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Escume des nuits - Romanes.be

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L’ e s c u m e<br />

d e s NUITS<br />

L e j o u r n a l d e s é t u d i a n t s e n L a n g u e s e t L i t t é r a t u r e s f r a n ç a i s e s e t r o m a n e s<br />

Débat<br />

Traduttore traditore : que penser <strong>des</strong><br />

œuvres traduites ?<br />

Lettres d’Érasme<br />

Les romanistes du bout du<br />

monde...<br />

Entretien<br />

Monsieur Daniel Droixhe<br />

Novembre 2004<br />

Livres et BD<br />

Témoignage<br />

Un job d’étudiant<br />

Écritures<br />

Vos nouvelles


L’ e s c u m e<br />

d e s NUITS<br />

Rédaction<br />

Anne-Sophie LAURENT<br />

Thomas DEWANDRE<br />

Ont participé à ce numéro<br />

Nicolas Jardrix,<br />

Tomlana Delacruz,<br />

Clément Dessy, Mathieu<br />

Adam, Laura Dutillieut,<br />

Alexandre De Craim, Cécile<br />

Tortolano, Marie Ricci,<br />

Caroline Pirotte,<br />

Amandine Peeters,<br />

Quentin Delvoye,<br />

Nicolas Dufermont,<br />

Gaël De Meyere,<br />

M. Daniel Droixhe,<br />

M. Alain Van Crugten,<br />

Mme Laurence Rosier<br />

Mise en page<br />

Thomas DEWANDRE<br />

thomas.dewandre@ulb.ac.<strong>be</strong><br />

Editeur responsable<br />

Anne-Sophie Laurent<br />

rue Van Volsem 43,<br />

1050 Bruxelles<br />

escume<strong>des</strong><strong>nuits</strong>@hotmail.com<br />

Mensuel publié par le<br />

C RO M<br />

Prix : gratuit<br />

Consultable (PDF) sur le<br />

site : www.romanes.<strong>be</strong><br />

Merci à Marie et Julie pour<br />

leur longue et utile relecture.<br />

2 • L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> Novembre 2004<br />

Sommaire<br />

Novembre 2004<br />

L’éditorial d’Anne-Sophie .3<br />

Livres et BD .4<br />

L’orthographe : réponse de Madame Laurence Rosier .8<br />

Débat : Traduttore, Traditore : que penser <strong>des</strong> œuvres traduites ? .12<br />

Entretien : Monsieur Daniel DROIXHE .20<br />

Témoignage : Un Job étudiant ... Pourquoi ? .24<br />

Lettres d’Erasme, Les romanistes du bout du monde .26<br />

Écritures, poésies et nouvelles .31<br />

Culture : cinéma et musique .38<br />

Conférences : L’argumentation en sciences humaines .43<br />

Perles de profs, ils l’ont dit ! .44<br />

Couverture : Mathieu Adam, spécialement pour L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong>.<br />

Encre de chine, acrylique et pastel.<br />

1,50m x 1m


L’éditorial d’Anne-Sophie<br />

Il arrive régulièrement que l’être humain se demande ce qui est<br />

vraiment important dans son existence. Réponses envisageables<br />

: l’Amour avec un grand A, l’argent, le succès. A mes yeux,<br />

rien de tout cela ne mérite d’occuper la première place sur le<br />

podium <strong>des</strong> priorités de l’humain. La palme d’or revient selon moi de<br />

manière très simple et pourtant très complexe aux relations humaines<br />

dans leur acception la plus primaire, aux liens qui existent entre<br />

eux et moi, entre elle et moi, entre lui et moi. Echanger quelques<br />

mots avec une personne qui nous est agréable est une chose merveilleuse,<br />

nous avons tendance à l’oublier. La conversation est un<br />

« objet » peu onéreux et pourtant – le plus souvent – enrichissant.<br />

Les relations humaines ne se résument cependant pas à une interaction<br />

verbale ! Il y a tout le reste, tout ce qui relève du physique :<br />

le regard de l’autre, l’odeur de l’autre, le sourire ou les larmes de<br />

l’autre, la main de l’autre. Autant de choses qui n’impliquent pas<br />

automatiquement l’attirance physique ou le désir (heureusement !).<br />

Cessons donc de placer au centre de nos priorités <strong>des</strong> choses qui<br />

au final sont de second ordre et rendons-nous compte de ce qui est<br />

essentiel. Le fait que deux êtres puissent communiquer est un fait<br />

extraordinaire mais trop souvent banalisé. Le fait de partager ce qui<br />

agite notre cœur avec autrui, la complicité et le rire partagé sont<br />

<strong>des</strong> trésors sous-estimés. Ne nous voilons pas la face : les relations<br />

humaines peuvent évidemment prendre une forme plus « élaborée »<br />

et l’attirance intervient à coup sûr dans notre quotidien. Ce qu’on<br />

ressent en dansant tout contre une personne qui nous plaît sur Let’s<br />

get it on de Marvin Gaye par exemple, cette sensation est une chose<br />

qui devient rapidement euphorisante, voire surnaturelle … Et c’est<br />

pourtant si simple ! Ce type de sensation ne s’embarrasse nullement<br />

de la notion artificielle d’homme ou de femme « de notre vie ». Dans<br />

ces moments là les mots sont de trop. Ne pas parler. Juste y penser.<br />

L’émotion fait le reste. Profitons de l’instant présent, profitons<br />

<strong>des</strong> gens qui sont face à nous aujourd’hui et tirons un maximum de<br />

choses et de moments positifs <strong>des</strong> personnes intéressantes qui nous<br />

entourent. Ne cherchons pas sans cesse trop loin les richesses qui en<br />

réalité s’offrent à nous. Il suffit d’aller vers les autres, de cueillir un<br />

sourire, un « merci », un trait d’humour pour qu’un jour d’automne<br />

prenne <strong>des</strong> airs de plein soleil. Ce que je dis peut sembler banal mais<br />

j’ai vraiment l’impression que <strong>be</strong>aucoup d’entre nous ne prennent<br />

plus le temps de cultiver ces choses qui sont les racines du bonheur :<br />

les liens entre les hommes.<br />

Novembre 2004 L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> • 3


Livres<br />

BD<br />

et<br />

Après avoir primé La maîtresse de Brecht de Jacques-<br />

Pierre Amette en 2003, l’Académie Goncourt a couronné<br />

cette année le roman de Laurent Gaudé intitulé Le soleil<br />

<strong>des</strong> Scorta. Il s’agit d’une première victoire pour la maison<br />

d’édition arlésienne Actes Sud. Une bonne occasion de revenir<br />

sur le mode de fonctionnement de cette académie et sur la<br />

récente élection d’un lecteur au sein de ce cercle d’amateurs<br />

de littérature et de bonne chère.<br />

L<br />

’Académie Goncourt accueillera dès janvier 2005 parmi ses<br />

membres le célèbre Bernard Pivot, l’homme <strong>des</strong> dictées et<br />

<strong>des</strong> mots en voie de disparition. Cette élection signifie que<br />

pour la première fois dans l’histoire du plus célèbre <strong>des</strong> prix<br />

littéraires français (décerné pour la première fois en 1903 à<br />

John-Antoine Nau) un <strong>des</strong> membres du jury ne sera pas un<br />

écrivain mais bien un … lecteur ! Il faut savoir que les membres<br />

de l’Académie Goncourt sont élus à vie, autrement dit un<br />

nouvel acolyte n’est appelé que lorsqu’un <strong>des</strong> pions en place<br />

décède ou décide de se retirer. Dans le cas qui nous occupe,<br />

c’est la mort d’André Stil qui justifiait la vacance d’un siège.<br />

Pivot mis à part, les membres du jury sont à l’heure actuelle<br />

François Nourrissier, Daniel Boulangier, Ro<strong>be</strong>rt Sabatier, Didier<br />

Decoin, Jorge Semprun, Michel Tournier, Françoise Mallet-Joris<br />

(la fille de Suzanne Lilar !), Edmonde Charles-Roux<br />

et Françoise Chandernagor. Les réunions régulières du « club<br />

<strong>des</strong> dix » se font « chez Drouant », restaurant parisien qui<br />

abritait déjà les repas d’Edmond de Goncourt. C’est également<br />

là qu’est chaque année dévoilé le nom du lauréat (qui,<br />

en guise de récompense, reçoit la somme symbolique de 10<br />

euros !).<br />

Pour être élu à l’Académie Goncourt, il suffit d’être « un<br />

auteur de langue française ». Cependant, énormément<br />

de gens pensaient qu’il fallait être « écrivain » de langue<br />

française. Ne se considérant apparemment pas comme un<br />

écrivain, Bernard Pivot n’avait jamais imaginé qu’on lui proposerait<br />

de parler littérature avec entre les mains les couverts<br />

d’André Stil (car, pour l’anecdote, les nouveaux membres héritent<br />

<strong>des</strong> couverts du membre qui leur a cédé sa place et les<br />

noms de tous les auteurs ayant mangé avec telle fourchette<br />

ou tel couteau sont gravés sur le manche dudit couvert). Il y<br />

a quelques années, il avait refusé d’entrer à l’Académie fran-<br />

4 • L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> Novembre 2004<br />

Livres et BD... bienvenue dans la dernière rubrique en date de L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> !<br />

Elle vous fera découvrir non seulement <strong>des</strong> livres « coup de cœur »mais aussi <strong>des</strong><br />

BD, <strong>des</strong> gran<strong>des</strong> BD, celles dont la qualité du scénario et du <strong>des</strong>sin ne peuvent vous<br />

laisser indifférents.<br />

Livres et BD réjouira les bédéphiles et rendra les « bédépho<strong>be</strong>s » curieux de découvrir<br />

ce monde passionnant. Bonnes lectures !<br />

L’art (délicat) de la consécration<br />

çaise car son tempérament ne le portait pas à prononcer <strong>des</strong><br />

discours vêtu d’un costume et d’une épée et il avait déclaré<br />

que la seule académie vers laquelle il pourrait se tourner était<br />

l’académie Goncourt car on y lit, on y boit, on y mange, trois<br />

passions qui lui correspondent d’avantage. Cet aveu n’est pas<br />

tombé dans l’oreille d’un sourd – et ce malgré la moyenne<br />

d’âge très élevée <strong>des</strong> membres de l’Académie Goncourt, les<br />

plus « jeunes » étant nés en 1945 ! – Après consultation <strong>des</strong><br />

statuts, il a été officialisé qu’il n’était pas obligatoire d’être<br />

écrivain pour intégrer le cercle. Voilà comment le Pivot national<br />

prendra place, dans deux mois à peine, aux repas organisés<br />

chez Drouant.<br />

Tout ce « débat » remet une fois de plus sur le tapis la sempiternelle<br />

question du statut de l’écrivain et du Qu’est-ce<br />

qu’un écrivain ? Bernard Pivot a <strong>des</strong> dizaines d’ouvrages à<br />

son actif – de Cents mots à sauver ou Orthographe : trucs<br />

et astuces à Ecrire, lire et en parler ou Le métier de lire en<br />

passant pas ses préfaces dans <strong>des</strong> ouvrages tels L’étonnante<br />

histoire du Beaujolais nouveau de Gilles Garrier ou encore La<br />

bibliothèque idéale, nouvelle édition de Pierre Boncenne – et<br />

ne pourrait cependant pas être considéré comme un écrivain.<br />

Juste comme un auteur. Pourquoi cela ? Entre les mains de Pivot<br />

sont passées <strong>des</strong> centaines, voire <strong>des</strong> milliers d’ouvrages<br />

– valse justifiée par la présentation d’émissions télévisées<br />

littéraires telles Apostrophe, Bouillon de culture ou encore<br />

Ouvrez les guillemets. Journaliste au Figaro Littéraire en 1958,<br />

éditorialiste pour le mensuel Lire de 1993 à 1998, on qualifie<br />

volontiers Pivot de journaliste, de chroniqueur ou encore de<br />

lecteur professionnel. Toutes ces appellations seraient-elles<br />

incompatibles avec la qualification d’écrivain ou ont-elles<br />

pris le pas et fait de l’ombre à cette dernière ? L’appellation<br />

écrivain serait-elle réservée aux seuls romanciers et poètes<br />

et impliquerait-elle de manière intrinsèque une dimension<br />

esthétique et une recherche stylistique ? Comment déceler le<br />

<strong>be</strong>au ou la volonté du <strong>be</strong>au ? Au final quelles différences de<br />

sens introduire entre écrivain et auteur … Autant de questions<br />

auxquelles je ne peux répondre, questions qui en tant<br />

que romaniste m’intriguent et restent à méditer …<br />

• Anne-Sophie Laurent


«<br />

La science étant <strong>be</strong>aucoup trop sérieuse pour<br />

qu’on la laisse aux savant, l’auteur de ce livre<br />

a courageusement entrepris d’éplucher la<br />

presse scientifique en quête de ce qu’il nomme la « science<br />

champagne ».<br />

Ayant appris les meilleures façons de se suicider avec <strong>des</strong><br />

feux d’artifices, d’analyser aux rayons X de la bar<strong>be</strong> à papa<br />

et d’étudier scientifiquement l’odeur de la girafe, le lecteur<br />

pourra s’attaquer à <strong>des</strong> problèmes cruciaux dont la portée,<br />

trop souvent, lui échappe — un coup de foudre amoureux<br />

est-il décelable au scanner ? Un accélérateur de particules<br />

peut-il servir d’horaire <strong>des</strong> marées ? Une bretelle de soutien-gorge<br />

peut-elle ne pas glisser ? — pour finalement déboucher<br />

sur <strong>des</strong> faits que nous serions condamnés, sans la<br />

science, à ignorer : le pourcentage d’admissions aux urgences<br />

dû à <strong>des</strong> chutes de noix de coco est de 2,5 en Papouasie,<br />

et de 3,4 aux îles Salomon. »<br />

Après avoir lu ce quatrième de couverture, comment<br />

résister à aller plus loin dans la lecture ?<br />

Mais attention, évitez les endroits publics si vous ne<br />

voulez pas, pris d’un fou rire soudain, attirer l’attention<br />

de regards critiques et vous offrir un grand moment<br />

de solitude ! En effet, ce livre est hilarant du<br />

Journal d’un lecteur d’Al<strong>be</strong>rto Manguel<br />

Après avoir rédigé, en 1998, une Histoire<br />

de la lecture, l’auteur argentin Al<strong>be</strong>rto<br />

Manguel nous emmène au cœur de ses<br />

lectures et <strong>des</strong> réflexions qui y sont liées dans<br />

l’onctueux Journal<br />

d’un lecteur (éditions<br />

Actes sud). Dès<br />

les premières pages<br />

nous voilà entraînés<br />

dans les méandres<br />

et questionnements<br />

qui accompagnent la<br />

(re)lecture de douze<br />

de ses ouvrages favoris,<br />

à raison d’un<br />

ouvrage par mois.<br />

Nous le suivons donc<br />

pendant une période<br />

d’un an et naviguons<br />

entre les Mémoires<br />

d’outre tom<strong>be</strong> de<br />

Livres - BD<br />

Chateaubriand, Kim de Kipling, ou encore les<br />

Notes de chevet de Sei Shônagon. Nous suivons<br />

Manguel dans ses déplacements (France, Suède,<br />

Argentine, Angleterre, …) et le surprenons sans<br />

cesse un bouquin à la main. Cet ouvrage n’est<br />

nullement consacré à l’analyse <strong>des</strong> œuvres, il se<br />

veut plutôt une somme de pages où se rejoignent<br />

souvenirs, confessions, citations et extraits choisis,<br />

… Le Journal d’un lecteur s’adresse à un<br />

lectorat composé d’initiés dans le sens où il nous<br />

entraîne dans un réel tourbillon de comparaisons,<br />

parallélismes et références littéraires en tout genre<br />

: Aristote, Homère, Cicéron, Breton, Courteline,<br />

Huxley, Kafka, Dante ou Gombrowicz. Ces<br />

auteurs « intemporels » côtoient dans l’ouvrage<br />

de Manguel <strong>des</strong> faits d’actualités tels la politique<br />

argentine ou les faits du 11 septembre à New<br />

York et le conflit en Irak. À découvrir.<br />

• Anne-Sophie Laurent<br />

Au fond du labo à gauche. De la vraie science pour rire. Edouard Launet<br />

début à la fin. Edouard Launet décrit, d’une plume<br />

humoristique et bien trempée, avec <strong>des</strong> chutes d’anthologie,<br />

<strong>des</strong> articles scientifiques parus dans <strong>des</strong><br />

revues célèbres et traitants de faits complètement<br />

désabusant.<br />

La raison principale<br />

pour laquelle je voulais<br />

vous parler de<br />

ce livre, c’est qu’il<br />

cite, en parlant d’articles<br />

sur l’analyse<br />

<strong>des</strong> injures, je vous le<br />

donne en mille, Laurence<br />

Rosier... ! (p.<br />

48). Rassurez-vous,<br />

il ne la maltraite pas<br />

trop... quoique...<br />

• Edouard LAUNET, Au<br />

fond du labo à gauche.<br />

De la vraie science pour<br />

rire, Seuil, Science ouverte, 2004, 174 pages.<br />

<br />

• Thomas Dewandre<br />

Novembre 2004 L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> • 5


Livres - BD<br />

Où le regard ne porte pas<br />

Olivier Pont et Georges Abolin<br />

On avait connu Olivier Pont grâce (ou à cause) de l’album<br />

« La Honte », qui suivait la lignée de « Tout ce qui fait<br />

râââler les nanas » ou encore « Tous les défauts <strong>des</strong><br />

mecs », ces BD’s qu’on s’offrait entre amis, qui faisaient<br />

sourire voire rire mais qui ne marquèrent pas l’histoire de la BD.<br />

Oubliez tout ça, voici une bande <strong>des</strong>sinée qui vaut de l’or. Le<br />

deuxième tome de « Où le regard ne porte pas » vient de sortir, il<br />

clôt le récit et dénoue l’intrigue amorcée dans le premier mais ne<br />

laisse pas indifférent.<br />

Dans le premier volet de cette « bi-logie », on nous présentait une<br />

famille irlandaise s’installant dans le Sud de l’Italie. Pour William,<br />

le fils âgé de dix ans, c’est une nouvelle vie qui commence. Il rencontre<br />

une fillette, Lisa, et deux garçons, Paolo et Nino, avec qui<br />

il partage les jeux, mais aussi la même date d’anniversaire et un<br />

mystérieux secret.<br />

Le deuxième tome nous fait retrouver ces quatre amis, adultes<br />

cette fois. Après s’être perdus de vue pendant vingt ans, ils se<br />

réunissent tous à la demande de Lisa. Celle-ci leur demande de<br />

partir en Amérique du Sud à la recherche de son mari. C’est au<br />

cours de ce voyage qu’ils comprendront (et le lecteur avec) le lien<br />

6 • L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> Novembre 2004<br />

qui semble les unir.<br />

Olivier Pont nous offre au long de ces deux albums un graphisme<br />

moderne et dynamique, le <strong>des</strong>sin est stylisé et très personnel, la<br />

couleur est chaude tout du long. Certains n’apprécient pas ses cadrages<br />

trop « américains », ils sont rares. L’histoire se lit comme<br />

un film se regarde : les cases se succèdent avec une facilité déconcertante.<br />

Certaines trouvailles au niveau du découpage font que<br />

cette BD se laisse lire et relire sans problème car une seule lecture<br />

ne permet pas de saisir tous les procédés qui ont été mis en œuvre<br />

pour servir l’histoire avec tant d’efficacité.<br />

Il serait difficile de parler plus de l’histoire sans dévoiler le nœud<br />

de l’énigme. Je dirai simplement qu’elle m’a <strong>be</strong>aucoup plu. Une<br />

histoire un peu fantastique, une atmosphère un peu poétique, <strong>des</strong><br />

personnages à qui on s’identifierait volontiers… Cette BD est tout<br />

un poème.<br />

Elle tient en deux tomes, on est donc sûr de ne pas tom<strong>be</strong>r dans le<br />

piège <strong>des</strong> séries interminables qui s’affadissent et s’appesantissent<br />

sur un sujet trop exploité (comme le dernier Titeuf par exemple).<br />

Chacun <strong>des</strong> album contient une centaine de pages, ce qui signifie<br />

qu’on n’est pas volé par rapport au prix de l’album et surtout<br />

que les auteurs ont pris le temps de développer leur histoire sans<br />

la précipiter. Les couvertures sont super<strong>be</strong>s, ce qui en fait deux<br />

<strong>be</strong>aux objets de collection, c’est une idée cadeau idéale pour les<br />

amateurs de BD ou ceux qui veulent la découvrir.


Le Combat ordinaire<br />

Manu Larcenet<br />

Je n’étais personnellement pas fan de ce qu’on qualifie de<br />

« nouvelle BD ». Les histoires aux <strong>des</strong>sins simplifiés, naïfs<br />

et les personnages au gros nez ne pouvaient servir, selon moi,<br />

que les histoires courtes, les gags. On m’a prêté le premier<br />

tome du « Combat ordinaire » et j’ai dû revoir mon opinion…<br />

Marco veut arrêter la thérapie qu’il avait commencée il y a huit<br />

ans. Il est photographe mais vit un mal-être existentiel qui l’empêche<br />

de continuer son travail. Il décide alors de prendre quelques<br />

vacances, de tout laisser tom<strong>be</strong>r pour pouvoir se retrouver un peu.<br />

Entre les visites chez son frères et sa <strong>be</strong>lle sœur, ses visites chez<br />

ses parents et certaines rencontres en tout genre, Marco pense tout<br />

haut et réfléchit sur le sens de la vie, sur la psychanalyse, sur ses<br />

problèmes ordinaires.<br />

Larcenet arrive tout au long de l’album a trouver un juste déséquilibre<br />

entre la bonne humeur et le vague à l’âme, entre les rires et<br />

les larmes. L’histoire est traitée avec énormément d’humour, les<br />

moments tristes avec justesse et tendresse. On oublie le personnage<br />

au gros nez, on ne voit plus que Marco, un jeune adulte déboussolé<br />

qui reflète les angoisses et les inquiétu<strong>des</strong> de ce siècle, en y<br />

apportant toute sa bonne volonté et toute sa poésie, son innocence<br />

et sa philosophie balbutiante.<br />

Le deuxième tome est paru il y a quelques mois et est dans la<br />

même lignée. Même héros et autres rencontres. Certains personna-<br />

Livres - BD<br />

ges secondaires prennent cependant un peu trop de place, juste le<br />

peu qu’il faut pour dire que le deuxième tome n’est pas aussi bien<br />

que le premier. Cela reste cependant un très bon album, riche en<br />

émotion, qui aura fait pleurer quelques lecteurs.<br />

Ici aussi, la lisibilité est fluide et facile. Pas <strong>be</strong>soin d’avoir une<br />

culture BD pour se laisser envahir par l’histoire. Le graphisme est<br />

épuré et <strong>be</strong>au mais toute l’efficacité tient de l’enchaînement <strong>des</strong><br />

cases. Tout est dans la narration, dans les cases muettes qui précèdent<br />

un gag ou une phrase importante, qui concentrent en elles<br />

un maximum d’émotion et qui en garantissent le succès.<br />

• Gaël De Meyere<br />

Novembre 2004 L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> • 7


Dans un monde où les êtres humains vieillissent, où les têtards<br />

deviennent grenouilles, où le lait se transforme en fromage, il<br />

serait étrange que le langage soit le seul à demeurer en l’état<br />

Extraits choisis :<br />

Il y a <strong>des</strong> limites à la li<strong>be</strong>rté orthographique !<br />

Ne croyez pas que je sois contre la simplification orthographique<br />

! Que du contraire ! Mais encore une fois, il me<br />

semble indispensable que celle-ci ne soit pas faite à tort et à<br />

travers.<br />

(L’orthographe) peut certes être adaptée peu à peu selon la<br />

« vie » de la langue (réformes sur l’orthographe), mais ceci<br />

doit être fait peu à peu et selon de nouvelles conventions et<br />

non arbitrairement par n’importe qui.<br />

Bon, je n’irai pas plus loin sur le plan de la « théorie », je<br />

laisse cela aux spécialistes…<br />

La réforme a dépassé les <strong>be</strong>soins et les deux orthographes<br />

subsistent, l’ancienne et la nouvelle, semant le trouble dans<br />

l’esprit de tous.<br />

(à propos <strong>des</strong> conversations écrites sur le web) Ce maniement<br />

de la langue française, en plus d’être particulièrement incompréhensible,<br />

est selon moi une insulte à notre Belle Langue<br />

Française<br />

1° La réforme<br />

Un premier point : pourquoi ne pas avoir publié<br />

la réforme elle-même et <strong>des</strong> critiques de spécialistes<br />

(n’en déplaise à certains, nous espérons<br />

faire de vous <strong>des</strong> spécialistes de la littérature et de la<br />

langue). Pourquoi n’être pas parti du texte réel mais<br />

d’idées reçues ?<br />

Rappelons quand même que les rectifications<br />

ont été décidées par une commission de spécialistes,<br />

qu’elles sont recommandées par le Conseil supérieur<br />

de la langue mais qu’elles ne sont pas obligatoires.<br />

En définitive, les réformes sont minimes, elles<br />

sont loin de promouvoir l’orthographe phonétique<br />

comme le prétendent ses détracteurs, et elles conservent<br />

<strong>des</strong> exceptions, donc <strong>des</strong> règles strictes qui<br />

8 • L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> Novembre 2004<br />

(Aitchison 1991)<br />

J’ai lu avec grand intérêt votre dossier sur l’orthographe. C’est très<br />

stimulant d’avoir sur cette question non seulement l’avis <strong>des</strong> collègues<br />

littéraires mais également les positions diverses <strong>des</strong> étudiants. J’avais<br />

envie de réagir de façon un peu éparse, mais directement axée sur votre<br />

dossier : essayer d’apporter quelques esquisses de réponses à vos questions,<br />

quelques balises pour la réflexion, quelques remises en cause et quelques<br />

recadrages aussi…<br />

Je partirai donc d’extraits <strong>des</strong> articles parus dans l’<strong>Escume</strong> <strong>des</strong> <strong>nuits</strong><br />

précédent ; je ne répondrai pas toujours en mon nom mais en citant <strong>des</strong><br />

spécialistes en la matière qui sont, à mon sens, trop peu écoutés… je laisse<br />

<strong>des</strong> pistes de lecture à ceux qui veulent poursuivre la réflexion.<br />

