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« Corps et masculinité: Iconologie de la virilité ». - EACH

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<strong>«</strong> <strong>Corps</strong> <strong>et</strong> <strong>masculinité</strong>: <strong>Iconologie</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>virilité</strong> <strong>»</strong>.<br />

<strong>de</strong> Stéphane MALYSSE<br />

? Malysse S., <strong>Corps</strong> à <strong>Corps</strong>: regards dans les coulisses<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> corpo<strong>la</strong>trie brésilienne, Thèse <strong>de</strong> doutorado,<br />

E.H.E.S.S, Paris, 1999.<br />

Profondément polymorphe, l’idée <strong>de</strong> beauté se concrétise <strong>de</strong> façon spectacu<strong>la</strong>ire dans<br />

<strong>la</strong> première moitié du XX siècle. Dans les années 30, l’industrie cinématographique <strong>de</strong><br />

Hollywood commence à définir trans-culturellement <strong>la</strong> beauté féminine <strong>et</strong> masculine pour<br />

<strong>la</strong> consommation <strong>de</strong> masse. Les médias cherchent alors à transformer massivement à <strong>la</strong> fois<br />

le sens <strong>et</strong> <strong>la</strong> réalité du corps <strong>et</strong> ainsi, rapi<strong>de</strong>ment, le corps beau, ses formes, pour ne pas dire<br />

son <strong>de</strong>sign, s’institutionnalisent <strong>et</strong> se globalisent. Comme l’iconographie qui l’accompagne<br />

toujours, <strong>la</strong> littérature, qui proc<strong>la</strong>me alors <strong>la</strong> libération à travers le corps, s’intègre dans une<br />

sorte <strong>de</strong> pédagogie <strong>de</strong> masse, qui cherche à civiliser les conduites individuelles, à les<br />

mouler sur <strong>de</strong>s mythes sexuels <strong>et</strong> donc corporels. En abordant l’iconique du corps masculin,<br />

j’ai cherché ici à montrer quelle est l’influence <strong>de</strong>s médias sur les comportements corporels<br />

<strong>et</strong> comment les médias participent à <strong>la</strong> ritualisation <strong>de</strong>s genres.<br />

Le corps féminin est traditionnellement plus stigmatisé dans <strong>et</strong> par l’apparence que le corps<br />

masculin, <strong>et</strong> ceci que ce soit en France comme au Brésil. Mais les temps changent, <strong>et</strong><br />

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l’homme est <strong>de</strong> plus en plus visé par les médias, qui le sexualisent lui aussi en imposant à<br />

son corps <strong>de</strong>s marques du genre qui fonctionnent comme <strong>de</strong> véritables signifiants <strong>de</strong> sa<br />

<strong>masculinité</strong>. Aujourd’hui, avec <strong>la</strong> libération conjointe <strong>de</strong>s femmes <strong>et</strong> <strong>de</strong>s mœurs<br />

corporelles, un nouveau rôle social masculin, plus délicat <strong>et</strong> plus fragile commence à<br />

évoluer, surtout dans les gran<strong>de</strong>s villes en contact avec les tendances internationales. Les<br />

hommes, qui sont à leur tour stigmatisés dans l’apparence, n’hésitent donc plus à fréquenter<br />

les académies, les salons <strong>de</strong> beauté <strong>et</strong> ont <strong>de</strong> plus en plus recours à <strong>la</strong> chirurgie esthétique :<br />

c<strong>et</strong>te révolution, à <strong>la</strong> fois esthétique <strong>et</strong> éthique, re<strong>la</strong>tive au genre, montre que le genre<br />

marque le corps mais que parfois le corps re-fabrique, lui aussi, le genre.<br />

Fortement marquées par l’esthétique homosexuelle <strong>de</strong>s années 80, les images du corps <strong>de</strong><br />

l’homme prennent, à leur tour, en eff<strong>et</strong>, une forte charge érotique dans les médias brésiliens<br />

