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Les pratiques professionnelles des jeunes générations de médecins

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<strong>Les</strong> <strong>pratiques</strong> <strong>professionnelles</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>jeunes</strong><br />

<strong>générations</strong> <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins<br />

Genre, carrière et gestion <strong><strong>de</strong>s</strong> temps sociaux<br />

Le cas <strong><strong>de</strong>s</strong> mé<strong>de</strong>cins âgés <strong>de</strong> 30 à 35 ans<br />

Note <strong>de</strong> synthèse pour le Conseil National <strong>de</strong> l'Ordre <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

Mé<strong>de</strong>cins<br />

Magali ROBELET – Graphos - Université Lyon 3<br />

Nathalie LAPEYRE – SAGESSE - Université Toulouse Le Mirail<br />

Emmanuelle ZOLESIO – ENS LSH Université Lyon 2<br />

Janvier 2006


Féminisation et <strong>pratiques</strong> <strong>professionnelles</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>jeunes</strong> <strong>générations</strong> <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins<br />

Genre, carrière et gestion <strong><strong>de</strong>s</strong> temps sociaux<br />

Sommaire<br />

Introduction : les mutations <strong>de</strong> l’ethos professionnel, un effet <strong>de</strong><br />

génération plus qu’un effet <strong>de</strong> genre___________________________ 1<br />

1 Des imbrications réelles mais variables entre construction <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

carrières et trajectoires conjugales et familiales _________________ 3<br />

1.1 L'importance <strong>de</strong> la carrière professionnelle pour les femmes mé<strong>de</strong>cins : toutes au<br />

travail! ______________________________________________________________ 3<br />

1.2 Le poids accordé aux "conditions <strong>de</strong> vie" dans les choix <strong>de</strong> carrière ____________ 4<br />

1.3 La nécessité d'articuler <strong>de</strong>ux carrières dans les couples ______________________ 5<br />

1.4 Des carrières conçues comme "modulables" _______________________________ 7<br />

2 Le temps et l'organisation du travail <strong><strong>de</strong>s</strong> mé<strong>de</strong>cins_______________ 8<br />

2.1 Un temps <strong>de</strong> travail conforme à la moyenne observée pour l'ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> mé<strong>de</strong>cins<br />

_____________________________________________________________________ 8<br />

2.2 Nouveaux rapports au travail et quête <strong>de</strong> nouveaux mo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> régulation du temps 9<br />

2.3 Des stratégies pour "maîtriser" ou du moins "réguler" le temps______________ 10<br />

3 La répartition <strong><strong>de</strong>s</strong> tâches domestiques et familiales dans les couples 13<br />

3.1 La prégnance d'un modèle "classique" <strong>de</strong> répartition <strong><strong>de</strong>s</strong> rôles domestiques____ 13<br />

3.2 Un partage timi<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> tâches et une volonté d'implication <strong><strong>de</strong>s</strong> hommes dans<br />

l'éducation <strong><strong>de</strong>s</strong> enfants ________________________________________________ 14<br />

3.3 Le recours à <strong><strong>de</strong>s</strong> services extérieurs pour soulager les hommes comme les femmes 15<br />

Conclusion __________________________________________________ 17<br />

Indications bibliographiques ___________________________________ 17


Féminisation et <strong>pratiques</strong> <strong>professionnelles</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>jeunes</strong> <strong>générations</strong> <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins<br />

Genre, carrière et gestion <strong><strong>de</strong>s</strong> temps sociaux<br />

INTRODUCTION : LES MUTATIONS DE L’ETHOS PROFESSIONNEL, UN EFFET DE<br />

GENERATION PLUS QU’UN EFFET DE GENRE<br />

Aujourd'hui, plus <strong>de</strong> la moitié <strong><strong>de</strong>s</strong> étudiants <strong>de</strong> première année <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine sont <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

étudiantes, et 46% <strong><strong>de</strong>s</strong> mé<strong>de</strong>cins <strong>de</strong> moins <strong>de</strong> 40 ans sont <strong><strong>de</strong>s</strong> femmes. Ce processus <strong>de</strong><br />

féminisation questionne les représentants <strong>de</strong> la profession. La croissance <strong>de</strong> la population<br />

féminine parmi les mé<strong>de</strong>cins va-t-elle conduire à modifier les <strong>pratiques</strong> <strong>professionnelles</strong> et<br />

l'offre <strong>de</strong> service aux patients et si oui, dans quel sens?<br />

Sans permettre <strong>de</strong> répondre directement et intégralement à cette question, le recours à <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

grilles d'analyse sociologiques permet d'inscrire la féminisation <strong>de</strong> la profession médicale<br />

dans une dynamique <strong>de</strong> changement social plus large affectant les rapports hommes/femmes<br />

aussi bien dans la sphère privée qu'au travail. Il s'agira ainsi <strong>de</strong> saisir, au-<strong>de</strong>là <strong><strong>de</strong>s</strong> chiffres à<br />

présent bien connus <strong>de</strong> la démographie médicale, les changements qui affectent le rapport<br />

au travail <strong><strong>de</strong>s</strong> femmes comme <strong><strong>de</strong>s</strong> hommes (notamment temps <strong>de</strong> travail, articulation<br />

temps <strong>de</strong> travail/temps familial, mais aussi conception du métier), dans la profession<br />

médicale. En ce sens, il nous a paru pertinent d'enquêter auprès <strong>de</strong> <strong>jeunes</strong> mé<strong>de</strong>cins <strong>de</strong> 30 à<br />

35 ans, en vue d'analyser leurs façons d'articuler la sphère professionnelle et la sphère privée.<br />

L'hypothèse d'une prise <strong>de</strong> distance par rapport à "l'éthos professionnel" classique <strong>de</strong> la<br />

profession médicale<br />

De précé<strong>de</strong>ntes recherches menées auprès <strong><strong>de</strong>s</strong> mé<strong>de</strong>cins, hommes et femmes, choisis dans<br />

toutes les tranches d’âge, avaient largement démontré que, hormis pour certains individus <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

plus anciennes <strong>générations</strong> <strong>de</strong> praticiens alors proches <strong>de</strong> la retraite, le modèle <strong>de</strong><br />

l’implication et du dévouement total du mé<strong>de</strong>cin aux patients, assorti d’une disponibilité<br />

permanente, était <strong>de</strong> moins en moins repérable dans les <strong>pratiques</strong> <strong>de</strong> travail et <strong>de</strong> moins en<br />

moins valorisé dans les discours. Cet ensemble <strong>de</strong> <strong>pratiques</strong> constitue "l’éthos professionnel"<br />

classique <strong>de</strong> la profession médicale, c'est-à-dire les manières <strong>de</strong> faire, d’être et <strong>de</strong> penser<br />

propres à la profession <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cin, impliquant pour le praticien un temps <strong>de</strong> travail "total",<br />

submergeant et débordant tous les autres temps sociaux (au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> 60 heures par semaine),<br />

un dévouement inconditionnel aux patients, une disponibilité permanente par les astreintes et<br />

les gar<strong><strong>de</strong>s</strong>. Un tel investissement pour le travail était le plus souvent associé à la présence<br />

d’une femme-épouse, dévouée à l’éducation <strong><strong>de</strong>s</strong> enfants, à l’accomplissement <strong><strong>de</strong>s</strong> diverses<br />

tâches domestiques et familiales, mais veillant bien souvent aussi au bon déroulement <strong>de</strong><br />

l’activité professionnelle <strong>de</strong> son conjoint mé<strong>de</strong>cin et remplissant toute une série <strong>de</strong> fonctions<br />

en toute gratuité : assistante, réceptionniste, standardiste, secrétaire, infirmière ou ai<strong><strong>de</strong>s</strong>oignante,<br />

comptable, agent d’entretien du cabinet, etc….<br />

Or, <strong>de</strong>puis une trentaine d’années déjà, d’une part, les mé<strong>de</strong>cins ont pour une gran<strong>de</strong> partie<br />

d’entre eux changé <strong>de</strong> sexe (et <strong>de</strong> genre) et les femmes mé<strong>de</strong>cins n’ont pas à leur disposition<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> hommes-époux assistants, ménagers, éducateurs, etc…. D’autre part, les compagnes <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

hommes mé<strong>de</strong>cins possédant une dot scolaire semblable à la leur, les carrières se gèrent à<br />

<strong>de</strong>ux. Dans ce contexte, les mo<strong><strong>de</strong>s</strong> d’investissement professionnels, <strong><strong>de</strong>s</strong> femmes comme <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

hommes mé<strong>de</strong>cins, se sont déplacés vers un "équilibre" ou plus "d’équilibre" entre la gestion<br />

d’une activité professionnelle, qui reste somme toute prenante et exigeante en termes <strong>de</strong><br />

temps, et la gestion d’une vie familiale et domestique, avec une part consacrée aux loisirs,<br />

pensée alors dorénavant comme incompressible. Cette configuration "maîtrisée" <strong>de</strong> l’activité<br />

professionnelle peut s'accompagner d'une volonté (et une nécessité) <strong>de</strong> réduction ou du moins<br />

d'un aménagement du temps <strong>de</strong> travail et <strong><strong>de</strong>s</strong> contraintes <strong>professionnelles</strong>.<br />

1


Féminisation et <strong>pratiques</strong> <strong>professionnelles</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>jeunes</strong> <strong>générations</strong> <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins<br />

Genre, carrière et gestion <strong><strong>de</strong>s</strong> temps sociaux<br />

L’hypothèse centrale <strong>de</strong> l'enquête est donc que cette posture face à la gestion du<br />

temps <strong>de</strong> travail, ainsi que le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie qui en découle est <strong>de</strong> plus en plus majoritaire<br />

au sein <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>jeunes</strong> <strong>générations</strong> <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins âgés <strong>de</strong> 30 à 35 ans, pour les femmes comme<br />

pour les hommes, quels que soient leur spécialisation, leur mo<strong>de</strong> d’exercice, leur<br />

localisation géographique et leur situation maritale et familiale.<br />

Il n’en reste pas moins qu’au sein <strong>de</strong> la profession médicale, coexistent plusieurs mo<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

d'organisation du travail et <strong>de</strong> gestion <strong>de</strong> l'articulation sphère professionnelle/sphère<br />

domestique. Ainsi "ancien éthos" et "nouvel éthos" cohabitent, avec toutes les nuances<br />

possibles quant à l’investissement dans la vie professionnelle et familiale et la régulation<br />

temporelle <strong><strong>de</strong>s</strong> activités que ces <strong>de</strong>ux pôles impliquent. Il se profilerait plutôt, pour les <strong>jeunes</strong><br />

hommes comme pour les <strong>jeunes</strong> femmes, un modèle hégémonique d’organisation du travail,<br />

principalement à temps plein (soit un temps <strong>de</strong> travail compris entre 45 et 55 heures par<br />

semaine), assorti d’un discours – si ce n’est encore <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>pratiques</strong> - exprimant une forte volonté<br />

<strong>de</strong> réduction substantielle <strong>de</strong> la disponibilité permanente, <strong><strong>de</strong>s</strong> diverses astreintes et <strong><strong>de</strong>s</strong> gar<strong><strong>de</strong>s</strong>.<br />

Nous supposons donc ici que le mouvement <strong>de</strong> distanciation par rapport à l'ethos<br />

professionnel classique prend une intensité et <strong><strong>de</strong>s</strong> formes variables selon le mo<strong>de</strong><br />

d’exercice, la spécialité ou le sexe du praticien.<br />

Métho<strong>de</strong> et population enquêtée<br />

La population <strong><strong>de</strong>s</strong> mé<strong>de</strong>cins <strong>de</strong> 30 à 35 ans offre l'avantage <strong>de</strong> représenter la "jeune"<br />

génération <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins, affectée comme le reste <strong>de</strong> la population par les bouleversements <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

rapports au travail et <strong><strong>de</strong>s</strong> rapports <strong>de</strong> couple. Ils ont effectué leurs choix professionnels<br />

(spécialité et mo<strong>de</strong> d'exercice) (ils ne sont plus en situation d'incertitu<strong>de</strong> comme peuvent<br />

encore l'être les étudiants <strong>de</strong> 3 ème cycle) et ils connaissent en même temps <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

bouleversements familiaux (stabilisation <strong>de</strong> la vie <strong>de</strong> couple, achats <strong>de</strong> la rési<strong>de</strong>nce,<br />

enfants…). Nous avons conduit une enquête par entretiens approfondis <strong>de</strong> type<br />

biographique auprès <strong>de</strong> 23 personnes, 12 femmes et 11 hommes exerçant en Haute-<br />

