Les minorités visibles au sein de la profession d'avocat - Barreau du ...

Les minorités visibles au sein de la profession d’avocat
Colloque Pour une véritable intégration : Droit au travail sans discrimination
Introduction
Par Me Fanie Pelletier, conseillère à l’équité du Barreau du Québec*
Le titre et le contexte du colloque Pour une véritable intégration : Droit au travail sans
discrimination ne saurait se limiter à la situation des personnes immigrantes. D’ailleurs,
comme certains l’ont fait remarquer avec justesse, à partir de quand, de quelle génération
n’est-on plus « immigrant »?
Le Barreau est sensible à la situation particulière des avocats formés à l’étranger, ceux et
celles qui pratiquaient le droit dans leur pays d’origine et qui souhaitent continuer à
exercer leur profession au Québec. Plusieurs travaux sont en cours sur ce sujet et le
Barreau a déjà commencé à délivrer des permis spéciaux pour permettre à un avocat
d’exercer sa profession dans un contexte précis en attendant d’obtenir son permis
régulier.
Au-delà de cette problématique particulière, le présent texte s’intéresse de façon plus
large à la situation des avocats issus de « minorités visibles » dans leur ensemble,
indépendamment de leur lieu de naissance, de leur statut, ou de leur parcours
académique. Certains ont peut-être suivi le parcours de reconnaissances des équivalences
ou diplômes étrangers, d’autres — la grande majorité — ont suivi le parcours traditionnel
d’accès à la profession (études au Québec).

Dans un premier temps, nous présentons un portrait des avocats issus des minorités
visibles au Québec.
Par la suite, nous tentons d’analyser les différentes formes de discrimination systémique
qui s’exerce tant lors de l’accès à la profession qu’une fois devenu avocat.
Enfin, nous présentons les pistes de solutions mises de l’avant par le Barreau du Québec
sur la base du rôle que ce dernier est appelé à jouer en sa qualité d’ordre professionnel
qui régit l’accès et le contrôle de la profession d’avocat.
Mise en contexte
En 2008, pour la première fois de son histoire, le Barreau du Québec a recueilli des
données sur l’origine ethnique ou nationale de ses 22 575 1 membres.
Par le biais de son formulaire obligatoire d’inscription annuelle, le Barreau a inclus une
rubrique « Données démographiques » comprenant une question facultative d’auto-
identification à un groupe de « minorités visibles », ce terme ayant été retenu dans le but
* Le Barreau du Québec est l’ordre professionnel des avocats dont la mission principale est la protection du
public par le contrôle de l’accès et de la pratique de la profession. Ce texte est basé sur l’allocution de Me
Fanie Pelletier présentée dans le cadre du colloque Pour une véritable intégration : Droit au travail sans
discrimination le 14 novembre 2008 au Centre Sheraton à Montréal. Le texte a préséance sur l’allocution
prononcée.
1 Nombre de membres du Barreau du Québec au 31 mars 2008. Les termes « membre du Barreau » et
« avocat » seront utilisés indistinctement.
2

de pouvoir comparer les données avec d’autres sources, telles les données du
Recensement de Statistiques Canada. 2
Le libellé de ces questions et les groupes listés s’inspiraient en partie du questionnaire
fourni par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse dans le
cadre de l’application de la Loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans les organismes
publics L.R.Q., chapitre A-2.01. Des membres ont formulé des commentaires à l’effet
que les groupes listés sont quelque peu disparates (parfois basé sur la couleur de la peau,
la nationalité ou une partie du monde, etc.) Or, précisons que les groupes tels que listés
sont tirés textuellement de Statistiques Canada.
La question relative à l’auto-identification au concept de « minorité visible » se lisait
comme suit :
« Pour les fins du questionnaire, les membres de minorités visibles sont des personnes, autres
que les Autochtones, qui ne sont pas de race ou de couleur blanche, indépendamment du lieu de
naissance ou de la citoyenneté.
Minorités visibles
Si vous vous considérez comme un membre des minorités visibles, à quel groupe vous identifiez-
vous?
Noirs
Chinois
Coréens
2 Soulignons toutefois que dans d’autres occasions, le Barreau du Québec s’est prononcé en faveur de
l’utilisation du terme et du concept de « personne racialisée ». Le texte se référera à ces deux notions selon
le contexte.
3

