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Requête en jugement déclaratoire - Barreau du Québec

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C A N A D APROVINCE DE QUÉBECDISTRICT DE MONTRÉALCOUR SUPÉRIEUREC.S. no :BARREAU DU QUÉBEC, personne moralelégalem<strong>en</strong>t constituée, ayant son siège au 445,boulevard St-Laur<strong>en</strong>t, Montréal, district judiciairede Montréal, province de <strong>Québec</strong>, H2Y 3T8c.RequérantPROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,ayant un bureau au 200, boul. R<strong>en</strong>é-LévesqueOuest, 9 e étage, Montréal, district judiciaire deMontréal, province de <strong>Québec</strong>, H2Z 1X4etIntiméPROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC, ayantun bureau au 1, rue Notre-Dame est, bureau 8.00,Montréal, district judicaire de Montréal, provincede <strong>Québec</strong>, H2Y 1B6Mis-<strong>en</strong>-cause________________________________________REQUÊTE EN JUGEMENT DÉCLARATOIRE(Art. 453 C.p.c., art. 7 de la Charte canadi<strong>en</strong>ne des droits et libertéset art. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982)À L’UN DES JUGES DE LA COUR SUPÉRIEURE, SIÉGEANT DANS LE DISTRICTDE MONTRÉAL, LE REQUÉRANT EXPOSE RESPECTUEUSEMENT CE QUI SUIT :


TABLE DES MATIÈRESINTRODUCTION 3LES PARTIES ET LA DEMANDE DU REQUÉRANT 3LES MOTIFS 4L’ADOPTION DE LA LOI, SON OBJET ET LES FAITS 4LE CONTEXTE FACTUEL 5La portée des modifications – exemples concrets 6A. LA PRIVATION DE LIBERTÉ EN VIOLATION DESPRINCIPES DE JUSTICE FONDAMENTALE 9La Cour suprême <strong>du</strong> Canada et les peines minimales 9Les dispositions contestées sont contraires au principe de nécessité 10Les dispositions contestées viol<strong>en</strong>t le principe de proportionnalité des peines 11Les dérogations à l’article 7 de la Charte ne sont pas justifiées parson article premier 14B- LA VIOLATION DU DROIT À L’ÉGALITÉ 15C- LA VIOLATION DES PRINCIPES CONSTITUTIONNELS DE L’INDÉPENDANCEJUDICIAIRE ET DE LA SÉPARATION DES POUVOIRS 16L’INTÉRÊT POUR AGIR 19CONCLUSION 22LISTE DES PIÈCES Onglets 1 à 5AVIS DE PRÉSENTATION2


INTRODUCTION1. Le <strong>Barreau</strong> <strong>du</strong> <strong>Québec</strong> demande à la Cour supérieure de statuer sur la constitutionalité desnouvelles dispositions de la Loi sur la sécurité des rues et des communautés, L.C. 2012,ch. 1, (ci-après la «Loi») qui port<strong>en</strong>t sur les peines minimales <strong>en</strong> matière criminelle.2. Le <strong>Barreau</strong> a constaté que cette initiative législative visant notamm<strong>en</strong>t à hausser certainespeines minimales d’emprisonnem<strong>en</strong>t existantes et à imposer de nouvelles peinesminimales d’emprisonnem<strong>en</strong>t a fait l’objet de vives critiques tant au <strong>Québec</strong> que dans lereste <strong>du</strong> Canada, et ce, non seulem<strong>en</strong>t de la part de la communauté juridique – dont faitpartie le <strong>Barreau</strong> <strong>du</strong> <strong>Québec</strong> – mais aussi de divers groupes intéressés au sort des victimeset aux questions de sécurité publique.3. Le <strong>Barreau</strong> est d’avis que les peines minimales que propose la Loi ne serv<strong>en</strong>t pas l’intérêtpublic, ne répond<strong>en</strong>t à aucun besoin réel, ne contribu<strong>en</strong>t pas à protéger les citoy<strong>en</strong>s et nepermett<strong>en</strong>t pas d’atteindre l’objectif de sécurité publique recherché.4. Les dispositions de la Loi qui oblig<strong>en</strong>t les juges à imposer des peines minimales port<strong>en</strong>tatteinte aux droits des personnes inculpées <strong>en</strong> oblig<strong>en</strong>t les juges à écarter les principes deproportionnalité et de l’indivi<strong>du</strong>alisation de la peine, port<strong>en</strong>t atteinte aux droit à l’égalitédes inculpés autochtones et constitu<strong>en</strong>t une intrusion non justifiable dans l’exercice <strong>du</strong>pouvoir judiciaire.5. Les peines minimales que propose la Loi risqu<strong>en</strong>t à long terme de miner la confiance <strong>du</strong>public dans le système de justice pénale.LES PARTIES ET LA DEMANDE DU REQUÉRANT6. Le requérant est un ordre professionnel régi par le Code des professions, L.R.Q., ch. C-26,et la Loi sur le <strong>Barreau</strong>, L.R.Q., ch. B-1, et a pour mission d’assurer la protection <strong>du</strong>public, de maximiser les li<strong>en</strong>s de confiance <strong>en</strong>tre les avocats, le public et l’État, desout<strong>en</strong>ir ses membres dans l’exercice <strong>du</strong> droit et de promouvoir la primauté <strong>du</strong> droit.7. L’intimé est responsable de l’application des lois d’intérêt général au Canada et au<strong>Québec</strong> dont notamm<strong>en</strong>t le Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46. Le mis <strong>en</strong> cause estresponsable de l’application <strong>du</strong> Code criminel sur le territoire québécois.8. Le requérant demande l’interv<strong>en</strong>tion <strong>du</strong> Tribunal afin qu’il déclare inapplicablesconstitutionnellem<strong>en</strong>t les dispositions suivantes de la Loi sur la sécurité des rues et descommunautés, L.C. 2012, ch. 1 (loi C-10), « la Loi »:• Articles 11, 12, 13, 14, 15, 17, 19, 20, 22, 25, 26 et 27 – qui modifi<strong>en</strong>t les peines pourles infractions prévues aux articles 155, 161, 172.1, 173, 271, 272 et 273 <strong>du</strong> Codecriminel <strong>en</strong> prescrivant des nouvelles peines minimales d’emprisonnem<strong>en</strong>t et auxarticles 151, 152, 153, 163.1 (2), 163.1 (3), 163.1 (4) et 163.1 (4.1) de Code criminel<strong>en</strong> augm<strong>en</strong>tant les peines minimales existantes ;3


• Articles 21 et 23 – qui cré<strong>en</strong>t des nouvelles infractions par l’ajout des articles 171.1 et172.2 au Code criminel comportant des peines minimales d’emprisonnem<strong>en</strong>t ;• Articles 39, 40 et 41 – qui modifi<strong>en</strong>t les articles 5(3), 6(3), 7(3) et 7(4) de la Loiréglem<strong>en</strong>tant certaines drogues et autres substances,(LRCDS) L.C. 1996, ch. 19, <strong>en</strong>prescrivant de nouvelles peines minimales d’emprisonnem<strong>en</strong>t.LES MOTIFS9. Les motifs de cette demande sont les suivants :I. Les dispositions attaquées prévoi<strong>en</strong>t des peines d’emprisonnem<strong>en</strong>t arbitraires etconstitu<strong>en</strong>t une violation de l’article 7 de la Charte canadi<strong>en</strong>ne des droits et libertés« la Charte ». Il n’existe aucun li<strong>en</strong> rationnel <strong>en</strong>tre l’imposition et l’augm<strong>en</strong>tation despeines minimales pour ces infractions, et les objectifs invoqués par le gouvernem<strong>en</strong>t.II.III.IV.Les dispositions attaquées obligerai<strong>en</strong>t les juges à prononcer des peines qui pourrai<strong>en</strong>tne pas être proportionnelles à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité <strong>du</strong>délinquant. Elles <strong>en</strong>freign<strong>en</strong>t ainsi le principe de proportionnalité garanti par l’article7 de la Charte et dans certains cas, pourrai<strong>en</strong>t constituer des peines cruelles etinusitées <strong>en</strong> violation de l’article 12 de la Charte.Les dispositions attaquées port<strong>en</strong>t atteinte au droit à l'égalité des autochtones <strong>en</strong>violation de l'article 15 de la Charte.Les dispositions attaquées ont pour effet de restreindre considérablem<strong>en</strong>t la discrétionjudiciaire qui est un attribut ess<strong>en</strong>tiel de la fonction judiciaire. Ces mesureslégislatives port<strong>en</strong>t atteinte à l’indép<strong>en</strong>dance judiciaire <strong>en</strong> limitant la capacité destribunaux d’exercer les fonctions juridictionnelles qui leur sont dévolues par laConstitution canadi<strong>en</strong>ne. De plus, ces mesures empièt<strong>en</strong>t indûm<strong>en</strong>t sur les fonctionsess<strong>en</strong>tielles de la magistrature et constitu<strong>en</strong>t une violation <strong>du</strong> principe constitutionnelde la séparation des pouvoirs.L’ADOPTION DE LA LOI, SON OBJET ET LES FAITS10. Le 12 mars 2012, la Chambre des communes a adopté la Loi.11. Le 13 mars 2012, cette loi a reçu la sanction royale.12. Le 9 août 2012, les dispositions de la Loi qui concern<strong>en</strong>t les peines minimales <strong>en</strong> matièred’infractions d’ordre sexuel impliquant une personne de moins de 16 ans sont <strong>en</strong>trées <strong>en</strong>vigueur, les dispositions qui modifi<strong>en</strong>t la Loi sur le système de justice pénale pouradolesc<strong>en</strong>ts sont <strong>en</strong>trées <strong>en</strong> vigueur le 23 octobre 2012 et les dispositions qui prévoi<strong>en</strong>tdes peines minimales pour certaines infractions à la Loi réglem<strong>en</strong>tant certaines drogues etautres substances sont <strong>en</strong>trées <strong>en</strong> vigueur le 6 novembre 2012.4