Garonne et dans le Rhône 1 . Nous avons sélectionné ces mé<strong>de</strong>cins dans le fichier du CNOM<br />

en étant attentives à diversifier les spécialités (10 mé<strong>de</strong>cins généralistes, 10 spécialistes<br />

médicaux, 3 chirurgiens), les mo<strong><strong>de</strong>s</strong> d’exercice (11 libéraux, 7 salariés hospitalier et 5 salariés<br />

non hospitalier) et les lieux d’installation (urbain, périphérie urbaine ou zone semi-rurale).<br />

<strong>Les</strong> entretiens ont visé en priorité à dégager les stratégies d'articulation vie familiale/vie<br />

professionnelle déployées par les mé<strong>de</strong>cins et se sont déroulés en trois temps : récit du<br />

parcours professionnel afin <strong>de</strong> d’i<strong>de</strong>ntifier les raisons et les difficultés <strong><strong>de</strong>s</strong> choix/ ou non choix<br />

<strong>de</strong> certaines spécialités et/ou mo<strong><strong>de</strong>s</strong> d'exercice <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine; <strong><strong>de</strong>s</strong>cription du déroulement<br />

d’une journée et d’une semaine <strong>de</strong> travail "types" et gestion <strong>de</strong> la vie <strong>de</strong> couple et <strong>de</strong> famille.<br />

<strong>Les</strong> entretiens ont duré en moyenne une heure et vingt minutes. Ils ont tous fait l'objet d'une<br />

transcription intégrale. Nous avons assuré nos interlocuteurs <strong>de</strong> la préservation <strong>de</strong> leur<br />

anonymat.<br />

Nous présentons ici <strong>de</strong> façon synthétique les principaux résultats <strong>de</strong> cette enquête. Une<br />

version plus détaillée est disponible auprès <strong><strong>de</strong>s</strong> auteurs du rapport et auprès du CNOM 2 .<br />

1 Ces <strong>de</strong>ux départements ont été choisis en raison <strong>de</strong> leur accessibilité pour les enquêteurs. Ils présentent la<br />

particularité d'être <strong>de</strong>ux départements "universitaires". La <strong>de</strong>nsité médicale y est supérieure à la moyenne<br />

nationale (401 mé<strong>de</strong>cins pour 100 000 habitants dans le Rhône et 410 en Haute-Garonne contre une <strong>de</strong>nsité<br />

nationale <strong>de</strong> 314). L'analyse du fichier confirme un phénomène déjà connu : la féminisation s'accompagne d'un<br />

processus <strong>de</strong> spécialisation et d'une désertion <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine générale (la mé<strong>de</strong>cine générale est très spécialisée,<br />

mais elle est moins "choisie" par les <strong>jeunes</strong> femmes mé<strong>de</strong>cins que par celles <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>générations</strong> précé<strong>de</strong>nte).<br />

2 Correspondance magali.robelet@univ-lyon3.fr<br />

2


Féminisation et <strong>pratiques</strong> <strong>professionnelles</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>jeunes</strong> <strong>générations</strong> <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins<br />

Genre, carrière et gestion <strong><strong>de</strong>s</strong> temps sociaux<br />

1 DES IMBRICATIONS REELLES MAIS VARIABLES ENTRE CONSTRUCTION DES<br />

CARRIERES ET TRAJECTOIRES CONJUGALES ET FAMILIALES<br />

<strong>Les</strong> <strong>jeunes</strong> mé<strong>de</strong>cins, hommes et femmes se trouvent <strong>de</strong>vant les mêmes "choix" (plus ou<br />

moins contraints par les classements mais également par <strong><strong>de</strong>s</strong> préférences personnelles) : choix<br />

<strong>de</strong> faire <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine, d'abord, puis choix <strong>de</strong> passer ou non l'internat, choix <strong>de</strong> la<br />

spécialité, <strong>de</strong> s'installer en libéral ou <strong>de</strong> s'engager dans une carrière salariée dans ou en <strong>de</strong>hors<br />

<strong>de</strong> l'hôpital, choix du plein temps ou du mi-temps… Ces choix sont-ils formulés <strong>de</strong> la même<br />

façon par les hommes et par les femmes? <strong>Les</strong> femmes intègrent-elles davantage que les<br />

hommes <strong><strong>de</strong>s</strong> critères <strong>de</strong> choix "extra-professionnels"? Si l'enquête ne montre pas <strong>de</strong><br />

divergence entre hommes et femmes sur ces sujets, elle met en évi<strong>de</strong>nce l'existence<br />

d'arbitrages complexes entre aspirations <strong>professionnelles</strong> et privées.<br />

1.1 L'IMPORTANCE DE LA CARRIERE PROFESSIONNELLE POUR LES FEMMES MEDECINS :<br />

TOUTES AU TRAVAIL!<br />

<strong>Les</strong> femmes mé<strong>de</strong>cins que nous avons rencontrées travaillent en majorité à temps plein et<br />

n'ont pas l'intention d'abandonner leur activité professionnelle pour se consacrer entièrement à<br />

leur famille. Comme les hommes, elles se sont engagées dans <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong> longues et réputées<br />

difficiles et aiment exercer leur métier.<br />

On retrouve chez ces <strong>jeunes</strong> mé<strong>de</strong>cins (hommes comme femmes) l’expression d’une<br />

"vocation" propre au métier, sur le mo<strong>de</strong> "j'ai toujours eu envie d'être mé<strong>de</strong>cin". Le temps<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong> est celui <strong>de</strong> l'approfondissement <strong>de</strong> cette vocation initiale et ce temps est<br />

autant investi par les hommes et par les femmes. <strong>Les</strong> récits qu'ils font <strong>de</strong> leurs étu<strong><strong>de</strong>s</strong> (la<br />

recherche <strong><strong>de</strong>s</strong> bons stages, le souvenir <strong><strong>de</strong>s</strong> patrons, <strong><strong>de</strong>s</strong> longues pério<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> travail et <strong>de</strong><br />

présence à l'hôpital…) montrent à quel point cette pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> formation a été vécue <strong>de</strong> façon<br />

intense par les garçons comme par les filles. Étant donné l’investissement (physique,<br />

fianncier, psychique…) dans les étu<strong><strong>de</strong>s</strong> et l’apprentissage que la mé<strong>de</strong>cine exige, aucune - et a<br />

fortiori - aucun <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>jeunes</strong> mé<strong>de</strong>cins interviewés n’envisage une rupture <strong>de</strong> carrière (même<br />

momentanée) pour se consacrer uniquement à la prise en charge <strong><strong>de</strong>s</strong> tâches domestiques et<br />

familiales :<br />

"J’ai toujours eu envie <strong>de</strong> mener <strong>de</strong> front une vie familiale et une vie professionnelle. C’est ce<br />

que je voulais. […] Je n’ai jamais eu envie d’être femme au foyer" (Femme, Radiologue,<br />

Cheffe <strong>de</strong> clinique CHU, 31 ans, en couple)<br />

"Je ne peux pas ne pas travailler" (Femme, Mé<strong>de</strong>cin généraliste, libéral, 31 ans, mariée, 1<br />

enfant)<br />

Même parmi les femmes exerçant à temps partiel, aucune n'envisage d'interrompre ou <strong>de</strong><br />

rompre avec leur activité professionnelle, à la fois parce qu'elles aiment leur travail et parce<br />

qu'elles y trouvent une source d'équilibre :<br />

"ça me convient tout à fait parce que je me vois pas rester à la maison (sourire) et en même<br />

temps j'ai <strong><strong>de</strong>s</strong> heures tout à fait compatibles avec une vie <strong>de</strong> famille…(…) j'dirais que je<br />

continue à travailler aussi pour euh moi donc euh… c'est pas une activité <strong>de</strong> loisir mais euh,<br />

mais c'est quand même une activité qui est euh… un petit peu pour mon équilibre personnel<br />

quoi donc euh, voilà, c'est un choix…." (Femme biologiste salariée, 34 ans, mariée, 4 enfants)<br />

Pour les autres femmes mé<strong>de</strong>cins, l'hypothèse d'un temps partiel est soit rejetée soit<br />

envisagée uniquement comme une solution temporaire et limitée (elles évoquent plus souvent<br />

un "80%" qu'un mi-temps) pour ne pas se couper trop longtemps du rythme du travail et<br />

continuer à "bien faire" son travail.<br />

3


Féminisation et <strong>pratiques</strong> <strong>professionnelles</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>jeunes</strong> <strong>générations</strong> <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins<br />

Genre, carrière et gestion <strong><strong>de</strong>s</strong> temps sociaux<br />

1.2 LE POIDS ACCORDE AUX "CONDITIONS DE VIE" DANS LES CHOIX DE CARRIERE<br />

<strong>Les</strong> récits que font les mé<strong>de</strong>cins <strong>de</strong> leurs choix professionnels et <strong>de</strong> leur inscription dans un<br />

type <strong>de</strong> carrière (spécialité, mo<strong>de</strong> d'exercice) témoignent <strong>de</strong> la complexité <strong><strong>de</strong>s</strong> choix effectués.<br />

Ainsi, le choix <strong>de</strong> la spécialité ou du mo<strong>de</strong> d'exercice engage à la fois <strong><strong>de</strong>s</strong> goûts, <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

ambitions et <strong><strong>de</strong>s</strong> aspirations à une vie personnelle, <strong>de</strong> couple et <strong>de</strong> famille. <strong>Les</strong> <strong>jeunes</strong><br />

mé<strong>de</strong>cins tentent <strong>de</strong> mettre en adéquation les représentations qu'ils se font d'une part <strong>de</strong> ce que<br />

doit être une vie <strong>de</strong> femme ou d'homme et une vie <strong>de</strong> famille et d'autre part <strong>de</strong> ce que doit être<br />

un "bon mé<strong>de</strong>cin", avec la réalité d'une carrière professionnelle.<br />

Ces projections dans un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie "idéal" peuvent influer directement sur les choix<br />

professionnels. Certaines voies sont d'emblée écartées car associées à <strong><strong>de</strong>s</strong> contraintes (<strong>de</strong><br />

temps <strong>de</strong> travail, <strong>de</strong> disponibilité, <strong>de</strong> pénibilité) jugées non "compatibles" avec l'idéal dans<br />

lequel ils se projettent (dans lequel les loisirs, la vie <strong>de</strong> couple et <strong>de</strong> famille doivent avoir une<br />

place). Ainsi, le modèle <strong>de</strong> la "carrière hospitalo-universitaire", est refusé au nom <strong>de</strong> la<br />

difficulté anticipée du parcours (trouver sa place auprès d'un patron, obtenir un poste <strong>de</strong> chef,<br />

passer un DEA, une thèse, faire un séjour à l'étranger) et <strong>de</strong> la forte disponibilité temporelle<br />

exigée (notamment du fait <strong><strong>de</strong>s</strong> gar<strong><strong>de</strong>s</strong>). Il en est <strong>de</strong> même pour la chirurgie et pour la<br />

mé<strong>de</strong>cine générale (en particulier l'exercice en milieu rural, qui apparaît comme une référence<br />

i<strong>de</strong>ntitaire forte, pour les mé<strong>de</strong>cins du Sud-Ouest davantage que pour ceux du Rhône). Pour<br />

ceux qui choisissent ces voies jugées plus contraignantes, la vie personnelle et familiale<br />

semble clairement reléguée au second plan, du moins durant la pério<strong>de</strong> (longue) <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong>. Il<br />

peut arriver alors, comme c'est le cas pour les chirurgiens, que la vie <strong>de</strong> couple et <strong>de</strong> famille<br />

se construise après les choix professionnels et la pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'internat et du clinicat.<br />

<strong>Les</strong> "choix professionnels" s'effectuent en confrontant <strong><strong>de</strong>s</strong> expériences <strong>professionnelles</strong><br />

vécues en stages d'externat ou d'internat aux exigences plus ou moins floues d'un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie<br />

"à venir". La disponibilité pour son (sa) conjoint(e) et ses enfants (présents ou à venir) peut<br />

faire partie <strong><strong>de</strong>s</strong> critères <strong>de</strong> choix <strong>de</strong> la spécialité. Ainsi en est-il <strong><strong>de</strong>s</strong> choix d’une jeune femme<br />

mé<strong>de</strong>cin spécialiste radiologue, s’étant mise en couple au tout début <strong>de</strong> son internat. D'abord<br />

très intéressée par la neurochirurgie, expérimentée pendant six mois, elle la jugea finalement<br />

trop "fatigante" physiquement (gar<strong><strong>de</strong>s</strong>). Elle fit ensuite <strong><strong>de</strong>s</strong> stages en endocrinologie,<br />

