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Ethel ne semblait pas avoir la moindre ambition<br />
d'être recrutée par Prosélyte.<br />
Les gens de l'agence durent s'en apercevoir<br />
car elle fut la première à être convoquée : on ne<br />
voulait pas la laisser filer. Personne ne devait<br />
douter de ma qualité d'agent car on me permit<br />
de l'accompagner dans le bureau des responsables.<br />
Il y avait là deux hommes et une femme. Ils<br />
détaillèrent d'abord ma bien-aimée des pieds à<br />
la tête : ils avaient l'air aussi consterné que si<br />
elle était un boudin.<br />
— Tu n'es pas très grande, grimaça l'une des<br />
trois brutes.<br />
Je me demandai de quel droit ils la tutoyaient.<br />
— Un mètre soixante-treize, répondit la<br />
beauté.<br />
— La limite, dit la dame. Heureusement que<br />
tu es très mince.<br />
S'ensuivit une liste de questions sur son<br />
poids, ses mensurations : tout cela me paraissait<br />
si pornographique que je me bouchai les<br />
oreilles avec des paupières imaginaires. J'aurais<br />
été dégoûté de découvrir, en présence de ces<br />
trois bouchers, quel était le tour de poitrine de<br />
ma bien-aimée. Elle-même l'ignorait.<br />
— Et quand tu t'achètes des soutiens-gorge,<br />
tu fais comment ?<br />
— Je n'en porte pas.<br />
On vint prendre ses mesures avec un mètreruban.<br />
Je bouillais de colère de la voir touchée<br />
par ces gens. L'estampillage provoqua la désapprobation<br />
:<br />
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— Tu es maigre, tu n'as pas de seins. Ce n'est<br />
plus du tout ce qui plaît.<br />
J'étais horrifié : sans moi, Ethel n'eût pas eu<br />
à essuyer ce genre d'affront. Elle avait pourtant<br />
l'air de s'amuser beaucoup, ce qui déconcertait<br />
les trois salauds.<br />
Il y eut un moment où je fus au bord d'éclater.<br />
— Il faudra changer ton prénom. C'est pas<br />
terrible, Ethel : c'est vulgaire.<br />
Je ne pus alors m'empêcher d'intervenir :<br />
— C'est vrai. Amy ou Melba, c'est tellement<br />
plus distingué.<br />
On me foudroya du regard mais on ne parla<br />
plus de débaptiser mon égérie. En revanche, on<br />
parla de lui gonfler les lèvres au silicone. A ces<br />
mots, l'actrice se leva et annonça, avec un sourire<br />
de madone :<br />
— Bien. Je ne vois pas pourquoi je suis ici.<br />
Après un instant d'effroi, ils réagirent comme<br />
des fusées :<br />
— Non, non. Tu n'as pas compris. Tu es bien.<br />
Très bien. On ne touchera pas à tes lèvres, c'est<br />
entendu.<br />
— Tu as une gueule, une vraie gueule. Pas<br />
comme ces pétasses qui étaient avec toi dans la<br />
salle d'attente.<br />
On lui demanda si elle avait déjà une expérience<br />
professionnelle. Elle raconta sa carrière<br />
au cinéma, le film dont elle était en train de<br />
jouer le rôle principal. Les trois brutes s'extasièrent<br />
:<br />
— Et en plus tu es artiste ! On adore les filles<br />
qui ont de la personnalité.<br />
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