Japonais
Philippins
Autres personnes originaires des îles du Pacifique
Asiatiques du Sud (Bengalis, Tamouls, Indiens de l’Inde…)
Asiatiques du Sud-Est (Vietnamiens, Laotiens, Cambodgiens, Thaïlandais…)
Asiatiques de l’Ouest, Nord-Africains ou Arabes (Arméniens, Iraniens, Libanais, Marocains,
Égyptiens, Turcs…)
Latino-américains (Brésiliens, Colombiens, Cubains, Péruviens, Guatémaltèques…)
Personnes d’origine mixte (dont l’un des parents provient de l’un des groupes ci-mentionnés) »
La confidentialité des données nominatives recueillies est assurée, ce qui signifie que le
Barreau ne peut divulguer l’identité des personnes qui ont répondu ou non à ces questions
ni même des données susceptibles de les identifier. En définitive, le Barreau ne peut
utiliser ces données qu’à des fins statistiques.
1. Portrait des avocats issus des minorités visibles
751 avocats se sont identifiés « minorité visible », ce qui représente 3 % de l’ensemble
des membres du barreau. Ce pourcentage équivaut au tiers du pourcentage de gens qui
s’identifie « minorité visible » dans la population québécoise (9 %). D’emblée, il apparaît
donc que les minorités visibles sont sous-représentées dans la profession d’avocat.
Voici un aperçu comparatif de quelques caractéristiques des avocats, des avocats issus
d’une minorité visible et des minorités visibles au Québec.
4

Avocats —
Barreau du
Québec
Nombre/Pourcentage 22 575
Avocats-
minorités visibles
751
3 % des avocats
Minorités visibles –
Population du
Québec*
654 350
9 % de la population
Femmes 46 % 60 % 51 %
Âge moyen 44 ans 36 ans
Région métropolitaine 63 % 81 % 90 %
* Source : Recensement 2006 de Statistiques Canada
Le portrait de l’avocat issu d’une minorité visible semble donc être celui d’une femme,
jeune, habitant la région métropolitaine.
Il est à noter que la corrélation jeune et femme est aussi présente chez l’ensemble des
avocats où parmi les « jeunes » de 10 ans et moins de pratique, 60 % sont des femmes.
Ainsi, si les avocats de minorités visibles sont plus jeunes que la moyenne, il n’est pas
étonnant que ce groupe soit fortement féminisé, dans la même proportion par ailleurs que
l’ensemble des « jeunes » avocats.
Toutefois, ces données ne nous permettent pas de savoir pourquoi ce groupe est plus
jeune que l’ensemble des avocats, outre l’hypothèse de l’arrivée récente de certains
groupes d’immigration, hypothèse difficilement applicable à d’autres groupes qui ne sont
pas d’arrivée récente.
5

Des données qualitatives seront nécessaires pour confirmer ou infirmer cette hypothèse
et avancer d’autres explications sur ce point.
1.1 Groupes de minorités visibles
Voici les données quant aux groupes de minorités visibles tels que listées. Les données
sont présentées en comparaison avec les minorités visibles dans l’ensemble de la
population québécoise.
% — minorités visibles
parmi les avocats*
% minorités visibles —
Population du Québec**
Nord-Africains ou Arabes 27 % 19 %
Noirs 25 % 29 %
Personnes d’origine mixte 17 % S.O.
Asiatiques du Sud-Est 9 % 8 %
Latino-américains 7 % 14 %
Chinois 6 % 12 %
Autres (Asiatiques du Sud,
Coréens autres, etc.)
* Source : Barreau du Québec
9 %
**Source : Recensement 2006 de Statistiques Canada
Fait à noter : les femmes sont majoritaires à l’intérieur de chacun des groupes.
6

