Violence et interaction sociale - Free
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U n i v e r s i t é R e n é D e s c a r t e s<br />
D E S S Ψ d e l ’ E n v i r o n n e m e n t<br />
<strong>Violence</strong> <strong>et</strong> <strong>interaction</strong> <strong>sociale</strong><br />
Cours de Brigitta ORFALI<br />
Abstract : Interaction produces violence essentially because of the opposition<br />
b<strong>et</strong>ween ingroup and outgroup. Through the themes of deviance and difference we<br />
seek the reasons that can help us understand the phenomenon of violence in soci<strong>et</strong>y.<br />
The social representation of violence itself is one of the tools that may help us as<br />
well as the group relation theory. There is though a great difficulty in defining<br />
exactly what violence is as many components are found which are included in this<br />
"generical" word.<br />
Mots clefs : violence, déviance, différence, <strong>interaction</strong>, représentation, conflit,<br />
opposition, dominants/dominés, présupposés.<br />
"L'homme le plus fort est bien faible, s'il n'est que force".<br />
Alain<br />
Il est rare de chercher des rimes au mot violence <strong>et</strong> pourtant les<br />
mots qui s´accordent sont intéressants à r<strong>et</strong>enir car ils éclairent le sens de ce<br />
terme d´une façon assez inattendue. Mais, me direz-vous, pourquoi traiter de<br />
la violence ?<br />
En fait, la violence comme virtualité de l´<strong>interaction</strong> <strong>sociale</strong><br />
s´inscrit très vite comme un paramètre important, qu´il s´agisse d´étudier les<br />
sociétés animales ou les sociétés humaines, <strong>et</strong> ce surtout quand on considère<br />
les thèmes de déviance <strong>et</strong> de différence par exemple. La majorité s´oppose<br />
à la violence <strong>et</strong> exclut ou tente d´exclure tous ceux qui y souscrivent. Mais<br />
ce faisant, elle est obligée de contraindre, de punir, d´exercer une autorité<br />
quelconque, d´user d´un pouvoir de type coercitif très souvent. Le paradoxe<br />
sous-jacent est que la violence sollicite la violence comme une sorte d´autoréponse<br />
permanente (cf. image du serpent qui se mord la queue). Les<br />
références s´y rapportant abondent <strong>et</strong> impliquent divers domaines<br />
(historique, politique, psychologique, spatial, social, culturel ou<br />
institutionnel...). Enfin, la représentation <strong>sociale</strong> de la violence souligne<br />
qu'il y a une élaboration collective de la notion <strong>et</strong> un traitement différencié<br />
qui s´opère dans la pratique quotidienne ou rituelle ; on r<strong>et</strong>rouve également<br />
l´usage d'une certaine violence dans la maîtrise de l´environnement (matériel,<br />
social ou idéel) <strong>et</strong> dans l´orientation des conduites <strong>et</strong> des communications.<br />
I) La violence comme virtualité de l´<strong>interaction</strong> <strong>sociale</strong>.<br />
1<br />
1996
1) <strong>Violence</strong> <strong>et</strong> déviance ou l'opportunisme fonctionnaliste.<br />
L´harmonie des ensembles structurés <strong>et</strong> organisés des sociétés<br />
animales ou humaines est souvent menacée du fait de l´existence d´éléments<br />
déviants en son sein. Ces éléments anomiques s´opposent aux normes<br />
existantes qui régissent le groupe ou la société de façon dynamique<br />
(influence <strong>sociale</strong> d´un point de vue génétique) ou conformiste (influence<br />
<strong>sociale</strong> d´un point de vue fonctionnaliste). L´anomie va désigner celui qui<br />
diffère du groupe <strong>et</strong> qui, de ce fait, sera stigmatisé <strong>et</strong> mis à distance :<br />
exemple du handicap traité de façon analogue dans les sociétés animales <strong>et</strong><br />
humaines.<br />
L'expérience princeps de la violence à laquelle fait face<br />
l'individu est à situer dans son premier contact avec l'autre - en l'occurrence<br />
dans la relation mère/enfant. Sans évoquer la véritable violence qui<br />
accompagne la naissance (violence vécue par le nouveau-né mais aussi par la<br />
parturiente dans l'accouchement) <strong>et</strong> qui bénéficie d'un non-dit plus ou moins<br />
implicite à travers les différentes cultures, il nous faut r<strong>et</strong>enir que le premier<br />
contact de l'individu avec le monde se fait sur un mode paroxystique <strong>et</strong><br />
donc violent (l'énoncé de c<strong>et</strong>te violence est rendue de façon humoristique<br />
dans le début du film Le Tambour : "je vis le jour sous la forme d'une<br />
ampoule de 100 watts" ). De ce contact découlera la vision du rapport à<br />
autrui, qui s'articulera sur le mode ami/ennemi par la suite, étant entendu<br />
que des relations harmonieuses <strong>et</strong> donc pacifiques sont la règle dans les<br />
