catalogue manuscrits en pdf - Bibliorare
catalogue manuscrits en pdf - Bibliorare
catalogue manuscrits en pdf - Bibliorare
Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
383<br />
Antoine de sAint-exupeRY<br />
Lettre sur sa rupture avec Nelly de Vogüé<br />
« … dans les circonstances graves, je<br />
donnerais priorité à ma femme, pour la seule<br />
raison qu’elle était ma femme »<br />
Lettre à une intime, vers 1943 ( ?). 3 f. in-4,<br />
papier vélin ivoire « macadam Bond ». <strong>en</strong>cre<br />
bleue. 17 ratures. conclusion manquante.<br />
L’amour protecteur, presque paternel,<br />
de saint-exupéry pour sa femme consuelo<br />
et sa liaison tumultueuse avec nelly<br />
de vogüé, r<strong>en</strong>contrée chez Louise de vilmorin<br />
<strong>en</strong> 1929, sont bi<strong>en</strong> connus des lecteurs<br />
d’antoine de saint-exupéry. Les <strong>manuscrits</strong><br />
témoignant de son amour irremplaçable pour<br />
consuelo et des raisons de son détachem<strong>en</strong>t<br />
s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>tal de nelly sont rares. cette<br />
lettre très intime éclaire avec justice un<br />
antoine de saint-exupéry s<strong>en</strong>sible, vibrant,<br />
voulant rester proche de son épouse, épuisé<br />
par le tempéram<strong>en</strong>t orageux de nelly.<br />
L’amour et la guerre : les deux thématiques<br />
fondam<strong>en</strong>tales de saint-exupéry sont abordées<br />
dans ce manuscrit. ses explications subiss<strong>en</strong>t<br />
l’influ<strong>en</strong>ce de l’état désastreux de la France<br />
humiliée, blessée, vaincue… comme sa<br />
relation avec nelly. elle voulait de saintexupéry<br />
plus qu’il ne pouvait lui donner et,<br />
comme plus ri<strong>en</strong> ne le ret<strong>en</strong>ait à nelly, il est<br />
rev<strong>en</strong>u définitivem<strong>en</strong>t à son épouse.<br />
« …contribué à r<strong>en</strong>dre plus rigide le dilemme<br />
qui nous déchire. J’estime que vous aviez<br />
raison. Vous ne pouvez pas compr<strong>en</strong>dre<br />
que j’ai raison aussi et je ne prét<strong>en</strong>ds point<br />
transporter des problèmes humains, dans leur<br />
d<strong>en</strong>sité, sur quelques pages de papier à lettre.<br />
Il serait de mauvais goût. […] Voilà trois<br />
ans qu’il est résolu. Nelly peut vous montrer<br />
dans la persécution de quiconque souffre<br />
quelques témoignages de doutes d’hésitations<br />
dues à des lassitudes, des désespoirs, ou des<br />
dégoûts, il reste qu’ils ne pès<strong>en</strong>t ri<strong>en</strong> auprès<br />
des témoignages contraires, des positions c<strong>en</strong>t<br />
fois réaffirmées, écrites, démontrées, exposées.<br />
Informez-vous auprès de ma mère ou auprès<br />
d’Yvonne [de Lestrange] Mises à part quelques<br />
défaillances exclusivem<strong>en</strong>t dues à une lâcheté<br />
devant l’angoisse que me cause la souffrance<br />
d’autrui […] je n’ai jamais varié. Et je ne<br />
varierai jamais. […] Voilà trois ans que j’ai<br />
reçu vers deux heures du matin une visite<br />
de N. qui v<strong>en</strong>ait me faire définitivem<strong>en</strong>t<br />
ses adieux, rompant avec moi pour<br />
toujours, parce qu’elle avait reçu de moi un<br />
pneumatique où, pour éviter les mal<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dus<br />
éternellem<strong>en</strong>t r<strong>en</strong>aissants, je lui disais que,<br />
dans des circonstances graves, je donnerais<br />
priorité à ma femme, pour la seule raison<br />
qu’elle était ma femme – et cela quels que<br />
fuss<strong>en</strong>t ses torts. […]. Je ne me suis pas<br />
préoccupé de connaître, pour demander<br />
à faire la guerre là où je p<strong>en</strong>sais [qu']elle<br />
était la plus dangereuse, si un pays avait<br />
tort ou raison […] Je précise que lorsque<br />
ma femme a des torts ses torts sont d’abord<br />
les mi<strong>en</strong>s. Je n’avais qu’à la mieux former. Et<br />
c’est pourquoi j’accepte parfaitem<strong>en</strong>t que vous<br />
me reprochiez t<strong>en</strong>iez rigueur à cause de ma<br />
femme. [ …] Dans ce pays où tous les français<br />
se désolidaris<strong>en</strong>t de leur pays parce que leur<br />
pays, ses actes, ses discours, les humili<strong>en</strong>t,<br />
je n’appr<strong>en</strong>drai point, par dégoût d’eux,<br />
à changer. La défaite est de chacun. La défaite<br />