Encore l’orthographe ?<br />

Décidément cette rédaction<br />

manque singulièrement<br />

d’inspiration !<br />

Détrompez-vous, le débat<br />

central vous attend<br />

sur les pages suivantes !<br />

Ceci est un prolongement<br />

<strong>des</strong> plus intéressants du<br />

débat d’octobre. En effet,<br />

dans notre empressement<br />

à boucler le numéro<br />

précédent, nous avons<br />

oublié de demander l’avis<br />

de la linguiste Laurence<br />

Rosier. Petit oubli, que<br />

nous avons réparé en lui<br />

offrant un légitime droit<br />

de réponse qui, vous le<br />

découvrirez, ne manque<br />

pas d’intérêt.<br />

empêchent la polygraphie. Conservateurs, respirez,<br />

la révolution n’est pas pour demain. L’orthographe<br />

ne se résume pas à une question linguistique mais<br />

représente un enjeu social et politique, par l’émancipation<br />

que le changement d’une norme trop rigide<br />

représente. Notons enfin que le français n’a pas le<br />

monopole <strong>des</strong> problèmes d’orthographe : dans un<br />

collectif publié en 2003 sous la direction d’un <strong>des</strong><br />

spécialistes de l’orthographe et de son apprentissage,<br />

Jean-Pierre Jaffré (en bibliographie), on voit que<br />

toutes les langues sont plus ou moins dans la même<br />

situation que le français, qu’il s’agisse du portugais,<br />

de l’anglais, du persan, du japonais et que <strong>des</strong> réformes,<br />

en fonction <strong>des</strong> problèmes spécifiques posés<br />

par chaque langue, sont aussi proposées (qui suscitent<br />

autant de débats)…..<br />

2° Le discours puriste<br />

Qu’est-ce qu’un puriste ? Le puriste est celui<br />

qui défend la langue, envers et contre tout — et<br />

surtout contre elle-même ! — en tenant un discours<br />

de la déploration, de la décadence, de la perte, type<br />

« je ne suis pas puriste mais, de mon temps, on connaissait<br />

ces règles d’accord du participe passé ! »,<br />

« Les jeunes ne savent plus écrire de nos jours »,<br />

« Ne touchons pas à l’orthographe de la <strong>be</strong>lle langue<br />

française », etc. Bref, le puriste promeut un discours<br />

catastrophiste, que les spécialistes ne cessent de relativiser,<br />

voire de contredire.<br />

Un exemple parmi d’autres, concernant<br />

le fait qu’actuellement on ferait plus de fautes<br />

qu’ « avant ». Comme le rappelle encore Jean-Pierre<br />

Jaffré : dès les débuts de l’enseignement obligatoire,


les problèmes de l’orthographe se sont posés. Dès<br />

1901, un arrêté de tolérance orthographique avait été<br />

mis en place et est resté lettre morte. René Haby a<br />

tenté de le remettre en selle en 1976 sans plus de<br />

succès…L’impression que les élèves écrivent moins<br />

bien tient au fait que jusqu’aux années soixante, les<br />

élèves étaient véritablement drillés à l’exercice de<br />

la dictée. On oublie cependant de dire que ceux qui<br />

quittaient l’école après le certificat d’étu<strong>des</strong> perdaient<br />

rapidement ce savoir-faire, sans entrainement<br />

intensif.<br />

Si chaque usager peut considérer qu’il connait<br />

sa langue, qu’il peut donc produire un discours<br />

sur cette langue (ce qui donne une très intéressante<br />

linguistique populaire) cela devient problématique<br />

s’il s’exprime au mépris du discours savant.<br />

Dès lors (faisons un peu d’analyse du discours<br />

!), une personnalité médiatique peut également<br />

se passer de toute référence nominative de spécialistes<br />

de la langue, voire refuser et dénigrer ce<br />

discours-là, et s’appuyer sur sa conviction comme<br />

l’illustre l’exemple suivant sous la plume de Bernard<br />

Pivot :<br />

Ma conviction est que, si on veut aider les<br />

nouvelles générations et les étrangers à<br />

mieux maîtriser l’écriture <strong>des</strong> mots français,<br />

sans pour autant tom<strong>be</strong>r dans une<br />

simplification phonétique et bêtasse, il<br />

faut établir une relation logique entre le<br />

contenu du mot et son orthographe. À mot<br />

usuel, orthographe simple, à mot rare, au<br />

sens compliqué, orthographe compliquée<br />

(…) (1989 : 4-5)<br />

Pour parler de l’orthographe, la position la<br />

plus honnête ne serait-elle pas de convoquer les<br />

spécialistes de la vie de la langue (historiens, sociolinguistes)<br />

reconnus par leurs pairs ? Pivot fait bien<br />

allusion à d’autres énonciateurs dans l’argumentation<br />

qui sous-tend le segment : « si on veut aider les<br />

nouvelles générations… » (= c’est ce que nous disent<br />

ceux qui défendent la rénovation orthographique)<br />

mais les dévalue immédiatement (« sans pour<br />

autant tom<strong>be</strong>r dans la simplification bêtasse », que<br />

selon Pivot ils proposent et que lui récuse). La mise<br />

en scène opérée par Pivot consiste à dénigrer <strong>des</strong><br />

énonciateurs et à se positionner comme origine d’un<br />

point de vue incontestable (« ma conviction », « il<br />

faut », « si on veut aider », et à énoncer une pseudorègle<br />

(« à mot usuel… »). Dans toutes ces situations,<br />

il s’autorise de la posture de détenteur du savoir, à<br />

tout le moins de la sagesse. Du coup, le <strong>des</strong>tinataire<br />

du message ne peut qu’acquiescer, sauf à passer<br />

pour un ignare.<br />

La parole <strong>des</strong> spécialistes de la langue est in-<br />

finiment réduite dans la circulation médiatique. Sollicité<br />

à l’occasion de grands événements de politique<br />

linguistique, les linguistes sont tenus de produire un<br />

discours attendu socialement, où s’entremêlent la<br />

norme, l’étymologie et l’érudition. Ainsi, lorsque le<br />

professeur Marc Wilmet condamnait les concours<br />

d’orthographe, il n’était pas spécialement relayé par<br />

la presse, inutile de vous dire pourquoi…<br />

Et quand le puriste se mêle de didactique,<br />

ça donne le retour à la bonne vieille dictée « qui a<br />

quand même fait ses preuves ! ». Pourquoi pas aussi<br />

le retour aux genoux nus sur la règle de bois et aux<br />

châtiments corporels ? Je parie qu’au « pensionnat<br />

de Chavagne » (pour ceux qui l’ignorent, émission<br />

de téléréalité reproduisant soi-disant un collège <strong>des</strong><br />

années cinquante et où <strong>des</strong> adolescents ont accepté<br />

de suivre les cours), ils font <strong>des</strong> dictées (entre les<br />

cuillères d’huile de foie de morue et les cours de<br />

théâtre)… Ça en dirait long non pas sur les pratiques<br />

fantasmées de l’école de 1950 mais sur le lien entre<br />

espace totalitaire et dictée.<br />

3° La polygraphie<br />

Regardons cette introduction courageuse (et<br />

minoritaire) d’un numéro de revue consacré à l’orthographe<br />

:<br />

En lisant ce numéro, on ne s’étonnera pas de quelques différences<br />

orthographiques. Certains auteurs ont en effet choisi d’utiliser<br />

l’orthographe <strong>des</strong> Rectifications de 1990 (paraitre, ambigüité, etc.)[15] ;<br />

d’autres ont au contraire préféré conserver une orthographe traditionnelle<br />

(paraître, ambiguïté).<br />

Quoi, deux orthographes coexisteraient ? En<br />

effet, c’est bien la polygraphie qui est le véritable<br />

enjeu de la réforme orthographique. Si c’est pour<br />

remplacer une orthographe par une autre, où est<br />

l’avantage ? Il faut que les deux systèmes puissent<br />

coexister et on verra sur le long terme si une forme<br />

l’emporte, par l’usage, sur l’autre. On constate actuellement<br />

la coexistence d’une variété de formes<br />

écrites : SMS, courriels, forums de discussion, etc.<br />

Tous ces échanges favorisent la communication<br />

écrite sur <strong>des</strong> bases spécifiques qui ne répondent<br />

pas aux normes académiques. Ce qui ne signifie pas<br />

qu’on va rédiger sa dissertation en langage SMS…<br />

4° Les spécialistes de la langue savent-ils bien écrire<br />

?<br />

Saussure avait-il une bonne orthographe, lui<br />

qui dénonçait la tyrannie de la lettre ? Je n’en sais<br />

rien ! Flau<strong>be</strong>rt en tout cas malmenait la syntaxe,<br />

les usages temporels et les règles d’orthographe, ce<br />

qui lui a été suffisamment reproché en son temps<br />

(voir sur ce point l’ouvrage de Gilles Philippe en<br />

Novembre 2004 L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> • 9


ibliographie). Et nos étudiants ? Il est sans doute<br />

paradoxal aussi que nous soyons parfois amenés à<br />

refuser <strong>des</strong> mémoires parce qu’ils apparaissent inacceptables<br />

du point de vue de la forme. Par ailleurs, à<br />

mon souvenir, je n’ai pas encore vu un mémoire précédé<br />

d’une mention « rédigé en orthographe rectifiée<br />

». À y réfléchir, il est plutôt inquiétant qu’aucun<br />

romaniste ne soit sensibilisé à cette question à partir<br />

de sa propre pratique d’écriture. Mais, je vous l’accorde,<br />

les professeurs pourraient aussi jouer un rôle<br />

dans ce cadre…<br />

Petite piste quand même pour tenter d’expliquer<br />

aussi ces mémoires « remplis » de fautes :<br />

les changements <strong>des</strong> pratiques matérielles d’écriture.<br />

Personnellement, je n’ai acquis un ordinateur<br />

que pour la rédaction de ma thèse de doctorat, dont<br />

la mise en page fut plus laborieuse que la rédaction<br />

elle-même. Mon mémoire, lui, a été tapé par une<br />

dactylo qui, en professionnelle, prenait l’initiative<br />

de corriger mes coquilles, lapsus ou étourderies puis<br />

me remettait mon texte page après page, pages que<br />

je relisais et où je relevais les fautes éventuelles (ce<br />

qui impliquait de retaper la page). Actuellement les<br />

étudiants cumulent la rédaction, la dactylographie et<br />

l’édition. En clair, ils doivent développer une compétence<br />

supplémentaire liée à la mise en page et à la<br />

typographie. Taper directement son texte est devenu<br />

pratique courante. Avez-vous remarqué comme un<br />

texte rédigé à la va vite passe pourtant mieux visuellement<br />

quand il est mis en paragraphes, avec marges<br />

justifiées, etc. ? Impression souvent fausse malheureusement…<br />

Avez-vous aussi remarqué que notre<br />

empan visuel sur l’écran favorise l’accord avec le<br />

dernier mot de la ligne (par exemple, imaginons la<br />

séquence suivante : « la compétence, pour autant<br />

qu’on ait expliqué ce qu’elle signifiait aux élèves<br />

relèvent de… » où l’on risque d’accorder relèvent<br />

avec élèves en raison de la proximité <strong>des</strong> termes…).<br />

La technique influence donc nos pratiques d’écriture.<br />

Ce n’est pas parce qu’on a fait et refait <strong>des</strong><br />

dictées qu’on connaitra mieux l’orthographe. Il y a<br />

en effet une différence énorme, entre la dictée — qui<br />

certes évalue mais n’apprend pas à mobiliser ses ressources<br />

graphiques dans <strong>des</strong> situations de communication<br />

réelles — et l’apprentissage plus général de la<br />

maitrise de l’écriture et de ses différentes formalisations.<br />

5° Travailler l’orthographe<br />

Comment travailler l’orthographe ou sur<br />

l’orthographe ? Précisément, les acteurs de la réforme,<br />

les partisans d’une réforme plus radicale et<br />

10 • L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> Novembre 2004<br />

les militants « néo-orthographistes » font <strong>des</strong> propositions<br />

concrètes pour amener à une meilleure compréhension<br />

et une meilleure pratique de ce code. Selon<br />

quels axes ?<br />

- Les « fautes » 1 s’expliquent. Par exemple, en français<br />

la non correspondance entre l’oral et l’écrit, la<br />

référence à un état de langue ancien, la création de<br />

nouveaux mots selon <strong>des</strong> principes divers (ainsi on<br />

écrira dépollué avec deux L car c’est le cas dans<br />

pollution. mais commissionite avec un N par simplification<br />

alors que commissionner prendra deux N)<br />

peuvent expliquer ces fautes. Il est clair que l’orthographe<br />

d’usage n’est pas toujours logique, qu’elle<br />

repose plus sur la mémorisation que sur la réflexion,<br />

ce qui explique que certains aient voulu la modifier.<br />

Par contre, il est possible de travailler l’orthographe<br />

grammaticale selon un principe simple : entre les<br />

mots c’est toujours une question d’accord. Accorder,<br />

c’est relier entre eux <strong>des</strong> éléments pour signaler<br />

qu’ils forment un groupe et une unité de sens, ce qui<br />

facilite la compréhension du lecteur. Il faut évidemment<br />

posséder un bagage grammatical pour repérer<br />

les relations entre les mots ou les groupes de mots et<br />

voir selon quelles catégories les accorder.<br />

D’autres facteurs interviennent à partir lesquels<br />

il y a aussi moyen de travailler :<br />

- l’influence de l’oral. On s’est aperçu que les gens<br />

ont du mal à gérer un accord sur la longueur (d’où<br />

l’importance concomitante de la gestion de l’attention),<br />

qu’ils ont donc tendance à se contenter d’un<br />

accord initial comme c’est le cas à l’oral : en effet<br />

dans la phrase « les enfants entassés dans la cour et<br />

transis de froid jouent pour se réchauffer », on n’entend<br />

le pluriel que dans le déterminant « les ».<br />

- la place du donneur d’accord est aussi très importante<br />

: puisque nous écrivons de gauche à droite,<br />

tous les mots situés à droite du mot vont être accordés<br />

plus facilement que ceux situés à gauche ; toute<br />

rupture peut provoquer un dysfonctionnement. Par<br />

exemple, si je dicte le segment « Le temps <strong>des</strong> vacances<br />

s’allonge », les élèves risquent plus facilement<br />

d’écrire s’allongent à cause de la proximité du<br />

mot pluriel vacances par rapport au ver<strong>be</strong>.<br />

- notre connaissance du monde peut influencer l’accord.<br />

On ne dira pas par exemple « Le mannequin<br />

est enceint » même si mannequin est masculin !<br />

- l’incohérence de certaines règles ou préceptes<br />

grammaticaux peut induire en erreur : par exemple<br />

un adver<strong>be</strong> est toujours invariable alors que tout varie…<br />

(mais tout est-il un adver<strong>be</strong>, je vous renvoie au<br />

cours de linguistique…).<br />

La prise en compte de ces critères linguis-


tiques, textuels, cognitifs, culturels aiderait sans<br />

doute à un meilleur apprentissage de l’orthographe,<br />

intégré dans une pédagogie générale de l’écriture.<br />

Une dernière piste encore, élaborée dans un<br />

cadre didactique et psycholinguistique : il s’agit de<br />

travailler sur les commentaires appelés « métagraphiques<br />

» <strong>des</strong> élèves en situation d’acquisition de<br />

l’orthographe. J.-P. Jaffré (encore lui !) a étudié la<br />

façon dont <strong>des</strong> enfants du primaire commentent leurs<br />

productions orthographiques. Il fait l’hypothèse que<br />

le langage est un précieux médiateur de l’activité<br />

métalinguistique, qui s’avère tout spécialement utile<br />

pour tenter de comprendre l’acquisition de la « morphographie<br />

». Ces commentaires témoignent d’un<br />

travail raisonné sur la langue et reflètent en partie<br />

le cheminement cognitif <strong>des</strong> élèves en situation de<br />

difficulté d’apprentissage.<br />

6° L’écrit au-delà de l’orthographe<br />

Pas question de jeter l’orthographe aux orties<br />

puisqu’elle permet d’unifier et de simplifier la<br />

communication. Mais il faut la ramener à sa juste<br />

place : un code à connaître dans le cadre plus large<br />

<strong>des</strong> co<strong>des</strong> de la communication écrite.<br />

Dans les ateliers d’écriture, comme ceux dirigés<br />

par l’écrivain François Bon, il s’agit de faire<br />

écrire <strong>des</strong> déclassés sociaux, <strong>des</strong> chômeurs, <strong>des</strong> prisonniers<br />

dont l’orthographe n’est pas la compétence<br />

première. Et pourtant ils écrivent, <strong>des</strong> poèmes, <strong>des</strong><br />

lettres d’amour, <strong>des</strong> romans, ils refusent de se taire<br />

Quelques pistes bibliographiques sur ces problèmes…<br />

à l’écrit sous prétexte qu’ils ne maitriseraient pas<br />

parfaitement le code. (Du reste, en aval, <strong>des</strong> correcteurs<br />

toiletteront leurs textes, comme les protes, les<br />

typographes correcteurs, le faisaient pour Flau<strong>be</strong>rt).<br />

Cette entrée dans l’écrit est très importante pour acquérir<br />

progressivement la norme et pouvoir ensuite<br />

rédiger <strong>des</strong> écrits plus fonctionnels. Ces écritures<br />

quotidiennes, pour soi ou ses proches (brouillon,<br />

liste de course) peuvent contenir <strong>des</strong> erreurs orthographiques…<br />

Pour vous et moi, spécialistes de la<br />

langue, ces erreurs sont fécon<strong>des</strong>. Elles ouvrent <strong>des</strong><br />

perspectives d’étude de l’écrit hors <strong>des</strong> sentiers battus<br />

du bon usage — perspectives déjà été explorées<br />

par <strong>des</strong> ethnologues, <strong>des</strong> sociologues, sur les écrits<br />

de la vie quotidienne, sur l’universalité humaine de<br />

l’écriture, sur les ateliers d’écriture, sur l’illettrisme,<br />

sur les différences hommes/femmes dans les pratiques<br />

scripturales, sur la « peine à écrire » ou la volonté<br />

d’écrire… Bref l’écrit peut être étudié de manière<br />

très différente si on pose sur lui un autre œil<br />

que celui du simple respect de la Loi. Belles perspectives<br />

de recherche, non ?<br />

● Laurence Rosier<br />

1 Notons que les spécialistes préfèrent parler d’erreurs plutôt<br />

que de fautes pour éviter la connotation morale voire religieuse<br />

de ce terme.<br />

● Bouix-Leeman, D., Les fautes de français existent-elles ? préface d’André Goosse, Paris, Seuil, 1994<br />

● Catach, N., Histoire de l’orthographe française : Edition posthume réalisée par Renée Honvault ; avec la<br />

collaboration de Irène Rosier-Catach, Paris, Champion, 2001.<br />

● Chervel, A, ... et il fallut apprendre à écrire à tous les petits Français : histoire de la grammaire scolaire,<br />

Paris, Payot, 1977.<br />

● Fabre, D. (dir.) Par écrit. Ethnologie <strong>des</strong> écritures quotidiennes, Paris, Maison <strong>des</strong> sciences de l’homme,<br />

1997.<br />

● Flau<strong>be</strong>rt savait-il écrire? Une querelle grammaticale (1919-1921), textes réunis et présentés par Gilles<br />

Philippe, Grenoble : ELLUG, 2004.<br />

● Interview de J.-P. Jaffré par Laurence Jung, professeure, pour le site BienLire, mai 2004 (www.bienlire.education.fr).<br />

● Jaffré J.-P. (1997), « Gestion et acquisition de l’orthographe », Revue française de linguistique appliquée,<br />

vol. 2, 2, 61-70.<br />

● Jaffré J.-P. (1998), « L’écriture du français : une exception ? », dans J. David et D. Ducard (éds.), Des Conflits<br />

en orthographe, Le Français aujourd’hui, 122, 45-53.<br />

● Jaffré J.-P. (2000), « Ce que nous apprennent les orthographes inventées », dans C. Fabre-Cols (éd.), Apprendre<br />

à lire <strong>des</strong> textes d’enfants, Bruxelles, De Boeck, coll. « Savoirs en pratique », 50-60.<br />

● Jaffré J.-P., dir. (2003), « Dynamiques de l’écriture : approches pluridisciplinaires », Faits de Langues, 22,<br />

262 p.<br />

Novembre 2004 L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> • 11


Débat<br />

Traduction<br />

Traduttore, Traditore<br />

que penser <strong>des</strong> œuvres traduites ?<br />

M. Van Crugten<br />

Anne-Sophie<br />

Thomas<br />

12 • L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> Novembre 2004<br />

T<br />

raduttore, traditore... Le traducteur<br />

est un traître ! Mais comment<br />

ferions-nous sans Christine Le<br />

Boeuf pour lire Auster, sans André<br />

Markowicz pour Dostoïevsky, Sans<br />

Françoise Brun pour Baricco ? Sans<br />

Alain Van Crugten pour Claus ? Tous<br />

<strong>des</strong> traîtres ? Toutes <strong>des</strong> œuvres trahies<br />

? Qu’en penser ?<br />

La nouvelle traduction d’Ulysse de Joyce sous la direction<br />

de Jacques Au<strong>be</strong>rt s’est accompagnée d’une<br />

impressionnante campagne marketing... Dostoïevski<br />

et Kafka ont aussi été retraduits. Est-ce tellement<br />

important une « nouvelle traduction » ?<br />

Nous, étudiants de romanes, nous sommes sensibles<br />

au style de tel auteur francophone, nous remarquons<br />

sans trop de difficulté la différence entre Céline et<br />

Proust, entre Beckett et Japrisot. Cependant, une<br />

fois confrontés à la traduction de Dickens, de Claus, de Baricco, d’Auster,<br />

pouvons-nous encore goûter pleinement le style propre de chaque auteur,<br />

même dans leur « nouvelle traduction » ? Certes, nous apprécions la construction<br />

narrative, le scénario, les thèmes, nous ressentons les personnages,<br />

les atmosphères et c’est suffisant pour apprécier de manière intéressante<br />

tous ces auteurs géniaux. Mais ne ressentirions-nous pas ces éléments de<br />

manière plus profonde, plus intime, plus vraie, si nous étions capables de<br />

les lire « dans le texte » ? Sans vouloir tom<strong>be</strong>r dans une vision platonique<br />

avec le monde <strong>des</strong> idées et ses copies imparfaites, faces à ces « nouvelles<br />

traductions », nous sommes en droit de nous poser <strong>des</strong> questions, d’autant<br />

plus que <strong>be</strong>aucoup d’œuvres traduites figurent sur la liste <strong>des</strong> lectures obligatoires<br />

dans notre cursus.<br />

Nous avons donc décidé, en lançant ce débat aux étudiants, de poser la<br />

question à quelques-uns de nos professeurs qui nous confrontent à ces<br />

livres traduits.


Je ne nie nullement le fait qu’il existe une certaine distance<br />

entre une œuvre présentée dans sa langue d’origine et une œuvre<br />

traduite, cette dernière étant d’une certaine façon « contaminée<br />

» par la patte du traducteur. Cependant, je lis de la<br />

littérature étrangère (principalement anglaise et américaine) sans<br />

aucune réticence. Je trouverais ridicule de ne lire que <strong>des</strong> œuvres<br />

rédigées dans <strong>des</strong> langues que je maîtrise (enfin, <strong>des</strong> langues …).<br />

Lorsque je pense à la problématique de la traduction littéraire, je<br />

me rappelle toujours une expérience qui m’est arrivée il y a environ<br />

deux ans. Je m’explique. J’ai lu la presque totalité <strong>des</strong> romans de<br />

Paul Auster. Ils sont traduits par Christine Le Boeuf, à l’exception<br />

de quelques uns. Lorsque j’ai lu Le voyage d’Anna Blume, traduit<br />

non par M. Le Boeuf mais par Patrick Ferragut, chose que j’ignorais<br />

en abordant les premières pages du roman, j’ai ressenti comme un<br />

malaise, j’avais l’impression de ne reconnaître ni le style ni la manière.<br />

J’ai consulté la couverture et mon intuition s’est trouvée confirmée<br />

: l’ouvrage n’avait pas été traduit par la traductrice auquelle<br />

Je ne suis plus un théoricien de<br />

la traduction, si tant est que je<br />

l’aie été un jour. Il y a quelques<br />

années que je ne fréquente plus<br />

guère les colloques et congrès de traducteurs.<br />

La seule raison qui pourrait<br />

me les faire regretter est la convivialité,<br />

les rencontres agréables et enrichissantes<br />

avec mes confrères (ou devraisje<br />

dire congénères? je suis trop avide<br />

d’autonomie pour être membre d’une<br />

confrérie, j’ai plutôt l’impression de<br />

faire partie d’une espèce, translator<br />

translator, sous-espèce translator litteratus,<br />

de la classe <strong>des</strong> lamellibranches<br />

et tel la moule, attaché par son<br />

byssus au clavier de son ordinateur).<br />

Toutefois, dans les colloques spécialisés,<br />

j’ai maintenant trop souvent le<br />

sentiment de savoir à l’avance ce qui<br />

va se dire, ouvrons les guillemets: la<br />

traduction littéraire est une oeuvre littéraire,<br />

la traduction est une réécriture<br />

de l’oeuvre, le traducteur est un écrivain<br />

mais... mais personne ne le sait<br />

ou ne veut le savoir, surtout pas les<br />

éditeurs pour qui le traducteur est un<br />

acteur économique de second ordre,<br />

c’est sur lui d’abord et sur l’auteur<br />

ensuite qu’on fera peser les réductions<br />

de coût, le traducteur littéraire<br />

est donc mésestimé, il est prisonnier<br />

d’un cercle abominablement vicieux<br />

car il est sous-payé parce qu’il est<br />

DIS-MOI QUI TU TRADUIS ...<br />

Débat<br />

j’étais « habituée ». Cela confirme bien le fait que selon moi le traducteur<br />

n’est pas un être « littérairement transparent ». Même si il<br />

se doit de respecter le travail de l’auteur qu’il traduit, le traducteur<br />

est humain, a un style et <strong>des</strong> habitu<strong>des</strong> propres dont il ne peut<br />

faire totalement abstraction. Je parle ici <strong>des</strong> traducteurs d’ouvrages<br />

littéraires évidemment, la traduction d’articles scientifiques par<br />

exemple ne répondant pas aux mêmes obligations. Le traducteur<br />

est à mes yeux une personne à part entière ! Vous trouverez page<br />

5 ma critique du Journal d’un lecteur d’Al<strong>be</strong>rto Manguel. Ce qui a<br />

attiré mon attention dans la librairie le jour où je l’ai acheté n’a été<br />

ni le titre ni le nom de l’auteur mais le fait que la traductrice soit<br />

Christine Le Boeuf ! Au final, j’estime qu’une œuvre littéraire traduite<br />

ne peut être considérée comme le fruit du travail d’une seule<br />

personne. Il s’agit à mes yeux d’une réelle collaboration tacite, d’un<br />

travail de rédaction à quatre mains.<br />

• Alain Van Crugten<br />

sous-estimé et, dans notre société de<br />

profit, il est sous-estimé parce qu’il est<br />

sous-payé. Tout cela est à la fois vrai<br />

et faux. Disons: très souvent vrai et rarement<br />

faux.<br />

On doit à la vérité de dire que<br />

les participants <strong>des</strong> colloques divers et<br />

variés ne se bornent pas à commenter<br />

les pénibles conditions psychiques et<br />

économiques du traducteur littéraire.<br />

On fait là aussi de nombreuses communications<br />

de type linguistique — et<br />

comme d’habitude et comme partout,<br />

ces étu<strong>des</strong> sont parfois très savantes et<br />

parfois bidon. Elles ont en commun<br />

le but avoué de fortifier l’ego du traducteur<br />

qui en a souvent bien <strong>be</strong>soin.<br />

Elles font aussi communier les traducteurs,<br />

translateurs, transposeurs et truchements<br />

en une science assez neuve,<br />

nommée traductologie. On peut donc<br />

à présent être traductologue comme on<br />

est proctologue, c’est-à-dire spécialiste<br />

manipulant les instruments pointus<br />

d’une science pointue dans l’exploration<br />

<strong>des</strong> profondeurs mystérieuses de<br />

l’être. Tout en admirant sans réserve<br />

les développements souvent brillants<br />

de mes congénères de la sous-espèce<br />

translator traductologus, je ne puis<br />

hélas m’empêcher de penser que, mis<br />

à part une liste plutôt réduite de procédés<br />

de base et un catalogue guère<br />

plus abondant d’erreurs à éviter, je ne<br />

• Anne-Sophie Laurent<br />

pourrais pas, dans ma pratique quotidienne,<br />

faire mon profit de nombreux<br />

concepts de traductologie. Question<br />

de tempérament, de méthode de travail?<br />

Question personnelle, sûrement.<br />

Je me souviens d’avoir assisté il y a<br />

quelques années, aux Assises internationales<br />

de la traduction littéraire<br />

d’Arles, à la conférence d’un illustre<br />

linguiste qui laissa tout le monde pantois,<br />

tant étaient imposantes sa finesse<br />

d’analyse et sa pénétration psychologique.<br />

Pendant ce temps — dois-je en<br />

avoir honte? — je ne cessais de me<br />

dire que je m’ennuyais un peu, <strong>be</strong>aucoup,<br />

passionnément, et que, tout bien<br />

considéré, cela ne m’intéressait que<br />

médiocrement que l’on décortiquât<br />

devant moi tous les processus concomitants<br />

ou successifs qui se déroulent<br />

dans mon cerveau tandis que je traduis<br />

une phrase de Różewicz ou de Ro<strong>be</strong>rt<br />

Nye.<br />

Je ne suis pas un théoricien<br />

de la traduction. Donc, lorsqu’on me<br />

prie de parler de «mon atelier», je ne<br />

me sens pas le courage d’entamer une<br />

longue réflexion qui nous promènerait<br />

dans les domaines de la stylistique et<br />

de la psycholinguistique comparative.<br />

Ergo, les considérations qui suivent<br />

vont prendre un tour qu’on pourrait<br />

nommer autobiographique.<br />

Novembre 2004 L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> • 13


Débat<br />

Je ne suis pas un théoricien<br />

de la traduction. Pourtant le mouvement<br />

qui m’a poussé à faire, il y a<br />

déjà bien longtemps, <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> de<br />