rapports parents/enfants. La psychologie individuelle abonde en références<br />
sur c<strong>et</strong>te nécessité d'établir des liens positifs dans la prime enfance (cf. les<br />
ouvrages de Piag<strong>et</strong> par exemple).<br />
Les théories de la personnalité (Adorno, Frenkel-Brunswick,<br />
Levinson <strong>et</strong> Sanford, 1950, Reich, 1933, Fromm, 1941 ou encore Rokeach,<br />
1960) établissent quant à elles, un lien direct entre l'éducation <strong>et</strong> le<br />
positionnement de l'individu par rapport à certaines attitudes se référant à la<br />
violence, notamment celles d'autoritarisme, de fascisme, d'antisémitisme ou<br />
de racisme, de dogmatisme <strong>et</strong>c. Sans entrer dans un débat sur ces notions <strong>et</strong><br />
sur la validité de ces échelles d'attitudes (fort critiquées par ailleurs pour<br />
certaines, notamment par Christie <strong>et</strong> Jahoda, 1954, surtout en ce qui<br />
concerne l'étude de Adorno <strong>et</strong> al. sur le fasciste potentiel - dont l'idée<br />
renvoie d'emblée à celle de virtualité comportementale chez l'individu -), il<br />
est intéressant de noter le lien entre éducation <strong>et</strong> violence. Précisons que<br />
l'idée d'ami/ennemi, ainsi d'ailleurs que celle de commandement/obéissance,<br />
se r<strong>et</strong>rouvent dans les présupposés du politique (Freund, 1986).<br />
L'<strong>interaction</strong> qui définit toute relation entre les individus d'un groupe<br />
(à p<strong>et</strong>ite échelle, exemple de la famille, ou à plus grande échelle, exemple du<br />
monde politique) implique donc une dichotomie évidente entre des<br />
couples opposés <strong>et</strong> antonymes. Elle présuppose par ailleurs une forte<br />
cohésion intragroupale sur certains principes régissant la vie du groupe.<br />
Ainsi du traitement de la violence, bannie dans les normes mais récurrente<br />
2
dans les faits <strong>et</strong> nécessitant une régulation, des interdits acceptés par tous les<br />
membres du groupe.<br />
Toute personne qui adopte un comportement violent est<br />
automatiquement dénigrée <strong>et</strong> considérée comme déviante. La morale <strong>et</strong> la<br />
justice ont certes adopté les circonstances atténuantes pour tenter de<br />
comprendre certains comportements violents : les crimes passionnels sont<br />
ainsi perçus comme étant moins "horribles" que les crimes frauduleux. C<strong>et</strong>te<br />
différenciation entre "bons" <strong>et</strong> "mauvais" crimes nous perm<strong>et</strong><br />
d'appréhender la violence dans sa dimension représentationnelle dans<br />
la mesure où elle se construit sur des couples d'opposition significatifs<br />
pour le sens commun, qui génèrent des comportements antinomiques.<br />
Lagrange (1995) dresse un portrait historique de la violence <strong>et</strong> constate ce<br />
glissement qui s'opère à travers le temps, qui produit un sentiment<br />
d'insécurité paradoxal alors même qu'un processus de pacification des<br />
moeurs est intervenu (ainsi que Elias l'avait auparavent souligné). Dans la<br />
très bonne introduction de son ouvrage, Lagrange constate encore que "la<br />
réduction de la violence interpersonnelle dans les sociétés européennes du<br />
XVI ème au début du XX ème siècle s'est produite dans un contexte qui a<br />
vu la montée au paroxysme des violences mises en oeuvre par les Etats"...<br />
Plus civilisé, l'individu n'en a pas moins été aux prises avec certaines formes<br />
de violence, notamment étatiques, qui l'ont contraint à se positionner dans<br />
un rapport dichotomique d'acceptation ou de rej<strong>et</strong>, mais jamais<br />
d'indifférence au suj<strong>et</strong> de la violence. La maîtrise personnelle de l'affectivité<br />
(Elias rappelle la diffusion des manières de cour, la répression publique des<br />
émotions <strong>et</strong> des passions <strong>et</strong> le développement de la sphère privée) a permis<br />
ce déplacement de la violence interpersonnelle à une violence intra ou interétatique,<br />
comme si la catharsis générée par la violence était de toute façon<br />
nécessaire pour de temps à autre faire table rase afin de recommencer sur de<br />
nouvelles bases.<br />
2) <strong>Violence</strong> <strong>et</strong> différence ou la dynamique du conflit.<br />
La psychologie <strong>sociale</strong> nous enseigne l'importance du conflit<br />
en ce qu'il perm<strong>et</strong> de libérer des tensions <strong>et</strong> surtout en tant que facteur de<br />
changement social (Moscovici, 1982). Certaines minorités actives, du fait<br />
d'une consistance -voire d'une rigidité - importantes peuvent choisir un style<br />
de comportement violent afin d'influencer la majorité, ou tout simplement<br />
