Bribes - Serge Le Squer
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<strong>Serge</strong> <strong>Le</strong> <strong>Squer</strong><br />
<strong>Bribes</strong><br />
Roger FENTON,The Valley of the Shadow of Death, 1855<br />
Deux épreuves noir et blanc sur papier salé à partir<br />
de deux négatifs verre au collodion humide.<br />
Susan HILLER, The Last Silent Movie, 2007<br />
Vidéoprojection, noir et blanc, son, 21’<br />
Luciano BERIO, Sinfonia, 1968<br />
Deuxième mouvement, 5’<br />
John LATHAM, Encyclopedia Britannica, 1971<br />
Film 16 mm, noir et blanc, muet, 6’33’’<br />
Jean-Luc GODARD, British sound, 1969<br />
Film, couleur, son, 60’<br />
Vito ACCONCI, Centers, 1971<br />
Moniteur vidéo, noir et blanc, son, 23’<br />
Harum FAROCKI, Tel qu’on le voit, 1986<br />
Film 16 mm, couleur et noir et blanc, son, 72’<br />
40<br />
••••<br />
<strong>Bribes</strong> : rognures de pain données à un mendiant. <strong>Le</strong><br />
mot tirerait son origine de l’onomatopée « bobe », exprimant<br />
le mouvement des lèvres du brimbeur quémandant son<br />
reste à se mettre sous la dent. <strong>Le</strong>s bribes alimenteraient par<br />
morceaux un possible récit toujours en latence. Ces miettes<br />
et débris constitueraient le moindre reste, substrat du désir de<br />
raconter d’autres histoires.<br />
Dans Expérience et pauvreté, publié en décembre 1933,<br />
Walter Benjamin affirme « la volonté de recommencer à<br />
zéro 1 » en effaçant ses traces 2 et en délaissant « (…) l’image<br />
traditionnelle, noble, solennelle, d’un homme paré de toutes<br />
les offrandes sacrificatoires du passé. Pour se tourner vers<br />
leur contemporain qui, dépouillé de ces oripeaux, crie comme<br />
un nouveau-né dans les langes sales de cette époque. » 3. Cette<br />
sale époque, c’est la Première guerre mondiale et sa résur-<br />
gence avec l’arrivée au pouvoir des Nationaux-socialistes en<br />
Allemagne. « (…) le cours de l’expérience a chuté, et ce dans<br />
une génération qui fit en 1914-1918 l’une des expériences<br />
les plus effroyables de l’histoire universelle. (…) N’a-t-on<br />
pas constaté que les gens revenaient muets du champ de<br />
bataille ? Non pas plus riches, mais plus pauvres en expé-<br />
rience communicable. (…) Cet effroyable déploiement de<br />
la technique plongea les hommes dans une pauvreté tout<br />
à fait nouvelle. (…) Avouons-le : cette pauvreté ne porte pas<br />
seulement sur nos expériences privées, mais aussi sur les<br />
expériences de l’humanité toute entière. C’est donc une<br />
nouvelle forme de barbarie. De barbarie ? Mais oui. Nous<br />
le disons pour introduire une conception nouvelle, positive<br />
de la barbarie. Car à quoi sa pauvreté en expérience amènet-elle<br />
le barbare ? Elle l’amène à recommencer au début, à<br />
reprendre à zéro, à se débrouiller avec peu, à construire avec<br />
presque rien, sans tourner la tête de droite ni de gauche.<br />
41<br />
<strong>Serge</strong> <strong>Le</strong> <strong>Squer</strong>
(…) La pauvreté en expérience : cela ne signifie pas que<br />
les hommes aspirent à une expérience nouvelle. Non, ils<br />
aspirent à se libérer de toute expérience quelle qu’elle soit,<br />
ils aspirent à un environnement dans lequel ils puissent<br />
faire valoir leur pauvreté, extérieure et finalement aussi<br />
intérieure, à l’affirmer si clairement et si nettement qu’il<br />
en sorte quelque chose de valable. Ils ne sont du reste pas<br />
toujours ignorants ou inexpérimentés. On peut souvent dire<br />
le contraire : ils ont « ingurgité » tout cela, la « culture » et<br />
l’« homme », ils en sont « dégoûtés et fatigués » 4 .<br />
La prise du pouvoir par les nazis, conduit Benjamin à<br />
couper les ponts avec la culture à l’origine de ce désastre.<br />
Il énonce la nécessité de reconstruire un récit à partir de ce<br />
monde qui nous est devenu insupportable et que nous nous<br />
appliquons à digérer. Soit la digestion est complète soit elle<br />
ne l’est pas et auquel cas, le monde abhorré revient à la<br />
réalité ou erre comme un fantôme dans le réel de nos rêves.<br />
<strong>Le</strong>s rêves sont parfois des réminiscences du passé, mais ils<br />
peuvent aussi donner forme à une simulation du lendemain.<br />
Dans son étude Rêver sous le IIIe Reich 5 , Charlotte Beradt note<br />
que dans ce contexte particulier, les rêves prévisualisent<br />
la surveillance policière de l’appareil politique nazi. Si le<br />
récit s’inscrit dans le passage de la réalité au réel, comment<br />
pouvons-nous définir la différence entre ces deux termes,<br />
fréquemment utilisés l’un pour l’autre ?<br />
<strong>Le</strong> philosophe et psychanalyste, Slavoj Zizek, propose<br />
un exemple pour les différencier. « Quand on compare<br />
différents témoignages oraux du même événement, la<br />
procédure habituelle est de se concentrer sur ce que ces<br />
témoignages ont en commun — ce noyau commun est<br />
alors tenu pour la « réalité objective », alors que les différences<br />
apparues dans les descriptions sont attribuées aux<br />
effets déformants des perceptions subjectives partielles » 6 .<br />
Il donne l’exemple de trois témoins apercevant dans la<br />
pénombre une personne rentrant dans une pièce, l’un<br />
dit que c’est une jeune fille, un second rapporte que c’est<br />
un jeune homme et le troisième affirme que c’est une<br />
jeune personne. La réalité est qu’une jeune personne est<br />
entrée dans la pièce, son genre féminin ou masculin étant<br />
subjectif 7 . Ensuite Zizek rend compte du fait que Freud ne<br />
s’intéressait pas au récit commun de ses patients mais au<br />
contraire à leurs différences : « (…) la similitude des éléments<br />
que l’on retrouve dans la multitude des récits est la marque<br />
de la réalité de ce qui « a effectivement eu lieu », alors que<br />
les omissions « insignifiantes » ou les détails ajoutés renvoient<br />
au Réel du rêve » 8 . <strong>Le</strong> réel et la réalité se distinguent<br />
tout en étant dépendants l’un de l’autre, ils s’alimentent l’un<br />
de l’autre. Zizek donne l’exemple d’un poème de Primo <strong>Le</strong>vi<br />
où le réel s’insère dans la réalité post-traumatique. Durant<br />
son internement en camp de concentration, Primo <strong>Le</strong>vi fit<br />
le rêve qu’il rentrait chez lui et racontait son expérience<br />
concentrationnaire. « Wstawac » (Debout) 9 , l’appel au réveil<br />
d’un kapo polonais interrompit subitement son rêve. Après<br />
la Libération, ce cri lui revient en songe alors qu’il était chez<br />
lui, occupé à raconter son expérience concentrationnaire à sa<br />
famille. Ce retournement de la relation entre rêve et réalité<br />
provoque un ébranlement du récit. Pour s’en prémunir,<br />
certains peuvent vouloir éluder ce télescopage du présent<br />
avec le passé, et vice versa. Comme le notait Benjamin,<br />
la pauvreté en expérience « avait pour revers l’oppressante<br />
profusion d’idée que suscita parmi les gens — ou plutôt<br />
se répandit sur eux — la reviviscence de l’astrologie et du<br />
yoga, de la Science Chrétienne et de la chiromancie, du<br />
végétarisme et de la gnose, de la scolastique et du spiritisme.<br />
42 <strong>Bribes</strong> 43<br />
<strong>Serge</strong> <strong>Le</strong> <strong>Squer</strong>
Car ce n’est pas tant une authentique reviviscence qu’une<br />
galvanisation qui s’opère ici » 10 .<br />
Benjamin propose d’esquiver, cette posture visant à<br />
refouler, par le leurre ou le camouflage, la réalité de cette<br />
« sale époque ». Au contraire, il faut partir des miettes de ce<br />
monde pour en construire un autre. Ces miettes, ce sont<br />
les citations. Si la citation est un principe d’autorité en<br />
rhétorique par le fait qu’elle inscrit une généalogie avec le<br />
passé, Walter Benjamin se sert des citations non pour cette<br />
validation par l’autorité du passé, mais parce qu’il ne peut<br />
penser qu’avec les restes, analectes et tessons d’une culture<br />
qui avait perdue toute forme d’autorité à ses yeux de par les<br />
désastres qu’elle généra. Il écrit à ce propos qu’en ce qui le<br />
concerne, l’intérêt d’une citation « n’est pas de conserver,<br />
mais de purifier, d’arracher du contexte, de détruire. (…)<br />
<strong>Le</strong>s citations, dans mon travail, sont comme des voleurs de<br />
grands chemins qui surgissent en armes et dépouillent le<br />
promeneur de ses convictions » 11 . La figure du détrousseur<br />
attaque l’autorité de l’auteur et renvoie à une autre figure,<br />
celle du thanatopracteur décrite dans son ultime texte,<br />
Sur le concept d’histoire. Benjamin y traduit, dans la métaphore<br />
de l’Ange de l’Histoire, la situation de celui qui « (…) voudrait<br />
bien s’attarder, réveiller les morts et rassembler ce qui a été<br />
démembré 12 » ; mais qui, poussé vers l’avenir par la tempête<br />
du progrès, n’a plus la faculté de prendre son temps. Cette<br />
désaffection de la modernité va s’amplifier avec les épreuves<br />
