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La boîte noire

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Des amants qui décident de se débarrasser d'un encomb rant mari et qui, d'emblée, pass en t à l'ac tion, on<br />

en rencontre tous les jour s, dans les romans et dans les films. Enfin, dans certains romans, dans certain s<br />

films. Mais, dans la réalité, n'importe qui ne se transforme pas aussi facilement en criminel. Thierry<br />

'<br />

en faisait la douloureuse expérience. Et il était bien sûr qu Yvonne, de son côté...<br />

Mais non, justement, il n'en était pas<br />

aussi sûr. Les choses, autrement,<br />

eussent été toutes simples. II lui<br />

aurait dit: «J'ai longuement réfléchi,<br />

ma chérie; nous ne pouvons commettre<br />

un acte aussi abominable. Jamais plus<br />

nous n'oserions nous regarder en face,<br />

le remords pourrirai t notre amour.» Et<br />

Yvonne aurait répondu: «Tu as raison.<br />

Moi aussi, j'ai beaucoup réfléchi.<br />

Notre projet était insensé. Continuons<br />

comme par le passé... D'autan t plus<br />

que Philippe n'est pas tellement<br />

gênant !... »<br />

Non. II n'était nullement certain<br />

qu'Yvonne ne s'écrierait pas, au<br />

contraire, avec ces lèvres dures, ce<br />

petit air buté qu'il connaissait si<br />

bien: «Je l'avais prévu ! Quand il<br />

s'agit de dresser des plans, tu e s<br />

t oujours le premier. Les paroles ne te<br />

font pas peur. Mais dès que tu es au<br />

pied du mu r...<br />

Tu ne te rends donc pas<br />

compte que si tu m'aimais vraiment... »<br />

De telles paroles seraient injustes.<br />

Thierry aimait vraiment Yvonne. Mais<br />

en pareil cas, «vraiment» a-t-il jamais<br />

signifié qu'un homme doit aller<br />

jusqu'au crime ?...<br />

Alternative redoutable ! Ainsi,<br />

Thierry n'avait le choix qu'entre le<br />

geste horrible et un refus que<br />

ressentirait comme un outrage une<br />

maîtresse à jamais déçue.<br />

Il avait, depuis un moment, ralenti<br />

sa marche; ce fut d'un pas de<br />

convalescent qu'il atteignit la villa<br />

des Delaure. L'index sur la sonnette, il<br />

attendit longtemps avant d'appuyer.<br />

Yvonne s'effondra dans ses bras.<br />

- Thierry ! ... si tu savais... Philippe...<br />

Philippe...<br />

- Eh bien, quoi, Philippe ? Tu me fais<br />

peur.<br />

L'émotion étranglait Yvonne<br />

- Mais réponds donc. Philippe n'est<br />

pas... ?<br />

Non. Philippe Delaure n'était pas mort.<br />

Mais il n'en valait guère mieux Une<br />

crise cardiaque, alors qu'il prenait son<br />

bain...<br />

- J'ai appelé Rodilleau ... Infarctus...<br />

Il lui a fait deux piqûres... il repassera<br />

dans la journée... Mais il n'a aucun<br />

espoir... selon lui, c'est une question<br />

d'heur es... Philippe n'est même pas<br />

transportable...<br />

Thierry dut s'appuyer au mur tant ses<br />

jambes tremblaient. Un infarctus...<br />

une question d'heures... <strong>La</strong> solution<br />

inespérée, miraculeuse ! II cherchait<br />

quelque chose à exprimer, ne trouvait<br />

rien. Toute parole de compassion<br />

n'eût-elle pas paru d'une monstrueuse


Texte : <strong>La</strong> <strong>boîte</strong> <strong>noire</strong> Boileau – Narcejac<br />

