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Toshio Takemoto - Université <strong>Lille</strong> 3<br />

Lieux et figures de la barbarie, CECILLE - EA 4074, Université <strong>Lille</strong> 3<br />

réponse péremptoire. Le personnage américain donne aux protagonistes japonais une<br />

possibilité de renouveler leurs critères moraux. Désormais, c'est à eux de se décider à<br />

répondre ou non à l'appel d'autrui. La rencontre se présente comme l'occasion qui est<br />

proposé à l'homme pour qu'il amorce sa conversion morale.<br />

*<br />

Les rapports fragiles entre le Japonais et la conscience morale ont attiré l'attention<br />

des écrivains avant Endô, on le sait. Déjà en 1920, Akutagawa Ryûnosuke publia une<br />

nouvelle intitulée « Un doute ». Il dresse le portrait d'un enseignant studieux et honorable qui<br />

mène la vie conjugale paisible et heureuse. Mais il assomme son épouse sans mobile précis<br />

lorsque « toutes les contraintes sociales se sont trouvées réduites à néant 18 ». Akutagawa<br />

révèle que le sens moral de l'individu ne repose que sur la société à laquelle il appartient. Vu<br />

sous cet angle, la question morale est relative et hétéronome. En 1946, Ruth Benedict,<br />

ethnologue américaine, publia Le Chrysanthème et le Sabre pour décrire l'esprit du groupe<br />

au Japon où « les autres siègent pour vous juger 19 ». Puis, elle oppose cette culture, fondée<br />

sur la honte à la « culture de la culpabilité 20 » des pays puritains. Enfin, elle confirme que si<br />

ce peuple est bien discipliné, c’est parce que les uns surveillent les autres et mutatis<br />

mutandis. Endô, quant à lui, met en scène la société japonaise qui engendre une morale<br />

contextuelle à géométrie variable et qui entrave l'apparition d'un sentiment immédiat à<br />

l'égard du bien et du mal chez l'individu. C'est pourquoi l'action romanesque de MP se<br />

déroule principalement à l'hôpital universitaire qui symbolise un lieu clos où le regard social<br />

commande, et où chacun lui obéit. Ce cadre spatial est propice à notre romancier pour<br />

mettre les criminels-protagonistes dans une impasse existentielle et éthique. Mais c'est<br />

précisément dans cet espace asphyxiant qu'il représente les deux internes qui commettent le<br />

mal pour tenter de renouer une relation morale à autrui. Il en résulte une ambivalence : MP<br />

rattache la barbarie à la refondation possible du sens éthique chez les criminels-<br />

protagonistes.<br />

Mais finalement comment peut-on justifier le choix narratif de la vivisection qui heurte<br />

non seulement les règles sociales et morales mais aussi un certain bon sens du lecteur ?<br />

Endô affirme que la sensibilité japonaise «est passive et déteste tant les distinctions que les<br />

limites claires 21 » dans un essai qu’il a écrit six ans après MP. Si le peuple désire être<br />

absorbé, voire anéanti dans l'informe, peut-il toujours discerner le bien du mal ? Que signifie<br />

dès lors la question morale dans le pays ? La vivisection, par sa barbarie scandaleuse,<br />

© CECILLE 2008<br />

Pour citer cet article : Toshio Takemoto, « La transposition romanesque d'un acte barbare : de la vivisection à une analyse<br />

expérimentale de la conscience morale - le cas d'Endô Shûsaku (La Mer et le Poison) », in Lieux et figures de la barbarie,<br />

CECILLE – EA 4074, Université <strong>Lille</strong> 3, 2006-2008.<br />

(Obligation de citer l'auteur original de cet article, interdiction de toute modification et de toute utilisation commerciale sans<br />

autorisation préalable)<br />

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