de la Seconde Guerre mondiale dont « Auschwitz » et « Hiroshima<br />
» sont devenus les lieux éponymes. Walter Benjamin<br />
se suicide sur la frontière franco-espagnole le 26 septembre<br />
1940 et laisse à Theodor W. Adorno le soin de prolonger cette<br />
mise en question de la modernité à partir de cette carence<br />
de l’expérience.<br />
44 <strong>Bribes</strong><br />
45<br />
À Auschwitz, l’individu est « dépossédé de la dernière<br />
chose qui lui restait et de la plus misérable [la mort].(…)<br />
Il n’y a plus aucune possibilité qu’elle [la mort] surgisse<br />
dans l’expérience vécue des individus comme quelque<br />
chose qui soit en quelque façon en harmonie avec le cours<br />
de leur vie » 13 . C’est ce défaut d’expérience ultime qui amène<br />
Adorno à écrire : « (…) écrire un poème après Auschwitz est<br />
barbare, et ce fait affecte même la connaissance qui explique<br />
pourquoi il est devenu impossible d’écrire aujourd’hui des<br />
poèmes. L’esprit critique n’est pas en mesure de tenir tête<br />
à la réification absolue, laquelle présupposait, comme<br />
l’un de ses éléments, le progrès de l’esprit qu’elle s’apprête<br />
aujourd’hui à faire disparaître, tant qu’il s’enferme dans une<br />
contemplation qui se suffit à elle-même » 14 . En opposant la<br />
contemplation à vide à l’expérience spontanée et la réification<br />
dans le modernisme au progrès de l’esprit, il annonce les<br />
lieux de sa dialectique de l’impossibilité d’écrire. Après avoir<br />
affirmé ce point de vue à la fin des années 40, Adorno va le<br />
recontextualiser et tenter de l’expliciter dans les années 60 :<br />
« la sempiternelle souffrance a autant de droit à l’expression<br />
que le torturé celui de hurler ; c’est pourquoi il pourrait bien<br />
être faux d’affirmer qu’après Auschwitz il n’est plus possible<br />
d’écrire des poèmes » 15 . Comme tout écrit philosophique,<br />
l’affirmation d’Adorno n’est pas à lire littéralement : « (…) j’ai<br />
dit que, après Auschwitz, on ne pouvait plus écrire de poème<br />
— formule par laquelle je voulais indiquer que la culture<br />
ressuscitée me semblait creuse — on doit dire par ailleurs<br />
qu’il faut écrire des poèmes, au sens où Hegel explique, dans<br />
l’Esthétique, que, aussi longtemps qu’il existe une conscience<br />
de la souffrance parmi les hommes, il doit aussi exister de<br />
l’art comme forme objective de cette conscience » 16 . La poésie<br />
ne peut advenir qu’en conscience de « l’échec de la culture.<br />
<strong>Serge</strong> <strong>Le</strong> <strong>Squer</strong>
(…) Toute culture consécutive à Auschwitz, y compris sa<br />
critique urgente, n’est qu’un tas d’ordures » 17 .<br />
La non-expérience ultime, dont parle Adorno à propos de<br />
la mort à Auschwitz II (Birkenau, camp d’extermination), est<br />
l’impossibilité du possible. L’acte d’écrire un poème, s’il ne<br />
se réduit pas à se contempler lui-même, doit retourner cette<br />
proposition en une possibilité de l’impossible dont parlait<br />
Derrida à propos de l’acte de traduire. En rapprochant ces<br />
deux actes et en utilisant le terme « traductible », Derrida<br />
déconstruit l’opposition binaire entre traduisible et intraduisible.<br />
« <strong>Le</strong> traductible pur peut s’annoncer, se donner,<br />
se présenter, se laisser traduire comme intraduisible » 18 .<br />
C’est à partir de bribes de mots et de sons que Derrida va<br />
construire ses archi-écritures, traductions de l’intraduisible,<br />
dont le terme « différance » 19 est un exemple. Composé avec<br />
le substantif « différence » et le « an » du participe présent de<br />
« différer », la « différance » ne comporte aucune différence<br />
phonétique avec le mot « différence ». Derrida s’autorise une<br />
faute d’orthographe pour arrêter le regard du lecteur sur la<br />
permutation du « e » en « a ». Cet arrêt diffère le sens pour<br />
l’ouvrir, c’est le « pas de sens » de Derrida. Ce néologisme<br />
s’énonce, comme un faisceau de possibilités impossible à<br />
réduire en un concept. Il n’existe pas au sens propre, il dégage<br />
des possibles.<br />
C’est justement ce caractère de la poésie, possibilité<br />
de l’impossible, qui amena Primo Lévi, un survivant, un<br />
revenant d’Auschwitz III (Monowitz, camp de concentration-usine)<br />
à ne pouvoir écrire que des poèmes durant les<br />
deux années suivant sa libération. Il déclara à propos de l’impossibilité<br />
de la poésie après Auschwitz énoncé par Adorno :<br />
« Mon expérience prouve le contraire. Il m’a semblé, alors,<br />
que la poésie était mieux à même que la prose pour exprimer<br />
46 <strong>Bribes</strong><br />
47<br />
ce qui m’oppressait. Quand je parle de « poésie », je ne pense<br />
à rien de lyrique. À cette époque, j’aurais reformulé la phrase<br />
d’Adorno : après Auschwitz, on ne peut plus écrire de poésie<br />
que sur Auschwitz. » 20. Cela peut signifier que personne ne<br />
revient d’Auschwitz. C’est peut-être cet état de non-revenant<br />
qui a rendu la communication de l’expérience de cette dépossession<br />
de soi incommunicable. Non par le mutisme de celles<br />
et ceux qui rentraient des camps mais par l’impossibilité<br />
d’un lieu d’échange pour ce récit, puisque ces non-revenants<br />
étaient morts à « Auschwitz » comme certains d’entre eux<br />
l’énoncèrent après leur retour pour exprimer leur état 21 . Si<br />
ce lieu ne put être effectif, c’est parce que les destinataires de<br />
ce récit ne voulaient pas (l’) entendre. (l’) sont les revenants.<br />
<strong>Le</strong> 6 août 1945, une bombe atomique est larguée sur<br />
Hiroshima. Claude Robert Eatherly est l’un des pilotes de<br />
l’avion météorologique précédant le bombardier atomique.<br />
Il devait indiquer au bombardier si les conditions météorologiques<br />
étaient adéquates pour le largage. Au retour de<br />
ce vol « héroïque », Claude Robert Eatherly subit ce que le<br />
philosophe Gunther Anders nomme « l’effet à retardement »<br />
de la bombe 22 : la réapparition récurrente de visages 23 . <strong>Le</strong>s<br />
fantômes d’Hiroshima, dans le réel de ses rêves, le poussent à<br />
imaginer divers artifices pour tenter d’oublier sa participation<br />
à ce geste atomique. Après avoir tenté d’émigrer, il revient<br />
aux USA. Par le travail et l’alcool, il essaie de retrouver le<br />
repos du sommeil jusqu’à une tentative de suicide avec des<br />
somnifères, ultime recherche d’un havre de paix. Pour<br />
s’excuser, il écrit et envoie de l’argent au Japon. Mais ce qu’il<br />
ne pouvait plus supporter c’était le masque du héros de la<br />
fiction nationale américaine, la victoire. Entre 1953 et 1959,<br />
il attaque à plusieurs reprises des banques, des bureaux de<br />
<strong>Serge</strong> <strong>Le</strong> <strong>Squer</strong>
poste ou des caissiers sans rien voler. Il attend une condamnation<br />
qui pourrait lui permettre de vivre avec cette non-expérience<br />
du spectateur aérien de la mort atomique à laquelle<br />
il avait pris part, à regret, après-coup. Il fut interné dans un<br />
hôpital psychiatrique de l’Armée<br />
où un médecin-chef le décrivit<br />
ainsi : « un cas incontestable de<br />
transformation de la personnalité.<br />
Patient dépourvu de tout<br />
sens de la réalité. Complexe<br />
d’angoisse, tension nerveuse<br />
croissante, émotions émoussées,<br />
hallucinations. » 24. Ken McMULLEN,<br />
Ghost Dance, 1983<br />
Film, couleur, stéréo, 100’<br />
« Pensant à elle, elle pensait<br />
‹ je ›. Mais plus elle voyait le<br />
délabrement autour d’elle,<br />
plus elle se coulait dans la<br />
brèche entre ‹ je › et ‹ moi ›.<br />
Car on sait que le déla-<br />
Quelle<br />
brement social cause la<br />
fragmentation psychique. réalité ? La réalité factuelle, celle<br />
Et plus les choses se<br />
du bombardement ? La réalité<br />
détériorent, plus les mythes ou plutôt le réel de l’Armée, qui<br />
prospèrent, pour tenter de fait de lui un héros national ?<br />
trouver un sens historique <strong>Le</strong> réel d’Eatherly qui se considère<br />
au chaos historique. »<br />
comme un criminel à qui l’on fait<br />
jouer le rôle d’un héros de fic-<br />
Eugène ATGET,<br />
Porte d’Asnières, 1913<br />
tion ? Eatherly n’est pas dépourvu<br />
Album des zoniers, 1912-1913 de tout sens de la réalité comme<br />
le note le psychiatre militaire, au<br />
Eugène ATGET,<br />
contraire il demande à ce que la<br />
Porte d’Italie, 1913<br />
réalité soit rétablie et pour cela il<br />
Album des zoniers, 1912-1913<br />
monte le scénario de ses hold-up<br />
sans butin. L’absurde est ici un des ressorts pour faire advenir<br />
la réalité dans le monde fictionnel des honneurs militaires.<br />
À moins que ces attaques de banques sans demander d’argent<br />
ne soient des actes performatifs, déclencheurs non pas du<br />
fait de se faire remettre de l’argent par le caissier, mais<br />
devant amener la justice de son pays à condamner un vrai<br />
