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Revue : Témoigner entre histoire et mémoire - n° 118 (septembre 2014) : Au nom des victimes. Dictature et terreur d'État en Argentine, Chili et Uruguay

Après les dictatures qui règnent sur l’Argentine, le Chili et l’Uruguay des années 1970 jusqu’en 1990, le processus de résolution démocratique de ces histoires de terreur semble nécessairement en passer par la construction de récits et, ce faisant, de mémoires qui reconfigurent le passé. Au cœur de ces processus propres à chacun des pays, s’impose la figure de la victime que viennent questionner les textes rassemblés par Claudia Feld, Luciana Messina et Nadia Tahir.

Après les dictatures qui règnent sur l’Argentine, le Chili et l’Uruguay des années 1970 jusqu’en 1990, le processus de résolution démocratique de ces histoires de terreur semble nécessairement en passer par la construction de récits et, ce faisant, de mémoires qui reconfigurent le passé. Au cœur de ces processus propres à chacun des pays, s’impose la figure de la victime que viennent questionner les textes rassemblés par Claudia Feld, Luciana Messina et Nadia Tahir.

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INTERVIEW<br />

JOSHUA<br />

OPPENHEIMER<br />

« The aim of all g<strong>en</strong>uine art<br />

is always <strong>en</strong>gaged »<br />

GRAND ANGLE<br />

1914-1918<br />

Mémoire de…<br />

guerre, de civils,<br />

de <strong>victimes</strong>,<br />

d’histori<strong>en</strong>s<br />

<strong>118</strong><br />

2 / <strong>2014</strong><br />

<strong><strong>en</strong>tre</strong> <strong>histoire</strong> <strong>et</strong> <strong>mémoire</strong><br />

Testimony b<strong>et</strong>we<strong>en</strong> history and memory<br />

revue internationale de la fondation auschwitz / auschwitz foundation international quarterly<br />

DOSSIER<br />

AU NOM<br />

DES VICTIMES<br />

18 EUROS


Le site d’actualité<br />

de la musique classique<br />

<strong>et</strong> de la danse<br />

le plus actif sur intern<strong>et</strong><br />

● Une couverture de l’actualité internationale de la musique classique <strong>et</strong> de la danse<br />

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4 ÉDITORIAL<br />

8 AGENDA<br />

Sommaire<br />

N° <strong>118</strong> – SEPTEMBRE <strong>2014</strong><br />

14 CHRONIQUES<br />

14 Le musée juif <strong>et</strong> le c<strong><strong>en</strong>tre</strong><br />

pour la tolérance de Moscou<br />

18 « Ce qu’il est beau ce triste monde »<br />

20 Les fosses, les fouilles <strong>et</strong> l’archéologue<br />

23 Ida, ou nous irons tous au paradis<br />

27 De quoi l’image est-elle témoin ?<br />

32 Danser le réel<br />

33 Mémorandum théâtral<br />

34 Le carnaval <strong>des</strong> ombres<br />

36 La Passagère, un opéra<br />

40 GRAND ANGLE<br />

1914-1918 : MÉMOIRE DE… GUERRE,<br />

DE CIVILS, DE VICTIMES, D’HISTORIENS<br />

41 Tragédie vs catastrophe<br />

Entr<strong>et</strong>i<strong>en</strong> avec Ann<strong>et</strong>te Becker<br />

47 <strong>Au</strong>-delà <strong>des</strong> lég<strong>en</strong><strong>des</strong><br />

Entr<strong>et</strong>i<strong>en</strong> avec Sophie De Schaepdrijver<br />

54 La Grande Guerre : du témoin à l’histori<strong>en</strong>,<br />

de la <strong>mémoire</strong> à l’<strong>histoire</strong> ? – Nicolas Beaupré<br />

61 PORTFOLIO<br />

72 L’ENTRETIEN<br />

Joshua Opp<strong>en</strong>heimer<br />

« THE AIM OF ALL GENUINE ART<br />

IS ALWAYS ENGAGED »<br />

80 DOSSIER<br />

146 VARIA<br />

146 It happ<strong>en</strong>ed sev<strong>en</strong>ty years ago, in Hungary<br />

Szabolcs Szita DSc.<br />

155 The Death of Ezequiel Demonty<br />

and the End of Human Rights in Arg<strong>en</strong>tina<br />

David M. K. Sheinin<br />

80<br />

DOSSIER<br />

AU NOM DES<br />

VICTIMES<br />

82 Prés<strong>en</strong>tation<br />

87 Quand la victime est introuvable<br />

Antonia García Castro<br />

96 Quelle place pour les citoy<strong>en</strong>s ?<br />

Elizab<strong>et</strong>h Jelin<br />

106 La Noche de los Lápices<br />

Sandra Raggio<br />

114 « Subversifs », « torturés », « NN »<br />

Claudia Feld<br />

121 Victimes du souv<strong>en</strong>ir <strong>et</strong> de l’oubli<br />

Susana Draper<br />

128 Entre innoc<strong>en</strong>ce <strong>et</strong> héroïsme<br />

Luciana Messina<br />

135 Deuil <strong>et</strong> paysage<br />

J<strong>en</strong>s Andermann<br />

143 Chronologie<br />

145 Bibliographie/filmographie/sitographie<br />

162 Bolsheviki: A Dead Serious Comedy<br />

Paola Ir<strong>en</strong>e Galli Mastrodonato<br />

166 Mémoire in progress (III)<br />

Philippe Mesnard<br />

178 LIBRAIRIE<br />

204 DICTIONNAIRE TESTIMONIAL<br />

ET MÉMORIEL<br />

l Cassandre l Écrivain combattant<br />

l L'écriture du désastre l The grey zone<br />

l Les Justes l Mémorialistes<br />

l Post<strong>mémoire</strong> l Redignification<br />

l Site mémoriel : Downtown mémoriel<br />

218 À LIRE / À VOIR / À SUIVRE<br />

227 LABORATOIRE MÉMORIEL<br />

ResMusica.com – 242, boulevard Voltaire, 75011 Paris – France – contact@resmusica.com<br />

Testimony b<strong>et</strong>we<strong>en</strong> history and memory – <strong>n°</strong><strong>118</strong> / September <strong>2014</strong> 3


Éditorial<br />

Editorial<br />

DE LA CIRCULATION<br />

DES CROIX GAMMÉES<br />

A Par Philippe Mesnard,<br />

Directeur de la rédaction<br />

Profitons de ce que l’éditorial d’un quadrimestriel<br />

est, par obligation, inactuel pour exprimer<br />

quelques considérations rétrospectives. Il y a moins<br />

d’un an, les médias poutini<strong>en</strong>s ressortai<strong>en</strong>t la croix<br />

gammée nazie pour dénoncer ce qu’ils appelai<strong>en</strong>t la<br />

dérive fasciste <strong>des</strong> Ukraini<strong>en</strong>s. Phraséologie facilem<strong>en</strong>t<br />

reconnaissable. C<strong>et</strong>te « langue de bois », comme on<br />

disait jadis, visait à disqualifier les ori<strong>en</strong>tations indép<strong>en</strong>dantistes<br />

<strong>et</strong> pro-europé<strong>en</strong>nes de la majorité <strong>des</strong><br />

opposants ayant <strong>en</strong>traîné la <strong>des</strong>titution de Viktor<br />

Ianoukovitch, <strong>et</strong> à légitimer les positions pot<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t<br />

bellicistes du nouveau tsar.<br />

Jusque-là, on est d’accord, n’est-ce pas ? MAIS<br />

NE VOIR DANS L’USAGE DU MAUDIT SYMBOLE<br />

QU’UN MENSONGE DE LA PROPAGANDE, comme<br />

la presse europé<strong>en</strong>ne l’a facilem<strong>en</strong>t sout<strong>en</strong>u, n’est-ce<br />

pas faire porter à l’Ukraine les habits trop confortables<br />

de la – excusez-moi du terme – victime ? Ah ! J’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ds<br />

déjà dire que j’exagère, que je ne peux pas traiter à la<br />

légère la sanglante répression qui s’est abattue sur les<br />

opposants de la place Maïdan.<br />

Évidemm<strong>en</strong>t, là n’a jamais été mon int<strong>en</strong>tion. Mais,<br />

d’un autre côté, comme disait Perec, les faits ne parl<strong>en</strong>t<br />

pas d’eux-mêmes. Ils ont été digérés, d’un côté, dans un<br />

discours pan europé<strong>en</strong> qui avait beau jeu de prés<strong>en</strong>ter<br />

la transpar<strong>en</strong>ce démocratique comme sa principale<br />

qualité, de l’autre, par le discours du parti de Poutine.<br />

Or, si les stratagèmes de ce dernier sont faciles<br />

à repérer, on peut cep<strong>en</strong>dant s’intéresser de plus près<br />

à la libre circulation du svastika <strong>et</strong> aux vérités qu’elle<br />

désigne, tout <strong>en</strong> s’étonnant de la cécité europé<strong>en</strong>ne<br />

