2006/01/20 vendredi : LIMPARTIAL : LIMPARTIALLIMPARTIAL

2 e cahier
VENDREDI 20 JANVIER 2006
LE DOSSIER DE
uelque 23 millions de
Canadiens sont appelés
aux urnes ce
lundi. Lassés par 12
ans de règne du Parti libéral,
les électeurs semblent décidés
à tourner la page et à faire confiance
à un homme neuf,
Stephen Harper, dirigeant des
conservateurs, que tous les
sondages donnent gagnant.
Les dernières études d’opinion
créditent en effet les conservateurs
d’une avance oscillant
entre 7 et 18 points sur
les libéraux du premier ministre
sortant Paul Martin. Dans
le système politique canadien,
qui s’inspire de celui de la
Grande-Bretagne, c’est le chef
du parti obtenant le plus
grand nombre des 308 sièges
de la Chambre des communes
qui est généralement chargé
de former le gouvernement.
Incertitude
Une incertitude demeure:
Stephen Harper pourra-t-il disposer
d’une majorité au Parlement
ou devra-t-il diriger un
gouvernement minoritaire, un
exercice difficile car il n’a pas
d’alliés naturels parmi les trois
autres partis canadiens représentés
à la Chambre des communes.
Msis il ne fait guère de
doute que les conservateurs
ont le vent en poupe. Deux
grands journaux canadiens,
l’anglophone «The Globe and
Mail» et le francophone «La
Presse», plutôt favorables aux
libéraux, leur ont apporté leur
soutien dans des éditoriaux remarqués.
Et suprême avanie
pour le premier ministre sortant,
des personnalités libérales
ont déjà commencé à se positionner
pour prendre sa
place à la tête du parti en cas
de défaite.
Le Québec tremble
Paul Martin était à la tête
d’un gouvernement minoritaire
depuis juin 2004. Il avait
alors réussi à battre sur le fil les
conservateurs en dépeignant
leur rival comme un extrémiste
de droite.
Cette tactique a cette fois
échoué. Stephen Harper a
évité les erreurs de jeunesse de
SUISSE MONDE SPORT
PÉDOPHILIE L’initiative de
la Marche Blanche pour rendre
les délits imprescriptibles
pourrait aboutir. page 19
2004 et mené une campagne
d’une redoutable efficacité,
alors que Paul Martin a raté la
sienne. Stephen Harper a aussi
évolué vers le centre sans pour
autant renoncer à certains aspects
de son credo conservateur,
comme son hostilité au
protocole de Kyoto ou au mariage
homosexuel.
Sa victoire serait celle de
l’Ouest canadien. Un gouvernement
issu de cette région
traditionnellement hostile au
Québec et à la langue française
pourrait remettre en
cause le bilinguisme imposé
par Pierre-Eliott Trudeau dans
les années 1970.
Stephen Harper a notamment
déclaré que «la vaste ma-
STRASBOURG Lassé par les
frasques des députés, le
Parlement européen entend
se gendarmer.
page 20
jorité des Canadiens sont contre la
politique des langues officielles (le
bilinguisme, ndlr) que leura imposéeunanciengouvernementlibéral».
Le leader conservateur profiteaussidessuitesd’unvaste
scandale de pots-de-vin qui a
profondément terni l’image
du Parti libéral.
Motion de censure
Ce scandale porte sur des
détournements de fonds publics
lors d’une campagne
publicitaire visant à promouvoir
l’unité canadienne au
Québec tenté par l’indépendance.
Bien que Paul Martin
ait été blanchi par une commission
d’enquête, cette af-
faire a empoisonné son mandat
et contribué à la chute de
son gouvernement, fin novembre,
sur une motion de
censure de l’opposition.
Le Nouveau parti démocratique
(NPD, gauche) et
les indépendantistes du Bloc
québécois s’étaient unis aux
conservateurs pour faire
tomber Paul Martin, affirmant
que les libéraux
n’avaient plus «l’autorité morale»
pour diriger le pays. Le
NPD et le Bloc québécois ne
peuvent prétendre accéder à
la tête de l’Etat, mais ils auront
un rôle important à
jouer si le Canada se dote à
nouveau d’un gouvernement
minoritaire. /ats-afp
TENNIS Federer,
Hingis et Schnyder
poursuivent leur
route à l’Open
d’Australie. page 25
Le retour des conservateurs
Q
CANADA Le Parti conservateur, mené par Stephen Harper, est en passe de remporter les législatives de lundi.