48 <strong>Bribes</strong><br />
49<br />
faux héros en criminel. En 1959, Günther Anders débute une<br />
correspondance épistolaire avec lui pour dégager le récit de<br />
cet « effet à retardement de la bombe » que la médecine puis<br />
la justice militaire, avaient tenté de couvrir sous le sceau<br />
d’une pathologie psychiatrique.<br />
Partir de cet état de pauvreté, c’est se laisser la possibilité<br />
de travailler les moindres restes comme le font l’archéologue<br />
et le chiffonnier avec leur propre mode de classement, de<br />
mise en ordre des matériaux ramassés, perçu de notre point<br />
de vue comme désordre. Des restes, des morceaux, des fragments,<br />
des miettes. <strong>Le</strong> récit tel que j’en fais l’expérience est<br />
proche d’un état de recollation, construction par fragments.<br />
Ce néologisme est composé à partir de plusieurs termes : le<br />
substantif « collation » (repas léger, en-cas, casse-croûte), les<br />
verbes « recoller » (coller de nouveau), « récoler » (faire l’inventaire),<br />
recolation (recueillir un témoignage) et le préfixe « re »<br />
(répétition, recommencement, retour, itération). Recollation<br />
c’est l’action de recoller en mangeant les restes. Je pense ici<br />
à la métaphore de l’anthropophagie que le traducteur Albert<br />
Bensoussan propose pour définir l’acte de traduire. « Envisager<br />
la traduction comme exercice masticatoire et activité anthropophage,<br />
voilà notre appétit (…). <strong>Le</strong> poète Eugène Guillevic<br />
déclarait naguère, lors d’un colloque consacré à l’Auteur et<br />
son Traducteur (…) : « Quand nous parlons nous ne faisons<br />
que mastiquer nos morts. » (…) Nous emplissons notre bouche<br />
de mots, nous les salivons, les savourons et, une fois admis<br />
qu’ils sont bons pour nous, qu’ils vont nous faire du bien,<br />
nous les avalons. (…) Ainsi revenait-on au culte des morts<br />
et quelque anthropophagie des origines où l’on assurait la<br />
survie du défunt en s’appropriant ses organes nobles et en<br />
mastiquant religieusement ses viscères. » 25<br />
<strong>Serge</strong> <strong>Le</strong> <strong>Squer</strong>
De ces morceaux épars de la réalité que je capte comme<br />
des signes de celle-ci, qu’ils soient sonores, visuels ou typo-<br />
graphiques, je constitue une archive à partir de laquelle je<br />
joue 26 le vide qui les entoure pour mettre en relation ces bribes.<br />
En 2011, je suis invité par la Ville de Lorient à créer un<br />
Chemin de balade urbaine. L’histoire de la ville dont le point<br />
aveugle, le bombardement de sa base sous-marine durant<br />
la Seconde guerre mondiale et son corollaire, la quasi<br />
disparition du site historique de la ville, m’amena à faire<br />
le choix du sonore pour réaliser<br />
cette commande. La pièce Souffle<br />
<strong>Serge</strong> LE SQUER,<br />
Souffle dans mon œil,<br />
dans mon œil, composée de témoi-<br />
Lorient, 2001, son, stéréo, 77’ gnages et d’ambiances sonores,<br />
commande d’un « Chemin est proposée à l’écoute au casque<br />
de balade urbaine »<br />
audio lors d’une déambulation<br />
par la ville de Lorient. urbaine. Ce dispositif de soundwalk<br />
permet à chaque participant<br />
<strong>Serge</strong> LE SQUER,<br />
de créer son propre parcours de<br />
Pas à pas, les arpenteurs,<br />
Beyrouth, 2003,<br />
ruptures ou dissonances créées<br />
Vidéo, stéréo, 26’.<br />
par le décalage sensoriel entre les<br />
Diagramme du plan<br />
lieux traversés et la bande sonore<br />
de montage, support écoutée. <strong>Le</strong> chemin de balade est<br />
et format variable.<br />
constitué des divers parcours<br />
effectués durant l’écoute de cette<br />
pièce sonore.<br />
Dans Pas à pas, les arpenteurs, dont la scène se passe à<br />
Beyrouth en 2002, deux arpenteurs mesurent l’espace<br />
d’un cinéma détruit. Ils sont reliés l’un à l’autre par un<br />
rouleau décamètre, à la fois outil du géomètre bâtisseur<br />
et de l’archéologue, ligne-ruban permettant de donner<br />
présence à la distance les séparant, et métaphore de la<br />
50 <strong>Bribes</strong><br />
51<br />
bobine cinématographique. <strong>Le</strong> titre pas à pas joue sur le double<br />
sens de pas, mesure de progression d’un corps qui avance<br />
et adverbe de négation. Je souhaitais que la structure du<br />
film corresponde à l’état de délabrement de l’architecture<br />
des immeubles détruits par la guerre et des chantiers de<br />
promoteurs stoppés par la crise immobilière. Cette architecture-en-construction-ruine<br />
me semblait être à la fois une<br />
métaphore de la société libanaise et de notre rapport à<br />
l’Histoire, un récit troué. Je n’ai pas monté le film pour<br />
reconstruite une forme pleine et stable mais au contraire<br />
je construisais à partir des vides, sonores et visuels, ou<br />
faux raccords. Une phrase de<br />
Youssef Ishagpour a alimenté<br />
ma réflexion sur le montage et<br />
sa finalité : « <strong>Le</strong>s combinaisons<br />
du montage multiforme ne<br />
contiennent pas de totalité<br />
achevée, de valeurs éternelles<br />
hypocritement adorées, mais<br />
des ruines interrompues sous<br />
une figure nouvelle, le pêlemêle<br />
des sphères effondrées. » 27.<br />
<strong>Serge</strong> LE SQUER,<br />
Constellation,<br />
Bruay-la-Buissière, 2006<br />
Poster, 56 × 80 cm, Arras :<br />
La pomme à tout faire.<br />
<strong>Serge</strong> LE SQUER,<br />
Où es-tu Henri Jean Pierre ?,<br />
2005<br />
son stéréo géolocalisé,<br />
casque audio, 2’ 50’’<br />
Je construis à partir des vides<br />
<strong>Serge</strong> LE SQUER,<br />
et des restes pour donner<br />
Blouse industrielle pour une<br />
l’expérience d’une multiplicité<br />
performance, 2006-2011<br />
Blouse<br />
des possibles. À partir de plusieurs<br />
points, plusieurs lignes<br />
sont possibles.<br />
Une constellation de capsules de bières sur le sol terreux<br />
d’une ville minière du Nord de la France, restes d’une rencontre<br />
et peut-être d’un dialogue, cartographie de celui-ci<br />
à moins que ce ne soit celle d’une disparition ?<br />
<strong>Serge</strong> <strong>Le</strong> <strong>Squer</strong>
Cette recherche sur les formes d’inscription du corps dans<br />
l’histoire et le territoire m’a conduit à réfléchir à la possible<br />
disparition de l’expérience physique du corps. En 2005, je suis<br />
invité par le collectif Mu 28 à réaliser une œuvre pour un par-<br />
cours sonore dans le quartier de la Goute d’Or à Paris. J’aborde<br />
ce quartier non pas comme un territoire délimité et déterminé,<br />
surdéterminé, mais comme une zone où se propagent les<br />
ondes radio provenant des divers lieux alentours. J’ai limité<br />
mon point d’écoute de ces ondes, à une pièce, la cuisine d’un<br />
appartement de ce quartier. Par ce choix, le lieu quotidien<br />
de la subsistance devient le foyer délocalisé de celui qui, via<br />
un scanner radio, écoute des gens travailler : taxis, policiers,<br />
grutiers, pompiers, commerçants, régisseurs cinéma, etc.<br />
Ces voix fantomatiques et désincarnées issues des ondes radio<br />
placent l’auditeur dans la situation d’un travailleur-spectateur<br />
dont l’activité se résume à l’écoute dissimulée de scène de<br />
travail. <strong>Le</strong> choix de cette position participe d’une interrogation<br />
sur la dématérialisation et le rapport que l’artiste entretient<br />
avec la sphère du travail salarié soumis à la globalisation.<br />
En 2006, pour une exposition à Hambourg, j’ai accroché<br />
au mur une blouse de travail accompagnée d’un cartel sur<br />
lequel était écrit « Blouse industrielle pour une performance ».<br />
<strong>Le</strong> soir du vernissage, la commissaire d’exposition m’a signalé<br />
qu’il était l’heure d’exécuter ma performance. Je n’ai pas<br />
effectué de performance. Cette non-actualisation résonnait<br />
avec les autres œuvres que je présentais dans cette exposition :<br />
00.00.00, Re: en grève, Non-grévistes. L’accrochage au mur de cette<br />
blouse avec son cartel est un dispositif performatif plus qu’une<br />
performance. Cette corrélation cartel-blouse-exposition<br />
indique que la performance a, ou va avoir lieu même si elle<br />
n’est pas effective. La préposition « pour » donne une indication<br />
de destination devant justifier la rétribution de l’artiste.<br />
52 <strong>Bribes</strong><br />
53<br />
« Déclarer son intention n’est pas entreprendre (…) » 29 précisait<br />
J. L. Austin lorsqu’il décrivait les énoncés promissifs, un type<br />
particulier d’énoncés performatifs. La non-actualisation de<br />
la performance peut renvoyer le spectateur, à la solitude de<br />
son propre corps, et même à sa disparition. La promesse<br />
d’une performance, promesse d’un corps actif, voire du<br />
corps de l’artiste n’en interroge pas moins les enjeux de<br />
la performance, le travail de l’artiste et la présence de son<br />
corps en rapport avec une autre réalité sociale, celle du travail<br />