philologie, germanique d’abord, slave<br />

ensuite, était bien plus un amour<br />

<strong>des</strong> langues étrangères que de la littérature.<br />

Dès avant cela, du reste, la<br />

langue et ses divers états, ses structures<br />

et ses mécanismes, ses nuances<br />

infinies, sa logique et ses illogismes,<br />

ses transformations historiques, ses<br />

registres divers, tout cela passionnait<br />

déjà le petit garçon que j’étais, celui<br />

dont la lecture favorite était la plongée<br />

au hasard dans les sept gros volumes<br />

du Nouveau Larousse illustré publié<br />

au début du siècle. Lorsque j’étais<br />

élève à l’Athénée d’Ixelles, le professeur<br />

de français qui a exercé la plus<br />

grande influence sur moi fut le grand<br />

linguiste Jacques Pohl, mon futur collègue<br />

à l’Université de Bruxelles, et<br />

je confesse qu’aucun autre n’a réussi<br />

à exciter autant mon attention en me<br />

parlant de littérature, même en faisant<br />

un détail circonstancié <strong>des</strong> <strong>be</strong>autés de<br />

Corneille, Lamartine ou Ronsard. Je<br />

crains bien d’en avoir gardé pendant<br />

toute ma jeunesse une conception très<br />

classique, sinon scolaire, de la littérature,<br />

en particulier de la poésie, n’admirant,<br />

au fond, que la virtuosité de<br />

l’artisan-poète capable de manipuler<br />

dans les règles le matériau langagier,<br />

sons et rythmes. Par ailleurs, pour ce<br />

qui concerne les langues autres que<br />

mon français maternel, il s’est trouvé<br />

à Ixelles un autre enseignant remarquable<br />

qui m’a donné immédiatement<br />

l’envie d’aller explorer <strong>des</strong> domaines<br />

linguistiques étrangers; Daniel<br />

Godfrind (qui allait devenir plus tard<br />

recteur à Anvers) m’a donné, dès ses<br />

premières leçons d’anglais, un enthousiasme<br />

tel pour cette langue que<br />

cela allait être décisif pour mon avenir<br />

proche et ma carrière.<br />

C’est donc bien plus en philologue<br />

qu’en amoureux <strong>des</strong> lettres que<br />

j’ai abordé la philologie germanique,<br />

qui allait faire de moi un enseignant du<br />

secondaire, puis les étu<strong>des</strong> de philologie<br />

et histoire slaves, qui me ramèneraient<br />

à l’université, mais de l’autre<br />

côté de la barrière. J’ai même cru assez<br />

longtemps que je n’avais ni le goût<br />

ni la capacité de travailler sur d’autres<br />

14 • L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> Novembre 2004<br />

sujets que le pronom personnel anglais<br />

ou les calques de l’allemand dans la<br />

langue russe. L’incroyable complexité<br />

<strong>des</strong> déclinaisons slaves me ravissait<br />

et je jouissais du charme pervers <strong>des</strong><br />

nuances de l’aspect verbal en russe.<br />

Évidemment le goût pour la<br />

traduction était déjà là. Quand on a<br />

étudié, pour en faire sa profession,<br />

trois langues germaniques et autant de<br />

slaves et qu’on lit avec plaisir et curiosité<br />

<strong>des</strong> textes dans d’autres langues<br />

encore, il est normal qu’on soit appelé<br />

à traduire l’une ou l’autre chose<br />

et même qu’on s’amuse à cet exercice.<br />

De plus, en ces lointaines années cinquante<br />

et soixante, où le prof d’athénée<br />

était payé au lance-pierre, on traduisait<br />

pour arrondir ses fins de mois.<br />

Ce n’était pas tellement glorieux, il ne<br />

s’agissait pas de faire passer chez les<br />

lecteurs français le grand frisson que<br />

donne Milton ou Goethe. Je me rappelle<br />

encore que ma première longue<br />

traduction fut un argumentaire de cent<br />

pages écrit en anglais <strong>des</strong> USA; il était<br />

<strong>des</strong>tiné aux délégués médicaux chargés<br />

de convaincre les médecins de prescrire<br />

du méprobamate, une nouvelle<br />

molécule qui allait régler miraculeusement<br />

tous les problèmes <strong>des</strong> déprimés<br />

chroniques ou passagers. Une fois la<br />

pénible traduction achevée, le premier<br />

déprimé fut moi-même; par-<strong>des</strong>sus le<br />

marché, j’avais tellement peu de sens<br />

critique que cela ne m’a pas empêché,<br />

par la suite, de m’adonner aux antidépresseurs<br />

pendant de nombreuses<br />

années! Dans mes moments de fatigue,<br />

je me détendais en interprétant à<br />

voix haute <strong>des</strong> passages dialogués du<br />

fameux argumentaire: « Bonjour, docteur<br />

Duschmol ! (m’asseyant d’autorité)<br />

Je suis certain que dans votre pratique<br />

quotidienne vous rencontrez de<br />

nombreux patients déprimés. (tirant<br />

de ma serviette trois brochures aux<br />

couleurs vives) Avez-vous déjà songé<br />

à leur prescrire du méprobamate? Oui,<br />

certainement. (sourire entendu) Comme<br />

un nombre sans cesse plus grand<br />

de vos confrères! (me penchant vers<br />

lui, air concentré) Savez-vous que<br />

<strong>des</strong> tests effectués depuis deux ans<br />

à l’Université d’Iowa sur trois cent<br />

vingt-deux patients et demi ont donné<br />

<strong>des</strong> résultats extraordinaires? etc. »<br />

Dans mes saynètes, le dialogue était<br />

toujours à sens unique; conformément<br />

à la tactique de l’argumentaire,<br />

le médecin n’avait jamais le temps de<br />

répondre. Après tout, peut-être est-ce<br />

de là, de ces dialogues lourds de sens<br />

et pleins d’une intolérable tension, de<br />

ces didascalies d’une pertinence fulgurante,<br />

que me vient ma passion pour<br />

la traduction de textes dramatiques.<br />

Et puis... la fatigue accumulée<br />

pendant ces années où j’étais à la fois<br />

enseignant et étudiant, me livrant aussi<br />

à <strong>des</strong> petits boulots alimentaires qui<br />

me prenaient une partie de mes <strong>nuits</strong><br />

et mes dimanches, a raison de moi.<br />

Je pars pour la Pologne nanti d’une<br />

bourse d’étu<strong>des</strong>, avec pour seul but de<br />

me reposer enfin pendant près d’une<br />

année tout en lisant <strong>des</strong> choses agréables.<br />

Mais dès mon arrivée, le hasard<br />

d’une conversation avec un professeur<br />

de l’Université de Varsovie a raison<br />

de mes projets de farniente. Le nom<br />

de Stanisław Ignacy Witkiewicz est<br />

tombé, ma curiosité est éveillée. Je me<br />

lance à corps perdu dans la lecture <strong>des</strong><br />

quelque vingt-trois pièces de cet écrivain,<br />

mort en 1939 et dont les oeuvres<br />

dramatiques viennent d’être découvertes<br />

ou redécouvertes en 1962. C’est<br />

la stupéfaction, j’avance dans une savane<br />

linguistique à la fois hostile et<br />

rigolote, je suis conquis par un univers<br />

bizarre où le temps, l’espace, la vie et<br />

la mort n’ont qu’une valeur toute relative,<br />

je suis subjugué par une oeuvre<br />

où se voit en filigrane le portrait d’un<br />

individu-auteur hors norme. Le premier<br />

choc à peine encaissé, la décision<br />

est prise: j’écris une thèse de doctorat<br />

sur le théâtre de Witkiewicz, pseudonyme<br />

Witkacy.<br />

Pendant deux années à Varsovie<br />

et une année après mon retour<br />

à Bruxelles j’ai travaillé à ce qui est<br />

pour certains un pensum universitaire<br />

et qui, pour moi, était un plaisir d’un<br />

genre nouveau. Dans les derniers mois<br />

de mon séjour à Varsovie, il m’est apparu<br />

que pour pénétrer en profondeur<br />

dans ce théâtre étrange, le meilleur<br />

moyen était de tenter de traduire l’une<br />

ou l’autre pièce dans ma langue. C’est<br />

ainsi que sont nées les premières versions<br />

de Witkiewicz en français, La<br />

Mère et La Sonate de Belzébuth, traduites<br />

pour mon plaisir et mon profit


personnel. Nombre de Polonais à qui<br />

j’en parlais me disaient: «Êtes-vous<br />

certain de vouloir traduire Witkiewicz?<br />

Nous-mêmes avons souvent du<br />

mal à le comprendre en polonais.» Ma<br />

première traduction littéraire était une<br />

gageure, je ne l’ai jamais regrettée.<br />

Ensuite le hasard a encore<br />

accéléré les choses. Un jeune éditeur<br />

nommé Vladimir Dimitrijevic, qui venait<br />

de fonder en Suisse les éditions de<br />

L’Âge d’Homme, a appris que j’avais<br />

déposé ces deux textes à la Société<br />

<strong>des</strong> auteurs à Varsovie. Après avoir lu<br />

un assez long article que j’avais consacré<br />

à Witkiewicz, il m’a proposé de<br />

prendre en main l’édition <strong>des</strong> oeuvres<br />

théâtrales de l’auteur polonais. La machine<br />

était lancée. Entre 1969 et 1976<br />

sont parus les six volumes du Théâtre<br />

Complet, vingt-trois pièces dont<br />

dix-sept dans ma propre traduction.<br />

Entre-temps paraissaient aussi chez<br />

le même éditeur ma thèse ainsi que<br />

trois <strong>des</strong> quatre gigantesques romans<br />

de Witkiewicz : L’Inassouvissement,<br />

L’Adieu à l’automne, Les 622 chutes<br />

de Bungo. Je faisais également paraître<br />

dans les années 70 plusieurs Cahiers<br />

Witkiewicz, comprenant parfois<br />

<strong>des</strong> inédits traduits.<br />

J’ai ainsi passé de longues<br />

années dans une sorte de compagnonnage<br />

avec un auteur mort depuis quelques<br />

décennies. Je lui dois en partie<br />

d’être devenu professeur à l’Université<br />

de Bruxelles deux ans après la<br />

soutenance de ma thèse et j’ai tenté de<br />

lui renvoyer l’ascenseur en consacrant<br />

pas mal de temps à le faire connaître<br />

du public francophone, me plaçant<br />

dans un rôle de passeur double, universitaire<br />

et traducteur. En cela j’ai été<br />

aidé avec constance et enthousiasme<br />

par Vladimir Dimitrijevic, qui avait<br />

décidé très vite de publier en français<br />

jusqu’à la moindre ligne de ce Polonais<br />

trop longtemps méconnu. En jetant<br />

un coup d’oeil sur le catalogue de<br />

L’Âge d’Homme, un libraire m’a dit<br />

récemment: «Witkiewicz a eu de la<br />

chance: il fallait vraiment que deux<br />

fous comme Dimitri et vous se rencontrent<br />

pour oser ainsi élever un monument<br />

à un écrivain inconnu.»<br />

Les quelques milliers de pages<br />

de Witkiewicz que j’ai transposées en<br />

français ont été un écolage sans égal.<br />

Son théâtre, ses romans, ses textes<br />

philosophiques et critiques, ses lettres<br />

et petits écrits fugitifs divers comprennent<br />

à peu près toutes les difficultés de<br />

traduction littéraire qu’on peut imaginer.<br />

Penseur et artiste d’une originalité<br />

appuyée, Witkiewicz utilise une langue<br />

à nulle autre pareille.<br />

Dans une étude, parue en<br />

1998, sur les traductions de Witkiewicz<br />

1 Anna Fialkiewicz-Saignes caractérise<br />

ainsi cette langue:<br />

[...elle] n’est nullement au polonais<br />

ce que la «langue de Molière»<br />

est au français ou celle de<br />

Goethe à l’allemand... Éventail<br />

de pastiches mettant en jeu <strong>des</strong><br />

références culturelles proprement<br />

polonaises, creuset de registres<br />

(mélange de vocabulaire<br />

philosophique et trivial, voire<br />

grossier) et de langues (multitude<br />

d’accents, langues étrangères<br />

ou régionalismes, argot),<br />

débauche de jeux de mots, feu<br />

d’artifice de néologismes...<br />

Autant dire une liste interminable<br />

de défis et de dilemmes<br />

pour le traducteur qui se demandera<br />

sans répit : traduire ou<br />

ne pas traduire, trahir le sens ou<br />

la forme, privilégier la fluidité<br />

de la lecture et la clarté ou la<br />

nuance stylistique?»<br />

Ce langage est à lui seul tout<br />

un portrait de son créateur, il nous<br />

renvoie l’image de ses contradictions<br />

intimes, du psychisme étonnant de ce<br />

pessimiste suicidaire qui ne parvient<br />

à se maintenir en vie qu’en ayant recours<br />

au rire énorme du grotesque. On<br />

y retrouve pêle-mêle le métaphysicien<br />

mélancolique et la maniaque libéré de<br />

toute inhibition, l’esthète symbolisant<br />

issu de la génération «fin-de-siècle»,<br />

l’ironiste et polémiste redouté et parfois<br />

haï, le philosophe et le sociologue,<br />

le lecteur d’ouvrages de biologie et de<br />

physique, le passionné de psychanalyse,<br />

l’habitué <strong>des</strong> cabarets littéraires et<br />

le familier du patois <strong>des</strong> Carpates polonaises,<br />

l’ancien officier de la garde<br />

impériale russe, l’homme de théâtre et<br />

le peintre...<br />

Ajoutons à cela que Witkiewicz<br />

manipule le polonais avec une li-<br />

Débat<br />

<strong>be</strong>rté et un désinvolture totale et on<br />

comprendra que le traducteur ne peut<br />

se contenter d’un travail consciencieux<br />

mais doit trouver en lui l’audace<br />

de se couler par moments dans la peau<br />

de «son» auteur et de tenter non plus<br />

de traduire, mais d’adapter son français<br />

à cette langue hétéroclite.<br />

Quelques exemples montreront<br />

(même si je ne donne pas ici<br />

le texte original en polonais, langue<br />

sans doute accessible à trop peu de<br />

lecteurs) combien la longue confrontation<br />

avec Witkiewicz fut souvent<br />

une lutte, un parcours d’obstacles. La<br />

timidité n’était pas de mise face à un<br />

auteur dont la hardiesse langagière<br />

était si manifeste, et c’est ainsi, «sur<br />

le tas», que j’appris ce que je répète<br />

sans trêve à mes élèves d’aujourd’hui:<br />

la traduction littérale est la moins fidèle<br />

de toutes, soyons fidèles au texte<br />

et non au mot et, s’il le faut, soyons<br />

fidèles à l’auteur et non au texte!<br />

Mais aussi, quel plaisir d’être<br />

l’interprète d’un écrivain qui vous fait<br />

écrire à propos d’un concert futuriste:<br />

«Le grand con et la petite biroutte<br />

hurlaient ostensiblement dans les hypersaxophones,<br />

les fallotrompes, les<br />

garguantuopineurs et les cymbalotringlettes<br />

combinés avec l’organo-piano<br />

triple.» Ou qui vous fait réinventer<br />

<strong>des</strong> noms de personnages tels que le<br />

Père Onguent, Souverain Contife de<br />

l’ordre infidèle <strong>des</strong> Pneumatiques<br />

déchaussés ou l’agaçante nymphette<br />

extralucide Cochonnette Macabrescu.<br />

Qui vous fait parler de dépucelétranglage,<br />

d’autoombilicophagisme, d’un<br />

ciel gris jaunâtre, nébulo-ordinaire,<br />

de superpanmatriarcocratie et de volupté<br />

femellesque et tripaillo-insectoïde.<br />

Quelquefois, évidemment, le sentiment<br />

de frustration prend le <strong>des</strong>sus.<br />

C’est le cas lorsque votre auteur chéri<br />

et haï déplore, en plein milieu du roman<br />

L’Inassouvissement, que pour un<br />

concept aussi polonais que la «gueulede-bois»,<br />

sa langue ait recours à l’emprunt<br />

allemand Katzenjammer, et que,<br />

un peu plus loin, il fait de même pour<br />

l’emprunt Pech («déveine»), proposant<br />

aussitôt, dans une <strong>be</strong>lle envolée<br />

patriotico-linguistique, de le remplacer<br />

par vingt-sept néologismes polonais<br />

de son cru!<br />

La profonde originalité de la<br />

Novembre 2004 L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> • 15


Débat<br />

langue de Witkiewicz venait de son<br />

éducation anarchique. Cet autodidacte<br />

n’était jamais allé à l’école mais avait<br />

fréquenté depuis l’enfance un cercle<br />

d’intellectuels et artistes amis de son<br />

père, lui-même écrivain et peintre.<br />

Cela lui avait donné une curiosité insatiable,<br />

l’avait lancé dans <strong>des</strong> lectures<br />

sans fin et lui avait procuré une érudition<br />

stupéfiante dans <strong>des</strong> domaines très<br />

divers (et dans plusieurs langues!). La<br />

langue de ses oeuvres est le fruit de<br />

cette culture hétéroclite ainsi que d’un<br />

penchant marqué pour l’ironie, la parodie,<br />

le double sens, qui le poussait<br />

à une constante et parfois éprouvante<br />

gymnastique de la langue, le tout associé<br />

à un tempérament d’avant-gardiste<br />

re<strong>be</strong>lle aux conventions. Évidemment,<br />

après avoir tenté de suivre Witkiewicz<br />

dans toutes ses cabrioles stylistiques,<br />

le traducteur qui l’a longuement pratiqué<br />

sait, sans avoir <strong>be</strong>soin de consulter<br />

<strong>des</strong> manuels théoriques, ce qu’est une<br />

diversité de registres linguistiques. Il<br />

est familiarisé avec les sauts de registres<br />

voulus par Witkiewicz, qui passe,<br />

au gré de ses humeurs littéraires, de la<br />

langue philosophique (qui est parfois<br />

allemande en plein texte polonais)<br />

à l’argot <strong>des</strong> soudards russes, du sublime<br />

à l’obscène ou du dialecte à la<br />

langue de l’exposé technique.<br />

La fréquentation de son<br />

oeuvre à l’inspiration si variée m’a<br />

aussi appris un ou deux éléments essentiels<br />

du rôle du traducteur. Si j’ai<br />

compris bien vite qu’il ne suffisait pas<br />

de «savoir deux langues» pour traduire,<br />

Witkiewicz m’a enseigné que le<br />

traducteur littéraire est, doit être avant<br />

tout un critique et analyste de texte minutieux<br />

et un chercheur aussi acharné<br />

que le plus «routiné» <strong>des</strong> rats de bibliothèque.<br />

Comment traduire dans le<br />

même chapitre de roman, à l’aide du<br />

seul dictionnaire bilingue, <strong>des</strong> termes<br />

et <strong>des</strong> phrases qui relèvent de la chimie<br />

organique, de la philosophie <strong>des</strong><br />

hilozoïstes, du monadisme biologique,<br />

de la peinture d’avant-garde, de<br />

la technique photographique, de l’argot<br />

<strong>des</strong> rues? Comment reconnaître,<br />

si l’on n’a comme arme que ce même<br />

dictionnaire, les allusions littéraires et<br />

historiques, les pastiches, les archaïsmes,<br />

les citations, les acrobaties intertextuelles,<br />

les jeux de mots fondés sur<br />

16 • L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> Novembre 2004<br />

la connaissance de deux ou trois langues?<br />

Comment, dans un style aussi<br />

baroque, éviter les répétitions, choisir<br />

le mot juste, trouver un éventail de<br />

synonymes? C’est en se trouvant sans<br />

cesse confronté à ces questions qu’on<br />

se rend compte que le dictionnaire bilingue<br />

ne sera plus qu’un instrument<br />

parmi de nombreux autres (encyclopédies<br />

diverses, dictionnaire de synonymes,<br />

dictionnaire analogique, dictionnaire<br />

<strong>des</strong> rimes etc.).<br />

L’obligation d’être toujours<br />

en éveil, dans la certitude que l’auteur<br />

nous réserve toujours quelque surprise,<br />

qu’un sens caché est toujours<br />

possible derrière le sens apparent <strong>des</strong><br />

mots, voilà qui a été pour moi un entraînement<br />

rude et exaltant à la traduction<br />

littéraire.<br />

L’expérience suivante fut caractérisée<br />

par la même empathie avec<br />

l’auteur, mais dans <strong>des</strong> circonstances<br />

totalement différentes. Alors qu’avec<br />

Witkiewicz j’avais affaire à un écrivain<br />

mort plus de trente ans auparavant et<br />

faisant déjà figure de «classique moderne»,<br />

je m’attaquais maintenant à un<br />

auteur vivant, qui plus est, vivant non<br />

loin de chez moi, plus encore: quelqu’un<br />

que je connaissais bien. Marian<br />

Pankowski avait été à l’U.L.B. mon<br />

professeur de langue polonaise, celui<br />

qui m’en avait enseigné les rudiments<br />

avec un talent tel qu’au bout de mes<br />

quatre années d’étu<strong>des</strong> j’avais été capable<br />

d’aller affronter le redoutable<br />

Witkiewicz. Mais Pankowski était<br />

aussi, et est toujours, un poète, dramaturge<br />

et romancier vivant en Belgique<br />

depuis 1945. Bien que maniant le<br />

français avec précision et élégance, il<br />

n’a jamais abandonné la langue maternelle<br />

dans son écriture.<br />

J’entrepris donc, dans les<br />

années 70, de traduire une série de<br />

pièces de Pankowski et un roman,<br />

Rudolf. Ce fut l’occasion d’aborder<br />

la traduction littéraire de façon toute<br />

différente. Pour la première (et peutêtre<br />

la dernière) fois j’ai travaillé en<br />

relation continue avec l’auteur. Il doit<br />

arriver assez souvent qu’un traducteur<br />

ait avec l’auteur de l’original <strong>des</strong> contacts<br />

fréquents: soit il lui soumet périodiquement<br />

ses questions et ses doutes,<br />

soit même il lui fait relire réguliè-<br />

rement ses brouillons — à condition<br />

que l’auteur le désire et qu’il ait une<br />

connaissance suffisante de la langue<br />

cible. (A ce propos, certains auteurs et<br />

non <strong>des</strong> moindres ont la réputation de<br />

faire <strong>des</strong> interventions intempestives<br />

dans une langue qu’ils ne maîtrisent<br />

pas assez; c’est ce qu’on a entendu<br />

dire, par exemple, <strong>des</strong> rapports tendus<br />

de Nabokov avec ses traducteurs français.)<br />

Mais dans ce cas-ci la méthode<br />

de travail fut originale et s’assimila à<br />

une véritable collaboration. Pour chacune<br />

<strong>des</strong> oeuvres traduites, j’ai passé<br />

de longues journées face à Marian<br />

Pankowski, à traduire son texte devant<br />

lui. Il était totalement disponible, il me<br />

servait de dictionnaire et d’exégète du<br />

texte.<br />

Je garde un souvenir excellent<br />

de ces séances bihebdomadaires où<br />

nous faisions aussi une abondante consommation<br />

de café. J’y ai appris <strong>be</strong>aucoup<br />

de choses, non seulement sur le<br />

texte que j’étais en train de traduire,<br />

mais sur l’homme, sa vie, le reste de<br />

son oeuvre, sa conception de la littérature<br />

et bien d’autres choses encore. Il<br />

en résulta pour moi un enrichissement,<br />

à la fois sur le plan de la langue polonaise<br />

et du métier de traducteur.<br />

Sur un mode différent de celui<br />

de Witkiewicz, la langue de Pankowski<br />

est également difficile en raison de<br />

son caractère composite. Ce poète a,<br />

dans sa prose, <strong>des</strong> raffinements d’images<br />

et de métaphores pour lesquels<br />

l’équivalent est souvent malaisé à<br />

trouver. Il aime aussi allier l’archaïsme,<br />

la tournure populaire et ce qu’il<br />

appelle «la langue dépeignée», qui<br />

peut être aussi bien faite d’argot moderne<br />

que d’expressions pour le moins<br />

vigoureuses datant d’une époque où<br />

la langue polonaise était moins prude.<br />

(Je remarquerai à ce propos qu’avec<br />

Witkiewicz et Gombrowicz et surtout<br />

Marek Hłasko, Pankowski est l’un <strong>des</strong><br />

rares écrivains polonais modernes à<br />

défier le tabou sexuel dans la langue<br />

littéraire.) Il faut aussi tenir compte de<br />

son goût pour les jeux de sonorités, les<br />

assonances, la prose rythmée et de son<br />

amour de la parodie. L’élément le plus<br />

impénétrable de cette langue est certainement<br />

l’intrusion fréquente du dialecte<br />

de la région natale de Pankowski,<br />

un polonais mâtiné d’ukrainien que je


ne possédais évidemment pas et pour<br />

la transposition duquel l’aide immédiate<br />

de l’auteur m’a évité de longues<br />

recherches.<br />

Le travail en dialogue avec<br />

Pankowski restera pour moi une expérience<br />

unique. Il ne me sera sans doute<br />

plus jamais donné d’entendre ainsi un<br />

auteur commenter en profondeur la<br />

moindre page, la moindre phrase, le<br />

moindre mot d’un de ses livres, de le<br />

voir dévoiler dans le détail et la nuance<br />

toutes les intentions du texte. Pankowski<br />

me faisait réaliser là le rêve du<br />

traducteur: donner au plus juste l’interprétation<br />

<strong>des</strong> intentions de l’auteur<br />

et être approuvé totalement par lui,<br />

phrase après phrase.<br />

Entre-temps, je traduisais aussi<br />

l’une ou l’autre nouvelle du russe et<br />

une oeuvre du grand romancier tchèque<br />

Karel Čapek (Le Météore). Puis<br />

vinrent <strong>des</strong> pièces de théâtre d’autres<br />

auteurs polonais, Mrożek, Grochowiak<br />

et Różewicz.<br />

Ce ne fut, assez bizarrement,<br />

qu’au milieu <strong>des</strong> années 80, une quinzaine<br />

d’années après mes débuts dans<br />

la traduction littéraire, que j’envisageai<br />

de traduire pour la première fois<br />

une oeuvre du néerlandais, la première<br />

<strong>des</strong> langues «étrangères» que j’avais<br />

apprise dans ma jeunesse et que j’avais<br />

pourtant enseignée pendant d’assez<br />

nombreuses années avant de me consacrer<br />

à la littérature comparée et aux<br />

littératures slaves à l’U.L.B. Il fallut<br />

pour cela un coup de foudre littéraire,<br />

la lecture de Het verdriet van België<br />

que Hugo Claus avait publié à la fin<br />

1983.<br />

Il se passa alors une chose très<br />

caractéristique. Dès les premières pages<br />

je fus enchanté comme l’est n’importe<br />

quel amateur de littérature qui<br />

tom<strong>be</strong> sur une grande oeuvre; cependant,<br />

assez rapidement, mon optique<br />

de lecteur se transforma. La saveur et<br />

l’inventivité de la langue de Claus, le<br />

mélange de tons et de registres, le rapport<br />

de la langue au sujet du roman,<br />

tout cela, je commençai à le regarder<br />

d’un autre oeil, celui du traducteur. Au<br />

fil de la lecture, je m’amusais à compter<br />

les pièges que Claus tendait à un<br />

traducteur éventuel et à la fin du roman,<br />

ma décision était prise: il fallait<br />

que je traduise cela en français!<br />

Par hasard, j’appris peu après<br />

qu’un traducteur avait entamé puis<br />

abandonné la traduction du Verdriet<br />

van België. L’entremise amicale de<br />

Jacques De Decker me fit connaître<br />

Bernard de Fallois, qui dirigeait à ce<br />

moment les éditions Julliard, je pus<br />

transmettre mon enthousiasme à ce<br />

dernier et l’aventure démarra.<br />

Ce n’était pas une mince affaire<br />

mais elle fut menée à bien en<br />

dix mois et ma version française du<br />

chef d’oeuvre de Hugo Claus parut à<br />

l’automne 1985 sous le titre Le Chagrin<br />

<strong>des</strong> Belges. Une fois encore les<br />

défis étaient nombreux. Claus, en véritable<br />

poète et virtuose de la langue<br />

qu’il est, utilise plusieurs niveaux de<br />

langue. Il emploie le néerlandais le<br />

plus classique dans ses nuances les<br />

plus subtiles et fait aussi appel aux<br />

néologismes et aux jeux de langage<br />

et de sonorités. Mais autant dans les<br />

dialogues où il fait parler son monde<br />

de petits bourgeois courtraisiens que<br />

dans de nombreux passages de commentaire<br />

ou même de narration, c’est<br />

le sujet même qui dicte son usage de<br />

la langue. Son Algemeen Beschaafd<br />

Nederlands alterne alors avec le flamand,<br />

non pas le dialecte pur, celui<br />

de sa Flandre Occidentale natale, mais<br />

un dialecte stylisé, qui n’en présente<br />

pas moins de très nombreux écarts par<br />

rapport au néerlandais littéraire: archaïsmes,<br />

dialectismes et nombre de<br />

gallicismes.<br />

Cet aspect linguistique est<br />

important pour Le Chagrin <strong>des</strong> Belges<br />

encore plus que pour les autres<br />

oeuvres de Claus dont l’action se déroule<br />

en Flandre. Le récit de la vie du<br />

héros se déroule sur le fond historique<br />

de la seconde guerre mondiale et touche<br />

un point très sensible: l’attitude de<br />

certains Flamands qui ont, souvent de<br />

bonne foi, collaboré avec les occupants<br />

allemands au nom d’une fraternité de<br />

langue et d’ethnie. On voit donc toute<br />

la charge émotive ou ironique que<br />

peuvent receler les différents emplois<br />

de la langue dans un tel contexte, notamment<br />

l’usage de termes «purement<br />

germaniques» ou, au contraire, ressentis<br />

comme <strong>des</strong> emprunts à la langue<br />

française abhorrée <strong>des</strong> flamingants.<br />

On mesure aussi quelle était<br />

Débat<br />

la responsabilité pesant sur les épaules<br />

du traducteur, qui devait tenter de<br />

transposer toute cette complexité en<br />

français. Était-il possible de rendre<br />

les différents parlers (ou plutôt, en<br />

gros, les deux parlers: néerlandais et<br />

flamand) utilisés par Claus? Était-il<br />

possible aussi de refléter avec autant<br />

d’efficacité en français les difficultés<br />

de la situation linguistique, où intervient<br />

parfois un rapport agressif à<br />

l’égard du français, langue <strong>des</strong> anciens<br />

oppresseurs économiques, langue à laquelle<br />

les nationalistes flamands attribuent<br />

tous les maux passés, présents<br />

et à venir de leur pays? Était-il enfin<br />

concevable — question essentielle<br />

pour un traducteur — de retrouver en<br />

français toutes les différences entre les<br />

néerlandais et le flamand, ces écarts<br />

sur lesquels reposait une grande partie<br />

de l’attrait pittoresque du Chagrin <strong>des</strong><br />

Belges dans l’original?<br />

Il faut préciser que la version<br />

originale avait connu un succès phénoménal<br />

de vente, dont 80 % aux Pays-<br />

Bas, preuve du caractère universel de<br />

l’oeuvre, mas aussi de l’attraction que<br />

présentait pour les lecteurs néerlandais<br />

le caractère «exotique» de ce récit<br />

placé dans un monde voisin, mais si<br />

différent du leur, et où l’on parle leur<br />

langue, mais d’une façon si «autre».<br />

J’étais donc placé devant la<br />

tâche de retrouver ce même «pittoresque<br />

<strong>be</strong>lge», mais en langue française.<br />

C’est pourquoi mon option de traduction<br />

a été de transposer la dualité néerlandais/flamand<br />

en une dualité français<br />

de France/<strong>be</strong>lgicismes. Le Chagrin<br />

<strong>des</strong> Belges est donc parsemé d’expressions<br />

locales qui abondent dans le<br />

français de Belgique. Au demeurant,<br />

de telles tournures sont souvent <strong>des</strong><br />

traductions littérales d’expressions<br />

flaman<strong>des</strong>, ce qui est normal lorsqu’il<br />

s’agit de langues en contact, et cela<br />

convenait particulièrement bien pour<br />

la traduction d’un tel ouvrage. Parfois,<br />

évidemment, la tournure est fautive en<br />

français; certains de nos compatriotes<br />

trouveront qu’elle n’en est que plus<br />

savoureuse, mais quelques unes de ces<br />

habitu<strong>des</strong> <strong>be</strong>lges sont les cibles favorites<br />