Ainsi, seul le groupe « Nord-Africain ou Arabe » apparaît surreprésenté au sein de la
profession d’avocat (27 % comparés à 19 % dans l’ensemble de la population) alors que
d’autres groupes sont sous-représentés (Latino-américains et Chinois). Encore une fois,
les données actuelles ne permettent pas d’offrir des explications à cette situation.
1.2 Type de pratique du droit/Milieux de travail
Une donnée particulièrement intéressante concerne le type de pratique, soit le milieu de
travail des avocats. Cet élément conditionne habituellement les domaines de droit, le
statut (salarié ou travailleur autonome) et le type de clientèle (corporative ou composée
d’individus), facteurs qui détermineront en grande partie les revenus et le statut socio-
économique de l’avocat.
Gouvernemental et
paragouvernemental
Entreprise
(salarié au sein d’une entreprise)
Grands cabinets d’avocats
(20 avocats et plus — salarié ou
Avocats — minorités
visibles*
22 %
(55 % dans l’appareil fédéral –
45 % provinciaux et
municipaux)
Avocats —
Barreau du
Québec*
24 %
13 % 9 %
11 % 13 %
7

travailleur autonome)
Petits cabinets/Pratique solo
(salarié ou travailleur autonome)
Autre
(universités, institutions, etc.)
27 % 30 %
28 % 24 %
*Ces données proviennent d’une classification personnelle de l’auteure, basée sur le statut de
l’employeur — lorsque déclaré — du membre. Les pourcentages sont arrondis et de ce fait,
les totaux peuvent excéder 100 %.
À première vue, les écarts sont relativement minimes entre les avocats de minorités
visibles et l’ensemble des membres. Toutefois, à l’intérieur des groupes de minorités
visibles, une donnée attire particulièrement l’attention : 30 % des avocats noirs travaillent
en milieu gouvernemental (comparé à 22 %) et seulement 3 % d’entre eux travaillent
pour un grand cabinet (comparé à 13 %). Leur présence dans les trois autres types de
milieux est semblable à l’ensemble des minorités visibles.
Comment expliquer ces écarts?
Pour tenter d’expliquer la sous-représentation des Noirs en grands cabinets (3 %), une
hypothèse pourrait être avancée à l’effet que ce groupe souffre ici de discrimination
8

encore plus prononcée que d’autres groupes, à l’instar de la situation générale vécue par
ce groupe sur le marché du travail et dans d’autres sphères 3 .
Quant à leur forte présence au sein du gouvernement (autant fédéral que provincial), nous
pourrions avancer l’hypothèse des programmes d’accès à l’égalité et d’équité en emploi
qui peuvent contribuer à créer des environnements moins hostiles ou plus accueillants.
Notons toutefois que les données ne précisent pas le niveau hiérarchique occupé dans
l’organisation. Or, comme nous le verrons plus loin, les minorités visibles en général sont
sous-représentés dans les postes de direction.
Ayant brossé le portrait des minorités visibles au sein de la profession d’avocat, nous
tenterons maintenant d’expliquer les manifestations de discrimination systémique.
2. La discrimination systémique dans la profession d’avocat
La discrimination systémique est par nature difficile à déceler et les éléments pour la
prouver sont de différents ordres :
« La preuve de discrimination systémique repose donc essentiellement sur un
ensemble de faits tels que des politiques institutionnelles, des processus
décisionnels, des comportements et des attitudes qui, souvent inconscients et
anodins en apparence, produisent et maintiennent, lorsque conjugués les uns
aux autres, des effets disproportionnés d'exclusion pour les membres de
groupes visés par l'interdiction de la discrimination; malgré son utilité
3 Voir entre autres le Rapport du Groupe de travail sur la pleine participation à la société québécoise des
communautés noires, ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles, 2006.
9

