N°4 â Avril 2011 - Service de Philosophie Morale et Politique ...
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– Revue <strong>de</strong> philosophie politique <strong>de</strong> l’ULg – N°4 – <strong>Avril</strong> <strong>2011</strong> – p. 38<br />
fin qui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rait une délibération <strong>et</strong> entraînerait une responsabilité, mais la<br />
capacité <strong>de</strong> voir le potentiel d’une situation <strong>et</strong> <strong>de</strong> lui perm<strong>et</strong>tre <strong>de</strong> se déployer. Dans<br />
c<strong>et</strong>te conception, courage <strong>et</strong> lâch<strong>et</strong>é sont le produit <strong>de</strong> la situation au lieu <strong>de</strong> relever <strong>de</strong><br />
notre responsabilité. Comme le dit le traité sur l’Art <strong>de</strong> la guerre, si les troupes<br />
obtiennent le potentiel stratégique, « alors les lâches sont braves » <strong>et</strong> si elles le<br />
per<strong>de</strong>nt, « alors les braves sont lâches ». Le bon général « ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong> donc pas à ses<br />
hommes d’être naturellement courageux, comme s’il s’agissait là d’une vertu<br />
intrinsèque, mais, par la situation <strong>de</strong> péril où il les j<strong>et</strong>te, il les contraint <strong>de</strong> l’être. Ils y<br />
seront forcés malgré eux. Et la réciproque aussi est vraie : quand il voit l’ennemi<br />
acculé, <strong>et</strong> donc n’ayant d’autre issue que <strong>de</strong> se battre à mort, il lui ménage lui-même<br />
une échappatoire pour que l’adversaire ne soit pas conduit à déployer toute sa<br />
combativité » 54 . On voit bien sûr les ressources <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te pensée pour le management<br />
contemporain, qui pense toujours dans les termes aristotéliciens. Mais on ne peut<br />
pour autant évacuer du même coup <strong>de</strong> l’Occi<strong>de</strong>nt une telle pensée <strong>de</strong> l’efficacité<br />
immanente. Ainsi, notamment, il faut souligner comme le fait Stierle, que les Essais <strong>de</strong><br />
Montaigne ont été un moment <strong>de</strong> réévaluation <strong>de</strong> la notion classique <strong>de</strong><br />
responsabilité :<br />
« À la mise en question <strong>de</strong> l’exemple (…) correspond le fait que, dans l’essai <strong>de</strong><br />
Montaigne, les exemples n’illustrent plus <strong>de</strong>s actions, mais <strong>de</strong>s réactions à <strong>de</strong>s<br />
actions. La spontanéité <strong>et</strong> l’imprévisible <strong>de</strong> la réaction correspon<strong>de</strong>nt au<br />
caractère énigmatique <strong>et</strong> insondable <strong>de</strong> l’homme. (…) En tant que réactions, les<br />
actions exemplaires <strong>de</strong> c<strong>et</strong> essai sont soustraites à la responsabilité du suj<strong>et</strong>.<br />
Si les exemples sous leur forme traditionnelle supposent la possibilité d’une<br />
décision, ce qui implique la catégorie morale <strong>de</strong> la responsabilité, les réactions<br />
dans les exemples <strong>de</strong> Montaigne sont conditionnées par l’indissoluble<br />
complexité <strong>de</strong> la personne <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’instant » (Stierle, art.cit., p. 195).<br />
Si c’est le réel lui-même qui est efficace, <strong>et</strong> plus le discours que l’on tient sur lui<br />
ou le suj<strong>et</strong> capable d’agir en fonction d’un plan, peut-on encore parler <strong>de</strong><br />
responsabilité ? L’essai d’archéologie politique <strong>de</strong> la statistique <strong>de</strong> T. Berns perm<strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
trouver <strong>de</strong>s pistes pour penser les enjeux <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te nouvelle forme d’efficacité du réel,<br />
<strong>et</strong> la dissolution <strong>de</strong> l’ancienne figure <strong>de</strong> la responsabilité 55 . T. Berns ne s’intéresse pas<br />
à la naissance <strong>de</strong> l’archive, mais à celle <strong>de</strong> la statistique qui implique la même minutie<br />
dans le recueil du réel. Et il analyse à la fois la statistique comme l’outil premier d’une<br />
nouvelle forme <strong>de</strong> gouvernement <strong>et</strong> la portée morale <strong>de</strong> ce gouvernement par les<br />
chiffres qui apparaît à l’aube <strong>de</strong> la Mo<strong>de</strong>rnité. Ce qui en ferait la spécificité, c’est qu’il<br />
perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> contrôler tout en ne faisant rien, c’est-à-dire rien d’autre que montrer les<br />
54<br />
55<br />
Ibid., p. 36.<br />
T. Berns, Gouverner sans gouverner. Une archéologie politique <strong>de</strong> la statistique, Paris, P.U.F., 2009.