REHABILITATION Elissa Rhaïs ou - Association des Revues Plurielles

ALGERIE LITTERATURE / ACTION
et de la femme, de l'esclave et du
maître, de la chair et des mots, de la
damnation et de la grâce.
Elle, prisonnière de sa machination.
Lui, victime tantôt consentante,
tantôt révoltée. Leila et Raoul,
tressés l'un à l'autre jusque dans les
plis les plus sombres de la
mystification. De Blida à Paris, de
Marrakech à l'Haÿ-les-Roses, le
couple s'enferme dans son secret.
Elle, ressuscitée de l'horreur,
déguste la gloire; elle tient sa
vengeance. Lui accepte l'horreur de
n'avoir pas d'identité, parce qu'il a
l'amour d'écrire et que son
cauchemar de n'être pas le tient
éveillé.
Jusqu'au jour de 1940 où la
supercherie fut découverte (… )
Leila Boumendil en mourut. Raoul
Tabet, accusé de fraude et de
complicité d'escroquerie, privé de sa
muse et de son monstre, renonça
définitivement à l'écriture (… )
La parution de mon livre
déclencha toute une série de
réactions passionnelles, violentes
dans l'en-thousiasme comme dans la
vindicte, qui enflammèrent la presse
et qu'aujourd'hui encore je ne
saurais totalement expliquer.
Mais peut-être faut-il, pour tenter
néanmoins de comprendre,
remonter très loin, aux sources
d'Elissa Rhaïs, derrière les
croisillons des mou-charabiehs,
entre les murmures, les parfums et
les intrigues du sérail.
On disait en effet de Leila qu'au
harem son mari l'avait maudite,
elle, ses proches et ses descendants,
parce que, rebelle à sa condition de
fille vendue et à l'autorité de son
maître, elle avait refusé à cet
homme de lui manifester l'amour et
la docilité qu'elle était censée lui
devoir par contrat. La fin tragique
de la fille de Leila, qui mourut
mystérieusement à l'âge de dix-huit
ans, probablement assassinée, la
découverte de la supercherie qui tua
aussitôt Leila et Elissa Rhaïs, le
suicide de mon père, sont peut-être
les effets de cette malédiction.
Je ne pus moi-même y échapper :
j'avais trempé ma plume dans
l'encre de ces conteurs maudits, de
ces imposteurs. Une partie de la
presse, alertée par le fils et le neveu
de Leila, encore en vie, m'accusa —
mon tour était venu — de
mystification.
Le scandale débutait. Il allait
opposer les arguments crispés de
mes détracteurs, qui refusaient de
me croire, et les témoignages de
nombreux proches du couple qui
savaient la vérité et s'étaient tus
jusqu'à présent (… ) Et puis il y eut
tous ceux, anonymes et majoritaires,
qui furent émus par cette histoire;
peu leur importait, disaient-ils,
qu'elle fût vraie, fausse, partiellement
vraie…
Et certes tout ne fut pas
froidement disséqué dans mon
témoignage (… ) Mais je savais
qu'en me frayant un chemin entre
mensonges et trompe-l'œil, dans
l'univers ombré des intimités
inconnues, au fond des délires de
mes personnages et jusque dans
mon propre imaginaire, j'allais
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