évoquant une spécialité réputée "féminine", sans gar<strong>de</strong>, donc théoriquement en adéquation<br />

avec son souhait <strong>de</strong> plus gran<strong>de</strong> disponibilité et <strong>de</strong> moins gran<strong>de</strong> fatigue physique.<br />

Finalement, le décalage entre les conditions d’exercice <strong>de</strong> ces spécialités fut si grand qu’elle<br />

s’ennuya quelque peu dans cette <strong>de</strong>rnière. In fine, elle fit le choix (et le compromis) <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>venir radiologue, aussi bien pour préserver sa vie personnelle que sa vie familiale.:<br />

"Je ne le croyais pas au départ, mais en fait… […] Je pense que physiquement les hommes ont<br />

plus <strong>de</strong> résistance […] Bien sûr le fait d’être en couple ça a joué aussi, c’est normal. Quand on<br />

rentre à la maison on aime bien être en forme. Si c’est pour être fatigué tous les soirs, ne<br />

pouvoir rien faire, ça n’a pas grand intérêt non plus. Je pense que ça aurait été vrai aussi si<br />

j’avais été seule." (Femme, Radiologue, Cheffe <strong>de</strong> clinique CHU, 31 ans, en couple).<br />

Plus généralement, la visée d'une "compatibilité" entre vie professionnelle et vie privée est<br />

souvent évoquée pour justifier les choix professionnels, en particulier le choix d'une spécialité<br />

contre au détriment <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine générale :<br />

"Mais moi ce qui m’intéressait c’était d’être mé<strong>de</strong>cin généraliste à la campagne et en tant que<br />

femme, et pour préserver à la fois ma vie personnelle et ma vie professionnelle, j’ai pensé que<br />

<strong>de</strong>venir spécialiste me permettrait en fait <strong>de</strong> mieux préserver ma vie personnelle (…) Je<br />

trouvais difficile en tant que femme <strong>de</strong> pouvoir être appelée en milieu <strong>de</strong> nuit à <strong>de</strong>ux heures du<br />

matin pour courir trente kilomètres dans la campagne pour aller voir un patient qui avait un<br />

4


Féminisation et <strong>pratiques</strong> <strong>professionnelles</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>jeunes</strong> <strong>générations</strong> <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins<br />

Genre, carrière et gestion <strong><strong>de</strong>s</strong> temps sociaux<br />

problème. Ça me semblait difficile à vivre " (Femme, Anesthésiste Cheffe <strong>de</strong> clinique CHU, 31<br />

ans, en couple, enceinte)<br />

"Y en a (<strong><strong>de</strong>s</strong> stages) qui m'ont orientée en me disant, si à l'internat j'ai pas ce que je veux, si je<br />

dois faire <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine, je f'rai <strong>de</strong> l'endocrinologie et si je dois faire <strong>de</strong> la chirurgie, disons<br />

que j'aimerai autant pas en faire (rire)… euh la mé<strong>de</strong>cine générale ça m'intéressait aussi mais<br />

alors là je trouvais ça parfaitement incompatible avec une vie <strong>de</strong> famille après" (Femme<br />

biologiste salariée, mariée, enceinte 4 ème enfant)<br />

Cette quête <strong>de</strong> "compatibilité" est d'autant plus prégnante au moment <strong>de</strong> l'entrée dans la vie<br />

active que les mé<strong>de</strong>cins sortent d'une pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> forte implication dans le travail. Pour la<br />

plupart d'entre eux, il s'agit en premier lieu <strong>de</strong> rompre avec le rythme <strong>de</strong> travail imposé par les<br />

gar<strong><strong>de</strong>s</strong> régulières du résidanat ou <strong>de</strong> l'internat :<br />

"… vu le rythme au bout <strong><strong>de</strong>s</strong> quatre ans d'internat, moi j'ai dit oh là là, stop, je m'arrête, je me<br />

mets à remplacer et là j'ai pris un rythme vraiment cool quoi, ça m'a … épuisé… et puis là<br />

j'avais vraiment envie d'autre chose" (Femme pédiatre libérale, Lyon, célibataire sans enfant)<br />

"… on s'est payé un clinicat très lourd donc on a pas eu… avec beaucoup <strong>de</strong> gar<strong><strong>de</strong>s</strong> euh… on a<br />

eu le sentiment peut être un peu… mais bon, c'est vrai que c'était pour une durée courte mais<br />

bon <strong>de</strong> négliger un peu notre vie familiale et donc on avait cette volonté <strong>de</strong> se poser un peu"<br />

(Homme spécialiste libéral, Lyon, marié, 3 enfants)<br />

1.3 LA NECESSITE D'ARTICULER DEUX CARRIERES DANS LES COUPLES<br />

<strong>Les</strong> situations matrimoniales <strong><strong>de</strong>s</strong> mé<strong>de</strong>cins que nous avons rencontrés correspon<strong>de</strong>nt à<br />

celles <strong>de</strong> l'ensemble <strong>de</strong> la population médicale. Tout d'abord, les mé<strong>de</strong>cins vivent en couple<br />

(nous n'avons rencontré qu'une femme célibataire), comme 83% <strong>de</strong> l'ensemble <strong>de</strong> leurs<br />

confrères et leurs conjoints sont le plus souvent <strong><strong>de</strong>s</strong> actifs occupés. Surtout on retrouve dans<br />

la population enquêtée la forte homogamie caractéristique <strong><strong>de</strong>s</strong> mé<strong>de</strong>cins (près <strong>de</strong> la moitié <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

mé<strong>de</strong>cins que nous avons rencontrés dans le Rhône vivent avec un conjoint mé<strong>de</strong>cin) 3 . <strong>Les</strong><br />

conjoints <strong><strong>de</strong>s</strong> mé<strong>de</strong>cins sont diplômés (ceux <strong><strong>de</strong>s</strong> femmes mé<strong>de</strong>cins davantage que ceux <strong>de</strong><br />

leurs confrères masculins) et exercent souvent <strong><strong>de</strong>s</strong> fonctions <strong>de</strong> cadres supérieurs ou <strong>de</strong><br />

techniciens, bien plus que dans l'ensemble <strong>de</strong> la population active.<br />

En raison du fort taux d'activité professionnelle <strong><strong>de</strong>s</strong> femmes <strong>de</strong> moins <strong>de</strong> 35 ans, la<br />

question <strong>de</strong> la compatibilité <strong><strong>de</strong>s</strong> carrières dans le couple se pose avec plus d'acuité chez<br />

les <strong>jeunes</strong> <strong>générations</strong> <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins que chez les plus anciens. En règle générale, la carrière<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> femmes (surtout lorsqu'elles ne sont pas mé<strong>de</strong>cins) vient en second et la priorité est<br />

accordée dans le couple à la carrière du conjoint masculin, tout en recherchant <strong><strong>de</strong>s</strong> compromis<br />

(par exemple le temps partiel, le mo<strong>de</strong> d'exercice) permettant d'accor<strong>de</strong>r l'articulation <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

<strong>de</strong>ux carrières et les choix et valeurs en matière <strong>de</strong> vie <strong>de</strong> couple et <strong>de</strong> famille. Par exemple,<br />

ce mé<strong>de</strong>cin dit avoir renoncé à s'installer en milieu rural pour préserver le désir <strong>de</strong> carrière<br />

professionnelle <strong>de</strong> sa compagne :<br />

"Moi je voulais faire mé<strong>de</strong>cin <strong>de</strong> campagne pour le côté mé<strong>de</strong>cin <strong>de</strong> famille pur et dur<br />

- Donc à cause <strong>de</strong> vos contraintes personnelles vous avez dû renoncer à ce projet<br />

Oui à cause. Oui ma femme travaillait ici [en ville] et elle n’avait pas envie <strong>de</strong> se retrouver au<br />

fin fond <strong>de</strong> la montagne, passer une vie comme ça" (Homme, Mé<strong>de</strong>cin généraliste, 32 ans,<br />

cabinet libéral, marié, 1 enfant).<br />

3 Rappelons que 22% <strong><strong>de</strong>s</strong> mé<strong>de</strong>cins ont un conjoint mé<strong>de</strong>cin (et 31% <strong><strong>de</strong>s</strong> femmes mé<strong>de</strong>cin un conjoint mé<strong>de</strong>cin).<br />

5


Féminisation et <strong>pratiques</strong> <strong>professionnelles</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>jeunes</strong> <strong>générations</strong> <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins<br />

Genre, carrière et gestion <strong><strong>de</strong>s</strong> temps sociaux<br />

Pour les femmes mé<strong>de</strong>cins, le fait <strong>de</strong> pouvoir compter sur le revenu (souvent élevé) du<br />

conjoint autorise un moindre investissement temporel au travail ou une autre façon <strong>de</strong> faire <strong>de</strong><br />

la mé<strong>de</strong>cine (consultations plus longues pour les libéraux par exemple). Pour cette biologiste<br />

salariée, le choix d'un statut d'associé au sein <strong>de</strong> son laboratoire <strong>de</strong> biologie ou l'achat d'un<br />

laboratoire d'analyse seraient plus rémunérateurs mais le couple a privilégié jusqu'à présent la<br />

"vie <strong>de</strong> famille" :<br />

"Donc voilà, peut-être aussi parce que justement lui <strong>de</strong> son côté n'a pas eu beaucoup <strong>de</strong> gros<br />

soucis non plus professionnels et que donc, du coup y en a toujours un <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux sur lequel on<br />

peut compter donc euh… pour le moment clairement euh, l'argent n'est pas le moteur essentiel<br />

c'qui fait que pour le moment voilà… bon c'est sûr que si on compare, si on compare on sait<br />

qu'on pourrait faire mieux, c'est clair mais euh, pour le moment ce qu'on gagnerait nous semble<br />

inférieur à ce qu'on perdrait en termes <strong>de</strong> qualité <strong>de</strong> vie quoi hein…" (Femme biologiste<br />

salariée, Lyon, enceinte 4 ème enfant)<br />

Dans les couples <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins que nous avons rencontrés, c'est bien la carrière masculine<br />

qui est mise en avant (installation en libéral ou carrière hospitalo-universitaire), la carrière <strong>de</strong><br />

la femme, sans être négligée, est moins investie (travail à temps partiel, recherche d'un statut<br />

salarié à l'hôpital ou hors hôpital) :<br />

"… et euh le couple a toujours en effet eu cette idée que c'était moi qui, qui travaillerait euh…<br />

en tout cas à temps plein et qui assumerait euh les charges financières et que elle, elle voulait<br />

s'occuper <strong><strong>de</strong>s</strong> enfants, continuer à travailler, et pas euh complètement lâcher euh… son boulot"<br />

(Homme spécialiste libéral, Lyon, marié, 3 enfants)<br />

"(à propos <strong>de</strong> ses revenus) Moi, ça m'suffit. Tout à fait. J'trouve que j'gagne extrêmement bien<br />

ma vie. Mais je suis l'<strong>de</strong>uxième salaire. Donc, forcément, je raisonne en <strong>de</strong>uxième salaire. Je<br />

suis pas femme avec un enfant à charge, toute seule etcetera…. J'pense que si j'avais que mon<br />

salaire et si j'aspirais aux achats que j'aspire aujourd'hui, j'pense que j'dirais "ça m'suffit pas".<br />

Si j'avais, si j'<strong>de</strong>vais m'occuper <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux enfants toute seule par exemple. Du coup, effectivement,<br />

je suis le <strong>de</strong>uxième salaire avec un mari qui gagne très bien sa vie donc j'trouve que j'gagne<br />

très largement ma vie" (Femme, chirurgien libéral, mariée, 2 enfants)<br />

En marge <strong>de</strong> ce "modèle dominant" <strong>de</strong> recherche d'articulation entre <strong>de</strong>ux carrières, on<br />

retrouve la configuration plus classique, du mé<strong>de</strong>cin (homme) "breadwinner", c'est-à-dire<br />

"gagne-pain" ou "pourvoyeur principal <strong><strong>de</strong>s</strong> ressources du ménage". Dans ce modèle <strong>de</strong><br />

couple, la conjointe ne travaille pas ou investit peu sa carrière professionnelle pour se<br />

consacrer à la vie domestique et familiale et parfois assister le mé<strong>de</strong>cin dans son travail<br />