lorsqu'elle est disponible et pertinente, la preuve statistique n'est pas pour
autant indispensable à sa démonstration. »4
Dans le cas présent, la situation est d’autant plus complexe du fait qu’il ne s’agit pas d’un
contexte d’un milieu de travail ou de relations employeur-employé, mais bien d’un ordre
professionnel dont les membres sont susceptibles de travailler dans divers milieux de
travail (privé ou public, statut de salarié ou travailleur autonome).
Tel que démontré entre autres par la sous-représentation (3 %), nous devons constater que
la discrimination systémique existe dans la profession d’avocat au Québec. Des données
qualitatives seront par ailleurs nécessaires pour documenter davantage la situation.
Dans l’intervalle, des études sont disponibles ailleurs qu’au Québec 5 et c’est entre autres
sur cette base que nous explorerons les causes possibles de discrimination systémique
envers les avocats de minorités visibles.
2.1 L’accès à la profession : une course à obstacles?
4 Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Gaz Métropolitain inc. 2008 QCTDP
24, par. 67.
5 Voir entre autres la recension d’articles sur le sujet de la diversité raciale et ethnique dans la profession
juridique aux États-Unis — ABA Center for racial and ethnic diversity / Paula J. Frederick. - American Bar
Association. Center for Racial and Ethnic Diversity, 2008 (Diversity Collection)
http://www.abanet.org/diversity/Docs/DiversityCollection.pdf
10

L’important rapport L’égalité raciale dans la profession juridique canadienne produit en
1999 par l’Association du Barreau canadien (le « Rapport ») 6 demeure une référence sur
la question.
Le Rapport présente les manifestations de discrimination systémique selon un ordre
chronologique : de l’accès à la profession (dès les études universitaires) jusqu’à la
pratique du droit et l’accès à la magistrature. Les éléments qui suivent sont tirés en partie
de ce Rapport.
Comme illustré sur le schéma qui suit, le parcours classique pour devenir avocat
comporte plusieurs étapes :
Université (3 ans)
École du Barreau (4 ou 8 mois)
Stage (6 mois)
Membre du Barreau du Québec
Chacune de ces étapes est susceptible de comporter des obstacles de nature systémique,
dont certains par ailleurs peuvent être communs à d’autres professions réglementées.
6 Voir le site web : www.cba.org
11

Ainsi, l’accès aux études et les facteurs de réussite des études peuvent comporter des
éléments défavorables à certains groupes, dont les minorités visibles :
• Critères et procédures d’admission.
Des critères basés uniquement sur la performance scolaire antérieure sans égard aux
expériences, champs d’intérêt et autres compétences des candidats, sont limités et
peuvent contribuer à la discrimination systémique.
• Le coût et le financement (ou l’endettement)
Le Rapport mentionne que les étudiants et étudiants racialisés sont plus susceptibles
d’avoir des difficultés financières, soit parce qu’ils proviennent de milieux socio-
économiques défavorisés ou qu’ils ont déjà des enfants à charge, jumelé au fait que
leur communauté souffre depuis longtemps de discriminations les ayant empêchés
d’accéder à des emplois bien rémunérés.
• Les méthodes d’évaluation
• Le manque de modèles (famille, communauté, corps professoral)
• Les expériences vécues de discrimination (milieu étudiant hostile)
• L’expérience (ou le manque d’expérience) de travail juridique dans les cabinets
d’avocats
Il existe une pratique dans le milieu d’avocat où les grands cabinets recrutent des
étudiants dès la 2 e année du baccalauréat afin qu’ils travaillent à temps partiel durant
les études et à temps plein les étés. Ces expériences déboucheront pour certains sur un
stage et un emploi au sein du cabinet.
12

Cette expérience professionnelle permettra à l’étudiant non seulement de l’aider dans
sa réussite scolaire, mais aussi de bénéficier d’un réseau de contacts utile lors de la
recherche ultérieure de stage ou d’emploi. Pour toutes ces raisons, une telle
expérience professionnelle est un atout.
Or, des facteurs de discrimination systémique ou autre peuvent intervenir lors de
l’embauche et restreindre l’accès à certains groupes à ce type de milieu de travail et
d’expérience professionnelle pendant les études.
De même, le stage de six (6) mois, passage obligé, est susceptible de comporter des
éléments de discrimination, dont certains sont un aperçu des obstacles à venir dans la
recherche d’emploi 7 :
• La recherche de stage incombe aux étudiants, le Barreau n’ayant aucune
obligation de trouver un stage aux quelque 900 étudiants qui terminent chaque
année l’École du Barreau 8 ;
• La détermination de la rémunération est soumise à la libre négociation entre le
stagiaire et son employeur, ce qui peut inclure un stage non rémunéré 9 et le
stage échappe aux normes du salaire minimum fixées par le gouvernement.
L’on peut supposer que cet élément est susceptible d’affecter plus durement les
étudiants qui ont des difficultés financières ou qui ont des enfants à charge et qui
7 En 1996, le Barreau du Haut-Canada (Ontario) mentionnait que les étudiants de minorités visibles
comptaient pour 43,9 % de ceux qui n’avaient pas encore de travail alors que ce groupe ne représentait que
17 % des diplômés. Op. cit., note 4, page 12.
8 L’École du Barreau offre un service d’affichage d’offres de stage et la responsable des stages et des
activités étudiantes offre du soutien aux étudiants pour la rédaction de CV, préparation d’entrevues, etc.
9 L’École du Barreau a toutefois comme politique de ne pas afficher les offres de stage non rémunéré.
13