afin de marquer les esprits <strong>et</strong> afin d'être <strong>sociale</strong>ment reconnues. De la même<br />
facon, l'enfant peut violemment s'opposer à ses parents, au milieu familial,<br />
afin d'exprimer son identité propre, pour dire "j'existe !". On a donc dans la<br />
violence une double composante, à la fois individuelle <strong>et</strong> groupale, qui peut<br />
s'analyser à la lumière des différences existant entre attitudes <strong>et</strong><br />
comportements. En eff<strong>et</strong>, Billig (1984) s'intéresse au racisme, aux préjugés<br />
<strong>et</strong> à la discrimination <strong>et</strong> analyse la différence entre attitudes <strong>et</strong><br />
comportements. Reprenant une étude célèbre de Lapiere datant de 1934, il<br />
démontre que la relation mécanique entre les attitudes révélées par des<br />
questionnaires <strong>et</strong> le comportement effectif dans la vie réelle n'est pas vérifié.<br />
C<strong>et</strong> écart existant entre attitudes <strong>et</strong> comportement peut se révéler<br />
3
fructueux à considérer par rapport au thème qui nous préoccupe,<br />
surtout si l'on r<strong>et</strong>ient l'idée de reproduction de la réalité <strong>sociale</strong> en tant<br />
qu'elle s'inscrit en chacun des individus qui composent le groupe où elle<br />
s'énonce, elle s'inscrit dans leur mode de pensée <strong>et</strong> leur pratique, c'est à dire<br />
à la limite entre attitudes <strong>et</strong> comportements. La frontière entre déviance <strong>et</strong><br />
innovation est si ténue, d'après G.Paicheler (1991), qu'il importe de<br />
questionner nos propres modes de construction du réel - comme nous le<br />
suggère d'ailleurs la théorie des représentations <strong>sociale</strong>s, élaborée par<br />
Moscovici, 1961, 1976 <strong>et</strong> reprise par Jodel<strong>et</strong>, 1989 -.<br />
Mais revenons à l'enquête menée par Lapiere.<br />
Dans les années 30, il visite les Etats-Unis -67 hôtels <strong>et</strong> 84 restaurants- en<br />
compagnie d'un jeune étudiant chinois, à l'époque où certaines recherches<br />
sur les attitudes montrent que les américains ont une attitude empreinte de<br />
préjugés vis-à-vis des chinois. Ils ne rencontrent partout qu'amabilité <strong>et</strong><br />
politesse, à l'exception d'un hôtelier qui refuse de servir des "japonais" !<br />
Comment peut-on expliquer un comportement si aimable des hôteliers <strong>et</strong><br />
restaurateurs alors que les résultats d'enquête sur les attitudes montraient<br />
l'inverse ? Lapiere choisit alors d'envoyer un questionnaire aux hôtels <strong>et</strong><br />
restaurants visités dans lequel il demande aux propriétaires s'ils<br />
accepteraient des individus de race chinoise dans leurs établissements.<br />
Plus de 90% des propriétaires répondent non (seulement la moitié d'entre<br />
eux prennent d'ailleurs la peine de répondre). Le préjugé qui s'exprime<br />
dans un questionnaire peut ainsi ne pas correspondre à une<br />
discrimination effective dans la réalité.<br />
L'inverse est également possible, ainsi que Billig le souligne, en<br />
poursuivant sur l'exemple du roman de Kafka, Le Château. Un hôtelier<br />
refuse en eff<strong>et</strong> une chambre au personnage principal du roman sous prétexte<br />
qu'il n'est pas du Château, pas du village, <strong>et</strong> donc qu'il n'est rien ! ... mais<br />
qu'il n'a personnellement rien contre lui... "Je serais très heureux d'accéder<br />
à votre désir ; les messieurs du Château sont si sensibles qu'ils ne<br />
pourraient supporter la vue d'un étranger". Opposée à celle du<br />
psychosociologue Lapiere, c<strong>et</strong>te situation renvoie donc à une discrimination<br />
sans que soient pour autant éprouvés des préjugés personnels. Billig poursuit<br />
son analyse en soulignant que la non-expression de préjugés personnels dans<br />
ce roman de Kafka dévoile cependant un autre aspect du préjugé : son<br />
aspect social. Ceci nous intéresse pour notre propos sur la violence. En<br />
eff<strong>et</strong>, la conformité aux normes peut renvoyer à une forme extrême de<br />
violence, en ce qu'elle désigne la situation comme explicative d'un<br />
comportement <strong>et</strong> dans la mesure où elle peut déresponsabiliser<br />
l'individu. Milgram (1974) a d'ailleurs fort bien étudié le conformisme en<br />
actes dans la soumission à l'autorité, du fait de l'état agentique -<br />
conformisme plus grave que celui en actes dévoilé par les expériences de<br />
Sherif (1936) ou encore de Asch (1954), qui relevaient davantage d'un<br />
conformisme en paroles -. Beauvois (1994) désigne quant à lui, dans son<br />
Traité de la servitude libérale, la soumission "forcée" comme une constante<br />
