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Peur et prévention - Poisson Bouge

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Ce qui me paraît distinguer notre époque de celles<br />

qui l’ont précédée, <strong>et</strong> cela jusqu’à la fin du 19e siècle,<br />

c’est d’abord l’importance nouvelle accordée à l’individu,<br />

à la personne, au corps, à la santé, parce que la<br />

vie humaine a acquis une nouvelle valeur à partir du<br />

moment où l’on ne postule plus qu’elle n’est qu’un<br />

bref passage qui prépare en quelque sorte à la “ vraie<br />

vie ” – la vie éternelle. Ceci est vrai pour les sociétés<br />

occidentales où l’influence de la religion a été marquante<br />

au moins jusqu’au 19e siècle. On pourrait faire<br />

l’hypothèse que, pour celles-ci, la déchristianisation a<br />

recentré l’intérêt sur la vie terrestre, sur le corps <strong>et</strong><br />

donc sur la santé.<br />

On doit aussi faire immédiatement remarquer que la<br />

préoccupation pour la santé individuelle est une affaire<br />

de riches. Les pauvres ne se soucient pas de leur<br />

santé parce qu’ils doivent d’abord se préoccuper de<br />

survivre <strong>et</strong>, pour cela, de se nourrir. C’est le cas des<br />

sociétés du tiers monde aujourd’hui ; ce fut le cas chez<br />

nous, pour la grande majorité de la population, jusqu’à<br />

la fin du 19e siècle. Un seul exemple : les médecins<br />

ne déclaraient-ils pas, lors d’une enquête sur la<br />

condition du travail des enfants dans les mines, en<br />

1843, qu’il fallait que les enfants commencent à travailler<br />

le plus tôt possible pour s’adapter à leur milieu<br />

de vie, afin d’éviter qu’ils ne développent pas trop<br />

leur taille <strong>et</strong> leurs poumons pour pouvoir continuer à<br />

ramper dans les galeries…<br />

Enfin, une troisième remarque sur laquelle je voudrais<br />

insister est la différence qui existe entre les peurs collectives,<br />

liées aux grandes épidémies, <strong>et</strong> la peur de la<br />

maladie pour sa santé individuelle. Seule la seconde<br />

peut justifier la responsabilisation <strong>et</strong> donc la prévention.<br />

On peut, à partir de là, s’interroger aussi sur l’interprétation<br />

donnée aux causes de la maladie ou de<br />

l’épidémie aux diverses époques : châtiment de Dieu<br />

dont il faut apaiser le courroux, ou responsabilité<br />

individuelle qu’il faut gérer par la prudence <strong>et</strong> la prévention<br />

?<br />

Ces quelques clés d’une lecture historique peuvent<br />

être utiles aux décideurs <strong>et</strong> aux praticiens d’aujourd’hui,<br />

dans la mesure où elles perm<strong>et</strong>tent de repérer<br />

comment se sont progressivement construites des politiques<br />

de santé publique <strong>et</strong> comment, parallèlement,<br />

se sont développés le souci de la santé individuelle <strong>et</strong><br />

la conscience d’un “ capital-santé ” à protéger.<br />

L’Ancien Régime : le châtiment de Dieu <strong>et</strong> la<br />

peur de l’enfer<br />

Dans la société de l’Occident chrétien, que l’on soit<br />

catholique ou protestant, la peur qui domine toutes<br />

les autres, c’est la peur de la mort éternelle, la peur de<br />

l’enfer. La vie sur terre est si brève <strong>et</strong> si fragile, toujours<br />

menacée, qu’elle n’a guère de valeur. Un<br />

exemple : l’homicide, fréquent <strong>et</strong> banalisé, est le plus<br />

souvent pardonné par la justice, qui n’hésite pas, en<br />

revanche, à condamner à mort le voleur. La mort partout<br />

présente induit un rapport différent à la vie.<br />

Inutile de “ s’économiser ” puisque l’on sait que l’on<br />

ne va pas durer.<br />

La mort omniprésente est, selon l’expression de<br />

François Lebrun, “ au milieu de la vie, comme le cim<strong>et</strong>ière<br />

au milieu du village ”. L’espérance de vie est en<br />

moyenne de 35 ans pour ceux qui ont réussi à passer<br />

le cap des cinq premières années. Sur dix enfants qui<br />

naissent, deux restent en vie. Les épidémies meurtrières,<br />

liées aux guerres incessantes <strong>et</strong> aux famines,<br />

touchent d’abord les plus faibles, les enfants <strong>et</strong> les<br />

BRUXELLES SANTÉ - <strong>Peur</strong> <strong>et</strong> prévention<br />

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