<strong>des</strong> moqueries françaises (savoir<br />

pour pouvoir, une fois pour un peu<br />

etc.)<br />

Il ne fallait évidemment pas<br />

Novembre 2004 L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> • 17


Débat<br />

trop «charger la barque»; employer<br />

trop de <strong>be</strong>lgicismes, et surtout de trop<br />

nombreux tours empruntés au flamand,<br />

aurait rendu la lecture difficile<br />

en-dehors de la Belgique. Or, c’était<br />

une maison d’édition parisienne qui<br />

publiait Le Chagrin et il fallait, bien<br />

entendu, tenir compte du fait que<br />

l’éditeur et l’auteur désiraient toucher<br />

le public le plus large. Il se posait donc<br />

là une question courante dans la pratique<br />

de la traduction littéraire, celle de<br />

l’adaptation de la langue cible à un public<br />

ciblé. Dans le cas présent, il était<br />

évident que la grande majorité <strong>des</strong> lecteurs<br />

seraient <strong>des</strong> Français de France.<br />

Je tombai donc d’accord avec l’éditeur<br />

pour lui soumettre <strong>des</strong> parties de<br />

l’ouvrage au fur et à mesure de la traduction,<br />

en vue de déterminer si mon<br />

texte n’était pas trop incompréhensible<br />

pour le lecteur français moyen.<br />

Bien sûr, personne ne lut jamais mon<br />

manuscrit avant qu’il ne fût entièrement<br />

terminé et, en fin de parcours, il<br />

atterrit sur le bureau d’une correctrice<br />

non prévenue.<br />

Quelques semaines plus tard,<br />

je reçus un volumineux paquet. Il<br />

contenait les mille pages de mon «tapuscrit».<br />

Chaque feuillet était rayé,<br />

souligné, barbouillé de rouge, comme<br />

le devoir d’un mauvais élève corrigé<br />

par un instituteur minutieux. Dans<br />

les marges, <strong>des</strong> inscriptions vengeresses:<br />

«tournure incorrecte!», «pas<br />

français!», «fautif!!» Dans les marges<br />

également, la soigneuse correctrice<br />

s’était évertuée à donner sa version<br />

épurée <strong>des</strong> passages par trop «fautifs»;<br />

le plus <strong>be</strong>l exemple en était l’imparfait<br />

du subjonctif mis dans la bouche d’un<br />

<strong>des</strong> personnages du roman, une vieille<br />

campagnarde sans instruction. Comme<br />

toujours, un compromis fut trouvé,<br />

mais cela me coûta tout de même un<br />

certain travail, mille pages de correction<br />

de la correction.<br />

Outre le succès considérable<br />

de ce livre en France et ailleurs (et de<br />

son titre, le «chagrin <strong>des</strong> Belges» devenu<br />

une expression consacrée, utilisée<br />

à tout propos dans la presse, même<br />

lorsque l’équipe nationale de foot se<br />

fait éreinter en Coupe du Monde), une<br />

chose m’a donné un plaisir particulier:<br />

le fait que le roman de Hugo Claus<br />

soit devenu en quelque mois le livre<br />

de fiction le plus vendu de toute l’his-<br />

18 • L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> Novembre 2004<br />

toire de la librairie francophone <strong>be</strong>lge,<br />

autant à Bruxelles qu’en Wallonie, a<br />

pour moi une grande signification. Il<br />

faut connaître l’âpreté et la fréquente<br />

mesquinerie <strong>des</strong> luttes linguistiques<br />

en Belgique pour pouvoir apprécier à<br />

sa juste valeur le fait que ce soit le<br />

plus grand écrivain flamand de notre<br />

temps qui ait ainsi passionné les lecteurs<br />

francophones, toujours prêts à<br />

dénigrer ce qui se fait dans le nord du<br />

pays. Ne soyons pas angéliques, mais<br />

tout de même! Cela ne tendrait-il pas à<br />

montrer que, en dépit de ce qu’affirme<br />

l’ensemble <strong>des</strong> discours politiques sur<br />

l’irrémédiable coupure entre les communautés<br />

flamande et francophone,<br />

il existe dans le public un sentiment,<br />

mal défini sans doute, d’appartenance<br />

à une entité culturelle <strong>be</strong>lge? Une réconciliation<br />

par la traduction, quel<br />

rêve!<br />

Avec ce roman de Claus, la<br />

machine à traduire s’est remise en<br />

marche, prenant toutefois une autre<br />

direction. J’ai traduit depuis lors les<br />

nouveaux romans de Hugo Claus<br />

(dont L’Espadon, Belladonna, La Rumeur<br />

et bientôt Passé composé ou Le<br />

Passé imparfait, j’hésite encore sur le<br />

titre) et j’ai entamé l’édition de son<br />

Théâtre Complet, quatre volumes de<br />

quatre pièces déjà parus, un autre sous<br />

presse en cette année 1999.<br />

J’ai eu l’occasion de traduire<br />

aussi, mais de manière plus ponctuelle,<br />

d’autres auteurs. Parmi eux l’Anglais<br />

Ro<strong>be</strong>rt Nye, pour son Faust, incroyable<br />

d’intelligence et de virtuosité<br />

langagière mais qui n’eut hélas aucun<br />

succès en France, le Néerlandais Joost<br />

Zwagerman, le Tchèque Karel Čapek,<br />

le Russe Aleksander Zinoviev ou le<br />

Polonais Tadeusz Różewicz, pour sa<br />

très <strong>be</strong>lle pièce sur Kafka, Le Piège,<br />

qui a trouvé un éditeur mais hélas pas<br />

encore de scène française ou francophone.<br />

Une chose apparaît évidente,<br />

si l’on passe en revue cette déjà longue<br />

carrière: j’ai eu l’énorme chance<br />

de ne jamais être obligé de gagner<br />

ma vie grâce à la traduction littéraire.<br />

L’enseignement universitaire a pourvu<br />

à mon pain quotidien, ce qui m’a<br />

permis d’avoir toujours le choix <strong>des</strong><br />

auteurs et <strong>des</strong> oeuvres à traduire. J’ai<br />

ainsi pu oeuvrer l’esprit tranquille,<br />

dans la peau d’un amateur de littérature<br />

qui aime faire partager ses goûts.<br />

C’est ainsi qu’on s’aperçoit au bout de<br />

plusieurs dizaines d’années qu’on n’a<br />

pas simplement accumulé les volumes<br />

mais qu’on a rassemblé une oeuvre qui<br />

a une certaine homogénéité. Le point<br />

commun entre tous «mes» auteurs ne<br />

m’est toutefois apparu qu’assez tard,<br />

à l’occasion d’une réflexion qu’on<br />

m’avait demandé de faire pour un<br />

colloque de l’institut de traduction<br />

Cooremans de Bruxelles. Une sorte<br />

de bilan m’a alors permis de constater<br />

au moins une chose importante: chacun<br />

de ces écrivains que j’aime manifeste<br />

un sens ludique de la langue.<br />

Ce sont <strong>des</strong> écrivains qui aiment le<br />

mot, le caressent, le retournent en tous<br />

sens, le manipulent avec amour et humour.<br />

Mais surtout ils traitent le sens<br />

et le son de la parole comme un objet<br />

de jeu, peut-être parce que, dans une<br />

certaine mesure, ils ont gardé l’esprit<br />

d’enfance, cet élément précieux et rare<br />

que Gombrowicz appelait «la difficile<br />

puérilité de l’adulte», et qu’ils considèrent<br />

l’existence comme une tragédie<br />

dont il vaut mieux rire. Ce sont aussi,<br />

chacun à sa mesure et sa manière, <strong>des</strong><br />

jongleurs auxquels une grand culture,<br />

une riche connaissance de leur langue<br />

et <strong>des</strong> langues étrangères permet<br />

quelquefois de réjouissantes acrobaties<br />

verbales. Si j’ajoute à cela que <strong>des</strong><br />

Witkiewicz, Claus, Pankowski ou Nye<br />

appellent un chat un chat et n’hésitent<br />

pas à franchir avec allégresse les tabous<br />

de la bienséance, ce qui m’amuse<br />

<strong>be</strong>aucoup, on pourrait se demander<br />

s’il ne subsiste pas en leur traducteur<br />

un peu de l’esprit de provocation du<br />

potache.<br />

Le tableau ne serait pas complet<br />

si je ne disais pas que la longue<br />

fréquentation de l’oeuvre <strong>des</strong> autres<br />

m’a naturellement donné l’envie<br />

d’écrire. De même que j’avais jadis<br />

commencé par traduire du théâtre, j’ai<br />

aussi débuté par l’écriture dramatique<br />

il y a une douzaine d’années, ensuite<br />

je suis devenu romancier débutant à<br />

soixante ans. Pourquoi avoir attendu<br />

aussi longtemps? Tout bonnement<br />

parce que ma familiarité avec l’oeuvre<br />

de tous ces grands écrivains a été à la<br />

fois une incitation constante à passer


moi-même à l’acte et un frein énorme :<br />

valait-il bien la peine d’encombrer les<br />

rayons <strong>des</strong> libraires, déjà si chargés, de<br />

quelques livres de plus? Le plaisir personnel<br />

a été le plus fort et je m’en réjouis<br />

à présent, j’avoue sans fard qu’à<br />

ce stade de mon existence j’éprouve<br />

plus de joie à écrire qu’à traduire.<br />

Lorsqu’il m’arrive — rarement<br />

— de jeter un coup d’oeil en<br />

arrière sur l’ensemble de ce que j’ai<br />

traduit, je ne suis naturellement jamais<br />

satisfait. Certains considèrent, avec<br />

raison sans doute, qu’une traduction<br />

n’est jamais finie, mais voilà, il fallait<br />

bien que chacune d’elles vive sur<br />

le papier un jour! Donc, lorsque mon<br />

regard tom<strong>be</strong> sur certaines de mes anciennes<br />

traductions, j’ai plus que du<br />

remords, de la honte! Il est tout à fait<br />

exact que les traductions vieillissent<br />

plus vite que les oeuvres originales,<br />

mais le traducteur, qui vieillit aussi,<br />

espère lui au moins se bonifier comme<br />

le vin vieux. Un exemple? Dans mon<br />

roman Spa si <strong>be</strong>au! publié en 1998, je<br />

me suis amusé à insérer subrepticement<br />

deux extraits d’une demi-page<br />

de L’Inassouvissement de Witkiewicz,<br />

que j’ai fait paraître en français en<br />

1970. Je ne me suis résolu à le faire<br />

qu’après avoir modifié en profondeur<br />

chacune <strong>des</strong> phrases, vocabulaire et<br />

syntaxe.<br />

On le voit, traducteur ou<br />

auteur, je me laisse dominer par<br />

l’amour du jeu verbal. Comme aurait<br />

dit ce vieux Rimbaud: «On n’est pas<br />

sérieux lorsqu’on a soixante ans.»<br />

In Cahiers internationaux du symbo-<br />

lisme, nos 92-93-94, 1999.<br />

1 Anna Fialkiewicz-Saignes, Les traductions<br />

françaises <strong>des</strong> romans de S.I. Witkiewicz:<br />

triomphes et capitulations du<br />

traducteur, in La littérature polonaise en<br />

France, Maryla Laurfent (éd.), Travaux et<br />

recherches UL3, Lille, 1998.<br />

NDLR : Cet article nous a été proposé<br />

par Monsieur Alain Van Crugten qui,<br />

étant à l’étranger, n’a pas trouvé le<br />

temps nécessaire à la rédaction d’un<br />

texte pour le débat. Nous le remercions<br />

vivement de s’être déplacé un<br />

11 novembre pour nous apporter son<br />

texte dans l’urgence.<br />

Pour illustrer et conclure ce débat qui n’a d’un débat que le nom vu le peu de participants, je voudrais simplement vous<br />

proposer quatres traductions différentes du même passage du Château de Kafka. Je les ai tirées <strong>des</strong> merveilleux Testaments<br />

trahis de Kundera. Le passage en question est une seule phrase tirée du troisième chapitre et qui décrit le coït de K. et de<br />

Frieda.<br />

• Thomas<br />

Traduction de Vialatte,<br />

1938.<br />

Des heures passèrent là,<br />

<strong>des</strong> heures d’haleines<br />

mêlées, de battements<br />

de cœur communs, <strong>des</strong><br />

heures durant lesquelles<br />

K. ne cessa d’éprouver<br />

l’impression qu’il<br />

se perdait, qu’il s’était<br />

enfoncé si loin que nul<br />

être avant lui n’avait<br />

fait plus de chemin ; à<br />

l’étranger, dans un pays<br />

où l’air même n’avait<br />

plus rien <strong>des</strong> éléments<br />

de l’air natal, où l’on<br />

devait étouffer d’exil et<br />

où l’on ne pouvait plus<br />

rien faire, au milieu<br />

d’insanes séductions,<br />

que continuer à marcher,<br />

que continuer à se<br />

perdre.<br />

Traduction de David, 1976<br />

Des heures passèrent là,<br />

<strong>des</strong> heures d’haleines<br />

mêlées, de battements<br />

de cœur confondus, <strong>des</strong><br />

heures durant lesquelles<br />

K. ne cessa d’approuver<br />

l’impression qu’il<br />

s’égarait, qu’il s’enfonçait<br />

plus loin qu’aucun<br />

être avant lui ; il était<br />

dans un pays étranger,<br />

où l’air même n’avait<br />

plus rien de commun<br />

avec l’air du pays natal<br />

; l’étrangeté de ce<br />

pays faisait suffoquer<br />

et pourtant, parmi de<br />

folles séductions, on<br />

ne pouvait que marcher<br />

toujours plus loin,<br />

s’égarer toujours plus<br />

avant.<br />

Traduction de<br />

Lortholary, 1984<br />

Là passèrent <strong>des</strong> heures,<br />

<strong>des</strong> heures de respirations<br />

mêlées, de cœurs<br />

battant ensemble, <strong>des</strong><br />

heures durant lesquelles<br />

K. avait le sentiment<br />

constant de s’égarer, ou<br />

bien de s’être avancé<br />

plus loin que jamais<br />

aucun homme dans<br />

<strong>des</strong> contrées étrangères,<br />

où l’air lui-même<br />

n’avait pas un seul<br />

élément qu’on retrouvât<br />

dans l’air du pays<br />

natal, où l’on ne pouvait<br />

qu’étouffer à force<br />

d’étrangeté, sans pouvoir<br />

pourtant faire autre<br />

chose, au milieu de ces<br />

séductions insensées,<br />

que de continuer et de<br />

s’égarer davantage.<br />

Débat<br />

Traduction fidèle de l’allemand<br />

par Kundera.<br />

Là, s’en allèrent <strong>des</strong><br />

heures, <strong>des</strong> heures<br />

d’haleines communes,<br />

de battements de cœur<br />

communs, <strong>des</strong> heures<br />

durant lesquelles K.<br />

avait sans cesse le sentiment<br />

qu’il s’égarait, ou<br />

bien qu’il était plus loin<br />

dans le monde étranger<br />

qu’aucun être avant lui,<br />

dans un monde étranger<br />

où l’air même n’avait<br />

aucun élément de l’air<br />

natal, où l’on devait<br />

étouffer d’étrangeté et<br />

où l’on ne pouvait rien<br />

faire, au milieu de séductions<br />

insensées, que<br />

continuer à aller, que<br />

continuer à s’égarer.<br />

Novembre 2004 L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> • 19


Entretien<br />

Monsieur Daniel DROIXHE<br />

20 • L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> Novembre 2004<br />

Marie et Cécile<br />

Il est <strong>des</strong> professeurs qui marquent, sur qui la première impression est souvent la même, à<br />

propos de qui les angoisses <strong>des</strong> premières BA sont très prévisibles. Monsieur Droixhe est de<br />

ceux-là : un mythe vivant, sans cesse raconté, sans cesse exagéré.<br />

Mais monsieur Droixhe ce n’est pas que cela. Outre le fait qu’il soit un <strong>des</strong> plus grands spécialistes<br />

de la dialectologie wallonne, monsieur Droixhe est toujours à l’écoute et sa générosité n’a<br />

d’égal que son croustillant accent liégeois. Et connaissez-vous Elmore D, son groupe de Blues ?<br />

Non ? Alors... parlons-en !...<br />

L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> : Monsieur Droixhe,<br />

pourriez-vous commencer par nous parler<br />

de votre parcours scolaire et universitaire ?<br />

Monsieur Droixhe : Oui !... J’ai fait <strong>des</strong> étu<strong>des</strong><br />

assez banales ! Sans remonter au déluge,<br />

j’ai fait mes étu<strong>des</strong> dans la région de<br />

Liège, à Herstal, rive gauche de la Meuse,<br />

à l’Athénée, enseignement laïc. J’ai toujours<br />

voulu être prof de français, ce qui était, me<br />

semble-t-il, une ambition légitime ! Sans<br />

que ce soit une contrainte de ma famille,<br />

puisque mes parents n’étaient pas du tout<br />

dans l’enseignement. J’ai été un bon élève !<br />

Enfin, c’est pas tout à fait vrai, parce que<br />

au moins deux fois dans mon parcours scolaire,<br />

j’ai eu <strong>des</strong> gros problèmes. Oh, est-ce<br />

que je dois raconter ça ?<br />

L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> : Oui !<br />

Monsieur Droixhe : c’est à dire que, une<br />

chose qui m’a marqué, c’était au milieu de<br />

mon enseignement moyen, j’étais en troisième.<br />

J’avais une réputation d’assez bon étudiant<br />

et je me débrouillais bien en français<br />

surtout… le reste je me débrouillais mais je<br />

ne comprenais rien ! J’ai eu un nouveau prof<br />

de français qui avais une très forte répu-<br />

tation et je me souviens<br />

que la première rédaction<br />

ou dissertation, j’étais…<br />

vous savez, à l’époque,<br />

on était une classe assez<br />

stable, on allait jusqu’à<br />

la rhétorique avec les mêmes<br />

copains… Et là j’ai été classé dernier !<br />

Dernier de la classe ! avec une seule note<br />

à ma dissertation : « lamentable » ! En fait<br />

j’avais voulu faire quelque chose qui était un<br />

peu surréaliste sans savoir bien ce qu’était<br />

le surréalisme, mais dans l’esprit c’était ça.<br />

Et ce nouveau prof était très classique. Il<br />

voulait qu’on écrive comme au 17 ème siècle !<br />

Et là j’ai été classé dernier !<br />

Dernier de la classe ! avec<br />

une seule note à ma dissertation<br />

: « lamentable » !<br />

Et là ça a été un drame pour moi : j’étais le<br />

plus mauvais de la classe ! J’avais 8/20, je<br />

me souviens encore ! J’ai eu deux fois 8/20<br />

dans ma vie ! Et j’en ai fait vraiment une<br />

maladie, d’ailleurs je suis tombé malade !<br />

Alors je me suis forcé à écrire comme le prof<br />

voulait, de sorte que d’un côté j’ai encore<br />

gardé un souci de l’écriture<br />

classique mais en même<br />

temps j’ai renoncé à toute<br />

expérimentation littéraire,<br />

j’ai été refroidi quoi ! Et j’ai<br />

eu la même expérience et la<br />

même note à l’université de<br />

Liège quand je suis arrivé !<br />

Le premier travail que j’ai<br />

fait, un travail sur La Bruyère. J’ai fait une<br />

analyse comme ce prof de l’Athénée m’avait<br />

appris à le faire et la doctrine à Liège c’était<br />

le « stéphanisme », c’était l’analyse absolument<br />

interne du texte, d’après les théories<br />

d’un ancien professeur de Liège qui s’appelait<br />

Servais Etienne. On devait absolument<br />

faire abstraction de toute référence historique.<br />

Il fallait ne mettre en évidence que les<br />

mécanismes stylistiques du texte… Dernier<br />

encore une fois ! 8/20<br />

encore ! C’était mon premier<br />

travail universitaire,<br />

qu’est-ce que je pouvais<br />

savoir moi ! De sorte que<br />

si vous me demandez<br />

comme quelqu’un me<br />

l’a demandé il n’y a pas longtemps, je crois<br />

que c’est Thibaut : « on m’a dit que vous<br />

aviez recommencé votre première candidature<br />

! Est-ce vrai ? » Alors j’ai dit « oui,<br />

c’est vrai ». Il avait l’air étonné… La fausse<br />

réponse c’est que je courrais les filles,<br />

la vraie, <strong>be</strong>aucoup plus technique, c’est que<br />

j’avais un cours de psychologie où on était<br />

Il m’a dit « votre année est<br />

finie », moi je l’ai cru ! Je<br />

suis rentré chez moi et j’ai<br />

dit à mes parents « c’est<br />

fini ! » De sorte que je n’ai<br />

plus fait d’examen !<br />

probablement 2000 au cours. C’était comme<br />

au Janson. Mais, contrairement à ici, le<br />

professeur ne venait pas de l’extérieur pour<br />

monter sur sa chaire, il venait par une porte<br />

de derrière car l’idée était qu’on ne voulait<br />

pas que le prof soit trop en contact avec les<br />

étudiants. Et donc, par une espèce de cir-<br />

cuit obscur, il surgissait<br />

sur sa chaire, de sorte<br />

que, pour celui qui était<br />

loin, il n’avait qu’une<br />

vision minimaliste du<br />

prof. Si vous n’étiez pas<br />

au premier rang, c’était<br />

une entité abstraite, un<br />

ectoplasme ! Et ce prof<br />

de psycho, quand j’ai passé l’examen, et là<br />

c’est la vraie raison, arrivé à son bureau,<br />

je découvre qu’il louche à un degré ! Et je<br />

le regardais et j’étais fasciné comme par<br />

un cobra, mais incapable de dire un mot en<br />

regardant cette personne qui m’enjoignait<br />

avec ses deux yeux de donner dans un ordre<br />

défini un certain nombre de réflexes !<br />

Et au bout de trente secon<strong>des</strong> de silence il<br />

m’a dit : « monsieur, votre année est finie. »<br />

C’est vrai que j’étais absolument liquéfié !<br />

Ce bonhomme m’effrayait ! Il m’a dit « votre<br />

année est finie », moi je l’ai cru ! Je suis<br />

rentré chez moi et j’ai dit à mes parents<br />

« c’est fini ! » De sorte que je n’ai plus<br />

fait d’examen ! Et j’ai attendu l’année suivante<br />

! (NDLR : la retranscription de l’enregistrement<br />

est difficile car Monsieur Droixhe<br />

se marre à chaque mot !...) Le professeur<br />

m’avait dit que mon année était finie, mon<br />

père a alors dit « <strong>be</strong>n… il le sait hein ! » Et<br />

c’est ça en fait que j’ai recommencé, je n’ai<br />

pas passé un autre examen ! Et je l’ai revu<br />

à ma défense de thèse et il m’a demandé<br />

« mais je ne me souviens pas de vous » !