des systèmes démocratiques néo-libéraux qui soum<strong>et</strong>tent l'individu dès<br />
4
l'enfance aux "diktats" de l'obéissance via une responsabilisation<br />
individualisante <strong>et</strong> autonome. De tendance cognitiviste, sa perspective<br />
renvoie aux théories fonctionnalistes de l'influence, en insistant notamment<br />
sur la prégnance de la théorie de la dissonance cognitive (Festinger, 1957)<br />
pour expliquer l'intériorisation des contraintes <strong>sociale</strong>s par l'individu.<br />
II) La violence identitaire <strong>et</strong> <strong>sociale</strong> : un concept pluridisciplinaire.<br />
L'aspect social est important par rapport au thème de la<br />
violence, notamment lorsqu'il s'agit de considérer les violences non-visibles<br />
(autres qu'instituées par les pouvoirs établis), c'est à dire les violences<br />
masquées, insidieuses ou perverses, diffuses <strong>et</strong> qui correspondent souvent à<br />
une réponse minoritaire aux diktats majoritaires. La norme étant en général<br />
articulée sur l'idée de non-violence, de conformisme, toute tentative de<br />
s'extraire de c<strong>et</strong>te norme, de proposer de nouvelles normes peut être percue<br />
comme relevant de la violence. Tout réside finalement dans l'interprétation<br />
qui est donnée a posteriori par rapport aux <strong>interaction</strong>s <strong>sociale</strong>s. Et la<br />
résistance sera toujours interprétée comme violence...<br />
On peut par ailleurs constater une récurrence de la<br />
violence comme moyen d'affirmer une existence, une identité. Touraine<br />
le précise d'ailleurs dans sa définition des mouvements sociaux puisqu'il<br />
indique qu'il faut trois conditions pour que ces derniers existent :<br />
l'affirmation d'un principe d'identité, un principe d'opposition <strong>et</strong> enfin un<br />
principe de totalité ou enjeu. La sociologie de l'action s'inspire ainsi très<br />
fortement du schéma interactif qui prévaut en psychologie <strong>sociale</strong>, même si<br />
le conflit essentiel se situe au niveau global pour des auteurs comme<br />
Balandier, Bourdieu, Touraine ou Dub<strong>et</strong>. La seule idée de stratification<br />
<strong>sociale</strong> qui ordonne en opposant, tout en générant des inégalités, suffit à<br />
engendrer celle de violence. Partant le rapport inégal non seulement entre<br />
riches <strong>et</strong> pauvres, mais aussi entre sociétés masculines <strong>et</strong> sociétés féminines<br />
(Aebischer, 1985, pour la différence dans le langage) ou encore entre les<br />
générations. Lorenzi-Cioldi (1988) distingue quant à lui des rapports<br />
inégalitaires entre images féminines <strong>et</strong> masculines, considérant par ailleurs le<br />
rapport d'altérité entre hétérosexuels <strong>et</strong> homosexuels, dans lequel la violence<br />
apparaît tout à fait dans sa dimension diffuse <strong>et</strong> omniprésente. Bast<strong>et</strong> (1995)<br />
reprend sa problématique lorsqu'il s'interroge sur la masculinité : groupe<br />
d'appartenance ou groupe de référence ? L'idée d'opposition entre<br />
"dominants <strong>et</strong> dominés" peut facilement générer celle de violence,<br />
tout comme elle génère celle de position (cf. cours sur la notion d'espace<br />
en psychologie <strong>sociale</strong> de l'an dernier). La défense d'un territoire (individuel,<br />
groupal ou encore national) débouche-t-elle immanquablement sur l'idée de<br />
violence ? Malgré une pacification des moeurs constatée, la violence persiste<br />
à l'état résiduel dans de nombreux lieux <strong>et</strong> surtout dans les <strong>interaction</strong>s entre<br />
individus, entre individus <strong>et</strong> groupes <strong>et</strong> entre groupes (Doise, 1982).<br />
Toute confrontation à l'autre quel qu'il soit (individu ou<br />
groupe), gérée sur un mode dialectique, porte en elle le germe d'un conflit -<br />
voire d'une violence latente-. Les présupposés du politique que nous citions<br />
5
plus haut (ami/ennemi <strong>et</strong> commandement/obéissance) sont donc également<br />
opérationnels ici. D'où l'intérêt - <strong>et</strong> je dirais la nécessité - d'approches<br />
pluridisciplinaires, comme celle de Lagrange par exemple, dans son ouvrage<br />
sur La civilité à l'épreuve, dans lequel il démontre que par rapport à la<br />
pacification des moeurs, si maîtrise affective il y a, on doit aussi reconnaître<br />
que "depuis deux à trois décennies, en Europe <strong>et</strong> aux Etats-Unis, la<br />
violence civile <strong>et</strong> les atteintes aux biens ont augmenté dans des proportions<br />
considérables". Ce qui crée un sentiment d'insécurité proportionnellement<br />
important, reposant sur l'idée d'une violence quotidienne <strong>et</strong> inévitable. Sans<br />
