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Abbé Pierre, Lady Diana, Coluche, José Bové, Nicolas Hulot, sœur ...

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L’abbé <strong>Pierre</strong> et <strong>sœur</strong> Emmanuelle quasiment canonisés de leur vivant par les<br />

médias. Plus pour leurs œuvres caritatives et le déballage de leurs petites turpitudes<br />

privées que pour leur véritable boulot, d’ailleurs ; lequel consiste malgré tout<br />

au sauvetage des âmes. Deux prêtres nous répondent. Un traditionaliste<br />

et un conciliaire.<br />

Pour l’abbé Guépin, l’une des figures<br />

du mouvement traditionaliste,<br />

ces catholiques persistant à<br />

marcher à côté de Rome, la cause est<br />

entendue. Les deux défunts “ne pratiquaient<br />

pas la Vertu théologale de charité<br />

qu’ils méprisaient. Mais seulement la solidarité,<br />

qui est une action humaine d’où Dieu<br />

est exclu et qui ne se préoccupe pas des<br />

âmes à sauver, mais seulement des<br />

corps…” L’abbé Molin, ancien aumônier<br />

militaire, de sensibilité traditionnelle,<br />

mais ayant refusé de rompre avec le<br />

Vatican, est plus mesuré, dans la forme,<br />

s’entend :“La célébration de cet abbé et de<br />

cette <strong>sœur</strong> démontre le glissement du religieux<br />

vers le caritatif. Ces deux-là aidaient<br />

certes à sauver les corps. Mais les pompiers<br />

le font aussi !” Il sera objecté que,<br />

Chacun juge donc utile de se “livrer”, de se<br />

dévoiler,de faire si besoin son coming out.<br />

Les politiques comme les people.“J’ai souffert”,<br />

affirme l’un.“J’ai changé”, concède l’autre (ou<br />

le même).“Je me reconstruis” susurre une troisième.<br />

D’où la pipolisation de la politique.A tel point que<br />

cela finit par agacer d’autres politiques.“Ségolène<br />

[Royal] va trop loin dans la description de sa vie privée”,<br />

reconnaissait récemment le socialiste Jean-Marie<br />

Le Guen. En effet.<br />

Car la question est :faut-il tout dire ? Pour nous<br />

dire quoi ? Des choses que nous n’avons pas demandées.<br />

Nous sommes dans l’expression brute des<br />

subjectivités, et non des idées.C’est le grand déballage<br />

des narcissismes.Exhibition et voyeurisme obligatoires<br />

: on parle à ce sujet de l’idéologie de la<br />

transparence,et même à juste titre de la tyrannie de<br />

la transparence. C’est l’idée que tout doit être dit.<br />

Pour montrer qu’on est sincère et authentique. Et<br />

pour trouver une solution à tout.<br />

Car si on dit tout, si on est transparent à soi et<br />

aux autres,“ça” devrait mieux “communiquer”.Donc,<br />

les conflits devraient disparaître.Exemple :la réponse<br />

au stress, ce sont les outils de gestion du stress, la<br />

4 - FLASH #3 - 4 DECEMBRE 2008<br />

de saint Vincent de Paul à l’Ordre de<br />

Malte, le clergé a toujours eu ses bonnes<br />

œuvres. Certes. Mais ce fut aussi, et<br />

parfois surtout, pour pallier les carences<br />

de l’État d’alors, ou tout simplement<br />

honorer les arrangements de jadis : aux<br />

Rois la guerre, à l’Église les hôpitaux, les<br />

maisons de retraite et l’Éducation nationale.<br />

L’abbé Guépin : “L’abbé <strong>Pierre</strong> est<br />

une caricature obscène de saint Vincent de<br />

Paul (…) Comme le Lion’s Club, il a pratiqué<br />

la solidarité sans référence à Dieu !” Et<br />

quand on rappelle à l’abbé Molin cette<br />

première page du Parisien, au lendemain<br />

de la mort de l’homme à cape et béret,<br />

et de la sorte titrée, “La Passion selon<br />

l’<strong>Abbé</strong> <strong>Pierre</strong>”, il admet :“Ils ont peut-être<br />

