les civils en picardie pendant la grande guerre journal d'un ... - Epagny
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Tout le monde est affolé à <strong>la</strong> p<strong>en</strong>sée que l’<strong>en</strong>nemi est si proche. Mais <strong>les</strong> vil<strong>la</strong>geois sont si<br />
confiants, que nos quelques ang<strong>la</strong>is nous sembl<strong>en</strong>t une force suffisante pour nous protéger.<br />
Cep<strong>en</strong>dant, bi<strong>en</strong> au fond de nous, nous nous s<strong>en</strong>tons m<strong>en</strong>acés, nous rappe<strong>la</strong>nt <strong>les</strong> fuyards<br />
belges qui sont passés hier <strong>en</strong>core, ces lugubres défilés d’infirmes, de vieil<strong>la</strong>rds, de femmes et<br />
d’<strong>en</strong>fants harassés. On ose à peine p<strong>en</strong>ser à faire comme eux. Le Maire <strong>en</strong> a manifesté <strong>la</strong><br />
possibilité. On se couche chaque soir un peu plus angoissé.<br />
P<strong>en</strong>dant toute <strong>la</strong> nuit, des patrouil<strong>les</strong> de cavaliers ang<strong>la</strong>is continu<strong>en</strong>t d’arp<strong>en</strong>ter <strong>la</strong> campagne.<br />
Lundi 31 août<br />
Le matin de bonne heure, <strong>la</strong> plupart des ang<strong>la</strong>is s’<strong>en</strong> vont. Vers onze heures, des ouvriers<br />
r<strong>en</strong>tr<strong>en</strong>t précipitamm<strong>en</strong>t au vil<strong>la</strong>ge. Ils racont<strong>en</strong>t que 9 uh<strong>la</strong>ns vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t de leur demander le<br />
chemin de CRECY-au-MONT, et qu’ils ont m<strong>en</strong>acé de mettre le feu à <strong>la</strong> ferme si on leurs<br />
fournissait de faux r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts. Le gros de l’armée allemande n’est sans doute pas loin<br />
puisque <strong>les</strong> éc<strong>la</strong>ireurs sont là. Des détachem<strong>en</strong>ts sont déjà cantonnés à <strong>la</strong> ferme de SAINT-<br />
LEGER, sur le p<strong>la</strong>teau.<br />
On p<strong>en</strong>se alors aux sinistres défilés de belges et de français du Nord et, malgré tout ce qu’ils<br />
nous ont raconté, on <strong>en</strong>visage de fuir devant l’<strong>en</strong>vahisseur. Toutes <strong>les</strong> horreurs <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dues<br />
depuis quelques semaines sur l’invasion de <strong>la</strong> Belgique sèm<strong>en</strong>t <strong>la</strong> peur dans nos esprits.<br />
Ou <strong>les</strong> Allemands s’arrêteront-ils ? Que vont-ils faire de nous ? Iront-ils jusqu'à PARIS et dans<br />
combi<strong>en</strong> de temps ? Ri<strong>en</strong> ne semble devoir <strong>les</strong> arrêter, nous n’avons <strong>en</strong>core vu aucune unité<br />
importante de notre armée. A peine une poignée d’ang<strong>la</strong>is est vraim<strong>en</strong>t passée dans le vil<strong>la</strong>ge.<br />
Et ils l’ont quitté, alors qu’on nous parle de régim<strong>en</strong>ts <strong>en</strong>tiers d’Allemands. Cette angoisse que<br />
n’oublieront jamais ceux qui l’ont ress<strong>en</strong>tie nous amène à décider de partir. PARTIR. C’est le<br />
mot qui nous hante maint<strong>en</strong>ant. Jusqu’ou ? Comm<strong>en</strong>t ? Nous nous promettons de rejoindre <strong>la</strong><br />
famille à SOISSONS et de partir avec elle vers PARIS … au-delà de PARIS… Qu’importe, partir,<br />
tout est là.<br />
Les <strong>la</strong>rmes aux yeux et sans p<strong>en</strong>ser sérieusem<strong>en</strong>t aux nécessités matériel<strong>les</strong>, nous faisons<br />
quelques paquets, dans <strong>les</strong>quels nous fourrons tout ce qui nous tombe sous <strong>la</strong> main. Nous<br />
oublions d’ailleurs, et l’av<strong>en</strong>ir nous le reprochera amèrem<strong>en</strong>t, non seulem<strong>en</strong>t des choses uti<strong>les</strong><br />
mais tous nos plus chers souv<strong>en</strong>irs : bijoux, photos, papiers de famille, même. On se gêne<br />
mutuellem<strong>en</strong>t dans nos préparatifs, tant l’affolem<strong>en</strong>t est grand.<br />
Enfin vers 1 heure, on dit adieu à <strong>la</strong> vieille maison natale de grand’mère et <strong>la</strong> mort dans l’âme,<br />
nous nous r<strong>en</strong>dons à <strong>la</strong> ferme, sur <strong>la</strong> P<strong>la</strong>ce. Grand’mère, Jeanne et moi, accompagnés de<br />
quelques voisins rejoignons le gros de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion pour partir <strong>en</strong> commun avec tous <strong>les</strong><br />
atte<strong>la</strong>ges disponib<strong>les</strong> à <strong>la</strong> ferme.<br />
Après quelque att<strong>en</strong>te, on ouvre <strong>la</strong> grand’porte. Tout le monde à sa p<strong>la</strong>ce fixée. Nous sommes à<br />
<strong>la</strong> nôtre, juchés sur un tas de ballots, <strong>en</strong> haut d’un grand chariot à quatre roues, de ceux qui<br />
serv<strong>en</strong>t au transport des betteraves au temps béni de <strong>la</strong> paix. On n’att<strong>en</strong>d plus que le cri des<br />
charretiers pour que <strong>les</strong> lourds atte<strong>la</strong>ges se mett<strong>en</strong>t <strong>en</strong> marche, et l’exode du vil<strong>la</strong>ge aura<br />
comm<strong>en</strong>cé.<br />
Mais à cet instant qui toute notre vie se représ<strong>en</strong>tera <strong>en</strong>core et <strong>en</strong>core à nos mémoires, c’est<br />
un murmure qui se propage dans <strong>la</strong> cour de <strong>la</strong> ferme : «<br />
voilà <strong>les</strong> Allemands ! Que <strong>les</strong> femmes part<strong>en</strong>t dans <strong>les</strong><br />
jardins, cachés <strong>les</strong> <strong>en</strong>fants ! ». En clin d’œil, il n’y a plus<br />
personne sur <strong>les</strong> chariots ; on fuit à l’av<strong>en</strong>ture vers <strong>les</strong><br />
bâtim<strong>en</strong>ts du fond, on se perd de vue dans <strong>les</strong> famil<strong>les</strong>, on<br />
est fou. Un vil<strong>la</strong>geois dit : « ce ne sont pas des allemands<br />
mais des ang<strong>la</strong>is sans doute, ils n’ont pas le casque à<br />
pointe ». La porte a été fermée, cep<strong>en</strong>dant, dés l’apparition<br />
des premiers cavaliers.<br />
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