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D. : Quelles incidences ces bouleversements
auront-ils sur l’économie ?
J. de R.: L’impact est déjà visible, notamment
dans les communications et les
médias avec la diminution des ventes
des CD en raison de l’Internet, et
dans l’imprimerie et l’édition avec
l’émergence des journaux citoyens. Il
y a deux ans, avec Carlo Revelli, nous
avons créé Agora Vox, un journal
citoyen qui propose gratuitement une
édition par jour. Aujourd’hui, nous
comptons un million et demi de lecteurs,
et dix mille blogueurs participent
à la rédaction du journal. Si on ne peut
pas parler réellement de concurrence,
ceci a un impact sur la presse, car il
s’agit d’une nouvelle forme de journalisme,
complémentaire et collaborative.
Je pense que l’impact sur la télévision
sera encore plus considérable à partir
du moment où les « pronétaires » –
ceux qui sont pour et sur le net, c’està-dire
des citoyens internationaux, dotés
de nouveaux pouvoirs grâce à de nouveaux
outils – créeront des chaînes de
télévision. Au cours des vingt prochaines
années, cet impact se poursuivra
dans quatre domaines qui paraissent
pourtant intouchables parce que
tenus par de très grandes entreprises :
ce sont la banque, l’assurance, le
consulting et l’éducation.
D. : On devine tous les dérapages liés
à cette nouvelle façon d’évoluer dans
notre société, en termes de traçabilité,
de virus, de désinformation… Comment
se protéger de cela ?
J. de R.: Demain sera pire qu’aujourd’hui,
il y aura encore plus de traçabilité, de
virus, de spams, de pirates… La vie
privée sera une denrée négociable: on
choisira d’être affiché sur Internet parce
que cela présentera certains avantages.
Cette « transparence » engendrera de
nouvelles relations. Il faudra donc se
protéger et pour cela utiliser des
moyens numériques de manière à
assurer la confidentialité des informations.
Ceci s’apprend, les solutions
sont même très fiables, sachant qu’au
fur et à mesure que les privés et les
entreprises se protégeront, les pirates,
les spammeurs, les « hackers », les
craqueurs trouveront le moyen de les
détourner.
D.: Quels garde-fous éthiques, notamment,
faudra-t-il mettre en place et
comment ?
J. de R. : La bioéthique, domaine dans
lequel la France a été pionnière sur la
scène internationale, contribue déjà à
dessiner les limites des pouvoirs que
nous accordent la génomique (étude
du séquençage des chromosomes) et
la transgenèse (intégration stable d’un
gène étranger dans un génome hôte).
L’infoéthique est la nécessité de réfléchir
sur le plan philosophique et moral
à ce que l’on fait de l’information
des autres, elle doit nous guider
dans la protection de la vie privée,
l’épanouissement de la personnalité.
L’écoéthique pourra nous aider à léguer
à nos enfants une planète digne d’eux,
sans la détruire ou mettre en cause les
grands cycles écologiques. Cette
réflexion est engagée dans des groupes
qui partagent les mêmes valeurs. C’est
une réponse citoyenne, et même une
corégulation citoyenne, car je pense
que la régulation ne peut pas se faire
toujours du haut vers le bas, mais aussi
remonter de la base vers le haut. Entre
les règles de conduite édictées par les
gouvernants et l’autorégulation des individus
eux-mêmes, responsables et solidaires
(ce qu’ils ne sont pas encore…),
on peut imaginer une régulation
citoyenne participative où les individus
FLUX + BUZZ = BIZ
conscients des règles de conduite pourraient
réguler progressivement le système.
Pour cela, il faut dispenser une
information de base, c’est le rôle de la
presse et de la Cité des sciences. Mais
il faut aussi engager une réflexion plus
profonde, de nature sociologique, philosophique
et éthique.
ZOOM
Cette formule, développée par Joël de Rosnay,
illustre un des principes de la « nouvelle nouvelle
économie » qui émerge avec l’apparition des
médias des masses et des créateurs de contenus
sur Internet.
« Reposant sur le principe des flux massifs
d’usagers et la diversification des propositions,
la personnalisation de l’offre aux consommateurs
à faible coût est possible. Le succès de ces
services à valeur ajoutée est garanti par le
bouche à oreille ou buzz. (…) Mieux vaut gagner
0,10 €sur dix millions de personnes avec 90 %
de marge grâce au Web 2.0 que 100 €sur dix
mille personnes avec 30 % de marge suivant le
modèle économique classique : les dépenses en
marketing et en publicité s’avérant dans le
second cas beaucoup plus importantes, le
bénéfice final ne représente que trente mille
euros ! Le buzz n’est autre qu’un formidable outil
marketing gratuit et amplificateur, qui sera la
source de nouvelles affaires. »
Extrait de 2020 : Les scénarios du futur
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