien chef du<br />

gouvernement Mamadou Dia écrit : Par leur motivation profondes, par leur<br />

80. Marchés Tropicaux. 3 janvier el 10 janvier 1959.<br />

81. Marchés Tropicaux. 10 janvier 1959.<br />

82. Malick N'Diaye : la crise politique sénégalaise de 1962. 1984. p. 236.<br />

83. Paris-Dakar. 10/1/1959.<br />

84. Marchés Tropicaux. 17/1/1959.<br />

496


stratégie, par leur objectif, par leurs implications complexes, elles furent une vaste<br />

entreprise de sabotage des structures et des institutions nouvellement mises en<br />

place... l'opposition de gauche (...) estime que les grèves étaient une occasion<br />

inespérée d'abattre le régime." (85) Il désigne aussi d'autres responsables "en ces<br />

nostalgiques du système colonial... mais aussi ceux du secteur privé qui ne me<br />

pardonnaient pas leur défaite lors de la bataille de l'arachide de la 1ère année de la<br />

Loi-Cadre" (86). Il reconnaît cependant que les travailleurs nourrissent depuis<br />

longtemps leurs revendications de salaires, de revalorisation des cadres de<br />

fonctionnaires et aussi de la publication d'un statut pour les non-fonctionnaires.<br />

Mais il se félicite d'avoir utilisé la force contre le mouvement de revendication<br />

sociale (87) ce qui a été, d'après lui salutaire pour les institutions du jeune Etat.<br />

Cette agitation sociale offre au gouvernement de Mamadou Dia<br />

l'occasion de briser l'UGTAN. Une première manoeuvre indirecte est l'obligation<br />

faite à la centrale à vocation fédérale, de demander, par écrit, une autorisation du<br />

ministère de l'Intérieur du Sénégal pour pouvoir continuer à exercer ses activités<br />

dans ce pays. Le prétexte avancé est que l'organisation a fixé son siège à l'étranger<br />

(Conakry, depuis l'indépendance de ce pays). (88). Puis d'autres manoeuvres sont<br />

engagées dans le sens de la division du mouvement syndical au Sénégal. Déjà le<br />

Chef du gouvernement distingue deux catégories de syndicalistes: les syndicalistes<br />

ouverts et patriotes (...) qui participent à la tâche exaltante qu'est la construction<br />

d'une nation.... et la catégorie de syndicalistes qui continuent à vivre dans un univers<br />

peuplé de mythes de l'ancien régime." (89). Senghor dénonce les dirigeants<br />

syndicalistes du Sénégal "qui n'ont jamais eu le courage de dire comme Sékou Touré<br />

et Djibo Bakary, la vérité aux travailleurs... On ne peut réclamer en même temps<br />

l'indépendance et une augmentation des salaires." Devant le congrès constitutif du<br />

P.f.A (Parti de la Fédération Africaine) à Dakar le 1er juillet 1959, il s'en prend<br />

vivement aux fonctionnaires, qui ne cessent jamais de revendiquer, alors qu'ils sont<br />

1% de la population et reçoivent 48% du budget (90). Il exige que l'UGTAN se<br />

reconvertisse, ses orientations n'étant plus de saison. Cette ligne politique de<br />

dénigrement des organisations et méthodes syndicales est développée dès lors que<br />

85. Mamadou Dia Mémoire... 1985. p. 99.<br />

86. item. p. 101.<br />

87. item. p. 103.<br />

88. Malick N'Diaye. La crise politique sénégalaise de 1962.<br />

89. Mamadou Dia. discours au congrès de l'UPS. Dakar. 21 février 1958. Paris-Dakar du 22/2/58.<br />

90. Paris-Dakar. 2 et 3 juillet 1959.<br />

497


le pouvoir ne semble pas en mesure d'empêcher l'expression des revendications et<br />

surtout le déclenchement des grèves. Amadou Babacar Sarr ministre du Travail<br />

s'exprime en ces termes, dans un appel pour éviter les grèves de cette fin d'année<br />

1958 : "Les conflits sociaux qui viennent d'éclater et ceux qu'en perspective on<br />

prépare pour ce pays risquent de compromettre dangereusement l'harmonieuse<br />

évolution du des jeune Etat sénégalais. Le moment est venu de procéder à une<br />

véritable reconversion des méthodes jusqu'ici employées. Il n'y a aucune place pour<br />

le désordre et l'anarchie" (91).<br />

Du reste, l'UGTAN est très tôt confrontée à des dissidences, très<br />

probablement orchestrée en sous main par le pouvoir lui-même. En effet, Abbas<br />

Guèye ancien député au Palais Bourbon de 1951 à 1956, passé à la dissidence du<br />

BDS pour créer ensuite une éphémère parti avant de rejoindre Lamine Guèye en<br />

1957 et, en 1958, la formation unitaire de l'UPS (dont il devient le trésorier adjoint),<br />

est à l'origine sans le contexte des grèves du début 1957, à une première fracture de<br />

l'UGTAN, par la création de l'UGTAN-autonome. Il explique cette action par le<br />

fait que la centrale mère s'est engagée "dans des manoeuvres déloyales contraires<br />

aux intérêts des travailleurs" (92). Une autre fracture se produit le 31 mars 1959 à<br />

l'initiative de Alioune Cissé l'un des principaux responsables de la centrale au<br />

Sénégal qui crée l'UGTAN-Unitaire et s'oppose au syndicalisme revendicatif hérité<br />

de la période coloniale, exactement comme Abbas Guèye.<br />

UGTAN-Autonome et UGTAN-Unitaire face à l'UGTAN tentent<br />

d'occuper le terrain syndical mais dans un contexte de confusion totale pour la<br />

plupart des travailleurs salariés, mais aussi, pour le pouvoir lui-même. L'initiative de<br />

David §oumah, secrétaire général de la C.A.T.C d'oeuvrer à la création d'un<br />

"Comité syndical unitaire et apolitique" le 31 mars 1959 trouve des échos favorables<br />

dans les diverses centrales syndicales et dans les partis politiques. Le gouvernement<br />

parce que l'UPS souscrit à la démarche, soutient l'initiative discrètement. Ainsi, les<br />

9 et 10 mai 1959, une conférence syndicale se tient à Thiès pour assainir le climat<br />

social et réaliser l'unité syndicale engageant ainsi un processus qui aboutit à la<br />

tenue du congrès constitutif d'une nouvelle et unique centrale unitaire. Ce congrès a<br />

91. Paris-Dakar. 29 novembre 1958.<br />

92. La Vigilance. Organe de l'UGTAN autonome. n° 3.16 juillet 1959.<br />

498


lieu à Thiès du 23 au 25 octobre 1959. Il donne naissance à "Union des Travailleurs<br />

du Sénégal": U.T.S. (93).<br />

Le pouvoir espère ainsi domestiquer la mouvement syndical sénégalais<br />

pour mettre un terme aux revendications du monde du travail salarié. Cependant,<br />

les assises du 3e conseil national exécutif de la nouvelle centrale ruine tous ses<br />

espoirs. En effet, malgré la présence d'une forte délégation gouvernementale et<br />

d'une non moins importante délégation de l'UPS (parti gouvernemental conduite<br />

par le secrétaire politique Ousmane N'Gom), la Centrale réaffirme sa position .<br />

d'indépendance à l'égard de tout gouvernement et de tout parti ainsi que ses<br />

revendications pour l'amélioration des conditions salariales des travailleurs. Parlant<br />

de ce qu'il appelle "expédition" Malick N'Diaye écrit: "le gouvernement et la parti<br />

quitteront Thiès avec le sentiment d'une défaite car ils ne pouvaient pas compter<br />

vraiment sur l'U.T.S tant qu'elle resterait une force autonome." (94). L'affiliation de<br />

l'U.T.S. à la C.N.S.M (confédération nationale syndicale du Mali) n'apporte qu'une<br />

preuve de plus au pouvoir sénégalais que placer des espoirs en cette centrale<br />

syndicale est irréaliste. En effet, le 1er mai 1960, lors du 1er défilé organisé par la<br />

C.N.S.M. à Dakar avec les forces conjuguées de l'U.T.S de la CASL, du syndicat des<br />

travailleurs du Dakar Niger etc.. cette manifestation historique en ce sens qu'elle<br />

réalise l'unité de la classe ouvrière, se prononce pour l'indépendance à l'égard des<br />

gouvernements et partis et aussi contre l'apolitisme syndical. Le défilé réclame par<br />

ses pancartes, l'augmentation générale des salaires et traitements, le blocage et le<br />

contrôle des prix, condamne les essais nucléaires sur le sol d'Afrique, exige que<br />

l'impérialisme sorte du continent noire (95) et dépose une gerbe de fleurs en<br />

l'honneur des travailleurs victimes de répression sous le régime colonial.<br />

C'est dire que le mouvement syndical est certes affaibli par des divisions,<br />

ses échecs et la répression gouvernementale, mais il garde son orientation<br />

fondamentale de lutte: contre toute domestication pour mieux défendre les intérêts<br />

des travailleurs dans un état indépendant. Dans ces conditions générales, lorsqu'en<br />

juin 1960, l'Etat du Mali recouvre le souveraineté, ses orientations ne cadrent pas<br />

entièrement avec celles des masses des travailleurs regroupés dans les centres<br />

syndicales, particulièrement celle de l'U.T.S. mais aussi de l'UGTAN orthodoxe.<br />

93. U.T.S : Union des travailleurs du Sénégal est née de la fusion de CATC, de l'UGTAN-Autonome, de<br />

l'UGTAN-Unitaire et du syndicat des cheminots qui s'y associe tout en gardant son indépendance. Seme<br />

reste à l'écart l'UGTAN orthodoxe.<br />

94. Malick N'Diaye : La crise politique de 1962. 1984. p. 247.<br />

95. item.<br />

499


Pourtant, le pouvoir politique ne manque pas de proclamer sa foi dans la<br />

,<br />

recherche de solutions aux maux dont souffre le monde salarié du travail. Ainsi,<br />

Ibrahime SaIT ministre du Travail déclare devant l'Assemblée législative du Sénégal<br />