Fatalement, on était je ne sais combien de<br />

centaines ! Un moment j’ai dû lui dire que<br />

j’avais échoué chez lui ! La conversation a<br />

été assez brève !<br />

Un autre professeur, mon futur patron,<br />

Monsieur Piron, qui donnait cours d’encyclopédie,<br />

éteignait toutes les lumières et<br />

s’éclairait d’une lampe de poche en récitant<br />

<strong>des</strong> listes d’ouvrages de références…<br />

C’était… fantomatique ! De sorte que personne<br />

ne voulait travailler avec mon patron<br />

parce que c’était mortel ! Et moi j’ai<br />

eu la chance de lire un livre de lui Clarté<br />

sur les lettres wallonnes contemporaines<br />

et c’était éblouissant, c’était drôle, rigolo,<br />

plein de jeux de mots, très<br />

ironique, caustique ! Il a dû<br />

écrire dans un volume collectif<br />

un autre texte sur Le mariage<br />

de Mademoiselle Beulemans<br />

qui l’ennuyait profondément.<br />

Il ne savait pas quoi écrire. Et<br />

puis je vois le texte paraître : Le mariage de<br />

Mademoiselle Beulemans : Brrrrrrrrrr… ! Il<br />

n’y avait rien d’autre ! Pas un mot !<br />

L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> : Vous étiez plutôt très<br />

bosseur ou avez-vous fait partie du folklore<br />

?<br />

Monsieur Droixhe : Il faut dire que j’étais<br />

étudiant en 68 et à cette époque le folklore<br />

était vraiment passé à l’arrière plan. C’était<br />

considéré comme ringard. Si vous faisiez<br />

partie de la politique universitaire, si vous<br />

étiez dans les mouvements estudiantins, de<br />

contestation, les gens qui étaient dans le<br />

folklore on les trouvait un peu niais. Les rituels<br />

de baptême n’existaient pratiquement<br />

pas. Maintenant c’est revenu partout. Mais<br />

j’ai été décoré de l’ordre de la Jupiler, quand<br />

j’étais en licence. Ceci dit je m’intéressais<br />

à un autre folklore… mais ça ne veut pas<br />

dire qu’on est nécessairement bosseur si<br />

on n’est pas dans le folklore estudiantin !<br />

Oui, j’étais bosseur… vous savez, il y a <strong>des</strong><br />

gens qui tirent tout de leur pouce… Moi j’ai<br />

toujours considéré que je n’en savais pas<br />

assez donc j’ai tendance à acheter <strong>des</strong> tas<br />

de livres en me promettant de les lire et de<br />

m’informer mieux puis finalement je ne le<br />

fais pas… Dans toutes les universités il<br />

y a un fond de génies mais je crois, c’est<br />

normal quand on est étudiant, on a tendance<br />

à mythifier certaines personnes, et<br />

je crois qui faut se défendre de ça aussi.<br />

C’est assez facile parfois d’impressionner,<br />

de jouer au génie. C’est à l’étudiant d’être<br />

critique. Mon patron disait : « l’intelligence,<br />

c’est de ne pas prendre les vessies pour <strong>des</strong><br />

J’ai été décoré de<br />

« l’ordre de la<br />

Jupiler », quand<br />

j’étais en licence<br />

lanternes. » Même <strong>des</strong> gens comme Remacle<br />

etc. qui étaient <strong>des</strong> sommités internationales,<br />

étaient très mo<strong>des</strong>tes. Ils disaient<br />

eux-mêmes qu’ils pouvaient se tromper. Et<br />

c’est une chose que certains étudiants ne<br />

comprenaient pas. Mais là je vous parle de<br />

Liège ! Ici, je suis un immigré tardif ! Ici, je<br />

suis encore heureux, mais j’ai été très heureux<br />

en arrivant ici car j’ai été accueilli par<br />

le groupe d’étude du 18 ème siècle dirigé par<br />

Roland Mortier qui est un très très grand<br />

maître. Et la cheville ouvrière aussi c’était<br />

Hasquin, qui était tel que lui-même, c’est à<br />

dire très décidé !<br />

L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> : Quel était le sujet de<br />

votre thèse ?<br />

Monsieur Droixhe : C’était dans<br />

le prolongement de mon mémoire.<br />

J’ai fait un mémoire sur<br />

le concept de l’arbitraire du signe<br />

de la Renaissance au 19 ème<br />

siècle. Tout ça parce que j’avais<br />

trouvé un texte de Diderot qui en parlait.<br />

J’avais eu une assez bonne note alors j’ai<br />

fait ma thèse dans le prolongement. Il est<br />

paru sous le titre La linguistique et l’appel<br />

de l’histoire. C’était la naissance de la linguistique<br />

historique sous toutes ses formes<br />

dans tous les pays d’Europe. De sorte que je<br />

connais <strong>des</strong> choses exotiques qui peuvent<br />

être utiles dans la conversation ! A cette<br />

époque je voyageais <strong>be</strong>aucoup plus, notamment<br />

vers les pays de l’Est. Je voulais même<br />

immigrer à un moment mais j’ai vite changé<br />

d’avis car on mangeait trop mal et il faisait<br />

trop froid ! Mais j’ai appris <strong>be</strong>aucoup avec<br />

les gens là-bas.<br />

L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> : Et la dialectologie<br />

dans tout ça ?<br />

Monsieur Droixhe : Bonne question ! En fait<br />

la dialectologie, pour être franc, j’y suis<br />

venu tard. D’abord mon patron de Liège qui<br />

donnait le cours de littérature wallonne ne<br />

le donnait pas car il disait qu’il y avait trop<br />

peu d’étudiants. Quand<br />

je lui ai demandé pour<br />

faire le cours il m’a dit que<br />

j’étais le seul et qu’il ne<br />

faisait pas le cours pour<br />

un seul étudiant ! J’ai<br />

répondu « oui, monsieur<br />

le professeur ». Dans ma<br />

thèse il y a un chapitre sur l’éveil de la dialectologie.<br />

D’ailleurs, à la fin de ma thèse,<br />

parue il y a environ 25 ans, j’annonce une<br />

« histoire de la dialectologie réécrite » ! J’ai<br />

<strong>be</strong>aucoup publié mais pas de livre. Donc, j’y<br />

suis venu relativement tard parce que les<br />

Et moi je parle wallon avec<br />

un libraire de Liège que je<br />

connais car c’est un motard,<br />

il roule en Harley Davidson<br />

comme mon frère.<br />

Entretien<br />

patrons qui s’occupaient de la dialectologie<br />

à l’époque, comme Louis Remacle, n’étaient<br />

pas vraiment encourageants ! Il faisait,<br />

par exemple, un cours entier sur un toponyme<br />

! Toute l’année ! Un bien choisi, qui<br />

posait <strong>des</strong> tas de problèmes ! C’était très<br />

dur à suivre ! Et à l’examen, si vous aviez<br />

l’idée, comme ça m’arrivait assez souvent,<br />

de détourner la conversation pour parler<br />

d’autre choses !... Je lui ai dit que je disais<br />

ça autrement que lui, un mot du cours, et il<br />

m’a dit, très poliment : « Monsieur Droixhe,<br />

ça ne m’intéresse pas. » Sur le coup j’ai été<br />

un peu déçu, mais il était très organisé. Il a<br />

même renoncé à donner un cours car il avait<br />

oublié sa cravate !<br />

Maintenant, pour revenir à Bruxelles, le<br />

groupe d’étude du 18 ème siècle revit sous la<br />

direction de Manuel Couvreur et de Bruno<br />

Bernard. Ce groupe était une gloire de l’ULB,<br />

une renommée internationale.<br />

L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> : Mais parlez-vous le<br />

dialecte chez vous ?<br />

Monsieur Droixhe : Le wallon, je l’ai appris<br />

avec ma grand-mère. Mais en dehors de<br />

l’université, j’avais un intérêt pour le dialecte<br />

parce que je suis né à Herstal dans le<br />

« carré <strong>des</strong> poètes », un ensemble de rues<br />

qui portaient le nom d’écrivains. Et assez<br />

vite ça m’a intéressé. Et puis j’ai été conservateur<br />

du musée de la commune où j’ai<br />

commencé plus sérieusement à développer<br />

puis j’ai repris la succession de Maurice Piron<br />

à Liège. Maintenant je parle en wallon,<br />

quand je m’énerve chez moi, avec ma femme<br />

et les enfants ! Ils comprennent assez bien.<br />

Ils ne parlent pas avec moi. Ils comprennent<br />

tout mais ils ne disent rien. Ils n’ont rien à<br />

dire ! (rire) Mais trouver quelqu’un qui parle<br />

avec vous un bon wallon c’est devenu difficile.<br />

D’ailleurs Louis Remacle me disait « je<br />

ne parle plus wallon qu’avec le pompiste ».<br />

Et moi je parle wallon avec un libraire de<br />

Liège que je connais car c’est un motard, il<br />

roule en Harley Davidson<br />

comme mon frère. Et il<br />

parle très bien. Alors on<br />

fait parfois <strong>des</strong> jeudis au<br />

café du coin, derrière la<br />

cathédrale de Liège, avec<br />

d’autres qui parlent et<br />

c’est très gai ! Au début<br />

c’est dur de s’y remettre parce que eux faisaient<br />

ça assez régulièrement et quand j’ai<br />

commencé j’étais un peu timoré. Ils m’apprennent<br />

<strong>des</strong> tas d’expressions proverbiales<br />

etc. C’est ce libraire qui a changé toute ma<br />

vie car quand il y a eu un concours d’appel<br />

Novembre 2004 L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> • 21


Entretien<br />

pour la chanson wallonne j’étais chez lui et<br />

je me suis dit que j’allais m’inscrire. Il m’a<br />

dit qu’on allait y aller avec les copains me<br />

soutenir ! Ce qu’il a fait d’ailleurs. Et puis<br />

j’ai gagné ! Je vais d’ailleurs en cueillir le<br />

fruit dans quelques semaines<br />

car quand on gagne<br />

ce concours, l’année<br />

suivante la radio rediffuse<br />

un concert complet de celui<br />

qui a gagné. Comme<br />

j’ai gagné l’année dernière<br />

je fais le concert<br />

complet de cette année.<br />

Mais la RTB n’est pas<br />

très contente de moi car<br />

elle voulait me faire accompagner par un<br />

orchestre standard de la RTB, mais moi je<br />

veux les gens de mon orchestre avec qui je<br />

joue ! Alors c’était <strong>des</strong> problèmes ! Ils vont<br />

encore râler ! Ils tiraient la tête la dernière<br />

fois ! Tant pis ! Il paraît même que j’avais<br />

fait scandale car j’avais <strong>des</strong> musiciens trop<br />

jeunes pour le public ! C’est ma femme qui<br />

m’a dit ça <strong>des</strong> mois après d’ailleurs ! Des<br />

gens protestaient, disant qu’on ne chante<br />

pas du wallon avec <strong>des</strong> jeunes ! Cette fois<br />

j’espère qu’ils ne vont pas me sortir les<br />

tomates ! C’est au fond l’occupation qui<br />

me prend <strong>be</strong>aucoup de temps maintenant.<br />

J’écris <strong>be</strong>aucoup de chansons… et pour<br />

une fois, je suis un bûcheur mais les chansons<br />

je les écris très facilement. Mais le public<br />

de la chanson wallonne, il aime plutôt<br />

la mélancolie, <strong>des</strong> choses tristes, ce que<br />

j’écoute maintenant dans une émission le<br />

samedi de six à huit. Avant j’écoutais pas<br />

car je trouvais leur wallon trop mauvais !<br />

Mais maintenant je m’oblige à écouter. Et<br />

bon, c’est très « laissez-moi pleurer » !<br />

L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> : C’est étonnant ! On<br />

imagine la chanson wallonne plutôt gaie !<br />

Monsieur Droixhe : Oui, mais en l’occurrence,<br />

là, les trois quarts <strong>des</strong> chansons<br />

qu’ils passent sont <strong>des</strong> chansons tristes,<br />

un peu « à deux sous ». Moi j’ai une option<br />

de chansons plutôt comique. Alors ça fait<br />

pas très sérieux mais ça me vient assez<br />

facilement ce genre de choses. J’utilise <strong>des</strong><br />

thèmes assez communs. Je fais en fait du<br />

blues, il faut bien le dire, surtout du blues<br />

<strong>des</strong> années trente. Je pars parfois d’une mélodie<br />

et pour le texte, en général, j’ai juste<br />

<strong>be</strong>soin du titre ou le premier vers, et à partir<br />

de là, je développe moi-même, sans aucune<br />

référence. J’ai pas toujours <strong>be</strong>soin de ça<br />

mais ça fonctionne souvent comme ça. Et<br />

alors de temps en temps, j’essaye de suivre<br />

22 • L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> Novembre 2004<br />

quand on gagne ce concours,<br />

l’année suivante la<br />

radio rediffuse un concert<br />

complet de celui qui a gagné.<br />

Comme j’ai gagné<br />

l’année dernière je fais le<br />

concert complet de cette<br />

année.<br />

de plus près le texte, ou du moins l’esprit du<br />

texte, éventuellement en le changeant totalement.<br />

Il y a d’ailleurs une chanson politique<br />

que je n’ai pas encore enregistrée, sur<br />

les droits civils aux États-unis et qui parle<br />

d’un train de l’égalité où<br />

le contrôleur ne vous contrôle<br />

pas, où on prend <strong>des</strong><br />

blancs ou <strong>des</strong> noirs etc. Là<br />

je voulais bien faire quelque<br />

chose avec ça mais je<br />

n’allais pas faire un texte<br />

sur l’égalité <strong>des</strong> droits ici,<br />

ça n’avait pas <strong>be</strong>aucoup<br />

de sens, c’était plus difficile.<br />

Alors finalement, j’ai<br />

fait quelque chose sur la mort, c’est devenu<br />

un espèce de train de la mort qui prend tout<br />

le monde, un peu comme dans les danses<br />

macabres. C’est une <strong>des</strong> premières que<br />

j’ai faites mais je ne l’ai pas enregistrée.<br />

C’est pour plus tard. Sinon… Ah oui, vous<br />

savez, le blason féminin, le type de poésie,<br />

qui décrit les partie du corps de la femme.<br />

Et bien j’ai fait une chanson sur le corps de<br />

la femme, par exemple. Ça reste extrêmement<br />

discret et pudique. Oui, mais je le dis<br />

franchement, ce que j’aime bien moi c’est<br />

les oreilles. J’aime bien ça. J’aime bien la<br />

nuque, les épaules… et le reste, mais enfin<br />

j’aime bien les oreilles ! Et ça a commencé<br />

comme ça d’ailleurs, et c’est facile car c’est<br />

une rime en –eille, et il y en a <strong>be</strong>aucoup !<br />

L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> : merveille !<br />

Monsieur Droixhe : Oui ! mais il faut essayer<br />

que ce soit plus nuancé que ça… Et aussi<br />

<strong>des</strong> chansons d’amour… Au fond, si j’avais<br />

une philosophie du langage, qui ne va pas<br />

très loin mais qui est<br />

parfois utile, c’est que<br />

si le langage sert à<br />

dire <strong>des</strong> choses, il sert<br />

aussi à ne pas dire, à<br />

cacher, à dissimuler. Je<br />

crois qu’il peut y avoir<br />

une certaine ambiguïté<br />

dans ce qu’on dit qui est productive. Et qui<br />

est normale, au moins celui qui lit ou qui<br />

écoute peut se poser <strong>des</strong> questions sur ce<br />

qui serait le sens caché. Donc ça, j’utilise<br />

quand même un peu. On ne raconte pas sa<br />

vie privée dans ses chansons, il faut bien<br />

un peu tricher, dissimuler. Mais je ne travaille<br />

pas avec les dictionnaires, il faut que<br />

ça vienne. Sauf quand je ne suis pas sûr<br />

de l’existence d’un mot que je connais mais<br />

qui n’est enregistré par aucun dictionnaire !<br />

J’en ai mis deux dans <strong>des</strong> chansons, car au<br />

Ce que j’aime bien moi c’est les<br />

oreilles. J’aime bien ça. J’aime<br />

bien la nuque, les épaules…<br />

et le reste, mais enfin j’aime<br />

bien les oreilles !<br />

moins comme ça quelque chose subsistera<br />

peut-être dans l’avenir ! Et mes amis du<br />

café du commerce les connaissent aussi !<br />

Moi je suis incapable d’écrire en français<br />

par exemple. Surtout un roman. À la rigueur<br />

<strong>des</strong> chansons… On m’a déjà demandé…<br />

je pourrais être parolier ! Mais je n’ai même<br />

pas essayé. Mais écrire <strong>des</strong> choses de pure<br />

imagination déjà ! Je crois avoir de l’imagination<br />

mais je me sentirais trop tenu par<br />

l’histoire, par la réalité <strong>des</strong> faits. J’aurais<br />

sans doute tendance à gaver mon texte de<br />

choses historiques, de digressions. Un jour, il<br />

y a <strong>des</strong> années, avec un ami qui fait du jazz,<br />

de la chanson, on a voulu faire un opéra ! À<br />

l’occasion du bicentenaire de la Révolution<br />

Française. Et on est rentrés en concurrence,<br />

figurez-vous, pour organiser cet opéra à Liège,<br />

à l’Opéra Royal de Wallonie, avec le père<br />

d’Emmanuelle Danblon, assistante chez Dominicy.<br />

Et Paul Danblon, que tout le monde<br />

connaissait autrefois, faisait <strong>des</strong> émissions<br />

scientifiques à la télévision. Et il s’occupait<br />

de musique aussi. Et il avait son idée<br />

d’opéra commémoratif de la Révolution, et<br />

nous aussi ! On était rentrés en concurrence<br />

à l’ORW. Il faut dire que le nôtre était un<br />

peu plus spécial. On n’avait écrit que l’entrée<br />

en scène, que le premier acte et c’était<br />

les chanoines de Liège qui arrivaient sur la<br />

scène (je ne dirai pas tout car ce n’était pas<br />

très convenable !) qui poussaient un lit en<br />

fer très en hauteur au-<strong>des</strong>sus duquel était<br />

perché le Prince Évêque, qui avait une tignasse<br />

rousse, car en effet on l’appelait le<br />

bourreau roux déjà à l’époque, mais nous<br />

on en avait fait une espèce de drag queen !<br />

Il était d’ailleurs à moitié déshabillé ! Et<br />

pour les chanoines<br />

c’était encore pire, car<br />

ils étaient meublés sur<br />

ces espèces de petits<br />

chanoines en plastique<br />

qu’on vend parfois…<br />

Et on avait imaginé,<br />

avec un fond historique,<br />

qu’un <strong>des</strong> écrivains français du 18 ème<br />

siècle qui est né aux Antilles, a séjourné à<br />

Liège et en effet, il a séjourné à Liège. Mais<br />

alors tout de suite, l’idée de cet écrivaint <strong>des</strong><br />

Antilles avait donné lieu chez mon ami qui<br />

fait <strong>be</strong>aucoup de jazz sud-américain, à un<br />

développement où cet homme devenait l’inventeur<br />

du saxophone avant Adolphe Sax,<br />

du jazz à Liège, enfin quelque chose comme<br />

ça. On a présenté ça au directeur de l’Opéra<br />

Royal et il avait été consterné ! Il avait été<br />

gentil, mais il avait dit qu’il y avait un autre


projet <strong>be</strong>aucoup plus sage que nous ! Nous<br />

c’était <strong>be</strong>aucoup plus gai ! On aurait dû<br />

s’obstiner, on aurait dû le faire nous-mêmes<br />

! Finalement on a fait un cd avec tout<br />

ça, qui est le premier cd qui soit paru, en<br />

1989. On a fait le cd de chansons dialectales,<br />

c’était très gai, sauf qu’on a enregistré<br />

à la RTB pendant environ un mois et le lundi<br />

matin de la dernière semaine, on est arrivés<br />

et mon ami qui donne cours d’analyse<br />

musicale ici au conservatoire m’a dit « j’ai<br />

tout effacé » ! On recommence tout, il nous<br />

reste huit jours ! Alors c’est pas du tout ce<br />

qu’on avait prévu ! C’est un disque dont je<br />

n’ai aucun exemplaire car j’ai été cambriolé<br />

et on m’a tout volé.<br />

Quand je suis arrivé ici, je tenais aux étu-<br />

diants de première candi<br />

le même discours que je<br />

tiens ici devant vous et je<br />

ne l’ai probablement pas<br />

bien fait, ce n’était peutêtre<br />

pas le moment de le<br />

faire, mais les étudiants<br />

m’ont trouvé totalement<br />

déjanté ! De sorte que j’ai<br />

eu un avis pédagogique<br />

catastrophique ! Dont la<br />

partie la plus saillante était que j’étais mal<br />

habillé et que j’avais un accent régional !<br />

Et figurez-vous que j’ai démissionné. J’ai<br />

dit « je rentre chez moi ! ». D’abord parce<br />

que je considère que je ne suis pas si mal<br />

habillé… mais maintenant je suis bien habillé<br />

! Mais à ce moment-là… et j’avais un<br />

accent ! Là j’avais vraiment été furieux. J’ai<br />

dit « là je ne reste pas ici ». Je ne l’ai même<br />

pas dit à ma femme d’ailleurs. Des gens<br />

qui disaient que j’avais un accent régional<br />

! Qu’est-ce qu’ils croient ! Des gens de<br />

Bruxelles… Mais <strong>des</strong> collègues aimables<br />

ont fait une pétition pour me faire revenir<br />

donc je suis revenu… j’ai dû aller chez le<br />

recteur qui, je croyais, allait me demander<br />

ce qui se passait etc. mais il m’a dit « Monsieur<br />

Droixhe ? Vous démissionnez ? Allez,<br />

Bon vent !! » Je pensais quand même pouvoir<br />

m’expliquer ! Un avis pédagogique !<br />

Transmis officiellement ! Je l’ai encore, il<br />

est dans ma cuisine ! Je l’ai fait agrandir !<br />

Il devait penser que j’avais une meilleures<br />

carrière ailleurs ! Là il fallait que j’annonce<br />

chez moi que je n’avais plus d’emploi<br />

! Heureusement, à ce moment là il y a<br />

eu <strong>des</strong> collègues, partis maintenant, Pierre<br />

Ruelle, mon illustre prédécesseur, qui m’a<br />

dit « Monsieur Droixhe, les avis pédagogiques,<br />

vous savez ce que j’en fais ? Je les<br />

J’ai eu un avis pédagogique<br />

catastrophique ! Dont<br />

la partie la plus saillante<br />

était que j’étais mal habillé<br />

et que j’avais un accent régional<br />

! Et figurez-vous que<br />

j’ai démissionné.<br />

prends, hein, et je les mets à la pou<strong>be</strong>lle ! »<br />

Il a été très gentil. Je suis allé le voir dans le<br />

Borinage, il faisait de l’étymologie de mots<br />

de morale dans un café de mineurs. C’était<br />

fantastique ! Il expliquait bien, il était naturel,<br />

les gens étaient fascinés, posaient <strong>des</strong><br />

questions pas bêtes, dans un café ! C’était<br />

la seule fois que je l’entendais, et aussi à<br />

l’Académie. Je me suis dit « quelle leçon ! »<br />

J’étais vraiment impressionné ! Il était pittoresque<br />

aussi ! De physique aussi ! Énorme<br />

! Il était immense, ça impressionnait !<br />

Les gens avaient très peur !<br />

L’escume dres <strong>nuits</strong> : Grand comme monsieur<br />

Lemaire ?<br />

Monsieur Droixhe : Oui, mais Ruelle était<br />

coupé à la hache, son visage ! Un visage<br />

de mineur, habillé en<br />

mineur aussi ! Il était<br />

pas bien habillé aussi !<br />

Quelqu’un de mes étudiants<br />

de Liège du troisième<br />

âge qui l’a eu m’a<br />

dit qu’on avait peur de<br />

Ruelle ! Elle a d’ailleurs<br />

connu le début de <strong>be</strong>aucoup<br />

de gens et la première<br />

année de Dominicy,<br />

Monsieur Wilmet, Monsieur Trousson…<br />

L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> : Avez-vous un père spirituel<br />

?<br />

Monsieur Droixhe : Un père spirituel !?...<br />

Oui ! J’en ai <strong>be</strong>aucoup ! Des gran<strong>des</strong> figures<br />

que j’adore à tous points de vues… J’adore<br />

Turgot par exemple… ou <strong>des</strong> auteurs, bien<br />

entendu. Des peintres ! J’aime <strong>be</strong>aucoup<br />

Cour<strong>be</strong>t, aussi pour son engagement politique<br />

et idéologique, Daumier car j’ai fait <strong>des</strong><br />

caricatures autrefois, je croyais d’ailleurs<br />

en faire mon métier, travailler dans les journaux<br />

! Et en musique, j’ai <strong>des</strong> idoles, je ne<br />

le cache pas, en blues. Des gens qui ne sont<br />

pas très connus ici. Mais il y a la série de<br />

films de Scorcese sur le blues… Memphis<br />

Minnie (?), voilà mon idole ! Une femme<br />

magnifique. Une chanteuse de blues <strong>des</strong><br />

années trente – cinquante, très très bien,<br />

Ro<strong>be</strong>rt Johnson, … Oui, il y a <strong>des</strong> gens pour<br />

lesquels je suis vraiment fanatique !<br />

L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> : Et dans vos lectures ?<br />

Monsieur Droixhe : Un peu les gens sur qui<br />

j’ai travaillé… Zola, Balzac…les grands<br />

classiques vous savez ! Ou avant c’était<br />

surtout les moralistes du 17 ème – 18 ème . Je<br />

copiais, je faisais du faux Vauvenargue, du<br />

faux La Rochefoucault, ça m’a d’ailleurs<br />

causé <strong>des</strong> problèmes parfois ! Je m’occupais<br />

du journal de mon athénée où j’étais<br />

Entretien<br />

directeur artistique d’ailleurs ! Et j’écrivais<br />

<strong>des</strong> maximes contre les profs !<br />

L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> : Parlons donc de votre<br />

devise !<br />

Monsieur Droixhe : J’ai un ex-libris et j’ai<br />

choisi un <strong>des</strong>sin de débardeur liègeois et il<br />

fallait une devise. Et alors j’ai mis, ça vaut<br />

ce que ça vaut, « J’apporte et je supporte ».<br />

Je ne supporte pas autant que cela, mais<br />

mon idée est d’essayer d’accepter les choses<br />

en philosophe… C’est un peu comme<br />

les Jésuites ! J’aime bien les Jésuites moi,<br />

un peu comme Jean-Jacques Rousseau qui<br />

aimait les Jésuites ! J’aime bien les grands<br />

voyageurs. Avec <strong>des</strong> copains, on voulait<br />

même faire un film sur les Jésuites qui sont<br />

allés en Chines par l’Himalaya… Pas les<br />

conquérants ! Pas Bush ! J’aime bien les<br />

gens qui prennent <strong>des</strong> risques.<br />

Croyant que le mini-disc s’était arrêté plus<br />

tôt, Marie, Cécile et Monsieur Droixhe ont<br />

continué une petite conversation pépère,<br />

que la rédaction préfère ne pas retranscrire<br />

pour <strong>des</strong> raisons que vous comprendrez …<br />

Pour ceux que ça intéresserait, le Crom dispose<br />

d’un enregistrement d’une chanson<br />

d’Elmore D., le groupe de Blues de Monsieur<br />

Droixhe… à écouter absolument !<br />

Merci à vous trois.<br />

Novembre 2004 L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> • 23


Témoignage<br />

24 • L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> Novembre 2004<br />

Un Job étudiant ...<br />

Un job étudiant ?!?! Quelle idée ! Je travaille dans une grande chaîne de fast food (l’américaine et pas la <strong>be</strong>lge, celle<br />

qui a un clown pour effigie, même si parfois on a l’impression que les clowns, c’est nous). Bon je suppose que vous<br />

devinerez amplement. Ça fait quatre ans que je bosse là, un jour par semaine, le vendredi soir de 17h jusqu’à la<br />

fermeture prévue à une heure du matin officiellement mais qui parfois se traîne jusque deux et rarement trois, s’il manque<br />

quelqu’un du personnel.<br />

C’est de l’horeca mais il est hors de question d’accepter les pourboires ! Bah, ce n’est pas ça le plus important.<br />

Alors pourquoi un job étudiant ? Principalement pour renflouer les dépenses mensuelles. Cela vous permet aussi d’avoir déjà<br />

un pied dans le monde du travail et aussi, de vous remettre à votre place si vous avez l’impression d’être « au <strong>des</strong>sus <strong>des</strong><br />

autres car vous êtes à l’université ».<br />

Ma fonction ? Je suis ce qu’ils appellent un « polyvalent IV » ce qui signifie que je suis apte à occuper tous les postes (cuisine,<br />

production, plonge, caisse, drive, et salle ).<br />

Ce n’est vraiment pas un job facile, et vous remarquez très vite en bossant là dedans, le genre de boulot que vous pourriez<br />

avoir si vous ne sortez pas avec un diplôme quelconque ou une formation spécifique.<br />

Point de vue de l’hygiène, on croit toujours que ça ne ressemble à rien. J’étais moi-même étonné et scandalisé quelque part :<br />

un hamburger doit être vendu dans le quart d’heure de sa cuisson sinon, c’est la décharge et tout aliment se trouvant sur<br />

la table de préparation est jeté toutes les deux heures. Je ne vous décris pas la montagne de nourriture gaspillée chaque<br />

jour…<br />

Socialement, ce n’est pas aisé non plus. Du point de vue du personnel, vous croisez <strong>des</strong> gens qui sont là, coincés par un<br />

diplôme de secondaire qu’ils n’ont pas, d’autres qui ne vivent que pour leur boulot et qui malheureusement ne feront rien<br />

d’autre dans leur vie car leur intelligence est limitée (sans prétention de ma part car mon côté idéologique a eu dur d’accepter<br />

cette idée). Le personnel est souvent jeune (maximum trente ans), les trois personnes plus âgées sont <strong>des</strong> pères de<br />

famille. L’un a été licencié et ne trouvait plus de boulot ailleurs (52 ans). Les deux autres sont frères. Ce boulot-ci est pour<br />

eux un deuxième boulot, pour rembourser les dettes d’une faillite. Il y a aussi d’autres étudiants : ceux qui laissent tom<strong>be</strong>r<br />

leurs étu<strong>des</strong>, espérant monter dans la hiérarchie du resto mais qui souvent regrettent ce choix et ceux qui sont diplômés et<br />

en attente de trouver du boulot.<br />

Le client, lui, vient de toutes classes sociales et est de tout âge. On a la « chance » d’être à côté d’un complexe regroupant<br />

bowling, cercle de jeux et une boîte de nuit assez connue et un vendredi soir, on se dit vite : « tiens, on se ferait bien un petit<br />

mcdo ». Cela pour dire que le chiffre d’affaire de ce genre de boîte se fait généralement le w-e. Parfois il faut affronter le<br />

client : alors il y a ceux qui sont très sympathiques et avec lesquels on plaisante mais le plus drôle pour vous, ce sont les<br />

clients qui s’imaginent qu’au moment où ils rentrent, c’est comme s’ils devaient déjà être servis ! Alors les réflexions du<br />

genre : « c’est quand même bien un fast food ici ? », « c’est la dernière fois que je viens, à chaque fois il faut attendre »<br />

