Escume des nuits - Romanes.be

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Dans un monde où les êtres humains vieillissent, où les têtards deviennent grenouilles, où le lait se transforme en fromage, il serait étrange que le langage soit le seul à demeurer en l’état Extraits choisis : Il y a des limites à la liberté orthographique ! Ne croyez pas que je sois contre la simplification orthographique ! Que du contraire ! Mais encore une fois, il me semble indispensable que celle-ci ne soit pas faite à tort et à travers. (L’orthographe) peut certes être adaptée peu à peu selon la « vie » de la langue (réformes sur l’orthographe), mais ceci doit être fait peu à peu et selon de nouvelles conventions et non arbitrairement par n’importe qui. Bon, je n’irai pas plus loin sur le plan de la « théorie », je laisse cela aux spécialistes… La réforme a dépassé les besoins et les deux orthographes subsistent, l’ancienne et la nouvelle, semant le trouble dans l’esprit de tous. (à propos des conversations écrites sur le web) Ce maniement de la langue française, en plus d’être particulièrement incompréhensible, est selon moi une insulte à notre Belle Langue Française 1° La réforme Un premier point : pourquoi ne pas avoir publié la réforme elle-même et des critiques de spécialistes (n’en déplaise à certains, nous espérons faire de vous des spécialistes de la littérature et de la langue). Pourquoi n’être pas parti du texte réel mais d’idées reçues ? Rappelons quand même que les rectifications ont été décidées par une commission de spécialistes, qu’elles sont recommandées par le Conseil supérieur de la langue mais qu’elles ne sont pas obligatoires. En définitive, les réformes sont minimes, elles sont loin de promouvoir l’orthographe phonétique comme le prétendent ses détracteurs, et elles conservent des exceptions, donc des règles strictes qui 8 • L’escume des nuits Novembre 2004 (Aitchison 1991) J’ai lu avec grand intérêt votre dossier sur l’orthographe. C’est très stimulant d’avoir sur cette question non seulement l’avis des collègues littéraires mais également les positions diverses des étudiants. J’avais envie de réagir de façon un peu éparse, mais directement axée sur votre dossier : essayer d’apporter quelques esquisses de réponses à vos questions, quelques balises pour la réflexion, quelques remises en cause et quelques recadrages aussi… Je partirai donc d’extraits des articles parus dans l’Escume des nuits précédent ; je ne répondrai pas toujours en mon nom mais en citant des spécialistes en la matière qui sont, à mon sens, trop peu écoutés… je laisse des pistes de lecture à ceux qui veulent poursuivre la réflexion. Encore l’orthographe ? Décidément cette rédaction manque singulièrement d’inspiration ! Détrompez-vous, le débat central vous attend sur les pages suivantes ! Ceci est un prolongement des plus intéressants du débat d’octobre. En effet, dans notre empressement à boucler le numéro précédent, nous avons oublié de demander l’avis de la linguiste Laurence Rosier. Petit oubli, que nous avons réparé en lui offrant un légitime droit de réponse qui, vous le découvrirez, ne manque pas d’intérêt. empêchent la polygraphie. Conservateurs, respirez, la révolution n’est pas pour demain. L’orthographe ne se résume pas à une question linguistique mais représente un enjeu social et politique, par l’émancipation que le changement d’une norme trop rigide représente. Notons enfin que le français n’a pas le monopole des problèmes d’orthographe : dans un collectif publié en 2003 sous la direction d’un des spécialistes de l’orthographe et de son apprentissage, Jean-Pierre Jaffré (en bibliographie), on voit que toutes les langues sont plus ou moins dans la même situation que le français, qu’il s’agisse du portugais, de l’anglais, du persan, du japonais et que des réformes, en fonction des problèmes spécifiques posés par chaque langue, sont aussi proposées (qui suscitent autant de débats)….. 2° Le discours puriste Qu’est-ce qu’un puriste ? Le puriste est celui qui défend la langue, envers et contre tout — et surtout contre elle-même ! — en tenant un discours de la déploration, de la décadence, de la perte, type « je ne suis pas puriste mais, de mon temps, on connaissait ces règles d’accord du participe passé ! », « Les jeunes ne savent plus écrire de nos jours », « Ne touchons pas à l’orthographe de la belle langue française », etc. Bref, le puriste promeut un discours catastrophiste, que les spécialistes ne cessent de relativiser, voire de contredire. Un exemple parmi d’autres, concernant le fait qu’actuellement on ferait plus de fautes qu’ « avant ». Comme le rappelle encore Jean-Pierre Jaffré : dès les débuts de l’enseignement obligatoire,