: "le véritable problème, c'est donner de l'ouvrage à tout le monde" (96). Le chef du<br />

gouvernement déclare à Louga que "c'est essentiellement vers les travailleurs que<br />

sont dirigés les efforts du gouvernement" (97). La Fédération du Mali demande, son<br />

admission à l'Organisation Internationale du Travail, appuyée en cela par la<br />

délégation gouvernementale française. (98). Le gouvernement fédéral de Dakar<br />

manifeste ainsi une volonté de baser son action, dans le domaine du travail, sur les<br />

grands principes de l'organisation de Genève. De la même manière, il a déjà<br />

accepté la proposition de l'UGTAN-Autonome qui s'est engagé à réviser les formes<br />

de lutte syndicale héritées de la période coloniale d'établir un calendrier " de<br />

rencontres périodiques syndicats-gouvernement pour un règlement paisible de<br />

toutes les questions intéressant les travailleurs, compte-tenu de toutes les réalités<br />

africaines." (99). Cette proposition a été formulée dans la résolution générale<br />

adoptée par la conférence constitutive de l'Union Régionale des syndicats UGTAN­<br />

Autonome de Thiès le 30 mai 1959.<br />

La rupture de la Fédération du Mali en Août 1960, se traduit, plan<br />

syndical, par un "face à face" D.T.S/gouvernement sénégalais car la CNSM éclate<br />

sur des bases étatiques. Tout ceci ne manque pas d'influencer le pouvoir dans le<br />

sens d'une plus grande recherche du soutien des travailleurs. Mais ceux-ci observent<br />

les courbes des prix et des salaires et s'en inquiètent: "Les prix montent sans arrêt<br />

et ils montent de plus en plus vite (...) les salaires par contre sont insignifiants par<br />

ràpport à cette montée incontrôlée des prix surtout dans les quartiers<br />

ouvriers" (100) a déjà déploré l'organisation de la centrale de Abbas Guèye en juin<br />

1959. Monsarev dénonce "Dia-pain cher" (101) et s'inquiète pour les travailleurs, de<br />

la satisfaction publiquement exprimé par le patronat en la personne de Charles<br />

Gallenga, Président de la Chambre de commerce de Dakar, à l'égard des nouvelles<br />

autorités du Sénégal, lors de la réception offerte par la Chambre consulaire aux<br />

participants au colloque organisé à Dakar sur la recherche scientifique et technique.<br />

%. Paris-Dakar. 13 janvier 1960.<br />

97. Paris-Dakar. 31 mai 1960.<br />

98. Paris-Dakar. 23 juin 1960.<br />

99. La Vigilance. 16 juin 1959.<br />

100. item.<br />

101. Monsarev. n° 23.<br />

500


L'année 1960 s'ouvre dans un réel climat de tension sociale. Les<br />

revendications des travailleurs reprennent de l'ampleur et l'UGTAN restée à l'écart<br />

du processus d'unification syndicale canalise le mécontentement. Du reste, plusieurs<br />

militants et responsables de l'U.T.S se lancent dans des manifestations traduisant<br />

leurs "raz le bol". Une fois de plus, le député syndicaliste, Abbas Guèye, est monté<br />

au créneau contre l'U.T.S. Au début de Novembre 1960, il rompt ainsi avec cette<br />

organisation qu'il n'a pas pu orienter dans un sens plus favorable au pouvoir. Le<br />

secrétaire général de l'UGTAN, Abdoulaye Thiaw est arrêté le 25 novembre pour<br />

avoir appelé à la grève générale dans un tract distribué 3 jours plus tôt (102). Le<br />

gouvernement sort la grande artillerie contre les travailleurs qui préparent le grève.<br />

Le ministre du Travail et de la Fonction Publique lance sur les ondes de Radio­<br />

Dakar des menaces à peine voilées: "... le gouvernement met en garde les<br />

travailleurs, contre les conséquences qui ne manqueraient pas de résulter de leur<br />

participation à une grève exclusivement politique" (103). La nécessité de continuer<br />

les "efforts" est alléguée comme devant impérativement justifier que les<br />

revendications syndicales soient abandonnées par les travailleurs au nom de l'intérêt<br />

supérieur de l'Etat en édification.<br />

En somme, les relations gouvernement sénégalais-syndicats n'ont cessé<br />

de se dégrader dans cette période de l'autonomie interne. L'indépendance acquise<br />

par le pays à la mi-1960 ne modifie en rien le caractère conflictuel de ces relations<br />

dans la mesure où le pouvoir cherche, au nom de l'unité nationale, à amener toutes<br />

les forces vives à composer, si non, à disparaître. Or les travailleurs, de par leurs<br />

organisations syndicales comprennent que la politique du nouvel Etat leur apporte<br />

avant tout des difficultés. aussi refusent-ils de faire les frais de l'édification en tant<br />

que monde du travail pendant que le monde politique chausse les bottes du<br />

colonisateur d'hier, appuyé en cela par le monde du capital étranger tout puissant<br />

dans le pays:<br />

CONCLUSION DU CHAPITRE<br />

La période 1957-1960 est largement marquée par un divorce entre d'une<br />

part, pouvoir gouvernemental mis en place par la Loi-Cadre et d'autre part,<br />

l'opposition. Par leurs pratiques les nouvelles autorités ont surtout cru que la force<br />

devait prévaloir dans les relations avec les autres forces politiques, organisations<br />

syndicales, de jeunesse, culturelles, etc... Elles ont également utilisé la division et la<br />

102. Malick N'Diaye : la crise politique. p. 246.<br />

103. Paris-Dakar. 25 novembre 1960.<br />

501


corruption pour fragiliser toute OpposItIOn déclarée. Cependant, au-delà des<br />

apparences, ces pratiques n'ont pas créé au pouvoir une réelle solidité. C'est dire<br />

que l'orientation politique et sociale du nouveau régime porte en elle-même de<br />

mauvais gerbes pour l'avenir.<br />

502


CONCLUSION GENERALE<br />

Par cette recherche, nous avons étudié l'importance des groupes de<br />

pression et "faiseurs d'opinion" et aussi les diverses réactions de ces groupes devant<br />

les multiples événements qui marquent l'histoire de Dakar dans la période 1945­<br />

1960.<br />

Dakar est une ville qui, en l'espace d'un siècle est passée du stade de<br />

petit village de pêcheurs fondé sur la partie la plus occidentale de la côte africaine,<br />

à celui de grande métropole militaire, politique, administrative, culturelle, etc... Le<br />

très rapide développement de cette ville est donc à la fois lié à la conjonction de<br />

multiples facteurs parmi lesquels la position de carrefour sur les routes maritimes et<br />

aériennes est certainement l'élément déterminant. Ce rapide développement en fait<br />

seulement 30 ans après l'installation des Français, une ville à laquelle déjà la<br />

métropole accorde le statut de commune de plein exercice, permettant ainsi, à sa<br />

population de pouvoir administrer ses propres affaires par l'intermédiaire de<br />

représentants élus. Cette distinction est pourtant très parcimonieusement attribuée<br />

par la puissance coloniale car seules 4 villes de l'Afrique française ont été élevées à<br />

ce rang. Dès la fin du XIXe siècle, Dakar devient la capitale de la Fédération<br />

d'AOF. Elle coordonne l'administration des 8 territoires regroupés, après la<br />

conquête, dans cet ensemble nouvellement mis en place comme structure de<br />

gestion. Son développement explique ce choix porté sur elle car d'autres villes<br />

comme Gorée, Saint-Louis et Rufisque lui sont antérieures comme base de la<br />

présence française.<br />

Dans la période immédiate de l'après 2e guerre mondiale, une politique<br />

de grands travaux est entreprise dans la ville qui a montré à la métropole son<br />

importance stratégique pendant le conflit. Aussi ces grands travaux attirent<br />

davantage une population aussi bien européenne qu'africaine ou levantine ce qui<br />

pose de sérieux problèmes à résoudre pour l'administration: trouver des logements,<br />

du travail, des activités culturelles, etc.. à une nombre toujours plus grand<br />

d'habitants.<br />

Les multiples problèmes liés à l'étape historique de la Loi-Cadre de 1956<br />

et dont la conséquence principale est la balkanisation politique de l'ensemble<br />

fédéral de l'AOF ont aussi des implications économiques non négligeables. En effet,<br />

les infrastructures industrielles créées pour satisfaire les besoins de l'ensemble de la<br />

Fédération deviennent ainsi l'armature du seul territoire du Sénégal ce qui se<br />

traduit par de réelles difficultés à gérer ces équipements surdimentionnés.<br />

503


f<br />

Une intense activité est déployée par diverses forces: partis politiques,<br />

syndicats, organisations de jeunesse ou d'étudiants mais aussi groupes à caractère<br />

économique ou religieux ou racial ou ethnique. Ces groupes s'activent tous dans un<br />

contexte colonial et ont avec l'administration des relations soit conflictuelles, soit de<br />

coopération et/ou de coopération selon les circonstances. La puissance dominante<br />

soucieuse des rapports de forces mais surtout de ses intérêts utilise telle ou telle<br />

ligne politique dans ces rapports. Ainsi, elle peut encourager, combattre, corrompre,<br />

rester indifférente ou parfois conjuguer divers éléments à la fois, l'important pour<br />

elle étant de rester, en permanence, maîtresse du jeu. La variété et l'importance des<br />

moyens mis à contribution (puissance policière ou militaire ou hiérarchique, argent,<br />

promotion par les distinctions honorifiques, emploi, etc.) répondent certes à<br />

l'objectif que se fixe la puissance coloniale, mais aussi à l'évolution de la situation<br />

aussi bien au plan local que métropolitain et même international.<br />

La contribution ou non de groupes de pression à la réalisation de<br />

l'objectif du colonisateur est largement fonction de la nature même de ceux-ci, mais,<br />

aussi de leur niveau de prise de conscience de la nature du système de domination.<br />

C'est pourquoi les relations entre l'administration et les groupes de pression restent<br />

complexes même si on peut distinguer globalement des forces acceptant de<br />

composer et d'autres qui refusent. On remarque qu'une évolution peut intervenir<br />

dans tel sens ou dans tel autre, parce que si l'administration à ses objectifs, ses<br />

méthodes, ses pratiques et ses moyens, les groupes aussi ont les leurs et parfois il y a<br />

recoupements, parfois divergences.<br />

Les moyens dont dispose ces forces en présence pour exprimer leurs vues<br />

sont différents. Globalement les moyens modernes comme la radiodiffusion, la<br />

presse, le téléphone, télégraphe, télex, etc, sont entre les mains des groupes de<br />