hypocrisie ? Toute parole de<br />

satisfaction, d'un écœurant cynisme ?<br />

Il s'enferma dans un silence que la<br />

jeune femme pouvait interpréter à sa<br />

guise. Elle reprit d'ailleurs aussitôt :<br />

- Tu veux... le voi r ?<br />

- Bien sûr, fit-il.<br />

<strong>La</strong> respiration rauque et syncopée de<br />

Philippe emplissait la chambre. Le<br />

moribond avait les yeux clos, les mains<br />

curieusement nouées sur la poitrine;<br />

ses joues blêmes, creusées, étaient<br />

parcourues d'un frémissement<br />

incessant. Thierry s'avança, le front<br />

bas, comme un coupable, s'arrêta au<br />

pied du lit, posa les doigts sur le<br />

montant de bois ; il sentait ses<br />

paupières se gonfler. Pauvre Philippe,<br />

si confiant, si discret, si crédule !...<br />

Thierry devait se rendre à<br />

l'évidence. Jamais il n'aurait eu le<br />

courage... Et voici que Philippe allait<br />

disparaître, à l'instant le plus<br />

opportun. Thierry n'aurait à redouter<br />

ni le mépris d'Yvonne ni le remords<br />

déchirant de son crime.<br />

Non, certes, pas le remords de son<br />

crime. Mais... celui de sa trahison ?<br />

Thierry connaissait Philippe depuis<br />

trente ans, depuis la communale; il<br />

avait été témoin à son mariage.<br />

Curieux ! Ce jour-là, Yvonne lui avait<br />

paru plutôt insignifiante. Jolie, sans<br />

doute, mais rien de plus. Si on lui avait<br />

alors prédit qu'elle deviendrait la<br />

femme de sa vie... Thierry se rappelait<br />

toutes les ruses qu'ils avaient dû<br />

imaginer, leurs précautions, leurs<br />

mensonges, leurs angoisses, aussi, les<br />

rares fois où quelque inoffensive<br />

question de Philippe leur avait, un<br />

moment, fait redouter le pire. Il<br />

revoyait cet affreux matin où Yvonne<br />

s'était précipitée chez lui, affolée.<br />

«Il sait... Je suis certaine qu'il a<br />

découvert...» Comme ils riaient,<br />

ensuite, de leurs folles alarmes !<br />

Brave Philippe ! Ne suffisait-il pas,<br />

pour se rassurer, de contempler son<br />

doux visage d'honnête homme, son<br />

regard candide et comme constamment<br />

étonné. « Mon gros chien », disait de lui<br />

Yvonne.<br />

Thierry passa lentement la main sur<br />

son front «Mon pauvre Philippe, je<br />

t'ai trahi; j'ai abusé de ta confiance,<br />

de ta générosité, et, maintenant, je<br />

m'apprête à prendre définitivement ta<br />

place. »<br />

Il se sentait plein de honte, de<br />

dégoût. Des mots de repentir lui<br />

venaient aux lèvres qu'il eût peut-être<br />

prononcés s'il ne se fût tout à coup<br />

rappelé qu'Yvonne se trouvait, elle<br />

aussi, dans la chambre. Il se tourna à<br />

demi. Son regard rencontra celui de la<br />

jeune femme. Elle avait deux sillons<br />

luisants sur les joues, et il comprit que<br />

les pensées d'Yvonne avaient suivi<br />

exactement la même pente que les<br />

siennes. Ils eurent un sourire ému...<br />

On sonna. Yvonne quitta la pièce. Ce fut<br />

peu après que Philippe ouvrit les yeux<br />

Des yeux troubles, qui mirent<br />

longtemps à s'éclaircir, puis errèrent<br />

d'un meuble à l'autre, se fixèrent enfin<br />

sur Thierry. Quelque chose, qui était<br />

comme un peu de joie, passa alors sur le<br />

visage cireux<br />

- Oh ! Thierry, tu es là !<br />

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Texte : <strong>La</strong> <strong>boîte</strong> <strong>noire</strong> Boileau – Narcejac<br />

