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ANALYSES : NEUF REMARQUES SUR LES TROIS FOUS (SUITE ET FIN)<br />
Il est en outre contaminé par la folie <strong>de</strong>s trois : dialoguant peu avec Huhu, davantage avec le fellah, puis<br />
polémiquant avec Hussein par stichomythies et s'i<strong>de</strong>ntifiant quasiment à lui (je suis un livre). Il est ici<br />
enfermé avec les fous, et sombre à la fin dans l'égarement.<br />
7. Le génie d'Ibsen est d'avoir fait aussi <strong>de</strong> ces trois cas <strong>de</strong>s figures politiques repérables, historiques :<br />
Huhu représente le rêve d'une langue populaire primitive, caricaturant la prétention <strong>de</strong>s tenants du<br />
Nynorsk à revenir au vieux norvégien antérieur à la domination danoise. (Voir La Norvège et ses<br />
langues). Le fellah est le rêve d'un passé glorieux dont il est le déchet, l'excrément d'Apis : sont visés<br />
par là les Suédois, qui n'ont que leur roi Charles XII à la bouche, mais aussi les Norvégiens, qui ont la<br />
nostalgie mais non la valeur <strong>de</strong>s vieux Vikings. Hussein, enfin, représente la diplomatie d'un État<br />
mo<strong>de</strong>rne et sa bureaucratie, car le Man<strong>de</strong>rstrôm en question croyait tout régler par ses notes diplomatiques.<br />
Comme si, mutatis mutandis, un dramaturge mo<strong>de</strong>rne visait respectivement le retour écologique<br />
à la nature (ou linguistique à certaines langues effacées), les pays pauvres dont la dictature s'appuie sur<br />
un passé glorieux (l'Iran du Shah), les bureaucraties sanglantes (l'URSS) dont cette plume est le<br />
symbole.<br />
8. Le mon<strong>de</strong> asilaire dont Begriffenfeldt est le fou suprême -le Mabuse qui a déréglé à 11 heures l'horloge<br />
<strong>de</strong> la raison- c’est le mon<strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rne lui-même, puisque les fous y sont les normaux. Comme si<br />
c’était le mon<strong>de</strong> où le maître-penseur décidait du sens <strong>de</strong>s mots et <strong>de</strong> l'essence <strong>de</strong> la raison et <strong>de</strong> la folie,<br />
le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la psychiatrisation ou <strong>de</strong> la médicalisation généralisées. La fin atroce <strong>de</strong> l'acte IV dans l'asile<br />
fermé est le triomphe <strong>de</strong> la folie sanglante aux mains <strong>de</strong> l’homme médiocre, du <strong>de</strong>rnier commentateur.<br />
9. Si l'on remarque enfin que l’Empereur du mon<strong>de</strong> psychiatrique est aussi celui <strong>de</strong>s Commentateurs (IV,<br />
12 fin) et que le mon<strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rne a sombré dans le bavardage et le pourparler, comme l'indiquent dans<br />
l'acte IV l'allusion aux journaux (scène du Roi <strong>de</strong>s Trolls) et la référence, si fréquente chez Ibsen, à la<br />
photographie (scène du prêtre maigre), on aura achevé le portrait <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong> par ce que Mallarmé<br />
appelait l'universel reportage.<br />
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François REGNAULT