13. La Loi a pour objet de modifier plusieurs articles <strong>du</strong> Code criminel, <strong>en</strong> augm<strong>en</strong>tant la<strong>du</strong>rée des peines d’emprisonnem<strong>en</strong>t minimales pour certaines infractions, et <strong>en</strong> créant despeines d’emprisonnem<strong>en</strong>t minimales pour d’autres infractions, le tout tel qu’il appert de lacopie <strong>du</strong> Résumé législatif <strong>du</strong> projet de loi C-10 : 3 Modifications au Code criminel(infractions d’ordre sexuelles à l’égard d’<strong>en</strong>fants) [C-10, partie 2 art. 10 à 31, 35 à 38et 49 et 51 – anci<strong>en</strong> projet de loi C-54] pro<strong>du</strong>ite comme pièce R- 1.14. La Loi a égalem<strong>en</strong>t pour objet de modifier la Loi réglem<strong>en</strong>tant certaines drogues et autressubstances de manière à imposer des peines minimales obligatoires d’emprisonnem<strong>en</strong>tpour certains actes criminels liés aux drogues, le tout tel qu’il appert de la copie <strong>du</strong>Résumé législatif <strong>du</strong> projet de loi C-10 : 4 Modifications à la Loi réglem<strong>en</strong>tantcertaines drogues et autres substances [C-10, partie 2, art 32 et 33, 39 à 48, et 50 et 51– anci<strong>en</strong> projet de loi S-10] pro<strong>du</strong>ite comme pièce R- 2.15. Les objectifs déclarés <strong>du</strong> gouvernem<strong>en</strong>t pour expliquer ces changem<strong>en</strong>ts sont la protectionde la société contre les contrev<strong>en</strong>ants dangereux et viol<strong>en</strong>ts et la dissuasion, le tout telqu’il appert de la copie des Délibération <strong>du</strong> Comité sénatoriale perman<strong>en</strong>t desAffaires juridiques et constitutionnelles des 1 er et 2 février 2012 pro<strong>du</strong>ite comme pièceR-3.16. La Loi a été adoptée malgré le fait qu’<strong>en</strong> 2009, plus de 9 Canadi<strong>en</strong>s sur 10 (93 %) se sontdits satisfaits de leur sécurité personnelle relativem<strong>en</strong>t au crime, le tout tel qu’il appert dela copie de l’article de Juristat (Statistique Canada) – Les perceptions des Canadi<strong>en</strong>s àl’égard de la sécurité personnelle et de la criminalité, 2009 pro<strong>du</strong>ite comme pièce R-4.LE CONTEXTE FACTUEL17. L’objet même de la Loi, qui vise à assurer l’imposition de peines minimalesd’emprisonnem<strong>en</strong>t pour un <strong>en</strong>semble d’infractions sans justification tangible et sansfondem<strong>en</strong>t rationnel porte atteinte à la liberté et la sécurité de la personne et est contraireaux principes de justice fondam<strong>en</strong>tale.18. Le requérant <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d faire la preuve, notamm<strong>en</strong>t des faits suivants :• le taux de criminalité national affiche une baisse constante depuis 20 ans ;• <strong>en</strong> 2010, les services de police canadi<strong>en</strong>s ont déclaré qu’il y avait 77 000 affairesrattachées au Code Criminel de moins qu’<strong>en</strong> 2009 ;• l'indice de gravité des crimes viol<strong>en</strong>ts a reculé de 6 % <strong>en</strong> 2010 ;• l’inefficacité des peines minimales d’emprisonnem<strong>en</strong>t comme facteur dedissuasion ou de ré<strong>du</strong>ction de la criminalité.5


19. La jurisprud<strong>en</strong>ce établit la gamme de peines requises pour atteindre l’objectif deproportionnalité pour ces infractions et la réalité incontestable est que la Loi modifiefondam<strong>en</strong>talem<strong>en</strong>t cette gamme de peines.20. Ainsi, dans le mesure où un contexte factuel est nécessaire, il se dégage d’une analyse desdécisions judiciaires antérieures qui port<strong>en</strong>t sur les peines imposées pour les infractionsvisées par les nouvelles dispositions de la Loi et de la preuve que le requérant <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dprés<strong>en</strong>ter lors de l’audition sur le fond.21. L’étude des décisions des tribunaux d’instances et d’appel permet de faire le constat quele recours à des peines d’emprisonnem<strong>en</strong>t, lorsqu’elles sont indiquées, n’est pas exclu,mais aussi que des peines autres que des peines d’emprisonnem<strong>en</strong>t permett<strong>en</strong>t d’atteindreles objectifs <strong>en</strong> matière d’imposition de la peine toute <strong>en</strong> respectant les obligationsconstitutionnelles d’indivi<strong>du</strong>alisation et de proportionnalité. Les peines minimalesd’emprisonnem<strong>en</strong>t prévues par la Loi priv<strong>en</strong>t les juges appelés à imposer des peines desoutils nécessaires au prononcé de peines appropriées.La portée des modifications – exemples concrets22. L’article 14 de la Loi prévoit une peine minimale de cinq ans pour l’inceste (article 155<strong>du</strong> Code criminel) si l’une des personnes est âgée de moins de seize ans. L’inceste estune infraction qui vise la protection des membres vulnérables de la famille alors qu’ellepr<strong>en</strong>d sa source dans un tabou social fondé tant sur le risque génétique que sur lesconséqu<strong>en</strong>ces sociales et psychologiques qui résult<strong>en</strong>t de la relation sexuelle <strong>en</strong>tremembres d’une même cellule familiale.R. c. G.R., [2005] 2 R.C.S. 371 aux paragraphes 18 et 19.23. L’inceste peut être commis <strong>en</strong>tre frères et sœurs, demi-frères et demi-sœurs ou <strong>en</strong>trepar<strong>en</strong>ts et <strong>en</strong>fants. Lorsque des par<strong>en</strong>ts ont des rapports sexuels avec leurs <strong>en</strong>fantsmineurs, il y a une situation de domination et d’abus. Par contre, quand un frère et unesœur sont impliqués, même si une des deux parties est âgée de moins de 16 ans, lasituation n’est pas comparable à celle qui implique un par<strong>en</strong>t. Les peines imposées pourl’infraction d’inceste vari<strong>en</strong>t donc <strong>en</strong> fonction des faits et des personnes impliquées.24. Dans R. c. M.J.W., un homme de 21 ans, sans antécéd<strong>en</strong>ts judiciaires, a été déclarécoupable d’avoir eu des relations sexuelles à trois reprises avec sa demi-sœur, âgée dequinze ans. La victime avait cons<strong>en</strong>ti à tous les actes sexuels. En prononçant la peine, lejuge a déclaré :« The Court recognizes that a great range exists in the s<strong>en</strong>t<strong>en</strong>cing authorities withrespect to p<strong>en</strong>alties for incest. These authorities range from periods of susp<strong>en</strong>deds<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ce, as in the case of the childr<strong>en</strong> of C.J.F. in R. v. C.J.F. (1996), 149 N.S.R.(2d) 91 at para. 4 (C.A.), to five-years' incarceration as reported in R. v. Goler(1985), 67 N.S.R. (2d) 200 (A.D.).”R. c. M.J.W., [2011] N.S.J. No. 323 (N.S. Prov. Ct.) au par. 196


