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Dire le Tragique * Par François Chirpaz www ...

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son insu, dans la sauvagerie. De là l'avertissement d'Eschy<strong>le</strong>: "Nul mortel ne doit nourrir de<br />

pensées au dessus de sa condition de mortel. La démesure (hubris) en mûrissant produit l'épi<br />

de l'égarement (Atè) et la moisson qu'on en lève n'est faite que de larmes."<br />

L'être humain n'existe que dans et par l'élan qui, en lui, refuse de n'être que ce qu'il<br />

est initia<strong>le</strong>ment, un vivant soumis à toutes <strong>le</strong>s contraintes imposées par la vie. Il n'est ce qu'il<br />

est que dans et par cet élan de l'esprit qui n'ouvre sa voie propre que dans la négation de tout<br />

ce qui s'oppose à sa prétention. Un élan qui nie <strong>le</strong>s contraintes pour ouvrir un espace à la libre<br />

disposition de son temps de vie. Ainsi <strong>le</strong> désir dont l'énergie se nourrit de la force des rêves<br />

en attente d'un monde qui se plie à sa demande de commander aux êtres et aux choses parce<br />

qu'escomptant, par là, commander au cours de son destin. Or, que demande <strong>le</strong> désir emporté<br />

par un tel élan ? Ce qu'il veut, on <strong>le</strong> sait, c'est tout et tout de suite, que rien ne vienne lui faire<br />

entrave en l'empêchant de se réaliser. Il n'accepte ni d'attendre ni de se différer. Une demande<br />

de cet ordre est sans limite, comme si, seu<strong>le</strong>, son intensité pouvait abolir <strong>le</strong> sentiment de sa<br />

propre précarité en lui faisant oublier qu'il est mortel. La démesure du désir et du rêve est, en<br />

effet, un constant défi à la mort. El<strong>le</strong> ne recherche pas tant à ruser avec la mort qu'à la<br />

contraindre à ne pas compter pour lui et, pour cela, el<strong>le</strong> mise sur la force de sa propre<br />

demande. Mais, ce faisant, el<strong>le</strong> ne cesse de jouer avec cette même mort, ne reculant pas<br />

devant la barbarie sauvage du meurtre, comme si <strong>le</strong> fait de donner la mort à d'autres pouvait<br />

lui conférer l'invulnérabilité.<br />

Le tragique naît donc en cette épreuve de l'excès qui bou<strong>le</strong>verse l'existence en lui<br />

découvrant sa fragilité essentiel<strong>le</strong>. Il est d'autres formes de l'excès qui, éga<strong>le</strong>ment,<br />

bou<strong>le</strong>versent l'existence mais cel<strong>le</strong>s-là l'ouvrent à une plus grande intensité de la vie. Ainsi, à<br />

des degrés divers, l'émotion heureuse de la découverte de l'amour, ou bien dans la proximité<br />

d'une oeuvre d'art ou bien encore dans l'extase mystique. Là, l'existence est comme arrachée à<br />

el<strong>le</strong>-même, saisie par l'intensité de la découverte qui s'offre à el<strong>le</strong> d'une possibilité jusqu'alors<br />

insoupçonnée. Un excès d'une tel<strong>le</strong> nature dérange et déstabilise mais c'est pour amplifier la<br />

possibilité même du vivre. Il se rapporte à la vie et il l'amplifie, il a tonalité de vie alors que<br />

celui qui s'impose dans <strong>le</strong> tragique a une tonalité de mort.<br />

La déchirure interne ne découvre pas seu<strong>le</strong>ment à l'homme sa dualité de matière et<br />

d'esprit. L'être humain est, certes, cette texture comp<strong>le</strong>xe d'esprit qui émerge dans la paro<strong>le</strong> et<br />

la pensée et de matière qui ne <strong>le</strong>ste l'esprit qu'en l'insérant d'une manière concrète dans la vie.<br />

Mais, dans son mouvement même d'émergence, il s'éprouve divisé contre lui-même et ne<br />

pouvant advenir à soi que dans cette déchirure, là où la vie côtoie la mort et ose l'affronter.<br />

Selon <strong>le</strong> juste mot de Hegel : "l'esprit conquiert sa vérité seu<strong>le</strong>ment à condition de se retrouver

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