(on les revoit quand même la semaine suivante). Il y a aussi le client au régime : « Je vais prendre un Maxi menu Bic Bacon,<br />

avec un Royal Cheese en plus et comme boisson un Coca….. heu… light je préfère ». Bien sûr, on reçoit aussi la grande<br />

classique : « Mais qu’est ce que vous croyez, le client est roi ! », c’est à ce moment très précis que vous rétorquez : « Bienvenue<br />

dans notre empire ».<br />

Parfois, c’est vous qui commettez LA bourde : il y a un principe là-bas, c’est la vente « suggestive » c’est-à-dire qu’il faut<br />

inciter le client à la consommation en lui proposant les réductions du mois, le menu spécial, un petit <strong>des</strong>sert, etc. Imaginez<br />

un peu la tête de cette pauvre famille musulmane lorsque je leur ai proposé le Menu McPork… Imaginez aussi la mienne en<br />

train de me confondre en excuses ! Un grand moment de solitude !<br />

Il y a quand même <strong>des</strong> jours où je me demande pourquoi ils me gardent…. Enfin voilà, il y a quand même une chouette<br />

ambiance, on s’entend plus ou moins tous et on est tous d’accord sur un point : c’est quand même meilleur chez Quick.<br />

• Nicolas Dufermont


Pourquoi ?<br />

Bosser et étudier, est-ce une bonne combinaison ? Je répondrais que tout dépend de<br />

votre faculté d’organisation ! Perso, j’ai fait ce choix, j’ai décidé de bosser pour gagner<br />

de l’argent afin de pouvoir vivre « à l’aise » sans vider mes comptes épargne.<br />

Mes parents paient la totalité de mon loyer mais je m’autorise <strong>des</strong> « extras » : sorties<br />

régulières, achats « superflus » (cd, bouquins, …), connexion ADSL, …<br />

Je bosse dans l’horeca avec un horaire variable et un total de minimum 15h et maximum<br />

38h par semaine (et oui, c’est très variable !). Ce n’est pas très bien payé « à l’heure »<br />

mais bon, quand je bosse 30h / semaine ça me fait un bon petit paquet de fric. Puis j’ai<br />

quand même reçu une augmentation d’1 € / heure depuis la rentrée, car on « apprécie mon<br />

travail ». Je n’ai pas honte de dire que je me trouve sous-payée au vu de mon travail et de<br />

mes responsabilités. En effet, en plus d’assurer le service (parfois seule !), je dois gérer<br />

le stock, passer les comman<strong>des</strong>, appeler les clients pour tel ou tel détail et même appeler<br />

SIBELGAS pour râler car les ouvriers ne sont pas venus à la bonne heure … En gros, si il<br />

manque quelque chose ou qu’il y a un problème, on peut se « retourner contre moi » car<br />

je prends seule une bonne part <strong>des</strong> décisions. Vu que je connais bien la maison on me<br />

trimbale d’une succursale à une autre, comme un pion. Le patron est plutôt sympa mais<br />

je le soupçonne d’être un rien hypocrite. Faire ce genre de boulot me permet de me rendre<br />

compte que vraiment je ne pourrais pas faire ça à long terme. Plutôt mourir.<br />

Côté « vie de tous les jours », c’est vrai que c’est lourd, que bosser pendant que les autres<br />

font la fête c’est pénible mais je me dis que c’est momentané alors ça passe. Je travaillais<br />

déjà l’an dernier et il est vrai que ce n’est pas toujours simple de continuer à bosser comme<br />

jobiste pendant la session. Ceci dit, je n’ai raté aucun examen alors que j’en avais plus de<br />

10, ce n’est donc pas infaisable ! Le plus dur « psychologiquement » c’est d’avoir examen<br />

la journée et de se rendre boulot le soir alors qu’on préférerais aller au ciné, lire un roman<br />

pour se détendre. Une fois la session finie, vos potes se trémoussent aux TD délibés pendant<br />

que vous faites ces foutues « fermetures », vous les rejoignez vers minuit mais vous êtes<br />

naze, pas dans l’ambiance. C’est lourd. Les w-e, c’est parfois vingt heures de travail, vous<br />

rentrez tard, vous vous levez tard le lendemain et au final vous n’avez le temps de rien faire<br />

le week-end. Surtout pas de bosser pour vos cours. Alors vous prenez du retard, etc … Je<br />

sais que quand je m’y mets je carbure, donc je me rassure, mais il est certain que les jobs<br />

étudiant dans l’horeca comportent pas mal de contraintes (j’ai parfois envie d’étriper les<br />

clients !).<br />

Je dresse un bilan qui peut sembler ultra négatif mais bon, c’est super chouette de pouvoir<br />

aller au ciné, à <strong>des</strong> concerts ou faire <strong>des</strong> achats sans devoir sans cesse compter, compter,<br />

compter. Je cède à de nombreuses tentations mais je mets aussi un peu d’argent de côté !<br />

Je me dis que ce job me permet de ne pas devoir toucher à mes économies et donc j’aurai<br />

moins à me priver dans le futur. Question de choix !<br />

• Une étudiante qui a préféré rester anonyme<br />

Témoignage<br />

Novembre 2004 L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> • 25


Lettres<br />

Amandine Peeters<br />

Laura Dutilleut<br />

Alexandre De Craim<br />

Clément Dessy<br />

Erasmus<br />

26 • L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> Novembre 2004<br />

Contrairement au Titanic qui,<br />

après avoir bu la tasse, n’a pas<br />

eu droit à un second essai, cette<br />

rubrique vous présente sa seconde<br />

vie ! Alors, même intro, même titre,<br />

mêmes acteurs et ça redémarre... !<br />

Merci à eux.<br />

ettres d’Érasme<br />

es romanistes du bout du monde<br />

Aucun de vous n’ignore qu’une fois en première<br />

licence, notre chère université nous offre<br />

la chance de partir un semestre ou deux à<br />

l’étranger avec le système d’échange érasmus<br />

(ou autre). Résultat : une quinzaine de romanistes<br />

ont déserté les auditoires pour aller<br />

se bronzer la pilule en Espagne, en Italie, en<br />

France, ou se rafraîchir les idées dans le grand Nord canadien.<br />

La rédaction de L’escume (du moins ceux qui sont restés au<br />

plat pays), dans son idéal d’humanisme et de générosité qui<br />

la caractérise, a donc décidé de les contacter et de vous faire<br />

parvenir en exclusivité leurs premières impressions, leur expérience,<br />

leurs peines et leurs joies..., en espérant que cela<br />

vous motive à partir ! Mais le rideau s’ouvre : bon voyage !...


Pas de souci Dossier Crépuq<br />

Voilà une expression bien française qui<br />

se veut rassurante face aux tracas rencontrés<br />

avec l’administration, car mon<br />

installation à Lille III a parfois pris les allures<br />

d’un chemin de croix : les RIB, RIP, RICE,<br />

TIP, ALS et CAF, qui ont l’air d’une formule<br />

magique celtique, n’ont désormais plus de<br />

secret pour moi !<br />

Après la maîtrise <strong>des</strong> abréviations, il faut<br />

s’y retrouver dans les couloirs dédaléens<br />

de la « fac ». Les étudiants locaux s’y perdent<br />

les premiers : pas facile de demander<br />

son chemin ! Qui donc détient la clef de la<br />

numérotation <strong>des</strong> salles et amphis : 06.015,<br />

09.116, A.15.010, A 223, Amphi F…? Les<br />

premiers jours d’investigation m’ont apporté<br />

<strong>des</strong> réponses obscures « Ah oui la 06.015,<br />

c’est dans le bâtiment B, niveau forum –1, en<br />

face de l’Amphi G, au-<strong>des</strong>sus de la salle H4<br />

qui est un peu avant la cafétéria <strong>des</strong> enseignants…<br />

» Première chose à faire : acquérir<br />

une boussole pour vous épargner <strong>des</strong> jours<br />

d’errance et de panique.<br />

L’équivalent français <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> de philologie<br />

romane est le cursus de « Lettres Modernes<br />

». Les étudiants compilent eux-mêmes<br />

un programme parmi un choix d’options assez<br />

large. Par exemple, les cours de littérature<br />

française et comparée, d’histoire de la<br />

langue et de linguistique s’organisent comme<br />

suit : le cours magistral (CM) commun à<br />

tous, et les travaux dirigés (TD) qui répartissent<br />

les étudiants selon leurs affinités. A vous<br />

de faire un choix entre Lancelot et Marguerite<br />

de Navarre, entre sémiotique et morphologie<br />

constructionnelle etc. Les romanistes ulbistes<br />

seront contents de savoir qu’à Lille on enseigne<br />

le picard, cours que j’ai suivi d’emblée et<br />

avec un intérêt tout particulier pour les raisons<br />

que vous n’ignorez sûrement pas!<br />

Mon séjour est linguistiquement peu aventureux<br />

et pourtant … ! Entre les quatre-vingtdix<br />

et soixante-dix encore difficiles à convertir<br />

à la première écoute, je prends véritablement<br />

conscience <strong>des</strong> <strong>be</strong>lgicismes. Saviez-vous<br />

que l’interjection « à tantôt » fait sourire en<br />

France ? Et puis il y a mon nom qu’on écorche<br />

joyeusement et les bonnes blagues <strong>be</strong>lges…<br />

le dépaysement est minime mais bien<br />

là ! Heureusement l’ <strong>Escume</strong> me rappelle à<br />

ma mère patrie et je remercie la rédaction de<br />

m’avoir sollicitée pour ce témoignage.<br />

• Amandine Peeters<br />

Lettres d’Erasme<br />

Face au Niagara, un de mes amis n’a pas<br />

pu s’empêcher de s’écrier « Ça donne<br />

envie de pisser toute cette eau. » Il n’y a<br />

pas à dire, ces paroles sont aussi profon<strong>des</strong> que<br />

les filles rencontrées hier soir dans une boîte rue<br />

Saint-Laurent. Bon, reprenons les choses depuis<br />

le début : pour commencer une histoire ça fait<br />

toujours meilleur genre… Quoique la reconnaissance<br />

littéraire privilégie toujours les œuvres qui<br />

commencent par la fin et finissent par le début ;<br />

notre sacro-saint cours de narratologie nous l’a<br />

suffisamment prouvé ! Toutefois, comme je n’ai<br />

pas l’intention de gagner le Goncourt, pas encore<br />

du moins, je vais faire simple ; c’est déjà<br />

assez bordélique comme ça. L’au<strong>be</strong>rge espagnole<br />

de Cédric Klapisch vous connaissez tous je<br />

suppose ? Ça me facilitera la tâche surtout que je<br />

suis assez crevé du week-end car ici, à Montréal,<br />

les valeurs s’inversent : les week-ends fatiguent<br />

et les semaines reposent.<br />

Il y a six mois environ, j’ai arrêté un choix surprenant<br />

et voilà que j’annonce : « Papa, je vais<br />

étudier au Canada. » Mais attention, ce ne sont<br />

pas <strong>des</strong> échanges de type Erasmus, ce sont <strong>des</strong><br />

accords CRÉPUQ, stupide acronyme qui désigne<br />

une réalité hors Union européenne. Pour<br />

être accepté dans ce genre de voyage, il importe<br />

d’envoyer un <strong>be</strong>au dossier à l’université de notre<br />

choix afin de prouver que nous faisons montre,<br />

dans notre établissement d’attache, de qualités<br />

dignes d’Einstein. Le tout est bien évidemment<br />

guimauvisé par <strong>des</strong> phrases pleines de bons sentiments<br />

et vi<strong>des</strong> de bon sens, du style : « en plus<br />

d’un enrichissement scolaire, cette expérience<br />

m’apportera, j’en suis sûr, une plus grande<br />

ouverture d’esprit que seul un contact avec une<br />

culture étrangère pourra m’offrir » et bla bla bla<br />

et bla bla bla. D’ailleurs, ici, lorsque nous disons<br />

une phrase fausse, trop <strong>be</strong>lle pour être honnête,<br />

nous l’étiquetons immédiatement de « dossier<br />

Crépuq » car elle aurait pu y figurer sans peine.<br />

Notre candidature acceptée, nous nous envolons<br />

enfin vers nos « incroyables Flori<strong>des</strong> » et je suppose<br />

que notre cher Arthur, à qui j’ai honteusement<br />

emprunté cette citation, n’entendait point<br />

par là une mégapole de 3 millions d’âmes ! Je ne<br />

vous raconterai pas le voyage car il faudrait un<br />

article à part entière pour vous décrire le transit<br />

par New York, les fouilles répétées de mes<br />

chaussures et les questions posées par la douane<br />

afin qu’elle s’assure que je ne placerai aucune<br />

Novembre 2004 L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> • 27


Lettes d’Erasme<br />

bom<strong>be</strong> aux USA pour le compte d’une organisation néonazie.<br />

God bless America !<br />

Toutefois, arrivé sur place, j’apprends vite à ne pas me<br />

laisser submerger par Montréal, « grand comme un désordre<br />

universel » comme l’a dit le grand poète québécois,<br />

Gaston Miron. L’instinct de survie est tout de suite<br />

mis à contribution et on trouve même au bout de cinq<br />

jours d’efforts acharnés un appartement dans le quartier<br />

branché de la ville. C’est assez pratique pour les sorties…<br />

En effet, dans mon groupe d’amis rencontrés dès<br />

la <strong>des</strong>cente de l’avion ou presque (les relations se nouent<br />

rapidement en exil !), la vie hors université s’éclaire aux<br />

néons <strong>des</strong> bars et à la lumière enfumée <strong>des</strong> boîtes de nuit.<br />

Avec eux, nous avons une même idée du séjour canadien<br />

: profiter un maximum de la vie dorée <strong>des</strong> étudiants<br />

étrangers. Nous avons donc décidé que c’est un crime de<br />

lèse-jeunesse que de rester chez soi en dehors <strong>des</strong> heures<br />

cours et de passer son temps à penser à l’Europe ou à attendre<br />

un coup de fil du vieux continent. Non, Montréal,<br />

ça se vit pleinement ou pas du tout, by night et by day :<br />

« HÂTONS-NOUS, JOUISSONS » comme l’a si bien<br />

écrit Alphonse. Bien sûr, ça nous coûte parfois quelques<br />

black out éthyliques, et <strong>des</strong> jeux à faible morale comme<br />

« deux points pour qui chope un autochtone et un seul<br />

point pour qui sort avec un non-québécois » mais ça<br />

nous offre de grands moments…<br />

Et les cours dans tout ça ? Oh, ne vous méprenez pas,<br />

nous y songeons, nous y songeons ! De toute façon,<br />

nous n’avons pas le choix car au Qué<strong>be</strong>c, tous les professeurs<br />

demandent <strong>des</strong> travaux de mi-session, entendez<br />

fin octobre ; donc il faut rapidement s’atteler à la tâche.<br />

Puisque vous vous demandez, j’en suis sûr, ce que nous<br />

pouvons bien apprendre sous ces latitu<strong>des</strong>, voilà le sujet<br />

d’un <strong>des</strong> mes cours : « La subjectivité du paysage dans<br />

La Marche à l’Amour de Gaston Miron. » OUH ! Gros<br />

dossier ! C’est pas du Luc Plamondon… Mais redevenons<br />

sérieux, en fait, les étu<strong>des</strong> littéraires ressemblent<br />

énormément aux romanes de l’ULB, avec <strong>des</strong> tonnes<br />

de lectures annoncées comme ceci : « Pour la semaine<br />

prochaine, lisez Les Misérables. C’est long mais c’est<br />

possible. » 1800 pages en une semaine, possible ?!? Je<br />

l’ai fait mais en quinze jour, surtout que dans un moment<br />

de délire métaphysique, j’ai décidé pour un seul<br />

dossier de travailler sur L’Éducation sentimentale du<br />

père Flau<strong>be</strong>rt, sur Le Rouge et Le Noir de Stendhal et<br />

28 • L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> Novembre 2004<br />

sur Illusions perdues de Balzac, soit encore 1200 pages<br />

à avaler de nouveau en plus de tous les Proust et autres<br />

Zola, pour ne citer qu’eux. Décidément, c’est vraiment<br />

comme à l’ULB !<br />

Toute la difficulté du séjour est d’organiser travail et<br />

bon temps et là, il faut ruser comme un iroquois pour y<br />

parvenir (admirez cette comparaison couleur locale…).<br />

Visiter le pays constitue une part importante de nos activités.<br />

Pour bien vous figurer le cadre de vie, je vais<br />

me référer à la Belgique, ça sera mille fois plus simple.<br />

Vous voyez la cascade de Coo, eh bien ! multipliez-la<br />

par 100.000 et vous avez les chutes du Niagara. Ensuite,<br />

si vous visualisez la Manche entre Ostende et Douvres,<br />

vous obtenez, à peu près, la largeur du fleuve Saint-Laurent<br />

: il est si étendu qu’il y vient <strong>des</strong> baleines (au passage,<br />

elles vous saluent). Enfin, lorsque vous allez au lac<br />

de l’Eau d’Heure, vous aimez en faire le tour, n’est-ce<br />

pas ? Face au lac Ontario vous oubliez vite cette idée car<br />

on ne voit même pas la rive opposée qui se trouve… aux<br />

États-Unis. Tout est extrême ici, comme les couleurs de<br />

l’été indien ou les températures annoncées pour février.<br />

D’ailleurs, nous nous demandons dans quelle mesure,<br />

nous, pauvres Européens, nous n’allons pas perdre <strong>des</strong><br />

membres cet hiver. On s’équipe déjà de vestes <strong>des</strong>sinées<br />

pour le bonhomme Michelin et de pulls épais comme<br />

La Recherche du temps perdu en prévision de la neige<br />

qui s’installera fin novembre. L’hiver n’est pas encore<br />

là mais nous vous tiendrons au courant <strong>des</strong> bras, <strong>des</strong><br />

oreilles et <strong>des</strong> jam<strong>be</strong>s que nous aurons perdus à cause<br />

du froid. En guise de conclusion, sachez que la neige<br />

est apparue ce lundi et que la température avoisine les<br />

moins six degrés centigra<strong>des</strong> cette nuit !<br />

Cette nuit ? Christ d’hostie de ta<strong>be</strong>rnacle, il est présentement<br />

une heure du matin, là ! C’est que c’est l’fun de<br />

raconter tout ça mais je vas aller voir mes potes pour<br />

savoir qui a trouvé un chum ou une blonde à la party<br />

d’hier. Ça a pas de bon sens c’t’affaire mais enfin, c’est<br />

pas pire.<br />

Bonjour tout le monde.<br />

• Alexandre De Craim


Le départ était présent, mais je n’arrivais pas à<br />

le nommer, comme si cet événement qui appartenait<br />

à un autre temps ne pouvait être autre<br />

que lointain. J’étais donc en Espagne et déjà<br />

à Granada, déjà plus ou moins installé. Et je<br />

n’étais pas encore parti. La sensation tenace d’avoir atterri<br />

ici comme en vacances ne me quittait pas. Comment<br />

s’imaginer un an ici ? Une année peut être si peu d’une vie<br />

comme elle peut être une vie en soi. Il m’a fallu un mois<br />

pour sentir cette nouvelle existence en moi, indépendante<br />

de tout ce que j’ai pu connaître jusqu’à présent, mais elle<br />

surgit maintenant venue d’un rien (ou d’un tout) qui m’ont<br />

réveillé. Le temps est autre, le compteur à zéro. L’objectif<br />

visé : exister. Sentir un regard se porter sur son épaule, se<br />

retourner et répondre à l’envoi d’une personne qui vous a<br />

reconnu. Un événement si banal pourtant… mais auraisje<br />

pu survivre sans cet appel ? En me sentant en permanence<br />

inaperçu, volontairement ou pas, de ces foules que<br />

pourtant je désirais connaître ?<br />

Granada était un fruit suspendu dont le goût m’échappait.<br />

L’Alhambra si <strong>be</strong>lle ne m’en disait hélas rien. Peut-être<br />

les monts andalous en livraient-ils une partie du message.<br />

En Espagne, il suffit de s’élever un peu pour voir<br />

que les villes ont une fin, qu’elles achèvent chacune leur<br />

lutte humaine et quotidienne aux pieds <strong>des</strong> monts ou <strong>des</strong><br />

plaines vi<strong>des</strong> et infinies. Ces villes se nichent dans les<br />

vagues de la terre. L’autre partie est délivrée par une infinité<br />

plus concentrée : la connaissance de l’Autre. Granada<br />

est au monde et le monde s’y retrouve. D’Italie, du<br />

Japon, de France, de Flandre, d’Hollande, d’Allemagne et<br />

de Suisse vivent, ont vécu ou vivent avec moi dans cette<br />

maison datant du XVIème siècle. Et l’habitude, le désir de<br />

sortir de soi-même, nous amènent à nous créer ces vies,<br />

reconnaissances de chacun, au sein d’un groupe et d’une<br />

famille également nouveaux. Il n’en faudrait peut-être<br />

Un bout d’ici jusque là<br />

Lettres d’Erasme<br />

même pas davantage… que l’envie de manger faim et de<br />

sortir. Granada est avec Almería la seule ville où les tapas<br />

se servent gratuitement avec une boisson. Deux ou trois<br />

euros en poche et l’on peut sortir, rire, boire et manger<br />

en même temps. Les autres soirées se passent en été sur<br />

les places où l’on va « hacer bottellón » (l’équivalent de<br />

notre « guindaille »). Le principe est simple, on se réunit,<br />

on achète de la bière et du vin et on boit ensemble sous la<br />

nuit. Le plus plaisant est encore monter jusqu’au Mirador<br />

San Nicolas où l’on peut tenir le botellón au sommet de<br />

l’Albayzin en face de la ville surveillée par la forteresse<br />

ara<strong>be</strong> illuminée. Granada c’est aussi <strong>des</strong> hommes autres,<br />

ici on ne s’y fait pas la bise entre amis (si ce n’est entre<br />

maricones, comme ils disent), on s’y serre la main et le<br />

poignet avec vigueur et on décoche une bonne frappe virile<br />

à l’acolyte sans oublier le « ¿Qué tal, tío? ». C’est aussi<br />

de la musique que je découvre, le flamenco, ainsi qu’une<br />

littérature avec Federico García Lorca. Ce sont <strong>des</strong> complications<br />

administratives qui se terminent toujours par<br />

« Morts de rire !». Ce sont <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> qui s’entendent aussi<br />

fort que les jours. C’est une langue qu’on apprend à aimer,<br />

qu’on tente d’intégrer en attendant de pouvoir lui offrir un<br />

corps. C’est re<strong>des</strong>cendre à pied du campus en alternant<br />

avec Laura les phrases en espagnol et en français, créant<br />

un langage hybride et singulier. C’est apprendre à dire je<br />

t’aime en japonais. C’est rationner le chocolat <strong>be</strong>lge de<br />

réserve. C’est manger un pain grillé à l’huile d’olive et à la<br />

tomate pour déjeuner dans un café et le mordre à pleines<br />

dents. C’est peut-être, comme moi, n’avoir jamais mordu<br />

de grenade mais goûter pleinement à sa métaphore. C’est<br />

accorder à ce jour sa place la complète en essayant, au<br />

mieux, que ce qui lui est étranger ne l’usurpe pas. C’est<br />

écrire, crier et vivre, tout ça en même temps. (10 novembre<br />

2004)<br />

• Clément Dessy<br />

Novembre 2004 L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> • 29


Lettes d’Erasme<br />

30 • L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> Novembre 2004<br />

Peur d’écrire quelque chose de banal et d’inintéressant...<br />

à la place, je vous envoie une traduction maison<br />

d’un extrait d’un article d’El País paru il y a<br />

peu près 3 semaines... cette <strong>des</strong>cription de l’Erasmus a été<br />

écrite par Elvíra Domínguez, Erasmus espagnole en France<br />

actuellement (à mon avis elle étudie la pharmacie!) :<br />

« PROGRAMME ERASMUS »<br />

Propriétés : médicament à l’efficacité reconnue dans le traitement<br />

de la timidité, de la pudibonderie, nationalisme, racisme,<br />

chauvinisme et autres maux de l’ordre social.<br />

Composition : séjour dans une université de l’Union Européenne<br />

pour continuer <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> universitaires.<br />

Indications: favorise l’apprentissage <strong>des</strong> langues, la sociabilité<br />

et l’intérêt pour la culture, la tolérance et le sentiment d’appartenance<br />

à l’Europe.<br />

Posologie: à administrer au moins une fois dans une vie, de préférence<br />

pendant la jeunesse.<br />

Présentation : séjour de 3 à 12 mois.<br />

Contre-indications : non décrites.<br />

Incomptabilités : la relation sentimentale dans le pays d’origine<br />

peut se en souffrir, de sorte que son utilisation simultanée est<br />

déconseillée.<br />

Effets secondaires : la langue maternelle peut en souffrir, ainsi<br />

que toute autre langue étrangère étudiée (ces symptômes disparaissent<br />

à l’arrêt du traitement) ; il peut se produire une augmentation<br />

de fréquentation <strong>des</strong> fêtes, une incapacité de vivre à nouveau<br />

avec ses parents, une critique <strong>des</strong> habitu<strong>des</strong> du pays d’origine,<br />

une dépendance au courrier électronique, de nombreux voyages<br />

à travers l’Europe pour aller rendre visite à <strong>des</strong> amis, une idéalisation<br />

du médicament.<br />

Avertissement : on a observé <strong>des</strong> cas de patients qui se sont installés<br />

pour quelques années dans le pays d’accueil; dans d’autres<br />

cas une installation définitive.<br />

Intoxication : l’intoxication est rare, tenant compte de son indice<br />

thérapeutique élevé. Délivré sans ordonnance médicale.»<br />

Rendez-vous au prochain <strong>Escume</strong> pour d’autres aventures<br />

Bisous grenadins.<br />

● Laura Dutillieut


nouvelles - poésies<br />

Écritures<br />

La déprime du poète<br />

I<br />

Je marchais… Lentement, avec nonchalance, regardant le ciel. Le crépuscule<br />

tombait, lumière bleue mais avec encore quelques rayons de<br />

soleil qui le rendent aussi un peu orangé. Quelques nuages hauts prenaient<br />

les couleurs du soleil couchant, à ces nuages se mêlaient les tracés<br />

<strong>des</strong> avions. Je me promenais sur cette falaise, seul, mes pieds foulant<br />

une her<strong>be</strong> douce et grasse ondulant sous l’effet de la brise marine. J’étais<br />

habillé d’un simple jean et d’un t-shirt. C’était le milieu du printemps,<br />

il faisait encore frais, je frissonnais et avais mes mains enfoncées dans<br />

mes poches pour essayer de me réchauffer. À ma droite, la mer déchaîne<br />

ses vagues sur les rochers en contrebas… Le soleil n’est maintenant plus<br />

qu’un souvenir et l’air devient de plus en plus perçant mais je m’arrête<br />

quand même pour observer les derniers soupçons de lumière et la couleur<br />

de l’océan. Cela faisait quatre <strong>nuits</strong> que je ne fermais plus l’œil, une<br />

insomnie pernicieuse qui m’avait repris comme dans mon adolescence.<br />

Des horribles cernes s’étaient creusés sous mes yeux. Mes jam<strong>be</strong>s ne me<br />

soutenaient presque plus…<br />

Quatre jours où rien n’y faisait, je ne savais pas dormir, j’avais essayé les<br />

anciens remè<strong>des</strong> : de la valériane, un joint ou encore l’alcool mais en vain.<br />

Ça m’avait encore plus anéanti qu’autre chose. Je me demandais ce que<br />

je faisais là, s’il y avait encore une raison de marcher sur cette terre ou<br />

si c’était plus simple d’avancer de quelques pas et se laisser tom<strong>be</strong>r dans<br />

l’abîme. Mais je m’étais rappelé qu’un jour, une fille qui était alors ma<br />

meilleure amie – je ne me souviens d’ailleurs plus de son nom – m’avait dit<br />

que je devais combattre quoi qu’il arrive et que je ne laisse jamais tom<strong>be</strong>r<br />

les bras ou je me ferais « bouffer », telle était son expression. Je rejetais<br />

donc cette idée de mon idiote et épuisée de tête. Il y avait mieux à faire et<br />

je devais encore accomplir un tas de choses avant de penser à me laisser<br />

mourir.<br />

Pourquoi ? Pourquoi cela m’était-il arrivé ? Mes insomnies n’étaient bien<br />

sûr pas un hasard et n’étaient que le fruit d’une mélancolie et d’un énervement<br />

sans nom. Elle me manquait tant… Cela faisait une semaine que<br />

j’étais là, sur cette île, perdue au milieu de la Méditerranée, avec pour seul<br />

moyen de transport un voilier, accosté de l’autre côté de l’île, avec pour<br />

seule maison un phare délabré mais si accueillant en même temps. Il n’y<br />

avait bien sûr que moi sur cette île, moi qui aime tant la solitude d’habitude<br />

mais qui en ce moment même la haïssais plus que tout. Cela faisait cinq<br />

jours qu’elle aurait dû arriver mais il n’y avait toujours rien à l’horizon, je<br />

scrutais les ténèbres mais rien ne se montrait.<br />

Je décidais de rentrer car j’étais frigorifié, mes mains n’étaient plus que<br />

glace et le ciel noir. Les étoiles me narguaient avec leur éclat si faible et<br />

en même temps si aveuglant, elles me narguaient me disant « nous, nous<br />

savons où elle se trouve, il suffit de tourner nos yeux d’un demi millimètre<br />