industriel et de sa délocalisation. Au regard de son histoire,<br />
la performance participe à la remise en cause des canons de<br />
l’art et de la représentation. Aujourd’hui, par delà l’exigence<br />
de certains artistes et curators qui continuent à l’expérimenter,<br />
il semble que la performance soit devenue pour d’autres, un<br />
produit d’appel culturel, forme décorative sans perturbation<br />
30 pour l’événement du vernissage. La blouse industrielle<br />
pour une performance expose la relation au corps dans la société<br />
post-industrielle et dans le champ de l’art contemporain. À<br />
chaque exposition, la blouse est dépliée ou pliée, accrochée<br />
ou posée. Blouse industrielle pour une performance est l’ensemble de<br />
ces gestes, de la relation au site, aux visiteurs, et des récits qui<br />
s’en dégagent. C’est en passant du champ de la représentation<br />
vidéo, photographique, sonore et textuelle, à celui de la<br />
présentation d’un objet issu du monde du travail industriel<br />
que je me suis posé les questions suivantes : en quoi l’acte de<br />
faire ou non une performance serait-il révélateur de notre<br />
rapport au corps dans une société post-industrielle ? De quelle<br />
manière ce geste met-il en question la valeur économique du<br />
travail dans le champ de l’art ? <strong>Le</strong>s modes d’organisation du<br />
monde du travail peuvent-ils nous renseigner sur les formes<br />
de l’art, et vice-versa ? Ces questions m’ont amené à réaliser<br />
d’autres œuvres dont celle relative à la grève sur internet.<br />
<strong>Serge</strong> <strong>Le</strong> <strong>Squer</strong>
J’ai archivé des pages web traitant de la grève sur internet<br />
pour étudier — au sens de faire une étude comme un dessin<br />
préparatoire — un mode de résistance à l’économie immatérielle.<br />
Si le fait de manifester dans la rue participe d’une<br />
conception de l’espace à arpenter physiquement par la foule,<br />
celui de manifester sur internet<br />
tend à déplacer l’espace public de<br />
la rue vers un espace parallèle,<br />
l’espace virtuel, peuplé d’individus<br />
séparés physiquement.<br />
<strong>Le</strong>s adresses html de ces pages<br />
web donnent à lire le cheminement<br />
dans le dossier source du site web, permettant<br />
d’accéder aux pages concernées. Cette forme d’écriture se<br />
caractérise par son style télégraphique, voire lyophilisé<br />
en une suite de mots, initiales ou chiffres. Je me suis<br />
demandé en quoi cette forme d’écriture serait-elle le<br />
paradigme d’un nouveau mode d’organisation sociale ?<br />
<strong>Le</strong>s choix organisationnels expriment une façon de penser<br />
un monde, celui de l’entreprise par exemple, comme les<br />
modes de narration expriment une conception de la réalité.<br />
Ces modes organisationnels et narratifs sont influencés par<br />
les changements technologiques et leurs conséquences sur<br />
notre appréhension de la réalité. En recherchant à dégager<br />
la structure de ces adresses html, j’ai extrait un signe qui<br />
me semble déterminant, la barre oblique « / ». Nous allons<br />
voir en quoi il résonne avec d’autres modes de ponctuation,<br />
d’organisation sociale et en quoi il se prolonge dans l’espace<br />
public contemporain et les modèles de management.<br />
C’est par hasard, en confrontant cet archivage en cours<br />
avec la lecture d’un texte sur la narration 31 <strong>Serge</strong> LE SQUER,<br />
Res: en grève, 2007-2009<br />
site web<br />
version La Box, Bourges<br />
version Table d’hôtes, Lyon<br />
version Salon de Montrouge<br />
que j’ai établi<br />
un lien entre l’émergence du tiret dans la littérature au<br />
54<br />
<strong>Bribes</strong> 55<br />
XIXe siècle, l’invention du cinématographe et l’apparition<br />
du taylorisme. Dans l’antiquité, la ponctuation servait à<br />
séparer les mots, d’abord par un blanc puis par un point<br />
« . » 32. Ensuite elle a servi, d’une part à économiser le parchemin<br />
en permettant d’écrire en continu des paragraphes<br />
différents, d’autre part à donner un rythme à la lecture,<br />
et enfin elle a permis de hiérarchiser un écrit en révélant<br />
les passages importants avec les signes « , » « : » « ; » 33 .<br />
La ponctuation nécessite un code mais ce code reste encore<br />
aujourd’hui approximatif. Je ne développerai pas ici les<br />
controverses sur l’utilisation de la virgule par exemple.<br />
Avec l’invention de l’imprimerie, apparaissent les premières<br />
règles de ponctuation édictées non pas par les auteurs mais<br />
par les typographes. Ceux-ci non seulement remplacent<br />
les copistes mais ils supervisent la mise en page du texte<br />
de l’auteur sur la surface de la page. L’écriture de l’auteur<br />
s’incline devant le composteur du typographe qui construit<br />
le texte par la juxtaposition de fontes indépendantes. Ces<br />
changements de lieu (de l’atelier du copiste à l’imprimerie)<br />
et de technologie (de la copie écrite par le crayon et la main<br />
du copiste à la copie imprimée par les fontes du typographe)<br />
révèlent un changement du paradigme de l’organisation<br />
sociale. Selon Marshall McLuhan, la technologie n’est pas<br />
simplement un outil que l’homme utilise mais également<br />
le moyen par lequel il se réinvente. Pour ce sociologue,<br />
l’imprimerie de Gutenberg au XVe siècle annonce le passage<br />
à l’ère mécanique de l’homme typographique 34 caractérisée<br />
par le fractionnement 35 et le centralisme. Cette étape marque<br />
la transition du Moyen Âge à la Renaissance. « ‹ Une place<br />
pour chaque chose, et chaque chose à sa place › caractérise<br />
non seulement le rangement des fontes du typographe, mais<br />
aussi toute l’organisation humaine du savoir et de l’action<br />
<strong>Serge</strong> <strong>Le</strong> <strong>Squer</strong>
depuis le XVI e siècle. Même les sentiments et les émotions<br />
de la vie intérieure en vinrent à être structurés, ordonnés<br />
et analysés comme des paysages différents (…) » 36 . Un signe<br />
typographique m’intéresse plus particulièrement du fait de<br />
sa désuétude et parce que sa fonction de fragmentation le lie<br />
intimement à l’édition imprimée. Ce signe est le tiret « — ».<br />
Il indique le changement d’in-<br />
terlocuteur dans un dialogue.<br />
Toutefois je m’intéresse à un<br />
autre usage du tiret que Jacques<br />
Drillon a souligné, il « (…) sépare<br />
du contexte (…), interrompt la<br />
continuité de la phrase. Il inclut<br />
de force, pourrait-on dire, une<br />
phrase dans la phrase (…). » 37.<br />
Point de couture,<br />
point de bâti ou faufil<br />
Photographie<br />
Boulevard haussmannien<br />
et son quartier historique<br />
adjacent, Paris<br />
Photographies<br />
Laurence STERNE,<br />
En quelque sorte c’est un signe<br />
Tristram Shandy, 1760 qui permet de monter des mor-<br />
Extraits<br />
ceaux, fragments indépendants<br />
Friedrich ENGELS,<br />
Karl MARX,<br />
Manifeste du parti<br />
les uns dans les autres. Ce signe<br />
typographique ne s’efface pas,<br />
il assume la visibilité du point<br />
communiste, 1847<br />
de couture. Pour visualiser<br />
Extraits<br />
comment une phrase peut s’imbriquer<br />
dans une autre, voyez<br />
Stéphane MALLARMÉ,<br />
Un coup de dés jamais<br />
n’abolira le hasard, 1897<br />
Extraits<br />
comment une percée haussmannienne<br />
parisienne s’insère<br />
dans un habitat ancien repoussé<br />
à l’arrière-plan du boulevard.<br />
Dans ce dispositif, les façades des immeubles haussmanniens<br />
forment un mur-image chevauchant, pour mieux le cacher,<br />
le lacis de ruelles des vieux quartiers. <strong>Le</strong> texte s’écrit comme<br />
la ville se construit, en juxtaposant des couches historiques<br />
56 <strong>Bribes</strong><br />
57<br />
différentes. Cette pensée du montage est intimement liée<br />
au développement de la ville moderne.<br />
La diffusion du tiret dans la littérature française au<br />
XIXe siècle est en grande partie due à l’auteur anglais du<br />
XVIIIe siècle, Laurence Sterne. Dans Tristram Shandy (1760),<br />
il défriche un nouveau champ pour la ponctuation, et plus<br />
particulièrement pour le tiret. Il agrémente le récit de<br />
jeux typographiques, de l’espace blanc au tiret. <strong>Le</strong>s tirets<br />
répétés et assemblés les uns derrière les autres sur les<br />
lignes de composition du typographe semblent matérialiser<br />
l’absence d’une partie du texte, jusqu’à la page complètement<br />
noire, comme si le récit s’écrivait par effacement.<br />
À d’autres endroits, la ligne du tiret devenue ondulation<br />
se transforme en une ligne courbe, support pour les notes<br />
d’une possible partition musicale. Tout comme le mouvement<br />
libre dans l’espace de la valse supplanta la rigidité des<br />
danses d’Ancien régime, Sterne libère la ponctuation. Si la<br />
ponctuation est la marque de l’ordre établi des typographes,<br />
ici l’auteur, Sterne, reprend sa liberté en modernisant l’utilisation<br />