provoquer de mouvement de panique comme lors de l'énoncé "les sarrasins<br />
sont de r<strong>et</strong>our !" dont tout le monde se souvient dans le film Les Visiteurs<br />
(risible car renvoyant à l'idée de violence telle qu'elle pouvait se vivre dans le<br />
passé <strong>et</strong> du fait du décalage historique inhérent à la drôlerie de la séquence),<br />
la gestion du sentiment d'insécurité ne se fait pas sans heurts. Il suffit de<br />
constater combien le phénomène de bouc-émissaire est récurrent dans nos<br />
sociétés pour désigner l'autre différent, en l'accusant d'incivilité <strong>et</strong> de<br />
violence.<br />
C'est également dans une optique pluridisciplinaire que Braud<br />
(1991) écrit le jardin des délices démocratiques, dans lequel il considère le<br />
problème central de l'agressivité, qu'il définit comme "une disposition<br />
psychique génératrice d'attitudes <strong>et</strong> de comportements à la fois dynamiques<br />
<strong>et</strong> destructeurs"... C<strong>et</strong>te double composante qui repose sur les présupposés<br />
du politique renvoie au caractère ambivalent de la violence <strong>et</strong> sollicite le<br />
regard spécifique de la psychologie <strong>sociale</strong>, tel que Moscovici le présente<br />
dans son Introduction à la Psychologie <strong>sociale</strong> (1984). En eff<strong>et</strong>, c<strong>et</strong>te<br />
discipline s'intéresse toujours à trois dimensions spécifiques : le suj<strong>et</strong>, l'obj<strong>et</strong><br />
<strong>et</strong> l'autre. Et c<strong>et</strong>te relation triangulaire peut être considérée comme l'un des<br />
présupposés de la psychologie <strong>sociale</strong> puisqu'elle la désigne dans sa<br />
particularité. Ainsi, par rapport à la violence, il est évident que la psychologie<br />
<strong>sociale</strong> ne considèrera pas la seule dimension individuelle (de l'homme<br />
agressif, comme Karli, 1987, le laisse entendre), ni la seule dimension <strong>sociale</strong><br />
(faisant intervenir la société globale), elle s'enquerra véritablement de la<br />
dynamique instaurée par une relation triangulaire de l'individu à l'obj<strong>et</strong><br />
violence en rapport avec un autre (individu ou groupe), dynamique pouvant<br />
produire une transgression par rapport à l'interdit de violence.<br />
Parler des présupposés du politique ou encore de ceux de<br />
la psychologie <strong>sociale</strong> peut certes paraître étonnant puisque l'idée<br />
implicite de ce terme renvoie à quelque chose de pré-établi, de décidé<br />
par avance <strong>et</strong> donc à un assuj<strong>et</strong>tissement théorique pouvant être<br />
perçu comme contraignant -voire violent -. Mais pour saisir la totalité<br />
d'un fait social, d'une réalité <strong>sociale</strong> construite <strong>et</strong> élaborée de concert par les<br />
divers groupes sociaux en présence, n'est-il pas nécessaire de se donner des<br />
outils d'interprétation <strong>et</strong> d'analyse procédant eux-mêmes d'hypothèses<br />
vérifiées par les politistes <strong>et</strong> les psychologues sociaux, même si ces derniers<br />
renvoient à des constructions pré-établies de ladite réalité <strong>sociale</strong> ? Celle-ci se<br />
définit d'ailleurs difficilement puisqu'elle désigne des phénomènes souvent<br />
flous <strong>et</strong> diffus, impossibles à mesurer comme la réalité physique. Seule la<br />
6
épétition des phénomènes perm<strong>et</strong> leur appréhension quand il s'agit de<br />
cerner la réalité <strong>sociale</strong>. Au-delà des idéaux-types ou des caricatures qui<br />
facilitent notre perception du réel (<strong>et</strong> qui sont également utilisés de façon<br />
pléthorique dans la littérature ou le cinéma dits réalistes ou comiques, ce qui<br />
justifie nos références aux films Le Tambour ou encore les Visiteurs tout à<br />
l'heure) mais qui sont des outils spécifiques aux sociologues <strong>et</strong> aux<br />
psychologues sociaux, il nous faut, je pense, nous enquérir de la construction<br />
de la réalité <strong>sociale</strong> par les groupes sociaux eux-mêmes afin de questionner<br />
c<strong>et</strong>te relation suj<strong>et</strong>/obj<strong>et</strong>/autre (alter ou alter ego). Par rapport à la violence,<br />
si nous décidons d'en analyser les composantes autres qu'individuelles ou<br />
<strong>sociale</strong>s mais véritablement psycho-sociologiques, il nous faut considérer<br />
plusieurs aspects :<br />
- les motivations qui poussent l'individu ou le groupe à se manifester<br />
de manière violente. La psychologie des foules de Le Bon (1895) comme<br />
celle de Tarde (1895,1910) nous renseignent sur les différents niveaux<br />
impliqués dans ces motivations, à savoir la suggestibilité accrue des individus<br />