à l’égard de l’extrémisme ukraini<strong>en</strong>. La cécité d’une<br />

Europe dont les dernières élections parlem<strong>en</strong>taires<br />

ont révélé la force de l’extrême droite. À méditer, non ?<br />

Mais s’agit-il ici de parler de l’Ukraine (cible de<br />

la propagande russe) ? OU BIEN DE LA FORTUNE<br />

MÉDIATIQUE DE LA CROIX GAMMÉE ? Des deux,<br />

<strong>en</strong> réalité. Le particulier sert d’exemple au général,<br />

vi<strong>en</strong>t l’illustrer <strong>et</strong> le rappeler. Il est difficile de circuler<br />

sur ce terrain où ceux qui sont reconnus pour être <strong>des</strong><br />

agresseurs – <strong>et</strong> qui <strong>en</strong> ont t<strong>en</strong>u le rôle ouvertem<strong>en</strong>t –<br />

point<strong>en</strong>t <strong>des</strong>… vérités malgré tout. C’est sur ce point<br />

que je voudrais me prononcer plus précisém<strong>en</strong>t. On<br />

note facilem<strong>en</strong>t une t<strong>en</strong>dance à tout unifier dans un<br />

même discours victimaire, toutes les formations <strong>et</strong> tous<br />

les groupes dès lors qu’ils sont la cible de viol<strong>en</strong>ce politique.<br />

À ce titre, le grand <strong>en</strong>jeu de la transmission, ce ne<br />

serait pas (ou plus) tant l’information – omniprés<strong>en</strong>te,<br />

aujourd’hui, jusqu’à saturation –, que d’appr<strong>en</strong>dre à<br />

saisir la complexité du réel que l’information désigne,<br />

qu’elle désigne parfois de façon lointaine alors qu’elle<br />

nous fait accroire qu’elle traite du réel « <strong>en</strong> direct ».<br />

Certes, la complexité est un mot qui peut aussi<br />

servir à ne ri<strong>en</strong> dire. Toutefois, au <strong>nom</strong> de c<strong>et</strong>te complexité,<br />

on doit aussi appr<strong>en</strong>dre à susp<strong>en</strong>dre ces jugem<strong>en</strong>ts<br />

moraux focalisés sur l’image de la victime <strong>et</strong> à<br />

mieux discerner ce que l’on nous montre. Il faut ainsi<br />

rappeler la perman<strong>en</strong>ce du fond ultranationaliste<br />

ukraini<strong>en</strong> qui honore toujours ses héros pronazis<br />

coupables de crimes antisémites, Yaroslav St<strong>et</strong>sko <strong>et</strong><br />

Stepan Bandera, pour ne <strong>nom</strong>mer qu’eux. D’ailleurs la<br />

célébration de ce dernier a abouti <strong>en</strong> 2010 à ce qu’on<br />

lui élève une statue, ri<strong>en</strong> de moins ! <strong>Au</strong>trem<strong>en</strong>t dit, ce<br />

n’est pas parce que l’Ukraine s’est prononcée contre le<br />

régime autoritaire de Vladimir Poutine, que les dominantes<br />

politiques ukraini<strong>en</strong>nes sont toutes unanimem<strong>en</strong>t<br />

proches de la démocratie telle qu’elle est conçue<br />

(imaginée) dans la communauté europé<strong>en</strong>ne. D’ailleurs,<br />

interdire la langue russe fin février <strong>2014</strong>, sitôt<br />

constitué le pouvoir intérimaire d’Oleksandr Tourtchynov,<br />

ne donnait guère <strong>des</strong> gages de démocratie. Pour<br />

le dire de façon un peu sommaire : les <strong>en</strong>nemis de nos<br />

<strong>en</strong>nemis ne sont pas nécessairem<strong>en</strong>t nos amis.<br />

LA FORMULE PARAÎT CLINQUANTE, IL EST<br />

VRAI. Le problème – car il est important de maint<strong>en</strong>ir<br />

un débat contradictoire –, c’est que les dérives<br />

d’extrémistes ukraini<strong>en</strong>s ne sont pas une raison pour<br />

disqualifier la société tout <strong>en</strong>tière <strong>et</strong> ne pas croire <strong>en</strong><br />

son pot<strong>en</strong>tiel <strong>et</strong> sa volonté d’accéder à la démocratie.<br />

Il faut rappeler la triste <strong>histoire</strong> d’une Ukraine tiraillée,<br />

découpée, <strong>en</strong>vahie <strong>des</strong> siècles durant par ses voisins<br />

(Pologne, <strong>Au</strong>triche, Allemagne, Russie tsariste,<br />

Union soviétique). Rappeler les deux gran<strong>des</strong> famines,<br />

la répression <strong>et</strong> les déportations communistes dans les<br />

années tr<strong>en</strong>te, puis après-guerre. Lourd cont<strong>en</strong>tieux<br />

qui a largem<strong>en</strong>t grevé les relations <strong><strong>en</strong>tre</strong> l’Ukraine <strong>et</strong><br />

l’ex-Union soviétique. Sur c<strong>et</strong>te Bloodland, la guerre<br />

civile s’est poursuivie jusqu’au début <strong>des</strong> années 1950.<br />

Et <strong>des</strong> sauvageries.<br />

DES SAUVAGERIES, EXACTEMENT. <strong>Au</strong> moins,<br />

il n’y <strong>en</strong> avait plus sur les Juifs car dans ces contrées, <strong>des</strong><br />

Juifs, il n’y <strong>en</strong> avait plus. Il faut dire que leur décimation<br />

a comm<strong>en</strong>cé avec les pogroms de la fin du XIX e , elle<br />

s’est amplem<strong>en</strong>t poursuivie durant la guerre de 1914-<br />

1918 <strong>et</strong> les années vingt <strong>et</strong> s’est parachevée sous le règne<br />

nazi. En ce s<strong>en</strong>s, la propagande poutini<strong>en</strong>ne pointe la<br />

véritable zone s<strong>en</strong>sible d’un pays qui, de même que l’<strong>en</strong>semble<br />

<strong>des</strong> pays baltes, n’est jamais vraim<strong>en</strong>t rev<strong>en</strong>u<br />

sur sa participation <strong>en</strong>thousiaste <strong>et</strong> systématique à la<br />

Shoah. Ce qui justem<strong>en</strong>t nous fait rev<strong>en</strong>ir au Svastika.<br />