25. En raison des circonstances de la commission de l’infraction, incluant l’immaturité <strong>du</strong>contrev<strong>en</strong>ant, le fait qu’il n’était pas dans une situation de confiance ou d’autorité <strong>en</strong>verssa sœur et le cons<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t de cette dernière, la Cour a imposé une peined’emprisonnem<strong>en</strong>t avec sursis de 18 mois.26. L’article 25 de la Loi prévoit une peine minimale d’un an pour une agression sexuellepoursuivie par voie de mise <strong>en</strong> accusation lorsque la victime est âgée de moins de seizeans (article 271 <strong>du</strong> Code criminel), ou de 90 jours quand la poursuite procède par voiesommaire. Cet am<strong>en</strong>dem<strong>en</strong>t exigera l’emprisonnem<strong>en</strong>t dans toutes les circonstances,indép<strong>en</strong>damm<strong>en</strong>t de la nature de l’agression sexuelle et des circonstances dans lesquelleselle est surv<strong>en</strong>ue.27. Dans R. c. Epp, une peine de probation a été imposée dans un cas ou un homme dans lacinquantaine a été déclaré coupable d’avoir agressé sexuellem<strong>en</strong>t sa voisine, âgée dequinze ans. Le contrev<strong>en</strong>ant avait défait le souti<strong>en</strong>-gorge de la jeune femme sans soncons<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t. Le juge a constaté que le contrev<strong>en</strong>ant n’avait pas persisté avec l’agressionaprès ce seul geste. Il s’agissait d’un contrev<strong>en</strong>ant avec peu d’é<strong>du</strong>cation, qui avait desproblèmes médicaux et m<strong>en</strong>taux, et qui avait deux antécéd<strong>en</strong>ts pour avoir con<strong>du</strong>it avec lesfacultés affaiblies.R. v. Epp, [2005] S.J. No. 519 (Sask. Prov. Ct.)28. L’article 22 de la Loi prévoit une peine minimale de 90 jours ou 1 an pour l’infraction deleurre d’un <strong>en</strong>fant (article 172.1 <strong>du</strong> Code criminel). Dans R. c. El-Jamel, la Cour d’appeld’Ontario a maint<strong>en</strong>u une peine d’emprisonnem<strong>en</strong>t avec sursis de 12 mois à l’<strong>en</strong>contred’un contrev<strong>en</strong>ant qui croyait avoir communiqué avec une fille âgée de 12 ans. Il a t<strong>en</strong>téde la r<strong>en</strong>contrer dans le but d’avoir des relations sexuelles. La Cour a noté que la juge depremière instance avait pris <strong>en</strong> considération tous les facteurs pertin<strong>en</strong>ts, à savoir l’âge <strong>du</strong>contrev<strong>en</strong>ant (24 ans), l’abs<strong>en</strong>ce d’antécéd<strong>en</strong>ts, la bonne possibilité de réhabilitation et lefait qu’il avait une jeune famille qu’il sout<strong>en</strong>ait financièrem<strong>en</strong>t. La Cour d’appel a notéque la peine imposée n’était pas déraisonnable vu les circonstances de l’infraction et lesfacteurs atténuants.R. c. El-Jamel, [2010] O.J. No. 3737 (C.A.)29. L’article 17 de la Loi augm<strong>en</strong>te les peine minimales pour l’infraction d’avoir accédé à dela pornographie juvénile (article 163.1 (4.1) <strong>du</strong> Code criminel) de 14 jours à 90 jours, sil’accusation est poursuivie par voie sommaire, et de 45 jours à 6 mois quand la poursuiteest int<strong>en</strong>tée par acte criminel. Et ce, malgré le fait qu’avant les am<strong>en</strong>dem<strong>en</strong>ts de 2005, lestribunaux pouvai<strong>en</strong>t parfois même prononcer des absolutions lorsque les circonstancesparticulières r<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t une telle peine appropriée.30. Dans R. c. Hamel, la Cour supérieure <strong>du</strong> <strong>Québec</strong> a maint<strong>en</strong>u la décision d’un juge depremière instance qui a accordé une absolution inconditionnelle à un <strong>en</strong>seignant reconnucoupable sur déclaration sommaire d'avoir t<strong>en</strong>té d'accéder à de la pornographie juvénile.Le contrev<strong>en</strong>ant n’avait aucun antécéd<strong>en</strong>t. Depuis son arrestation, il avait été susp<strong>en</strong><strong>du</strong>sans solde de son emploi et vivait des difficultés financières importantes. De plus, il s’est<strong>en</strong>gagé de sa propre initiative dans une démarche thérapeutique. Le juge de première7


instance a pris <strong>en</strong> considération le fait qu’un casier judiciaire nuirait à ses démarches pourdev<strong>en</strong>ir ag<strong>en</strong>t immobilier. Comme explique la Cour :« Il s'agit, pour le premier juge, d'un homme, pour qui un <strong>en</strong>cadrem<strong>en</strong>t judiciair<strong>en</strong>'est pas nécessaire puisqu'il a "pris depuis et qu'il pr<strong>en</strong>d <strong>en</strong>core les moy<strong>en</strong>s pouravoir un comportem<strong>en</strong>t conforme à nos valeurs sociales et qu'il est <strong>en</strong> mesure dejouer un rôle actif dans notre société." Le premier juge souligne qu'une récidive estpeu probable.»R. c. Hamel, [2007] J.Q. no 13031 (C.S.Q.) au par. 2531. L’article 41(1)(b) de la Loi impose une peine minimale de six mois pour possession decannabis pour des fins de trafic si le nombre de plantes et supérieur à cinq, d’un an si l<strong>en</strong>ombre de plantes est supérieur à 200, et de deux ans si le nombre de plantes est supérieurà 500. La loi prévoit égalem<strong>en</strong>t l’augm<strong>en</strong>tation de ces nouvelles peines minimales danscertaines circonstances, notamm<strong>en</strong>t quand la pro<strong>du</strong>ction a créé un risque d’atteinte à lasécurité publique dans un secteur résid<strong>en</strong>tiel.32. Dans R. c. Evers, la cour d’appel de la Colombie-Britannique a maint<strong>en</strong>u le sursis auprononcé de la peine avec probation pour une femme qui cultivait de la marijuanamédicale sans permis et la fournissait à un « club compassion ». Elle était <strong>en</strong> possessionde 274 plantes et elle tirait une partie de son rev<strong>en</strong>u de cette activité. En imposant lapeine, le juge d’instance a t<strong>en</strong>u compte <strong>du</strong> fait que la contrev<strong>en</strong>ante n’avait aucunantécéd<strong>en</strong>t judiciaire, malgré le désire de madame de dev<strong>en</strong>ir un martyr pour la cause dela légalisation de cannabis.R. v. Evers, [2011] B.C.J. No. 1441, (BCCA)33. Dans R. c. Deschênes, la cour d’appel <strong>du</strong> <strong>Québec</strong> a imposé une peine d’emprisonnem<strong>en</strong>tavec sursis de six mois pour une infraction de pro<strong>du</strong>ction de cannabis. La Cour a déclaré :“De l'avis de la Cour, le juge de première instance a commis une erreur de droit <strong>en</strong>écartant a priori le principe de l'indivi<strong>du</strong>alisation des peines au motif de lanécessité d'<strong>en</strong>voyer un message claire à tous ceux qui particip<strong>en</strong>t à la pro<strong>du</strong>ctionde substances prohibées dans le district de Joliette.En ce faisant, il n'a pas t<strong>en</strong>u compte <strong>du</strong> degré de responsabilité de l'appelante, deson âge, son abs<strong>en</strong>ce d'antécéd<strong>en</strong>t judiciaire, <strong>du</strong> contexte dans lequel elle a acceptéde se r<strong>en</strong>dre à la résid<strong>en</strong>ce utilisée comme plantation et de l'ét<strong>en</strong><strong>du</strong>e de saparticipation. S'il avait t<strong>en</strong>u compte de ces facteurs et de l'abs<strong>en</strong>ce de dangerositépublique de l'appelante, le juge de première instance aurait dû conclure que lapeine de 6 mois d'emprisonnem<strong>en</strong>t proposée par les avocats des parties devait êtrepurgée dans la collectivité »R. c. Deschênes, [2005] J.Q. No. 827 (QCCA) aux paras. 1 & 234. Dans R. c. Lake, une peine d’emprisonnem<strong>en</strong>t avec sursis de 8 mois a été imposée dans uncas où un père de 43 ans, peu é<strong>du</strong>qué, avait une plantation de 20 plantes de cannabis chezlui. Il y avait des indications qu’une grande partie de la marijuana était pour son usage8