ne peuvent travailler six mois sans rémunération ou avec une rémunération très
faible.
• Comme pour toute recherche d’emploi, le réseau de contacts est un élément
facilitant. Or, tel qu’expliqué plus haut, certains groupes sont moins
susceptibles que d’autres d’avoir accès à un réseau, telle la présence
d’avocats, de juges ou de gens d’affaires dans sa famille ou son entourage ou
une expérience professionnelle juridique.
Pour conclure sur ce point, soulignons qu’au-delà de l’accès à un stage quelconque, la
qualité du stage est également un élément important (encadrement, exposition à des
domaines de droit variés, contacts directs avec les clients, ampleur des dossiers attribués
et degré de responsabilité, mentorat formel ou informel, etc.).
Ainsi, l’expérience d’un stage médiocre peut avoir des impacts sur la carrière future d’un
avocat ou d’une avocate en matière d’expérience professionnelle et d’établissement d’un
réseau de contacts. Cette étape constitue donc une étape charnière non négligeable.
2.2 Au-delà de l’accès : l’exercice du droit
Tel que mentionné précédemment, il semble bien qu’au moins 751 personnes aient réussi
avec succès à franchir toutes ces étapes et à devenir membres du Barreau du Québec.
Est-ce à dire qu’elles ne vivront plus de discrimination? Malheureusement non.
14

La discrimination systémique persiste sur le marché du travail et se manifeste tant dans la
recherche d’emploi que dans les possibilités d’avancement.
Parmi les manifestations de discrimination en recherche d’emploi, certaines sont
communes à d’autres milieux de travail alors que d’autres sont peut-être plus typiques à
la « culture » des milieux juridiques :
• Les séances de recrutement, lorsqu’elles sont informelles ou peu structurées,
sont sujettes à induire des préjugés qui contribuent à la discrimination
(questions discriminatoires posées en entrevue, critères de sélection
arbitraires, recherche du « fit » ou de l’adéquation avec une culture
d’entreprise mal définie ou sans lien direct avec les compétences nécessaires,
etc.).
• Les préférences supposées des avocats issus de minorités visibles qui les
confinent à des domaines de droit (ex. : droit de l’immigration) ou à des
« clientèles ethniques » provenant ou non de la même communauté d’origine
– réelle ou perçue — de l’avocat
• Les préférences – réelles ou supposées — des clients qui ne voudraient pas
faire affaires avec un avocat issu d’une minorité visible.
La sous-représentation des minorités visibles se manifeste aussi dans les postes de
pouvoir et de direction : associés dans les grands cabinets, directeurs de services
juridiques ou juges. D'aucuns pourraient tenter d’expliquer la situation par la moyenne
d’âge relativement jeune de ce groupe (36 ans). Cet élément, peut-être une partie de
15