Français d'origine métropolitaine. Par contre les autochtones colonisés s'appuient<br />

sur des moyens traditionnels comme la rumeur publique, les tam-tam, la chanson,<br />

l'habillement, le "fanal", etc. Cependant, les Africains ont recours à ces moyens<br />

modernes selon leurs besoins, leurs moyens matériels et financièrs, etc, mais aussi<br />

leur degré d'organisation ou leur niveau d'intégration dans la superstructure ou<br />

l'infrastructure du colonisateur. Les groupes de pression "européens" n'hésitent pas,<br />

si le besoin se fait sentir, à faire appel aux moyens traditionnels. Cependant pour<br />

\ l'essentiel, ces moyens d'information de communication et d'expression restent<br />

distincts car ceux modernes ne sont pas, en général, à la portée des autochtones<br />

t chez lesquels l'alphabétisation reste faible empêchant ainsi de lire les journaux ou<br />

d'écouter les informations radiophoniques qui utilisent avant tout le français comme<br />

langue. Le cas de la radiodiffusion est certainement à ce niveau, un l'exemple<br />

significatif. Le coût d'un poste récepteur radio tout comme ses conditions<br />

d'installation et d'entretien dépasse largement les faibles disponibilités financières<br />

504


Ces élites s'engagent dans la gestion népotiste et du laisser-aller créant<br />

même, dans une certaine mesure, les conditions du gaspillage de l'héritage reçu. Les<br />

masses urbaines surtout mais également celles de campagnes sont marginalisées<br />

dans ce contexte. Et pourtant, un certain langage nationaliste a cours puisque les<br />

nécessités de la construction d'un "Etat national" sont largement invoquées.<br />

Cependant, les efforts et sacrifices exigécl; des masses pour cette édification ne<br />

concernent pas ces héritiers qui font les loïl, les appliquent sans contre-poids aucun.<br />

En orchestrant la division dans les mouvements politique, syndical, de<br />

jeunesse, de femme, associatif, étudiant, etc... dans le but de mieux contrôler, le<br />

pouvoir crée ainsi des bases réelles de sa survie ; mais par là-même, de manière<br />

inconsciente certes, il fragilise les fondements de cet Etat au nom duquel tout est<br />

justifié.<br />

En somme, dans cette période 1945-1960, la vie quotidienne n'a pas été<br />

facile pour la grande masse de la population. Certes, à l'étape colonial, cette<br />

situation est une logique car, avant tout, comptent les intérêts du dominateur. Dans<br />

un processus de marche vers l'indépendance, normalement la tendance doit se<br />

renverser mais à condition que le colonisateur ne choisisse pas et n'installe pas son<br />

remplaçant. Or, c'est bien cette situation qui se produit: les élites politiques<br />

choisies et conseillées ont charge, sous les apparences de l'indépendance, de<br />

conduire la barque "Sunugal" (104).<br />

A travers cette étude nous avons tenté de cerner les conditions<br />

d'ensemble de la vie quotidienne de la population dakaroise. Divers facteurs<br />

influencent cette manière de vivre: parmi eux les plus importants restent la volonté<br />

du colonisateur et la capacité des autochtones à prendre en charge leur propre<br />

destin. Par cette étude de la vie quotidienne à Dakar, nous avons voulu apporter<br />

une simple contribution à une recherche dont l'objectif serait de savoir comment le<br />

phénomène historique de la colonisation influence le devenir des peuples dominés.<br />

104. Terme wolof qui signifie notre pirogue. Il fonde l'une des hypothèses de l'origine du nom du pays<br />

Sénégal.<br />

506


ANNEXES.<br />

507


Même dossier.<br />

M.F.O.M Direction af. polit. 2e bureau.<br />

1949-1953. Nombre de pèlerins AOF/Togo (avion et bateau).<br />

Années AOF/Togo Sénégal<br />

1950 359<br />

1951 449 292<br />

1952 642 180<br />

1953 849<br />

1954 1020<br />

509


MUNICIPALITE DE DAKAR<br />

Effort en matière de bourses scolaires.<br />

de 1947 à 1957<br />

Source: dos IF17. Archives. Mairie de Dakar.<br />

1. Etudiants ayant terminé leurs études<br />

Ingénieurs: 8<br />

docteurs en droit: 3<br />

docteurs en médecine: 13<br />

licenciés es lettres: 17<br />

TOTAL: 41<br />

2. Poursuivant encore les études<br />

enseignement supérieur: 24<br />

enseignement Secondaire: 31<br />

établissement locaux/Sénégal : 10<br />

TOTAL: 65<br />

510


VILLE<br />

CANDIDATS CONSEILLERS MUNICIPAUX LEBOUS DE DAKAR-<br />

Pour les Elections Municipales du 26 Avril 1953<br />

sur la liste du Parti Socialiste S.F.I.O<br />

====================<br />

La Collectivité Lébous de DAKAR, par la voie de ses Représentants<br />

Coutumiers, réunis à Dakar, le Jeudi 16 avril 1953, à 10 heures du matin, Chez EI­<br />

Hadji M'BOR DIAGNE, "N'DEYEDJIREV" A Dakar Santhiaba.<br />

A décidé la désignation de ses Candidats Conseillers Municipaux pour<br />

les Elections Municipales du 26 Avril 1953 et sur la Liste du parti Socialiste S.F.I.O.<br />

