Dire le Tragique * Par François Chirpaz www ...
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possib<strong>le</strong>. Il dévore l'espace du vivre en ruinant toute possibilité autre que lui-même. Et tant<br />
qu'il impose son emprise nul<strong>le</strong> paro<strong>le</strong> n'est possib<strong>le</strong>.<br />
Il n'y a donc de paro<strong>le</strong> de l'événement subi que d'après-coup car, comme pour tout<br />
événement important de la vie, heureux ou malheureux, la paro<strong>le</strong> n'est que seconde. Mettre en<br />
mots est inscrire une distance entre <strong>le</strong> dire et ce qui veut se dire. Et, dans cette distance c'est la<br />
liberté qui peut se loger. Et, dès lors, parvenir à mettre des mots sur ce qui s'est passé est<br />
inscrire une distance entre l'événement et l'existence qui s'attache à l'exprimer en mettant des<br />
mots sur ce qui s'est passé. C'est de la sorte que <strong>le</strong>s mots peuvent parvenir à tamiser l'angoisse.<br />
L'événement terrifiant n'a pas perdu sa charge d'angoisse mais parvenir à mettre des mots sur<br />
ce qui est arrivé est déjà, pour une part, désamorcer sa charge brute.<br />
Tel est bien <strong>le</strong> sens de la catharsis, qu'on l'entende dans l'acception d'Aristote ou<br />
dans cel<strong>le</strong> mise en oeuvre par la cure analytique. El<strong>le</strong> est répétition de ce qui a été vécu mais,<br />
parce que cette répétition se passe dans l'espace ouvert par <strong>le</strong>s mots, el<strong>le</strong> en déplace <strong>le</strong> centre<br />
de gravité. En un sens, tout demeure <strong>le</strong> même car c'est bien de la terreur qui suscite l'angoisse<br />
qu'il est question. Mais, en un autre sens, tout change puisque, désormais, l'existence peut dire<br />
ce qu'el<strong>le</strong> a enduré et ne se contente pas de <strong>le</strong> revivre comme la première fois. Pouvoir par<strong>le</strong>r<br />
de la sorte répète ce qui a été vécu et en ravive <strong>le</strong> souvenir mais sur la base d'un déplacement.<br />
Aussi n'est-ce pas tout à fait la même chose lors même que c'est la même chose qui est<br />
évoquée. La paro<strong>le</strong> instaure une distance et c'est cette distance qui permet enfin de vivre hors<br />
du climat de terreur.<br />
Et pourtant une tel<strong>le</strong> catharsis a des limites car si trouver <strong>le</strong>s mots qu'il faut est<br />
nécessaire pour se décharger du poids de l'angoisse et distendre <strong>le</strong>s liens à l'événement<br />
traumatique cela ne suffit pas pour transmettre à un autre ce qui veut se dire.<br />
Sur ce point <strong>le</strong> constat est <strong>le</strong> même chez tous ceux qui ont eu à endurer la proximité<br />
de l'horreur. Pour faire entendre ce qu'ils veu<strong>le</strong>nt dire de l'horreur de la torture ou du viol,<br />
c'est-à-dire de l'horreur de la proximité vertigineuse de la mort <strong>le</strong>s mots sont contraints<br />
d'avouer <strong>le</strong>ur impuissance tant qu'ils n'ont pas rencontré une écoute réel<strong>le</strong>ment disponib<strong>le</strong>. Il<br />
ne suffit pas de dire ce qui a eu lieu. Il faut encore rencontrer une disponibilité à même<br />
d'entendre, dans <strong>le</strong>s mots, ce qui s'efforce de se faire comprendre. C'est là que la catharsis<br />
révè<strong>le</strong> ses limites. Dans <strong>le</strong> temps où el<strong>le</strong> permet à l'existence b<strong>le</strong>ssée de prendre distance avec<br />
ce qu'el<strong>le</strong> a vécu il lui faut bien découvrir que <strong>le</strong>s mots ne suffisent pas à transmettre tout ce<br />
qu'el<strong>le</strong> voudrait pouvoir communiquer. En effet, ce qui est à dire relève de l'impensab<strong>le</strong> et de<br />
l'inimaginab<strong>le</strong>, cet impensab<strong>le</strong> qu'évoque Hölderlin.