<strong>et</strong> viennent alimenter les représentations sociales <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>masculinité</strong>, en les associant à celles<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> corpolâtrie. Pourtant, à ses débuts, <strong>la</strong> culture physique, le culte du musclé, du tendu,<br />

du ferme était le domaine réservé <strong>de</strong>s hommes virils, mais en entrant dans le marché du<br />

muscle, les femmes ont déclenché un bouleversement dans l’idéologie brésilienne du genre,<br />

<strong>et</strong> surtout dans l’image que l’homme se faisait <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>virilité</strong>. Une image qui ne cesse donc<br />

<strong>de</strong> se modifier, entraînant dans son sillon l’ensemble <strong>de</strong>s signes physiques <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

<strong>masculinité</strong>, <strong>et</strong> pour mieux <strong>la</strong> comprendre, il me semble nécessaire <strong>de</strong> revenir en arrière.<br />

En 1880, un entrepreneur français, Edmont Desbonn<strong>et</strong>, introduit sur le marché une métho<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> culture physique, pour les hommes, qu’il a lui-même é<strong>la</strong>borée en <strong>de</strong>venant son propre<br />

cobaye. La métho<strong>de</strong> Desbonn<strong>et</strong> est divulguée dans toute <strong>la</strong> France à travers une campagne<br />

publicitaire, qui montre ses eff<strong>et</strong>s sur le corps <strong>de</strong> l’inventeur <strong>et</strong> également par <strong>de</strong>s séries <strong>de</strong><br />

photographies qui font découvrir un corps avant <strong>et</strong> après l’application <strong>de</strong> <strong>la</strong> dite métho<strong>de</strong>.<br />

C’est ainsi d’abord visuellement que naît <strong>la</strong> culture du physique. A c<strong>et</strong>te époque, <strong>la</strong> culture<br />

physique réunit quelques a<strong>de</strong>ptes autour d’une activité <strong>de</strong> groupe considérée comme un<br />

sport, <strong>et</strong> elle n’a donc pas comme aujourd’hui le statut d’un véritable régime individuel <strong>et</strong><br />

discipliné du corps. Ce qui m’intéresse ici, c’est <strong>de</strong> montrer comment les représentations du<br />

corps ont été, dès le début <strong>de</strong> <strong>la</strong> culture du muscle, médiatisées par <strong>de</strong>s images <strong>et</strong> qu’en ce<br />

qui concerne les images du corps, “le message, c’est le médium” (Mc Luhan,1968). Dans<br />

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c<strong>et</strong>te même logique <strong>de</strong>s images i<strong>de</strong>ntitaires sexuées, l’une <strong>de</strong>s premières revues <strong>de</strong> culture<br />

physique apparue au Brésil, fut distribuée sous forme <strong>de</strong> leçons privées à partir <strong>de</strong> janvier<br />

1965 est présentée par l’homme le plus musclé d’Amérique, Irwin Koszewski. Avec l’ai<strong>de</strong><br />

d’un autre célèbre physiculturiste américain, Joe Wi<strong>de</strong>r, il propose à ses élèves brésiliens <strong>de</strong><br />

se construire “un corps fort <strong>et</strong> sain”, en prenant modèle sur le sien <strong>et</strong> en suivant<br />

scrupuleusement ses instructions. Il commence sa leçon inaugurale en expliquant que ce<br />

type <strong>de</strong> corps est “naturel <strong>et</strong> normal”, <strong>et</strong> qu’il faut simplement travailler “ce potentiel<br />

naturel qui est en chacun <strong>de</strong> nous” pour pouvoir “exploser <strong>de</strong> joie en sentant <strong>de</strong> nouveaux<br />

muscles surgir <strong>de</strong> sous <strong>la</strong> peau”. Puis il ajoute: “Je veux voir <strong>de</strong>s centimètres <strong>de</strong> muscles<br />

soli<strong>de</strong>s qui s’accumulent sur toutes les parties <strong>de</strong> votre corps!” Toutes les semaines, il<br />

publie ainsi une série d’exercices dont il fait <strong>la</strong> démonstration en images, <strong>et</strong> qui perm<strong>et</strong>tent,<br />

selon lui d’obtenir <strong>de</strong> “merveilleux muscles”, qui apporteront avec eux, “fortune <strong>et</strong> gloire”.<br />