39. Dans l’arrêt R. c. Ferguson, la Cour a confirmé, comme dans l’affaire Morrisey, qu’unepeine minimale de quatre ans pour homicide involontaire impliquant l’usage d'une arme àfeu n’est pas une peine exagérém<strong>en</strong>t disproportionnée et ne constitue pas une peinecruelle et inusitée interdite <strong>en</strong> vertu de l’article 12 de la Charte.R. c. Ferguson, [2008] 1 R.C.S. 9640. Ces arrêts ont deux choses <strong>en</strong> commun :• le débat portait sur la nature même des peines imposées et leur caractèreexagérém<strong>en</strong>t disproportionné eu égard au principe interdisant l’imposition depeines cruelles et inusitées prévu à l’article 12 de la Charte ;• le législateur répondait à un problème social particulier qui justifiait l’impositionde la peine minimale.41. Ces élém<strong>en</strong>ts ne sont pas <strong>en</strong> cause dans le prés<strong>en</strong>t débat.Les dispositions contestées sont contraires au principe de nécessité42. Le requérant affirme que les peines minimales prévues par les dispositions contestées dela Loi sont contraires aux principes de justice fondam<strong>en</strong>tale prévus à l’article 7 de laCharte.43. L’article 7 de la Charte prévoit que « chacun a doit à la vie, à la liberté et à la sécurité desa personne ; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’<strong>en</strong> conformité avec les principes dejustice fondam<strong>en</strong>tale ».44. Les principes de justice fondam<strong>en</strong>tale interdis<strong>en</strong>t de porter atteinte à la liberté d’unepersonne de manière arbitraire. Une restriction à la liberté est arbitraire lorsqu'elle n'aaucun li<strong>en</strong> rationnel ou est incompatible avec l'objectif visé par la loi.Rodriguez c. Colombie-Britannique, [1993] 3 R.C.S. 519 au par. 147-8 (jugeSopinka pour la majorité) et 203 (juge McLachlin dissid<strong>en</strong>te)45. De plus, lorsqu’une mesure pénale <strong>en</strong>traînant une privation de liberté est <strong>en</strong> cause, lesprincipes de justice fondam<strong>en</strong>tale exig<strong>en</strong>t que le législateur adopte une réponse qui soitmesurée et qui n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs de laloi, comme l’affirmait la Cour suprême dans l’arrêt Heywood :« Si, dans un but légitime, l'État utilise des moy<strong>en</strong>s excessifs pour atteindre cetobjectif, il y aura violation des principes de justice fondam<strong>en</strong>tale parce que lesdroits de la personne auront été restreints sans motif. »R. c. Heywood, [1994] 3 R.C.S. 761 au par. 4946. Dans l’arrêt Suresh, la Cour suprême a égalem<strong>en</strong>t affirmé que :« […] notre pays adhère égalem<strong>en</strong>t aux principes de justice fondam<strong>en</strong>tale. Lanotion de proportionnalité est un aspect fondam<strong>en</strong>tal de notre régime10


constitutionnel. Par conséqu<strong>en</strong>t, nous devons nous demander si la mesure projetéepar le gouvernem<strong>en</strong>t est raisonnable par rapport à la m<strong>en</strong>ace. »Suresh c. Canada (Ministre de la Citoy<strong>en</strong>neté et de l’Immigration), [2002] 1R.C.S. 3 au par. 47.47. Le requérant ne nie pas l’importance d’objectifs gouvernem<strong>en</strong>taux comme la ré<strong>du</strong>ction dela criminalité et la protection des personnes vulnérables, notamm<strong>en</strong>t les <strong>en</strong>fants.Cep<strong>en</strong>dant, ri<strong>en</strong> ne démontre que les peines minimales imposées par les dispositionscontestées de la Loi sont nécessaires à l’atteinte de cet objectif. Pour repr<strong>en</strong>dre les termesde l’arrêt Suresh, ces peines minimales ne sont pas « raisonnables par rapport à lam<strong>en</strong>ace » ou, pour repr<strong>en</strong>dre ceux de l’arrêt Heywood, il s’agit d’une mesure« excessive ».48. Dans l’arrêt R. c. Wust, la juge Arbour, au nom de la Cour suprême, a m<strong>en</strong>tionné ceci:« Même s'il est possible de sout<strong>en</strong>ir que des peines sévères et inappropriéespeuv<strong>en</strong>t avoir un effet dissuasif considérable et que, <strong>en</strong> conséqu<strong>en</strong>ce, de tellespeines serv<strong>en</strong>t toujours un objectif valable, il me semble que l'infliction de peinesinjustem<strong>en</strong>t sévères risque davantage d'inspirer le mépris et le ress<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t qued'inciter au respect de la loi. Selon un principe bi<strong>en</strong> établi <strong>du</strong> système de justicecriminelle, le juge doit s'efforcer d'infliger une peine appropriée eu égard à l'affairedont il est saisi ».R. c. Wust, [2000] 1 R.C.S. 455 au par. 2149. Il n’y a aucun cons<strong>en</strong>sus sci<strong>en</strong>tifique à l’effet que les peines minimales obligatoiresaugm<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t l’effet dissuasif associé à une infraction pénale et on doit <strong>en</strong> conclure que lesdispositions existantes <strong>du</strong> Code criminel, qui reconnaiss<strong>en</strong>t la discrétion de lamagistrature dans l’imposition de la peine, assur<strong>en</strong>t la réalisation des objectifsgouvernem<strong>en</strong>taux de dissuasion et de protection des personnes vulnérables aussi bi<strong>en</strong> qu<strong>en</strong>e le ferai<strong>en</strong>t les dispositions contestées de la Loi.50. Les peines minimales prévues par les dispositions contestées de la Loi ne constitu<strong>en</strong>t pasune mesure nécessaire à l’atteinte des objectifs <strong>du</strong> législateur, puisque les dispositionsactuelles assur<strong>en</strong>t le même degré de dissuasion et de protection.51. Il <strong>en</strong> résulte que les peines minimales imposées par la Loi sont contraires à l’article 7 de laCharte, puisqu’il s’agit d’une réponse excessive au problème qui intéressait le législateur.Les dispositions contestées viol<strong>en</strong>t le principe de proportionnalité des peines52. Le requérant souti<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t que les dispositions contestées de la Loi viol<strong>en</strong>t leprincipe de proportionnalité des peines et sont contraires à l’article 7 de la Charte.53. Dans R. c. Ipeelee et R. c. Malmo-Levine, la Cour suprême a reconnu que le principe deproportionnalité des peines est un principe de justice fondam<strong>en</strong>tale. La proportionnalitéreprés<strong>en</strong>te la condition sine qua non d'une sanction juste.R. c. Ipeelee, [2012] 1 R.C.S. 433 aux par. 36 & 37;11


R. c. Malmo-Levine ; R. c. Caine, [2003] 3 R.C.S. 571 au par. 16954. Le principe de proportionnalité comporte deux volets : premièrem<strong>en</strong>t, la peine doitrefléter la gravité de l’infraction et, deuxièmem<strong>en</strong>t, elle ne doit pas excéder ce qui estrequis par le degré de culpabilité morale <strong>du</strong> délinquant.Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, article 718.1 ;R. c. Proulx, [2000] 1 R.C.S. 61 au par. 82;R. c. Ipeelee, supra, au par. 3855. La détermination de la peine est un processus indivi<strong>du</strong>alisé, dans le cadre <strong>du</strong>quel le jugedispose d’un large pouvoir discrétionnaire pour déterminer la peine appropriée. Lajustification de cette approche indivi<strong>du</strong>alisée réside dans le principe de proportionnalité.R. c. Proulx, [2000] 1 R.C.S. 61 au par. 8256. Le principe de proportionnalité est inextricablem<strong>en</strong>t lié au concept qu’une peine doitrefléter la culpabilité morale <strong>du</strong> contrev<strong>en</strong>ant. Dans le R<strong>en</strong>voi sur la Motor Vehicle Act, lejuge Lamer a indiqué ceci :« Il est ess<strong>en</strong>tiel, dans toute théorie des peines, que la s<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ce imposée ait uncertain rapport avec l'infraction. Il faut que la s<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ce soit appropriée etproportionnelle à la gravité de l'infraction. Ce n'est que dans ce cas que le publicpeut être convaincu que le contrev<strong>en</strong>ant "méritait" la punition qui lui a été infligéeet avoir confiance dans l'équité et la rationalité <strong>du</strong> système. Cela ne revi<strong>en</strong>t pas àdire qu'il y a un rapport ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t approprié <strong>en</strong>tre une infraction particulièreet sa punition, mais plutôt qu'il y a un ordre de grandeur des infractions et despunitions auquel l'infraction et la punition particulières doiv<strong>en</strong>t répondre. »R<strong>en</strong>voi sur la Motor Vehicle Act (Colombie-Britannique), s. 94(2), [1985] 2 R.C.S.486 au par. 12857. Les dispositions des articles 718 à 718.21 <strong>du</strong> Code criminel prévoi<strong>en</strong>t les élém<strong>en</strong>ts à êtreconsidérés par le juge à l’étape de l’imposition de la peine. Dans R. c. Knott, le juge Fishémet l’avis qu’il est «…légitime d’affirmer que l’objectif et les principes énoncés dans leCode criminel <strong>en</strong> matière de détermination des peines sont c<strong>en</strong>sés intégrer l’impératifcorrectionnel de l’indivi<strong>du</strong>alisation de la peine».R. c. Knott, 2012 CSC 42 au par. 4758. Le requérant souti<strong>en</strong>t que les articles contestés de la Loi empêch<strong>en</strong>t les juges de donnerplein effet au principe de proportionnalité car les peines minimales imposées ne sont pasadaptées à la gradation de la culpabilité <strong>du</strong> délinquant ni à la gravité de l’infraction.59. En effet, les infractions associées aux nouvelles peines minimales imposées par la Loisont des infractions qui couvr<strong>en</strong>t une vaste gamme de comportem<strong>en</strong>ts, allant des pluslégers aux plus odieux. Ces infractions n’ont ri<strong>en</strong> <strong>en</strong> commun avec les infractions quiimpliqu<strong>en</strong>t l’usage d’une arme à feu dans le cas de l’homicide involontaire ou de lanéglig<strong>en</strong>ce criminelle causant la mort, pour lesquelles une peine minimale de quatre ans aété jugée valide. Dans de tels cas, les peines minimales imposées par le législateurs’appar<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t aux peines déjà infligées par les tribunaux. Alors qu’au contraire, les12


