Escume des nuits - Romanes.be

ibliographie). Et nos étudiants ? Il est sans doute
paradoxal aussi que nous soyons parfois amenés à
refuser des mémoires parce qu’ils apparaissent inacceptables
du point de vue de la forme. Par ailleurs, à
mon souvenir, je n’ai pas encore vu un mémoire précédé
d’une mention « rédigé en orthographe rectifiée
». À y réfléchir, il est plutôt inquiétant qu’aucun
romaniste ne soit sensibilisé à cette question à partir
de sa propre pratique d’écriture. Mais, je vous l’accorde,
les professeurs pourraient aussi jouer un rôle
dans ce cadre…
Petite piste quand même pour tenter d’expliquer
aussi ces mémoires « remplis » de fautes :
les changements des pratiques matérielles d’écriture.
Personnellement, je n’ai acquis un ordinateur
que pour la rédaction de ma thèse de doctorat, dont
la mise en page fut plus laborieuse que la rédaction
elle-même. Mon mémoire, lui, a été tapé par une
dactylo qui, en professionnelle, prenait l’initiative
de corriger mes coquilles, lapsus ou étourderies puis
me remettait mon texte page après page, pages que
je relisais et où je relevais les fautes éventuelles (ce
qui impliquait de retaper la page). Actuellement les
étudiants cumulent la rédaction, la dactylographie et
l’édition. En clair, ils doivent développer une compétence
supplémentaire liée à la mise en page et à la
typographie. Taper directement son texte est devenu
pratique courante. Avez-vous remarqué comme un
texte rédigé à la va vite passe pourtant mieux visuellement
quand il est mis en paragraphes, avec marges
justifiées, etc. ? Impression souvent fausse malheureusement…
Avez-vous aussi remarqué que notre
empan visuel sur l’écran favorise l’accord avec le
dernier mot de la ligne (par exemple, imaginons la
séquence suivante : « la compétence, pour autant
qu’on ait expliqué ce qu’elle signifiait aux élèves
relèvent de… » où l’on risque d’accorder relèvent
avec élèves en raison de la proximité des termes…).
La technique influence donc nos pratiques d’écriture.
Ce n’est pas parce qu’on a fait et refait des
dictées qu’on connaitra mieux l’orthographe. Il y a
en effet une différence énorme, entre la dictée — qui
certes évalue mais n’apprend pas à mobiliser ses ressources
graphiques dans des situations de communication
réelles — et l’apprentissage plus général de la
maitrise de l’écriture et de ses différentes formalisations.
5° Travailler l’orthographe
Comment travailler l’orthographe ou sur
l’orthographe ? Précisément, les acteurs de la réforme,
les partisans d’une réforme plus radicale et
10 • L’escume des nuits Novembre 2004
les militants « néo-orthographistes » font des propositions
concrètes pour amener à une meilleure compréhension
et une meilleure pratique de ce code. Selon
quels axes ?
- Les « fautes » 1 s’expliquent. Par exemple, en français
la non correspondance entre l’oral et l’écrit, la
référence à un état de langue ancien, la création de
nouveaux mots selon des principes divers (ainsi on
écrira dépollué avec deux L car c’est le cas dans
pollution. mais commissionite avec un N par simplification
alors que commissionner prendra deux N)
peuvent expliquer ces fautes. Il est clair que l’orthographe
d’usage n’est pas toujours logique, qu’elle
repose plus sur la mémorisation que sur la réflexion,
ce qui explique que certains aient voulu la modifier.
Par contre, il est possible de travailler l’orthographe
grammaticale selon un principe simple : entre les
mots c’est toujours une question d’accord. Accorder,
c’est relier entre eux des éléments pour signaler
qu’ils forment un groupe et une unité de sens, ce qui
facilite la compréhension du lecteur. Il faut évidemment
posséder un bagage grammatical pour repérer
les relations entre les mots ou les groupes de mots et
voir selon quelles catégories les accorder.
D’autres facteurs interviennent à partir lesquels
il y a aussi moyen de travailler :
- l’influence de l’oral. On s’est aperçu que les gens
ont du mal à gérer un accord sur la longueur (d’où
l’importance concomitante de la gestion de l’attention),
qu’ils ont donc tendance à se contenter d’un
accord initial comme c’est le cas à l’oral : en effet
dans la phrase « les enfants entassés dans la cour et
transis de froid jouent pour se réchauffer », on n’entend
le pluriel que dans le déterminant « les ».
- la place du donneur d’accord est aussi très importante
: puisque nous écrivons de gauche à droite,
tous les mots situés à droite du mot vont être accordés
plus facilement que ceux situés à gauche ; toute
rupture peut provoquer un dysfonctionnement. Par
exemple, si je dicte le segment « Le temps des vacances
s’allonge », les élèves risquent plus facilement
d’écrire s’allongent à cause de la proximité du
mot pluriel vacances par rapport au verbe.
- notre connaissance du monde peut influencer l’accord.
On ne dira pas par exemple « Le mannequin
est enceint » même si mannequin est masculin !
- l’incohérence de certaines règles ou préceptes
grammaticaux peut induire en erreur : par exemple
un adverbe est toujours invariable alors que tout varie…
(mais tout est-il un adverbe, je vous renvoie au
cours de linguistique…).
La prise en compte de ces critères linguis-