Thierry se pencha, posa la main sur<br />

les mains toujours unies du<br />

moribond. Il n'arrivait plus à<br />

contenir ses larmes.<br />

- Philippe, mon vieux Philippe.<br />

Philippe eut une petite moue triste.<br />

- Je crois .., que je suis fichu... Non, ne<br />

m'interromps pas... j'ai déjà si peu de<br />

forces... Approche-toi... Là... Où est<br />

Yvonne ?<br />

- Elle reçoit quelqu'un. Veux-tu que<br />

je... ?<br />

- Non... Au contraire... écoute-moi...<br />

Vois-tu, Thierry, je n'ai pas<br />

toujours été le mari irréprochable<br />

que je paraissais... Une aventure<br />

maintenant terminée... une bêtise... je<br />

n'ai pas le temps de te donner des<br />

détails... Bref, j'ai conservé des<br />

photos, des lettres... des fleurs<br />

séchées... tu sais combien je suis<br />

sensible... Tout cela est enfermé<br />

dans un petit coffret noir...<br />

Épuisé, Philippe dut se taire. Ses traits<br />

étaient si totalement immobiles, sa<br />

respiration si faible, que Thierry crut<br />

un instant que tout était fini. Il<br />

entendait, dans la cuisine, la voix<br />

d’Yvonne, et il reconnut la voix d'une<br />

voisine.<br />

- Un coffret noir, reprit Philippe. Dans<br />

le dernier tiroir de mon bureau... Tu le<br />

prendras... Si, par miracle, je m'en<br />

tire... tu me le rapporteras... Mais s'il<br />

m'arrive malheur.., tu le brûleras... Il<br />

ne faut pas qu'Yvonne le découvre,<br />

tu comprends ? Il faut que jamais<br />

elle n'apprenne...<br />

Thierry suffoquait de tendresse, de<br />

pitié, de gratitude. <strong>La</strong> stupéfiante,<br />

l'incroyable révélation ne levait-elle<br />

pas, d'un coup, ses derniers regrets, ses<br />

derniers scrupules ? Philippe avait<br />

trompé Yvonne, et sans doute avec une<br />

de ses plus proches amies. Autrement<br />

dit, la jeune femme n'avait fait que lui<br />

rendre la pareille. Peu importe lequel<br />

des deux époux avait commencé ;<br />

Thierry ne se sentait plus coupable. <strong>La</strong><br />

trahison de Philippe l'absolvait.<br />

L'angoisse affermit brusquement la<br />

voix du mourant.<br />

- Promets-moi, Thierry... Où es-tu ?<br />

Thierry pressa les mains glacées.<br />

- Je suis là, Philippe. Je te promets...<br />

Tout ce que tu m'as demandé... Mais je<br />

suis sûr que je te rapporterai ce<br />

coffret... Tu verras.<br />

Philippe remua légèrement la tête, l'air<br />

subitement apaisé, presque heureux.<br />

- Merci, mon vieux... Maintenant, en ce<br />

qui concerne Yvonne, je voudrais que<br />

tu...<br />

Thierry ne devait jamais connaître la<br />

suite. Le pas d'Yvonne résonnait dans<br />

le vestibule, et la jeune femme ne<br />

quitta plus la chambre. Philippe mourut<br />

durant l'heure qui suivit.<br />

Thierry n'eut aucun mal à trouver<br />

le coffret, une <strong>boîte</strong> d'ébène, avec<br />

de discrètes ciselures et une<br />

serrure ouvragée. Il réussit à le<br />

glisser dans la poche de son<br />

pardessus. Yvonne téléphonait à ses<br />

sœurs. « J'ai une terrible nouvelle à<br />

vous annoncer... ».<br />

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Texte : <strong>La</strong> <strong>boîte</strong> <strong>noire</strong> Boileau – Narcejac<br />

