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— Je m'en rends compte. J'espère que cet<br />
excès de bonheur n'annonce pas un drame.<br />
— Si, forcément. Le drame, c'est que je pars<br />
le 9 janvier au Japon, sans toi. Comme je vais<br />
te manquer ! A qui pourras-tu parler des caleçons<br />
de ce jeune dieu ?<br />
Elle ne releva même pas.<br />
— Le 9 janvier ? Parfait ! Tu pourras donc<br />
assister à la première du film.<br />
— Le tropisme évanescent ?<br />
— Oui. Il y aura une soirée de gala le 7 janvier.<br />
Viens m'aider à supporter ce navet.<br />
— J'imagine que Xavier viendra aussi.<br />
— Oui, murmura-t-elle.<br />
Il y avait un spectre dans sa voix. J'eus<br />
soudain pitié d'elle et je formulai tout haut le<br />
contraire de sa frayeur :<br />
— Pour autant que tu ne l'aies pas largué<br />
entre-temps.<br />
Elle eut un rire bizarre. J'avais touché juste.<br />
Le lendemain, elle me téléphona à nouveau.<br />
— Non, Ethel, j'en ai assez de tes coups de fil.<br />
Je veux te voir. Depuis que tu es avec Xavier, tu<br />
m'abreuves de ta voix et tu me prives de ta présence.<br />
Je suis ton meilleur ami, j'ai des droits :<br />
j'exige de te voir.<br />
— J'arrive.<br />
Auparavant, je me faisais « beau » pour elle :<br />
je m'habillais bien, je me récurais. Là, j'étais<br />
découragé : je ne me lavai pas, je restai dans<br />
mon vieux peignoir et, comble des inélégances,<br />
je laissai la télévision allumée.<br />
Elle entra, sublime et blafarde.<br />
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— Tu as mauvaise mine.<br />
— Je n'ai pas dormi, dit-elle.<br />
Nous restâmes quelques instants avachis<br />
devant le poste. Une publicité pour des serviettes<br />
périodiques incroyablement absorbantes<br />
nous tira de notre torpeur. Ma bien-aimée éteignit<br />
la télévision.<br />
— Quand je vois ça, j'ai honte d'être une<br />
femme.<br />
Elle éclata en sanglots.<br />
— Je vais écrire à ces serviettes périodiques,<br />
intervins-je. Je veux les avertir que leurs publicités<br />
te font pleurer.<br />
Pathétique, elle rit entre ses larmes. J'eus<br />
droit au récit du drame. La veille, elle avait<br />
demandé au bellâtre s'il allait l'accompagner à<br />
la première du film ; il lui avait répondu qu'il<br />
était contre ses principes de donner son accord<br />
si longtemps à l'avance.<br />
— Tu te rends compte ? Il appelle ça « si longtemps<br />
à l'avance » ! En langage clair, ça signifie<br />
qu'il n'est pas sûr d'être encore avec moi dans<br />
une semaine.<br />
Je pensai que ce type était un goujat doublé<br />
d'un imbécile : car enfin, même s'il avait eu le<br />
projet de quitter ma bien-aimée avant le 7, que<br />
lui eût-il coûté d'accepter sa proposition qui, en<br />
cas de rupture, eût été annulée ipso facto ? Que<br />
diable faisait-elle avec ce mufle ? Je fus sur le<br />
point de lui poser la question. En lieu de quoi,<br />
la compassion et la bêtise m'inspirèrent ce commentaire<br />
:<br />
— Voyons, Ethel, tu délires ! Il n'a pas voulu<br />
dire une chose pareille. La passion t'égare.<br />
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