En eff<strong>et</strong>, lorsque j’ai vu (s’)agiter la croix gammée<br />

lors <strong>des</strong> actualités télévisées, je me suis dit aussitôt<br />

Réservez<br />

votre date !<br />

À l’initiative du CIRCE<br />

(C<strong><strong>en</strong>tre</strong> Interdisciplinaire de Recherches<br />

C<strong><strong>en</strong>tre</strong>-Europé<strong>en</strong>nes), de l’Université<br />

de Paris-Sorbonne <strong>et</strong> l’Association Adice :<br />

Prés<strong>en</strong>tation de la revue<br />

<strong>Témoigner</strong> <strong><strong>en</strong>tre</strong> <strong>histoire</strong> <strong>et</strong> <strong>mémoire</strong>,<br />

par Luba Jurg<strong>en</strong>son<br />

En prés<strong>en</strong>ce de Philippe Mesnard, directeur de<br />

la rédaction, lors de la séance <strong>des</strong> Palabres du<br />

7 octobre <strong>2014</strong> à 19 h 00, à l’Institut hongrois<br />

(92, rue Bonaparte, 75006 Paris).<br />

Organisation : <strong>Au</strong>rélie Roug<strong>et</strong>-Garma,<br />

Université Paris-Sorbonne <strong>et</strong> CIRCE.<br />

<strong>Au</strong>relie.Roug<strong>et</strong>-Garma@paris-sorbonne.fr<br />

Coordination : Malgorzata Smorag-Goldberg,<br />

Université Paris-Sorbonne <strong>et</strong> CIRCE.<br />

maougocha@usa.n<strong>et</strong><br />

www.facebook.com/Palabres<br />

qu’elle était partout, c<strong>et</strong>te croix. On ne cesse de la voir,<br />

seule ou avec le portrait d’Hitler. <strong>Au</strong>ssi n’est-ce pas de<br />

la question de l’holocauste dans la culture qu’il faut<br />

seulem<strong>en</strong>t débattre, mais du nazisme dans c<strong>et</strong>te même<br />

culture. Le plus inquiétant, c’est la naturalisation de<br />

c<strong>et</strong>te symbolique. Immédiatem<strong>en</strong>t reconnaissable,<br />

simple, elle avait déjà tout pour dev<strong>en</strong>ir une sorte de<br />

badge ou de label. <strong>Au</strong>jourd’hui que la pédagogie est un<br />

<strong>des</strong> maîtres mots de la <strong>mémoire</strong>, il serait bi<strong>en</strong> intéressant<br />

de décrypter avec les élèves c<strong>et</strong>te paradoxale iconolâtrie.<br />

Que p<strong>en</strong>sez-vous de c<strong>et</strong>te idée ? ❚<br />

Pour <strong>en</strong> savoir plus sur l’ultranationalisme ukraini<strong>en</strong>, ses nostalgies <strong>et</strong><br />

son souti<strong>en</strong> étatique : l’article particulièrem<strong>en</strong>t éclairant de Delphine<br />

Bechtel, « Les pogroms <strong>en</strong> Galicie, 1941 : <strong>des</strong> pages blanches de l’<strong>histoire</strong><br />

à une <strong>histoire</strong> <strong>en</strong> pointillés ? », in Luba Jurg<strong>en</strong>son <strong>et</strong> Alexandre Prstojevic,<br />

Des Témoins aux héritiers. L’écriture de la Shoah <strong>et</strong> la culture europé<strong>en</strong>ne,<br />

Paris, éditions P<strong>et</strong>ra, 2012, p. 113-135.<br />

4 <strong>Témoigner</strong> <strong><strong>en</strong>tre</strong> <strong>histoire</strong> <strong>et</strong> <strong>mémoire</strong> – <strong>n°</strong><strong>118</strong> / Septembre <strong>2014</strong> Testimony b<strong>et</strong>we<strong>en</strong> history and memory – <strong>n°</strong><strong>118</strong> / September <strong>2014</strong><br />

5


Éditorial<br />

Editorial<br />

ON THE CIRCULATION<br />

OF SWASTIKAS<br />

L<strong>et</strong> us take advantage of the fact that a<br />

four-monthly editorial is, by definition, no longer<br />

curr<strong>en</strong>t news in order to express a few r<strong>et</strong>rospective<br />

considerations. Less than a year ago, the Nazi swastika<br />

resurfaced in Putin’s media to d<strong>en</strong>ounce what they<br />

called Ukrainians’ Fascist downward spiral. An easily<br />

recognized phraseology. This “wood<strong>en</strong> language”, as<br />

formerly was said, aimed to disqualify the separatist<br />

and pro-European ori<strong>en</strong>tations of the majority of the<br />

oppon<strong>en</strong>ts having brought about the deposition of<br />

Viktor Ianoukovitch, and also to legitimize the pot<strong>en</strong>tially<br />

warmongering positions of the new tsar.<br />

Up to now, we agree, don’t we? HOWEVER, TO<br />

MERELY SEE IN THE USE OF THE WRETCHED<br />

SYMBOL A LIE FROM THE PROPAGANDA, as European<br />

news easily claimed, is this not making Ukraine<br />

wear the overly comfortable clothes of the – excuse the<br />

term – victim? Ah! I can already hear it said that I am<br />

exaggerating, that I must not treat lightly the viol<strong>en</strong>t<br />

repression which the oppon<strong>en</strong>ts at the Maidan square<br />

have be<strong>en</strong> struck with.<br />

Of course, this has never be<strong>en</strong> my int<strong>en</strong>tion. Y<strong>et</strong>,<br />

on the other hand, as Perec used to say, facts do not<br />

speak for themselves. They were digested, on one<br />

side, in a pan-European discourse that had no trouble<br />

in pres<strong>en</strong>ting democratic transpar<strong>en</strong>cy as its main<br />

quali ty, on the other side, by the speech of Putin’s party.<br />

Y<strong>et</strong>, if the latter’s stratagems are easy to d<strong>et</strong>ect, we can<br />

however become more closely interested in the free<br />

circulation of the swastika and to the truths it refers to,<br />

whilst being surprised that Europe is turning a blind<br />

eye to Ukrainian extremism. A Europe, by the way,<br />

A By Philippe Mesnard,<br />

Head of the Editorial Board<br />

where the last parliam<strong>en</strong>tary elections revealed the<br />

power of extreme-right politics. Som<strong>et</strong>hing to meditate,<br />

isn’t it?<br />

But is the goal here to talk of Ukraine (targ<strong>et</strong> of<br />

Russian propaganda)? OR RATHER TO TALK OF<br />

THE MEDIA POPULARITY OF THE SWASTIKA?<br />

In reality, both. The particular example serves as a way<br />

to show the g<strong>en</strong>eral issue, to illustrate and to remember<br />

it. It is difficult to circulate on this terrain where those<br />

who are recognized as attackers – and who op<strong>en</strong>ly held<br />

this role – point to… truths nevertheless. It is on this<br />

point that I wish to more precisely express my opinion.<br />

We easily notice a t<strong>en</strong>d<strong>en</strong>cy to gather everything within<br />

a same victim discourse, all formations and all groups<br />

as soon as they are the targ<strong>et</strong> of political viol<strong>en</strong>ce. In<br />

this respect, the main concern of transmission would<br />

not so much seem to be (or no longer) information<br />

itself – omnipres<strong>en</strong>t, today, up to a point of saturation<br />

–, as much as learning to grasp the complexity of<br />

the reality which information refers to, which at times<br />

is referred to from a distance all the while misleadingly<br />

making us believe that it deals with reality “in live”.<br />

Of course, complexity is also a word that can be<br />

used to avoid saying anything. However, in the name<br />

of this complexity, we must also learn to susp<strong>en</strong>d<br />

such moral judgem<strong>en</strong>ts which focus on the image of<br />

the victim and to b<strong>et</strong>ter discern what is being shown.<br />

It is thus important to remember the perman<strong>en</strong>ce of<br />

Ukrainian ultranationalist ideas that still honour their<br />

pro-Nazi heroes guilty of anti-Semitic crimes, such as<br />

Yaroslav St<strong>et</strong>sko and Stepan Bandera, to name only two.<br />

What is more, the latter was celebrated in 2010 with<br />

his statue being raised, non<strong>et</strong>heless! In other words,<br />

it is not because Ukraine has claimed to be against<br />

Vladimir Putin’s authoritative regime, that Ukrainian’s<br />

main political t<strong>en</strong>d<strong>en</strong>cies are all unanimously close<br />

to democracy as it is conceived (imagined) within the<br />

European Community. Furthermore, forbidding the<br />

Russian language at the <strong>en</strong>d of February <strong>2014</strong>, forming<br />

straight away Oleskandr Turchynov’s temporary<br />

power, hardly gave any guarantees of democracy. To<br />

say it somewhat briefly: the <strong>en</strong>emies of our <strong>en</strong>emies<br />

are not necessarily our fri<strong>en</strong>ds.<br />

THE EXPRESSION SEEMS TRITE, IT IS TRUE.<br />

The problem – for it is important to maintain a contradictory<br />

debate –, is that the downward spirals of<br />

Ukrainian extremists are not a reason to disqualify<br />

the <strong>en</strong>tire soci<strong>et</strong>y and not to believe in its pot<strong>en</strong>tial<br />

and its <strong>des</strong>ire to reach a democracy. Ukraine’s sad history<br />

should be remembered. The history of a country<br />

that was for c<strong>en</strong>turies caught b<strong>et</strong>we<strong>en</strong>, brok<strong>en</strong> up and<br />

invaded by their neighbours (Poland, <strong>Au</strong>stria, Germany,<br />

tsarist Russia, Sovi<strong>et</strong> Union). Remember the<br />

two great famines, the repression and the communist<br />

deportations during the 1930s and th<strong>en</strong> after the war.<br />

Serious disputes heavily strained the relations b<strong>et</strong>we<strong>en</strong><br />