en situation de foule, l'abaissement du niveau intellectuel qui devient plus<br />
primitif <strong>et</strong> émotionnel, la déresponsabilisation du fait du nombre <strong>et</strong> de<br />
l'anonymat qui s'ensuit, la spécificité communicationnelle dans la foule en<br />
rapport avec la figure du leader charismatique, éléments qui induisent un<br />
comportement despotique dans les masses, ainsi que le précise Moscovici<br />
(1981). La violence a d'ailleurs longtemps été associée aux foules,<br />
notamment dans les écrits de Lombroso ou Sighele (cf. Moscovici, 1981)<br />
qui évoquent la criminalité implicite des foules, leur caractère plébéien <strong>et</strong> leur<br />
folie, l'hypnose inhérente au phénomène. "La logique de la foule commence<br />
là où celle de l'individu finit" d'après Moscovici, qui distingue "deux modes<br />
de pensée ayant vocation d'exprimer la réalité, <strong>et</strong> deux seulement : l'un axé<br />
sur l'idée-concept <strong>et</strong> l'autre sur l'idée-image. Le premier dépend des lois de<br />
la raison <strong>et</strong> de la preuve, le second fait appel aux lois de la mémoire <strong>et</strong> de<br />
la suggestion. L'un est propre à l'individu, l'autre à la masse." La violence<br />
étant définie comme action sur une personne visant à contraindre celle-ci par<br />
la force, c'est effectivement le mode de pensée fondé sur l'idée-image, <strong>et</strong><br />
donc propre à la foule, qui la détermine. Ainsi, la violence ne peut se<br />
comprendre que dans son aspect représentationnel, qui fait intervenir c<strong>et</strong>te<br />
dimension visuelle -voire tactile-. Quand nous parlons des motivations, elles<br />
se réfèrent en général au domaine de l'action plus qu'à celui de la pensée<br />
pure, <strong>et</strong> inscrivent la violence dans une perspective définitivement<br />
comportementale <strong>et</strong> dynamique.<br />
-la valeur instrumentale de la violence. Freud désigne la violence comme<br />
l'élément fondateur de nos sociétés (dans Totem <strong>et</strong> tabou, à travers le<br />
meurtre du père, mais aussi dans Psychologie des foules <strong>et</strong> analyse du moi<br />
ou encore dans Malaise dans la civilisation). Sans développer davantage la<br />
perspective freudienne, nous nous bornerons à souligner l'importance de son<br />
approche dans ces trois textes qui relève de la psychologie <strong>sociale</strong> <strong>et</strong> d'une<br />
dimension véritablement interactive entre l'ego, l'obj<strong>et</strong> <strong>et</strong> l'alter. La violence<br />
fait aussi bien entendu figure d'élément cathartique chez Freud <strong>et</strong> en cela elle<br />
rejoint tout à fait notre analyse. La libido est réinterprétée dans sa dimension<br />
7
<strong>sociale</strong> comme une explication du lien entre les membres du groupe (lien<br />
d'amour) <strong>et</strong> les liens qui unissent ces membres au père charismatique (liens<br />
d'amour <strong>et</strong>/ou de haine). L'ambivalence des sentiments qui prédisposent<br />
à l'action nous semble avoir une valeur explicative certaine par<br />
rapport à la violence, surtout si l'on considère sa valeur instrumentale <strong>et</strong><br />
stratégique. Ceci nous amène à considérer maintenant la représentations<br />
<strong>sociale</strong> de la violence, car elle éclaire la dimension instrumentale de celle-ci,<br />
notamment par rapport aux styles de comportement visant à l'influence,<br />
d'un point de vue génétique.<br />
III) Représentation <strong>sociale</strong> de la violence<br />
1) une construction intra-individuelle ou intragroupale.<br />
La violence peut être choisie comme un style de comportement<br />
qui aidera la désignation <strong>et</strong> la reconnaissance de l'individu ou du groupe<br />
perçus comme minoritaires dans la société. Ainsi du terrorisme analysé par<br />
Wievorka (1986) par exemple. Ainsi des études sur les minorités actives<br />
(féministes, écologistes par G. Paicheler entre autres) ou sur l'extrême-droite<br />
(Orfali, 1990), qui associent la violence à un style de comportement rigide <strong>et</strong><br />
surtout autonome. La violence prend alors une valeur cognitive en ce<br />
sens qu'elle propose d'être interprétée, lue en quelque sorte, décodée par la<br />
majorité. C'est bel <strong>et</strong> bien l'interprétation d'un comportement qui aidera à sa<br />
définition. Et c<strong>et</strong>te interprétation renverra à une connaissance première, à<br />
des points de repères historiques (histoire personnelle, histoire du groupe<br />
voire histoire nationale). Alors même que l'appréhension de la réalité <strong>sociale</strong><br />
est pertinente du fait de la répétition dans le temps des mêmes événements<br />
(à des degrés ou sous des formes diversifiés), c<strong>et</strong>te même répétition implique<br />