Ont été choisis à cet effet les personnes dont les noms sont cités ci­<br />

après suivant les milieux qui les ont désignés./-<br />

_1°/_ POUR LES PRINCIPAUX DE DAKAR: M'BENGA Amat dit<br />

Thierno, Conseiller sortant;<br />

Conseiller sortant;<br />

Notable;<br />

Conseiller sortant;<br />

_2°/_ POUR LES DIAMBOURS<br />

SENE Boubacar (El-Hadji).<br />

_3°/_ POUR LES FREYS GAYE SOUCLEYMANE, Propriétaire<br />

_4°/_ POUR LES PINTH DE KAYE-FINDIW<br />

DIOP Samba,<br />

_5°/_ POUR LE PINTH DE THIEDEME El-Hadji M'Baye<br />

M'BENGUE, Propriétaire, Notable;<br />

Conseiller sortant;<br />

-6°/- POUR LE PINTH DE SANTHIABA BARRY Amadou,<br />

-1"/- POUR LE PINTH DE M'BAKEUNDA SY Abdoulaye dit<br />

Amadou, Conseiller sortant;<br />

_8°/_ POUR LE PINTH DE GOUYE - SALANE: El-Hadji GASSAMA<br />

Cheik, Interprète Judiciaire à Dakar;<br />

-9°/- POUR LE PINTH DE M'BOTH : PAYE Djigo, Conseiller sortant.<br />

511


_10°/_ POUR LE PINTH DE KHOCK : El-Hadji GUEYE Mamadou,<br />

Commis Cadre Commun-Supérieur;<br />

_11°/_ POUR LE PINTH DE N'GARAFF : DIACNE Abdoul-Hamid,<br />

Propriétaire Notable de Dakar;<br />

_12°/_ POUR LE PINTH DE YAKHADIEUF : CISSE Omar dit El­<br />

Hadji N'Galla, Conseiller sortant;<br />

_13°/- POUR LE PINTH DE DIECKO : DIAGNE Arthur, Commis­<br />

Expéditionnaire;<br />

_14°/_ POUR LE PINTH DE THIEF-IGNE FAIL Abou Adolphe,<br />

Commis à Direction Générale de l'Enseignement;<br />

- 15°/_ POUR LE PINTH DE KAYE OUSMANE DIENE : DIENE<br />

Babacar, Propriétaire à Dakar./-<br />

SIGNATAIRE:<br />

A DAKAR, LE 16 AVRIL 1953.<br />

GRAND SERIGNE:<br />

512


etraite, S.F.I.O.<br />

d'honneur, S.F.I.O.<br />

--- -----<br />

ELECTION MUNICIPALES DU 26 AVRIL 1953<br />

COMMUNE DE DAKAR<br />

CANDIDATS DE LA LISTE SOCIALISTE S.F.I.O. -REPUBLICAINE<br />

1. - Lamine GUEYE, Avocat, S.F.I.O.<br />

2. - ANDREI Dominique, Assureur, Radical-Socialiste.<br />

3. - BA Amadou, Commis principal hors classe des Trésoreries en<br />

4. - BA Magatte (El Hadj), Commerçant, Chevalier de la Légion<br />

5. - BARRY Mamadou (El Hadj), Chef de service à la Régie des<br />

Chemins de Fer de l'A.O.F., S.F.I.O.<br />

S.F.I.O.<br />

6.. BONIFAY Paul, Avocat, Chevalier de la Légion d'honneur, S.F.I.O.<br />

7. - CAHUZAC Paul, Employé de commerce, S.F.I.O.<br />

8. - CISSE Oumar dit N'GALLA (El Hadj), Chef-Comptable à la E.C.A.,<br />

9. - DIAGNE Abdoul Hamid, Propriétaire, S.F.I.O.<br />

10. - DIALLO Demba, Chef de bureau des Services Financiers, Chevalier<br />

de la légion d'honneur, S.F.I.O.<br />

des Douanes, S.F.I.O.<br />

11. - DIAW Guibril, Commis principal hors classe du Cadre supérieur<br />

12.• DIOP Amadou, Commis principal à la E.A.O., S.F.I.O.<br />

13. - DIOP Bara (El Hadj), Chef du bureau d'études à la Direction<br />

générale des Travaux Publics, S.F.I.O.<br />

14. - DIOP Momar Marième, Commerçant, S.F.I.O.<br />

15. - DIOP Samba, Commis principal hors classe du Cadre Supérieur des<br />

Services administratifs, S.F.I.O.<br />

16. - FALL Abou Adolphe, Commis à la Direction générale de<br />

l'Enseignement, S.F.I.O.<br />

S.F.I.O.<br />

17. - GASSAMA Cheikh (El Hadj), Interprètre judiciaire, S.F.I.O.<br />

18. - GUEYE Abdoulaye Bamar, Propriétaire de l'AO.F., S.F.I.O.<br />

19. - KONATE Mamadi, Instituteur du Cadre supérieur de l'A.O.F.,<br />

20. - LY Ousmane, Employé principal du Cadre commun supérieur à la<br />

Direction du Service de Santé de l'A.O.F., S.F.I.O.<br />

21. - MAILLAT Adolphe, Officier d'artillerie en retraite, Chevalier de la<br />

Légion d'honneur, S.F.I.O.<br />

513


S.F.I.O.<br />

Douanes, S.F.I.O.<br />

22.• M'BACKE Amadou, Instituteur du Cadre Supérieur de l'A.O.F.,<br />

23. - M'BENGUE Moctar dit M'BAYE (El Hadj), Propriétaire, P.T.T.<br />

24.• M'BENGUE Paute, Commerçant, S.F.I.O.<br />

25. - M'BENGUE Thierno Amath, Comptable, S.F.I.O.<br />

26. - N'DIAYE Guibril dit DJIM, Commerçant, S.F.I.O.<br />

27. - N'DIAYE Mamadou (El Hadj), Commerçant, S.F.I.O.<br />

28. - NIANG Amadou (El Hadj), Commerçant, S.F.I.O.<br />

29. - PAYE Djibril dit DJIGO, Electricien, S.F.I.O.<br />

30. - SA.M Malick, Commis principal hors classe du Cadre Supérieur des<br />

31. • SENE Boubakar (El Hadj), Clerc de notaire, Chevalier de la<br />

Légion d'honneur, S.F.I.O.<br />

32. - SINIBALDI Jean, Retraité F.O.M., Officier de réserve, Croix de<br />

guerre, Officier d'académie, Radical-Socialiste.<br />

33.• SY Abdoulaye dit MiADOU, Employé de commerce, S.F.I.O.<br />

34. - THIAW Ibra Abdoulaye (El Hadj), Agriculteur, chevalier de la<br />

Légion d'honneur, S.F.I.O.<br />

d'honneur, S.F.I.O.<br />

35. - THIAM Marne Bocar, Propriétaire, Chevalier de la Légion<br />

36.. THURET André, Directeur de Société, membre du bureau de la<br />

Chambre de Commerce de Dakar, Chevalier de la Légion d'honneur Croix de<br />

Guerre.<br />

37.. TRAORE Mamadou, Médecin africain principal.<br />

514


Le ministre de la France d'Outre-Mer<br />

à<br />

Monsieur le Haut-Commissaire de la République<br />

Gouverneur Général de l'Afrique Occidentale Française<br />

DAKAR<br />

Objet:<br />

Elections Municipales.-<br />

J'ai attendu que la promulgation de la Loi du 18 Novembre 1955 ait<br />

mis un terme, que je désirerais définitif, aux préoccupations nées de l'annulation par<br />

la le Conseil d'Etat des Elections Municipales de Dakar, pour vous faire connaître<br />

mon sentiment sur une affaire qui a trop longtemps retenu l'attention du<br />

Département.<br />

Je vous avais déjà exprimé dans mon télégramme du 5 novembre 1955<br />

à quel point j'estimais regrettable que des problèmes mineurs, tels que ceux posés<br />

par la confection des listes électorales d'une commune si importante soit-elle,<br />

n'aient pu recevoir une solution satisfaisante sur le plan local, et que leur règlement<br />

ait nécessité l'intervention du pouvoir central.<br />

Même dans un système fortement centralisé, il serait difficilement<br />

admissible que des questions de cette nature soient déférés pour décision au<br />

Gouvernement.<br />

Comme vous le savez, notre organisation politique et administrative<br />

est fondée sur un partage des responsabilités entre diverses autorités; son bon<br />

fonctionnement implique que chacune de ces autorités exerce pleinement la totalité<br />

des attributions qui sont siennes. Lorsque le pouvoir central se voit obligé de<br />

prendre des responsabilités qui incombent normalement aux autorités<br />

subordonnées, il en résulte le plus souvent des situations préjudiciables à la bonne<br />

marche de l'Administration comme à la saine gestion des affaires publiques. Ainsi<br />

que le relevait déjà mon télégramme précité du 5 Novembre, de telles pratiques<br />

font perdre aux autorités décentralisées leur raison d'être, leur prestige et leur<br />

efficience. Les administrés, et surtout leurs élus, prennent l'habitude fâcheuse de<br />

porter leurs affaires directement à l'échelon du pouvoir central alors que la solution<br />

se trouve dans la quasi totalité des cas à leur portée immédiate, c'est-à-dire à<br />

l'échelon des autorités locales. Ainsi la notion même d'autonomie administrative se<br />

trouve-t-elle peu à peu vidée de son contenu.<br />

515


Dans l'affaire des Elections Municipales de Dakar, je ne sauraIs<br />

admettre que les autorités de tutelle puissent repousser la responsabilité qui leur<br />

incombe en tirant argument de l'annulation par le Conseil d'Etat des opérations<br />

électorales du 26 Avril 1953, annulation survenue quelques mois seulement avant la<br />

mise en application de la nouvelle Loi municipale et quelques semaines avant le<br />

début de la révision normale des listes électorales.<br />

Le premier devoir de ces autorités de tutelle consistait à veiller en<br />

permanence à la bonne tenue des listes électorales: or, c'est le désordre, reconnu<br />

par tous, de ces listes qui est à l'origine même de l'affaire, et qui a contraint<br />

l'Administration, à tous ses échelons, à des efforts presque acrobatiques pour éviter<br />

les fâcheuses conséquences de cette carence initiale.<br />

La révision des listes électorales est un acte administratif sur<br />

l'importance duquel plusieurs circulaires ministérielles ont appelé régulièrement<br />

votre attention, vous invitant à donner les instructions nécessaires en la matière. De<br />

plus, c'est un acte administratif annuel: le contrôle de sa bonne exécution ne saurait<br />

donc être entrepris seulement à la veille d'élections générales ou partielles.<br />

Je n'ignore pas que le Président de l'Assemblée de territoriale du<br />

Sénégal n'a pas fait diligence pour adresser au Gouverneur du Sénégal le procès­<br />

verbal de la séance au cours de laquelle fut adoptée la délibération du 14 Décembre<br />

1954 portant sectionnement électoral de Dakar.<br />

Mais, il apparaît que, du 29 Janvier 1955, date de la notification de la<br />

délibération précitée, au 31 Mars 1955, date de la clôture des listes électorales,<br />

aucune injonction n'a été adressée au Maire de Dakar afin que les commissions<br />

administratives dressent les listes électorales par section avant leur clôture.<br />

Au surplus, si l'annulation des opérations des commissions<br />

administratives de la commune de Dakar avait été demandée, en son temps, au<br />

Tribunal civil de Saint-Louis par le Gouverneur du Sénégal dans les deux jours qui<br />

suivaient la réception du tableau rectificatif, le Tribunal n'aurait pas manqué<br />

d'annuler les opérations effectuées, si j'en juge par les indications que vous m'avez<br />

données. Le Tribunal aurait pu dès lors fixer le délai dans lequel les opérations<br />

annulées auraient dû être reprises.<br />

En résumé, l'ensemble des difficultés dont vous avez fait état auraient<br />

été sans doute évitées, si les autorités locales, sous votre contrôle hiérarchique et<br />

516


PROCES-VERBAL<br />

de la réunion de la COLLECTIVITE LEBOUE, tenue<br />

le Dimanche 3 Janvier 1954 chez M. El-Hadji<br />

M'Bor DIAGNE, Maire Indigène de le Collectivité<br />

================<br />

Etaient présents: M.M.<br />

- El-Hadji fbrahima DIOP, Grand Sérigne,<br />

- El-Hadji Alié Codou N'DOYE, Diaraffe,<br />

- El-Hadji Amadou Lamine DIENE, Grand Imam,<br />

- El-Hadji Amadou Assane N'DOYE,<br />

- El-Hadji Cheickou DIOP<br />

- El-Hadji Amadou Ousmane M'BENGUE,<br />

- El-Hadji Ibrahima SOW,<br />

Les 12 Chefs de Quartiers de Dakar ainsi que les Chefs de la Banlieue;<br />

Ouakam - N'Gor - Yoff - Cambèrène, Yeumbeul - Thiaroye - M'Bao<br />

Les conseillers Municipaux: PAYE Djigo - DIOP Samba, - El-Hadji<br />

Amadou N'DIAYE - ABdoulaye GUEYE Bamar - El-Hadji Amadou NIANG ­<br />

DIOP Mamadou Doudou - DIOP Mornar Marième et F ALL Abou Adolphe qui est<br />

chargé de rédiger le Procès-Verbal.<br />

M. El-Hadji M'bor DIAGNE, ouvre la séance en demandant à toute<br />

l'Assemblée, de procéder à la récitation de la prière traditionnelle avant d'aborder<br />

les débats. Puis, il passe la parole à M. BAYE Djigo, Adjoint au Maire.<br />

M. PAYE Djigo, prenant la parole exprime tous ses remerciements à<br />

l'ensemble des notables venus nombreux répondre aux convocations qui leur ont été<br />

adressées. Par votre présence, il est désormais démontré que la Collectivité Léboue<br />

est résolument décidée à surmonter toutes les difficultés pour parvenir au but<br />

suprême de la réconciliation et ceci dans un esprit de franchise et d'honnêteté.<br />

L'objet de la convocation, poursuit-il est le suivant: M. Le Maire de<br />

Dakar et la Mairie de DAKAR ont été invités par l'Autorité de Tutelle, M. le<br />

Gouverneur GOUJON, exécutant un projet de délibération du Conseil Territorial<br />

du Sénégal à l'effet de sectionner la Ville de DAKAR en 4 circonscriptions<br />

territoriales pour les prochaines élections. Selon le projet, DAKAR par ce<br />

découpage aurait sa représentation complètement modifiée et ceci au plus grand<br />

désavantage de la Collectivité Léboue. Ce découpage comprendrait désormais la<br />

physionomie suivante: de l'Avenue Gambetta, l'Avenue Maginot jusqu'au Cap­<br />

Manuel et vers le port, appelé le 1er Secteur, serait attribué 18 Conseillers, de<br />

l'Avenue Gambetta, l'Avenue Jauréguibéry, l'Avenue Clémenceau, l'Avenue Blaise<br />

5-18


DIAGNE jusqu'à la route des Puits vers la mer, devenant le 2 0<br />

secteur avec la<br />

possibilité d'élire 6 conseillers, le même côté droit jusqu'à la route des Puits<br />

deviendrait le 3 0<br />

Secteur pour élire également 6 conseillers; de la route des Puits<br />

vers N'Gor et jusqu'à M'Bao en somme toute la Banlieue deviendrait le 4 0<br />

avec la possibilité d'élire 7 conseillers.<br />

Secteur<br />

Tout ceci ne vise en dernier ressort que la Collectivité Léboue qui a la<br />

possibilité, de par ses traditions de choisir au sein des quartiers les différents<br />

Conseillers groupant pour l'ensemble de Dakar et sa Banlieue 18 Conseillers.<br />