Ukraine and the ex-Sovi<strong>et</strong> Union. Civil war carried on<br />

in this Bloodland until the beginning of the 1950s. And<br />

such brutality.<br />

BRUTALITY, EXACTLY. At least, it was not<br />

directed anymore to the Jews, for in these lands, there<br />

wer<strong>en</strong>’t any Jews remaining. It must be said that their<br />

decimation began with the pogroms dating from the<br />

<strong>en</strong>d of the 19th c<strong>en</strong>tury, largely carrying on during the<br />

1914-1918 war, the 1920s and <strong>en</strong>ding under the Nazi<br />

reign. In this s<strong>en</strong>se, Putin’s propaganda points to the<br />

truly s<strong>en</strong>sitive zone of a country which, as well as all<br />

the Baltic countries, never really revisited their <strong>en</strong>thusiastic<br />

and systematic participation in the Shoah. This<br />

precisely leads us back to the swastika.<br />

Save the date<br />

The Fr<strong>en</strong>ch issue of the journal<br />

Testimony b<strong>et</strong>we<strong>en</strong> history<br />

and memory will be pres<strong>en</strong>ted<br />

by Luba Jurg<strong>en</strong>son<br />

in the pres<strong>en</strong>ce of Philippe Mesnard,<br />

at the Palabres me<strong>et</strong>ing on 7 October <strong>2014</strong><br />

at 7pm at the Hungarian Institute<br />

(rue Bonaparte 92, 75006 Paris).<br />

Initiative: CIRCE (C<strong><strong>en</strong>tre</strong> Interdisciplinaire de<br />

Recherches C<strong><strong>en</strong>tre</strong>-Europé<strong>en</strong>nes), Paris-<br />

Sorbonne University and Adice (Association<br />

pour le Développem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> Initiatives<br />

Citoy<strong>en</strong>nes <strong>et</strong> Europé<strong>en</strong>nes).<br />

Organisation: <strong>Au</strong>rélie Roug<strong>et</strong>-Garma,<br />

Paris-Sorbonne University and CIRCE,<br />

<strong>Au</strong>relie.Roug<strong>et</strong>-Garma@paris-sorbonne.fr<br />

Coordination: Malgorzata Smorag-Goldberg,<br />

Paris-Sorbonne University and CIRCE,<br />

maougocha@usa.n<strong>et</strong><br />

www.facebook.com/Palabres<br />

Indeed, wh<strong>en</strong> I saw the swastika being waved on<br />

television news, I immediately said to myself that this<br />

cross is everywhere. We see it continually, alone or with<br />

Hitler’s portrait. Also, it is not merely the question of<br />

the place of the Holocaust within our culture that must<br />

be debated, but also of the Nazism within this very culture.<br />

What is most worrisome, is the naturalization<br />

of this symbol. Immediately recognizable, simple, it<br />

already had every necessary quality to become a sort of<br />

badge or a label. Today with pedagogy being one of the<br />

key words relating to memory, it would be interesting<br />

to decipher this paradoxical iconolatry with stud<strong>en</strong>ts.<br />

What do you think of this idea? ❚<br />

To learn more about Ukrainian ultranationalism, its nostalgia and its<br />

support from the state, I would like to refer to the particularly<br />

<strong>en</strong>light<strong>en</strong>ing article by Delphine Bechtel, ‘Les pogroms <strong>en</strong> Galicie, 1941:<br />

<strong>des</strong> pages blanches de l’<strong>histoire</strong> à une <strong>histoire</strong> <strong>en</strong> pointillés?’,<br />

in Luba Jurg<strong>en</strong>son & Alexandre Prstojevic, Des Témoins aux héritiers.<br />

L’écriture de la Shoah <strong>et</strong> la culture europé<strong>en</strong>e, Paris: P<strong>et</strong>ra, 2012, 113-135.<br />

6 <strong>Témoigner</strong> <strong><strong>en</strong>tre</strong> <strong>histoire</strong> <strong>et</strong> <strong>mémoire</strong> – <strong>n°</strong><strong>118</strong> / Septembre <strong>2014</strong> Testimony b<strong>et</strong>we<strong>en</strong> history and memory – <strong>n°</strong><strong>118</strong> / September <strong>2014</strong><br />

7


DOSSIER<br />

A Sous la direction de<br />

Claudia Feld, CIS-CONICET / IDES (Arg<strong>en</strong>tine)<br />

Luciana Messina, CONICET / Universidad de Bu<strong>en</strong>os Aires<br />

Nadia Tahir, UCBN-ERLIS / Université de Normandie<br />

AU NOM<br />

DES VICTIMES<br />

Après les dictatures qui règn<strong>en</strong>t sur l’Arg<strong>en</strong>tine, le <strong>Chili</strong><br />

<strong>et</strong> l’<strong>Uruguay</strong> <strong>des</strong> années 1970 jusqu’<strong>en</strong> 1990, le processus de<br />

résolution démocratique de ces <strong>histoire</strong>s de <strong>terreur</strong> semble<br />

nécessairem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> passer par la construction de récits <strong>et</strong>, ce faisant,<br />

de <strong>mémoire</strong>s qui reconfigur<strong>en</strong>t le passé. <strong>Au</strong> cœur de ces processus<br />

propres à chacun <strong>des</strong> pays, s’impose la figure de la victime<br />

que vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t questionner les textes rassemblés par Claudia Feld,<br />

Luciana Messina <strong>et</strong> Nadia Tahir.<br />

Archives du GAC, 24 mars 2004<br />

Testimony b<strong>et</strong>we<strong>en</strong> history and memory – <strong>n°</strong><strong>118</strong> / September <strong>2014</strong> 9


DOSSIER<br />

AU NOM DES VICTIMES<br />

PRÉSENTATION<br />

Tout au long du XX e siècle,<br />

la plupart <strong>des</strong> pays latino-américains<br />

ont été sous le joug de dictatures militaires.<br />

Dans le cône sud latino-américain,<br />

l’Arg<strong>en</strong>tine connaît à partir <strong>des</strong><br />

années 1930, une succession de coups<br />

d’État militaires, ponctuellem<strong>en</strong>t<br />

interrompus par <strong>des</strong> régimes civils,<br />

qui se terminera par le coup d’État<br />

du 24 mars 1976. <strong>Au</strong> <strong>Chili</strong>, la stabilité<br />

constitutionnelle que le pays connaît<br />

p<strong>en</strong>dant plusieurs déc<strong>en</strong>nies n’empêche<br />

pas les Forces armées de r<strong>en</strong>verser<br />

le gouvernem<strong>en</strong>t d’Unité populaire<br />

présidé par Salvador All<strong>en</strong>de le 11 <strong>septembre</strong><br />

1973. Enfin, le 27 juin 1973, le<br />

présid<strong>en</strong>t uruguay<strong>en</strong> Juan María Bordaberry<br />

s’<strong>en</strong>gage vis-à-vis <strong>des</strong> Forces<br />

armées à instaurer une dictature civilomilitaire.<br />

Dans les trois pays, les régimes<br />

militaires <strong>en</strong> place ont développé <strong>des</strong><br />

discours dans la lignée de la doctrine de<br />

la sécurité nationale. Ces constructions<br />

ont largem<strong>en</strong>t promu la conception d’un<br />

« <strong>en</strong>nemi intérieur » contre lequel les<br />

citoy<strong>en</strong>s devai<strong>en</strong>t lutter pour déf<strong>en</strong>dre<br />