(secrétariat, comptabilité) : la vie du couple est tournée vers la réussite professionnelle du<br />

mé<strong>de</strong>cin. <strong>Les</strong> propos <strong>de</strong> ce mé<strong>de</strong>cin généraliste <strong>de</strong> 32 ans sur sa compagne, infirmière <strong>de</strong> 24<br />

ans illustrent la persistance <strong>de</strong> ce modèle (que l'on a retrouvé chez un autre mé<strong>de</strong>cin<br />

généraliste et chez <strong>de</strong>ux chirurgiens) :<br />

"Elle travaille à mi-temps. Donc c’est déjà plus facile. Parce que si elle travaille à temps plein,<br />

ça risque d’être un peu difficile pour la vie du couple (…) Ce que je lui ai expliqué c’est que je<br />

voulais démarrer fort, travailler beaucoup pour gagner <strong>de</strong> l’argent. J’ai une ambition, faut que<br />

je travaille. Rien n’empêche au fur et à mesure qu’elle reprenne un temps plein. En plus elle ça<br />

lui convient bien (le mi-temps). C’est un choix que j’ai proposé qui a été adopté par elle."<br />

(Homme, Mé<strong>de</strong>cin généraliste, urgentiste attaché <strong><strong>de</strong>s</strong> hôpitaux, 32 ans, en couple).<br />

Si, comme dans l'ensemble <strong>de</strong> la société, les configurations <strong>de</strong> couples <strong>de</strong>meurent<br />

"classiques" (la mise en avant <strong>de</strong> la carrière masculine étant dominante et acceptée comme<br />

légitime), l'élément nouveau par rapport aux <strong>générations</strong> précé<strong>de</strong>ntes <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins provient <strong>de</strong><br />

la nécessité, dans ces couples <strong>de</strong> faire coexister <strong>de</strong>ux carrières et d'articuler ces carrières avec<br />

une vie <strong>de</strong> couple et <strong>de</strong> famille.<br />

6


Féminisation et <strong>pratiques</strong> <strong>professionnelles</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>jeunes</strong> <strong>générations</strong> <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins<br />

Genre, carrière et gestion <strong><strong>de</strong>s</strong> temps sociaux<br />

1.4 DES CARRIERES CONÇUES COMME "MODULABLES"<br />

Lorsqu'ils nous racontent comment ils sont "entrés" dans la carrière, les <strong>jeunes</strong> mé<strong>de</strong>cins<br />

insistent presque tous sur leur volonté <strong>de</strong> ne pas "se fermer <strong><strong>de</strong>s</strong> portes", <strong>de</strong> conserver une voie<br />

<strong>de</strong> diversification ou <strong>de</strong> bifurcation possible en cours <strong>de</strong> carrière. Ils veulent penser que les<br />

premiers choix ne les enferment pas dans un mo<strong>de</strong> d'exercice donné ou dans une hyperspécialisation<br />

et ils conçoivent leur carrière sur un mo<strong>de</strong> évolutif, évoquant fréquemment la<br />

possibilité <strong>de</strong> "changer" dans quelques années (que ce changement porte sur le mo<strong>de</strong><br />

d'exercice ou sur une spécialisation). Certains justifient le choix <strong>de</strong> leur spécialité pour les<br />

orientations diverses qu'elles permettent en cours <strong>de</strong> carrière, c'est le cas <strong>de</strong> ce mé<strong>de</strong>cin<br />

anesthésiste) :<br />

"(…) j’ai passé <strong><strong>de</strong>s</strong> certificats, donc naturellement en a découlé l’anesthésie-réanimation, et<br />

puis après ce qui m’a plu dans cette…ce qui m’a plu dans cette spécialité c’est que c’est une<br />

spécialité transversale qui est à l’intersection <strong>de</strong> plusieurs spécialités (…) et <strong>de</strong>uxièmement on<br />

peut faire pleins <strong>de</strong> choses, y a <strong><strong>de</strong>s</strong> possibilités qui s’offrent ce n’est pas que j’ai envie <strong>de</strong> tout<br />

faire, mais c’est <strong><strong>de</strong>s</strong> possibilités, je n’ai pas envie <strong>de</strong> m’enfermer dans une hyper spécialité"<br />

(Homme anesthésiste CH, Rhône, marié, 1 enfant)<br />

Une fois "installés", les mé<strong>de</strong>cins envisagent fréquemment leur carrière sur un mo<strong>de</strong><br />

évolutif (seuls les chirurgiens n'évoquent pas cette possibilité <strong>de</strong> façon explicite). Ceci est<br />

particulièrement vrai pour les mé<strong>de</strong>cins libéraux : un spécialiste libéral multiplie les lieux<br />

d'exercice (activité en cabinet, en clinique et vacation hospitalière), une pédiatre libérale fait<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> interventions en crèche en plus <strong>de</strong> son activité au cabinet, une mé<strong>de</strong>cin généraliste en<br />

milieu semi-rural fait <strong><strong>de</strong>s</strong> vacations en maison <strong>de</strong> retraite, dans la perspective d'un poste à mitemps<br />

ou à temps plein en maison <strong>de</strong> retraite (elle déclare ne pas vouloir "faire <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine<br />

générale en cabinet" toute sa vie). Plus généralement, la formation complémentaire (les DU,<br />

les "certificats") est souvent évoquée. La "peur <strong>de</strong> la routine" pour les uns et la crainte <strong>de</strong> "ne<br />

pas tenir le rythme" pour les autres expliquent ce type <strong>de</strong> projection dans l'avenir.<br />

L'éventualité <strong>de</strong> faire évoluer son temps <strong>de</strong> travail (dans le sens d'une augmentation comme<br />

dans celui d'une réduction) est également abordée par les mé<strong>de</strong>cins, souvent en fonction <strong>de</strong><br />

l'âge <strong><strong>de</strong>s</strong> enfants (un passage du "temps partiel" au temps "plein" est souvent envisagé par les<br />

femmes une fois que les enfants auront grandi).<br />

<strong>Les</strong> choix professionnels exprimés par les <strong>jeunes</strong> mé<strong>de</strong>cins (choix d'une spécialité, d'un<br />

mo<strong>de</strong> d'exercice) relèvent d'aspiration et <strong>de</strong> goûts qui paraissent profondément ancrés et qui<br />

intègrent et anticipent <strong><strong>de</strong>s</strong> choix <strong>de</strong> vie "en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine". <strong>Les</strong> <strong>jeunes</strong> mé<strong>de</strong>cins ne se<br />

projettent pas vraiment dans le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie associé à l'éthos professionnel classique du<br />

mé<strong>de</strong>cin, marqué par une disponibilité permanente pour les patients et une faible présence<br />

auprès <strong>de</strong> sa famille. Ceci est valable aussi bien chez les <strong>jeunes</strong> femmes que chez les <strong>jeunes</strong><br />

hommes que nous avons rencontrés. L'étu<strong>de</strong> met ainsi en évi<strong>de</strong>nce les arbitrages complexes<br />

auxquels se livrent les <strong>jeunes</strong> mé<strong>de</strong>cins entre intérêt et goût pour son métier, aspiration à une<br />

vie familiale et <strong>de</strong> couple "épanouie" et à un certain niveau <strong>de</strong> revenu.<br />

7


Féminisation et <strong>pratiques</strong> <strong>professionnelles</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>jeunes</strong> <strong>générations</strong> <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins<br />

Genre, carrière et gestion <strong><strong>de</strong>s</strong> temps sociaux<br />

2 LE TEMPS ET L'ORGANISATION DU TRAVAIL DES MEDECINS<br />

L'objectif <strong>de</strong> l'étu<strong>de</strong> étant <strong>de</strong> saisir les mutations qui affectent l'ethos professionnel <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

mé<strong>de</strong>cins, nous ne pouvions nous contenter <strong>de</strong> la seule mesure du temps <strong>de</strong> travail <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>jeunes</strong><br />

mé<strong>de</strong>cins. D'abord parce que, nous n'avons recueilli qu'un temps <strong>de</strong> travail "déclaré" sans<br />

observer le temps <strong>de</strong> travail réel. Ensuite parce que les mé<strong>de</strong>cins ont souvent du mal à fournir<br />

une mesure précise <strong>de</strong> leur temps <strong>de</strong> travail et se fient à une "norme" temporelle à laquelle ils<br />

estiment correspondre (ainsi ce mé<strong>de</strong>cin anesthésiste, "J'en sais rien… mais j'ai vu que le<br />

nombre d'heures moyen pour un PH c'est 52 heures …. C'est grosso modo dans ces horaireslà<br />

quoi"). Enfin parce que le temps que les mé<strong>de</strong>cins accor<strong>de</strong>nt à leur travail mais aussi la<br />

façon dont ils organisent leur travail et engagent un rapport au travail (une conception <strong>de</strong> ce<br />

qu'est le "bon mé<strong>de</strong>cin", une motivation à travailler, mais aussi une conception <strong>de</strong> la place à<br />

accor<strong>de</strong>r à la vie <strong>de</strong> famille…) que la mesure du temps <strong>de</strong> travail ne permet pas à elle seule<br />

d'appréhen<strong>de</strong>r. Nous nous sommes dont intéressées aux justifications données par les<br />

mé<strong>de</strong>cins pour expliquer leur organisation du travail. L'enquête confirme l'existence <strong>de</strong><br />

stratégies mises en œuvre par les mé<strong>de</strong>cins pour limiter leur "disponibilité" au travail, qui se<br />

manifestent notamment par une concentration/intensification du temps <strong>de</strong> travail et par<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> efforts convergents <strong><strong>de</strong>s</strong> hommes et <strong><strong>de</strong>s</strong> femmes pour articuler temps <strong>de</strong> travail et<br />

temps familial et domestique.<br />

2.1 UN TEMPS DE TRAVAIL CONFORME A LA MOYENNE OBSERVEE POUR L'ENSEMBLE DES<br />

MEDECINS<br />

Rappelons d'abord que les étu<strong><strong>de</strong>s</strong> récentes sur le temps <strong>de</strong> travail <strong><strong>de</strong>s</strong> mé<strong>de</strong>cins montrent<br />

une tendance à l'augmentation <strong>de</strong> la durée du travail dans les quinze <strong>de</strong>rnières années.<br />

Elles montrent également que l'écart <strong>de</strong> 6 heures entre la durée du travail <strong><strong>de</strong>s</strong> femmes et celles<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> hommes est stable dans le temps et rappellent que les femmes mé<strong>de</strong>cins travaillent plus<br />

que l'ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> femmes actives. La "féminisation" <strong>de</strong> la profession médicale n'a donc<br />

pas conduit, par un effet "systématique", à une réduction du temps <strong>de</strong> travail global <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

mé<strong>de</strong>cins.<br />

<strong>Les</strong> <strong>jeunes</strong> mé<strong>de</strong>cins rencontrés déclarent un temps <strong>de</strong> travail proche <strong>de</strong> celui observé pour<br />

l'ensemble <strong>de</strong> la profession médicale (autour <strong>de</strong> 51 heures hebdomadaires). Ainsi 12 mé<strong>de</strong>cins<br />

(8 hommes/4 femmes) déclarent travailler plus <strong>de</strong> 50 heures par semaine et 6 déclarent<br />

travailler 35 heures ou moins (1 homme/5 femmes). Parmi les libéraux, seuls trois déclarent<br />

travailler moins <strong>de</strong> 50 heures par semaine (autour <strong>de</strong> 45 heures) et les chirurgiens se<br />

distinguent par un temps <strong>de</strong> travail déclaré particulièrement élevé (supérieur à 60 heures). <strong>Les</strong><br />

femmes "libérales" ne se distinguent pas par une durée du travail inférieure à celle <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

hommes. <strong>Les</strong> mé<strong>de</strong>cins se déclarant "à temps partiel" sont toutes <strong><strong>de</strong>s</strong> femmes mé<strong>de</strong>cins<br />

salariées.<br />

Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la mesure du temps <strong>de</strong> travail, il nous paraît essentiel <strong>de</strong> nous intéresser à la<br />

diversité <strong><strong>de</strong>s</strong> stratégies <strong>de</strong> régulation du temps <strong>de</strong> travail. Rares en effet sont les mé<strong>de</strong>cins<br />

qui ne fixent pas <strong>de</strong> limites temporelles à leur travail et <strong><strong>de</strong>s</strong> frontières entre le temps du<br />

travail et le temps <strong>de</strong> la famille et <strong>de</strong> la vie privée. Ces "limites" (la façon dont les<br />

mé<strong>de</strong>cins les définissent et tentent <strong>de</strong> les respecter) peuvent connaître <strong><strong>de</strong>s</strong> mutations selon les<br />

<strong>générations</strong>, le genre, la spécialité ou le mo<strong>de</strong> d'exercice.<br />