l’explication, ne saurait toutefois être démontré que si la présence des minorités visibles
dans les postes de pouvoir augmentait avec les années.
Notons également le cercle vicieux que pose le problème de sous-représentation : parce
que les minorités visibles sont très peu présentes dans la profession et dans les postes de
pouvoir, le modèle de l’avocat idéal sera rarement basé sur un modèle d’avocat de
minorité visible et conséquemment, l’on sera moins porté à en embaucher ou à en
promouvoir.
Enfin, rappelons que la grande majorité des milieux de travail des avocats sont dans le
secteur privé et de ce fait, échappent en grande partie aux règles et programmes d’accès à
l’égalité ou d’équité en emploi 10 . Ainsi, même si l’état du droit interdit la discrimination
et la discrimination systémique, le manque de mesures proactives coercitives prive la
profession d’un puissant incitatif à corriger la situation.
3. Pistes de solution et rôle du Barreau du Québec
Le Barreau du Québec, bien que n’étant pas l’employeur des quelque 23 000 avocats, a
certes un rôle à jouer pour enrayer la discrimination systémique dans ses rangs.
De fait, le Barreau se pose en défenseur des droits et libertés et en gardien des valeurs
démocratiques de notre société. C’est ainsi que l’institution exerce une surveillance
10 Sauf pour les entreprises fédérales comptant au moins 100 salariés qui sont soumises à la Loi sur l’équité
en matière d’emploi. Les entreprises provinciales ne sont pas soumises à une telle obligation. Les
programmes d’accès à l’égalité dans le secteur privé au Québec sont limités au Programme d’obligation
contractuelle ou à un programme volontaire ou imposé à la suite d’une ordonnance.
16

générale des lois et intervient régulièrement pour commenter des projets de loi, de
règlements ou de politiques gouvernementales, tant sur la scène provinciale que fédérale.
Au fil des ans, le Barreau a produit plusieurs mémoires présentés en commission
parlementaire sur des sujets touchant les droits de la personne ou les droits à l’égalité : la
consultation sur la participation des communautés noires à la société québécoise (2005),
le projet de politique gouvernementale de lutte contre le racisme et la discrimination
(2006), le Groupe de travail sur les accommodements raisonnables (2007) sont autant
d’exemples.
À l’instar de sa participation aux débats publics, le Barreau doit exercer un leadership sur
ces questions également au sein de la profession.
Pour ce faire, le Barreau doit d’abord reconnaître et connaître les enjeux de la
discrimination au sein de la profession. C’est ainsi que des comités consultatifs
conseillent le Barreau sur ces questions depuis plusieurs années : le comité sur les
femmes dans la profession (créé en 1991) et le comité sur les communautés culturelles
(créé en 1992), pour n’en nommer que quelques-uns.
La création du poste de conseillère à l’équité en 2006 marque également un tournant. La
conseillère à l’équité a le mandat de documenter la situation et aussi de former et
d’outiller les membres et les instances du Barreau sur les notions de droit à l’égalité et de
non-discrimination.
17

À moyen terme, le Barreau continue de documenter la problématique en recueillant des
données et en obtenant des analyses pour mieux comprendre les manifestations de
discrimination systémique dans la profession et déterminer les actions nécessaires.
Le Barreau poursuit également la sensibilisation et la formation de ses membres sur la
discrimination et élabore des outils pour les aider à enrayer la discrimination. 11
L’institution doit également prendre les mesures pour examiner ses propres pratiques et
processus d’accès et de contrôle de la profession afin de déceler les éléments
potentiellement discriminatoires et d’y remédier.
En conclusion, beaucoup reste à faire pour enrayer la discrimination systémique dans
tous les milieux de travail, incluant les milieux juridiques. À cet égard, le Barreau a un
rôle à jouer pour s’assurer que l’accès et la pratique de la profession soient exempts de
toutes formes de discriminations pour tous ses membres et tous ceux et celles qui veulent
le devenir.
« Le Barreau parle d’équité au sens de droit à l’égalité, au sens de l’absence
de discrimination, ainsi qu’au sens de la richesse de la diversité.
Nous souhaitons agir sur les discriminations systémiques qui peuvent
s’exercer de façon inconsciente et non intentionnelle, tant à l’entrée de la
profession que tout au long de la carrière. Toutes les personnes compétentes
11 Voir à ce sujet le dépliant « On se fait une loi de vous parler d’équité – Le processus d’embauche »
disponible sur le site web du barreau : http://www.barreau.qc.ca/pdf/publications/depliant-equite.pdf
18

doivent avoir des opportunités réelles de mener une carrière intéressante et
fructueuse.»
*Extrait du communiqué émis par le Barreau du Québec lors de la création du poste
de conseillère à l’équité en octobre 2006.
19