<strong>des</strong> valeurs nationales. Ainsi, une définition<br />

ét<strong>en</strong>due de l’<strong>en</strong>nemi a permis<br />

d’agir à l’<strong>en</strong>contre d’un grand <strong>nom</strong>bre<br />

d’organisations. En réponse à ces discours,<br />

de <strong>nom</strong>breux secteurs plus ou<br />

moins organisés, à l’intérieur <strong>des</strong> pays <strong>et</strong><br />

<strong>en</strong> exil ainsi que <strong>des</strong> institutions étrangères<br />

apportant leur souti<strong>en</strong> aux populations<br />

réprimées, ont cherché à lutter<br />

pour dénoncer les actions de ces gouvernem<strong>en</strong>ts<br />

<strong>et</strong> montrer que ri<strong>en</strong> ne les<br />

justifiait. Il s’agissait avant tout, à c<strong>et</strong>te<br />

époque, de m<strong>et</strong>tre fin aux dictatures. Si<br />

de <strong>nom</strong>breux élém<strong>en</strong>ts perm<strong>et</strong>t<strong>en</strong>t de<br />

distinguer ces régimes, un de leurs traits<br />

communs a été la mise <strong>en</strong> place d’une<br />

répression systématique <strong>et</strong> organisée<br />

contre les organisations de gauche (partis<br />

politiques, syndicats, associations de<br />

jeunesse, groupes armés, <strong>et</strong>c.). Face à<br />

c<strong>et</strong>te répression, de <strong>nom</strong>breux groupes<br />

se sont mobilisés.<br />

Une première singularité de ces<br />

trois pays, conditionnant les travaux<br />

sci<strong>en</strong>tifiques sur les passés dictatoriaux,<br />

se constitue alors autour du<br />

paradigme <strong>des</strong> droits de l’homme. Des<br />

organisations agissant pour la déf<strong>en</strong>se<br />

de ceux-ci naiss<strong>en</strong>t <strong>en</strong> Arg<strong>en</strong>tine, au<br />

<strong>Chili</strong> <strong>et</strong> <strong>en</strong> <strong>Uruguay</strong>, parallèlem<strong>en</strong>t aux<br />

protestations qui se développ<strong>en</strong>t dans le<br />

monde <strong>en</strong>tier à la fin <strong>des</strong> années 1960-<br />

1970. Les besoins de souti<strong>en</strong>s internationaux<br />

amèn<strong>en</strong>t ainsi l’opposition à la<br />

dictature à évoluer vers la déf<strong>en</strong>se <strong>des</strong><br />

droits fondam<strong>en</strong>taux <strong>en</strong> m<strong>et</strong>tant <strong><strong>en</strong>tre</strong><br />

par<strong>en</strong>thèses les questions idéologiques<br />

<strong>et</strong> politiques. Avec la fin <strong>des</strong> régimes dictatoriaux,<br />

le li<strong>en</strong> établi <strong><strong>en</strong>tre</strong> les protestations<br />

contre les régimes militaires <strong>et</strong><br />

la déf<strong>en</strong>se <strong>des</strong> droits de l’homme évolue<br />

jusqu’à aujourd’hui où les discours, les<br />

rev<strong>en</strong>dications <strong>et</strong> les politiques d’État<br />

concernant le passé dictatorial sont<br />

souv<strong>en</strong>t associés à <strong>des</strong> questions portant<br />

sur la déf<strong>en</strong>se <strong>des</strong> droits de l’homme<br />

« <strong>en</strong> général ». Le champ <strong>des</strong> personnes<br />

pouvant être désignées comme <strong>des</strong><br />

« <strong>victimes</strong> » s’élargit donc, avec les<br />

répercussions que cela implique pour<br />

les travaux consacrés à c<strong>et</strong>te notion.<br />

Parallèlem<strong>en</strong>t à cela, un autre élém<strong>en</strong>t<br />

rarem<strong>en</strong>t évoqué doit être pris <strong>en</strong><br />

considération concernant c<strong>et</strong>te notion<br />

propre aux pays du cône sud latinoaméricain<br />

: l’utilisation de la disparition<br />

forcée de personnes dont le bilan <strong>des</strong><br />

trois dictatures varie selon les métho<strong>des</strong><br />

répressives (Roniger, Sznajder, 2005).<br />

Un <strong>des</strong> élém<strong>en</strong>ts fondam<strong>en</strong>taux de la<br />

disparition forcée de personnes est<br />

la clan<strong>des</strong>tinité dans laquelle elle se<br />

déroule. Les sil<strong>en</strong>ces, l’abs<strong>en</strong>ce d’informations,<br />

de docum<strong>en</strong>ts ou de preuves<br />

matérielles r<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t d’autant plus difficile<br />

la dénonciation du crime. P<strong>en</strong>dant<br />

les pério<strong>des</strong> de transition vers<br />

<strong>des</strong> régimes démocratiques, la disparition<br />

forcée de personnes <strong>et</strong> surtout<br />

ses conséqu<strong>en</strong>ces sont dev<strong>en</strong>ues <strong>des</strong><br />

<strong>en</strong>jeux particuliers pour de <strong>nom</strong>breux<br />

acteurs <strong>des</strong> sociétés arg<strong>en</strong>tine, chili<strong>en</strong>ne<br />

<strong>et</strong> uruguay<strong>en</strong>ne. Bi<strong>en</strong> qu’elle n’ait pas<br />

été systématisée dans les trois pays,<br />

les rev<strong>en</strong>dications d’organisations, les<br />

productions littéraires ou cinématographiques,<br />

voire les discours <strong>et</strong> initiatives<br />

politiques se sont beaucoup<br />

c<strong>en</strong>trés sur ceux que l’on <strong>nom</strong>me « les<br />

disparus ». Ainsi, les spécificités de ce<br />

crime que le monde n’avait pas <strong>en</strong>core<br />

reconnu comme tel sur le plan juridique<br />

ont conditionné les objections autour<br />

<strong>des</strong> gestions étatiques <strong>des</strong> passés dictatoriaux.<br />

Ces « disparus » sont dev<strong>en</strong>us<br />

<strong>des</strong> prés<strong>en</strong>ces perman<strong>en</strong>tes dans les<br />

sphères publiques <strong>des</strong> pays du cône sud<br />

latino-américain.<br />

Un <strong>des</strong> élém<strong>en</strong>ts fondam<strong>en</strong>taux<br />

de la disparition forcée de personnes<br />

est la clan<strong>des</strong>tinité dans laquelle<br />

elle se déroule. Les sil<strong>en</strong>ces, l’abs<strong>en</strong>ce<br />

d’informations, de docum<strong>en</strong>ts ou de<br />

preuves matérielles r<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t d’autant<br />

plus difficile la dénonciation du crime.<br />

Dans les <strong>nom</strong>breux travaux<br />

sci<strong>en</strong>tifiques qui port<strong>en</strong>t sur les<br />

passés dictatoriaux de ces trois pays, le<br />

mot « victime » est omniprés<strong>en</strong>t. Très<br />

souv<strong>en</strong>t, la « victime » est définie ou<br />

comparée à d’autres figures : le héros,<br />

le militant, le coupable, l’innoc<strong>en</strong>t, <strong>et</strong>c.<br />

Sa mise <strong>en</strong> relation avec l’une ou l’autre<br />

de ces figures vise parfois à apporter<br />

<strong>des</strong> réponses à certaines interrogations<br />

liées au passé. Ainsi, la notion de<br />

« victime », sa qualification <strong>et</strong> ses utilisations<br />

devi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t les <strong>en</strong>jeux de discussions,<br />

de débats, de conflits où sont<br />

impliqués de <strong>nom</strong>breux acteurs <strong>des</strong><br />

sociétés de ces trois pays. C<strong>et</strong>te notion<br />

évolue <strong>en</strong> fonction de la période étudiée.<br />

Ce faisant, elle n’aura pas le même<br />

s<strong>en</strong>s durant la dictature, p<strong>en</strong>dant les<br />

phases de transition vues comme plus<br />

ou moins longues selon les chercheurs,<br />

lors <strong>des</strong> pério<strong>des</strong> de consolidation <strong>des</strong><br />

régimes démocratiques ou aujourd’hui.<br />

En c<strong>en</strong>trant ce dossier sur la notion de<br />

« victime », l’objectif est de prés<strong>en</strong>ter<br />

<strong>et</strong> d’analyser son élaboration <strong>et</strong> son l l l<br />