C<strong>et</strong>te première leçon américaine contient déjà en germe toutes les revues contemporaines<br />

<strong>de</strong> construction corporelle brésiliennes: le corps désiré, l’idéal est exposé dans <strong>de</strong>s<br />

positions, qui <strong>la</strong>issent admirer les muscles du modèle, qui livre spontanément sa rec<strong>et</strong>te<br />

corporelle aux lecteurs à travers <strong>de</strong> nombreux exercices pratiques. Les exercices, basés sur<br />

<strong>la</strong> répétition d’un même geste, fragmentent le corps afin <strong>de</strong> travailler chaque muscle<br />

séparément. La culture physique passe par une réglementation stricte <strong>de</strong> l’alimentation <strong>et</strong><br />

du mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie <strong>et</strong> s’inscrit dans une sorte <strong>de</strong> redressement moral qui perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> r<strong>et</strong>rouver<br />

une certaine puissance sociale: <strong>la</strong> culture physique est ainsi dès son origine présentée<br />

comme un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie, une gestion capitalisante du corps qui est avant tout morale. C’est<br />

pourquoi, actuellement, quand elles s’adressent directement aux hommes, les revues <strong>de</strong><br />

forme physique font directement allusion à “l’un <strong>de</strong>s principaux processus d’i<strong>de</strong>ntification<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>virilité</strong> brésilienne : son aptitu<strong>de</strong> à contrôler les faveurs sexuelles féminines” (Da<br />

Matta,1990)<br />

Notre perception quotidienne, à travers les miroirs, <strong>de</strong> notre corps, est rendue plus aiguë,<br />

plus experte, par une comparaison avec les images idéalisées qui abon<strong>de</strong>nt dans <strong>la</strong> publicité<br />

<strong>et</strong> les médias visuels. Ces images nous invitent à nous y comparer <strong>et</strong> nous rappellent sans<br />

cesse ce que nous sommes, en nous proposant <strong>de</strong>s techniques pour <strong>de</strong>venir ce que nous<br />

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voyons. Si l’image que nous avons <strong>de</strong> notre propre corps dépend étroitement <strong>de</strong> l’exercice<br />

même <strong>de</strong> notre regard, ce que nous voyons <strong>et</strong> qui constitue notre sens commun visuel,<br />

comme les regards que nous recevons, participent également à c<strong>et</strong>te auto-construction. Il y<br />

a néanmoins toujours, dans l’adhésion à un idéal corporel quel qu’il soit, un eff<strong>et</strong><br />

reconstituant, roboratif, narcissisant. La psychologie sociale conçoit <strong>la</strong> vie sociale comme<br />

un tissu <strong>de</strong> re<strong>la</strong>tions régies, non seulement dans leur dimension micro-sociale par <strong>la</strong><br />

communication inter-individuelle, mais également dans ses dimensions macrosociales par<br />

les médias qui sont vus comme <strong>de</strong> puissants instruments <strong>de</strong> changement d’attitu<strong>de</strong><br />

(Jo<strong>de</strong>l<strong>et</strong>,1991), <strong>et</strong> il faut noter que <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s actions sur le corps masculin présente <strong>de</strong>s<br />

liens intimes avec l’érotisme <strong>et</strong> que “l’idéal <strong>de</strong> <strong>la</strong> beauté <strong>et</strong> sa mesure sont toujours<br />

l’expression <strong>de</strong> <strong>la</strong> situation <strong>de</strong> <strong>la</strong> libido dans une société, situation nécessairement vouée au<br />

changement. Les images du corps ne sont pas <strong>de</strong>s entités rigi<strong>de</strong>s: nous construisons <strong>et</strong><br />

reconstruisons sans cesse notre image”(Borel,1992).<br />

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