8


Féminisation et <strong>pratiques</strong> <strong>professionnelles</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>jeunes</strong> <strong>générations</strong> <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins<br />

Genre, carrière et gestion <strong><strong>de</strong>s</strong> temps sociaux<br />

2.2 NOUVEAUX RAPPORTS AU TRAVAIL ET QUETE DE NOUVEAUX MODES DE REGULATION DU<br />

TEMPS<br />

La question du temps <strong>de</strong> travail <strong><strong>de</strong>s</strong> mé<strong>de</strong>cins s'inscrit dans la question plus générale du<br />

"rapport au travail" qui engage <strong><strong>de</strong>s</strong> conceptions du métier et <strong>de</strong> la vie personnelle et familiale.<br />

Dans cette perspective, il semble que, pour les <strong>jeunes</strong> <strong>générations</strong> <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins, la valeur du<br />

travail (ce qu'il est bon/mauvais <strong>de</strong> faire dans son travail) se mesure moins<br />

systématiquement par le temps qui lui est consacré. Du coup, l'arbitrage entre le temps <strong>de</strong><br />

travail et les autres temps sociaux peut être différent <strong>de</strong> celui <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>générations</strong> antérieures.<br />

Certains propos s'inscrivent même en rupture avec le rapport au travail <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>générations</strong><br />

précé<strong>de</strong>ntes, remettant en cause la légitimité d'une disponibilité permanente pour les patients :<br />

"Une autre chose c'est que mon choix a été fait au moment où les évolutions sur le plan <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

récupérations est passé, sur les 35 heures… c'est-à-dire qu'il était hors <strong>de</strong> question que nous<br />

on fasse le même métier que nos maîtres, nos anciens patrons faisaient, c'est-à-dire comme<br />

maintenant, une présence permanente à l'hôpital" (Homme, anesthésiste, CH Rhône, marié, 1<br />

enfant)<br />

"Vu la vie qu’il [son père, mé<strong>de</strong>cin généraliste <strong>de</strong> campagne] mène… Je l’ai remplacé et j’ai vu<br />

que la vie libérale n’était pas faite pour moi. Vous êtes tout seul et vous gérez trop <strong>de</strong> choses,<br />

être à la fois un mé<strong>de</strong>cin, un gestionnaire, un gérant <strong>de</strong> société, il y a beaucoup <strong>de</strong> choses<br />

<strong>de</strong>mandées… (…) Il faut être motivé et intéressé mais malheureusement, le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie qui<br />

m’est proposé ne m’intéresse pas et à partir <strong>de</strong> là, la motivation ne suit pas. […] C'est-à-dire<br />

être disponible à 150% pour les patients, y compris le week-end" (Homme, Mé<strong>de</strong>cin<br />

généraliste, urgentiste attaché <strong><strong>de</strong>s</strong> hôpitaux, 32 ans, en couple)<br />

Pour les <strong>jeunes</strong> mé<strong>de</strong>cins <strong>de</strong> notre enquête, la disponibilité au travail apparaît moins<br />

essentielle (du moins pas systématiquement associée à une bonne "qualité" du travail) dans la<br />

mesure où ils ne se sentent pas indispensables pour les patients, ils ne s'estiment pas seuls et<br />

d’autres prennent le relais lors <strong><strong>de</strong>s</strong> pério<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> repos :<br />

"Je crois que c’est une mentalité, il y a <strong><strong>de</strong>s</strong> gens qui ont <strong><strong>de</strong>s</strong> scrupules à partir en se disant "Et<br />

si il y avait encore quelque chose à faire, et si on avait encore besoin <strong>de</strong> moi, et s’il y avait un<br />

problème ?" Moi j’estime que quand on part, il y a toujours quand même une à <strong>de</strong>ux personnes<br />

qui sont là, on n’est pas indispensable. Donc, bon moi j’ai fait mon travail, je n’ai volé<br />

personne, je rentre et je m’occupe <strong>de</strong> moi" (…)J’ai décidé <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>ux ans que je n’amenais<br />

plus <strong>de</strong> travail à la maison" (Femme, Anesthésiste Cheffe <strong>de</strong> clinique CHU, 31 ans, en couple,<br />

enceinte)<br />

Ces mêmes arguments reviennent à propos <strong><strong>de</strong>s</strong> contraintes que font peser les gar<strong><strong>de</strong>s</strong><br />

sur la vie privée. Certaines solutions <strong>de</strong> régulation "collective" <strong>de</strong> l'activité sont alors<br />

évoquées. Si la plupart du temps les "tours <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>" organisés par <strong><strong>de</strong>s</strong> associations <strong>de</strong><br />

mé<strong>de</strong>cins sont mentionnés, les mé<strong>de</strong>cins envisagent <strong><strong>de</strong>s</strong> solutions plus innovantes comme les<br />

maisons médicales <strong>de</strong> gar<strong>de</strong> :<br />

"J’ai un mari qui est interne en anesthésie, qui est <strong>de</strong> gar<strong>de</strong> une à <strong>de</strong>ux fois par semaine et<br />

parfois <strong><strong>de</strong>s</strong> week-ends complets. Donc on se retrouvait avec un week-end où j’étais <strong>de</strong> gar<strong>de</strong> et<br />

le week-end suivant c’était lui […]. Pendant <strong>de</strong>ux ans on n’avait aucun week-end en commun<br />

(…) ce qui fait que maintenant on appartient (le cabinet médical où elle exerce) à la maison<br />

médicale <strong>de</strong> la F., ce qui fait qu’on a nos week-ends <strong>de</strong> gar<strong>de</strong> tous les trois, y’a un secrétariat<br />

qui coordonne les appels" (Femme, Mé<strong>de</strong>cin généraliste, libéral, 31 ans, mariée, 1 enfant)<br />

La plupart <strong><strong>de</strong>s</strong> mé<strong>de</strong>cins affichent une volonté, si ce n'est une pratique, <strong>de</strong> séparation stricte<br />

entre la vie professionnelle et la vie privée. Un glissement <strong>de</strong> sens paraît s'opérer : tandis que<br />

la disponibilité auprès <strong><strong>de</strong>s</strong> patients était un critère <strong>de</strong> qualité du travail médical, elle peut<br />

9


Féminisation et <strong>pratiques</strong> <strong>professionnelles</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>jeunes</strong> <strong>générations</strong> <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins<br />

Genre, carrière et gestion <strong><strong>de</strong>s</strong> temps sociaux<br />

apparaître comme un obstacle à cette même qualité (en raison <strong>de</strong> la fatigue accumulée, d'un<br />

besoin d'équilibre essentiel à la bonne réalisation <strong>de</strong> son travail…). <strong>Les</strong> contraintes légales<br />

peuvent même être évoquées pour justifier la régulation du temps <strong>de</strong> travail (un rythme <strong>de</strong><br />

travail trop intense pourrait conduire à une moindre attention et à <strong><strong>de</strong>s</strong> acci<strong>de</strong>nts voire à <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

fautes <strong>professionnelles</strong> pouvant aller jusqu'au procès).<br />

Certes, on retrouve également chez les <strong>jeunes</strong> mé<strong>de</strong>cins <strong>de</strong> l'enquête (notamment les<br />

chirurgiens et le mé<strong>de</strong>cin hospitalo-universitaire) une critique d'une tendance à la<br />

"fonctionnarisation" ou à "l'assistanat social" dans la mé<strong>de</strong>cine, dont ils repèrent <strong><strong>de</strong>s</strong> signes<br />

dans les 35 heures ou le repos <strong>de</strong> sécurité :<br />

(À propos <strong>de</strong> l’aménagement du travail) " Ça a foutu le souk à l’hôpital. Ça a été monstrueux.<br />

J’ai vu <strong><strong>de</strong>s</strong> situations le soir où à 5h il n’y a plus <strong>de</strong> brancardier, parce que c’est les RTT, il faut<br />

finir à telle heure… Ça c’est vrai aussi que ça me cassait les pieds, mes <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rnières années à<br />

l’hôpital j’ai été baigné là-<strong>de</strong>dans, mais tous les jours ! <strong>Les</strong> RTT, les 35 heures, les grèves, les<br />

revendications syndicales ! Et les infirmières, les cadres, tout ce personnel-là, on était plongé là<br />

d’dans, quoi. Le service public – enfin en tous les cas l’hôpital – était paralysé par ça, quoi. Et<br />

c’est plus du tout productif, ni rentable, hein (…) Ça je supportais plus" (Homme, chirurgien 1,<br />

Libéral, marié, 3 enfants)<br />

On peut voir dans ces propos la volonté affichée <strong>de</strong> se consacrer aux patients et d'être<br />

disponible, on peut aussi et sans doute surtout y voir le refus <strong>de</strong> contraintes "institutionnelles"<br />

qui encadreraient l'exercice médical. C'est finalement plus la liberté <strong>de</strong> "choisir ses horaires"<br />

ou <strong>de</strong> "ne pas compter ses heures" qui l'emporte ici. En effet, même si ici, la mé<strong>de</strong>cine<br />

apparaît comme un "sacerdoce", cela n'empêche pas ces <strong>jeunes</strong> mé<strong>de</strong>cins <strong>de</strong> rechercher <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

mo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> régulation <strong>de</strong> leur temps <strong>de</strong> travail et d'aspirer à une "qualité <strong>de</strong> vie" que n'auraient<br />

pas connue leurs aînés (plus d'implication dans la vie familiale, plus <strong>de</strong> temps pour les<br />

loisirs…).<br />

2.3 DES STRATEGIES POUR "MAITRISER" OU DU MOINS "REGULER" LE TEMPS<br />

"Réguler le temps" n'est pas systématiquement synonyme <strong>de</strong> "travailler moins" et que la<br />

régulation passe plus sûrement par <strong><strong>de</strong>s</strong> tentatives <strong>de</strong> planification, d'organisation et <strong>de</strong><br />

concentration/<strong>de</strong>nsification du travail. Tous (femmes comme hommes) cherchent en effet à<br />

rapprocher leurs <strong>pratiques</strong> <strong>de</strong> travail d'un rapport qu'ils jugent équitable ou "normal"<br />

entre disponibilité temporelle, philosophie du métier et revenu.<br />

2.3.1 Le choix du mo<strong>de</strong> d'exercice, première stratégie <strong>de</strong> régulation du temps <strong>de</strong> travail<br />

médical<br />

Il est vrai que l’exercice <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine dans certains secteurs d’activité et/ou spécialités<br />

concentre les "avantages" ou permet d’échapper aux contraintes classiques <strong>de</strong> l’activité<br />

médicale et d'accor<strong>de</strong>r plus <strong>de</strong> temps à d'autres activités. C'est le cas <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine salariée<br />

et <strong>de</strong> façon plus générale d'une mé<strong>de</strong>cine programmable, qui peut s'exercer uniquement ou<br />

principalement sur ren<strong>de</strong>z-vous. <strong>Les</strong> possibilités <strong>de</strong> réguler le temps peuvent entrer en ligne<br />

<strong>de</strong> compte dans les choix d'une spécialité et/ou d'un mo<strong>de</strong> d'exercice, à <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>grés divers<br />

selon les mé<strong>de</strong>cins. Le choix <strong>de</strong> la spécialité peut clairement être orienté par les conditions <strong>de</strong><br />

travail proposées, les marges <strong>de</strong> manœuvre et surtout, les possibilités <strong>de</strong> postes salariés (qui<br />

outre la perspective d'un temps <strong>de</strong> travail encadré offrent également davantage <strong>de</strong> protection<br />

sociale que l'exercice libéral, notamment pour la maternité) :<br />

10


Féminisation et <strong>pratiques</strong> <strong>professionnelles</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>jeunes</strong> <strong>générations</strong> <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins<br />

Genre, carrière et gestion <strong><strong>de</strong>s</strong> temps sociaux<br />

"Ce sont <strong><strong>de</strong>s</strong> horaires fixes, 35 heures, possibilités <strong>de</strong> se mettre à temps partiel, très bien payé,<br />

on a les congés payés. On a les cinq semaines plus une et avec les RTT. Il y en a qui arrivent à<br />

avoir 10 semaines, vous finissez dans certains services à 16h30, parfois 17h30 au plus tard,<br />

vous avez tous vos week-end, pas d’astreinte, pas <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>, pas d’urgence" (Homme, Mé<strong>de</strong>cin<br />

du travail, 35 ans, salarié, marié, 1 enfant)<br />

"Je n’étais pas spécialement pour la biologie mais bon ça ne me déplaisait pas et puis là aussi<br />

c’est les conditions <strong>de</strong> vie, comment vous dire…euh…pour la famille, c’est <strong><strong>de</strong>s</strong> horaires plus<br />

