Bribes - Serge Le Squer

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De ces morceaux épars de la réalité que je capte comme des signes de celle-ci, qu’ils soient sonores, visuels ou typo- graphiques, je constitue une archive à partir de laquelle je joue 26 le vide qui les entoure pour mettre en relation ces bribes. En 2011, je suis invité par la Ville de Lorient à créer un Chemin de balade urbaine. L’histoire de la ville dont le point aveugle, le bombardement de sa base sous-marine durant la Seconde guerre mondiale et son corollaire, la quasi disparition du site historique de la ville, m’amena à faire le choix du sonore pour réaliser cette commande. La pièce Souffle Serge LE SQUER, Souffle dans mon œil, dans mon œil, composée de témoi- Lorient, 2001, son, stéréo, 77’ gnages et d’ambiances sonores, commande d’un « Chemin est proposée à l’écoute au casque de balade urbaine » audio lors d’une déambulation par la ville de Lorient. urbaine. Ce dispositif de soundwalk permet à chaque participant Serge LE SQUER, de créer son propre parcours de Pas à pas, les arpenteurs, Beyrouth, 2003, ruptures ou dissonances créées Vidéo, stéréo, 26’. par le décalage sensoriel entre les Diagramme du plan lieux traversés et la bande sonore de montage, support écoutée. Le chemin de balade est et format variable. constitué des divers parcours effectués durant l’écoute de cette pièce sonore. Dans Pas à pas, les arpenteurs, dont la scène se passe à Beyrouth en 2002, deux arpenteurs mesurent l’espace d’un cinéma détruit. Ils sont reliés l’un à l’autre par un rouleau décamètre, à la fois outil du géomètre bâtisseur et de l’archéologue, ligne-ruban permettant de donner présence à la distance les séparant, et métaphore de la 50 Bribes 51 bobine cinématographique. Le titre pas à pas joue sur le double sens de pas, mesure de progression d’un corps qui avance et adverbe de négation. Je souhaitais que la structure du film corresponde à l’état de délabrement de l’architecture des immeubles détruits par la guerre et des chantiers de promoteurs stoppés par la crise immobilière. Cette architecture-en-construction-ruine me semblait être à la fois une métaphore de la société libanaise et de notre rapport à l’Histoire, un récit troué. Je n’ai pas monté le film pour reconstruite une forme pleine et stable mais au contraire je construisais à partir des vides, sonores et visuels, ou faux raccords. Une phrase de Youssef Ishagpour a alimenté ma réflexion sur le montage et sa finalité : « Les combinaisons du montage multiforme ne contiennent pas de totalité achevée, de valeurs éternelles hypocritement adorées, mais des ruines interrompues sous une figure nouvelle, le pêlemêle des sphères effondrées. » 27. Serge LE SQUER, Constellation, Bruay-la-Buissière, 2006 Poster, 56 × 80 cm, Arras : La pomme à tout faire. Serge LE SQUER, Où es-tu Henri Jean Pierre ?, 2005 son stéréo géolocalisé, casque audio, 2’ 50’’ Je construis à partir des vides Serge LE SQUER, et des restes pour donner Blouse industrielle pour une l’expérience d’une multiplicité performance, 2006-2011 Blouse des possibles. À partir de plusieurs points, plusieurs lignes sont possibles. Une constellation de capsules de bières sur le sol terreux d’une ville minière du Nord de la France, restes d’une rencontre et peut-être d’un dialogue, cartographie de celui-ci à moins que ce ne soit celle d’une disparition ? Serge Le Squer
Cette recherche sur les formes d’inscription du corps dans l’histoire et le territoire m’a conduit à réfléchir à la possible disparition de l’expérience physique du corps. En 2005, je suis invité par le collectif Mu 28 à réaliser une œuvre pour un parcours sonore dans le quartier de la Goute d’Or à Paris. J’aborde ce quartier non pas comme un territoire délimité et déterminé, surdéterminé, mais comme une zone où se propagent les ondes radio provenant des divers lieux alentours. J’ai limité mon point d’écoute de ces ondes, à une pièce, la cuisine d’un appartement de ce quartier. Par ce choix, le lieu quotidien de la subsistance devient le foyer délocalisé de celui qui, via un scanner radio, écoute des gens travailler : taxis, policiers, grutiers, pompiers, commerçants, régisseurs cinéma, etc. Ces voix fantomatiques et désincarnées issues des ondes radio placent l’auditeur dans la situation d’un travailleur-spectateur dont l’activité se résume à l’écoute dissimulée de scène de travail. Le choix de cette position participe d’une interrogation sur la dématérialisation et le rapport que l’artiste entretient avec la sphère du travail salarié soumis à la globalisation. En 2006, pour une exposition à Hambourg, j’ai accroché au mur une blouse de travail accompagnée d’un cartel sur lequel était écrit « Blouse industrielle pour une performance ». Le soir du vernissage, la commissaire d’exposition m’a signalé qu’il était l’heure d’exécuter ma performance. Je n’ai pas effectué de performance. Cette non-actualisation résonnait avec les autres œuvres que je présentais dans cette exposition : 00.00.00, Re: en grève, Non-grévistes. L’accrochage au mur de cette blouse avec son cartel est un dispositif performatif plus qu’une performance. Cette corrélation cartel-blouse-exposition indique que la performance a, ou va avoir lieu même si elle n’est pas effective. La préposition « pour » donne une indication de destination devant justifier la rétribution de l’artiste. 52 Bribes 53 « Déclarer son intention n’est pas entreprendre (…) » 29 précisait J. L. Austin lorsqu’il décrivait les énoncés promissifs, un type particulier d’énoncés performatifs. La non-actualisation de la performance peut renvoyer le spectateur, à la solitude de son propre corps, et même à sa disparition. La promesse d’une performance, promesse d’un corps actif, voire du corps de l’artiste n’en interroge pas moins les enjeux de la performance, le travail de l’artiste et la présence de son corps en rapport avec une autre réalité sociale, celle du travail industriel et de sa délocalisation. Au regard de son histoire, la performance participe à la remise en cause des canons de l’art et de la représentation. Aujourd’hui, par delà l’exigence de certains artistes et curators qui continuent à l’expérimenter, il semble que la performance soit devenue pour d’autres, un produit d’appel culturel, forme décorative sans perturbation 30 pour l’événement du vernissage. La blouse industrielle pour une performance expose la relation au corps dans la société post-industrielle et dans le champ de l’art contemporain. À chaque exposition, la blouse est dépliée ou pliée, accrochée ou posée. Blouse industrielle pour une performance est l’ensemble de ces gestes, de la relation au site, aux visiteurs, et des récits qui s’en dégagent. C’est en passant du champ de la représentation vidéo, photographique, sonore et textuelle, à celui de la présentation d’un objet issu du monde du travail industriel que je me suis posé les questions suivantes : en quoi l’acte de faire ou non une performance serait-il révélateur de notre rapport au corps dans une société post-industrielle ? De quelle manière ce geste met-il en question la valeur économique du travail dans le champ de l’art ? Les modes d’organisation du monde du travail peuvent-ils nous renseigner sur les formes de l’art, et vice-versa ? Ces questions m’ont amené à réaliser d’autres œuvres dont celle relative à la grève sur internet. Serge Le Squer
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