Dimension 3 n° 2009/4 (septembre-octobre 2009)
Dimension 3 n° 2009/4 (septembre-octobre 2009)
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dossier<br />
"LE DéVELOPPEMENT NE SE LAISSE NI<br />
© D. Andelean / DGCD<br />
Dans quelle mesure les cultures locales influencentelles<br />
les chances de réussite des projets de<br />
développement ? <strong>Dimension</strong> 3 a posé la question<br />
à l'anthropologue culturel Thierry Verhelst. Après<br />
avoir mené pendant des années des recherches sur<br />
les cultures locales, Thierry Verhelst est aujourd'hui<br />
chargé de cours en relations interculturelles en<br />
Afrique et en Europe. Il est le co-fondateur du<br />
Réseau Sud-Nord Cultures et Développement ainsi<br />
que du Centre de gestion interculturelle et de<br />
communication internationale. En 1987 est paru<br />
son livre "Des racines pour vivre. Sud-Nord :<br />
identités culturelles et développement".<br />
Les vues d'anthropologie culturelle qu'il y a<br />
développé ont ouvert la voie à la discussion sur<br />
l’influence qu’ont les cultures sur les chances de<br />
réussite des projets de développement.<br />
"La coopération au développement n'est pas une donnée universelle,<br />
elle est un projet occidental. Cela ne signifie pas que nous devons<br />
y renoncer, mais il faut faire preuve d'une grande prudence."<br />
Vous êtes juriste de formation<br />
et spécialisé dans le droit<br />
coutumier africain, pourtant<br />
vous êtes surtout connu<br />
en matière de cultures et<br />
développement. Comment<br />
expliquez-vous cela ?<br />
Lorsque j'ai travaillé dans les années ’70<br />
pour Broederlijk Delen, j'ai tout de suite<br />
été frappé par le fait que bien des projets<br />
de multiples organisations gouvernementales<br />
n'étaient pas adaptés à la<br />
culture locale. Ils étaient voués à l'échec,<br />
car ils ignoraient complètement la dimension<br />
culturelle. Quelle est la mentalité<br />
des personnes concernées par le projet ?<br />
Quelles sont leurs valeurs, leurs espérances,<br />
leurs aspirations, leurs compétences<br />
et quels sont leurs modèles d'organisation<br />
sociale ? Comment règlent-ils les conflits<br />
et comment prennent-ils des décisions ?<br />
Ces questions ont été et sont toujours<br />
trop souvent négligées : tant au stade de<br />
conception et d’exécution du projet, que<br />
lors de son évaluation et de l’analyse des<br />
raisons de l'échec.<br />
Cette préoccupation, que je partageais avec<br />
d'autres, a abouti à la création du Réseau<br />
Sud-Nord Cultures et Développement.<br />
Pendant 15 ans, nous avons travaillé sur le<br />
terrain avec l'appui de la Commission européenne<br />
: recherche-action participative sur<br />
le lien entre les cultures locales et l'économie,<br />
la situation de la femme, l'environnement,<br />
la technologie, etc. Nous ne parlons<br />
ici donc pas de la culture au sens restreint<br />
– la culture comme art – mais de son sens<br />
large et anthropologique. Elle compte alors<br />
trois dimensions indissociables. En premier<br />
lieu, la dimension symbolique qui<br />
comprend les valeurs, la foi, l'éthique, les<br />
archétypes, le sens du temps et de l'espace…<br />
La seconde dimension est la dimension<br />
sociale, c'est-à-dire les modèles d'organisation,<br />
tels que la structure familiale,<br />
les castes, le rôle du chef… La troisième est<br />
la dimension technologique. Nous considérons<br />
la culture dans son sens le plus large<br />
possible pour sensibiliser les organisations<br />
de développement à son existence et à son<br />
importance.<br />
L’idée que la culture est un<br />
besoin élémentaire, commence<br />
à faire son chemin dans le<br />
monde du développement.<br />
Tout à fait, et c'est une bonne chose !<br />
Nous avons trop tendance à résumer l'être<br />
humain à ses besoins corporels. Or, c'est<br />
faire abstraction de sa résistance morale,<br />
de sa créativité, de sa confiance et de son<br />
respect de soi. Si on a une image négative<br />
de soi, et que les autres répètent sans<br />
cesse qu'on est ignorant, pauvre et sousdéveloppé,<br />
on commence à intérioriser<br />
ce discours et à y croire soi-même. C'est<br />
là que commence le vrai sous-développement.<br />
Mais tant que le feu de la confiance<br />
en soi couve, il reste de l'espoir. Et c'est aux<br />
coopérants, entre autres, qu'il revient d'alimenter<br />
ce feu.<br />
Le sous-développement n'est donc pas une<br />
simple question matérielle. Il ne se laisse ni<br />
chiffrer ni photographier ; il est ancré dans<br />
l'esprit et dans le coeur. Il est déterminé par<br />
le degré de confiance qu'on a en sa propre<br />
créativité et par l’aptitude qu’on a à mobiliser<br />
sa culture au profit de son projet de<br />
vie, que ce soit comme individu ou comme<br />
groupe.<br />
Le développement est pensé<br />
selon le modèle occidental…<br />
Exactement ! Il existe un parallélisme<br />
frappant entre le colonialisme, la coopération<br />
au développement et la mondialisation.<br />
Ces périodes sont toutes trois centrées<br />
sur l'homme blanc comme modèle<br />
18 dimension s e p t e m b r e-o c t o b r e <strong>2009</strong>