exemples jurisprud<strong>en</strong>tiels cités plus haut démontr<strong>en</strong>t que les infractions concernées par laLoi peuv<strong>en</strong>t recouvrir des comportem<strong>en</strong>ts dont la gravité n’exige pas l’emprisonnem<strong>en</strong>t<strong>du</strong> délinquant.60. En ce qui concerne les articles qui ont pour effet d’imposer des nouvelles peinesminimales à la Loi réglem<strong>en</strong>tant certaines drogues et autres substances, le législateur aprévu à l’article 43(2) de la Loi (article 10 de LRCDAS) une disposition qui permet auxjuges de ne pas imposer la peine minimale à un contrev<strong>en</strong>ant qui termine avec succès unprogramme de traitem<strong>en</strong>t de la toxicomanie.61. Le requérant reconnaît que cette exception permet aux juges d’exercer une certainediscrétion, mais elle a surtout pour effet d’accorder un pouvoir important au poursuivantdans le cas de personnes vulnérables aux prises avec un problème de toxicomanie.62. Bi<strong>en</strong> qu’une certaine discrétion soit attribuée aux juges <strong>en</strong> vertu de l’article 43(2) de laLoi, le requérant est d’avis que cette exception à la révocation générale de la discrétionjudiciaire <strong>en</strong> matière d’imposition de la peine pour les infractions visées ne respectetoujours pas le principe de proportionnalité.63. Dans le cas où un poursuivant avise le contrev<strong>en</strong>ant <strong>en</strong> vertu de l’article 42 de la Loi(article 8 de LRCDAS) qu’une peine minimale est applicable et que le procureur <strong>en</strong>t<strong>en</strong>détablir les circonstances justifiant son imposition, le juge n’aura que deux choix :constater que le contrev<strong>en</strong>ant a complété un programme de traitem<strong>en</strong>t de la toxicomanieavec succès et exercer sa discrétion ou, à défaut, <strong>en</strong>voyer cette personne <strong>en</strong> prison. Lesprincipes applicables <strong>en</strong> matière de gradation des peines, selon les circonstances <strong>du</strong> crimeet <strong>du</strong> degré de responsabilité <strong>du</strong> contrev<strong>en</strong>ant, sont ainsi toujours écartés.64. En outre, <strong>en</strong> s’appliquant à un seul segm<strong>en</strong>t de contrev<strong>en</strong>ants, les toxicomanes qui ontcommis une infraction reliée au trafic de drogues, cette mesure a pour effet d’écarterd’autres contrev<strong>en</strong>ants vulnérables qui sont aux prises avec des pathologies qui peuv<strong>en</strong>tcon<strong>du</strong>ire à la commission d’infractions reliées au trafic de drogues. Alors que ladiscrétion judiciaire favorise l’imposition de peines proportionnelles <strong>en</strong> t<strong>en</strong>ant compte desvulnérabilités particulières de chaque contrev<strong>en</strong>ant, quelle que soit leur nature, l’article43(2) de la Loi vise un seul type de problème et est <strong>en</strong> conséqu<strong>en</strong>ce trop limitatif.65. En effet, l’imposition <strong>en</strong> bloc d’un grand nombre de peines minimales, sans discernem<strong>en</strong>tet sans analyse, a pour effet de miner le principe de la proportionnalité <strong>en</strong> obligeant lesjuges, pour des raisons non fondées, à imposer des peines minimales même quand lescirconstances de l’infraction ne le justifi<strong>en</strong>t pas.66. Dans un s<strong>en</strong>s général, les mesures proposées par la Loi oblig<strong>en</strong>t les juges à prononcer despeines d’emprisonnem<strong>en</strong>t disproportionnelles et non indivi<strong>du</strong>alisées. En conséqu<strong>en</strong>ce, lesdispositions contestées constitu<strong>en</strong>t une privation de liberté qui ne respecte pas lesprincipes de justice fondam<strong>en</strong>tale.13


Les dérogations à l’article 7 de la Charte ne sont pas justifiées par son article premier67. Le requérant souti<strong>en</strong>t que les violations de la Charte qui découl<strong>en</strong>t des dispositionsattaquées ne peuv<strong>en</strong>t être justifiées dans une société libre et démocratique et neconstitu<strong>en</strong>t pas des limites raisonnables au regard de l’article premier de la Charte.68. L’article 1 de la Charte prévoit ce qui suit :La Charte canadi<strong>en</strong>ne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sonténoncés. Ils ne peuv<strong>en</strong>t être restreints que par une règle de droit, dans des limites quisoi<strong>en</strong>t raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'unesociété libre et démocratique.69. Dans R. c. Oakes, la Cour suprême a défini le cadre juridique pour l’application del’article 1 de la Charte. La Cour a établi les élém<strong>en</strong>ts qu’il faut satisfaire pour justifier lesrestrictions apportées aux droits et libertés. Les facteurs sont les suivants :Deux critères fondam<strong>en</strong>taux :1 – l'objectif que poursuiv<strong>en</strong>t les mesures qui apport<strong>en</strong>t une restriction à un droitou à une liberté garantis par la Charte, doit être suffisamm<strong>en</strong>t important pourjustifier la suppression d'un droit ou d'une liberté garantis par la Constitution,2 – dès qu'il est reconnu qu'un objectif est suffisamm<strong>en</strong>t important, la partie quiinvoque l'article premier doit alors démontrer que les moy<strong>en</strong>s choisis sontraisonnables et que leur justification peut se démontrer.Trois élém<strong>en</strong>ts pour déterminer si les moy<strong>en</strong>s sont raisonnables et justifiés :1 – les moy<strong>en</strong>s doiv<strong>en</strong>t avoir un li<strong>en</strong> rationnel avec l'objectif <strong>en</strong> question,2 – le moy<strong>en</strong> choisi doit porter "le moins possible" atteinte au droit ou à la liberté<strong>en</strong> question,3 – il doit y avoir proportionnalité <strong>en</strong>tre les effets des mesures restreignant un droitou une liberté garantis par la Charte et l'objectif reconnu comme "suffisamm<strong>en</strong>timportant".R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103 aux par 69 à 7170. En adoptant les dispositions contestées de la Loi, le législateur cherchait à ré<strong>du</strong>irel’incid<strong>en</strong>ce de certaines infractions à caractère sexuelle, à protéger des personnesvulnérables et à ré<strong>du</strong>ire l’incid<strong>en</strong>ce <strong>du</strong> trafic de drogues dont notamm<strong>en</strong>t des élém<strong>en</strong>ts quir<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t cette activité plus dangereuse. Il s’agit d’objectifs législatifs valides.71. Cep<strong>en</strong>dant, le requérant souti<strong>en</strong>t que la violation des droits garantis à l’article 7 de laCharte par les peines minimales qui découl<strong>en</strong>t de la Loi n’est ni raisonnable, ni justifiable.14


72. La Cour suprême a reconnu que les droits protégés par l'art. 7 – la vie, la liberté et lasécurité de la personne – constitu<strong>en</strong>t le fondem<strong>en</strong>t même de notre conception d'unesociété libre et démocratique et à ce titre, peuv<strong>en</strong>t difficilem<strong>en</strong>t être supplantés par desintérêts sociaux diverg<strong>en</strong>ts. En conséqu<strong>en</strong>ce, les dérogations aux principes de justicefondam<strong>en</strong>tale sont difficiles à justifier <strong>en</strong> application de l'article premier.Charkaoui c. Canada (Citoy<strong>en</strong>neté et Immigration), [2007] 1 R.C.S. 350 au par.66.73. En l’espèce, il n’y a pas de li<strong>en</strong> rationnel <strong>en</strong>tre l’objectif et les moy<strong>en</strong>s. Comme il estsout<strong>en</strong>u plus haut, il n’y a aucun cons<strong>en</strong>sus sci<strong>en</strong>tifique à l’effet que les peines minimalesont un effet dissuasif et qu’elles ré<strong>du</strong>is<strong>en</strong>t le taux de récidive chez les délinquants viséspar ces mesures.74. Les peines minimales prévues par la Loi ne constitu<strong>en</strong>t pas une atteinte minimale auxdroits garantis par l’article 7. Ces dispositions n’assur<strong>en</strong>t pas une meilleure dissuasion niune meilleure protection <strong>du</strong> public que les peines actuellem<strong>en</strong>t prévues par le Codecriminel et la LRCDS. Les peines prévues par le Code criminel et la LRCDS constitu<strong>en</strong>tdonc un moy<strong>en</strong> moins att<strong>en</strong>tatoire aux droits garantis par l’article 7, moy<strong>en</strong> qui contribueautant que les dispositions contestées à l’atteinte des objectifs <strong>du</strong> législateur.75. Enfin, pour les raisons déjà évoqués, les peines minimales prévues par la Loi ne sont pasproportionnées à l’objectif visé, puisqu’elles constitu<strong>en</strong>t une réponse excessive etirrationnelle au problème id<strong>en</strong>tifié par le législateur.B- LA VIOLATION DU DROIT À L’ÉGALITÉ76. Le requérant souti<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t que les dispositions contestées de la Loi viol<strong>en</strong>t le droit àl’égalité protégé par l’article 15 de la Charte, étant donné qu’elles priv<strong>en</strong>t les Autochtones<strong>du</strong> bénéfice de l’article 718.2e) <strong>du</strong> Code criminel, tel qu’interprété par les arrêts Gla<strong>du</strong>e etIpeelee.R. c. Gla<strong>du</strong>e, [1999] 1 R.C.S. 688.R. c. Ipeelee, [2012] 1 R.C.S. 433.77. L’article 718.2e) a été adopté afin de ré<strong>du</strong>ire la surreprés<strong>en</strong>tation des Autochtones au sein<strong>du</strong> système carcéral.78. La décision <strong>du</strong> Parlem<strong>en</strong>t de m<strong>en</strong>tionner spécifiquem<strong>en</strong>t les Autochtones dans cet articledécoule <strong>du</strong> constat que le fonctionnem<strong>en</strong>t <strong>du</strong> système de justice pénale donne lieu à de ladiscrimination systémique <strong>en</strong>vers les autochtones. L’article 718.2e) est donc une mesurequi vise à remédier à une violation <strong>du</strong> droit à l’égalité qui a été constatée par le Parlem<strong>en</strong>t.R. c. Gla<strong>du</strong>e, supra, aux par. 61, 65.R. c. Ipeelee, supra, aux par. 65, 67R. c. King, [2007] 4 C.N.L.R. 248 (C.J. Ont.)79. Les dispositions contestées de la Loi auront pour effet d’empêcher les tribunauxd’appliquer l’article 718.2e) et les arrêts Gla<strong>du</strong>e et Ipeelee aux délinquants autochtonesqui commett<strong>en</strong>t des infractions visées par ces dispositions.15