"cool" entre guillemets, c’est plus carré, c’est pas <strong>de</strong> gar<strong><strong>de</strong>s</strong>…ou enfin c’est <strong><strong>de</strong>s</strong> gar<strong><strong>de</strong>s</strong> avec<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> horaires" (Femme, Biologiste salariée, 32 ans, mariée, 2 enfants).<br />

Plus systématiquement, le mo<strong>de</strong> d'exercice est une variable sur laquelle les mé<strong>de</strong>cins<br />

comptent pour "réguler" leur temps <strong>de</strong> travail, dans un sens (réduction du temps <strong>de</strong> travail) ou<br />

dans l'autre (augmentation). La question du temps <strong>de</strong> travail doit se concevoir dans la<br />

durée. Elle est clairement conçue comme pouvant évoluer en fonction <strong><strong>de</strong>s</strong> circonstances,<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> opportunités, <strong><strong>de</strong>s</strong> "envies" <strong><strong>de</strong>s</strong> mé<strong>de</strong>cins. L'adoption d'un mo<strong>de</strong> d'exercice en début <strong>de</strong><br />

carrière peut n'être que temporaire, comme c'est le cas pour un couple <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins dont la<br />

femme exerce dans un statut d'assistant en centre hospitalier durant sa première grossesse, en<br />

attendant <strong>de</strong> s'installer en libéral dans un cabinet <strong>de</strong> groupe. L'allongement <strong>de</strong> la pério<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

rentrée dans la vie active peut ainsi être considérée comme un moyen <strong>de</strong> maîtriser les<br />

temporalités travaillées, afin <strong>de</strong> s’occuper <strong>de</strong> sa famille et d'éviter <strong>de</strong> tomber immédiatement<br />

dans une pério<strong>de</strong> d’investissement très fort dans le travail, voire <strong>de</strong> "surinvestissement au<br />

travail", pour <strong><strong>de</strong>s</strong> revenus comparables ou jugés tout à fait corrects par les intéréssé-e-s.<br />

En <strong>de</strong>hors du choix du salariat, l’option du "travail à la carte", à travers les<br />

remplacements, semble un compromis tout à fait avantageux pour d’une part échapper aux<br />

contraintes <strong>professionnelles</strong> (les gar<strong><strong>de</strong>s</strong>, mais aussi les charges liées à l'installation en cabinet)<br />

et d’autre part organiser sa vie familiale. Enfin, l'installation dans <strong><strong>de</strong>s</strong> cabinets <strong>de</strong> groupe est<br />

un autre mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> régulation, cette fois en partie collective, qui s'offre aux mé<strong>de</strong>cins. <strong>Les</strong><br />

patients peuvent être pris en charge par l'un ou l'autre <strong><strong>de</strong>s</strong> mé<strong>de</strong>cins du groupe, ce qui confère<br />

plus <strong>de</strong> "souplesse" dans les emplois du temps, tout en répondant aux attentes <strong><strong>de</strong>s</strong> patients.<br />

2.3.2 Un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> régulation possible pour les libéraux : "éduquer les patients"<br />

Pour les mé<strong>de</strong>cins libéraux, les stratégies <strong>de</strong> régulation du temps <strong>de</strong> travail peuvent passer<br />

par une "éducation" <strong>de</strong> la patientèle (régulation stricte <strong><strong>de</strong>s</strong> visites à domicile, filtrage <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

appels d’urgence, volonté d’explication <strong><strong>de</strong>s</strong> posologies afin d’éviter au maximum <strong>de</strong><br />

nouvelles consultations, etc). Cependant, pour les mé<strong>de</strong>cins qui connaissent une "montée en<br />

charge" progressive, voire lente, <strong>de</strong> leur activité, la préoccupation est d'abord <strong>de</strong> "remplir la<br />

salle d'attente" et donc <strong>de</strong> "remplir le temps" consacré à l'activité au cabinet. Ils cherchent<br />

plutôt à offrir une gran<strong>de</strong> disponibilité vis-à-vis <strong><strong>de</strong>s</strong> patients, qu'ils présentent comme une<br />

contrainte temporaire, en attendant que "ça marche" (trous dans l'emploi du temps). Avec un<br />

peu d'expérience et le test <strong>de</strong> plusieurs emplois du temps, la situation commence à se<br />

"réguler" et les plages horaires se remplir. Ainsi, cette jeune généraliste a t'elle finalement<br />

opté pour <strong><strong>de</strong>s</strong> journées "plein temps au cabinet" associées à la fermeture du cabinet le<br />

mercredi :<br />

"ça a pas mal changé, ça (les visites) a toujours été le matin mais avant c'était vraiment euh…<br />

je faisais mardi matin et vendredi matin visites et puis finalement y en avait pas tant que ça le<br />

mardi, donc j'me suis remise en consultation…." (Femme, mé<strong>de</strong>cin généraliste, zone semirurale,<br />

mariée, 2 enfants)<br />

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Féminisation et <strong>pratiques</strong> <strong>professionnelles</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>jeunes</strong> <strong>générations</strong> <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins<br />

Genre, carrière et gestion <strong><strong>de</strong>s</strong> temps sociaux<br />

De façon générale, l'absence <strong>de</strong> préoccupation "clientèliste" (du fait d'un second revenu<br />

important dans le couple, du fait d'un exercice en groupe avec reversement d'honoraires)<br />

favorise ces stratégies <strong>de</strong> concentration du temps <strong>de</strong> travail, au prix parfois <strong>de</strong> journées <strong>de</strong><br />

travail très longues (parfois jusqu'à 22 heures un soir <strong>de</strong> la semaine, il s'agit-là d'une<br />

disponibilité "à la carte" choisie par le mé<strong>de</strong>cin).<br />

2.3.3 Un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> régulation pour les salariés : la réduction du temps <strong>de</strong> travail et le temps<br />

partiel<br />

Pour les mé<strong>de</strong>cins salariés, le cadre légal <strong><strong>de</strong>s</strong> 35 heures et la possibilité <strong>de</strong> travailler à<br />

temps partiel offrent <strong><strong>de</strong>s</strong> possibilités <strong>de</strong> régulation du temps <strong>de</strong> travail que n'ont pas les<br />

libéraux. Une jeune mé<strong>de</strong>cin biologiste <strong>de</strong> 32 ans offre un exemple <strong>de</strong> "vrai" temps partiel<br />

(qui apparaît comme une stratégie temporaire). Elle a réussi à imposer ses conditions (le<br />

travail à 80%) en faisant explicitement jouer la concurrence, à la naissance <strong>de</strong> son <strong>de</strong>uxième<br />

enfant :<br />

"S’ils n’avaient pas accepté le 80% ici, je changeais, je démissionnais et je partais ailleurs mais<br />

on m’a dit pas <strong>de</strong> souci, pour trouver en biologie, j’étais mobile, je leur ai dit "c’est ça ou je<br />

m’en vais". "Mais je pense qu’un jour je m’installerai en libéral"<br />

- Et qu’est ce qui vous pèse le plus dans votre travail?<br />

Peut être le volume, il y a <strong><strong>de</strong>s</strong> fois où je n’en peux plus, je vois <strong><strong>de</strong>s</strong> petites étoiles enfin… la<br />

quantité… Une ca<strong>de</strong>nce, c’est répétitif. C’est pour cela que 3 jours (<strong>de</strong> travail par semaine :<br />

lundi, mardi, mercredi), je suis contente." (Femme, Biologiste salariée, 32 ans, mariée, 2<br />

enfants)<br />

Davantage que la volonté <strong>de</strong> réduction drastique du temps <strong>de</strong> travail, ce qui semble<br />

davantage être mis en avant chez les <strong>jeunes</strong> mé<strong>de</strong>cins, c’est surtout la régularité/prévisibilité<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> horaires et l’organisation du temps <strong>de</strong> travail. Par ailleurs, comme pour les salariés<br />

d'autres secteurs d'activité et comme pour les mé<strong>de</strong>cins libéraux, on retrouve ici, l'aspiration à<br />

concentrer le travail sur un temps limité (plus ou moins limité il est vrai selon les contextes)<br />

ou du moins encadré et sur <strong><strong>de</strong>s</strong> journées <strong>de</strong> travail relativement <strong>de</strong>nses :<br />

"Je suis <strong>de</strong>venue anesthésiste, je sais pas si c’est le meilleur choix (rires) enfin si, quand même<br />

parce que j’ai <strong><strong>de</strong>s</strong> horaires assez carrés, j’ai quelques gar<strong><strong>de</strong>s</strong>, certes, je travaille <strong>de</strong> nuit, mais<br />

après ça me permet <strong>de</strong> bien, bien gérer ma vie personnelle" (Femme, Anesthésiste Cheffe <strong>de</strong><br />

clinique CHU, 31 ans, en couple, enceinte)<br />

"Alors je bosse sur 4 jours par contre, j'bosse plus dans la journée mais du coup je bosse que un<br />

vendredi par mois normalement … normalement, à la base, les vendredis c'est <strong><strong>de</strong>s</strong> RTT (…) j'ai<br />

trois quart d'heures à midi, autrement c'est 8h30 par jour, donc 9h15 <strong>de</strong> présence ici" (Femme,<br />

mé<strong>de</strong>cin généraliste PMI, mariée, enceinte 1 er enfant)<br />

Si les durées <strong>de</strong> travail déclarées par les <strong>jeunes</strong> mé<strong>de</strong>cins sont conformes aux données<br />

enregistrées pour l'ensemble <strong>de</strong> la population médicale, leur rapport au temps <strong>de</strong> travail est en<br />

évolution par rapport à l'éthos professionnel classique <strong>de</strong> la profession (les chirurgiens sont<br />

les plus proches du modèle "classique" et aiment à afficher une disponibilité presque<br />

permanente pour leur travail, même s'ils affirment également une volonté <strong>de</strong> "profiter" <strong>de</strong> leur<br />

vie familiale). Autrement dit, les <strong>jeunes</strong> mé<strong>de</strong>cins fixent <strong><strong>de</strong>s</strong> limites à leur temps <strong>de</strong> travail.<br />

<strong>Les</strong> effets <strong>de</strong> ces stratégies sur le travail <strong><strong>de</strong>s</strong> mé<strong>de</strong>cins sont moins une réduction systématique<br />

du temps <strong>de</strong> travail qu'une tendance forte à la concentration du temps <strong>de</strong> travail et à<br />

l'intensification du travail sur ce temps donné.<br />

12


Féminisation et <strong>pratiques</strong> <strong>professionnelles</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>jeunes</strong> <strong>générations</strong> <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins<br />

Genre, carrière et gestion <strong><strong>de</strong>s</strong> temps sociaux<br />

3 LA REPARTITION DES TACHES DOMESTIQUES ET FAMILIALES DANS LES<br />

COUPLES<br />

<strong>Les</strong> stratégies <strong>de</strong> "limitation <strong>de</strong> la disponibilité au travail" s'inscrivent dans <strong><strong>de</strong>s</strong> mo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong><br />

répartition "classiques" <strong><strong>de</strong>s</strong> tâches entre hommes et femmes même si les préoccupations <strong>de</strong><br />

"partage" <strong><strong>de</strong>s</strong> tâches sont <strong>de</strong> plus en plus présentes dans les discours (si ce n'est encore dans<br />

les <strong>pratiques</strong>). Ces stratégies s'accompagnent d'un recours à <strong><strong>de</strong>s</strong> services extérieurs permettant<br />

d'articuler les différents temps sociaux et <strong>de</strong> libérer un temps pour les loisirs ou l'éducation<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> enfants, temps dont on a vu qu'il était <strong>de</strong> plus en plus "légitime" et valorisé par les <strong>jeunes</strong><br />

mé<strong>de</strong>cins.<br />

3.1 LA PREGNANCE D'UN MODELE "CLASSIQUE" DE REPARTITION DES ROLES DOMESTIQUES<br />

Pour la plupart <strong><strong>de</strong>s</strong> couples enquêtés, domine un modèle <strong>de</strong> répartition classique <strong><strong>de</strong>s</strong> rôles<br />

domestiques et familiaux entre les conjoints. Ce déséquilibre est flagrant pour ceux qui se<br />

rapprochent du modèle du "breadwinner", dans lequel le mé<strong>de</strong>cin-mari concentre son activité<br />

sur le travail et la femme-épouse la sienne sur l'univers domestique, l'éducation <strong><strong>de</strong>s</strong> enfants et<br />

l'ai<strong>de</strong> logistique pour le mari. Lors <strong>de</strong> son installation en libéral, ce jeune mé<strong>de</strong>cin relate ainsi<br />

la façon dont a évolué son comportement à la maison et les tensions suscitées par ce nouveau<br />

mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> fonctionnement :<br />

"C’est source <strong>de</strong> tension évi<strong>de</strong>mment, quand je rentre le matin …enfin entre midi et <strong>de</strong>ux, pour<br />

manger, j’aime un peu que tout soit prêt quoi, pour que je n’ai pas à attendre, donc elle,<br />

quelque part elle ne le vit pas forcément toujours bien, elle a peut être aussi l’impression d’être<br />