».<br />

Je les haïssais, j’haïssais tout à ce moment-là. Je ne voulais que la voir…<br />

Sur le chemin du retour, mes pieds heurtèrent plusieurs fois <strong>des</strong> pierres<br />

dissimulées par l’obscurité et je m’étalais plus d’une fois sur l’her<strong>be</strong>. Je<br />

n’en pouvais vraiment plus et je savais que je ne dormirais pas encore cette<br />

Je suis dans la maison de mes parents,<br />

celle où j’ai toujours vécu, une maison à<br />

trois étages et demi. Le rez-de-chaussée,<br />

pour la « cave » la chaudière et le garage, est<br />

froid, sombre, rempli de ces grincements inquiétants<br />

et de coins noirs qui m’ont toujours<br />

fait courir dans l’escalier lorsque je remontais.<br />

Aujourd’hui encore je suis un champion<br />

pour prendre les marches trois par trois.<br />

Le premier étage, c’est l’étage de jour : salon,<br />

cuisine, salle de bains, salle à manger, toilettes,<br />

et cette chambre minuscule qui nous servait<br />

de lieu de jeu à moi et à ma grande sœur<br />

bien aimée, chambre qui, les enfants ayant<br />

grandi et étant partis loin du foyer familial,<br />

sert maintenant de bureau pour mon père. Le<br />

troisième étage pour les chambres, jointes<br />

par un long et froid couloir central. Il y a toujours<br />

eu une chambre en trop, cette maison a<br />

toujours été trop grande, même pour quatre<br />

personnes. L’une de ces chambres donne sur<br />

la rue.<br />

Je suis dans le bureau de mon père, il est<br />

dans les deux heures du matin, j’écris, comme<br />

d’habitude, lorsque je suis sûr de ne pouvoir<br />

être interrompu.<br />

Des bruits vraiment étranges dans la rue (le<br />

bureau ne donne pas sur la rue, lui, mais derrière<br />

la maison. Il faut traverser tout l’étage<br />

pour arriver dans le salon et voir ce qui se<br />

passe, si les volets sont ouverts... et la nuit<br />

ils sont fermés)...<br />

Puis l’alarme.<br />

J’ai déjà déclenché l’alarme de la maison<br />

sans faire exprès, mes parents ont toujours<br />

été protectionnistes alors qu’ils habitent un<br />

de ces quartiers à vieux dans la banlieue éloignée<br />

de Paris, là où on pense à sa sécurité<br />

avant de penser à laver sa voiture sous le nez<br />

<strong>des</strong> voisins. Plusieurs fois j’ai eu à <strong>des</strong>cendre...<br />

C’est déjà arrivé. Imaginez-vous à trois heures<br />

du matin entendre l’alarme de la voiture<br />

dans le sous-sol, puis plus un bruit, juste<br />

le sifflement qu’a laissé l’alarme dans vos<br />

oreilles...<br />

Descendre. S’armer et <strong>des</strong>cendre. Histoire<br />

d’impressionner. Descendre avec le fusil,<br />

c’est toujours plus intimidant qu’une cuisse<br />

de poulet. Plus un bruit à part mes pas et ma<br />

respiration, je serre mes doigts sur la crosse<br />

et sur le canon, le fusil n’est pas chargé mais<br />

les narines de l’engin pointées sous le nez ou<br />

appuyées sur un estomac feraient pisser sur<br />

soi la plus vaillante <strong>des</strong> racailles, et je sais<br />

que si je réfléchis j’aurai peur. Ne pas hésiter,<br />

non, surtout ne pas penser à tous ces mecs<br />

dans le quartier qui ont fini à l’hôpital ou à<br />

la morgue, de quelques coups de couteau<br />

bien appliqués alors qu’ils avaient entendu<br />

du bruit dans leur garage. Ils n’avaient pas<br />

de fusil. Je sais que ça n’empêche rien, mais<br />

rester là lors d’un vol et subir ce regard déçu<br />

de mes parents me fait plus peur que la lame<br />

d’un couteau. Et j’ai cette prétention que la<br />

vie ne fait de cadeaux qu’aux meilleurs, qu’à<br />

ceux qui osent vivre. J’ai mes angoisses, ma<br />

Novembre 2004 L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> • 31


Poésies - nouvelles<br />

nuit-là, que je ne ferais qu’observer par la fenêtre, scrutant l’obscurité de<br />

la moindre petite lumière au large.<br />

En rentrant, l’obscurité était partout, il faisait plus noir que dans le trou du<br />

cul d’un taureau à minuit par une nuit sans lune. L’humidité <strong>des</strong> murs rendait<br />

leur contact désagréable, comme s’ils étaient couverts d’algues pourries,<br />

il me répugnait de les toucher mais il le fallait pour me diriger dans<br />

ce noir si … noir…<br />

Finalement, j’arrivai dans la salle habitable après avoir gravi <strong>des</strong> dizaines<br />

d’escaliers, ce qui ne fit qu’augmenter ma fatigue physique, morale aussi !<br />

Car si on regarde de plus près, c’est déprimant de monter <strong>des</strong> escaliers. Je<br />

m’assis sur ce fauteuil qui me sembla si accueillant après tant d’efforts.<br />

Je mis en marche la musique, du trip hop pour ne pas changer, mais qu’estce<br />

que c’est agréable… Mes pensées s’évadaient dans de noirs paysages à<br />

cause de cette lassitude qui ne me quittait pas. Pour contrer cette évasion,<br />

je me décidai à me faire à manger. En essayant de me lever, mes jam<strong>be</strong>s ne<br />

me tinrent pas et je tombai face contre le parquet. J’essayais de me relever<br />

en vain. Soudain, le noir….<br />

Quand je réouvris les yeux, il faisait nuit. Je ne comprenais pas ce qu’il<br />

se passait, mon lit semblait balancer. J’étais <strong>be</strong>rcé comme dans ma plus<br />

tendre enfance. Un air frais me fouettait le visage, il sentait le sel et la mer.<br />

Émergeant d’un sommeil qui avait dû durer plus de 24 heures, je compris<br />

que j’étais sur un bateau. Mais comment cela se faisait-il ? Mon esprit embrumé<br />

se souvenait de la vision d’un parquet, mais pas d’un bateau !<br />

J’essayais de me lever de ma couchette mais rien n’y fit, je me rendormis<br />

aussitôt après avoir fait cet effort.<br />

Je rêvais, je ne faisais que sauter <strong>des</strong> heures durant du même phare et à<br />

chaque fois que j’allais toucher le sol, le cauchemar revenait à la haute<br />

balustrade en haut de l’édifice. Quand soudain en tombant, j’entendis une<br />

voix me murmurer « bonjour mon amour ». Je m’arrêtais alors de tom<strong>be</strong>r<br />

et je ne faisais que survoler le sol sans jamais le toucher. Puis je sentis dans<br />

mon rêve une main invisible qui me caressait la joue. Je me retournai pour<br />

voir qui c’était mais le songe s’interrompit et je me réveillai.<br />

La première chose que je vis, ce fut <strong>des</strong> yeux verts qui m’observaient avec<br />

amour. Puis je sentis <strong>des</strong> lèvres caresser les miennes et les embrasser doucement.<br />

Quand j’ouvris les yeux plus grand, je vis celle que j’aimais et<br />

que je croyais soit morte soit partie avec un autre, en face de moi. Sans<br />

prévenir, ma vue fut tout de suite troublée par mes larmes qui coulaient en<br />

surnombre. Je la serrais contre moi et pleurais pendant un temps que je ne<br />

saurais déterminer tellement j’étais bouleversé et heureux de la voir et de<br />

pouvoir encore la sentir. Quand ma crise fut passée, elle me regarda et me<br />

dit :<br />

– Mais qu’as-tu eu ? Je t’ai retrouvé en train de dormir sur le plancher, tu<br />

avais l’air épuisé. Que s’est-il passé ?<br />

– Et toi ? demandais-je, pourquoi n’es-tu pas venue plus tôt ? C’est pour ça<br />

que j’étais dans cet état, ça faisait 5 jours que je t’attendais.<br />

– Où as-tu donc la tête mon amour ? Tu n’écris donc plus dans ton journal ?<br />

Je t’avais laissé un mot comme quoi je ne pourrais pas venir de suite car<br />

j’avais une surprise à préparer. Pour toi, qui plus est !<br />

Je la regardais, é<strong>be</strong>rlué, sans pouvoir rien dire… Je m’en foutais finalement,<br />

du moment qu’elle était là, vivante, en bonne santé, m’aimant toujours<br />

autant.<br />

Je me rendormis pendant une dizaine d’heures….<br />

Seul.<br />

Une fois de plus.<br />

32 • L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> Novembre 2004<br />

II<br />

fierté et mon canon vide comme arguments.<br />

Et ma détermination. Je pousse les portes<br />

avec un grand coup de pied bien appliqué...<br />

La porte du garage est ouverte, j’entends <strong>des</strong><br />

pas dehors, <strong>des</strong> mecs m’ont vu arriver avec le<br />

fusil et sont partis en courant. Cette maison<br />

est vraiment trop grande.<br />

Plusieurs fois c’est arrivé, je connais la chanson.<br />

Sauf que ce n’est plus chez moi, maintenant.<br />

Si je suis ici c’est qu’il y a une raison précise,<br />

et d’ailleurs je ne sais plus trop laquelle. Si<br />

je <strong>des</strong>cends, je protège une maison qui n’est<br />

plus la mienne, <strong>des</strong> parents que je n’aime<br />

plus, que je n’ai jamais aimés d’ailleurs,<br />

en tout cas qui ne me font plus peur... « J’ai<br />

vingt-quatre ans tout de même ! »... Si c’est<br />

pas malheureux d’en arriver à être une telle<br />

larve psychologique à mon âge... Sauf que là,<br />

ma tête est programmée pour ne pas penser<br />

dans ces moments, tout doit être dans les réflexes,<br />

justes et rapi<strong>des</strong>, tout doit se passer<br />

comme s’il s’agissait d’une question de vie<br />

ou de mort. Justesse, évidence et nécessité,<br />

ne pas hésiter, vivre et en crever. La détermination<br />

trace le chemin dans ma vie et s’enfonce<br />

en moi aussi facilement qu’un doigt<br />

entre les cuisses d’une jeune fille au ciné.<br />

Cette alarme, c’est pas l’alarme de la maison...<br />

Instantanément je suis dans le jardin, puis<br />

je me cache dans un terrain vague contigu<br />

au jardin, de derrière le grillage je vois la<br />

neige, il a neigé cette nuit, une voiture s’est<br />

explosée contre un trottoir, mais la neige<br />

s’est accumulée sur elle, c’était donc il y a<br />

un moment... Les traces dans la neige sont<br />

incompréhensibles, je me rappelle qu’elles ne<br />

sont pas « normales », ce n’est pas un blanc<br />

parfait, il y a <strong>des</strong> traces de pneus partout...<br />

Tout se mélange, tout est comme si cette voiture<br />

avait bougé sans avoir bougé, si il y avait<br />

quelqu’un dans cette voiture.<br />

La voiture bouge doucement, comme si le<br />

frein n’était pas serré.<br />

Une autre se gare derrière elle.<br />

La voiture, d’un coup, fait une embardée en<br />

arrière et défonce l’autre.<br />

Moi je vois bien qu’il y a quelqu’un dedans, je<br />

vois bien que la personne n’est pas méchante<br />

mais malade... ou morte... Elle est énorme<br />

cette femme... Énorme et rouge, d’où je suis<br />

j’ai l’impression de la voir d’en haut, mon<br />

point de vue alterne entre la chambre de mes<br />

parents qui donne sur la rue, et celui de la<br />

rue elle-même, caché derrière mon grillage.<br />

Je suis en sécurité et je n’ai plus froid. Il ne<br />

fait pas froid, d’ailleurs.<br />

Les gens s’attroupent comme <strong>des</strong> picadores<br />

autour de la bête à l’agonie, qui charge tout<br />

ce qu’on peut charger sans aucune cohérence<br />

dans les mouvements, la voiture semble trébucher,<br />

se tromper, devient folle et irrégulière,


Maudissant l’amour et ces larmes qui ne savent que couler.<br />

Ayant perdu toute inspiration. La douleur morale, je le croyais, était un moteur<br />

de l’écriture. Mais cette douleur était telle que toute envie romancière<br />

ou essayiste m’avait quitté. Tout ce que je connaissais, c’était une gorge<br />

râpeuse d’avoir trop fumé et à peine mangé et bu. J’ai dû perdre dix kilos<br />

depuis que c’est arrivé, ma figure pâle, mes joues creuses, <strong>des</strong> yeux gonflés<br />

et noirs le prouvent. Le pire de tout peut-être, mon ennemi le plus redouté,<br />

cette insomnie… Elle ne me quitte plus. Combien de jours ? Je ne le sais…<br />

dix peut-être. Je ne sais même pas quel jour nous sommes.<br />

Des errances, <strong>des</strong> regards vers la mer. Le soleil se couche-t-il ou se lève-til<br />

? La Solitude, ça faisait longtemps. Être confronté tout entier à ses pensées,<br />

ses humeurs, surprendre sa conscience en train de divaguer dans un<br />

moment de clarté puis la laisser continuer, à bout de force de la retenir de<br />

nous mutiler, de nous torturer, de la laisser faire. Si seulement elle pouvait<br />

se taire juste quelques minutes, me laisser libre de douleur.<br />

Et ces larmes, ces sanglots, ces appels à l’aide à la mer qui jamais ne répond.<br />

Pourtant, elle m’entoure, sur ma petite île perdue au milieu de l’océan, aux<br />

falaises abruptes, avec pour seule construction ce phare immense qui quelques<br />

fois me défie de sa hauteur pour me délivrer une première et dernière<br />

fois. Peut-être je ne ferai que voler comme un oiseau, à l’infini, éternellement.<br />

Mais non, je n’ai même plus envie de voler, plus envie de voir, plus<br />

envie de vivre tout simplement.<br />

J’aurais l’air con si le monde éternel existe vraiment, condamné à vivre avec<br />

<strong>des</strong> milliers de regrets et de souvenirs douloureux impérissables. Comment<br />

peut-on traduire cet état par <strong>des</strong> mots ? Le meilleur <strong>des</strong> écrivains en serait<br />

incapable. Je n’ai jamais été capable de traduire ma douleur, même dans<br />

mon journal où <strong>des</strong> fois je me mens pour avoir bonne conscience. À quoi<br />

tout cela sert-il ? L’écriture était pour moi un exutoire mais maintenant,<br />

elle est comme un terrain aride où on ne peut plus rien produire. Ai-je au<br />

moins une solution ? Ici, perdu et oublié depuis <strong>des</strong> semaines, à <strong>des</strong> lieues<br />

de toute civilisation, confronté à mes pensées, vivant un enfer. La mort me<br />

semble la seule solution qui n’en est pas une en soi vu que si la vie après la<br />

perte de 21 grammes existe, elle ne sera qu’un fait mineur…<br />

J’ai peur, affreusement peur… Et mourir pour une personne, cela en vautil<br />

la peine ? Mais vivre dans la souffrance est-ce réellement vivre ? Même<br />

le plus grand <strong>des</strong> philosophes ne saurait me convaincre. La fille aux yeux<br />

verts est définitivement partie, me disant qu’elle avait perdu tout l’amour<br />

qu’elle avait pour moi. La pire chose a été quand elle me confia qu’elle<br />

n’était pas sûre d’avoir jamais aimé réellement une personne. C’est comme<br />

si toute vie m’avait quitté, comme si je n’étais plus qu’un corps.<br />

Maintenant, je suis seul.<br />

J’en ai marre de regarder vers l’horizon pour espérer apercevoir la forme<br />

de son bateau. Non, je le sais elle ne reviendra jamais.<br />

Quand mes espoirs s’arrêtent et que j’arrive à cette si horrible conclusion,<br />

je pleure, hurle au vent ma douleur, scandant son nom comme un fou.<br />

N’arrivant jamais à dormir.<br />

Ne sachant vivre.<br />

Mon dernier chemin sera cet escalier…<br />

Qui mène à une possible délivrance…<br />

Qui mène à la mort...<br />

Au revoir … qui sait…<br />

Inch Allah<br />

• Tomlana Delacruz<br />

Poésies - nouvelles<br />

imprévisible, moi je sais que la femme est<br />

soit dans le coma soit morte, elle dort dans sa<br />

voiture et elle est secouée comme pas deux,<br />

le pied à moitié bloqué sur ses pédales, elle<br />

est énorme et rouge, elle doit avoir les chevilles<br />

enflées, elle pue la maladie <strong>des</strong> vieux<br />

du quartier, elle est certainement alcoolique,<br />

elle a certainement les artères dégueulasses,<br />

à dégorger comme un tuyau encrassé toute la<br />

graisse de son corps jusqu’à son cœur, ça ne<br />

m’étonne pas qu’elle soit en train de crever la<br />

vieille, ce quartier est un suicide à la cirrhose,<br />

l’empire <strong>des</strong> granulations.<br />

Je laisse aux autres le temps de découvrir<br />

qu’il faut appeler une ambulance ou quelque<br />

chose, moi je m’en fous, on ne cherche pas<br />

à entrer dans la maison, c’est tout ce que je<br />

voulais savoir. Les gens paniquent, ils comprennent<br />

et appellent, mais il leur faut savoir<br />

où on est, je leur souffle le numéro, je le dis,<br />

je le gueule, c’est pas croyable, ils ne m’entendent<br />

pas. Je le hurle, je pousse <strong>des</strong> jurons<br />

incompréhensibles, là forcément on m’entend<br />

et c’est pour me témoigner d’une incompréhension<br />

totale, comme d’habitude, quelle<br />

bande de truffes. Créatures. Leurs oreilles<br />

sont aussi bouchées que l’aorte de la vieille,<br />

et certainement par le même vin premier prix<br />

du Shopi là haut. Quel pays dégueulasse. Ma<br />

hantise.<br />

Je sors de ma cachette, je parle avec la plus<br />

jeune bonne femme, qui a déjà la quarantaine<br />

bien grasse et rougeaude, elle empeste<br />

la vinasse à <strong>des</strong> kilomètres, je fais quelques<br />

mètres pour m’éloigner.<br />

Maintenant la rue est calme... Oh, il y a du<br />

verglas, j’essaie quelques glissa<strong>des</strong> dans<br />

le sens de la montée, dans cette rue l’expérience<br />

vous apprend à vous méfier <strong>des</strong> faux<br />

plats lors <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> verglacées. Ça glisse peu,<br />

évidemment, on sent encore le gravier sous<br />

les semelles, mais c’est pas important, c’est<br />

marrant de glisser quand même. Je rentre à la<br />

maison, rassuré.<br />

De l’arrière de la voiture d’à côté sort ma<br />

soeur, en trois pas elle m’a rejoint, saisi par<br />

le cou et appliqué une main puissante sur<br />

ma bouche, une main chaude dans un gant<br />

en laine, j’ai à peine la li<strong>be</strong>rté d’un gémissement<br />

étouffé : « hooooon ! » et j’entends<br />

sa réponse :<br />

« Si... »<br />

Et j’ai tout le temps de sentir la courte lame<br />

qui s’enfonce entre mes côtes.<br />

--<br />

Voilà, je viens de me réveiller<br />

il y a une heure.<br />

• Nicolas Jardrix<br />

Novembre 2004 L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> • 33


Poésies - nouvelles<br />

---<br />

Quand Œdipe a vu, il s’est crevé les yeux.<br />

---<br />

C’est quoi qui gênait ?<br />

Que j’enlève pas mes baskets ? Le bruit assourdissant du frigo ?<br />

L’halogène qui tend vers le néon ? Que j’aime pas la compétition<br />

? J’ai autre chose à faire qu’à me lancer dans la rhétorique. La<br />

tripe s’exprime pas comme au siècle dernier, et je me vois mal<br />

me payer la tête <strong>des</strong> gens en leur assénant <strong>des</strong> formules surannées.<br />

Puis demain on va s’écrire en sanskrit, pendant qu’on y<br />

est ?<br />

Ah, c’est ce que je dis ? C’est violent... Ok... Bon, on va mettre<br />

les choses au clair. J’aime pas prendre les gens pour <strong>des</strong> idiots<br />

et je suis de ces idéalistes vaniteux qui croient qu’on peut passer<br />

une vie sans titiller les gens ou leur tourner le dos.<br />

Traumatisés... Ya de ces mots, parfois... Quand on joue toujours<br />

le même jeu, il faut s’attendre à ce que la personne en face<br />

apprenne, il faut aussi s’attendre à tom<strong>be</strong>r sur plus fort que soi,<br />

en dépit <strong>des</strong> apparences.<br />

J’ai passé l’âge où l’on va m’apprendre à m’exprimer, qu’on se le<br />

dise, un écrivain apprend à spontanément et systématiquement<br />

CHOISIR ses mots.<br />

L’esprit vif ? C’est gentil de m’accorder ça, si c’est pour ensuite<br />

me dire que je dois canaliser ça, alors mieux vaudrait réfléchir à<br />

ce que veut dire « canaliser »... Rentrer dans un joli petit canal<br />

tout tracé pour faire de ma « vivacité d’esprit » un pipi bien<br />

droit et bien indifférencié, tous unis dans un même abrutissement,<br />

non, désolé. Le nivellement par le bas, très peu pour moi.<br />

Il était question de quoi déjà ? De mensonges ? Qui ne ment<br />

pas ? Mentir à 20 ans c’est pas un crime, et vu les exemples de<br />

la génération d’avant... Enfin admettons ce tort. Faut remettre<br />

dans le contexte, aussi ! Yen a <strong>be</strong>aucoup, <strong>des</strong> gens qui mentent<br />

pas ? Quand il s’agit pas de se mentir à soi même ! J’ai au<br />

moins eu la décence de mentir pour obtenir quelque chose : une<br />

écoute ! Sans ça j’attendrais encore. Ah oui maintenant on voit<br />

que j’ai du « pouvoir » hein... Ça inquiète, hein... Ah oui, quand<br />

on n’est pas ému et qu’on tom<strong>be</strong> sur quelqu’un qui a le pouvoir<br />

de toucher, ça contrarie. Ouh mais je comprends, et c’est pas de<br />

l’ironie, j’ai une réelle compassion, vraiment ! Ça doit pas être<br />

facile de parler avec un mec comme moi.<br />

Quoi ma sensibilité ? Alors puisqu’on m’a casé dans la case<br />

« hypersensible », je dois être un gentil garçon ? Ça viendra jamais<br />

à l’esprit de quelqu’un que gentil, méchant, bien, mal, ça<br />

peut dépendre <strong>des</strong> points de vue ? Ce qui est « bien » pour moi<br />

ne l’est pas forcément pour les autres, d’où l’intérêt de s’imprégner<br />

un peu du point de vue de l’autre parfois... D’intégrer un<br />

peu les schémas...<br />

Mais si ! Supposons un instant – juste un instant, hein – que<br />

je fasse cet effort-là... Que je prenne la peine de me mettre à<br />

la place de l’autre... Je prendrais le temps de l’écouter... De lui<br />

34 • L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> Novembre 2004<br />

Œdipus Rex<br />

répondre... De tout décortiquer... Et je fais quoi, là ?<br />

Laisser parler les gens ? Des années que je le fais, j’ai aussi<br />

<strong>be</strong>soin de m’exprimer un peu. De toute manière le monde ne<br />

m’attend pas, à moi de faire ma place.<br />

Pas d’amour ? D’une, je suis libre d’aimer qui je veux, de deux,<br />

je connais peu de personnes qui se donneraient pieds et poings<br />

liés comme je le fais. Maintenant je ne me sens pas obligé de<br />

justifier l’expression de cet amour trois fois par jour. C’est déjà<br />

être aveugle de ne pas s’en rendre compte, je ne suis pas responsable<br />

de la cécité de mes pairs. J’ai assez avec mes propres<br />

responsabilités, d’ailleurs.<br />

Ah ! Je l’attendais celle-là ! Bien sûr que si ce n’est pas ce que<br />

je dis, c’est forcément la manière ! Ah ! C’est du joli, une telle<br />

rhétorique, mais ça ne tient pas, désolé. J’appelle un chat un<br />

chat et si le fait d’exprimer d’emblée et clairement les choses<br />

choque, alors que ça fasse école ! On ne me prendra pas à ravaler<br />

ma chique parce que d’autres n’ont pas les épaules pour<br />

encaisser mes mots !<br />

Tiens, ‘manquait plus que le chantage affectif, je la connais,<br />

celle-là ! L’étape d’après, on chiale ! Ah oui, à ça je suis totalement<br />

in-sen-sible, fallait pas s’attendre à une autre réaction de<br />

ma part. Est-ce que je fais peser mes états d’âme sur les autres,<br />

moi ? Non. Alors prenez-en de la graine, moi j’ai vingt-quatre<br />

piges, faut pas exagérer non plus, c’est pas à moi d’apprendre<br />

aux autres à être <strong>des</strong> grands.<br />

Bon, ça commence à bien faire, là ! On va pouvoir regarder les<br />

choses en face maintenant ou il va falloir subir encore tous les<br />

détours possibles et imaginables ? Yen a qu’en n’ont pas marre<br />

de se faire pointer du doigt à chaque tentative de cacher la<br />

poussière sous le tapis... Ah pour ça j’ai toute la patience du<br />

monde, tant qu’on n’en vient pas au fait, je ne détourne pas mon<br />

regard d’un seul millimètre. Mais bon dieu, c’est trop demander<br />

d’avoir un interlocuteur potable ? Qui s’assume un peu ?<br />

« Oui mais », « oui mais », « oui mais », ah ! Ah ! Orgueil !<br />

Arrêtons à « oui », voyons ! Non je ne pardonne pas, non je ne<br />

fermerai pas les yeux, non je ne laisserai plus rien passer, il<br />

fallait être à la hauteur.<br />

Quel que soit le jeu, je ne peux pas perdre.<br />

Maintenant c’est l’heure d’assumer !<br />

Je ne crie pas, non, non, JE TONNE !<br />

Apprends que les liens du sang ne justifient pas toujours <strong>des</strong><br />

liens affectifs, et je t’en donne la preuve : non, tu n’es plus mon<br />

père.<br />

Tu pourrais être bon perdant tout de même.<br />

Tant pis.<br />

Adieu.<br />

• Nicolas Jardrix


On achève bien les amoureux<br />

- Avez-vous quelqu’un qui vous aime en ce moment ?<br />

- Oui. Et je crois aussi que c’est réciproque.<br />

- Alors ce n’est pas de l’amour.<br />

- Pourquoi ?<br />

- L’amour c’est quand ça ne marche pas.<br />

- J’ai aussi quelqu’un d’autre pour remplir ce rôle. Mais cette jolie phrase semble<br />

vous faire boire un peu trop.<br />

- Il faut boire un peu trop pour faire de jolies phrases.<br />

Nicolas Rey, Mémoire Courte<br />

Nicolas est amoureux. C’est important d’être amoureux. Ça donne envie d’envoyer<br />

<strong>des</strong> sms, de chanter la chanson <strong>des</strong> ramoneurs de Mary Poppins ou pire<br />

Richard Cocciante, de se raser, d’acheter <strong>des</strong> bougies, de sourire en regardant<br />

les comédies sentimentales britanniques, bref on est heureux, on ne réfléchit<br />

plus. Hier soir, Nicolas a déposé devant la porte de sa muse cinquante bouteilles<br />

d’eau minérale accompagnées d’un petit mot. « Et si nous vivions d’amour et d’eau<br />

fraîche ? »<br />

Nicolas est fou mais puisque c’est d’une fille, on l’excusera.<br />

Moi, je l’écoutais me parler de ses mimiques mutines, de sa manière de passer<br />

distraitement sa main dans ses cheveux, de sa façon de rire sans même penser à<br />

séduire et je l’enviais. Quand on n’a pas la chance d’aimer, on est grave et pensif.<br />

Alors, pour passer le temps, on redevient un de ces mecs rigolards et camara<strong>des</strong>.<br />