80. À titre d’exemple, dans l’arrêt Ittoshat, la Cour d’appel a imposé une peine de 18 moisd’emprisonnem<strong>en</strong>t à purger dans la collectivité à un homme trouvé coupable d’agressionsexuelle à l’égard d’une jeune fille de 14 ans, <strong>en</strong> raison <strong>du</strong> long délai écoulé <strong>en</strong>trel’infraction et la poursuite et <strong>du</strong> fait que le délinquant avait eu un comportem<strong>en</strong>tirréprochable depuis lors. Les dispositions contestées de la Loi empêcherai<strong>en</strong>t un juged’imposer une telle peine et priverai<strong>en</strong>t donc le délinquant <strong>du</strong> bénéfice de l’article718.2e).Ittoshat c. R. (1999), 32 C.R. (5th) 371 (C.A.Q.)81. Selon l’arrêt Withler, il y a une violation de l’article 15 de la Charte lorsque la loicontestée crée une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue et que cettedistinction crée un désavantage par la perpétuation d’un préjugé ou l’application destéréotypes.Withler c. Canada (P.G.), [2011] 1 R.C.S. 396 au par. 3082. En particulier, le retrait d’une mesure destinée à réaliser l’égalité réelle ou à combattre ladiscrimination constitue lui-même une violation de l’article 15.Terre-Neuve (Conseil <strong>du</strong> Trésor) c. N.A.P.E., [2004] 3 R.C.S. 381 aux par. 38-5183. Le fait de retirer aux délinquants autochtones la possibilité d’invoquer l’article 718.2e) oude les empêcher de recevoir toute la gamme de peines que l’application de cet articleautoriserait d’imposer constitue une discrimination raciale interdite par l’article 15 de laCharte.R. c. King, [2007] 4 C.N.L.R. 248 (C.J. Ont.)84. Pour les raisons m<strong>en</strong>tionnées plus haut au sujet de la violation de l’article 7, lesdispositions contestées de la Loi ne sont pas sauvées par l’article 1.85. De plus, il est difficile d’affirmer que les dispositions contestées de la Loi constitu<strong>en</strong>t uneatteinte minimale au droit garanti par l’article 15, puisqu’il n’existe aucune preuve que lelégislateur a considéré les répercussions de ces dispositions sur les délinquantsautochtones ni qu’il a cherché à les minimiser.C- LA VIOLATION DES PRINCIPES CONSTITUTIONNELS DE L’INDÉPENDANCEJUDICIAIRE ET DE LA SÉPARATION DES POUVOIRS86. Le requérant souti<strong>en</strong>t que, pris dans leur <strong>en</strong>semble, les articles contestés de la Loi sontcontraires aux principes constitutionnels de l’indép<strong>en</strong>dance judiciaire et de la séparationdes pouvoirs.87. L’indép<strong>en</strong>dance judiciaire fait partie des principes constitutionnels <strong>du</strong> Canada qui sontprotégés tant par le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 que par la Chartecanadi<strong>en</strong>ne des droits et libertés. Au même titre, la séparation des trois pouvoirs de l’État,le législatif, l’exécutif et le judiciaire, est un aspect fondam<strong>en</strong>tal de la Constitutioncanadi<strong>en</strong>ne.16


La Reine c. Beauregard, [1986] 2 R.C.S. 56, par. 27 et 28;R<strong>en</strong>voi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale (Î.-P.-É.),[1997] 3 R.C.S. 3, par. 138.88. La garantie d’indép<strong>en</strong>dance judiciaire est ess<strong>en</strong>tielle au mainti<strong>en</strong> <strong>du</strong> rôle des tribunaux deprotecteur de la constitution et des valeurs fondam<strong>en</strong>tales qui y sont <strong>en</strong>châssées. Elle estaussi ess<strong>en</strong>tielle au règlem<strong>en</strong>t juste et équitable des litiges dans les affaires indivi<strong>du</strong>elles.Le rôle des tribunaux <strong>en</strong> tant que déf<strong>en</strong>seurs de la Constitution exige que ceux-ci soi<strong>en</strong>tcomplètem<strong>en</strong>t séparés sur le plan des pouvoirs et des fonctions des autres participants <strong>du</strong>système judiciaire, ce qui inclut le pouvoir législatif.La Reine c. Beauregard, [1986] 2 R.C.S. 56, par. 24 et 31;89. Le respect <strong>du</strong> principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs implique quant à luique chacun des trois pouvoirs de l’État exerce les fonctions qui lui sont propres sansinterfér<strong>en</strong>ce de la part d’un autre pouvoir. En ce qui concerne la séparation <strong>en</strong>tre lepouvoir judiciaire d’une part, et les pouvoirs législatif et exécutif d’autre part, cetteséparation doit demeurer parfaitem<strong>en</strong>t étanche, ceci afin de permettre aux tribunaux des’acquitter <strong>en</strong> toute indép<strong>en</strong>dance et impartialité des obligations fondam<strong>en</strong>tales qui leursont imposées par la Constitution. De plus, contrairem<strong>en</strong>t aux rapports <strong>en</strong>tre les pouvoirslégislatif et exécutif, les rapports <strong>en</strong>tre le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire ne sontpas fondés sur un li<strong>en</strong> hiérarchique.New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Présid<strong>en</strong>t de l'Assembléelégislative), [1993] 1 R.C.S. 319 au par. 141 ;Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l'É<strong>du</strong>cation), 2003 CSC 62,[2003] 3 R.C.S. 3, par. 108 et 109.90. Les principes d’indép<strong>en</strong>dance judiciaire et de séparation des pouvoirs s’appliqu<strong>en</strong>t avec lamême force et avec la même rigueur aux rapports <strong>en</strong>tre le pouvoir judiciaire et le pouvoirlégislatif, qu’aux rapports <strong>en</strong>tre le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif. Autrem<strong>en</strong>t dit,une loi, tout autant qu’un acte posé par le pouvoir exécutif, peut porter atteinte àl’indép<strong>en</strong>dance judiciaire et au principe de la séparation <strong>du</strong> pouvoir judiciaire et des autrespouvoirs.Beauregard c. La Reine, [1986] 2 R.C.S. 56, par. 34;R<strong>en</strong>voi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale (Î.-P.-É.),par. 138 à 140.91. Bi<strong>en</strong> que le pouvoir législatif a toute la compét<strong>en</strong>ce voulue pour édicter des lois, celles-cine doiv<strong>en</strong>t pas faire obstacle, sous un aspect fondam<strong>en</strong>tal, à l’exercice des fonctions quirelèv<strong>en</strong>t <strong>du</strong> pouvoir judiciaire.Colombie-Britannique c. Imperial Tobacco Canada Ltée, [2005] 2 R.C.S. 473,par. 47 et 54 ; Babcock c. Canada, [2002] 3 R.C.S. 3 au par. 5792. De la même façon que le principe de la séparation des pouvoirs interdit au pouvoirjudiciaire de s’approprier la compét<strong>en</strong>ce de surveiller l’application subséqu<strong>en</strong>te de sesordonnances, le principe de la séparation des pouvoirs interdit au pouvoir législatifd’empiéter sur la fonction exclusive des tribunaux judiciaires de r<strong>en</strong>dre des ordonnancesfondées sur le droit et la preuve.17


Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l'É<strong>du</strong>cation), par. 120.93. La Cour suprême <strong>du</strong> Canada reconnaît que le statut constitutionnel <strong>du</strong> pouvoir judiciaireexige que certaines fonctions soi<strong>en</strong>t réservées <strong>en</strong> exclusivité aux organismes judiciaires.Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854,par. 13États-Unis d'Amérique c. Burns, [2001] 1 R.C.S. 283 au par. 3894. L’imposition d’une peine lors d’une déclaration de culpabilité est une responsabilité quirevi<strong>en</strong>t à la magistrature dans le cadre de notre système de justice pénale. La discrétionjudiciaire est intrinsèque à ce domaine et assure que les peines imposées respect<strong>en</strong>t lesprincipes de proportionnalité. L’imposition d’une peine minimale limite indûm<strong>en</strong>t lacapacité <strong>du</strong> juge d’exercer son jugem<strong>en</strong>t judiciaire.R. v. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500 au par. 9195. En l’espèce, les mesures législatives impos<strong>en</strong>t au juge de condamner un prév<strong>en</strong>u à unepeine minimale d’emprisonnem<strong>en</strong>t, sans considération de la preuve prés<strong>en</strong>tée devant lacour concernant le caractère approprié et juste de la peine. Ce faisant, ces mesuresempièt<strong>en</strong>t sur les fonctions juridictionnelles <strong>du</strong> juge qui compr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t celle d’apprécier lesfaits et d’évaluer la preuve pour décider s’il doit ou non condamner un prév<strong>en</strong>u à unepeine d’emprisonnem<strong>en</strong>t. Plus particulièrem<strong>en</strong>t, les mesures législatives constitu<strong>en</strong>t uneusurpation <strong>du</strong> pouvoir discrétionnaire judiciaire.Ell c. Alberta, [2003] 1 R.C.S. 857, par. 24.96. L’obligation faite au juge d’imposer une peine minimale lors de la déclaration deculpabilité interfère donc de manière importante avec les fonctions constitutionnelles quilui sont attribuées dans le système de justice pénale au Canada. Parmi ces fonctions figurecelle de voir au respect des garanties juridiques cont<strong>en</strong>ues aux articles 7 à 14 de la Chartecanadi<strong>en</strong>ne des droits et libertés.R<strong>en</strong>voi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale (Î.-P.-É.),par. 128.97. En limitant indûm<strong>en</strong>t la discrétion judiciaire, l’imposition d’une peine d’emprisonnem<strong>en</strong>tminimale constitue un empiètem<strong>en</strong>t <strong>du</strong> pouvoir législatif sur le mandat constitutionnel <strong>du</strong>pouvoir judiciaire <strong>en</strong> matière de justice criminelle, soit celui de s’assurer <strong>du</strong> respect desdroits et libertés indivi<strong>du</strong>elles garantis par la Constitution canadi<strong>en</strong>ne dans tous les cas quilui sont soumis.Ell c. Alberta, [2003] 1 R.C.S. 857, par. 24.98. Dans l’arrêt Liyanage, le Conseil privé a jugé invalide une loi <strong>du</strong> Ceylan qui modifiaitrétroactivem<strong>en</strong>t les lois pénales à la suite d’un coup d’État avorté et qui prévoyait, <strong>en</strong>treautres, de lourdes peines minimales obligatoires. En se fondant sur les principes de basede la constitution de ce pays, doté d’une constitution écrite inspirée de la traditionbritannique, le Conseil privé a affirmé que le Parlem<strong>en</strong>t ne pouvait pas usurper le pouvoirjudiciaire :18


« In so far as any Act […] purports to usurp or infringe the judicial power it isultra vires. »Liyanage v. The Que<strong>en</strong>, [1965] UKPC 1.99. En particulier, le Conseil privé a affirmé que la restriction apportée à la discrétion desjuges <strong>en</strong> matière de détermination de la peine était un facteur très important pour parv<strong>en</strong>irà la conclusion que le Parlem<strong>en</strong>t avait porté atteinte à un aspect fondam<strong>en</strong>tal de laséparation des pouvoirs et usurpé le pouvoir judiciaire :« The true nature and purpose of these <strong>en</strong>actm<strong>en</strong>ts are revealed by their conjointimpact on the specific proceedings in respect of which they were designed, andthey take their colour, in particular, from the alterations they purported to make asto their ultimate objective, the punishm<strong>en</strong>t of those convicted. These alterationsconstituted a grave and deliberate incursion into the judicial sphere. Quite bluntly,their aim was to <strong>en</strong>sure that the judges in dealing with these particular persons onthese particular charges were deprived of their normal discretion as respectsappropriate s<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ces. They were compelled to s<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ce each off<strong>en</strong>der onconviction to not less than t<strong>en</strong> years' imprisonm<strong>en</strong>t, and compelled to orderconfiscation of his possessions, ev<strong>en</strong> though his part in the conspiracy might havebe<strong>en</strong> trivial. »100. En l’espèce, la mise à l’écart de la discrétion judiciaire dans l’imposition de lapeine, sans que la gravité intrinsèque de l’infraction n’<strong>en</strong>traîne une culpabilité morale quijustifie l’imposition d’une peine minimale d’emprisonnem<strong>en</strong>t, constitue une atteinteimportante à un aspect fondam<strong>en</strong>tal <strong>du</strong> mandat constitutionnel confié au pouvoirjudiciaire.Ell c. Alberta, [2003] 1 R.C.S. 857, par. 24.101. De plus, cette discrétion judiciaire est nécessaire pour que les juges puiss<strong>en</strong>tr<strong>en</strong>dre des décisions qui sont justes, ce qui constitue le fondem<strong>en</strong>t même de la légitimitédes tribunaux. Cette légitimité dép<strong>en</strong>d de la confiance que le public accorde au système dejustice. Le mainti<strong>en</strong> de cette confiance réside dans l’assurance que la justice est r<strong>en</strong><strong>du</strong>epar des juges indép<strong>en</strong>dants et impartiaux. Dans son interprétation des lois et de lacommon law, la Cour suprême <strong>du</strong> Canada a toujours t<strong>en</strong><strong>du</strong> à préserver la discrétion destribunaux afin d’éviter que ceux-ci soi<strong>en</strong>t t<strong>en</strong>us de r<strong>en</strong>dre des décisions injustes.Construction Gilles Paquette ltée c. Entreprises Végo ltée, [1997] 2 R.C.S. 299.Cité de Pont-Viau c. Gauthier Mfg. Ltd., [1978] 2 R.C.S. 516.Immeubles Port Louis Ltée c. Lafontaine (Village), [1991] 1 R.C.S. 326.Colombie-Britannique (Ministre des Forêts) c. Bande indi<strong>en</strong>ne Okanagan, [2003]3 R.C.S. 371.L’INTÉRÊT POUR AGIR102. Le requérant possède l’intérêt requis au s<strong>en</strong>s <strong>du</strong> droit public pour contester lavalidité des articles 11, 12, 13, 14, 15, 17, 19, 20, 21, 22, 23, 25, 26, 27, 39, 40 et 41 de laLoi, et par conséqu<strong>en</strong>ce les articles modifiés <strong>du</strong> Code criminel et les articles 5(3), 6(3),19