10 <strong>Témoigner</strong> <strong><strong>en</strong>tre</strong> <strong>histoire</strong> <strong>et</strong> <strong>mémoire</strong> – <strong>n°</strong><strong>118</strong> / Septembre <strong>2014</strong> Testimony b<strong>et</strong>we<strong>en</strong> history and memory – <strong>n°</strong><strong>118</strong> / September <strong>2014</strong><br />

11


DOSSIER<br />

AU NOM DES VICTIMES<br />

PRÉSENTATION<br />

l l l<br />

évolution dans ces contextes sociopolitiques<br />

précis dans lesquels elle n’a été,<br />

jusqu’à prés<strong>en</strong>t, que très peu examinée<br />

<strong>et</strong> n’a pas fait l’obj<strong>et</strong> d’étude spécifique.<br />

Les articles de ce dossier propos<strong>en</strong>t de<br />

répondre aux <strong>nom</strong>breuses questions<br />

que c<strong>et</strong>te notion suscite : qui utilise le<br />

terme de « victime » ? A-t-il toujours été<br />

convoqué ? Si oui, pour faire référ<strong>en</strong>ce<br />

à qui ? S’agit-il de désigner un autre ou<br />

de faire référ<strong>en</strong>ce à soi ? Qu’est-ce qui<br />

pousse certains acteurs à l’utiliser ou<br />

au contraire à le rej<strong>et</strong>er ? Quels sont<br />

les élém<strong>en</strong>ts – acteurs, événem<strong>en</strong>ts,<br />

politiques étatiques, <strong>et</strong>c. – qui influ<strong>en</strong>t<br />

sur l’élaboration de c<strong>et</strong>te catégorie ?<br />

Quand devi<strong>en</strong>t-elle une catégorie politique<br />

? Peuv<strong>en</strong>t-elles être investies d’un<br />

autre s<strong>en</strong>s, non politique ? Comm<strong>en</strong>t se<br />

construit-elle à travers le temps ? Une<br />

étude <strong>des</strong> passés dictatoriaux arg<strong>en</strong>tin,<br />

chili<strong>en</strong> <strong>et</strong> uruguay<strong>en</strong> c<strong>en</strong>trée sur c<strong>et</strong>te<br />

notion perm<strong>et</strong> ainsi de nuancer <strong>des</strong><br />

analyses qui t<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t à percevoir les<br />

processus historiques de construction<br />

<strong>des</strong> <strong>mémoire</strong>s collectives de façon trop<br />

linéaire.<br />

Les deux premiers<br />

articles de ce dossier s’intéress<strong>en</strong>t tout<br />

d’abord aux acteurs les plus visibles de<br />

la cause <strong>des</strong> « <strong>victimes</strong> » : les associations.<br />

Antonia García Castro <strong>et</strong> Elizab<strong>et</strong>h<br />

Jelin revi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t, respectivem<strong>en</strong>t,<br />

sur les organisations de proches de<br />

disparus au <strong>Chili</strong> <strong>et</strong> <strong>en</strong> Arg<strong>en</strong>tine. Pour<br />

les collectifs chili<strong>en</strong>s, l’<strong>en</strong>jeu consiste<br />

avant tout à id<strong>en</strong>tifier comme <strong>victimes</strong><br />

les personnes qui n’étai<strong>en</strong>t pas juridiquem<strong>en</strong>t<br />

reconnues comme telles<br />

p<strong>en</strong>dant le régime dictatorial. En eff<strong>et</strong>,<br />

comm<strong>en</strong>t porter plainte pour un crime<br />

qui n’existe pas légalem<strong>en</strong>t ? Comm<strong>en</strong>t<br />

parler de « <strong>victimes</strong> » lorsqu’il n’y a<br />

pas de corps, lorsqu’elles ne sont pas<br />

visibles ? En rev<strong>en</strong>ant sur certaines <strong>des</strong><br />

démarches <strong><strong>en</strong>tre</strong>prises par ces collectifs<br />

pour donner une exist<strong>en</strong>ce légale à ces<br />

« <strong>victimes</strong> », l’auteur montre qu’il s’agit<br />

d’un processus long qui ne se termine<br />

pas avec la fin de la dictature. Ainsi, <strong>en</strong><br />

Arg<strong>en</strong>tine, il faudra att<strong>en</strong>dre plus de<br />

vingt ans après la fin du régime dictatorial<br />

pour que la disparition forcée<br />

de personnes <strong>et</strong> son utilisation systématique<br />

par le régime militaire soi<strong>en</strong>t<br />

largem<strong>en</strong>t reconnues. Comme le signale<br />

Elizab<strong>et</strong>h Jelin, les <strong>en</strong>jeux <strong>en</strong> rapport<br />

avec la notion de « victime » sont liés à<br />

sa définition dans le cadre du nouveau<br />

contexte politique inauguré par le présid<strong>en</strong>t<br />

Néstor Kirchner <strong>en</strong> 2003. Le<br />

rapprochem<strong>en</strong>t <strong><strong>en</strong>tre</strong> certaines associations<br />

de proches de dét<strong>en</strong>us-disparus<br />

<strong>et</strong> ce dernier amène à s’interroger sur<br />

le rôle <strong>des</strong> personnes qui protest<strong>en</strong>t au<br />

<strong>nom</strong> <strong>des</strong> disparus. En eff<strong>et</strong>, si elles sont<br />

reconnues d’un point de vue social <strong>et</strong><br />

légal <strong>en</strong> tant que « <strong>victimes</strong> », qu’<strong>en</strong> estil<br />

de l’<strong>en</strong>semble de la société arg<strong>en</strong>tine<br />

qui a égalem<strong>en</strong>t vécu sous le joug du<br />

régime militaire ? Comme le montr<strong>en</strong>t<br />

ces deux articles, tr<strong>en</strong>te ou quarante ans<br />

après la fin <strong>des</strong> régimes dictatoriaux, les<br />

disparus « invisibles », « abs<strong>en</strong>ts », sont<br />

<strong>des</strong> acteurs à part <strong>en</strong>tière de la <strong>mémoire</strong><br />

<strong>des</strong> dictatures. La mobilisation de leurs<br />

proches, <strong>en</strong>core très actifs aujourd’hui,<br />

leur confère souv<strong>en</strong>t une visibilité plus<br />

grande que celle <strong>des</strong> survivants ou <strong>des</strong><br />

citoy<strong>en</strong>s chili<strong>en</strong>s <strong>et</strong> arg<strong>en</strong>tins.<br />

Bi<strong>en</strong> compr<strong>en</strong>dre les <strong>en</strong>jeux <strong>des</strong><br />

discours <strong>et</strong> <strong>des</strong> actions <strong>des</strong> collectifs<br />

demande néanmoins de s’intéresser à<br />

d’autres processus de définition <strong>des</strong> <strong>victimes</strong>.<br />

Les textes de Sandra Raggio <strong>et</strong> de<br />

Une étude <strong>des</strong> passés<br />

dictatoriaux arg<strong>en</strong>tin,<br />

chili<strong>en</strong> <strong>et</strong> uruguay<strong>en</strong><br />

c<strong>en</strong>trée sur c<strong>et</strong>te notion<br />

perm<strong>et</strong> ainsi de nuancer<br />

<strong>des</strong> analyses qui t<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t<br />

à percevoir les<br />

processus historiques<br />

de construction <strong>des</strong><br />

<strong>mémoire</strong>s collectives de<br />

façon trop linéaire.<br />

Claudia Feld port<strong>en</strong>t sur la période qui<br />

suit immédiatem<strong>en</strong>t la fin de la dictature<br />

<strong>en</strong> Arg<strong>en</strong>tine <strong><strong>en</strong>tre</strong> 1983 <strong>et</strong> 1985.<br />