à mon service entre guillemets, ce qui n’est pas le cas, elle a son rôle à jouer (…) actuellement,<br />

même, quelque part j’estime que …je n’ai pas…enfin je donne suffisamment <strong>de</strong> ma personne<br />

pour ne pas avoir à faire du ménage quand je rentre à la maison, ou ranger etc " (Homme,<br />

mé<strong>de</strong>cin généraliste, 35 ans, marié, 2 enfants)<br />

<strong>Les</strong> autres mé<strong>de</strong>cins décrivent, en l'assumant et souvent en s'en amusant, ce partage<br />

"classiques" <strong><strong>de</strong>s</strong> tâches, en le considérant comme un accord implicite dans le couple, selon<br />

lequel la femme prend davantage (et mieux) en charge la maison et la famille que l'homme :<br />

"Elle en fait beaucoup plus que moi parce que là, elle a son mi-temps à la maison, enfin son<br />

mi-temps professionnel et son mi-temps à la maison… euh, moi j'essaie d'en faire …. Et j'en fait<br />

mais j'en fait moins qu'elle, clairement" (Homme, spécialiste libéral, Lyon, marié, 3 enfants)<br />

"Moi, mon organisation familiale, notre organisation familiale est l'archétype d'une société ...<br />

disons c'est un dérivé mo<strong>de</strong>rnisé <strong>de</strong> la société à l'ancienne en fait, on est bien d'accord là<strong><strong>de</strong>s</strong>sus.<br />

Mais euh … Je ne crois pas d'ailleurs que ma femme serait prête à ce que je fasse ce<br />

qu'elle fait hein … c'est pas forcément ça" (Homme, neurologue CHU, 34 ans, marié, 2 enfants)<br />

Au-<strong>de</strong>là <strong><strong>de</strong>s</strong> différents mo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> répartition du travail domestique et familial, la "charge<br />

mentale", c'est-à-dire toute l’organisation et la gymnastique mentale nécessaires à<br />

l'enchaînement <strong><strong>de</strong>s</strong> activités quotidiennes (assurer l’entretien du foyer, penser à telle ou telle<br />

course ou facture à payer, faire concor<strong>de</strong>r les emplois du temps <strong><strong>de</strong>s</strong> membres <strong>de</strong> la famille,<br />

gérer les relations familiales et extra-familiales …) revient toujours systématiquement à la<br />

conjointe :<br />

"- Est ce que vous emportez ce qui se passe ici chez vous ?<br />

Ah non, pas du tout mais par contre quand je suis ici (au travail), je pense toujours à mes<br />

filles, j’appelle 2 ou 3 fois par jour. Quand j’arrive, je fais mon boulot, vers 10h quand c’est<br />

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Féminisation et <strong>pratiques</strong> <strong>professionnelles</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>jeunes</strong> <strong>générations</strong> <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins<br />

Genre, carrière et gestion <strong><strong>de</strong>s</strong> temps sociaux<br />

calme, j’appelle, entre midi et <strong>de</strong>ux, vers 16h/17h, j’appelle pour savoir si elles ont bien mangé,<br />

la sieste…je surveille…<br />

- Votre conjoint le fait également ?<br />

Euh…parfois…plus rarement je dirais" (Femme, Biologiste salariée, 32 ans, mariée, 2 enfants).<br />

L'affectation du "bonus temporel", dégagé par la concentration du temps <strong>de</strong> travail est ar<br />

ailleurs bien différencié. Si les hommes se déclarent préoccupés par les contingences<br />

domestiques et familiales et livrent tout un discours construit à ce sujet, ils ne franchissent<br />

que rarement le pas pour consacrer par exemple leur journée <strong>de</strong> libre dans la semaine à leurs<br />

enfants, au bien-être <strong>de</strong> leur famille ou encore à l’entretien <strong>de</strong> leur foyer. Ce "bonus<br />

temporel", est plutôt consacré par les hommes au repos et aux loisirs. Ils justifient ces<br />

<strong>pratiques</strong> en faisant largement référence à l’accomplissement personnel nécessaire à leur<br />

équilibre en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> la sphère <strong>de</strong> l’exercice <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine. <strong>Les</strong> <strong>jeunes</strong> femmes mé<strong>de</strong>cins<br />

font moins souvent état <strong>de</strong> loisirs en solo et leur temps "libre" est plutôt consacré à la gestion<br />

<strong>de</strong> la sphère domestique et familiale.<br />

Du point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> la répartition <strong><strong>de</strong>s</strong> rôles domestiques, les mé<strong>de</strong>cins ne diffèrent donc en<br />

rien <strong><strong>de</strong>s</strong> autres couples d'actifs <strong>de</strong> la même génération : les femmes se voient attribuer et<br />

s'attribuent un rôle domestique et familial plus important que l'homme et y consacrent plus <strong>de</strong><br />

temps.<br />

3.2 UN PARTAGE TIMIDE DES TACHES ET UNE VOLONTE D'IMPLICATION DES HOMMES DANS<br />

L'EDUCATION DES ENFANTS<br />

L'analyse du détail <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>pratiques</strong> en matière <strong>de</strong> tâches domestiques et familiales montre<br />

l'existence d'une économie domestique assez complexe. Dans un couple, l'homme fera "la<br />

salle <strong>de</strong> bain tous les samedis matins", dans un autre, "les courses le mardi après-midi". Si le<br />

temps <strong>de</strong> travail est <strong>de</strong> plus en plus "concentré", le temps domestique "partagé" répond lui<br />

aussi à <strong><strong>de</strong>s</strong> règles temporelles strictes et parfois très formellement établies dans le couple :<br />

"<strong>Les</strong> courses c’est mon ami qui les fait, il est très cuisine donc c’est lui qui s’occupe <strong>de</strong> ça. Le<br />

ménage, en principe c’est le vendredi le ménage. Après le marché, parce que vendredi c’est jour<br />

<strong>de</strong> marché, voilà ma journée (rires). Bon pour l’instant on est que <strong>de</strong>ux en plus la personne<br />

avec qui je vis c’est pas quelqu’un qui, enfin, il ne me laisse pas les tâches quoi<br />

- Donc vous partagez ?<br />

On partage oui, les courses c’est lui qui les fait, quand on se fait un repas, c’est lui qui le fait<br />

aussi, moi j’ai jamais trop cuisiné. On n’a pas <strong>de</strong> femme <strong>de</strong> ménage, un moment j’y avais pensé<br />

pour le repassage mais comme je ne le fais pas, c’est lui qui le fait. A partir du moment où moi<br />

j’ai décidé que je ne le faisais pas je lui ai dit "si tu veux on prend quelqu’un" mais lui il voulait<br />

personne à la maison, donc, c’est lui qui l’assume. Moi je m’occupe du jardin, et <strong>de</strong><br />

l’aspirateur" (Femme, Mé<strong>de</strong>cin généraliste, libéral, 32 ans, en couple, enceinte).<br />

"Chez nous c’est celui qui arrive, celui qui a le temps qui fait…donc moi je fais les courses, le<br />

ménage c’est plutôt moi en général à cause <strong>de</strong> ses gar<strong><strong>de</strong>s</strong> (sa femme est attachée en mé<strong>de</strong>cine<br />

générale dans un CH), enfin…on fait le ménage les week-end, les courses c’est moi qui les fais<br />

quand même globalement sauf quand elle a une journée <strong>de</strong> RTT parce qu’elle a quand même<br />

droit à <strong><strong>de</strong>s</strong> RTT et elle c’est plus <strong>de</strong> repassage parce qu’elle le fait le soir quand je ne suis pas<br />

encore rentré…Voilà c’est ça, donc en général, elle fait plus <strong>de</strong> repassage, elle fait plus <strong>de</strong><br />

ménage et je fais les courses" (Homme, mé<strong>de</strong>cin généraliste Lyon Ouest, marié, un enfant)<br />

La nécessité d'articuler les emplois du temps <strong>de</strong> chacun conduit très souvent le conjoint<br />

masculin à déposer les enfants à l'école. Par ailleurs, les hommes tiennent un discours fort <strong>de</strong><br />

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Féminisation et <strong>pratiques</strong> <strong>professionnelles</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>jeunes</strong> <strong>générations</strong> <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins<br />

Genre, carrière et gestion <strong><strong>de</strong>s</strong> temps sociaux<br />

revendication d'une implication forte dans le partage <strong><strong>de</strong>s</strong> tâches et plus particulièrement dans<br />

l'éducation <strong><strong>de</strong>s</strong> enfants. Dans les <strong>pratiques</strong>, certains hommes expliquent comment, pendant la<br />

journée ou <strong>de</strong>mie-journée <strong>de</strong> libre dans la semaine, le temps libre est découpé entre temps<br />

pour les enfants et temps pour soi :<br />

"Le jeudi, je l’amène à midi [sa fille chez la nounou], je vais la rechercher à cinq heures Et<br />

entre midi et cinq je m’occupe <strong>de</strong> moi. Mais je ne l’emmène plus à neuf heures le matin, on<br />

prend notre temps le matin, on fait <strong><strong>de</strong>s</strong> choses. Il y a même <strong>de</strong>ux ou trois jeudis où je ne l’ai<br />

pas amenée où je l’ai gardée toute la journée. Et on fait <strong><strong>de</strong>s</strong> choses à côté. Voilà. Parce que<br />

c’était un peu nécessaire" (Homme, Mé<strong>de</strong>cin généraliste, 32 ans, cabinet libéral, marié, 1<br />

enfant).<br />

Pour d'autres (certes minoritaires), cette implication s'accompagne d'un temps libre<br />

explicitement dégagé pour les enfants, comme nous le confie ce jeune pédiatre ayant alterné<br />

un mois <strong>de</strong> remplacement et un mois <strong>de</strong> temps libre afin <strong>de</strong> se consacrer à son premier enfant :<br />

"À la fin <strong>de</strong> mon internat et avant le début <strong>de</strong> mon clinicat, j’ai fait quelques remplacements et<br />

ça m’a permis d’avoir un peu <strong>de</strong> temps, puisque je <strong>de</strong>venais papa. C’était sympa, je n’aurais<br />

pas fait ça tout le temps mais…six mois <strong>de</strong> remplacement par pério<strong>de</strong> d’un mois. Je sais que<br />

l’idéal, je vois ma collègue, c’est d’avoir un jour dans la semaine" (Homme, Pédiatre, Chef <strong>de</strong><br />

clinique CHU, 32 ans, marié, 2 enfants).<br />

Cette implication <strong><strong>de</strong>s</strong> hommes n'est cependant pas entrée massivement dans la pratique.<br />

<strong>Les</strong> mé<strong>de</strong>cins exerçant en libéral ne prennent pas <strong>de</strong> congé pour la naissance <strong>de</strong> leurs enfants.<br />

L'un <strong><strong>de</strong>s</strong> chirurgiens raconte qu'il n'a pas pu le faire pour son second enfant, compte-tenu <strong>de</strong><br />

son installation en libéral. Un mé<strong>de</strong>cin généraliste (en cabinet individuel, nouvellement<br />

installé) a tenu les mêmes propos, relatant dans le détail la "panique" déclenchée par la<br />

naissance <strong>de</strong> sa secon<strong>de</strong> fille, quelques semaines plus tôt que prévu.<br />

3.3 LE RECOURS A DES SERVICES EXTERIEURS POUR SOULAGER LES HOMMES COMME LES<br />

FEMMES<br />

<strong>Les</strong> arbitrages réalisés entre le niveau <strong>de</strong> revenu, l'implication au travail et l'implication<br />

dans la vie domestique et familiale conduisent les couples rencontrés à recourir à <strong><strong>de</strong>s</strong> services<br />

extérieurs (principalement femme <strong>de</strong> ménage et mo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> gar<strong>de</strong> pour les enfants). Ce faisant,<br />

ils paient un service qui libère du temps, temps qu'ils investissent dans le travail ou dans la vie<br />