7(3) et 7(4) de la Loi réglem<strong>en</strong>tant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch.19 car ces dispositions port<strong>en</strong>t sur une matière de droit public et conc<strong>en</strong>r<strong>en</strong>t des principesconstitutionnels fondam<strong>en</strong>taux, d’importance nationale.103. Dans l’affaire Procureur général <strong>du</strong> Canada c. Downtown Eastside Sex WorkersUnited Against Viol<strong>en</strong>ce Society la Cour Suprême a adopté une approche téléologique etsouple pour décider si une partie a la qualité pour agir dans l’intérêt public. La Cour décritles trois facteurs d’analyse de la façon suivante :a. La question soulevée constitue-t-elle une question justiciable sérieuse ? L’actionest-t-il loin d’être futile?b. Le demandeur a-t-il un intérêt réel dans les procé<strong>du</strong>res ou est-il <strong>en</strong>gagé quant auxquestions qu’elles soulèv<strong>en</strong>t ?c. La poursuite proposée constitue‐t‐elle, compte t<strong>en</strong>u de toutes les circonstances,une manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la cour ?Canada (Procureur général) c. Downtown Eastside Sex Workers United AgainstViol<strong>en</strong>ce Society, [2012] S.C.J. No. 45104. Cette requête soulève des questions sérieuses quant à la validité des dispositionscontestées de la loi. Il existe un risque réel que les dispositions contestées con<strong>du</strong>is<strong>en</strong>t àl’imposition de nombreuses peines inappropriées. Il ne s’agit pas d’un débat théoriquemais d’un débat de fond, mettant <strong>en</strong> cause les droits de milliers de citoy<strong>en</strong>s et la sécuritédes citoy<strong>en</strong>s.105. Les articles attaqués par le requérant mett<strong>en</strong>t aussi <strong>en</strong> péril l’administration de lajustice dans un s<strong>en</strong>s plus large et la capacité de nos tribunaux de remplir leurs fonctions etde r<strong>en</strong>dre justice.106. Le requérant a un intérêt véritable, réel et constant <strong>en</strong> ce qu’il joue une rôled’avant-plan dans tous les domaines relevant de la justice et de l’organisation destribunaux.107. Comme l’explique le juge André Rochon, alors juge de la Cour supérieure, dansl’arrêt <strong>Barreau</strong> de Montréal c. <strong>Québec</strong> (Procureur général):« La protection <strong>du</strong> public <strong>en</strong>globe certes le contrôle des membres <strong>du</strong> <strong>Barreau</strong> maisne s'y limite pas. En fait, les interv<strong>en</strong>tions publiques <strong>du</strong> <strong>Barreau</strong> ont constamm<strong>en</strong>tporté sur les grands <strong>en</strong>sembles législatifs ayant un impact sur les citoy<strong>en</strong>s. Leministère de la Justice a reconnu à maintes reprises le champ d'expertiseparticulier <strong>du</strong> <strong>Barreau</strong> <strong>en</strong> sollicitant son avis, <strong>en</strong> l'invitant à des colloques de toutordre, <strong>en</strong> le faisant partie pr<strong>en</strong>ante de tous les sommets de la justice <strong>du</strong> <strong>Québec</strong>. »<strong>Barreau</strong> de Montréal c. <strong>Québec</strong> (Procureur général), [1999] J.Q. no 5472 au par37 ; confirmé sur ce point par la Cour d’appel, [2001] J.Q. no 3882 au par.1420


108. Depuis, le requérant est interv<strong>en</strong>u dans de nombreux débats judiciaires dans lapoursuite de sa mission de protection <strong>du</strong> public conformém<strong>en</strong>t à sa Politiqued’interv<strong>en</strong>tion aux débats judiciaires adoptée <strong>en</strong> 2009, pro<strong>du</strong>ite comme pièce R-5.109. À titre d’illustration, le <strong>Barreau</strong> <strong>du</strong> <strong>Québec</strong> est interv<strong>en</strong>u ou a pris l’initiative ded’intro<strong>du</strong>ire une requête pour l’obt<strong>en</strong>tion d’un jugem<strong>en</strong>t <strong>déclaratoire</strong> dans les affairesd’intérêt public suivantes :• Charkaoui c. Canada (Citoy<strong>en</strong>neté et Immigration), [2008] CSC 33178;• Globe and Mail c. Groupe Polygone Éditeurs Inc, [2009] CSC 33097;• Premier ministre <strong>du</strong> Canada c. Khadr, [2009] CSC 33289 ;• Németh c. Ministre de la Justice <strong>du</strong> Canada, [2010] CSC 33016;• Seidel c. Telus Communication Inc, [2011] CSC 33154 ;• R<strong>en</strong>voi Par le Gouverneur <strong>en</strong> conseil au sujet de la proposition concernant une loicanadi<strong>en</strong>ne intitulée Loi sur les valeurs mobilières formulée dans le décret C.P.2010-667 <strong>en</strong> date <strong>du</strong> 26 mai 2010, CSC 33178;• Reine c. Lamoureux, [2011] CSC 33970• N.S. c. R, [2012] CSC 33989110. Il existe ici une concordance des intérêts <strong>du</strong> public avec la mission fondam<strong>en</strong>talede protection <strong>du</strong> public qui incombe au requérant.111. Enfin, le requérant a participé activem<strong>en</strong>t au processus consultatif ayant précédél’adoption de la Loi et qui fait l’objet <strong>du</strong> prés<strong>en</strong>t litige.112. La requête <strong>en</strong> jugem<strong>en</strong>t <strong>déclaratoire</strong> visant à obt<strong>en</strong>ir une déclarationd’inconstitutionnalité des dispositions litigieuses de la Loi, alors que la Loi a été adoptéeet que certaines des dispositions litigieuses ne sont pas <strong>en</strong>core <strong>en</strong> vigueur, est une manièreraisonnable et efficace de soumettre la question à la cour. Cela permettra une résolution<strong>du</strong> litige dans un délai raisonnable.113. Le prés<strong>en</strong>t recours permet, contrairem<strong>en</strong>t à une interv<strong>en</strong>tion <strong>du</strong> requérant danschacun des dossiers des citoy<strong>en</strong>s accusés d’une infraction visée par les nouvellesdispositions de la Loi, de fournir une solution judiciaire avant que ne soit consommée lanégation de quelque droit.21


114. Le jugem<strong>en</strong>t final établira le droit sans créer une impasse dans le fonctionnem<strong>en</strong>tquotidi<strong>en</strong> des tribunaux de première instance.CONCLUSIONPOUR TOUS CES MOTIFS, PLAISE AU TRIBUNAL :D’ACCUEILLIR la prés<strong>en</strong>te requête ;DÉCLARER invalides et inapplicables constitutionnellem<strong>en</strong>t les dispositions suivantes :les articles 11, 12, 13, 14, 15, 17, 19, 20, 21, 22, 23, 25, 26, 27, 39, 40 et 41 de la Loi surla sécurité des rues et des communautés, L.C. 2012, ch. 1 (loi C-10) et par conséqu<strong>en</strong>celes articles 155, 161, 171.1, 172.1, 172.2, 173, 271, 272 et 273 <strong>du</strong> Code criminel <strong>en</strong>prescrivant des nouvelles peines minimales d’emprisonnem<strong>en</strong>t et aux articles 151, 152,153, 163.1 (2), 163.1 (3), 163.1 (4) et 163.1 (4.1) <strong>du</strong> Code criminel et les articles 5(3),6(3), 7(3) et 7(4) de la Loi réglem<strong>en</strong>tant certaines drogues et autres substances; , L.C.1996, ch. 19RENDRE toute ordonnance qu’il estime appropriée ;LE TOUT RESPECTUEUSEMENT SOUMIS.Montréal, ce 23 novembre 2012_________________________Giuseppe BattistaProcureur <strong>du</strong> <strong>Barreau</strong> <strong>du</strong> <strong>Québec</strong>22


LISTE DES PIÈCESPièce R-1 : Résumé législatif <strong>du</strong> projet de loi C-10 : 3 Modifications au Codecriminel (infractions d’ordre sexuelles à l’égard d’<strong>en</strong>fants) [C-10, partie 2 art. 10 à 31, 35à 38 et 49 et 51 – anci<strong>en</strong> projet de loi C-54]Pièce R-2 : Résumé législatif <strong>du</strong> projet de loi C-10 : 4 Modifications à la Loiréglem<strong>en</strong>tant certaines drogues et autres substances [C-10, partie 2, art 32 et 33, 39 à48, et 50 et 51 – anci<strong>en</strong> projet de loi S-10]Pièce R-3 : Délibération <strong>du</strong> Comité sénatoriale perman<strong>en</strong>t des Affaires juridiques etconstitutionnelles des 1 er et 2 février 2012Pièce R-4 : Les perceptions des Canadi<strong>en</strong>s à l’égard de la sécurité personnelle et dela criminalité, 2009 - article de Juristat (Statistique Canada)Pièce R-5 : Politique relative à l’interv<strong>en</strong>tion <strong>du</strong> <strong>Barreau</strong> <strong>du</strong> <strong>Québec</strong> aux débatsjudiciaires23


Pièce R-1


Pièce R-2


Pièce R-3


Pièce R-4


Pièce R-5


AVIS(119 C.p.c.)________________________PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA200, boul. R<strong>en</strong>é-Lévesque Ouest9e étageMontréal, <strong>Québec</strong>H2Z 1X4PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC,1, rue Notre-Dame estbureau 8.00Montréal, <strong>Québec</strong>H2Y 1B6PRENEZ AVIS que la partie demanderesse a déposé au greffe de la Cour Supérieure <strong>du</strong> districtjudiciaire de Montréal la prés<strong>en</strong>te demande.Pour répondre à cette demande, vous devez comparaître par écrit, personnellem<strong>en</strong>t ou par avocat,au palais de justice de Montréal situé au 1, rue Notre-Dame à Montréal dans les 10 jours de lasignification de la prés<strong>en</strong>te requête.La demande sera prés<strong>en</strong>tée devant le tribunal le 10 janvier 2013 à 9 heures <strong>en</strong> la salle 2.16 <strong>du</strong>palais de justice de Montréal et le tribunal pourra, à cette date, exercer les pouvoirs nécessaires<strong>en</strong> vue d'assurer le bon déroulem<strong>en</strong>t de l'instance ou procéder à l'audition de la cause, à moinsque vous n'ayez conv<strong>en</strong>u par écrit avec la partie demanderesse ou son avocat d'un cal<strong>en</strong>drier deséchéances à respecter <strong>en</strong> vue d'assurer le bon déroulem<strong>en</strong>t de l'instance, lequel devra être déposéau greffe <strong>du</strong> tribunal.

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