des signes de ponctuation qui avaient accompagnés<br />
la diffusion des livres imprimés. Il se moque des graveurs<br />
en insérant une page noire, figurant l’absence par le retard<br />
du graveur n’ayant par fourni ses épreuves. La page prend<br />
la dimension d’une image, pour former une poésie figurée.<br />
Elle annonce le changement de paradigme de la main à l’œil<br />
dans notre rapport à la réalité 38 . Au-delà d’un geste frivole,<br />
Sterne produit un objet littéraire dont le récit et sa forme narrative<br />
mette en jeu l’actualité du rapport de l’auteur à la technique<br />
de reproduction et donne les prémices d’une affirmation<br />
de l’Auteur qui s’établit au cours du XIXe siècle.<br />
Au cours de ce siècle, le tiret devient progressivement<br />
un élément de ponctuation de plus en plus utilisé par les<br />
<strong>Serge</strong> <strong>Le</strong> <strong>Squer</strong>
écrivains. En 1847, Friedrich Engels et Karl Marx utilisent<br />
aussi le tiret pour la rédaction du Manifeste du parti communiste.<br />
Si je mets de côté l’utilisation du tiret comme parenthèse, ces<br />
deux penseurs ont deux manières de l’utiliser. La première<br />
consiste à ajouter un développement à un élément donné.<br />
<strong>Le</strong> tiret apporte par la cassure de la phrase une dynamique<br />
à la pensée : « <strong>Le</strong> proudhonisme en France, le Lassalisme en<br />
Allemagne, agonisaient, et même les Trade-Unions anglais,<br />
conservateurs, s’en approchèrent — bien que dans leur majorité,<br />
ils eussent perdu depuis longtemps le contact avec l’Internationale<br />
— au point que leur président pouvait déclarer<br />
en leur nom à Swansea, l’année passée : ‹ le socialisme continental<br />
a perdu pour nous son caractère d’épouvantail ›. 39 »<br />
La seconde consiste à utiliser le tiret comme une rupture<br />
du rythme musical, comme un refrain : « <strong>Le</strong> libre échange<br />
— dans l’intérêt de la classe ouvrière ! Des droits protecteurs<br />
— dans l’intérêt de la classe ouvrière ! Des prisons cellulaires<br />
— dans l’intérêt de la classe ouvrière ! Voilà le dernier mot<br />
du socialisme bourgeois, le seul qu’il ait dit sérieusement.<br />
Car le socialisme bourgeois tient tout entier dans cette<br />
affirmation que les bourgeois sont des bourgeois — dans<br />
l’intérêt de la classe ouvrière » 40 . <strong>Le</strong> tiret marque à la fois la<br />
rupture et l’enclenchement d’un nouveau rythme, celui de<br />
la classe ouvrière et de la lutte des classes. <strong>Le</strong> rythme narratif<br />
est intimement lié à la pensée politique des deux auteurs.<br />
À force de coupures, le texte devient un amas de<br />
lambeaux, au point de perdre toute cohérence narrative,<br />
à moins que l’action de dislocation ne soit la forme et le<br />
fond du récit. À la fin du XIXe siècle, Stéphane Mallarmé<br />
engage un projet d’édition poétique au-delà du traditionnel<br />
recueil de poésie. Il écrit un poème spécifiquement pour<br />
58 <strong>Bribes</strong><br />
59<br />
la surface des doubles pages d’une édition. Cela marque<br />
à mon sens la reprise définitive du pouvoir de l’auteur sur<br />
le typographe à moins que l’écrivain et le typographe ne<br />
soient plus qu’une seule et même personne. Un coup de dés<br />
jamais n’abolira le hasard (1897) est composé des « débris verbaux,<br />
sortes d’épaves ballotées dans l’espace du texte » 41 , débris<br />
d’un naufrage du langage, débris noirs sur l’océan de la<br />
page blanche. Ici, Mallarmé n’a plus besoin de tiret, il a<br />
disparu pour laisser place au vide qui sépare les débris de<br />
ce naufrage. Ce poème est la photographie d’une mer où<br />
flottent les débris d’un naufrage, le ça a été 42 du naufrage<br />
dont les débris ne pourront plus se réunir pour former à<br />
nouveau le récit préexistant à l’évènement de la dislocation.<br />
Mallarmé écrit dans la préface au poème : « Tout se passe,<br />
par raccourci, en hypothèse ; on évite le récit. Ajouter que de<br />
cet emploi à nu de la pensée avec retraits, prolongements,<br />
fuites, ou dessin même, résulte, pour qui veut lire à haute<br />
voix, une partition. » 43. L’utilisation dans ce poème, de la<br />
double nature du terme « si », conjonction et note de musique,<br />
donne une présence à cette musicalité qui toutefois excède<br />
ce simple jeu phonétique des mots pour s’insérer dans la<br />
structure du poème sur la surface de la double page. « Tout<br />
est là. Je fais de la Musique et appelle ainsi non celle qu’on<br />
peut tirer du rapprochement euphonique des mots cette<br />
première condition va de soi, mais l’au-delà magiquement<br />
produit par certaines dispositions de la parole (…). Vraiment<br />
entre les lignes et au-dessus du regard cela se passe, en toute<br />
pureté, sans l’entremise de cordes à boyaux et de pistons<br />
comme à l’orchestre, qui est déjà industriel ; mais c’est la<br />
même chose que l’orchestre, sauf que littérairement ou<br />
silencieusement (…). Employez Musique dans le sens grec,<br />
au fond signifiant Idée ou rythme entre des rapports… » 44 .<br />
<strong>Serge</strong> <strong>Le</strong> <strong>Squer</strong>
Pour Mallarmé, l’espace blanc de la page est une « (…) distance<br />
copiée qui mentalement sépare des groupes de mots ou les<br />
mots entre eux, semble d’accélérer tantôt et de ralentir le<br />
mouvement, le scandant, l’intimant même selon une vision<br />
simultanée de la page (…) » 45 . Au delà de la mise en musique<br />
du langage que Sterne avait déjà en partie introduit avec<br />
le tiret et les blancs, Mallarmé<br />
fragmente le langage à l’instar<br />
des corps fragmentés par l’appareil<br />
photographique de Bertillon dès la<br />
fin des années 1870 et plus tard par<br />
la caméra du cinématographe, au<br />
milieu des années 1890. « <strong>Le</strong> papier<br />
intervient chaque fois qu’une<br />
image, d’elle-même, cesse ou<br />
rentre, acceptant la succession<br />
d’autres et, comme il ne s’agit pas<br />
ainsi que toujours, de traits sonores<br />
réguliers ou vers — plutôt, de subdivisions<br />
prismatiques de l’Idée,<br />
l’instant de paraître et que dure<br />
leur concours, dans quelque mise<br />
en scène spirituelle exacte, c’est à<br />
des places variables, près ou loin<br />
du fil conducteur latent, en raison<br />
de la vraisemblance, que s’impose<br />
le texte. 46 Alphonse BERTILLON,<br />
Identification<br />
anthropométrique.<br />
Instructions signalétiques,<br />
album, Melun, Imprimerie<br />
Administrative, 1893<br />
Thomas EAKINS, Baseball<br />
Players Practicing, 1875<br />
Aquarelle, 10 7/8 x 13 in.<br />
Thomas EAKINS<br />
Eakins's Students at the<br />
«The Swimming Hole»,<br />
1884, Photographie,<br />
tirage à l’albumine,<br />
3 11/16 × 4 13/16 in<br />
Thomas EAKINS,<br />
Swimming hole, 1885<br />
Huile sur toile,<br />
27 3/8 × 36 3/8 in<br />
» <strong>Le</strong> processus décrit par<br />
Frères LUMIÈRE,<br />
Mallarmé, évoque la succession<br />
le cinématographe des images fixes du dispositif<br />
Exemple de pellicules, cinématographique produisant<br />
collection Institut Lumière<br />
l’illusion du mouvement à partir<br />
d’images-fragments, mais ici le<br />
60 <strong>Bribes</strong><br />
61<br />
récit n’est pas clos, il est en perpétuelle recombinaison.<br />
Mallarmé exprime avec sa propre forme l’un des enjeux<br />
de la technique, de la science et des arts du XIXe siècle 47 , plus<br />
particulièrement son dernier tiers : la fragmentation et le<br />
morcellement comme mode opératoire. En France à la fin<br />
des années 1870, dans la filiation de Johann Kaspar Lavater<br />
et de Guillaume Duchenne de Boulogne, Alphonse Bertillon<br />
va tenter de faire parler les visages. Mais à la différence des<br />
deux premiers qui envisageaient leurs travaux comme devant<br />
servir les arts pour représenter les expressions, Bertillon<br />
envisage l’anthropométrie comme une science au service<br />
de l’identification policière. L’une de ses bases techniques<br />
est la rédaction du « portrait parlé » à partir de la découpe<br />
photographique du corps des repris de justice. Front, nez,<br />
menton, lèvres, oreilles, signes particuliers sont mesurés,<br />
comparés et consignés pour établir la caricature de la personne<br />
à reconnaître 48 , image plus à même de permettre l’identification<br />
par le grossissement des traits caractéristiques.<br />
Au même moment, aux USA, le photographe américain,<br />
Eadweard J. Muybridge diffuse les résultats de ses<br />
expérimentations photographiques sur la décomposition du<br />
mouvement d’un cheval. À la suite de la publication de ces<br />
résultats, l’université de Philadelphie lui commande une<br />
étude du mouvement par la photographie instantanée pour<br />
le compte des départements vétérinaire et art. Il y travaille<br />
en partenariat avec l’enseignant et peintre réaliste Thomas<br />