un constat pessimiste par rapport à la violence. Lorsque l'on parle de<br />
l'inutilité des "leçons de l'histoire", c'est pour désigner un processus cognitif<br />
répété mais jamais élaboré, jamais transcendé. Le simple fait que certains<br />
faits historiques puissent être mis en doute (ainsi des six millions de juifs<br />
morts pendant la seconde guerre mondiale) souligne une gestion différenciée<br />
de la violence selon les groupes d'appartenance. Si tout le monde s'accorde<br />
sur la définition de c<strong>et</strong>te notion, elle ne désigne pas pour autant une même<br />
réalité. Construit social élaboré dans un groupe d'appartenance ou même de<br />
référence, la violence est un thème qui perm<strong>et</strong> de situer le degré de<br />
l'adhésion groupale. Certes, le contenu idéologique qui lui est associé est<br />
pertinent <strong>et</strong> l'on distinguera les partisans ou les opposants à la violence, au<br />
sein du groupe lui-même sauf si bien entendu il n'existe que par référence à<br />
ce thème, comme pour l'ACAT (Association des Chrétiens contre la torture)<br />
par exemple (Baverel <strong>et</strong> Gander, 1995). Certains groupes favoriseront une<br />
définition ambigüe de la violence afin de maintenir différents types de<br />
participation groupale s'articulant sur l'acceptation ou le refus, voire<br />
l'indifférence (difficile toutefois) par rapport à un style de comportement<br />
extrémiste <strong>et</strong> violent.<br />
Billig (1978) distingue ainsi deux types d'adhérents au sein du<br />
National Front britannique (l'homme de violence <strong>et</strong> l'homme d'ordre) ; ma<br />
8
propre recherche sur les motivations d'adhésion au Front national faisait<br />
apparaître trois types d'appartenance partisane (homme d'ordre, homme de<br />
violence <strong>et</strong> homme assuj<strong>et</strong>ti), une distinction qui se fonde essentiellement sur<br />
une définition identitaire des membres du groupe en fonction de trois<br />
critères : l'enjeu partisan - le r<strong>et</strong>our à l'ordre - qui importe plus que tout<br />
chez les hommes d'ordre, d'où leur participation active à la vie partisane ;<br />
l'opposition violente à tout, y compris parfois au sein du groupe lui-même<br />
- qui caractérise les hommes de violence, ainsi que les thèmes de lutte <strong>et</strong> de<br />
ressentiment, d'où leur participation passive aux activités partisanes ; <strong>et</strong> enfin<br />
la non-identité chez les assuj<strong>et</strong>tis, qui va de pair avec une croyance dans<br />
des théories conspirationistes, la certitude que le charisme lepénien les<br />
sauvera <strong>et</strong> donc une présence assez passive dans le groupe. En découlent<br />
des redéfinitions des militants (hommes d'ordre), des adhérents (hommes de<br />
violence) <strong>et</strong> des membres simples (assuj<strong>et</strong>tis).Le groupe transforme ainsi les<br />
comportements, qui de virtuels deviennent réels du fait de la dynamique<br />
intragoupale.<br />
2) la violence interprétée par l'environnement extra-groupal.<br />
Un style de comportement ne suffit pas à désigner la violence.<br />
Sa valeur instrumentale provient de l'interprétation qui sera faite par les<br />
destinataires dudit style. L'action violente nécessite ainsi une réaction, qui<br />
peut, elle, être violente ou non-violente <strong>et</strong> qui peut s'articuler sur un registre<br />
verbal ou comportemental. La définition de la violence renvoie aux seuls<br />
comportements <strong>et</strong> s'intéresse surtout à la source de violence. Il paraît<br />
nécessaire de prendre en compte la façon dont nous réagissons à c<strong>et</strong>te<br />
violence. Tendre l'autre joue ou riposter ? Telle est la question. La<br />
dimension cathartique de la violence revient de façon récurrente dans<br />
la plupart des réflexions sur le suj<strong>et</strong> (cf. les analyses de Freud bien<br />
entendu mais aussi celles de Girard, 1972, Chesnais, 1981 ou encore de<br />
Sorel lui-même, 1950). Berkowitz (1958, 1962) s'interroge d'ailleurs<br />
longuement sur la valeur cathartique de la violence.<br />
L'énoncé "la fin justifie les moyens" qui valide la violence dans<br />
sa dimension instrumentale la désigne également dans ses divers degrés de<br />
gravité. L'interprétation de la violence dans sa seule fonction stratégique<br />
amène un choix radical au niveau de sa source ; au niveau de sa cible, deux<br />
interprétations sont en revanche possibles, <strong>et</strong> donc deux réactions : la<br />
composante idéologique sera refusée très souvent (du fait d'une opposition<br />
à la norme qui condamne la violence en tant qu'idée) alors que la<br />
composante comportementale peut être acceptée (la norme privilégiant en<br />