Qui avec ses amis sort pour danser, danser et draguer, draguer pour plaire, plaire<br />

pour enlacer, enlacer pour embrasser, embrasser pour embrasser encore, peut-être<br />

finalement baiser, baiser pour faire semblant d’aimer... Un homme amoureux ne<br />

pense plus à tout ça. Il ne pense plus... qu’à elle. Dans l’aurore fraîche du Bois<br />

de la Cambre où nous nous enfoncions, je remplissais le silence de mes dernières<br />

réflexions sur la perte de sens. « Imagine un explorateur sur le point exact du pôle<br />

Nord magnétique. L’aiguille de sa boussole tourne en tout sens. En quelque direction<br />

que porte son regard, il va vers le sud. Tout est blanc et froid, et toutes les<br />

directions ont les même valeurs... »<br />

Nicolas s’est arrêté, ma souri gentiment, comme on sourit à un enfant qui raconte<br />

un énorme mensonge. Il a creusé un peu, disposé quelques graines dans le trou<br />

avant de le reboucher. Il souriait toujours quand il me rassura : « Écrire un poème,<br />

planter un arbre ou embrasser une fille donnera facilement quelque sens à ta vie,<br />

à “ cette histoire racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur ” (un homme<br />

qui cite Shakespeare a forcément quelque chose à cacher.) D’ailleurs, chaque vie<br />

possède mais n’est pas, un sens unique. »<br />

Deux jours plus tard, une jeune fille posta un jouet de bac à sable en plastique<br />

rouge. Le mot qui l’accompagnait était plat et surtout inutile : « Tu voulais <strong>des</strong><br />

pelles, voilà un râteau. » Ne t’inquiète pas, Nicolas, les filles se suivent mais ne se<br />

ressemblent pas.<br />

• Quentin Delvoye<br />

Poésies - nouvelles<br />

Novembre 2004 L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> • 35


Poésies - nouvelles<br />

36 • L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> Novembre 2004<br />

D’un geste dérobé, le salon est noir, personne ne vit dans le couloir, j’ôte<br />

une cigarette du paquet abandonné sur la table. J’ai <strong>be</strong>soin d’un défi.<br />

Une petite bravoure contre un interdit que me laisse disposer de cet instant<br />

également dérobé, un dimanche après-midi. Je la saisis entre mes<br />

lèvres pour me permettre d’ouvrir la porte et je m’engouffre dans ma<br />

chambre, déjà électrisé du forfait entamé. Trop tard pour remettre dans<br />

son étui ce tronçon de mort que j’ai fait mien à l’insu de tous. Je me plais à me sentir<br />

hors-la-loi de ce délit ridicule. Il y a dans mes mouvements une succession plaisante<br />

et prévisible que j’aime. Je dépose mes effets sur la couverture de mon lit et, sur la<br />

table ronde de ma chambre, je laisse atterrir mon maigre butin. Je n’ai pas de briquet,<br />

rien sous la main pour incendier ce moment de révolution. Je pense au chauffe-eau<br />

dans la cuisine. Il me faut sortir de mon clapier, de nouveau l’aventure, le risque d’être<br />

surpris la cigarette entre les doigts. Je suis trop petit et je tends mon corps vers la<br />

légère flamme qui oscille continuellement dans une vibration que l’on n’entend qu’à<br />

proximité. Elle crie jour et nuit cette flamme, mais qui l’entend ? Elle consume seule<br />

la bombonne dissimulée sous l’insouciance. Personne n’entend sa souffrance. Je suis<br />

trop petit et je tends mon corps… L’extrémité s’éclaire en quelques tirées. Je file dans<br />

ma chambre et traverse l’ombre du salon, toujours rétif à la lumière du jour. La voilà<br />

incendiée, entamée la mèche re<strong>be</strong>lle, le tabac dévastateur qui emplit déjà de sa brume<br />

de mystère l’espace de ma chambre délaissé par la chaleur. Je m’adosse à la gardero<strong>be</strong><br />

et j’inspire cet air brûlant mortifère qui pourtant me vivifie. J’ai <strong>be</strong>soin d’un défi.<br />

Je voudrais une présence, un corps, une odeur qui répondent à mes intentions et intensions.<br />

Un homme grand et brun, mystérieux comme cette brume grise. Il caresserait<br />

de sa main ma détresse et aurait avorté cette révolution tabagique. Un homme qui<br />

fumerait, mais ne me laisserait pas le privilège du poison. L’inhabitude du tabac me<br />

monte à la tête et mes châteaux en Espagne se précisent. Elle me donne vite envie de<br />

me libérer de mes nécessités. Il ne m’interdirait pas brutalement. Il m’interdirait avec<br />

douceur, avec la compréhension d’un père miséricordieux qui dépose son attention<br />

sur la personne qui lui est chère. Cet homme qui m’enlèverait parfois de le désir de<br />

fuir ou briser les interdits, auquel, lors d’un moment, oublieux de moi, je rappellerais<br />

ma nécessité en rallumant la mèche. Mon <strong>be</strong>soin de lui et de l’enceinte de ses bras.<br />

Longs. Puissants. Irréductibles. Je ne voudrais pour rien au monde m’abandonner à<br />

la tabagie fréquente, à ce <strong>be</strong>soin irrépressible. Réduire cet instant de déchirement<br />

à un <strong>be</strong>soin de tabac pour le tabac, abaisser la révolution de mon être à une simple<br />

habitude. M’ôter ce pouvoir de décision et de révolution pour passer à une limite et<br />

un manque croissant. Pas question, hors question. Ce serait perdre ce pouvoir de me<br />

montrer à moi-même, quand je le veux, que les choses modifient leur ordre, quand<br />

je voudrais modifier leur ordre. Ma petite révolution aboutit à son terme et l’homme<br />

imaginé s’estompe avant même d’avoir pu atténuer mon désir charnel. Pour abréger<br />

la phase ultime du processus, je collecte ma salive jusqu’au fond de ma bouche et je<br />

crache mon mépris sur ce brasier re<strong>be</strong>lle qui se prolonge déjà trop à mon goût. J’envoie<br />

une dernière fois dans la pièce un tourbillon qui parcourt le tour de la table ronde et<br />

qui se dissipe en quelques graines de minutes sur le verre qui la préserve. Et la pièce<br />

se refroidit. Je m’en vais déféquer avant d’en perdre l’envie et, de retour, allégé, je plie<br />

mon corps aux exigences du clavier et je commence à écrire.<br />

NDLR : l’auteur de ce texte, que nous connaissons, nous a demandé de<br />

rester anonyme.


Erratum<br />

Vous avez tous dû remarquer les trop nombreuses fautes d’orthographe dans le<br />

numéro précédent... Un comble me direz-vous pour un numéro portant entre<br />

autre sur ce sujet, mais vous voyez qu’il était <strong>be</strong>l et bien d’actualité !<br />

Comme nous ne pouvions en rester là, sous peine de nous voir taxés de « journal pas<br />

sérieux » et autre « torchon », nous vous proposons une version corrigée (et en couleurs<br />

s’il vous plaît) disponible en format .pdf sur le site romanes.<strong>be</strong>.<br />

Merci de votre indulgence.<br />

Nous attendons vos<br />

Chères lectrices, chers lecteurs,<br />

articles, nouvelles, poésies, billets d’humeur, perles <strong>des</strong> profs, participations au<br />

débat, critiques théâtrales, littéraires et musicales, courriers à la rédaction etc.<br />

Envoyez-les nous avant le<br />

mercredi 15 décembre<br />

pour le prochain numéro spécial blocus !<br />

Le thème général du prochain numéro est :<br />

Je doute donc je bloque,<br />

Je bloque donc je suis !<br />

Le débat est :<br />

Quand vous écrivez, quand vous lisez, vous êtes plutôt<br />

prose ou poésie ?<br />

A vos plumes !...<br />

escume<strong>des</strong><strong>nuits</strong>@hotmail.com<br />

• Anne-Sophie et Thomas<br />

Novembre 2004 L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> • 37


Culture<br />

ure - culture - culture - cult<br />

Cinéma<br />

38 • L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> Novembre 2004<br />

Francis VEBER à l’ULB<br />

Il paraît qu’il y a 6 François Pignon en France, qui se sont associés et<br />

ont écrit une lettre à Francis Ve<strong>be</strong>r pour lui dire d’arrêter d’appeler<br />

son personnage Pignon, parce que pignon a été con, PD, simplet, (oui<br />

évidemment on peut les comprendre!!)… mais il a aussi été Villeret,<br />

Richard, Auteuil,… une chose est sûre c’est qu’ils nous ont tous fait rire<br />

et pleurer (de rire).<br />

Saviez vous qu’à Paris, il s’organisait vraiment <strong>des</strong> soupers ou chacun<br />

devait amener un « con »?…. Ou encore que c’est à Lino Ventura, que<br />

Ve<strong>be</strong>r avait proposé le rôle de Jean Lucas (interprété par Depardieu) dans<br />

«Les Compères»?<br />

Qui n’a pas esquissé un sourire devant «La Chèvre», «Le Placard» ou «Le<br />

Dîner de Con»?<br />

Francis Ve<strong>be</strong>r peut se vanter d’avoir fait rire la France entière, mais aussi<br />

la Belgique, l’Espagne, l’Allemagne, les Pays Bas (où rares sont les films<br />

français), les Etats-Unis et même le Japon ( oui oui il y a aussi un François<br />

Pignon japonais).<br />

C’est avec un grand Maître de la comédie française que les étudiants<br />

d’ELICIT avaient rendez- vous ce vendredi 05 Novembre. C’est dans<br />

le cadre d’un cours d’analyse de scénario (donné en deuxième licence<br />

d’ELICIT) qu’a eu lieu ce master class avec Francis Ve<strong>be</strong>r. La rencontre<br />

s’est déroulée sous forme de questions – réponses, comme toujours dans<br />

ces cas là le démarrage est un peu dur, mais Francis Ve<strong>be</strong>r, a inauguré la<br />

séance avec une anecdote, racontée, comme toutes celles qui ont ponctuées<br />

l’entretien, avec humour. Ses début, sa carrière, ses films, ses projets, ses<br />

techniques, presque tout y est passé, et Ve<strong>be</strong>r s’est admirablement et<br />

très simplement prêté au jeu. Il nous a offert deux heures de plongée au<br />

cœur du cinéma, son quotidien, ses aléas, les bons et les mauvais cotés,<br />

avec <strong>be</strong>aucoup d’humour, de sincérité et de légèreté. Ce fut une rencontre<br />

très riche, autant sur le plan cinématographique, qu’humain. Et pour<br />

ceux qui ne connaissent pas Ve<strong>be</strong>r, allez louer une ou deux cassettes pour<br />

réchauffer vos soirées d’hiver.<br />

• Caroline Pirotte


Un long dimanche de fiançailles de Jean-Pierre Jeunet<br />

D<br />

’Un long dimanche<br />

de fiançailles on retiendra<br />

les couleurs et<br />

la lumière délicatement<br />

conjuguées à l’espoir, on<br />

retiendra la profondeur<br />

de la voix<br />

off <strong>be</strong>rçante<br />

à souhait et<br />

l’amélipoul<br />

a n i s a t i o n<br />

(terme proposé par Thomas<br />

!) de l’ensemble<br />

(chose qui n’est pas négative<br />

en soi !). De ce film,<br />

on retiendra la musique<br />

caressante composée par<br />

Angelo Badalamenti – qui<br />

a entre autre travaillé avec<br />

Lynch pour Mulholland<br />

Drive ! - , on retiendra<br />

aussi l’horreur de la pre-<br />

La femme de Gilles de Frédéric Fonteyne<br />

Basé sur le roman de<br />

la Liégeoise Madeleine<br />

Bourdouxhe, ce<br />

film m’a fortement déçue.<br />

Je n’y ai nullement<br />

retrouvé l’émotion forte<br />

qu’avait suscitée en moi<br />

la lecture du roman.<br />

L’intrigue se déroule<br />

d’une façon étonnamment<br />

lente, les dialogues<br />

sont extrêmement rares<br />

et ce manque de dialogue<br />

n’est en rien compensé<br />

par une « communication<br />

» non-verbale.<br />

En effet, mis à part les<br />

yeux fabuleux d’Emmanuelle<br />

Devos, le visage<br />

<strong>des</strong> autres comédiens<br />

sonne assez creux … J’ai<br />

l’impression que Philipe<br />

mière guerre mondiale,<br />

la détresse qui se lit dans<br />

les regards <strong>des</strong> soldats. De<br />

cette adaptation du roman<br />

de Sébastien Japrisot on<br />

retiendra encore et surtout<br />

la force que prend le ver<strong>be</strong><br />

« regarder » lors de la scène<br />

finale. À voir.<br />

• Anne-Sophie<br />

Blasband et Frédéric<br />

Fonteyne sont vraiment<br />

« passés à côté » de la<br />

tonalité profonde et passionnée<br />

qui animait ce<br />

roman publié en 1937. A<br />

vous de voir.<br />

• Anne-Sophie<br />

Culture<br />

Novembre 2004 L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> • 39


Culture<br />

Musique<br />

La sélection cd d’Anne-Sophie<br />

ZITA SWOON – A song about a girls<br />

C’est sur une large page de poésie que s’ouvre le (très<br />

attendu !) nouvel album <strong>des</strong> Belges de Zita Swoon !<br />

En effet, le titre Me & Josie on a Saturday night se<br />

faufile à notre oreille comme un délicieux soir d’été,<br />

comme la réincarnation d’une dolce vita oubliée et<br />

pourtant tellement accessible… Malgré les quelques<br />

années qui séparent ce nouvel opus de l’album Life<br />

= A sexy sanctuary (qui a révélé le groupe au grand<br />

public en 2001), personne n’a oublié Zita Swoon et<br />

<strong>be</strong>aucoup d’entre nous ont encore en tête <strong>des</strong> titres<br />

comme Hot, hotter, hottest ou encore le refrain entraînant<br />

de The bananaqueen. Les voilà qui nous re-<br />

OZARK HENRY – The sailor not the sea<br />

Une femme regarde la mer. Elle<br />

attend désespérément le retour de<br />

son amant. Les passants l’aperçoivent,<br />

imaginent qu’avec délectation<br />

elle regarde les flots et en<br />

contemple la <strong>be</strong>auté. Ils n’y sont<br />

pas du tout. Ce qu’elle observe,<br />

c’est l’éventuel marin, et non la<br />

mer. Voilà comment Ozark Henry<br />

explique à la presse le titre de<br />

son quatrième et nouvel album.<br />

Dix chansons qui ne font que<br />

confirmer le talent de Piet God-<br />

40 • L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> Novembre 2004<br />

viennent avec un très très bon album qui adopte un<br />

ton plus délicat, une démarche davantage acoustique<br />

qu’auparavant. Nous sommes loin de l’ambiance limite<br />

carnavalesque du disque précédent ! La figure<br />

principale du groupe reste indéniablement le plus<br />

qu’original Stef (Kamil) Carlens, véritable « aventurier<br />

musical » en quête d’expériences en tous genres.<br />

La surprise qu’il nous a réservée pour ce disque est<br />

d’avoir choisi notre chère langue française le temps<br />

de quelques titres (titres qui cependant sont loin d’être<br />

les meilleurs du disque selon moi !) ! Comme quoi la<br />

musique (et plus généralement l’art) est un vecteur ne<br />

daer, mieux connu sous le pseudo<br />

Ozark Henry. Après le succès de<br />

Birthmarks en 2001, il nous livre<br />

ici une palette d’impressions de<br />

voyage, une collection de mélodies<br />

aquatiques et exotiques à souhait<br />

où se mêlent sourire satisfait<br />

et nostalgie … Une vraie recherche<br />

<strong>des</strong> textures et <strong>des</strong> couleurs<br />

caractérise cet album complet et<br />

abouti qui ravira plus d’une paire<br />

d’oreilles …<br />

C’est nouveau, c’est <strong>be</strong>lge, c’est tout bon<br />

• Superlux, Alarm<br />

• Hollywood Porn Stars, Actarus<br />

• Ozark Henry, Indian summer<br />

• Zita Swoon, Thinking about you all the time<br />

• Soldout, I wanna hit you


Feist au Botanique<br />

Le 8 novembre dernier, la scène de la Rotonde<br />

du Botanique abritait<br />

la délicieuse Leslie Feist, canadienne<br />

dont l’album Let it die<br />

a fait couler pas mal d’encre !<br />

Sa voix fluide et ample a titillé<br />

les oreilles et le cœur de tout le<br />

public pendant ce concert contrasté,<br />

tantôt endiablé, tantôt<br />

romantique à souhait … C’est<br />

avec la reprise d’un titre traditionnel<br />

datant du début du siècle<br />

dernier, When I was a young<br />

girl, que Feist a décidé d’ouvrir le bal. Elle<br />

nous a ensuite promené de titres agissant<br />

comme <strong>des</strong> baumes réparateurs pour le<br />

Je dis M<br />

C’est avec une énergie et un sens de l’humour<br />

plus aigus que jamais que Mathieu Chédid<br />

a mis le feu au public de Forest<br />

National le 10 novembre dernier !<br />

Les cheveux en forme de consonne<br />

et sa guitare à la main, il nous<br />

a fait rire comme jamais et nous<br />

retenons pas mal de points positifs<br />

à propos de cette soirée : excellent<br />

choix pour la première partie ( Seu<br />

Jorge, très très bien ! ), chorégraphies<br />

kitsch avec ses musiciens,<br />

nombreuses interactions avec le public, gentillesse<br />

et remerciements, M a une fois de plus<br />

• Keziah Jones, Rythm is love<br />

• Placebo, Once more with feelings ( <strong>be</strong>st of )<br />

• Travis, Singles ( <strong>be</strong>st of )<br />

• Elliot Smith, From a basement on the hill<br />

• The Killers, Hot fuss<br />

• Archive, Archive unplugged<br />

cœur (Gatekeeper, Mushaboom, Let it die,<br />

Leisure suite ou encore Lonely<br />

lonely) à <strong>des</strong> chansons faisant<br />

remuer le public (One evening<br />

ou encore l’excellente reprise du<br />

Inside & out <strong>des</strong> Bee Gees). La<br />

bonne surprise de la soirée : la<br />

présence d’un joueur de trombone<br />

à coulisses sur scène ! C’est<br />

dans un français hésitant mais<br />

extrêmement séduisant que la<br />

<strong>be</strong>lle a à maintes reprises remercié<br />

le public du Botanique pour<br />

la chaleur qui s’est dégagée ce soir là <strong>des</strong><br />

centaines de mains l’ayant applaudie à tout<br />

rompre !<br />

Autres sorties intéressantes<br />

Culture<br />

réalisé une excellente prestation (prestation<br />

presque aussi parfaite que celle de l’an dernier<br />

à l’Ancienne Belgique). On M ou<br />

on M pas, mais perso j’ai la chaire<br />

de poule lorsque j’entends plus de<br />

cinq mille personnes lui chanter Je<br />

dis M. Le concert s’est clôturé sur<br />

une <strong>des</strong> plus chouettes chansons de<br />

son répertoire : Nostalgic du cool.<br />

Mon seul regret : il n’a pas interprété<br />

Les triplettes de Belleville …<br />

Ce sera pour une prochaine fois !<br />

• Gérald De Palmas, Un homme sans racines<br />

• Tryo, De bouches à oreilles (double live)<br />

• Keren Ann, Nolita<br />

• William Sheller, Epures<br />

• Seu Jorge, Cru ( à découvrir absolument ! )<br />

• Angela McCluskey, The things we do<br />

Novembre 2004 L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> • 41


Culture<br />

Lundi 22.11.2004<br />

Maxim Vengerov, violon<br />

NN, piano<br />

Les trois sonates pour violon<br />

et piano de<br />

Johannes Brahms<br />

PBA<br />

20:00<br />

Musique classique<br />

sélection de concerts par Thomas<br />

Jeudi 25.11.2004<br />

Leipziger Streichquartett<br />

Christian Zacharias, piano<br />

Beethoven, Quatuor N° 10<br />

Schu<strong>be</strong>rt, Quatuor « Rosamunde »<br />

Dvorak, Quintette à clavier<br />

Conservatoire Royal de Bruxelles<br />

20:00<br />

Lundi 06.12.2005<br />

Orchestre <strong>des</strong> étudiants de Louvain-la-<br />

Neuve (OSEL)<br />

Philippe Gérard, direction<br />

Lorenzo Gatto, violon<br />

Maxim Vangerov est un pur<br />

prodige du violon. Il est spécialiste<br />

<strong>des</strong> pièces de virtuosité<br />

mais sait se montrer<br />

aussi intéressant dans les<br />

gan<strong>des</strong> œuvres du répertoire,<br />

comme ces magnifiques<br />

sonates de Brahms.<br />

Un concert-prestige à ne pas<br />

manquer !<br />

Dvorak, Concerto pour violon<br />

Dvorak, symphonie « Du nouveau monde »<br />

Aula Magna (UCL)<br />

20:15<br />

42 • L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> Novembre 2004<br />

Le romantisme sera à l’honneur avec<br />

ces trois monstres sacrés... Vous allez<br />

réfléchir sur Beethoven, pleurer<br />

sur Schu<strong>be</strong>rt et danser sur Dvorak !<br />

Un bon bain d’émotions fortes dont<br />

vous ne sortirez pas indemnes !<br />

Vendredi 03.12.2004<br />

Orchestre philarmonique de Liège<br />

Jean-Pierre Haeck, direction<br />

David Cohen, Violoncelle<br />

Jongen, Clair de lune<br />

Lalo, Concerto pour violoncelle<br />

Dvorak, symphonie « du nouveau<br />

monde »<br />

PBA<br />

20:00<br />

Jeudi 25.11.2004<br />

Freiburger Barockorchester<br />

Cecilia Bartoli, mezzo<br />

Beethoven et ses contemporains<br />

PBA<br />

20:00<br />

L’OSEL est un orchestre formé <strong>des</strong> étudiants<br />

de l’Université de Louvain et de quelques<br />

étudiants du Conservatoire « en soutien ».<br />

Il se produisent deux fois par ans dans <strong>des</strong><br />

programmes assez ambitieux dirigé par un<br />

chef excellent, professeur de direction au<br />

Conservatoire.<br />

Lorenzo est un jeune virtuose <strong>be</strong>lge de 19<br />

ans qui prépare le concours Reine Elisa<strong>be</strong>th.<br />

Je n’aurai qu’un mot : impressionnant.<br />

Bref, venez nombreux les encourager !<br />

David Cohen est un jeune violoncelliste<br />

<strong>be</strong>lge de 24 ans. J’ai eu l’occasion<br />

de le rencontrer ces vacances et j’en<br />

garde un souvenir très sympatique.<br />

C’est un soliste confirmé et ce concerto<br />

de Lalo, je vous asure qu’il le<br />

connaît !<br />

La symphonie du nouveau monde, je<br />

ne vous ferai pas l’injure d’en parler...<br />

Vous voulez voir une diva en<br />

vrai ? Alors n’hésitez pas, la<br />

Bartoli est la mezzo la plus en<br />

vogue pour le moment ! Avis aux<br />

amateur de chant...<br />

Les billets pour le Palais<br />

<strong>des</strong> Beaux Arts<br />

sont à 5 euros pour<br />

les concerts organisés<br />

par la philarmonie<br />

grâce à l’achat d’un<br />

pass de cinq billets.<br />

Sinon le prix est de<br />

7,5 euros une heure<br />

avant le début du<br />

concert organisés par<br />

une autre institution.<br />

Demandez-les à la<br />

billetterie du Palais<br />

de Beaux Arts.<br />

Série de concerts donnés par les étudiants du Conservatoire Royale de Musique de Bruxelles<br />

à la Salle Delvaux de l’ULB.<br />

Mardi 16 novembre, 12h15 : Debussy, Schumann, Devreese (Flûte, saxophone et piano)<br />

Mardi 23 novembre, 12h15 : Shostakovitch, Smetana, Devreese (Trio à clavier)<br />

Mardi 30 novembre, 12h15 : Schostakovitch, Devreese (Quatuor Thaïs)<br />

Mardi 07 décembre, 12h15 : Tortelier, Offenbach, Devreese (duos de violoncelles)<br />

Mardi 14 décembre, 12h15 : Dialogues de films et ban<strong>des</strong> sonores (étudiants <strong>des</strong> Arts de la parole)<br />

20h00 : Villa-Lobos, Devreese (Octuor de violoncelles)


L’argumentation est devenue une nouvelle<br />

matrice pour les sciences humaines. De la<br />

philosophie à la linguistique, de la littérature<br />

à la publicité, du droit au diagnostic médical,<br />

l’usage de l’argumentation s’est généralisé.<br />

Convaincre et raisonner sont deux opérations fondamentales<br />

de l’esprit et de la communication en<br />

société.<br />

Le but de ce séminaire interdisciplinaire est d’offrir<br />

un panorama aussi large que possible à un<br />

public lui-même aussi large que possible, sans<br />

présupposer de formation préalable dans l’un <strong>des</strong><br />

domaines abordés.<br />

Les séminaires ont lieu les lundis (dates déjà<br />

fixées : 29/11, 10/01, 24/01, 31/01, 28/02,<br />

7/03, 11/04) de 16 à 18h, au bâtiment A du campus<br />

du Solbosch : premier semestre AW1.117 et<br />

au second semestre, AY2. 117.<br />

contact :<br />

ENTRÉE LIBRE<br />

Michel Meyer mimeyer@ulb.ac.<strong>be</strong><br />

ou<br />

Laurence Rosier lrosier@ulb.ac.<strong>be</strong><br />

École doctorale<br />

Langue et discours : argumentation, enseignement, société<br />

Séminaire interdisciplinaire<br />

sur<br />

L’argumentation<br />

en sciences humaines<br />

organisé par le professeur Michel Meyer<br />

P R O G R A M M E<br />

Lundi 29 novembre 2004<br />

Michel Vanhaever<strong>be</strong>ek & Jean-Louis<br />

Vanherweghem (ULB):<br />

Fonctionnement de la pensée médicale :<br />

Etude de cas : la démarche diagnostique.<br />

Lundi 10 janvier 2005<br />

Maryse Souchard (Université de Nantes)<br />

La parole publique. Possibles<br />

argumentatifs et pouvoir<br />

de conviction<br />

Lundi 24 janvier 2005<br />

Philippe Breton (Paris/CNRS) :<br />

La place de l’argumentation dans le<br />

dispositif de parole «idéal-démocratique».<br />

Lundi 31 janvier 2005<br />

Antoine Compagnon (Paris 4/Sorbonne) :<br />

La vitupération antimoderne<br />

Lundi 28 février<br />

Alex Lefebvre (ULB) :<br />

La parole en thérapie, entre corps et<br />

discours.<br />

Lundi 7 mars<br />

Michel Meyer (ULB) :<br />

Rhétorique et esthétique : ce<br />

qu’elles ont en commun et ce qui les<br />

différencie.<br />

Lundi 11 avril<br />

Emmanuelle Danblon (ULB) :<br />

Persuasion et théories<br />

de l’adhésion.<br />

Novembre 2004 L’escume <strong>des</strong> <strong>nuits</strong> • 43


Monsieur Couvreur...<br />

Perles de profs<br />

Ils l’ont dit !<br />

- Caramba... c’est pas là... je m’ai trompé dans mes pages... 19/10/04<br />

- Phèdre, ça ne se termine pas par un ballet « dzim boum tralala» ! 12/10/04<br />

Monsieur Marx...<br />

- Ça n’a pas marché... ça n’a encore une fois pas marché... comme on dit<br />

en Belgique, euh... dans le milieu du football. 9/11/04<br />

- C’est comme le plombier qui disait « L’eau, madame, c’est quelque chose<br />

de vicieux ! » Voilà un bon mot pour la revue de <strong>Romanes</strong> !<br />

- Il y a une photo de Hesse et Mann qui font du ski... c’est intéressant pour<br />

voir l’évolution <strong>des</strong> skis !<br />

- Hesse, voulant rencontrer la spiritualité de l’Inde, a été très déçu par la<br />

religion populaire grotesque <strong>des</strong> rues... C’est comme si, sortant de l’ULB,<br />

vous vous convertissiez et que vous alliez visiter Lour<strong>des</strong> ! 8/11/04<br />

On a déjà pu s’en apercevoir, Messieurs Marx et Couvreur sont deux habitués<br />

de cette page... d’ailleurs ils s’en sont très vite rendus compte !<br />

Mais ne nous faites pas croire qu’il n’y a qu’eux pour lâcher <strong>des</strong> perles !?<br />

Nous sommes sûrs qu’à chacun de vos cours <strong>des</strong> perles se perdent !<br />

Alors nous comptons sur vous et sur votre vigilance pour les recueillir et nous<br />

les envoyer à cette adresse que vous commencez à connaître :<br />

escume<strong>des</strong><strong>nuits</strong>@hotmail.com

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