Petits écrits pour faire parler l'inconscient
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L’odeur<br />
Comment évoquer l’intime, le proche, voire le dérangeant ? Cette frontière<br />
sensuelle s’offre à nous en toute impudeur et nous ouvre les portes du souvenir.<br />
Cécile<br />
Les gens ont une odeur particulière, unique. Elle est comme une empreinte, un<br />
ensemble de composés chimiques, mêlés aux effluves du monde, qui permet de<br />
nous distinguer. Elle colle à la peau et on ne peut pas s’en dé<strong>faire</strong>, à moins de<br />
dissimuler notre propre parfum avec d’autres encore, et de tricher.<br />
Le monde aussi a une odeur, que je n’aime pas. Je la trouve agressive. Je la trouve<br />
dérangeante et envahissante. Je suis bien consciente du fait que si la senteur du<br />
monde me gêne, c’est que le monde, dans son essence, ne me plaît pas. Je le sais,<br />
mais que <strong>faire</strong> ? Quand je ne supporte plus le monde et les gens, mon nez se<br />
bouche, j’ai un rhume. Je n’en ai pas souvent. C’est sûrement mieux ainsi.<br />
Ma mère aussi a une odeur. Je ne sais pas laquelle. Ma petite sœur adore le parfum<br />
de ma mère. Quand elle était petite, et même jusqu’à très récemment, elle sniffait<br />
ma mère. Elle obligeait ma mère à porter un vieux foulard noir et vert, moche et<br />
sale. Ensuite, elle se trimballait avec le foulard, elle ne le lâchait jamais, il fallait<br />
toujours qu’elle ait le parfum de ma mère, ma mère, à portée de main. Quand elle<br />
était fatiguée, elle s’asseyait et respirait les effluves qui transpiraient du foulard, et<br />
cela lui donnait l’énergie de repartir. Je la regardais, fascinée, amusée, bien<br />
consciente du pouvoir d’un être et de son parfum, bien consciente de ce qui me<br />
manquait, à savoir le bonheur de sentir quelqu’un.<br />
Jean-Paul<br />
Lorsque le mot tomba (c’était « odeur »), il comprit qu’il lui faudrait éluder et<br />
ruser, car comment dire en public, et féminin encore, ce que le mot évoquait<br />
d’intime, de premier, et le manque qu’il ressentait en passant de temps à autre par<br />
des bras, des corps ou des lits trop fraîchement lavés, hygiénisés et sans odeur que<br />
de douches fades et d’insipides nettoyages. Parler de la puanteur des urgences de<br />
Saint-Antoine la veille au soir, qui faisait défaillir jusqu’aux infirmières les plus<br />
blasées, et tous, sauf celui dont elle émanait (ceux plutôt, ils étaient plusieurs<br />
échoués de la vie à animer l’endroit) ? Il ne le sentait pas. Parler de la madeleine de<br />
Proust ? Mais celle-ci, le thé dans lequel elle trempait n’avaient que du goût, et pas<br />
plus d’odeur que le pavé contre lequel bute, à un autre endroit, la bottine du<br />
narrateur. L’odeur, c’était plus fort. C’était ce que, vainement, on cherche à<br />
retrouver au creux des bras de celle ou de celui qu’on étreint sans y croire dans une<br />
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