est humiliante. Je n’y puis ri<strong>en</strong>. Je suis<br />
d’un pays vaincu et je ne cracherai pas sur<br />
lui pour me décharger à peu de frais de ma<br />
part d’humiliation. Il est tout à fait naturel,<br />
acceptable et sain que l’on m’injurie de ne<br />
point cracher. J’estime naturel que vous<br />
m’adressiez quelques reproches que ce soit<br />
à cause de ma femme. »<br />
« Mais dans le même temps je ne<br />
l’abandonnerai pas et […] je ne pourrais<br />
pas la laisser, je n’ai jamais varié et, depuis<br />
trois ans j’ai vu peu à peu s’approcher<br />
l’heure où des m<strong>en</strong>aces de séparation se<br />
changerai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> mise <strong>en</strong> demeure véritable.<br />
Nelly sait depuis toujours mon attitude pour<br />
ce jour-là. Cette attitude n’a point de li<strong>en</strong><br />
avec ne tire point son origine de la variation<br />
de l’aurore. Elle était la même dès la première<br />
heure. […]. De quel droit supplierais-je ?<br />
Et comme l’on me quitte. Une telle décision<br />
sur un monum<strong>en</strong>t de reproches le climat<br />
n’est pas aux phrases t<strong>en</strong>ues. A quoi sert<br />
d’habiller de gloire la cruauté s’il est vrai<br />
que je suis cruel. Enfin je ne vous cacherai<br />
pas que l’atmosphère de drame perman<strong>en</strong>t,<br />
de reproches perman<strong>en</strong>ts, de culpabilité<br />
perman<strong>en</strong>te dans lequel on me contraint<br />
de vivre depuis trois ans m’ont lassé sur<br />
l’amour. […] Chaque fois que je suis t<strong>en</strong>dre<br />
me montre t<strong>en</strong>dre ce sont des gages que je<br />
donne j’accuse. Des reproches, si ce n’est pire,<br />
que je prépare j’autorise pour le l<strong>en</strong>demain.<br />
Je ne vois pas ce qui justifie que le don de ma<br />
t<strong>en</strong>dresse, ou de ma prés<strong>en</strong>ce, ou quoi que<br />
ce soit de ma vie, se transforme avec un<br />
automatisme aussi perman<strong>en</strong>t <strong>en</strong> culpabilité.<br />
Plus je suis t<strong>en</strong>dre plus me voilà perdu. Je<br />
ne compr<strong>en</strong>ds certes ri<strong>en</strong> à l’amour. […] Ce<br />
n’est pas moi qui quitte Nelly, mais elle qui<br />
me quitte. Vous me reprochez de laisser faire.<br />
Comme dans le même temps vous la confirmez<br />
dans ses dilemmes votre lettre ne pr<strong>en</strong>d<br />
ainsi que le s<strong>en</strong>s d’une confirmation de mise<br />
<strong>en</strong> demeure. Je n’ai ri<strong>en</strong> à répondre, n’ayant<br />
jamais varié. »<br />
Joint :<br />
- BROUILLON de L.A. [à Nelly de Vogüé ?].<br />
s.d. 1 f. in-4. Papier pelure jaune bouton d’or.<br />
<strong>en</strong>cre noire.<br />
Brouillon de lettre, écrit d’un seul jet, une<br />
100 Livres et <strong>manuscrits</strong> (Partie ii) — 16 mai 2012. Paris<br />
seule rature. il passe de l’amour à l’universel,<br />
de l’amour à la domination, du jeu à l’injure.<br />
il analyse avec limpidité sa relation avec elle :<br />
elle ordonne, dirige, exige… Leur histoire est<br />
guerrière, trouble, accid<strong>en</strong>tée, …<br />
« Les rapports ne sont jamais des rapports que<br />
tu découvres mais que tu fondes. Et de cette<br />
découverte tu ne peux ri<strong>en</strong> déduire car ce n’est<br />
point une découverte mais une création. Ce<br />
que tu peux faire c’est les <strong>en</strong>richir – et ainsi<br />
ordonner le monde.[…] Tu exiges, pour être<br />
heureuse que je sois bi<strong>en</strong> moins grand que<br />
moi-même. Car selon toi, <strong>en</strong> agissant ainsi<br />
[…] et <strong>en</strong> écartant nos litiges, j’<strong>en</strong> couvrirai<br />
[plus] d’un feuillage plus lourd. Mais l’étape<br />
est une fausse image et c’est prés<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t<br />
que je dois couvrir le plus possible, sous<br />
la forme où ça se propose, car c’est cela qui<br />
est couvrir […] Et moi je puis te répondre. Ce<br />
n’est pas ça l’amour. [… ] Ce que je n’admets<br />
point c’est ce ton. Et ce « tu bafoues » car je<br />
n’ai d’abord et surtout jamais ri<strong>en</strong> bafoué.<br />
Je vais chercher mon mal là où il est. Mais<br />
ce n’est une injure que dans la mesure où ce<br />
jeu de l’injure tu l’imposes <strong>en</strong> le jouant. Je<br />
n’admets pas que mes besoins puiss<strong>en</strong>t t’être<br />
une injure. »<br />
12 000 – 15 000 €