Eakins. <strong>Le</strong>s photographies de cette étude furent reproduites<br />
par phototypie en 1887 dans l’édition intitulée Animal locomotion ;<br />
An Electro-photographic Investigation of Consecutive Phases of Animals<br />
Movements, 1872-1885, comprenant 781 planches d’animaux,<br />
d’enfants, de femmes et d’hommes exécutant un mouvement.<br />
En 1881, Muybridge présente à Paris les premières planches<br />
<strong>Serge</strong> <strong>Le</strong> <strong>Squer</strong>
photographiques de ses études sur le mouvement. Ces résul-<br />
tats vont permettre au scientifique français, Jules-Étienne<br />
Eadweard J. MUYBRIDGE,<br />
Animal locomotion, 1887<br />
University of Pennsylvania<br />
Planches photographiques<br />
Extrait<br />
Jules-Étienne MAREY,<br />
La Machine Animale,<br />
Paris : G. Baillière, 1873<br />
Extrait<br />
Jules-Étienne MAREY,<br />
<strong>Le</strong> mouvement,<br />
Paris : G. Masson, 1894<br />
Extrait<br />
Georges DEMENŸ,<br />
Je vous aime, 1891<br />
Chronophotographie<br />
20 images de 5,7 × 15,6 cm,<br />
i4 à i23 ; 23,8 × 17,8 cm<br />
Georges DEMENŸ,<br />
Je vous aime, 1892<br />
24 chronophotographies<br />
sur disque, diam.17 cm<br />
Georges DEMENŸ,<br />
Phonoscope, 1892<br />
In La Nature. Revue des<br />
sciences et de leurs<br />
applications aux arts et<br />
à l’industrie, 16 avril 1892.<br />
Marey, de prolonger ses recherches<br />
graphiques sur le mouvement 49 avec<br />
la photographie et plus particuliè-<br />
rement la chronophotographie.<br />
À la suite de Muybridge, l’assistant<br />
de Marey, Georges Demenÿ invente<br />
un projecteur de photographie<br />
en mouvement : le phonoscope.<br />
Son nom provient de sa principale<br />
destination, l’illusion de la parole<br />
et du mouvement des lèvres pour,<br />
entre autres, permettre aux sourds<br />
et muets de lire les phrases sur<br />
la projection d’une séquence de<br />
photographies animées, « les photographies<br />
parlantes » 50 .<br />
Chaque photographie décompose<br />
la structure phonologique des<br />
mots d’une phrase, par exemple<br />
« je-vous-ai-me » est décomposé<br />
en 24 images. Ensuite il tente de<br />
coupler un phonographe à son<br />
phonoscope pour obtenir une<br />
image en mouvement sonore 51 .<br />
Ces recherches sur le mouvement<br />
vont aboutir à l’invention du<br />
Kinétoscope d’Edison aux USA<br />
que les frères Lumière vont amplifier<br />
en inventant les projections<br />
collectives du cinématographe en<br />
62 <strong>Bribes</strong><br />
63<br />
1895 et, à celle du cinéma parlant qui normalisa le format de<br />
projection à 24 images par seconde à la fin des années 1920.<br />
Simultanément, dans les années 1880-1890, le suisse<br />
Ferdinand Saussure décompose les langues et leurs mots<br />
pour éclaircir la relation du signifié au signifiant. « <strong>Le</strong> lien<br />
unissant le signifiant au signifié est arbitraire. (…) Ainsi<br />
l’idée de « sœur » n’est pas liée par aucun rapport intérieur<br />
avec la suite de sons s—ö—r qui lui sert de signifiant » 52 .<br />
Ces recherches donnent les bases de la linguistique qui<br />
seront approfondies et contredites<br />
Frank B. et Lillian par le linguiste Roman Jakobson,<br />
GILBRETH, 1910-1924 proche des artistes modernes russes<br />
Films<br />
Maïakovski et Malévitch dès le<br />
milieu des années 1910.<br />
Frank B. et Lillian<br />
Parallèlement à ces décom-<br />
GILBRETH,<br />
Étude du geste d’un golfeur,<br />
positions et fragmentations de<br />
1915 ca<br />
la réalité dans les champs d’in-<br />
Vues stéréoscopiques vestigation de la police, de l’art,<br />
des sciences et de la linguistique,<br />
Anton Giulio BRAGAGLIA, le technicien américain Frederick<br />
Dattilografa, 1911<br />
W. Taylor va fonder au milieu des<br />
Photographie, tirage<br />
années 1880 une nouvelle organisa-<br />
à la gélatine d’argent,<br />
tion du travail. <strong>Le</strong> taylorisme repose<br />
2.8 × 17.8 cm<br />
sur l’étude de la décomposition<br />
Atelier TsIT,<br />
des mouvements des ouvriers<br />
kimocyclogramme du à l’aide d’un chronomètre, afin<br />
mouvement du scieur d’éliminer les gestes inutiles,<br />
de métal, Moscou, 1924 ca gestes déchets. Taylor influença<br />
Photographie<br />
notamment un entrepreneur de<br />
maçonnerie, Frank B. Gilbreth, marié à une psychologue,<br />
Lillian Gilbreth. <strong>Le</strong> couple filma de courtes scènes de travail<br />
en plaçant un chronomètre dans le cadre de la prise de vue<br />
<strong>Serge</strong> <strong>Le</strong> <strong>Squer</strong>
pour étudier le rendement des ouvriers et ouvrières. Ils<br />
prirent également des photographies avec un long temps<br />
d’exposition pour percevoir le cheminement des gestes<br />
des ouvriers et ainsi mieux identifier les temps perdus.<br />
Ce type de photographie, proche de la chronophotographie<br />
de Marey 53 , fut aussi expérimenté dans les années 1910-20 par<br />
les artistes futuristes italiens, les frères Bragaglia, avec le<br />
photodynamisme 54 et dans les années 1920 par le laboratoire<br />
soviétique de Nikolaï Bernstein au TsIT (Institut central du<br />
travail de Moscou) 55 . Dans sa Petite histoire de la photographie,<br />
Walter Benjamin affirme que la question primordiale concernant<br />
la photographie et l’art est : en quoi l’art est-il devenu<br />
photographique et non en quoi la photographie serait-elle<br />
un art ? 56. Nous pouvons nous poser la même question en ce<br />
qui concerne le cinématographe. Si comme le dit McLuhan,<br />
les technologies mécaniques formant un prolongement du<br />
corps sont des technologies de la fragmentation, le récit va<br />
lui même se charger de cette fragmentation comme une<br />
forme de sa modernité suivant les modèles du cinéma et du<br />
fordisme. <strong>Le</strong> modèle du montage se diffuse dans les différents<br />
champs de la création et le terme de « littérature de montage »<br />
est énoncé par André Malraux à propos du roman de Michel<br />
Matveev, <strong>Le</strong>s Traqués, 1933 57 .<br />
<strong>Le</strong> récit se décline en phrases courtes comme autant<br />
de plans filmés avec différentes focales et mouvements de<br />
caméra. <strong>Le</strong>s fragments sont collés. Même en absence de tiret,<br />
la rudesse des collures reste sensible. Cette absence révèle que<br />
la narration par le montage, d’une phrase dans l’autre, fait<br />
désormais partie des capacités du lecteur sans que l’auteur soit<br />
obligé de le signaler par un signe typographique particulier.<br />
Ces cassures semblent détourner le récit d’une construction<br />
narrative linéaire quoique la mise bout à bout de ces phrases<br />
64 <strong>Bribes</strong><br />
65<br />
Michel MATVEEV,<br />
<strong>Le</strong>s Traqués, 1933<br />
Paris : Gallimard, 256 p.<br />
Extrait :<br />
« Pas un objet dans la rue.<br />
Si, un chapeau melon devant<br />
une cour. Dans le chapeau<br />
melon il y a des cheveux collés<br />
à une masse gluante.<br />
La porte de la cour est ouverte.<br />
Elle est pleine d’hommes et de<br />
femmes déchiquetés. On les a<br />
tués avec des grenades à main.<br />
Je continue mon chemin.<br />
Je n’ai plus peur, je rencontre<br />
des militaires ; ils ne font pas<br />
attention à moi. Moi, je suis<br />
indifférent, les lacets de mes<br />
chaussures se sont défaits,<br />
mais je ne les ai pas renoués,<br />
ils entravent pourtant ma<br />
marche. Je me suis arrêté<br />
instinctivement devant une<br />
maisonnette habitée par<br />
des amis, chez qui j’étais venu<br />
souvent. (…) Où disparaître ?<br />
où se cacher? les yeux<br />
cherchent, courent partout,<br />
évitent les autres yeux.<br />
Se faufiler. Se cacher.<br />
Ne pas entendre. Ne pas voir. »<br />
Similigravure<br />
Agrandissement de la trame<br />
d’une photographie imprimée<br />
sèches s’approche d’une écriture<br />
mécanique qui s’économise les<br />
« gestes inutiles », pour reprendre<br />
la terminologie de Taylor.<br />
La forme de montage consistant<br />
à monter avec des vides,<br />
des trous, en cassant la chaîne<br />
narrative, est expérimentée dès<br />
les années 20 par des artistes ou<br />
des écrivains 58 utilisant toute<br />
l’expérience des collages dans le<br />
champ artistique et l’idée que dans<br />
un monde mécanisé, la relation<br />
à la réalité est fragmentée. Après<br />
« Auschwitz » et « Hiroshima », la<br />
forme classique de la narration<br />
cinématographique centrée sur<br />
l’intrigue, l’Image action de Gilles<br />
Deleuze, est définitivement en<br />
crise. La construction du montage<br />
soumis à une idée, une action<br />
ou une situation fait place à un<br />
montage où apparaissent des<br />
« coupures irrationnelles » et<br />
des « ré-enchaînements » 60 qui<br />
morcellent le continuum narratif<br />
pour l’ouvrir. L’analyse de Deleuze<br />
s’établit à partir du constat de la<br />
fin de la croyance en une totalité,<br />
le modernisme, et des nouvelles<br />