L’article de Claudia Feld est consacré<br />

aux médias, outil fondam<strong>en</strong>tal pour<br />

compr<strong>en</strong>dre l’impact d’un discours dans<br />

une sphère. En rev<strong>en</strong>ant sur une période<br />

très précise, elle fait le li<strong>en</strong> <strong><strong>en</strong>tre</strong> les discours<br />

développés p<strong>en</strong>dant la dictature,<br />

toujours prés<strong>en</strong>ts dans l’espace public,<br />

<strong>et</strong> ceux qui comm<strong>en</strong>c<strong>en</strong>t à peine à être<br />

alors élaborés dans le contexte d’un<br />

régime démocratique très récemm<strong>en</strong>t<br />

instauré. Elle signale clairem<strong>en</strong>t qu’au<br />

début de la transition vers un régime<br />

démocratique, la « victime » était loin<br />

d’être une figure reconnue de tous. Elle<br />

est surtout le produit d’une construction<br />

façonnée par le contexte de réception.<br />

Poursuivant c<strong>et</strong>te réflexion,<br />

Sandra Raggio analyse le témoignage<br />

d’un survivant <strong>des</strong> c<strong><strong>en</strong>tre</strong>s clan<strong>des</strong>tins<br />

de dét<strong>en</strong>tion arg<strong>en</strong>tins dans le cadre<br />

du procès <strong>des</strong> anci<strong>en</strong>s commandants<br />

<strong>en</strong> chef <strong>des</strong> juntes <strong>en</strong> 1985. Elle montre<br />

comm<strong>en</strong>t une trame discursive se<br />

construit autour de son vécu <strong>et</strong> t<strong>en</strong>te de<br />

compr<strong>en</strong>dre si le témoin est à l’origine<br />

de ce discours ou s’il ne fait que contribuer<br />

à son mainti<strong>en</strong>. Ainsi, le statut de<br />

victime attribué au survivant change <strong>en</strong><br />

fonction du contexte dans lequel celuici<br />

témoigne, construisant sa propre<br />

notion de « victime », mais dans les<br />

cadres que l’on lui assigne. C’est à c<strong>et</strong>te<br />

condition que la « victime-innoc<strong>en</strong>te »<br />

– une personne perçue comme libre<br />

de tout soupçon de participation à <strong>des</strong><br />

organisations dites de gauche, <strong>et</strong> surtout<br />

<strong>des</strong> organisations armées – peut s’ancrer<br />

dans une société au sein de laquelle les<br />

discours développés p<strong>en</strong>dant la dictature<br />

sont <strong>en</strong>core très prés<strong>en</strong>ts. En<br />

insistant sur les étapes – les acteurs, les<br />

contextes qui contribu<strong>en</strong>t à l’apparition<br />

de c<strong>et</strong>te nouvelle notion <strong>et</strong> surtout sur<br />

les figures avec lesquelles elle <strong><strong>en</strong>tre</strong> <strong>en</strong><br />

rivalité –, les deux auteurs interrog<strong>en</strong>t<br />

les travaux, voire les idées reçues qui<br />

t<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t à décrire ce processus à partir<br />

de critères temporels trop rigi<strong>des</strong>.<br />

Susana Draper <strong>et</strong> Luciana Messina<br />

s’intéress<strong>en</strong>t, quant à elles, à <strong>des</strong> figures<br />

avec lesquelles la « victime » est comparée<br />

ou mise <strong>en</strong> concurr<strong>en</strong>ce aujourd’hui,<br />

près de tr<strong>en</strong>te ans après la fin du régime<br />

dictatorial. Le temps écoulé implique<br />

alors un plus grand <strong>nom</strong>bre de discours<br />

<strong>en</strong> circulation <strong>et</strong> <strong>des</strong> constructions différ<strong>en</strong>tes.<br />

L’article de Susana Draper, qui<br />

évoque la singularité de la répression<br />

uruguay<strong>en</strong>ne <strong>et</strong> y ajoute <strong>des</strong> interrogations<br />

liées aux questions de g<strong>en</strong>re,<br />

porte sur <strong>des</strong> récits <strong>des</strong> prisonnières<br />

politiques. Elle revi<strong>en</strong>t sur la figure du<br />

héros souv<strong>en</strong>t prés<strong>en</strong>te dans les publications<br />

<strong>des</strong> anci<strong>en</strong>s dét<strong>en</strong>us politiques<br />

ou consacrées à ces derniers, <strong>et</strong> insiste<br />

sur la prés<strong>en</strong>ce dans ces œuvres d’une<br />

réflexion autour du « sil<strong>en</strong>ce ». Pourquoi<br />

« la victime » doit-elle parler ? Est-elle<br />

obligée de le faire ? Le sil<strong>en</strong>ce impliqu<strong>et</strong>-il<br />

nécessairem<strong>en</strong>t l’oubli ? En étudiant<br />

les représ<strong>en</strong>tations de la « victime » à<br />

l’Olimpo – un anci<strong>en</strong> c<strong><strong>en</strong>tre</strong> clan<strong>des</strong>tin<br />

12 <strong>Témoigner</strong> <strong><strong>en</strong>tre</strong> <strong>histoire</strong> <strong>et</strong> <strong>mémoire</strong> – <strong>n°</strong><strong>118</strong> / Septembre <strong>2014</strong> Testimony b<strong>et</strong>we<strong>en</strong> history and memory – <strong>n°</strong><strong>118</strong> / September <strong>2014</strong><br />

13


DOSSIER<br />

DANS LE PROCHAIN NUMÉRO<br />

N° 119 – DÉCEMBRE <strong>2014</strong><br />

PRÉSENTATION<br />

de dét<strong>en</strong>tion « récupéré » comme site<br />

mémoriel dans la ville de Bu<strong>en</strong>os Aires –,<br />

Luciana Messina analyse notamm<strong>en</strong>t<br />

une séance de ciné-débat, montrant<br />

l’évolution de la notion de « victime » au<br />

cours <strong>des</strong> tr<strong>en</strong>te dernières années dans<br />

l’imaginaire collectif arg<strong>en</strong>tin. Alors<br />

que dans les années 1990, « victime » <strong>et</strong><br />

« militant » semblai<strong>en</strong>t être <strong>des</strong> termes<br />

anti<strong>nom</strong>iques, dans les années 2000,<br />

ces figures peuv<strong>en</strong>t être associées pour<br />

une réflexion sur la « responsabilité »<br />

par rapport à <strong>des</strong> faits de viol<strong>en</strong>ce qui<br />

se sont produits dans les années 1970<br />

<strong>et</strong> p<strong>en</strong>dant le régime dictatorial. Ainsi,<br />

la notion de « victime » ne r<strong>en</strong>voie plus<br />

nécessairem<strong>en</strong>t à un discours dépolitisant,<br />

elle contribue à imposer la figure<br />

du « héros » dans la sphère publique<br />

arg<strong>en</strong>tine.<br />

Pour finir, dans l’article de J<strong>en</strong>s<br />

Andermann, les cadres analysés sont<br />

plus restreints. Il s’intéresse aux différ<strong>en</strong>tes<br />

figures de la « victime » prés<strong>en</strong>tes<br />

dans <strong>des</strong> initiatives muséographiques<br />

<strong>et</strong> cinématographiques, au <strong>Chili</strong> <strong>et</strong> <strong>en</strong><br />

Arg<strong>en</strong>tine. Ces outils impliqu<strong>en</strong>t <strong>des</strong><br />

choix, dans la définition d’une ou <strong>des</strong><br />

<strong>victimes</strong>, liés aux contextes politiques <strong>et</strong><br />

sociaux, mais aussi aux décisions prises<br />

par <strong>des</strong> acteurs qui ont <strong>des</strong> li<strong>en</strong>s plus<br />

ou moins directs avec les <strong>victimes</strong> de la<br />

répression dictatoriale. L’article m<strong>et</strong> <strong>en</strong><br />

évid<strong>en</strong>ce comm<strong>en</strong>t les <strong>mémoire</strong>s individuelles<br />

