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Scènes d'exposition

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Je suis le ténébreux, – le veuf, – l'inconsolé,<br />

Le prince d'Aquitaine à la tour abolie<br />

Ma seule étoile est morte, – et mon luth constellé<br />

Porte le soleil noir de la Mélancolie.<br />

Dans la nuit du tombeau, toi qui m'as consolé,<br />

Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie,<br />

La fleur qui plaisait tant à mon cœur désolé,<br />

Et la treille où le pampre à la rose s'allie.<br />

Suis-je Amour ou Phébus 8 ? ... Lusignan ou Biron 9 ?<br />

Mon front est rouge encor du baiser de la reine ;<br />

J'ai rêvé dans la grotte où nage la sirène...<br />

Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron ;<br />

Modulant tout à tour sur la lyre d'Orphée<br />

Les soupirs de la sainte et les cris de la fée.<br />

4. Victor Hugo, extraits de la Préface de Cromwell (1827).<br />

Dans la préface de la pièce Cromwell, Victor Hugo, chef de file du romantisme, expose les caractéristiques d’un<br />

nouveau genre théâtral, le drame romantique. Voici les extraits les plus significatifs de cette longue préface-manifeste.<br />

Elle [la poésie] se mettra à faire comme la nature, à mêler dans ses créations, sans pourtant les confondre,<br />

l’ombre et la lumière, le grotesque au sublime, en d’autres termes, le corps à l’âme, la bête à l’esprit. [...]<br />

Et ici, qu'il nous soit permis d'insister ; car nous venons d'indiquer le trait caractéristique, la différence<br />

fondamentale qui sépare, à notre avis, l'art moderne de l’art antique, la forme actuelle de la forme morte, ou,<br />

pour nous servir de mots plus vagues, mais plus accrédités, la littérature romantique de la littérature<br />

classique. [...]<br />

Nous voici parvenus à la sommité poétique des temps modernes. Shakespeare, c'est le Drame ; et le<br />

drame, qui fond sous un même souffle le grotesque et le sublime, le terrible et le bouffon, la tragédie et la<br />

comédie, le drame est le caractère propre de la troisième époque de poésie, de la littérature actuelle. [...]<br />

La poésie née du christianisme, la poésie de notre temps est donc le drame ; le caractère du drame est le<br />

réel ; le réel résulte de la combinaison toute naturelle de deux types, le sublime et le grotesque, qui se<br />

croisent dans le drame, comme ils se croisent dans la vie et dans la création. Car la poésie vraie, la poésie<br />

complète, est dans l'harmonie des contraires. Puis, il est temps de le dire hautement, et c'est ici surtout que<br />

les exceptions confirmeraient la règle, tout ce qui est dans la nature est dans l'art.<br />

On voit combien l'arbitraire distinction des genres croule vite devant la raison et le goût. On ne ruinerait<br />

pas moins aisément la prétendue règle des deux unités. Nous disons deux et non trois unités, l'unité d'action<br />

ou d'ensemble, la seule vraie et fondée, étant depuis longtemps hors de cause.<br />

Quoi de plus invraisemblable et de plus absurde en effet que ce vestibule, ce péristyle, cette antichambre,<br />

lieu banal où nos tragédies ont la complaisance de venir se dérouler, où arrivent, on ne sait comment, les<br />

conspirateurs pour déclamer contre le tyran, le tyran pour déclamer contre les conspirateurs [...] !<br />

L'unité de temps n'est pas plus solide que l'unité de lieu. L'action, encadrée de force dans les vingt-quatre<br />

heures, est aussi ridicule qu'encadrée dans le vestibule. Toute action a sa durée propre comme son lieu<br />

particulier. [...]<br />

Que fait-on en effet maintenant ? On divise les jouissances du spectateur en deux parts bien tranchées. On<br />

lui donne d'abord deux heures de plaisir sérieux, puis une heure de plaisir folâtre ; avec l'heure d'entr'actes<br />

que nous ne comptons pas dans le plaisir, en tout quatre heures. Que ferait le drame romantique ? Il broierait<br />

et mêlerait artistement ces deux espèces de plaisir. Il ferait passer à chaque instant l'auditoire du sérieux au<br />

rire, des excitations bouffonnes aux émotions déchirantes, du grave au doux, du plaisant au sévère. Car,<br />

ainsi que nous l'avons déjà établi, le drame, c'est le grotesque avec le sublime, l'âme sous le corps, c'est une<br />

tragédie sous une comédie.<br />

8 C’est l’un des noms d’Apollon, dieu de la musique et de la poésie.<br />

9 Lusignan : roi de Chypre, époux légendaire de la fée Mélusine ; Biron : seigneur fidèle à Henri IV.<br />

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