L'Administration du Sénégal assez gênée dans sa politique de déposséder la<br />

Collectivité de ses terres, après de l'échec de Begnoul, trouve mieux de contourner<br />

la difficulté en éliminant la Collectivité Léboue de toute représentation forte au<br />

sein des Assemblées particulièrement dans la Municipalité de Dakar.<br />

De par cette situation s'en est fait de toute représentation Léboue. Ce<br />

qui conduira dans un bref avenir à l'éviction de la Collectivité dans l'une des plus<br />

importantes Assemblées: le Conseil Municipal.<br />

Les conseillers Léboues en parfaite communauté d'idée avec M. le<br />

Maire BONNIFAY et l'ensemble de leurs collègues, ressortissants et Européens ont<br />

marqué leur entière solidarité avec la Collectivité Léboue et ont rejeté<br />

unanimement la proposition soumise par le Gouverneur du Sénégal. Ne voulant pas<br />

seulement s'en tenir à cette situation, ses Collègues et lui-même avaient jugé utile<br />

d'en rendre compte aux différentes Notabilités de la Collectivité Léboue sans<br />

distinction d'étiquette politique, afin que celles-ci puissent à leur tour prendre leur<br />

responsabilité par une action vigoureuse de protestation.<br />

M. El-Hadji Amadou Assane N'DOYE, demande la parole et déclare<br />

que dès qu'ils ont été avertis de cette proposition, ses camarades et lui ont été<br />

rendre visite d'abord à MO BOISSIER-PALUN pour s'informer; celui-ci ne leur<br />

ayant donné aucun renseignement précis, ils sont ensuite allés voir M. Robert<br />

DELMAS qui leur explique avoir une vague souvenance de cette affaire, mais qu'il<br />

lui était impossible de donner des précisions très détaillées.<br />

A son avis, la ville de Dakar par son étendue et sa population n'a pas<br />

encore atteint le stade des grandes villes Métropolitaines telles que PARIS, LYON<br />

et MARSEILLE pour être divisé en Arrondissements et Secteurs. Ceci, poursuit-il<br />

ne vise qu'à détruire la Collectivité Léboue que l'Administration tant du<br />

Gouvernement Général que du Gouvernement du Sénégal trouve trop gênante. Car<br />

seule la Collectivité Léboue de par sa situation de détentrice d'une importante<br />

partie du domaine de la Presqu'Ile du Cap-Vert avait la possibilité jusqu'à présent<br />

de choisir ses Conseillers parmi ses enfants issus des divers quartiers de Dakar et de<br />

la Banlieue. Devant une pareille situation pleine d'incertitude pour l'avenir, il se<br />

519


solidarise avec ses collègues Conseillers Municipaux et qu'il les approuve<br />

entièrement dans leur refus de sectionner la Ville comme l'avait proposé le<br />

Gouverneur du Sénégal. A son avis, poursuit-il, il conviendrait à ce que les<br />

Conseillers Municipaux puissent leur donner communication du dossier relatif à<br />

cette affaire afin de pouvoir exprimer une opinion sans équivoque et en toute<br />

connaissance de cause. Admettre cette situation conclut-il conduirait à jeter par<br />

dessus bord tout le sacrifice consenti si douloureusement à travers notre brillante<br />

histoire locale tout ce qui a fait la grandeur de la Collectivité et qui nous a valu tant<br />

d'admiration de la part de Européens comme de nos frères Africains des autres<br />

territoires.<br />

M. PAYE Djibo, demande la parole pour rendre hommage à son aîné<br />

Amadou N'DOYE, qui de par sa clairvoyance et son esprit de bon sens a su déceler<br />

sans difficulté l'objectif visé par l'Administration qui a voulu profiter d'une situation<br />

politique confuse pour saper les bases mêmes de la société africaine. Tant que<br />

Goujon et sa bande seront à la tête de ce pays, nous devons nous attendre à des<br />

difficultés sans cesse croissantes et qui conduiront fatalement à cet incendie<br />

destructeur qui consume l'une des plus belles fleurs de l'Union Française.<br />

M. El-Hadji Ibrahima SOW, demande ensuite la parole pour poser<br />

quelques questions: la de par qui émane la proposition de sectionnement de Dakar<br />

? de l'Assemblée Territoriale lui répond PAYE Djigo.<br />

M. EI-Hadjou Amadou Ousmane M'BENGUE s'étonne qu'aucun<br />

Conseiller ne puisse apporter par devers lui le projet de sectionnement, alors que<br />

pendant qu'il était Conseiller Municipal chaque projet de délibération comportait<br />

un dossier qui était distribué à l'ensemble du Conseil Municipal et<br />

individuellement; il serait impossible poursuit-il d'exprimer une opinion sérieuse, ce<br />

qui a pour résultat de compromettre la solution de cette si importante affaire.<br />

M. El-Hadji Cheickou DIOP, approuvant pleinement M. M'BENGUE<br />

demande de suspendre cette réunion à laquelle tout caractère sérieux est désormais<br />

enlevé.<br />

M. PAYE Djigo, proteste et recommande à ses collègues de<br />

s'entourer d'un maximum de courtoisie afin de ne pas par des propos inconsidérés<br />

provoquer la susceptibilité de leurs camarades du Conseil Municipal, qui ont avec<br />

une franche et parfaite honnêteté expliqué à toute la Collectivité Uboue sans<br />

considération d'étiquette politique le véritable danger qui menace cette même<br />

Collectivité à laquelle ils font partie intégrante. Pour ce qui concerne la<br />

communication du dossier, il venait de téléphoner chez M. le Maire pour le lui<br />

520


éclamer, mais que malheureusement celui-ci était absent, par conséquent, ils<br />

s'engage, dès Lundi matin à le réclamer à M. le Maire pour ensuite le remettre à M.<br />

El-Hadji Amadou Assane N'DOYE pour que celui-ci en donne lecture et<br />

explication à la prochaine réunion.<br />

M. DIOP Samba, répondant à M. M'BENGUE Amadou Ousmane,<br />

explique que du fait que le dossier n'était qu'à l'échelon projet de délibération ce<br />

qui suppose s'il n'était pas définitivement adopté, M. le Maire ne pouvait pas ou n'a<br />

pas dû juger utile de soumettre cette affaire au Conseil Municipal en communiquant<br />

individuellement à chaque Conseiller le dossier. Néanmoins, ses Collègues<br />

Conseillers Municipaux Lébous peuvent facilement obtenir communication de tout<br />

ou partie de ce dossier pour ensuite le communiquer à la Collectivité.<br />

M. El Hadji Ibrahima DIOP - Grand Sérigue - intervenant à son tour<br />

recommande à l'Assemblée à ce que chaque Lébou puisse mesurer la portée de ses<br />

propos afin de ne pas détruire le caractère important de cette affaire, il demande<br />

surtout de ne pas entourer cette affaire d'un caractère passionnel. Car, poursuit-il<br />

l'histoire nous jugera demain soit pour nous féliciter soit pour nous condamner. A<br />

son avis il y avait pas lieu de continuer à demander la parole pour exprimer les<br />

mêmes propos, ce qui nous conduira fatalement à rendre inutile cette réunion.<br />

L'essentiel de cette affaire a été dit par M.M. N'DOYE et PAYE.<br />

M. El-Hadji Ousmane DIOP - N'Dèye y N'Diambour - arrivant demande<br />

la parole pour s'excuser de son retard et rendre compte à l'Assemblée dans quelle<br />

situation humiliante M. DIOP Bara, Conseiller Municipal veut le conduire, du fait<br />

qu'un de ses locataires, repris de justice et employé municipal ayant été sévèrement<br />

frappé par des Gendarmes auxquels il avait volé du linge, s'apprête à le traduire<br />

devant le Tribunal pour coups et blessures. Il ne pourra y avoir de réconciliation<br />

parfaite qu'autant que le Lébou sera respecté en tant que tel sans considération<br />

d'étiquette politique. Sinon, il préférerait continuer la lutte contre certains<br />

Conseillers Municipaux.<br />

M. El-Hadji Amadou Assane N'DOYE. déclare que du fait que M.<br />

Ousmane DIOP a porté cette affaire devant la plus haute instance de la Collectivité,<br />

cette affaire devrait à son avis être confiée à ses Collègues Conseillers Municipaux<br />

pour qu'ils mettent fin aux agissements de leur collègue DIOP Bara.<br />

M. PAYE Djiggo, au nom de ses collègues et en son nom personnel<br />

prend l'engagement d'instruire cette affaire pour lui trouver une solution.<br />

521


M. El-Hadji M'Bor DIAGNE, intervenant à son tour demande à<br />

l'Assemblée de témoigner ses félicitations aux Conseillers Municipaux qui ont su<br />

avec un courage sans égal rejeter la proposition du Gouverneur du Sénégal et en<br />

même temps rendre hommage aux: différents orateurs qui ont tour à tour pris la<br />

parole, notamment M. El-Hadji Amadou Assane N'DOYE qui a su avec<br />

clairvoyance expliquer l'essentiel de cette situation. Dans ces conditions, pour que<br />

notre action puisse porter ses fruits, il convient de communiquer à l'Assemblée le<br />

dossier de cette affaire.<br />

M. El-Hadji Amadou N'DIAYE, intervient pour indiquer que M. le<br />

Gouverneur ayant indiqué comme délai limite le 31 Décembre 1953, il y avait lieu à<br />

son avis de prendre position dans les plus brefs délais, que tout ce qu'il faut faire, il<br />

yale facteur temps. Aussi une réunion très prochaine et dont il convient d'en fixer<br />

la date immédiatement était indispensable.<br />

Certains notables ayant proposé la date de Dimanche 10 janvier ­<br />

notamment M.M. El-Hadji Cheikhou DIOP et Ousmane DIOP; M. Diogal SAMBE<br />

Chef du Village de N'Gor, intervenant propose de trouver un jour intermédiaire<br />

entre Mardi et Dimanche.<br />

M. El-Hadji Amadou Assane N'DOYE, demande la parole et déclare<br />

que la journée de Jeudi pouvait largement convenir à tout le monde d'autant plus<br />

qu'indépendamment de la communication du dossier par PAYE Djigo, ses<br />

camarades et lui-même se doivent de s'informer auprès des différents Bureaux<br />

administratifs (soit à la Délégation, soit au Gouvernement Général) afin de<br />

posséder une certaine documentation qu'ils se proposent de soumettre à<br />

l'Assemblée.<br />

L'Assemblée étant d'accord sur la journée de Jeudi pour la prochaine<br />

réunion, on propose de lever la séance qui a effectivement eu lieu à 13 heures.<br />

