QuARTiers : les projets participatifs dans la - Banlieues d'Europe
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Sans refaire l’histoire des politiques publiques de <strong>la</strong><br />
culture en France depuis 1959, on peut dire qu’elle est traversée<br />
par deux grandes conceptions. D’un côté <strong>les</strong> tenants de <strong>la</strong><br />
démocratisation culturelle veulent « rendre accessib<strong>les</strong> au plus<br />
grand nombre <strong>les</strong> œuvres capita<strong>les</strong> de l’humanité », en misant sur<br />
le choc esthétique qu’el<strong>les</strong> peuvent produire. De l’autre, <strong>les</strong> partisans<br />
de <strong>la</strong> démocratie culturelle défendent <strong>la</strong> reconnaissance de toutes<br />
<strong>les</strong> pratiques culturel<strong>les</strong> et artistiques au sein de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion, en<br />
arguant du fait que <strong>la</strong> culture n’est pas réductible à <strong>la</strong> notion très<br />
discutable d’excellence artistique. Si ces deux approches semblent<br />
aujourd’hui plus complémentaires qu’incompatib<strong>les</strong>, c’est en partie<br />
grâce à <strong>la</strong> politique de <strong>la</strong> ville qui <strong>les</strong> a confrontées au nom d’un<br />
objectif capital : <strong>la</strong> réduction des inégalités entre <strong>les</strong> habitants<br />
d’un même pays. Ainsi a-t-elle remis au goût du jour l’idée d’une<br />
fonction sociale de <strong>la</strong> culture, <strong>la</strong>quelle n’est pas un asservissement<br />
de l’action culturelle au profit de l’action sociale, mais un pouvoir<br />
Notre hypothèse de travail, c’est qu’aucun espace n’est réservé<br />
à un groupe d’acteurs et qu’on peut se mêler de tout. Le<br />
socioculturel est un faux débat qui empêche de penser <strong>les</strong><br />
problèmes qui se présentent à nous, notamment <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />
quartiers. Au centre social, il y a longtemps que nous ne<br />
revendiquons plus <strong>la</strong> rencontre de l’artistique, du culturel et<br />
du social. Ça s’impose. Ce qui nous intéresse en revanche,<br />
c’est que <strong>les</strong> personnes qui passent par ici puissent prendre<br />
part au jeu social, c’est-à-dire qu’el<strong>les</strong> puissent choisir entre<br />
plusieurs possibilités de vie. Nos prétentions sont humb<strong>les</strong>,<br />
mais el<strong>les</strong> se situent à ce niveau-là : « Qu’est-ce qui m’est<br />
interdit ? Qu’est ce qui m’est autorisé ? » Pour <strong>la</strong> culture, c’est<br />
pareil. Ce n’est pas que l’affaire des artistes, ni un objet figé.<br />
Non, le champ est beaucoup plus fertile et plus passionnant que ça ! Après l’instal<strong>la</strong>tion d’une<br />
sculpture <strong>dans</strong> Le Jardin de ta sœur [jardin partagé conçu et géré par un collectif d’habitants<br />
Permettre à chacun de donner forme et sens à son<br />
22<br />
et de structures du quartier, dont le centre social, ndlr], un monsieur qui fréquente le centre<br />
23<br />
expérience de vie, aussi humble soit-elle, de retrouver<br />
sa dignité et son identité, d’accéder aux moyens<br />
d’appréhender le monde, donner ou redonner l’envie<br />
de s’exprimer, de prendre en charge son destin. Telle<br />
est depuis toujours <strong>la</strong> fonction sociale de <strong>la</strong> culture.<br />
Bernard Latarjet, 1992.<br />
qu’on peut lui reconnaître. Ou pas. De fait, cette approche s’épanouit<br />
<strong>la</strong>rgement <strong>dans</strong> <strong>les</strong> quartiers popu<strong>la</strong>ires où <strong>la</strong> question sociale<br />
est plus sensible qu’ailleurs et où, notamment <strong>dans</strong> <strong>les</strong> MJC, <strong>les</strong><br />
centres sociaux ou <strong>les</strong> associations culturel<strong>les</strong> de proximité, des<br />
personnes interrogent « non pas <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce de l’artiste <strong>dans</strong> <strong>la</strong><br />
société, mais <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce de l’artistique <strong>dans</strong> le jeu social ».<br />
Geneviève Rando, directrice du centre social Bordeaux<br />
nord, explicite cette manière de penser et de travailler.<br />
<br />
e n-<br />
tretien<br />
avec Geneviève Rando<br />
Le véritable enjeu, ce n’est pas <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce de l’artiste <strong>dans</strong><br />
<strong>la</strong> société mais <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce de l’artistique <strong>dans</strong> le jeu social.<br />
social a suggéré qu’on <strong>la</strong> mette sur un camion pour lui faire traverser tout le quartier, à <strong>la</strong><br />
manière d’un trophée. Peut-être qu’un artiste aurait fait de cette<br />
idée une performance. Cet homme, sans être un spécialiste, s’est<br />
quant à lui autorisé à penser un acte culturel. De même, si nous<br />
organisons une sortie au théâtre et que quelqu’un nous dit qu’il<br />
n’a pas aimé le spectacle, on lui répond qu’il n’a jamais été<br />
question de l’aimer ! Mais qu’il le critique et qu’on en débatte<br />
montrent qu’on a gagné quelque chose. […]<br />
« Quels sont <strong>les</strong> modes d’organisation sociale autour des enjeux<br />
sociaux, économiques et culturels qui sont identifiés sur un<br />
territoire ? » voilà ce qui nous préoccupe. D’où <strong>la</strong> nécessité de<br />
créer des espaces à l’intérieur desquels <strong>les</strong> gens aient envie<br />
de circuler librement, de <strong>la</strong> manière dont ils<br />
l’entendent. Souvent on nous dit : « En somme, vous accompagnez <strong>les</strong><br />
gens jusqu’au point où ils peuvent faire <strong>les</strong> choses tout seul. » D’abord<br />
on n’accompagne pas <strong>les</strong> gens, on est avec eux. Et puis, pourquoi le<br />
summum de <strong>la</strong> liberté serait d’agir seul ? Et si c’était au contraire de<br />
vouloir faire <strong>les</strong> choses à plusieurs, de rejouer sa liberté <strong>dans</strong> <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion<br />
avec <strong>les</strong> autres ? On retrouve cette manière de penser <strong>dans</strong> l’image du<br />
grand artiste qui s’isole du monde pour dire à l’humanité ce qu’elle est…<br />
Ici, quels que soient <strong>les</strong> artistes qui interviennent, on écrit <strong>les</strong> <strong>projets</strong> avec<br />
eux en partant du principe que le véritable enjeu, ce n’est pas <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce de<br />
l’artiste <strong>dans</strong> <strong>la</strong> société mais <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce de l’artistique <strong>dans</strong> le jeu social.