analyses du fonctionnement du<br />
cerveau 61 .<br />
<strong>Serge</strong> <strong>Le</strong> <strong>Squer</strong>
Cette mise en miettes du récit prend sa source dès le<br />
XIX e siècle comme je l’ai souligné précédemment. <strong>Le</strong> téléphone,<br />
inventé par Bell en 1876, n’est pas le lieu du récit déployé, mais<br />
celui de la transmission d’informations simples, succinctes<br />
et au minimum celui de la fonction phatique du langage.<br />
Dès la fin des années 1830, « (…) le télégraphe de Morse<br />
ramenait la forme littéraire à une affaire de manchette » 62 .<br />
Cette réduction du récit en une image, les titres en gros<br />
caractères des journaux, les manchettes, participent à un<br />
devenir image des mots. Cette transmutation du mot en<br />
image s’effectue par la mise en ordre typographique de la<br />
reproduction des images photographiques dans le corps du<br />
texte imprimé, via la technique de la similigravure inventée<br />
en 1880. Ce procédé aplanit la différence entre l’impression<br />
d’un caractère d’imprimerie et celle d’une photographie toute<br />
en nuances de gris. La trame des points de la similigravure<br />
est l’une des premières étapes techniques et conceptuelles<br />
du pixel numérique 63 . Cet ensemble d’invention annonce,<br />
selon McLuhan, une nouvelle étape anthropologique, le<br />
remplacement de « l’ère de l’industrialisation mécanique »<br />
de l’homme typographique par « l’ère graphique de l’homme<br />
électronique » 64 . Ce changement de paradigme commencé dès<br />
le XIXe siècle se prolonge aujourd’hui. Ontologiquement la<br />
photographie se définit comme un indice au sens de Pierce 65<br />
parce qu’elle entretient une relation physique avec son référent<br />
à la différence des deux autres types de signes définis<br />
par Ch. S. Pierce, l’icône, qui a une relation de ressemblance<br />
au référent, et le symbole, qui établit une relation codée.<br />
Dans l’exemple de la similigravure, la photographie garde<br />
un caractère iconique mais ontologiquement elle passe de<br />
l’indice au symbole par un code, la trame des points noirs<br />
de la similigravure. Ce glissement rapproche la réalité<br />
66 <strong>Bribes</strong><br />
67<br />
photographique du code alphabétique des lettres. Tout code<br />
étant une forme de traduction, cette technologie est une<br />
technologie de la traduction. Actuellement, les capteurs<br />
numériques des appareils photographiques convertissent la<br />
lumière reçue en électricité, puis celle-ci est traduite en pixels.<br />
Dans la première étape de ce processus, la technologie copie<br />
le processus cérébral. De même, les programmes de retouche<br />
numérique comblent les vides par interpolation, comme le<br />
cerveau peut le faire pour les trous de la vision déficiente<br />
chez certains patients amblyopes. Si, pour McLuhan, les<br />
technologies mécaniques sont le prolongement du corps,<br />
les technologies électromagnétiques sont le prolongement<br />
du cerveau : « le cerveau en dehors du crâne » 66 . Cet état<br />
correspond aussi à celui dont on peut faire l’expérience sous<br />
l’effet de certaines drogues. La technologie serait-elle en<br />
train de devenir un psychotrope ? À moins que ce ne soit le<br />
rapport à la réalité qui l’engendre ?<br />
Selon McLuhan, la technologie électronique est décentralisée,<br />
globale et englobante. <strong>Le</strong>s jeux vidéo en sont un<br />
bon exemple. <strong>Le</strong>s jeux sont déterminés par le temps et le lieu<br />
d’une partie. Aujourd’hui, il n’y a plus de limite au temps du<br />
jeu et le lieu du jeu est déterminé par plusieurs connexions<br />
dans l’espace virtuel. <strong>Le</strong>s jeux nous informent sur les modèles<br />
d’organisation sociale car ils les simulent et les inculquent<br />
à l’instar de tout dispositif 67 . <strong>Le</strong> mode d’organisation des<br />
ressources humaines dans les entreprises intègre aussi<br />
ce changement de paradigme. <strong>Le</strong> modèle du travail dans<br />
l’économie immatérielle est une durée sans fin. <strong>Le</strong> cerveau<br />
de l’employé doit rester toujours connecté au projet sur lequel<br />
il travaille même si son enveloppe corporelle quitte le lieu du<br />
travail. L’employé doit non seulement inventer mais aussi<br />
se vendre soi-même comme un produit, vendre son image<br />
<strong>Serge</strong> <strong>Le</strong> <strong>Squer</strong>
comme un produit : c’est le personal branding. <strong>Le</strong> développement<br />
de l’individualisme qui abouti au XVIII e siècle à la Révolution<br />
française, n’est ici qu’un leurre. L’idéal de l’individualisme<br />
est utilisé pour réifier ce qui ne l’avait pas encore été dans le<br />
capitalisme, le cerveau et son imaginaire. <strong>Le</strong> modèle de ce<br />
type d’organisation est l’open space réel et virtuel avec pour<br />
corollaire, l’hypervisibilité. Pour obtenir cet investissement<br />
immatériel des employés, ils sont mis en concurrence les uns<br />
avec les autres. Ce modèle de l’excellence ruine le collectif en<br />
tant que principe organisationnel<br />
dans la production à la chaîne<br />
où chacun est un moment de la<br />
production, lieu de la réification,<br />
et dans la production coopérative<br />
ou autogestionnaire. Ici, la<br />
concurrence est un mode social<br />
de la séparation, et si le modèle<br />
graphique du tiret « — » pouvait<br />
marquer la jonction par couture<br />
des différences, avec l’économie<br />
immatérielle le tiret s’est levé<br />
pour former la barre oblique des<br />
adresses Html, « / », le slash 68 , la<br />
cicatrice, comme dans le On / Off<br />
du courant électrique : signe<br />
typographique de l’opposition<br />
sans réconciliation, une opposition<br />
de nature. Deux manières<br />
de raconter le monde. <strong>Le</strong> « / » est<br />
aussi l’image de la palissade,<br />
un équipement urbain étudié<br />
par Mike Davis à Los Angeles.<br />
DAVIS Mike, Au-delà de<br />
Blade runner, Los Angeles,<br />
et l’imagination du désastre,<br />
Paris : Allia, 2010, 154 p.<br />
Extrait :<br />
« En appuyant sur quelques<br />
boutons de leurs tableaux<br />
de commande, les équipes de<br />
sécurité des tours des grandes<br />
banques furent en mesure<br />
d’interdire tout accès à<br />
l’immobilier de grande valeur<br />
qu’ils protègent. Des portes<br />
d’acier à l’épreuve des balles<br />
fermèrent les entrées au<br />
niveau de la rue, les escalators<br />
s’arrêtèrent instantanément<br />
et des verrous électroniques<br />
bloquèrent les corridors<br />
réservés aux piétons. »<br />
<strong>Serge</strong> LE SQUER,<br />
Portail, Marseille, 2012.<br />
Photographie couleur,<br />
taille et support variable<br />
68 <strong>Bribes</strong><br />
69<br />
Avec le modèle industriel, le temps et les corps sont<br />
fragmentés dans l’espace continu de l’atelier puis de la chaîne.<br />
Avec l’économie immatérielle, l’espace virtuel se fragmente<br />
dans un temps continu. À ses débuts Internet véhiculait<br />
la promesse d’un nouvel espace virtuel ouvert à tous. <strong>Le</strong>s<br />
navigateurs se nommaient Netscape Navigator, Internet Explorer.<br />
Avec le développement du web 2.0, les regroupements par<br />
affinités sont favorisés. Si le récit est un mode de rapport à<br />
l’autre dans l’espace de la différence qu’il génère, comment<br />
peut-on s’imaginer le lieu du récit dans ces communautés<br />
où le modèle de la relation à l’autre est l’autre soi-même ? <strong>Le</strong>s<br />
fanfictions donnent une réponse intéressante à cette question.<br />
Elles sont écrites sur des sites web communautaires qui leur<br />
sont exclusivement dédiés. Elles ont pour objet de prolonger<br />
des œuvres littéraires ou séries télé en inventant une suite<br />
ou des récits parallèles. Chaque type de fanfiction a ses<br />
propres codes qui déterminent des fan factions 69 . Dans un<br />
type de fanfiction nommé slash fiction, les personnages issus<br />
des livres ou séries télé sont détournés dans des situations<br />
amoureuses et souvent sexuelles. Ces textes peuvent être<br />
rédigés par une ou plusieurs personnes. Ils sont terminés<br />
durant la connexion ou sont laissés inachevés jusqu’à la<br />
prochaine connexion, si elle a lieu. Pour signer leur texte, ils<br />
s’inventent une identité, un avatar, en mêlant leur identité<br />
officielle avec leur propre fiction d’identité, prolongeant<br />
l’androgynie ou la double identité du récit de Sarrasine par<br />
Balzac (1831). Ces amateurs-lecteurs remplacent les auteurs,<br />
mettant à exécution la sentence de Barthes dans son texte,<br />
La mort de l’auteur 70 . S / Z.<br />
<strong>Serge</strong> <strong>Le</strong> <strong>Squer</strong>
1. Benjamin Walter, « Expérience et pauvreté », in Œuvres II, Paris :<br />
Gallimard, 2000, p. 367.<br />
2. Benjamin W., ibid., p. 370, il cite Brecht « Efface tes traces ! ».<br />
3. Benjamin W., ibid., p. 368.<br />