Après que M.le Maire Indigène El-Hadji M'Bor DIAGNE ait proposé de retenir<br />

un grand nombre parmi l'Assemblée à dîner chez lui.<br />

FAIT à DAKAR, le 3 Janvier 1953<br />

Le Conseiller Municipal, Secrétaire de séance<br />

FALL Abou Adolphe<br />

522


Caricature VII. Caricature sur l'exploitation coloniale7.<br />

Le pêcheur de capitaux: une caricature de .La LUt1e-, stigmatisantrexploitation cok:>niale<br />

7. Extrait de la "Lutte" repris par "Gëstu" N°24, Août 1987.<br />

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197 Vallée (Olivier) "Je salue Dakar". in Revue Autrement.<br />

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198 Vieyra (Paulin) "Quand le cinéma français parle au nom de<br />

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199 Vieyra (Paulin) "Où en sont le cinéma et le théâtre<br />

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Sans Auteurs<br />

"Le communisme et l'influence soviétique en AOF"<br />

in Revue de la Communauté franco-Eurafrigue-Union Francaise<br />

et Parlement. n° 100 - Paris 1959.<br />

552


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Africaine. Paris - janvier 1957 pp. 48 à 56 et pp. 142 à 163.<br />

VI Conférences - rapports - Discours - séminaires -<br />

colloques - congrès symposiums.<br />

- Diop (Issa) Etude sur la situation de la jeunesse au<br />

Sénégal.-avis n° 66-0 6 du ConSEil Economique et Social.<br />

Dakar. 1966. 257 pages.<br />

- Dreyfuss (Jean) Une expérience d'auto-construction à<br />

Dakar. in travaux du colloque. 2è session - conférence<br />

inter-africaine. Nairobi. 1959.<br />

-Gouse (Françoise) et Bathily (Arona) Réflexions sur<br />

l'Education. Impact de l'Ecole importée in travaux<br />

séminaire du CRDI et de ENDA. Dakar-Février 1976<br />

- Hauser (A) L'émergence des cadres de base africains dans<br />

l'industrie:. Le cas du Sénégal. in travaux colloque<br />

d'Ibadan. Bulletin IFAN. Dakar. juillet 1964.<br />

- N'Sougan (Agblémagnon) Responsabilités des élites dans la<br />

prise de conscience des problèmes actuels. in travaux<br />

colloque de psychologie des élites d'Afrique noire face<br />

au monde technique. Paris C.H.E.A.N. Mars 1965.<br />

-d'Arboussier (Gabriel) L'Afrique vers l'unité. Dakar.<br />

discours programme à la session du Grand Conseil de<br />

l'AOF. Dakar. 3 avril 1958. Editions Saint Paul 15 pages.<br />

- Olivier (Laurent) Dakar et ses banlieues in travaux<br />

colloque organisé par l'université de Bordeaux. Talence.<br />

sur la croissance urbaine. Sept. 1972.<br />

- Pasquier (Roger) La formation des cadres syndicalistes.<br />

L'exemple de la C.F.T.C. in travaux colloque problèmes de<br />

la décolonisation de l'Empire français. Paris. oct. 1984.<br />

- Radio France-Internationale et Présidence de la République du<br />

Sénégal (.. ) Rapport sur l'étude de l'auditoire de<br />

l'O.R.T.S. (Office de Radiodiffusion Télévision du Sénégal)<br />

Dakar 1976 75pages.<br />

- Radio France Internationale et Présidence de la<br />

République du Sénégal (... ) Rapport sur l'étude de la<br />

radiodiffusion nationale de Sénégal. étude d'auditeurs.<br />

Dakar 1972. 163 p.<br />

- Sylla (Ousmane) = structures familiales et mentalités<br />

religieuses des Lébous. Colloque de psychiatrie. Dakar.


BOS et d'autres partis. Il revient<br />

_ L'unité<br />

organe du BPS (Bloc Populaire Sénégalais) paraît à Dakar de<br />

1956 à 1958 date à laquelle une nouvelle fusion entre<br />

diverses formations politiques, aboutit à la création d'un seul p<br />

arti appelé U.P.S. (Union Progressiste Sénégalais) avec une<br />

autre journal ayant pour titre<br />

L'Unité Africaine<br />

organe central de l'UPS (UNion Progressiste Sénégalais) paraît<br />

à Dakar de 1958 à 1960<br />

Réveil<br />

Journal d'information politique qui devient progressivement<br />

organe central du R. D. A. , (Rassemblement Démocratique<br />

Africain) paraît à Dakar durant la période 1945-1956.<br />

est imprimé Après le désapparentement du RDA, Réveil restera l<br />

'organe de la section sénégalaise exclue du Parti et qui est<br />

l'UDS (Union Démocratique Sénégalaise)<br />

"Trait d'Union"<br />

bulletin intérieur de liaison de la section sénégalaise du RDA<br />

- l'UDS.<br />

L'Action<br />

Organe central de la section sénégalaise du RDA, cree après<br />

l'exclusion de l'UDS. Il est donc l'organe du MPS<br />

(Mouvement Populaire Sénégalais). Paraît à Dakar de 1954 - à<br />

1956.<br />

La Lutte<br />

Organe central du P.A.I. (Parti Africain de l'Indépendance)crée<br />

à partir de Octobre 1957. paraît à Dakar - jusqu'en<br />

1960 imprimé au départ, il sera surtout rénéotypé et<br />

essentiellement. -à partir de la clandestinité de ce parti<br />

politique.<br />

Monsarew<br />

Organe de la section sénégalaise du P.A.I. publié à Dakar à<br />

partir de Février 1958. Parution clandestine par la suite. Mais<br />

paraît durant toute la période 1958-1960.<br />

Defarsarew<br />

Revue théorique et politique du Comité Central du<br />

P.A.I. Paraissant à Dakar. Publiquement d'abord et<br />

clandestinement par la suite.<br />

Indépendance Africaine<br />

Organe central du P.R.A. (Parti du Regroupement<br />

Africain) paraît de la fin 1958 à 1960 (suite à la scis<br />

sion intervenue dans l'U.P.S. avec le réferendum de<br />

1958)<br />

555


X Journaux d'information et d'opinion<br />

Paris-Dakar:<br />

Quotidien, publié à Dakar toute la période 1945-1960<br />

imprimé.<br />

Echos d'Afrique Noire<br />

Sous-titre : Le grand hebdomadaire de défense<br />

française -anciennement :Echos de Guinée. puis<br />

Echos Africains : Dakar 1947 à 1950 il devient<br />

par la suite Echos d'Afrique noire. paraît à Dakar<br />

de 1950 à 1960. imprimé à Dakar puis au Maroc et<br />

ensuite à Dakar.<br />

Petit Jules Illustré<br />

paraît en rapport avec Echos d'Afrique noire dont<br />

il a le même fondateur Maurice Voisin. paraît à<br />

Dakar. imprimé.<br />

Annales Coloniales<br />

Dakar 1949. Hebdomadaire.<br />

Réveil<br />

(Voir liste des journaux de partis politiques).<br />

8frigue Nouvelle<br />

organe hebdomadaire de la hiérarchie catholique<br />

dakaroise paraît de juin 1947 à 1960. imprimé<br />

Afrigue noire<br />

hebdomadaire politique, économique, culturel, sportif<br />

-sous-titre: l'hebdomadaire de l'élite. paraît durant<br />

toute la période imprimé<br />

L'Eurafricain<br />

Bulletin d'information et de liaison de l'Union des<br />

Eurafricains d'AOF et du Togo. paraît à Dakar - imprimé<br />

1947 à 1960.<br />

Horisons Africains<br />

Revue de la hiérarchie catholique. paraît mensuellement à<br />

Dakar Mars 1947 à 1960.<br />

Informations Africaines<br />

Hebdomadaire économique et financière paraît à Dakar<br />

dès 1947. deviendra de 1959 à 1960 Guid'Ouest Africain.<br />

La Dépêche de Dakar<br />

Journal libanais paraissant à Dakar de 1953 à 1955<br />

Echos de Dakar bi-mensuel paraît en 1950<br />

556


XI Les journaux d'étudiants<br />

Dakar- Etudiant<br />

organe de l'Association générale des Etudiants de<br />

Dakar. paraît à Dakar en 1951 et jusqu'en 1960.<br />

Renéotypé durant toute la période .<br />

AGE-Presse:<br />

Bulletin de l'Association générale des Etudiants<br />

Français en Afrique noire. Paraît à Dakar.<br />

Imprimé.<br />

Jeunesse D'Afrique<br />

organe mensuel de l'Association des étudiants<br />

catholiques de Dakar. paraît à partir de 1955<br />

et jusqu'en 1960. imprimé<br />

L'Etudiant d'Afrique Noire:<br />

Organe de la FEANF (Fédération des Etudiants<br />

d'Afrique Noire en France) est publié à Paris<br />

de 1953 à 1960.imprimé<br />

La voix de l'Afrique noire:<br />

Bulletin mensuel de l'Association des Etudiants<br />

RDA. Publié à Paris début 1951 jusqu'en 1957.<br />

XII Journaux de Jeunesse<br />

Organe du Conseil de la jeunesse du Sénégal (C.J.S)<br />

publié à Dakar à partir de 1953 et jusqu'en 1960.<br />

ronéotypé.<br />

Jeunesse:<br />

Organe du Progrès de Dakar Théâtre - sport - musique<br />

paraît à Dakar à partir de 1952. ronéotypé.<br />

SAVOIR pour agir<br />

Bulletin mensuel publié à Dakar pour les secrétariats<br />

sociaux de Dakar et de Saint-Louis. paraît de 1954<br />

- à 1957. ronéotypé au départ, il sera imprimé pour<br />

la suite puis à partir de 1958, il deviendra<br />

Afrique - documents:<br />

paraît à Dakar jusqu'en 1960.<br />

anciennement = savoir-pour-agir.<br />

5'..; 7'