les problèmes de l’orthographe se sont posés. Dès 1901, un arrêté de tolérance orthographique avait été mis en place et est resté lettre morte. René Haby a tenté de le remettre en selle en 1976 sans plus de succès…L’impression que les élèves écrivent moins bien tient au fait que jusqu’aux années soixante, les élèves étaient véritablement drillés à l’exercice de la dictée. On oublie cependant de dire que ceux qui quittaient l’école après le certificat d’études perdaient rapidement ce savoir-faire, sans entrainement intensif. Si chaque usager peut considérer qu’il connait sa langue, qu’il peut donc produire un discours sur cette langue (ce qui donne une très intéressante linguistique populaire) cela devient problématique s’il s’exprime au mépris du discours savant. Dès lors (faisons un peu d’analyse du discours !), une personnalité médiatique peut également se passer de toute référence nominative de spécialistes de la langue, voire refuser et dénigrer ce discours-là, et s’appuyer sur sa conviction comme l’illustre l’exemple suivant sous la plume de Bernard Pivot : Ma conviction est que, si on veut aider les nouvelles générations et les étrangers à mieux maîtriser l’écriture des mots français, sans pour autant tomber dans une simplification phonétique et bêtasse, il faut établir une relation logique entre le contenu du mot et son orthographe. À mot usuel, orthographe simple, à mot rare, au sens compliqué, orthographe compliquée (…) (1989 : 4-5) Pour parler de l’orthographe, la position la plus honnête ne serait-elle pas de convoquer les spécialistes de la vie de la langue (historiens, sociolinguistes) reconnus par leurs pairs ? Pivot fait bien allusion à d’autres énonciateurs dans l’argumentation qui sous-tend le segment : « si on veut aider les nouvelles générations… » (= c’est ce que nous disent ceux qui défendent la rénovation orthographique) mais les dévalue immédiatement (« sans pour autant tomber dans la simplification bêtasse », que selon Pivot ils proposent et que lui récuse). La mise en scène opérée par Pivot consiste à dénigrer des énonciateurs et à se positionner comme origine d’un point de vue incontestable (« ma conviction », « il faut », « si on veut aider », et à énoncer une pseudorègle (« à mot usuel… »). Dans toutes ces situations, il s’autorise de la posture de détenteur du savoir, à tout le moins de la sagesse. Du coup, le destinataire du message ne peut qu’acquiescer, sauf à passer pour un ignare. La parole des spécialistes de la langue est in- finiment réduite dans la circulation médiatique. Sollicité à l’occasion de grands événements de politique linguistique, les linguistes sont tenus de produire un discours attendu socialement, où s’entremêlent la norme, l’étymologie et l’érudition. Ainsi, lorsque le professeur Marc Wilmet condamnait les concours d’orthographe, il n’était pas spécialement relayé par la presse, inutile de vous dire pourquoi… Et quand le puriste se mêle de didactique, ça donne le retour à la bonne vieille dictée « qui a quand même fait ses preuves ! ». Pourquoi pas aussi le retour aux genoux nus sur la règle de bois et aux châtiments corporels ? Je parie qu’au « pensionnat de Chavagne » (pour ceux qui l’ignorent, émission de téléréalité reproduisant soi-disant un collège des années cinquante et où des adolescents ont accepté de suivre les cours), ils font des dictées (entre les cuillères d’huile de foie de morue et les cours de théâtre)… Ça en dirait long non pas sur les pratiques fantasmées de l’école de 1950 mais sur le lien entre espace totalitaire et dictée. 3° La polygraphie Regardons cette introduction courageuse (et minoritaire) d’un numéro de revue consacré à l’orthographe : En lisant ce numéro, on ne s’étonnera pas de quelques différences orthographiques. Certains auteurs ont en effet choisi d’utiliser l’orthographe des Rectifications de 1990 (paraitre, ambigüité, etc.)[15] ; d’autres ont au contraire préféré conserver une orthographe traditionnelle (paraître, ambiguïté). Quoi, deux orthographes coexisteraient ? En effet, c’est bien la polygraphie qui est le véritable enjeu de la réforme orthographique. Si c’est pour remplacer une orthographe par une autre, où est l’avantage ? Il faut que les deux systèmes puissent coexister et on verra sur le long terme si une forme l’emporte, par l’usage, sur l’autre. On constate actuellement la coexistence d’une variété de formes écrites : SMS, courriels, forums de discussion, etc. Tous ces échanges favorisent la communication écrite sur des bases spécifiques qui ne répondent pas aux normes académiques. Ce qui ne signifie pas qu’on va rédiger sa dissertation en langage SMS… 4° Les spécialistes de la langue savent-ils bien écrire ? Saussure avait-il une bonne orthographe, lui qui dénonçait la tyrannie de la lettre ? Je n’en sais rien ! Flaubert en tout cas malmenait la syntaxe, les usages temporels et les règles d’orthographe, ce qui lui a été suffisamment reproché en son temps (voir sur ce point l’ouvrage de Gilles Philippe en Novembre 2004 L’escume des nuits • 9
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