4. Benjamin W., ibid., p. 365-371.<br />
5. Beradt Charlotte, Rêver sous le IIIe Reich, Paris : Payot & Rivages, 23 p.<br />
6. Zizek Slavoj, Vous avez dit totalitarisme ?, Paris : Éd. Amsterdam, 2007,<br />
p. 193.<br />
7. Il est possible d’outrepasser cette dichotomie objectif/subjectif de<br />
Zizek, en envisageant le genre comme déterminé par l’habitus de<br />
celui qui observe la scène, tel que Pierre Bourdieu le définit dans<br />
<strong>Le</strong> sens pratique, Paris : De Minuit, 1980, p. 87-109.<br />
8. Zizek S., op. cit, p. 193.<br />
9. Zizek S., op. cit, p. 197. Zizek rajoute un point d’exclamation à<br />
« Wstawac ! » et le qualifie de « hurlement cruel » (« cruel shout »),<br />
or Primo <strong>Le</strong>vi que ce soit dans « Si c’est un homme » ou « La trêve »,<br />
n’utilise pas d’exclamation et précise que cet appel au réveil se<br />
faisait sans autorité, c’était un ordre donné à voix basse. C’est<br />
justement la présence de cet ordre dans la réalité, avec la forme du<br />
songe (voix basse), qui va le rendre réminiscent.<br />
10. Benjamin Walter, Expérience et pauvreté, op. cit, p. 366.<br />
11. Arendt Hannah, Walter Benjamin 1892-1940, Paris : Allia, 2010, p. 85.<br />
12. Benjamin Walter, « Sur le concept d’histoire » (1940), in Œuvres III,<br />
Paris : Gallimard, 2000, p. 434.<br />
13. Adorno Theodor W., Dialectique négative, Paris : Payot & Rivages,<br />
2003, p. 438.<br />
14. Adorno Theodor W., Prisme, Paris : Payot & Rivages, 2010, p. 30-31.<br />
15. Adorno Theodor W., Dialectique négative, op. cit, p. 439.<br />
16. Adorno Theodor W., Métaphysique (concept et problèmes), Paris : Payot<br />
& Rivages, 2006, p. 165.<br />
17. Adorno Theodor W., Dialectique négative, op. cit, p. 444.<br />
18. Derrida Jacques, Psyché : inventions de l’autre, Paris : Galilée, 2003,<br />
p. 234.<br />
19. Derrida Jacques, Marges de la philosophie, Paris : De Minuit, 1972,<br />
p. 1-29.<br />
20. <strong>Le</strong>vi Primo, Conversations et entretiens, Paris : Robert Laffont, 1998,<br />
p. 138.<br />
21. Lanzmann Claude, Shoah, Paris : Gallimard, 1985, p. 27.<br />
22. Anders Günther, Hiroshima est partout, Paris : Seuil, 2008, p. 294.<br />
23. Anders G., ibid., p. 300.<br />
70 <strong>Bribes</strong><br />
71<br />
24. Anders G., ibid., p. 302.<br />
25. Bensoussan Albert, J’avoue que j’ai trahi (Essai libre sur la traduction),<br />
Paris : L’Harmattan, 2005, p. 39-40.<br />
26. « L’espace ne manque pas faute de place. Il manque faute de<br />
laisser jouer. (…) L’espace ne s’appartient pas. Il est toujours<br />
l’espace de quelque chose. (…) Jouer, c’est laisser tomber le<br />
spectacle – sans histoire ; laisser rebondir les images dans le<br />
monde ; saisir le sens au bond ; écrire le présent sans effacer<br />
le monde ; décrire l’espace dans l’écriture du monde. Jouer,<br />
ce n’est ni gagner, ni perdre ; c’est vivre le monde. »<br />
René Denizot, « Play », in catalogue de l’exposition Douglas Huebler,<br />
exposition au Van Abbemuseum, Eindhoven : Stedelijk Van<br />
Abbemuseum 1979, cité et traduit dans Douglas Huebler « variable »,<br />
etc., Limoges, FRAC Limousin, 1993, p.144-147.<br />
27. Ishaghpour Youssef, D’une image à l’autre, Paris : Denoël-Gonthier,<br />
1982, p. 45.<br />
28. http ://www.mu.asso.fr<br />
29. Austin John Langshaw, Quand dire, c’est faire, Paris : Seuil, 1991,<br />
p. 159<br />
30. Danto Arthur, L’assujettissement philosophique de l’art, Paris : Seuil,<br />
1993, p. 152-171.<br />
31. Dessons Gérard, « Noir et blanc. La scène graphique de<br />
l’écriture », in La Licorne, Université de Poitiers, 1992, № 23.<br />
http ://edel.univ-poitiers.fr/licorne/document336.php<br />
(consulté le 21/06/2007)<br />
32. Drillon Jacques, Traité de la ponctuation française, Paris : Gallimard,<br />
1991, p. 11, p. 21-23.<br />
33. Drillon J., ibid., p. 26.<br />
34. Mc Luhan Marshall, Pour comprendre les médias, Paris : Seuil, 1977,<br />
p. 221.<br />
35. Mc Luhan M., ibid., p. 26.<br />
36. Mc Luhan M., ibid., p. 232.<br />
37. Drillon J., op. cit, p. 329.<br />
38. Farocki Harum, Tel qu’on le voit, 1986, 72 min.<br />
39. Engels Friedrich, Marx Karl, Manifeste du parti communiste,<br />
Paris : 10/18, 1986, p. 13.<br />
40. Engels F., Marx K., ibid, p. 55-56.<br />
41. Dessons G., op. cit.<br />
42. Barthes Roland, La chambre claire, Paris, Gallimard, <strong>Le</strong> Seuil, 1980,<br />
p. 119-122.<br />
<strong>Serge</strong> <strong>Le</strong> <strong>Squer</strong>
43. Mallarmé Stéphane, « Préface » in Un coup de dés jamais n’abolira le<br />
hasard, Paris : La Nouvelle Revue Française, 1914, np.<br />
44. Mallarmé Stéphane, <strong>Le</strong>ttre du 10 janvier 1893, citée par<br />
Scepi Henri, « Mallarmé et le poème ponctuant », in La Licorne,<br />
Poitiers : UFR de Langues et Littératures, 2000, № 52, p. 155.<br />
45. Mallarmé Stéphane, « Préface », op. cit, np.<br />
46. Mallarmé Stéphane, « Préface », op. cit, np.<br />
47. La parcellisation avait déjà été un des paradigmes du télégraphe et<br />
de la photographie dans les années 1830.<br />
48. Bertillon Alphonse, Identification anthropométrique. Instructions<br />
signalétiques, Melun : Imprimerie Administrative, 1893, p.138.<br />
49. Marey Jules-Étienne, La Machine Animale, Paris : G. Baillière, 1873,<br />
299 p.<br />
50. Demenÿ Georges, « <strong>Le</strong>s photographies parlantes », in La Nature,<br />
9 avril 1892, № 984, p. 311-315.<br />
51. Marey Jules-Étienne, <strong>Le</strong> mouvement, Paris : Masson, 1894, p. 307.<br />
52. Saussure Ferdinand de, Cours de Linguistique Général (1916), Paris :<br />
Payot, 1995, p. 100.<br />
53. Frank B. Gilbreth avait visité l’institut Marey dans les années<br />
1910. Braun Marta, Picturing Time : The Work of Etienne-Jules Marey<br />
(1830-1904), Chicago : University of Chicago Press, 1995, p. 344.<br />
54. Braun Marta, « Fantasme des vivants et des morts », in Études<br />
photographiques, Paris : Sfp, 1996, № 1, p. 41-55.<br />
55. Misler Nicoletta, « Taylorisme, biomécanique et jazz à Moscou<br />
dans les années 1920 », in Rousier C., Être ensemble, Pantin : Centre<br />
national de la danse, 2003, p. 102-122.<br />
56. Benjamin Walter, « Petite histoire de la photographie », in Œuvres II,<br />
Paris : Gallimard, 2000, p. 315.<br />
57. Malraux André, « <strong>Le</strong>s traqués par Michel Matveev », in La nouvelle<br />
Revue Française, 1er juin 1934, № 249, p. 1014-1016.<br />
58. Par exemple, Fernand Léger et Dudley Murphy, <strong>Le</strong> ballet mécanique,<br />
1924, 15’47’’ ; René Clair et Francis Picabia, Entr’acte, 1924, 20’ ;<br />
John Dos Passos U.S.A (trilogy), New-York : Modern Library, 1937,<br />
415 p , 473 p, 561 p.<br />
59. Deleuze Gilles, Cinéma 1, L’image-mouvement, Paris : <strong>Le</strong>s éditions de<br />
Minuit, 1983, p. 277.<br />
60. Deleuze Gilles, Cinéma 2, L’image-temps, Paris : <strong>Le</strong>s éditions de<br />
Minuit, 1985, p. 362-363.<br />
61. Deleuze Gilles, Cinéma 2, op. cit., p. 275.<br />
72 <strong>Bribes</strong><br />
73<br />
62. Mc Luhan M., op. cit., p. 221.<br />
63. Farocki Harum, dans son film Tel qu’on le voit, trace une généalogie<br />
de l’invention des programmes informatiques à partir des métiers<br />
à tisser avec cartes perforées servant à tisser des motifs/images au<br />
début du XIX e siècle.<br />
64. Mc Luhan M., op. cit., p. 219-233.<br />
65. Peirce Charles Sanders, Écrits sur le signe, Paris : Seuil, 1978, 262 p.<br />
Du point de vue du contexte de la fin du XIX e siècle, il est<br />
intéressant de noter que C. S. Peirce détermine sa trichotomie du<br />
signe : likeness, index et symbol, dès 1867 dans son article « On a New<br />
List of Categories » in Proceedings of the American Academy of Arts and<br />
Sciences, New-York, 1868, volume 7, p. 287-298.<br />
66. Mc Luhan M., op. cit., p. 80.<br />
67. Agamben Giorgio, Qu’est-ce qu’un dispositif ?, Paris : Rivages, 2007, 50 p.<br />
68. La barre oblique est communément appelé « slash ». En anglais,<br />
ce terme signifie entaille, balafre, trancher net, couper, cingler<br />
(un cheval).<br />
69. François Sébastien, « Fanf(r)ictions, tensions identitaires et<br />
relationnelles chez les auteurs de récits de fans » in Réseaux, Paris :<br />
La Découverte, 2009/1 № 153, p. 157-189.<br />
70. Barthes Roland, <strong>Le</strong> Bruissement de la langue, Paris : Seuil, 1984, p.63-69.<br />
<strong>Serge</strong> <strong>Le</strong> <strong>Squer</strong>
▪<br />
L’expérience du récit 1 est une publication<br />
de l’École européenne supérieure d’art de Bretagne<br />
Brest-Lorient-Quimper-Rennes, site de Lorient.<br />
Projet coordonné par Yannick Liron<br />
Remerciements à Delphine Balligand<br />
Conception graphique :<br />
Gwenaël Fradin et Mathieu Roquet<br />
Achevé d'imprimer en décembre 2012<br />
sur les presses de l’imprimerie Ollivier, Lorient.<br />
Imprimé en France par un imprimeur<br />
labelisé « Imprim'Vert ».<br />
isbn 978-2-9515173-6-3<br />
Dépôt légal : décembre 2012