Bulletin - des Equipes enseignantes d'Afrique<br />

paraît à Dakar de 1953 à 1960.<br />

Lettres de la province<br />

Bulletin de l'association des scouts de France et<br />

d'AOF/Togo. paraît à Dakar 1955 à 1960.<br />

Le Cap-Verdien<br />

mensuel 1952<br />

Le Cocotier<br />

1951 à 1952 - Ronéotypé. Dakar<br />

Echos de la brousse :<br />

1952. Dakar<br />

Le Petit dakarois:<br />

1952 - 1953. Dakar<br />

Gerbe de l'AOF:<br />

Dakar - 1952.<br />

Rio:<br />

Rufisque 1951 - 1953<br />

XIII Publications à caractère syndical<br />

Journal de l'U.S.C.I.<br />

(Union syndicale des commerçants indépendants)<br />

paraît à Dakar. 1957 à 1960. ronéotypé.<br />

SUEL - Liaison<br />

Bulletin du Syndicat Unique de l'enseignement Laïc<br />

1955. paraît à Dakar. ronéotypé.-deviendra par la suite<br />

L'Ecole Sénégalaise<br />

Bulletin mensuel de liaison et d'information du<br />

syndicat unique de l'enseignement laïc.<br />

Le Travailleur d'Afrique noire<br />

Publié par l'UGTAN de 1956 à 1958.<br />

Le Mouvement Syndical africain<br />

Publié par l'UGTAN. 1958 à 1959<br />

La Vigilance<br />

Organe de l'UGTAN. Dakar. 1959. (UGTAN autonome)<br />

Le Travailleur du Sénégal<br />

Organe section UGTAN du Sénégal.<br />

La Voix du postier<br />

558


Organe de la fédération postale<br />

Le douanier<br />

Organe de la fédération des douaniers.<br />

Le Travailleur du parquet<br />

Organe du syndicat du même nom.<br />

Afrique - Police<br />

Organe du syndicat de policiers. Dakar juillet<br />

XIV Autres publications et études<br />

1958.<br />

Revue le Mali : publié à Dakar par la Direction de<br />

l'information de la fédération du Mali. Juillet 1959<br />

- Août 1960.<br />

Revue Série "Exposition" : La presse au Sénégal des<br />

origines à l'indépendance 1856 - 1960 par C.R.D.S.<br />

de Saint-Louis du Sénégal Saint-Louis. Exposition de<br />

1978<br />

Afrique histoire.<br />

paraissant à Dakar-trimestrielle. 1981 imprimé<br />

Gëstu.<br />

Revue de recherches marxistes<br />

mensuel.<br />

paraissant à Dakar. bi-<br />

Documents centraux<br />

(collection) publiés par le c.c. du P.r.T.Sénégal (Parti de<br />

l'indépendance du travail) à partir de 1984.<br />

Andë Sopi.<br />

a paru à Dakar de 1975 à 1980. mensuel. imprimé.<br />

directeurs de publication: Mamadou Dia et Maguette Thiam<br />

Le Soleil<br />

quotidien national du Sénégal. anciennement Dakar-Matin<br />

antérieurement Paris-Dakar.<br />

Jeune Afrique<br />

hebdomadaire - Paris<br />

Jeune Afrique Economie<br />

559.