Il devrait mettre fin à douze ans de règne du Parti libéral dirigé par l’actuel premier ministre Paul Martin
Miné par les scandales, le Parti libéral de Paul Martin s’apprêteàdireadieuaupouvoir.
PHOTO KEYSTONE
Stephen Harper, leader du Parti conservateur canadien, a évité les erreurs de jeunesse commises en 2004 et mené une
campagne d’une redoutable efficacité. PHOTO KEYSTONE
La métamorphose d’un idéologue
Le conservateur Stephen
Harper a longtemps
été jugé froid et peu
charismatique. Mais ce quadragénaire
est parvenu à se
défaire durant la campagne
de son image de dangereux
extrémiste de droite
Avec sa raie sur le côté et
son regard bleu ciel, ce
brillant diplômé en économie
donne l’image du bon élève
qu’il était dans sa jeunesse plutôt
que celle d’un tribun politique.
Sondages aidant, il a
perdu de sa rigidité en se
montrant de plus en plus décontracté.
Néanmoins, ce père de
deux jeunes enfants demeure
avant tout un intellectuel passionné
par la politique et les
idées, grand lecteur de traités
d’économie, d’histoire ou de
philosophie.
Seule autre passion connue:
le hockey sur glace, au
point qu’il a encore trouvé le
temps, en pleine campagne,
de poursuivre la rédaction
d’un ouvrage historique sur le
sport national canadien.
Classe moyenne
Stephen Harper naît dans
une famille de la classe
moyenne de la région de Toronto
(sud-est), où l’honnêteté
et l’intégrité étaient les
valeurs suprêmes. A 18 ans,
il quitte son Ontario natal
pour la lointaine Alberta
(ouest), où il travaille pendant
deux ans pour une société
pétrolière avant d’étudier
l’économie à l’Université
de Calgary. C’est là qu’il
épouse la philosophie conservatrice.
Tout en étudiant, il travaille
comme assistant de députés
conservateurs à Ottawa
et rejoint à la fin des
années 1980 des dissidents
qui quittent le Parti conservateur
pour fonder le Parti
réformiste. Il siège une première
fois à la Chambre des
communes de 1993 à 1997.
Il dirige ensuite un institut
Une économie
florissante
Le Canada est le seul
grand pays industrialisé
à enchaîner année
après année, depuis
huit ans, les excédents budgétaires.
La croissance est
dopée par la flambée des
prix du pétrole et des métaux.
L’économie tourne à
plein régime. En 2005, la
croissance était de 3%.
Cette prospérité, le Canada
la doit à ses importantes
ressources naturelles,
surtout à son pétrole lourd
extrait des sables bitumineux
de l’Alberta. Ces sables
goudronneux, qui renferment
95% du pétrole du
Canada, lui confèrent désormais
les plus importantes
réserves d’or noir de la planète
après celles de l’Arabie
saoudite.
Flambée des prix
Premier fournisseur de
pétrole et de gaz des Etats-
Unis, le Canada profite aussi
de la flambée des prix de la
plupart des métaux, dont
l’or, l’argent, le cuivre et le
nickel qui affleurent partout
sur son territoire. Par
ailleurs, 233.000 nouveaux
emplois ont été créés en
2005, et le taux de chômage
(6,5%) est le plus bas depuis
trente ans.
Mais ce portrait idyllique
cache des disparités régionales,
l’Ontario et le Québec
subissant même une
«double gifle», selon la banque
Toronto Dominion.
Plus de 100.000 emplois
y ont été perdus en 2005,
notamment dans le secteur
manufacturier, devenu
moins concurrentiel en
raison de la hausse des
coûts de l’énergie et de
l’appréciation du dollar canadien.
/ats-afp
de recherche et revient finalement
en politique en 2002
comme chef de l’Alliance canadienne,
qui a succédé au
Parti réformiste.
Pari réussi
Stephen Harper se donne
alors pour mission de fusionner
les deux formations
de droite, l’Alliance et le
vieux Parti conservateur,
seul espoir, à ses yeux, de
mettre un terme au monopole
que les libéraux exercent
depuis 1993 sur le pouvoir.
En 2003, il réussit son
pari, portant sur les fonts
baptismaux un parti conservateur
réunifié. /ats-afp