Téléchargez ici l'édition n° 13 (1178 Ko) - Orchestre national d'Ile-de ...
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12 ÉMOTIONS<br />
CHRONIQUE DE GOLLIWOGG<br />
arrivant au bord <strong>de</strong> l’horizon avec le petit vent<br />
du matin, un chant merveilleux […] monte <strong>de</strong>s<br />
profon<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> toute la nature et s’exalte irrésistiblement<br />
après que les <strong>de</strong>ux thèmes <strong>de</strong><br />
Chloé et <strong>de</strong> Daphnis se sont enfin rejoints… »<br />
Puis la glose du berger Lannon, « qui est l’une<br />
<strong>de</strong>s pages les plus raffinées <strong>de</strong> Maurice Ravel,<br />
précè<strong>de</strong> le parabole <strong>de</strong> Pan et <strong>de</strong> Syrinx. » Puis<br />
« le thème [du début], reparaissant dans sa<br />
tonalité initiale au milieu <strong>de</strong>s appels grandioses<br />
[du thème <strong>de</strong>s chœurs] pour signifier le serment<br />
<strong>de</strong> Daphnis, prélu<strong>de</strong> à la bacchanale <strong>de</strong><br />
la fin ; cette <strong>de</strong>rnière, rutilante et dionysiaque<br />
avec, par éclairs, <strong>de</strong>s lueurs d’acier qui rappellent<br />
la Péri [<strong>de</strong> Paul Dukas] ou L’Oiseau <strong>de</strong><br />
feu [<strong>de</strong> Stravinski, ballet <strong>de</strong> Fokine, créé en<br />
1910] s’achève comme l’autre Feria, la Feria<br />
espagnole, dans la jubilation ordonnée <strong>de</strong> tous<br />
les rythmes. » [2]<br />
Il est vrai que Jankélévitch parvient, avec ces<br />
mêmes bonheurs, à nouer l’analyse harmonique,<br />
que vous ne comprenez peut-être pas,<br />
avec la <strong>de</strong>scription <strong>de</strong>s sentiments que vous<br />
partagez. Car la musique est <strong>de</strong>puis toujours<br />
cet « exercice d’arithmétique inconscient, dans<br />
lequel l’esprit ne sait pas qu’il compte » selon<br />
la définition <strong>de</strong> Leibniz, n’est-ce pas ?<br />
D’un point <strong>de</strong> vue cinétique, l’œuvre donne le<br />
sentiment <strong>de</strong> nappes successives qui se surmontent<br />
les unes les autres et se dépassent<br />
comme <strong>de</strong>s vagues, ou <strong>de</strong>s plans <strong>de</strong> nuages<br />
qui s’effacent pour laisser place à la lumière<br />
naissante, parce qu’au-<strong>de</strong>ssus d’un fourmillement<br />
<strong>de</strong> frémissements infinitésimaux<br />
s’élève en effet la longue mélodie qui monte,<br />
qui monte et qui se calme, sans que pourtant<br />
rien ne s’arrête <strong>de</strong> l’impétueuse pulsation qui<br />
ne lâche jamais l’âme attentive. Car les rares<br />
silences mêmes sont si habités que les événements<br />
contingents qui semblent s’y produire<br />
font bien entendre qu’ils se rattachent<br />
à l’ordonnance générale. « Jubilation ordonnée<br />
» oh combien ! Alors advient la séduction<br />
par la flûte, « instrument <strong>de</strong>s fuites » comme<br />
dit Mallarmé, où se joue l’espièglerie <strong>de</strong> la<br />
jeune fille lorsqu’elle aperçoit le jeune homme<br />
encombré d’un puissant désir ; alors il lui faut<br />
se calmer pour la retenir, et faire semblant que<br />
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~<br />
« Chloé, pour la première<br />
fois, comprit que leurs<br />
baisers et ces amusements<br />
dont ils avaient joui dans<br />
la campagne n’étaient que<br />
<strong>de</strong>s jeux d’enfants et<br />
l’ombre du vrai plaisir. »<br />
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~<br />
toute la nature est calme avec lui quand pourtant<br />
la tête lui tourne et que ses sens se troublent.<br />
Mais d’ailleurs, la nature n’est pas dupe,<br />
et elle entonne aisément l’ébauche d’un choral<br />
profane du désir, pour rendre aussitôt aux<br />
effervescences <strong>de</strong>s courses, <strong>de</strong>s poursuites<br />
et <strong>de</strong>s enlacements leurs droits les plus innés:<br />
s’opposerait-elle, la non-indifférente nature,<br />
à la conjonction, non <strong>de</strong>s sexes en général,<br />
mais à celle ineffable <strong>de</strong>s futurs amants, ce si<br />
beau Daphnis, cette Chloé si désirable, métamorphosés<br />
pour un temps eux-mêmes en Pan<br />
et en Syrinx? Et puis vo<strong>ici</strong> que cela s’accélère,<br />
se précipite, s’emporte, et que s’annoncent,<br />
dans les gran<strong>de</strong>s percussions conclusives, les<br />
mystères auxquels, profanes <strong>de</strong>meurés au seuil<br />
<strong>de</strong> la grotte, vous n’assisterez pas.<br />
Comme le promet la fin dél<strong>ici</strong>euse <strong>de</strong> la pastorale<br />
grecque : « Daphnis et Chloé se couchèrent<br />
alors ensemble, tout nus. Ils<br />
s’embrassèrent le plus tendrement du mon<strong>de</strong>,<br />
et Daphnis fit à Chloé ce que Locœnion [la<br />
femme experte] lui avait appris à faire. Chloé,<br />
pour la première fois, comprit que leurs baisers<br />
et ces amusements dont ils avaient joui<br />
dans la campagne n’étaient que <strong>de</strong>s jeux d’enfants<br />
et l’ombre du vrai plaisir. »<br />
Golliwogg<br />
[1] Vladimir Jankélévitch, Ravel, Solfèges,<br />
Éditions du Seuil. Bien entendu, le livre qui <strong>de</strong>puis<br />
lors fait autorité sur Ravel est celui <strong>de</strong> Marcel Marnat.<br />
[2] Proust, Le Côté <strong>de</strong> Guermantes<br />
(La Recherche du temps perdu, Bibliothèque <strong>de</strong><br />
la Pléia<strong>de</strong>, 1954, tome II, pp.497-499.).