<strong>de</strong> famille et les loisirs.<br />

Le recours aux services extérieurs peut être considéré comme le produit d'une contrainte<br />

liée à un temps <strong>de</strong> travail important <strong>de</strong> la part <strong><strong>de</strong>s</strong> mé<strong>de</strong>cins (surtout <strong><strong>de</strong>s</strong> femmes mé<strong>de</strong>cins).<br />

Elles manquent <strong>de</strong> temps pour se consacrer aux tâches domestiques. En ce sens, le recours à<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> services extérieurs rend possible un investissement supplémentaire en temps <strong>de</strong> travail et<br />

est un indicateur d'un temps <strong>de</strong> travail très important, en particulier pour les femmes. Cette<br />

contrainte temporelle se "paye" par le recours à <strong><strong>de</strong>s</strong> services extérieurs. D'un autre côté, le<br />

recours aux services extérieurs permet aussi <strong>de</strong> "libérer du temps", <strong>de</strong> profiter d'un temps<br />

réellement "libre". On retrouve ici les arbitrages évoqués plus haut : le temps <strong>de</strong> travail est<br />

nécessaire pour accumuler un certain revenu qui à son tour permet <strong>de</strong> libérer un temps<br />

familial ou <strong>de</strong> loisir "pur" dégagé <strong><strong>de</strong>s</strong> contraintes tâches domestiques :<br />

"Elle (la nounou) les récupère à quatre heures et <strong>de</strong>mie et moi je viens les chercher chez elle à<br />

sept heures et <strong>de</strong>mie. Je ne les vois pas <strong>de</strong> 8h30 à 19h30 donc c’est vrai que la semaine c’est un<br />

peu rapi<strong>de</strong> mais grâce à la nounou, c’est que du bon temps, les bains sont faits, les repas sont<br />

faits, donc on passe une heure <strong>de</strong> loisirs. Donc on en profite un peu (…) C’est vrai que comme<br />

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Féminisation et <strong>pratiques</strong> <strong>professionnelles</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>jeunes</strong> <strong>générations</strong> <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins<br />

Genre, carrière et gestion <strong><strong>de</strong>s</strong> temps sociaux<br />

on a un bon rythme <strong>de</strong> travail et <strong><strong>de</strong>s</strong> salaires convenables, et bien on préfère dépenser un peu<br />

plus et avoir du temps à soi ou avec les enfants, plutôt que d’avoir toutes les tâches<br />

ménagères" (Homme, Pédiatre, Chef <strong>de</strong> clinique CHU, 32 ans, marié, 2 enfants)<br />

"- donc vous avez une femme <strong>de</strong> ménage … qui est arrivée avec le 3 ème ?<br />

Non, <strong>de</strong>puis la <strong>de</strong>uxième en fait euh puisque j'travaillais en moyenne <strong>de</strong>ux tiers <strong>de</strong> temps avant<br />

avec mon fils puisque j'avais un mi-temps fixe plus <strong><strong>de</strong>s</strong> remplacements <strong>de</strong> droite et <strong>de</strong> gauche et<br />

quand euh … en fait, j'ai changé pour venir au laboratoire où je suis au moment <strong>de</strong> la grossesse<br />

<strong>de</strong> ma fille et là ça faisait partie du <strong>de</strong>al avec mon mari, j'voulais bien accepter ce poste-là<br />

mais il fallait que j'aie une femme <strong>de</strong> ménage (rires)… puisque je travaillais un peu plus que<br />

ce que je voulais à l'époque donc …" (Femme, biologiste salariée, enceinte 4 ème enfant)<br />

Pour autant il ne faudrait pas conclure trop rapi<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> ce recours massif aux services<br />

extérieurs que les femmes (mé<strong>de</strong>cins ou épouses <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins) se "libèrent" entièrement <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

tâches domestiques. Elles <strong>de</strong>meurent les "référentes" et les "organisatrices" du travail <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

femmes <strong>de</strong> ménages et <strong><strong>de</strong>s</strong> "nounous".<br />

Tous les mé<strong>de</strong>cins que nous avons rencontrés, ayant <strong><strong>de</strong>s</strong> enfants en bas âge ont recours à<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> mo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>. Le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> gar<strong>de</strong> le plus fréquent est la nounou (ou assistante<br />

maternelle) qui gar<strong>de</strong> les enfants à son domicile, viennent ensuite la nounou "à domicile" et<br />

(plus rarement) les mo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> gar<strong>de</strong> collectifs (crèche). <strong>Les</strong> mo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> gar<strong>de</strong> prisés par ces<br />

couples sont donc parmi les plus coûteux (surtout la nounou à domicile), les budgets<br />

mentionnés par les mé<strong>de</strong>cins allant <strong>de</strong> 400 à 1000€. Parmi les critères <strong>de</strong> choix du mo<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

gar<strong>de</strong>, si le coût entre en ligne <strong>de</strong> compte (cela dépend du revenu du ménage, la question est<br />

davantage abordée dans les couples comprenant une femme mé<strong>de</strong>cin et un homme non<br />

mé<strong>de</strong>cin), le principal critère semble être la disponibilité temporelle. À cet égard, les<br />

crèches hospitalières, lorsqu'elles existent, apparaissent comme une solution idéale pour les<br />

mé<strong>de</strong>cins hospitaliers. Pour les autres couples qui ne veulent pas ou ne peuvent pas mettre<br />

leur enfant à la crèche, la nounou doit avant tout être disponible et aligner son temps <strong>de</strong> travail<br />

sur celui <strong><strong>de</strong>s</strong> mé<strong>de</strong>cins.<br />

Souvent, et parce que les revenus du couple le permettent, les difficultés liées à la gestion<br />

<strong>de</strong> ces mo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> gar<strong><strong>de</strong>s</strong> sont résolues par le choix d'un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> gar<strong>de</strong> onéreux qui permet<br />

"d'acheter" un équilibre entre les temporalités travaillées et le temps <strong>de</strong> la vie <strong>de</strong> domestique<br />

et familiale.<br />

<strong>Les</strong> données recueillies auprès <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>jeunes</strong> mé<strong>de</strong>cins sur la répartition <strong><strong>de</strong>s</strong> tâches<br />

domestiques et familiales nous rappellent que l'équilibre dans le partage <strong>de</strong> ces tâches est<br />

encore loin d'être obtenu. <strong>Les</strong> femmes mé<strong>de</strong>cins, comme les autres femmes actives ont à gérer<br />

à la fois leurs activités <strong>professionnelles</strong> et la gestion domestique et familiale, ce qui permet <strong>de</strong><br />

comprendre pourquoi elles sont, davantage que les hommes, en quête <strong>de</strong> mo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> régulation<br />

<strong>de</strong> leur temps <strong>de</strong> travail. Cependant, nous <strong>de</strong>vons prendre au mot les propos <strong><strong>de</strong>s</strong> hommes<br />

lorsqu'ils affichent leur volonté d'implication dans la vie familiale et en particulier l'éducation<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> enfants. Si les traductions <strong>pratiques</strong> <strong>de</strong> ce discours sont encore timi<strong><strong>de</strong>s</strong>, on peut imaginer<br />

que les hommes vont poursuivre et même conforter leurs efforts pour eux aussi réguler leur<br />

activité professionnelle (ce qui, encore une fois ne signifie pas nécessairement réduction<br />

drastique du temps <strong>de</strong> travail).<br />

16


CONCLUSION<br />

Féminisation et <strong>pratiques</strong> <strong>professionnelles</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>jeunes</strong> <strong>générations</strong> <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins<br />

Genre, carrière et gestion <strong><strong>de</strong>s</strong> temps sociaux<br />

<strong>Les</strong> entretiens que nous avons menés auprès <strong>de</strong> 23 mé<strong>de</strong>cins âgés <strong>de</strong> moins <strong>de</strong> 35 ans<br />

confirment les hypothèses que nous avions avancées. Tout d'abord on constate une<br />

aspiration générale, <strong><strong>de</strong>s</strong> hommes comme <strong><strong>de</strong>s</strong> femmes à une moindre disponibilité temporelle<br />

pour les patients. Il s'agit là d'une prise <strong>de</strong> distance avec l'éthos professionnel classique <strong>de</strong> la<br />

profession selon lequel "il convient", pour bien faire son travail <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cin d'être disponible<br />

pour ses patients. Cette équivalence entre disponibilité temporelle et qualité du travail semble<br />

ne plus aller <strong>de</strong> soi pour les <strong>jeunes</strong> <strong>générations</strong>. Cela se traduit par le déploiement <strong>de</strong><br />

stratégies visant à réguler (mais non nécessairement à réduire) le temps consacré aux activités<br />

<strong>professionnelles</strong>. Ce mouvement cependant n'est pas uniforme et prend <strong><strong>de</strong>s</strong> formes et <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

intensités variables selon la spécialité, le mo<strong>de</strong> d'exercice, le "rapport au travail" personnel <strong>de</strong><br />

chaque mé<strong>de</strong>cin. Ainsi, les chirurgiens paraissent encore très proches, dans leurs discours<br />

comme dans leurs <strong>pratiques</strong> <strong>de</strong> l'éthos classique <strong>de</strong> la profession<br />

Plus précisément, plusieurs résultats peuvent être mis en avant :<br />

1/ <strong>Les</strong> <strong>jeunes</strong> <strong>générations</strong> <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins vivent au sein <strong>de</strong> couples d'actifs et ont donc à gérer<br />

l'articulation <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux carrières, la leur et celle du conjoint, homme ou femme. <strong>Les</strong> arbitrages à<br />

réaliser en termes <strong>de</strong> choix <strong>de</strong> carrière (spécialité, mo<strong>de</strong> d'exercice, lieu d'installation) et<br />

d'implication au travail doivent être replacés dans ce contexte "<strong>de</strong> couple".<br />

2/ Incontestablement, les mé<strong>de</strong>cins <strong><strong>de</strong>s</strong> "<strong>jeunes</strong> <strong>générations</strong>" aspirent à une moindre<br />

disponibilité temporelle pour leur travail. Cependant cette aspiration ne se traduit pas par une<br />

réduction drastique du temps <strong>de</strong> travail <strong><strong>de</strong>s</strong> mé<strong>de</strong>cins ni par une moindre implication dans le<br />

travail ou une moindre préoccupation pour la qualité <strong><strong>de</strong>s</strong> soins<br />

3/ Le temps <strong>de</strong> travail <strong><strong>de</strong>s</strong> mé<strong>de</strong>cins enquêtés est important et conforme au temps <strong>de</strong> travail<br />

déclaré par l'ensemble <strong>de</strong> la population médicale et les écarts entre les temps <strong>de</strong> travail <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

hommes et <strong><strong>de</strong>s</strong> femmes ne sont pas plus importants que pour l'ensemble <strong>de</strong> la population<br />

médicale. On observe par ailleurs les mêmes différences entre spécialités et mo<strong><strong>de</strong>s</strong> d'exercice<br />

que pour l'ensemble <strong>de</strong> la population.<br />

4/ Tous les mé<strong>de</strong>cins déploient <strong><strong>de</strong>s</strong> stratégies <strong>de</strong> régulation <strong>de</strong> leur temps <strong>de</strong> travail, qui les<br />

conduisent notamment à privilégier <strong><strong>de</strong>s</strong> journées <strong>de</strong> travail longues et intenses pour "libérer"<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> journées ou <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>mies-journées. Si ces stratégies sont plus explicites et plus souvent<br />

mises en œuvre dans la pratique chez les femmes, elles existent également chez les hommes<br />

qui disent vouloir "libérer" du temps pour leurs loisirs et leur famille.<br />

5/ <strong>Les</strong> mé<strong>de</strong>cins enquêtés aspirent à une "meilleure organisation" <strong>de</strong> leurs conditions<br />

d'exercice. Ils aspirent semble-t-il à plus <strong>de</strong> coopération entre les mé<strong>de</strong>cins, <strong>de</strong> façon à<br />

"réguler" l'activité collective au profit à la fois <strong><strong>de</strong>s</strong> mé<strong>de</strong>cins (permettre <strong>de</strong> "réguler le temps<br />

<strong>de</strong> travail") et au profit <strong><strong>de</strong>s</strong> patients (maintenir la continuité <strong><strong>de</strong>s</strong> soins). La mé<strong>de</strong>cine <strong>de</strong><br />

groupe, les mo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> régulation <strong><strong>de</strong>s</strong> gar<strong><strong>de</strong>s</strong> ont été abordés comme moyens d'agir en ce sens.<br />

INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES<br />

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Féminisation et <strong>pratiques</strong> <strong>professionnelles</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>jeunes</strong> <strong>générations</strong> <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins<br />

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