<strong>La</strong> famille n'allait pas tarder. <strong>La</strong><br />

prudence, la décence exigeaient que<br />

Thierry se retirât. Il n'osa pas<br />

embrasser Yvonne dans la chambre.<br />

Il l'attira dans le vestibule, lui effleura<br />

les joues du bout des lèvres, comme<br />

un cousin timide.<br />

Il gagna directement le modeste<br />

pavillon qu'il avait loué, dès le début de<br />

sa liaison, à moins d'un kilomètre de la<br />

villa des Delaure. Tout de suite, il<br />

descendit au sous-sol, retira non<br />

sans peine le coffret de sa poche.<br />

Oui, il respecterait les volontés<br />

dernières de son ami. Yvonne ignorerait<br />

toujours...<br />

Il ouvrit la porte de la chaudière,<br />

regarda un instant le reflet roux<br />

Questionnaire :<br />

des flammes danser sur l'ébène,<br />

lança la <strong>boîte</strong>. De sa vie, il ne s'était<br />

senti l'âme aussi légère. Avec les<br />

photos, les lettres, les fleurs séchées,<br />

s'évanouissait le souvenir de sa propre<br />

conduite, à lui, Thierry. Son geste<br />

effaçait le passé; l'avenir s'ouvrait,<br />

lavé de toute souillure. L'explosion<br />

s'entendit à une lieue à la ronde et<br />

des vitres tombèrent un peu<br />

partout. Il fallut deux jours aux<br />

pompiers pour dégager le corps de<br />

Thierry, enseveli sous plusieurs mètres<br />

cubes de décombres.<br />

Bien entendu, les enquêteurs<br />

établirent facilement la nature de<br />

l'attentat. Par contre, nul n'en<br />

comprit jamais les mobiles. Yvonne<br />

pas plus que les autres.<br />

BOILEAU NARCEJAC in Manigances © Denoë1, 1971<br />

1. Quels sont les trois personnages principaux de ce récit ?<br />

……………………………… ……………………………… ………………………………<br />

2. Au début du récit, le personnage principal est inquiet : pourquoi? :<br />

Il a peur de la réaction de son amante<br />

Il a perdu un objet précieux<br />

Il craint que son ami le dénonce<br />

Il vient de commettre un meurtre<br />

3. Pour quelles raisons envisage-t-il de tuer Philippe ?<br />

Parce qu’il s’inquiète de le voir souffrir<br />

Parce que son amante lui a demandé<br />

Parce qu’il veut s’en débarrasser<br />

Parce que Philippe le fait chanter<br />

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Texte : <strong>La</strong> <strong>boîte</strong> <strong>noire</strong> Boileau – Narcejac<br />

4. Lorsqu’il atteignit la villa des Delaure une grande surprise attendait<br />

Thierry<br />

Philippe était mort<br />

Philippe avait été tué par Yvonne<br />

Philippe était mourant<br />

Philippe avait disparu<br />

5. Philippe a été victime d’une crise cardiaque ?<br />

dans son jardin<br />

dans on bain<br />

dans la rue<br />

au travail<br />

6. D'après le contexte, quelle est la définition des expressions suivantes ?<br />

Une alternative option entre deux possibilités.<br />

solution proposée lors d'un choix.<br />

une idée folle.<br />

Convalescent(e) qui revient progressivement à un état de bonne santé.<br />

décédé récemment<br />

qui a une peur panique de la maladie.<br />

<strong>La</strong> compassion sentiment qui pousse à partager les malheurs des autres.<br />

une salle d’attente.<br />

une faveur inespérée.<br />

Le cynisme défi à la morale ou aux conventions sociales.<br />

un désaccord.<br />

une mauvaise alliance.<br />

<strong>La</strong> gratitude sentiment affectueux et amical.<br />

reconnaissance de bienfaits reçus ou de services rendus.<br />

passage sans issue.<br />

7. Invente une phrase pour chacun de ces 5 mots recherchés : (minimum 12 mots<br />

par phrase)<br />

___________________________________________________________________________<br />

___________________________________________________________________________<br />

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Texte : <strong>La</strong> <strong>boîte</strong> <strong>noire</strong> Boileau – Narcejac<br />

8. Comment l'auteur s'y prend-il pour faire en sorte que le lecteur soit surpris à<br />

la fin du récit ?<br />

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9. Invente sur la forme d’un dialogue une suite possible cette histoire (20<br />

répliques minimum !)<br />

Allons l plus loin !<br />

« Les paroles ne te font pas peur. Mais dès que tu es au pied du mur... » Que<br />

veut dire Philippe par cette pensée ?<br />

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Toute parole de compassion n'eût-elle pas paru d'une monstrueuse hypocrisie ?<br />

Explique cette réflexion.<br />

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Yvonne s'était précipitée chez lui, affolée. «Il sait... Je suis certaine qu'il a<br />

découvert...»… De quoi Yvonne veut-elle parler ?<br />

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Il ne faut pas qu'Yvonne le découvre, tu comprends ? Il faut que jamais ele l<br />

n'apprenne... Quelle mission le mourant veut-il confier à Thierry ?<br />

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Par contre, nul n'en comprit jamais les mobiles. Yvonne pas plus que les autres.<br />

Explique pourquoi !<br />

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