<strong>et</strong> les choix effectués devi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<br />

l’obj<strong>et</strong> de réflexions collectives.<br />

L’<strong>en</strong>semble de ces travaux m<strong>et</strong><br />

<strong>en</strong> relief un élém<strong>en</strong>t fondam<strong>en</strong>tal de<br />

l’<strong>histoire</strong> réc<strong>en</strong>te <strong>des</strong> pays du cône sud<br />

latino-américain : quels qu’ai<strong>en</strong>t été<br />

les choix de transition vers un régime<br />

démocratique <strong>et</strong> les politiques étatiques<br />

liées au passé dictatorial, la gestion de<br />

ce passé y constitue toujours un <strong>en</strong>jeu.<br />

Certes, les différ<strong>en</strong>ces <strong><strong>en</strong>tre</strong> les trois<br />

pays sont très significatives puisque,<br />

<strong>en</strong> Arg<strong>en</strong>tine, on multiplie aujourd’hui<br />

L’<strong>en</strong>semble de ces<br />

travaux m<strong>et</strong> <strong>en</strong> relief<br />

un élém<strong>en</strong>t fondam<strong>en</strong>tal<br />

de l’<strong>histoire</strong> réc<strong>en</strong>te<br />

<strong>des</strong> pays du cône sud<br />

latino-américain : quels<br />

qu’ai<strong>en</strong>t été les choix<br />

de transition vers un<br />

régime démocratique <strong>et</strong><br />

les politiques étatiques<br />

liées au passé<br />

dictatorial, la gestion<br />

de ce passé y constitue<br />

toujours un <strong>en</strong>jeu.<br />

les procédures judiciaires à l’<strong>en</strong>contre<br />

<strong>des</strong> personnes responsables de crimes<br />

contre l’humanité dans le cadre de la<br />

répression dictatoriale, alors que, au<br />

<strong>Chili</strong> <strong>et</strong> <strong>en</strong> <strong>Uruguay</strong>, les législations<br />

relatives aux conséqu<strong>en</strong>ces de ce passé<br />

sont beaucoup plus limitées. Toutefois,<br />

comme ce dossier le souligne, les<br />

actions, récits, représ<strong>en</strong>tations « au <strong>nom</strong><br />

<strong>des</strong> <strong>victimes</strong> » sont partout <strong>nom</strong>breux<br />

<strong>et</strong> <strong>en</strong> constante évolution. Leur analyse<br />

contribue à la compréh<strong>en</strong>sion de processus<br />

toujours <strong>en</strong> œuvre dans ces pays<br />

<strong>et</strong>, plus largem<strong>en</strong>t, de la gestion <strong>des</strong> passés<br />

douloureux dans le monde. ❚<br />

Cora Gamarnik a obt<strong>en</strong>u les droits <strong>des</strong> photos pour<br />

ce dossier de la part <strong>des</strong> auteurs ou <strong>des</strong> institutions.<br />

L’intégralité <strong>des</strong> textes a été traduite par<br />

Antonia García Castro <strong>et</strong> révisée par la rédaction,<br />

à l'exception de la prés<strong>en</strong>tation rédigée <strong>en</strong> français<br />

par Nadia Tahir.<br />

<strong>Témoigner</strong> <strong><strong>en</strong>tre</strong> <strong>histoire</strong> <strong>et</strong> <strong>mémoire</strong>.<br />

<strong>Revue</strong> pluridisciplinaire de la Fondation <strong>Au</strong>schwitz.<br />

Éditée par le C<strong><strong>en</strong>tre</strong> d’étu<strong>des</strong> <strong>et</strong> de docum<strong>en</strong>tation,<br />

Mémoire d’<strong>Au</strong>schwitz asbl <strong>et</strong> Éditions Kimé<br />

Directeur de la publication : H<strong>en</strong>ri Goldberg.<br />

Directeur de la rédaction : Philippe Mesnard.<br />

Secrétaires de rédaction : Nathalie Pe<strong>et</strong>ers,<br />

Annele<strong>en</strong> Spiess<strong>en</strong>s.<br />

Contact : contact.testimonyquarterly@gmail.com<br />

Comité de rédaction : Daniel Acke (Belgique),<br />

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Comité sci<strong>en</strong>tifique : Marnix Bey<strong>en</strong> (Belgique),<br />

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Carlo Sal<strong>et</strong>ti (Italie), Frediano Sessi (Italie),<br />

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58502 Clamecy – N° d’imprimeur 403094<br />

Les articles publiés n’<strong>en</strong>gag<strong>en</strong>t que la responsabilité <strong>des</strong><br />

auteurs. Les textes de la revue sont publiés <strong>en</strong> français,<br />

néerlandais <strong>et</strong> anglais.<br />

Couverture © Daniel Bergeron – La Grande Guerre<br />

(combustion sur film positif) par D. Jonhière (2009) –<br />

Gerardo Dell’Oro – Archives du GAC, 24 mars 2004.<br />

Éditeur : Kimé, 2, impasse <strong>des</strong> Peintres, 75002 Paris<br />

www.editionskime.fr<br />

© Éditions Kimé, Paris, <strong>2014</strong> – ISBN 978-2-84174-674-3<br />

Mémoire d’<strong>Au</strong>schwitz asbl<br />

C<strong><strong>en</strong>tre</strong> d’étu<strong>des</strong> <strong>et</strong> de docum<strong>en</strong>tation<br />

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La Fédération Wallonie-Bruxelles, Le SPF – Service <strong>des</strong><br />

Victimes de la Guerre, La Commission communautaire<br />

française (COCOF), Ethias, La Banque Nationale<br />

de Belgique, Les Provinces, Les Communes,<br />

P & V Assurances, ainsi que par nos amis <strong>et</strong> membres.<br />

Nous les <strong>en</strong> remercions vivem<strong>en</strong>t.<br />

Avec notre part<strong>en</strong>aire<br />

www.resmusica.com<br />

© Rai<br />

IL Y A 70 ANS, AUSCHWITZ<br />

RETOUR SUR<br />

PRIMO LEVI<br />

27 janvier 1945. Il y a 70 ans les premiers soldats de l’Armée rouge<br />

pénétrai<strong>en</strong>t dans le camp d’<strong>Au</strong>schwitz marquant définitivem<strong>en</strong>t ce<br />

que l’on pourrait appeler sa « libération », bi<strong>en</strong> qu’<strong>Au</strong>schwitz n’ait été,<br />

pas plus qu’aucun autre camp nazi, un objectif prioritaire pour aucune<br />

<strong>des</strong> forces alliées. Primo Levi faisait partie <strong>des</strong> quelques rescapés qui,<br />

échappant aux évacuations forcées, étai<strong>en</strong>t restés cachés à <strong>Au</strong>schwitz.<br />

Juif, déporté, chimiste, témoin, écrivain, r<strong>et</strong>our sur c<strong>et</strong>te personnalité<br />

complexe, sur son asc<strong>en</strong>sion vers ce qu’il a appelé le « rescapé<br />

professionnel », sur son œuvre. Sur ce que les mots « résistance »,<br />

« <strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>t » ont signifié pour lui.<br />

Grand angle<br />

Rwanda : la question du tiers<br />

14<br />

<strong>Témoigner</strong> <strong><strong>en</strong>tre</strong> <strong>histoire</strong> <strong>et</strong> <strong>mémoire</strong> – <strong>n°</strong><strong>118</strong> / Septembre <strong>2014</strong>


30.09.<strong>2014</strong><br />

22.03.2015<br />

GENOCIDE<br />

DISMISSED<br />

La tragédie du Guatemala<br />

passée sous sil<strong>en</strong>ce<br />

Dans les années 80, une grande partie de la population maya a été<br />

brutalem<strong>en</strong>t assassinée au Guatemala. Les meurtres on été commis<br />

par les troupes gouvernem<strong>en</strong>tales dans le cadre d’un proj<strong>et</strong><br />

d’extermination qui visait tous les sympathisants <strong>des</strong> guérilleros<br />

communistes. Même aujourd’hui, ce génocide est <strong>en</strong>core<br />

mal connu hors du Guatemala. S’appuyant sur son propre<br />

témoignage visuel, Daniel Hernandez-Salazar a joué<br />

un rôle crucial dans le travail de <strong>mémoire</strong> concernant<br />

les crimes atroces qui ont marqué son pays. Son œuvre<br />

constitue un appel revigorant <strong>et</strong> audacieux à la justice<br />

<strong>et</strong> à la reconnaissance.<br />

Caserne Dossin<br />

Goswin de Stassartstraat 153 – B-2800 Mechel<strong>en</strong> – België<br />

Le musée est ouvert tous les jours de 10h00 à 17h00.<br />

Fermé le mercredi.<br />

www.kazernedossin.eu

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