eff<strong>et</strong> les comportements dits "battants", c'est à dire énergiques, actifs). La<br />
problématique autour de la prise de risque <strong>et</strong> des raisons qui amènent des<br />
individus à faire des chois "risqués" s'inspire sans doute de la même veine<br />
que celle qui concerne la violence. L'esprit "moutonnier" qui caractérise<br />
l'individu dans le groupe va-t-il induire des attitudes <strong>et</strong> des comportements<br />
de suivisme (par rapport à un leader lui-même violent par exemple ?) ou les<br />
9
membres du groupe "intrinsèquement" les plus violents vont-ils amener<br />
celui-ci à une polarisation extrême - voire violente - ?<br />
3) la violence définit la réalité <strong>et</strong> les pratiques <strong>sociale</strong>s.<br />
Les recherches les plus récentes en matière de persuasion<br />
soulignent l'idée suivante, qui semble de prime abord paradoxale : "si un<br />
individu choisit librement de réaliser un comportement contre-attitudinal,<br />
il tend ensuite à aligner son attitude dans le sens de son comportement"<br />
(Fazzio, Zana <strong>et</strong> Cooper, 1994). Nous avons repris le développement de<br />
Billig (1984) qui distinguait les attitudes <strong>et</strong> les comportements afin de<br />
souligner c<strong>et</strong>te inadéquation, mais aussi afin d'en signifier la valeur<br />
heuristique. Par rapport à la violence, la théorie de la dissonance cognitive<br />
(Festinger, 1957) comme celle de l'auto-perception (Bem, 1972) peuvent<br />
nous renseigner sur la définition <strong>et</strong> les pratiques prévalant chez les individus<br />
comme dans les groupes, en rapport avec la norme <strong>sociale</strong> qui refuse la<br />
violence. Ainsi, l'entreprise d'auto-justification qui accompagne toute<br />
tentative de réduction de dissonance s'appuiera t-elle sur la représentation<br />
<strong>sociale</strong> de la violence articulée sur l'idée de gradation, de gravité plus ou<br />
moins forte, de degrés différenciés <strong>et</strong> nécessitant de ce fait un traitement luimême<br />
graduel. Toute violence est punie en fonction de sa gravité (cf. la<br />
tradition judéo-chrétienne distingue par exemple les péchers en fonction de<br />
leur gravité). La théorie de l'auto-perception (auto-persuasion en fait à ses<br />
débuts) est similaire dans sa façon d'appréhender la violence. De type<br />
introspectionniste, elle s'inspire en eff<strong>et</strong> de la tradition judéo-chrétienne elle<br />
aussi ("ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas que l'on te fasse !").<br />
Conclusion.<br />
L'attitude générale, conforme à la norme <strong>sociale</strong> refuse la<br />
violence alors qu'elle produit paradoxalement des discours ou des<br />
comportements violents. Un décalage existe donc, qui se réfère à un schéma<br />
figuratif précis (la violence est à bannir car l'usage de la force pour<br />
contraindre autrui ne correspond plus à notre société pacifiée - voire sans<br />
affect -), tandis que le traitement de la violence se fera sur la base de sa<br />
gravité <strong>et</strong> de sa valeur instrumentale. Ambivalente, la notion draine avec elle<br />
une série de paradoxes, de non-dits, qui présupposent l'intériorisation par les<br />
individus de c<strong>et</strong>te différence entre idéel <strong>et</strong> comportemental. La gratuité d'un<br />
acte violent est impensable alors même qu'elle séduit notre entendement<br />
esthétique. Vécue essentiellement dans sa dimension contre-attitudinale, la<br />
violence en appelle toujours à une réduction de dissonance puisqu'elle<br />
fomente en l'individu (comme d'ailleurs dans le groupe) des énoncés de type<br />
justificatif, repris par le sens commun dans la formule déjà citée "la fin<br />
justifie les moyens". La représentation <strong>sociale</strong> de la violence double sa valeur<br />
instrumentale d'une valeur cognitive certaine : elle est un instrument<br />
d'appréhension du monde qui renforce le clivage bon/mauvais, bien/mal tout<br />
en perm<strong>et</strong>tant la catégorisation <strong>sociale</strong> (Tajfel, 1972) <strong>et</strong> la désignation de<br />
l'autre. L'affect n'est réintroduit <strong>et</strong> n'a de valeur explicative que dans le<br />
10
"pardon" pour "circonstances atténuantes", mais par c<strong>et</strong> acte la société<br />
contraint l'individu ou le groupe au repentir, <strong>et</strong> elle y réussit par le biais<br />
d'une violence autre qui enferme l'être violent dans sa différence.<br />
L'<strong>interaction</strong> <strong>sociale</strong> porte ainsi en germe l'idée de violence <strong>et</strong> ce<br />
surtout dans la représentation dichotomique qu'elle produit dans les<br />
pratiques <strong>sociale</strong>s.<br />
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