XIV INTERVIEWS<br />

Jean Suret Canale: Professeur d'histoire à<br />

l'université de Paris VII. Paris. le 10 décembre<br />

1986. le 17 décembre 1986.<br />

Joseph Roger de Benoist : Historien-journaliste<br />

chercheur à l'IFAN de Dakar. Dakar les 30 novembre<br />

1988 et décembre 1988 et déc. 1988.<br />

Moustapha Diallo : Docteur, ancien président de l'AGED<br />

Association générale des étudiants de Dakar) ancien<br />

responsable de la FEANF (Fédération des étudiants<br />

d'Afrique noire en France). Dakar: le décembre 1988<br />

le 30 novembre 1988<br />

Abdoul Maham Bâ/expert géomètre et Youssou Diop<br />

administrateur civil Bâ: ancien président du Conseil<br />

de la jeunesse du Sénégal. Diop: ancien secrétaire<br />

général et ancien président du Conseil de la jeunesse<br />

du Sénégal. Dakar: le 24 janvier 1989 Interview réalisée<br />

avec les 2 de façon<br />

conjointe.<br />

Amadou N'dene N'dao : Inspecteur de<br />

l'enseignement en retraite homme politique - homme de<br />

culture.- ancien responsable syndical enseignant au<br />

niveau de l'AOF- ancien responsable du mouvement de la<br />

jeunesse. Dakar le 24 novembre 1988.<br />

Omar Kâne : Historien - professeur Université de<br />

Dakar. faculté des Lettres Dakar 12 Novembre 1988.<br />

Obéye Diop : journaliste - ancien ministre du Sénégal<br />

Paris - 27 Février 1989.<br />

Thierno Bâ : Homme de culture - homme politique ­<br />

ancien ministre du Sénégal - ancien syndicaliste<br />

enseignant. Dionewar - le 23 janvier 1988.<br />

_ Mohamed Faye : Directeur des études et des recherches<br />

à O.R.T.S. (Office de Radiodiffusion Télévision du<br />

Sénégal) Dakar - 13 Septembre 1986.<br />

_ Thierno Arnath Dansokho : Homme politique - ancien<br />

responsable de l'UGEAO (Union générale des Etudiants<br />

Afrique occidentale) Dakar-divers entretiens 77/88.<br />

Maquette Thiam : Homme politique - syndicaliste<br />

professeur - faculté des sciences Université de Dakar.<br />

Dakar septembre 1988.<br />

563


_ Saliou M'Baye : Directeur des des archives nationales<br />

du Sénégal. Building administratif Dakar - Octobre 1989.<br />

.. Ismaïla Niang : Inspecteur du trésor - ambassade<br />

Sénégal Paris. Le 2/4/1990.<br />

Entretiens : dans le cadre de la recherche pour la<br />

préparation de la mémoire de maîtrise mais largement<br />

utilisables pour cette thèse.<br />

-ont lieu de Mars à juin 1973 à Saint-Louis,<br />

Dakar, Rufisque, Bargny - Diourbel avec 15<br />

personnalités politiques, syndicales, anciens<br />

combattants, anciens militaires, responsables<br />

municipaux f marabouts, etc .<br />

Bâ Mactar -<br />

Bathily (El Hadj Mamadou) ­<br />

Diouf Adama -<br />

Diallo (El Hadj Doudou) ­<br />

Guèye (Doudou)<br />

M'Bengue (El Hadj Thierno Amath) ­<br />

Menedge (Léon) -<br />

N'Diaye (Adbou) -<br />

Sagna (Mamadou) -<br />

Sarr (Moustapha) -<br />

Vidal (Paul)<br />

XVI Emissions radiophoniques<br />

-Les porteurs de pancartes<br />

par O.R.T.S. - Dakar - chaîne Internationale.<br />

Sept 1987. Plusieurs invités - témoins de l'histoire. Sur<br />

l'arrivée de de Gaulle à Dakar le 26 août 1958.<br />

-Mémoire d'un continent<br />

Radio France Internationale.<br />

Paris - 13 juin 1988 - Djibo Bakary sur le référendum du 28<br />

sept. 1958<br />

-RFI 28 juin 1990 = émission spéciale sur le rapport de la Cour<br />

de Comptes sur la gestion 1989 des services et entreprises<br />

d'Etat en France.<br />

-Livre d'or<br />

Radio France Internationale. Paris. 25 oct. 1986<br />

Invité = Léopold Sédar Senghor<br />

-Confidences autour d'un micro<br />

Radio Sénégal - chaîne Internationale - Invité = Obèye Diop.<br />

-RFI. L'Afrique d'hier = invité = Seydou Badian Kouyateancien<br />

ministre du Mali. le 22/5/1990


Radio France Internationale<br />

Gaston Defferre s'éteint par Dembo Dieng<br />

Paris le 10 mai 1986.<br />

Radio France Internationale<br />

Le Centenaire de la Commune de Dakar. entretien avec Mamadou<br />

Diop. maire de Dakar. Paris 21 décembre 1987.<br />

RFl. Mémoire d'un continent<br />

L'itinéraire intellectuel et politique d'un militant du RDA.<br />

invité = Doudou Guèye. animateur l.B. Kaké. date: le 11/4/1979<br />

RFl : Mémoire d'un continent<br />

date: le 29 mai 1989. invité = Madame Claude Gérard ­<br />

animation = Ibrahima Baba Kaké. journaliste Agence de<br />

documentation, ancienne de la résistance.<br />

Défense des nationalistes malgaches, du RDA et du FLN.<br />

Création de l'"Afrique Information" "Afrique documents"<br />

"Inter Afrique Presse" = agence<br />

France Culture = la bataille d'Alger et la torture<br />

date = 17 juin1989.participation : général Massu - Ahmed Ben<br />

Bella - Mme Tillon, Yassef Sa'adi chef de la zone autonome<br />

d'Alger.<br />

France Culture<br />

9 mai 1990 "les oubliés de l'annistice"<br />

animateur - Elikia M'bokolo<br />

565


ADANDÉ<br />

ARBOUSSIER (Gabriel d')<br />

AURIOL (Vincent)<br />

BA (Abdoul Maham)<br />

BA (Amadou)<br />

BA (Massagui)<br />

BA (Thierno)<br />

BARTHES<br />

BECHARD (Paul)<br />

BENOIST (Roger de)<br />

BIARNES (Pierre)<br />

BIDAULT Georges<br />

BLUM (Léon)<br />

BOISSON (Pierre)<br />

BONIFAY<br />

BaUNAMA<br />

BOURGI (Robert)<br />

BRanlER (Daniel)<br />

BURON (Robert)<br />

CAMARA (Latyr)<br />

CANALE (Jean Suret)<br />

CARTIER (Raymond)<br />

CHAUVET (P.L. Gabriel)<br />

CISSÉ (Alioune)<br />

COLIN (Roland)<br />

CORRÉA{Joseph)<br />

COSTE-FLORET (Paul)<br />

COULON (Christian)<br />

COURNARIE<br />

CUSIN (Gaston)<br />

DEFFERRE (Gaston)<br />

DELMAS (Robert)<br />

DIA (Mamadou)<br />

INDEX<br />

219<br />

75/76/79/80/81/83/272/275/466<br />

57/254/418<br />

566<br />

9/128/129/135/141/237/239/243/246/250/378<br />

32/417/418/419/423/426/432/433/434/436<br />

207/441<br />

77/78/232/233/321/32.5/371/378/420<br />

25/60/460<br />

25/36/60/189/230/260/263/313/352/456<br />

22/26/74/97/162/164/197/198/226/227/<br />

229/231/236/237/238/242/244/251/258/365/<br />

378/454/487<br />

199/200/203/284/314/331/336<br />

272<br />

254/418<br />

186/195/206/226<br />

200/285/321/351/419/425/426/436<br />

392<br />

63<br />

236/239/242/245<br />

33/335/336<br />

74/75/91/123/363/495<br />

60/74/76/106/109/203/287/398<br />

477<br />

25/456<br />

498<br />

96/132/145/356/361/362<br />

74<br />

374<br />

213/454<br />

25/73/104/1 32/1 43<br />

25/26/199/223/287/478<br />

25/34/266/447/485/486/490<br />

33/56n2/200/270/314<br />

24/28/30/45/62/65/66/67nO/87/89/90/<br />

91/94/97/99/118/136/157/182/185/189/210/22<br />

3/224/256/270/292/347/371/413/463/476/479/<br />

482/486/490/491/492/493/494/495/496/497


SENGHOR (Léopold Sédar)<br />

SINIBALDI (Jean)<br />

SOUMAH (David)<br />

SOUSTELLE (Jacques)<br />

SY (Babacar)<br />

SY (Cheikh Tidiane)<br />

SY (El Hadj Abdoul Aziz)<br />

SY (El Hadj Malick)<br />

SV (El Hadj Mansor)<br />

570<br />

29/30/33/34/43/44/45/46/52/60/61/62/63/64/<br />

65/66/67/68(70(71 (72(75/90/97/98/99/100/102/<br />

114/135/136/139/141/143/156/183/207/209/<br />

219/256/260/264/267/269/275/279/286/297/<br />

299/300/304/308/355/374/428/431/448/450/<br />

453/456/457/458/460/463/466/468/474/476/<br />

478/479/480/482/484/486/490/492/496/497<br />

434<br />

498<br />

64<br />

91/182/183<br />

43/45/46/94/95/96/183/494<br />

43/183/188<br />

21/91/181/182/183/358<br />

182/188<br />

TALL (El Hadj Omar) 181/186/188/208<br />

TALL (El Hadj Seydou Nourou) 88/193/194/208<br />

TASCHER (Charles) 173/201/286/335/374/488<br />

THIAM (Awa) 23<br />

THIAM (Iba Der) 297<br />

THIAW (Ibra) 321<br />

THIONGANE (Abdoulaye) 246/247<br />

TOURÉ (El Hadj Cheikh) 162/191<br />

TOURÉ {Sékou) 91/112/124/193/219/224/492/497<br />

TRAORE (Bakary) 30/453<br />

VIDROVITCH (C.C.)<br />

VOISIN Maurice)<br />

VAN (Vollenhoven)<br />

VIEYRA (Paulin)<br />

VERRIERES (Louis)<br />

ZUCCARELLI (François)<br />

387<br />

64/70/102/135/177/205/223/230/231/237/<br />

238/243/245/247/256/257/262/263/264/<br />

267/291/316/346<br />

74/105/1 28/1 43/364/367383/<br />

399/413/456/457<br />

375<br />

13<br />

61


TABLE DES MATIERES<br />

I. Dédicace<br />

II. Remerciements<br />

III-V Sigles<br />

Introduction générale<br />

La problématique<br />

La question des sources<br />

Propos uréliminaires Considérations générales<br />

sur la ville de Dakar<br />

Dakar: population, statut et responsabilités<br />

1. Population: importance numenque<br />

II. Population : composition raciale et religieuse<br />

III. Statut<br />

PREMIERE PARTIE:<br />

LES GROl1PES DE PRESSION ET "FAISEURS"<br />

D'OPINIONS<br />

Chapitre l : les partis politiques<br />

Le renouveau des années 1943-45<br />

1. Remarques générales sur les partis<br />

II. Présentation des partis politiques<br />

SFIO (49-67), BAS (61-73), UDS/RDA (73-82)<br />

MPS/RAA (82-84), PAl (85-90) - PRA Sénégal<br />

(90-92), MLN (92-94), PSS (94-96), PFA (96-100)<br />

RPF (100-102)<br />

Chapitre II : Les syndicats<br />

Introduction<br />

I. Monde syndical et modes d'organisation<br />

II. La représentativité<br />

III. Relations extérieures des centrales syndicales<br />

Chapitre III : Les organisations de jeunesse<br />

1. Naissance et organisation<br />

2. Relations du C.J.S.<br />

571<br />

1 - 1 1<br />

1 - 2<br />

3 - 1 1<br />

12-37<br />

13 -37<br />

13 - 15<br />

16-23<br />

24 -37<br />

38-213<br />

39-103<br />

39-41<br />

42-49<br />

49-103<br />

104-125<br />

104-106<br />

107-114<br />

115-121<br />

121-125<br />

126-142<br />

126-130<br />

130-142


Chapitre IY : Les organisations d'étudiants<br />

1. De l'Institut à l'Université<br />

II. Les organisations étudiantes<br />

1. De l'AGED à l'UGEAO<br />

2. l'AGEFAN<br />

3. L'association des étudiants catholiques<br />

4. Les étudiants musulmans<br />

5. La FEAJ\TF<br />

6. Etudiants catholiques africains en France<br />

('J .<br />

,1?I2Itre V : Les groupes<br />

économique<br />

1. la Chambre de commerce<br />

2. L'Assemblée des propriétaires<br />

3. Le Comité de défense des locataires<br />

Chapitre VI : Confréries et marabouts<br />

1. Les layènes<br />

2. Les tidjanes<br />

3. Confrérie mouride<br />

4. Confrérie hamallite<br />

5. Confrérie kadiriya<br />

6. Relations islam-administration<br />

7. Le réformisme islamique<br />

Chapitre VII : L'église catholique<br />

Chapitre VIII : La gentry dakaroise<br />

Chapitre IX Les" petits blancs"<br />

Chapitre X Autres groupes de pression<br />

572<br />

143-169<br />

143-145<br />

145-169<br />

146-157<br />

158-159<br />

159-161<br />

161-162<br />

162-168<br />

168-169<br />

de pression à caractère<br />

170-178<br />

1. Groupements à caractère ethniques et régionaux<br />

II. Groupements d'originaires de villes<br />

III. Conseil Mondial de la Paix<br />

IV. Le Comité de Défense des libertés démocratiques<br />

Conclusion partielle premjère partie<br />

170-174<br />

]74-175<br />

175-178<br />

179-194<br />

180<br />

181-183<br />

183-186<br />

186-187<br />

187-188<br />

188-191<br />

191-194<br />

175-198<br />

199-202<br />

203-206<br />

207-212<br />

207-209<br />

209-210<br />

210-211<br />

211-212<br />

213


DEUXIEME PARTIE:<br />

MOYENS D'INFORMATION, DE COMMUNICATION<br />

ET D'EXPRESSION<br />

Introduction<br />

Chapitre 1 : La radiodiffusion<br />

I. Historique<br />

Il. La question de l'écoute<br />

Chapitre II : La presse<br />

1. Leur importance<br />

Il. La classification des journaux<br />

1II. La liberté de la presse<br />

1) Le procès d'" Afrique Nouvelle"<br />

2) Le procès des "Echos d'Afrique Noire"<br />

3) Les actions de l'administration contre<br />

"Réveil" et "Dakar-Etudiant"<br />

IV. Impression, tirage, coût et lectorat<br />

1) Impression<br />

2) Tirage<br />

3) Coût et lectorat<br />

V. Sources d'information et rédacteurs<br />

1) Les sources d'information<br />

2) Les rédacteurs<br />

VI. Contenu<br />

1) Paris-Dakar<br />

2) Afrique Noire<br />

3) Afrique Nouvelle<br />

4) Echos d'Afrique Noire<br />

5) Condition humaine<br />

6) Réveil<br />

7) Monsarev<br />

Chapitre III : Téléphone, télégraphe, télex<br />

et courrier<br />

1. Bref historique<br />

II. Population face aux activités des postes<br />

573<br />

214-305<br />

214<br />

215-225<br />

215-219<br />

219-225<br />

226-280<br />

226-227<br />

227-228<br />

228-241<br />

228-230<br />

230-232<br />

232-241<br />

241-249<br />

241-244<br />

244-246<br />

246-249<br />

249-252<br />

249-250<br />

250-252<br />

- 252-280<br />

253-255<br />

255-257<br />

258-262<br />

262-267<br />

267-274<br />

272-275<br />

275-280<br />

281-287<br />

281-282<br />

282-287


Chapitre IV : Les moyens traditionnels<br />

1. La rumeur publique<br />

1) Sa permanence<br />

2) Les causes<br />

II. Tam-tam, chanson, habillement et "fanal"<br />

1) Le tam-tam<br />

2) La chanson<br />

3) Habillement<br />

4) "Fanal"<br />

TRQISIEJViE PARTIE;<br />

OPINION PUBLIQllE ET QUESTIONS SOCIALES<br />

ou QUALITÉ DE LA VIE<br />

Chapitre 1 : Sol et propriété du sol<br />

Législation coloniale<br />

Réaction des populations locales<br />

Chapitre II : L'habitat àakarois<br />

1. L'habitat<br />

2. Eau et électricité<br />

a) L'eau<br />

b) L'électricité<br />

Chapitre III : L'alimentation<br />

1. En milieu indigène<br />

II. En milieu européen<br />

II 1. Importations et alcools<br />

Indications sur la consommation<br />

Chapitre IV : Santé, propreté et sécurité<br />

1. Santé et propreté<br />

1) Santé<br />

2) Hygiène et propreté<br />

II. Sécurité<br />

574<br />

288-305<br />

288-294<br />

288-292<br />

292-294<br />

294-305<br />

294-296<br />

296-299<br />

299-301<br />

301-305<br />

306-415<br />

307-311<br />

312-326<br />

312-319<br />

319-326<br />

319-323<br />

323-326<br />

327-339<br />

327-331<br />

331-333<br />

333-337<br />

338-339<br />

340-353<br />

340-349<br />

340-345<br />

345-349<br />

349-353


Chapitre II : Régularité des élections<br />

1. Corps électoral et participation<br />

II. Validité des consultations<br />

1. Consultation du 17 juin 1951<br />

2. Cantonales et municipales<br />

Chapitre III : Orientation politique et sociale<br />

1. Conception des relations avec la métropole<br />

el l'unité<br />

1) Relations avec la métropole<br />

2) La question de l'uni té<br />

II. Consolidation du nouvel Etat<br />

A.1. Relations avec les partis<br />

A.2. Relations avec les syndicats<br />

Conclusion générale<br />

Annexes<br />

Bibliographie<br />

Index<br />

Table des matières<br />

576<br />

444-471<br />

444-451<br />

451-468<br />

451-457<br />

457-468<br />

472-501<br />

472-490<br />

472-482<br />

482-490<br />

490-501<br />

493-495<br />

495-501<br />

503-506<br />

507-537<br />

538-565<br />

566-570<br />

571-576

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