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SPOKENWORLD09

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La concurrence de VTM a provoqué la conversion de ce qui était jusque-là l’outil d’information et de<br />

formation le plus important en Flandre, la VRT, en une machine de divertissement uniquement orienté<br />

sur le taux d’écoute, et ce, en un temps record, avec l’aval de la direction et quasi sans opposition<br />

interne.<br />

3.<br />

Au cours de ces vingt dernières années, les arts de la scène ont également ressenti une pression<br />

croissante du marché. Les mécanismes commerciaux s’immiscent dans la pratique théâtrale<br />

quotidienne. Il faut produire plus et plus vite. Une analyse de terrain du Vlaams Theaterinstituut,<br />

Metamorfose in podiumland (2007), indique que l’on a pu voir 403 productions en Flandre pendant la<br />

saison 1993-1994, contre 660 dix ans plus tard. La programmation se fait bien plus à l’avance, et dès<br />

le stade embryonnaire, il faut distiller un concept vendable pour le spectacle et aussitôt l’exposer dans<br />

un texte de promotion. Ainsi, on observe de plus en plus le succès des « formules ». La recherche<br />

fructueuse est toujours plus compromise. Les productions se focalisent sur ce qui « marche » : on<br />

préfère caresser le public dans le sens du poil qu’à rebrousse-poil.<br />

« Une injonction exhorte l’économie à fournir en permanence des nouveautés sur le marché, et sa<br />

santé dépend de la fabrication d’activités transfrontalières. Le cauchemar qui la poursuit est celui de la<br />

saturation – pas uniquement des biens de consommation, mais aussi des expériences qui s’affadissent.<br />

Les nouvelles expériences passent encore plus vite de mode que les articles de consommation. » Voilà<br />

ce qu’écrit le philosophe anglais John Gray dans Straw Dogs : Thoughts on Humans and Other Animals.<br />

Les arts de la scène éprouvent la pression de l’offre permanente, du cercle vicieux de la surabondance<br />

d’événements, d’informations, de produits, forcés à se renouveler sans cesse pour demeurer<br />

vendables. La société de l’excès nous entoure et nous enferme.<br />

4.<br />

Les artistes ne sont pas plus immunisés contre le monde que les autres. Ils ne peuvent pas non plus y<br />

échapper, ni à l’histoire et encore moins aux processus sociaux en marche. Leur tâche est<br />

d’accompagner leur époque, de la comprendre. Mais la compréhension requiert du temps pour prendre<br />

de la distance et réfléchir. Cela signifie : ne pas se laisser emporter par ce maelström, et s’arrêter de<br />

temps à autre pour réagir, aller à contre-courant…<br />

La question de la pertinence sociale de l’art, de son pouvoir de contribuer à changer le monde resurgit<br />

sans relâche. Parfois, cette pertinence et ce pouvoir sont surestimés : à lui seul, l’art n’est pas en<br />

mesure de remédier au rancissement de la société, ni d’obtenir une mixité sociale de son public et de<br />

faire ainsi disparaître les problèmes d’inégalités sociales et ethniques ou d’inégalité des chances de<br />

notre société multiculturelle. L’art peut toutefois contribuer à la stimulation d’une meilleure cohésion<br />

sociale dans notre monde fragmenté. Il ne faut cependant pas sous-estimer cette contribution de l’art<br />

au processus social. Les artistes observent le monde et réfléchissent. À leur propre manière créative, ils<br />

peuvent aider à clarifier les conceptions relatives à notre mode de vie sur cette planète. Ce faisant, ils<br />

manifestent un besoin croissant d’échanges avec des philosophes, des scientifiques, des politiciens :<br />

d’une part pour apprendre et donc mieux cadrer leur propre production artistique, d’autre part pour<br />

éventuellement pouvoir intervenir de manière inspirante, à partir de leur pratique personnelle, dans<br />

d’autres domaines sociaux.<br />

L’art, et certainement l’art du spectacle vivant, requiert une pratique lente. Au lendemain du<br />

11 septembre – encore un moment de bascule – une multitude de textes ont été produits, mais ils ne<br />

pouvaient transmettre qu’une expression superficielle de ce que ces événements ont entraîné dans leur<br />

sillage. Ce n’est qu’au bout de quatre ou cinq ans que l’on a vu émerger des œuvres tenant un<br />

véritable propos, apportant une contribution substantielle au processus d’assimilation. Il ne peut en<br />

être autrement. L’homme est un animal lent quand il s’agit d’assimiler et de changer. Il est probable<br />

qu’au fil des siècles, les arts de la scène aient toujours joué un rôle dans ce processus : permettre de<br />

comprendre, d’avoir une perspective sur ce qui s’est déroulé. En ce sens, ils sont toujours liés à la<br />

mémoire et au patrimoine.<br />

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