un peu chargé la mule…” Tout comme<br />

les messages de <strong>sœur</strong> Emmanuelle, dif-<br />

réponse à l’angoisse c’est “trouver quelqu’un à qui<br />

parler” (un psy). La société de la transparence est<br />

aussi la société du “tout est psy”. Sortir du mal-être<br />

et des conflits c’est au fond une question… d’organisation.<br />

La transparence, ce sont aussi les émissions de<br />

“sexo-réalité” dans lesquelles chacun vit en direct<br />

des expériences intimes.Ainsi, l’homme devient un<br />

objet manipulable.Il devient l’enjeu des dispositifs et<br />

des outils de gestion de la “ressource humaine”.C’est<br />

L’extension du domaine de la manipulation, le livre de<br />

Michela Marzano (Grasset,2008).Car vouloir apparaître<br />

sincère et ouvert, c’est d’abord une stratégie<br />

de communication, donc de pouvoir.<br />

La transparence repose sur la négation de la<br />

séparation entre ce qui est public et ce qui relève<br />

du privé.Les Grecs ne connaissaient pas cette séparation<br />

sous cette forme. Pour eux, il y avait ce qui<br />

est “naturel”, zoologique, et n’avait en fait aucune<br />

importance, et ce qui est politique, public, est seul<br />

important. C’est pourquoi les critiques de l’exposition<br />

de l’intime ne sont pas forcément des puritains,<br />

ce sont des gens qui estiment que ce n’est<br />

pas important.Ou encore,ce sont des gens qui esti-<br />

C’EST À LA UNE !<br />

<strong>Pierre</strong> et Emmanuelle<br />

LA VANITÉ EST UN VILAIN PÉCHÉ…<br />

fusés au lendemain de sa mort, sur toutes<br />

les radios, appelant à acheter son<br />

dernier livre. Et l’abbé Molin de poursuivre<br />

:“Tout cela, c’est le monde médiatique.<br />

Il n’empêche que je respecte tout ce<br />

que l’abbé <strong>Pierre</strong> et <strong>sœur</strong> Emmanuelle ont<br />

fait pour les plus démunis. Mais n’importe<br />

quel laïc aurait pu le faire !” Aux uns, la<br />

messe ;aux autres, les soupes populaires,<br />

en quelque sorte. Mélange des genres…<br />

À l’évocation des déballages posthumes<br />

de leurs petites turpitudes respectives<br />

– <strong>Pierre</strong> allant voir les filles de joie<br />

et Emmanuelle jouant seule dans sa<br />

culotte –, l’abbé Guépin s’insurge :“Ses<br />

amis du monde l’appellent à juste titre la<br />

plus laïque des religieuses.” Quant à l’abbé<br />

Molin, il répond sur un autre mode, finalement<br />

pas si éloigné :“Ce déballage est<br />

grotesque. Qui pensent-ils ainsi épater ?<br />

Car tout cela n’est finalement pas si original.<br />

Qu’ils en parlent à leurs confesseurs<br />

ou s’en expliquent avec le Père éternel, d’accord.<br />

Mais quel besoin ont-ils eu de déballer<br />

des choses dont tout le monde se<br />

moque ?” Et le même de conclure, cruel :<br />

“En quelques décennies de confession, j’ai<br />

LA TYRANNIE DE LA TRANSPARENCE<br />

“La transparence repose sur la négation de la séparation entre ce qui est public et ce qui relève du privé”<br />

On vit une époque étonnante. Tout le monde s’épanche. Tout le monde y va de sa petite larme, de Jospin à Hillary Clinton.<br />

Il ne manque plus qu’Obama. Nous nageons dans l’épanchement intime. “J’ai bien connu votre ‘’papa’’ (ou votre ‘’maman’’)”,<br />

dit à l’un Michel Drucker dans son éternelle émission Vivement Dimanche – il n’y a plus de père et de mère, plus que des<br />

papas et des mamans. Ségolène l’avait compris, elle qui se présentait en disant : “Je suis une maman.”<br />

ment qu’en ne parlant pas de tout,on préserve justement<br />

la possibilité des échanges. En effet, comme<br />

l’écrit l’universitaire Yves Jeanneret,la transparence<br />

est une illusion, sachant que “le langage ne donne<br />

directement accès ni à l’être, ni à la vérité de celui qui<br />

parle.”<br />

Les conséquences de l’exposition publique de<br />

ce qui était privé ne sont pas minces.C’est la réduction<br />

de l’espace public et de la politique au traitement<br />

d’affaires privées, en tout cas singulières et<br />

particulières. L’horizon du bien commun disparaît,<br />

les manifestations de l’ego de chacun prennent le<br />

pas sur lui. La politique se dilue dans l’expression<br />

d’intérêts particuliers, généralement humanitaires,<br />

qui appellent des réponses elles-mêmes segmentées<br />

: faire “quelque chose” pour les femmes battues,<br />

les handicapés, les supposés descendants d’esclaves,<br />

etc. Des objectifs parfois estimables mais<br />

parcellaires. Il y a là les ferments d’une privatisation<br />

du politique.“Le programme politique, l’expérience,<br />

la vision d’ensemble comptent moins que l’image<br />

personnelle, les anecdotes privées, les mésaventures<br />

mêmes qui pourront alimenter une chronique médiatique”,<br />

lisait-on dans la revue Esprit, en janvier<br />

appris à me défier de ces fausses contritions,<br />

à l’occasion desquelles certains vieillards<br />

se confessent, à regret, des péchés<br />

qu’ils ne sont plus physiquement en état<br />

de commettre…” Ite missa est.<br />

Propos religieusement<br />

recueillis par<br />

<strong>Nicolas</strong> GAUTHIER<br />

2007, au seuil de la dernière campagne présidentielle.<br />

Depuis Sarkozy et Royal,la médiatisation de la vie<br />

privée a pris des proportions inédites. Le privé est<br />

devenu la norme du politique.“La vie,la santé,l’amour<br />

sont précaires. Pourquoi le travail échapperait-il à cette<br />

loi ?”,assurait récemment Laurence Parisot,patronne<br />

du MEDEF. C’est une façon de faire des incertitudes<br />

de la vie personnelle de chacun la norme du<br />

social et du politique.<br />

Conséquence : le statut de l’intime, le plus privé<br />

du privé, est chamboulé. Exposé et surexposé, l’intime<br />

devient trivial.Quand il faut “tout dire”,l’homme<br />

est privé de l’intime comme l’explique Michael<br />

Foessel dans La privation de l’intime (Seuil, 2008).<br />

L’intime s’évanouit : il ne supporte pas la lumière.<br />

Pas plus qu’il ne supporte l’excès de manipulation.<br />

La privatisation du politique a ainsi pour corollaire<br />

la privation de l’intime.<br />

Mais l’instrumentalisation de l’intime a peut-être<br />

atteint ses limites.Le culte de la transparence aussi.<br />

Loin d’être dupe, le public est devenu méchant. Il<br />

ricane plus qu’il ne sourit. Rira bien qui rira le dernier.<br />

<strong>Pierre</strong> LE VIGAN

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