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ACCREDS.fr – 11 septembre 2012<br />
Les lignes <strong>de</strong> Wellington <strong>de</strong> Valeria Sarmiento<br />
Par Christophe Beney le 11 septembre 2012<br />
Face à l’envahisseur napoléonien, <strong>la</strong> retraite <strong>de</strong>s armées portugaises et ang<strong>la</strong>ises jusqu’à<br />
<strong>la</strong> ligne Wellington, l’enceinte <strong>de</strong> fortifications protégeant Lisbonne, vue par <strong>de</strong>s soldats<br />
et <strong>de</strong>s civils : <strong>la</strong> réalisatrice Valeria Sarmiento dit adieu au défunt Raoul Ruiz en<br />
montrant en filigrane <strong>la</strong> disparition <strong>de</strong> son fantôme.<br />
De Raoul Ruiz, nous avons eu un <strong>film</strong> post-mortem, La nuit d’en face, présenté à <strong>la</strong> Quinzaine<br />
<strong>de</strong>s Réalisateurs 2012. Voici maintenant le <strong>film</strong> funèbre. Les lignes <strong>de</strong> Wellington est un projet<br />
initié par le cinéaste chilien, mais réalisé par Valeria Sarmiento, sa compagne, notamment<br />
monteuse <strong>de</strong> ses <strong>film</strong>s. Le fantôme <strong>du</strong> défunt hante les premières séquences <strong>de</strong> cette<br />
reconstitution historique, feuilletonnesque et romanesque, <strong>de</strong> l’invasion <strong>du</strong> Portugal par<br />
l’armée napoléonienne. L’époque, <strong>la</strong> multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s personnages, leurs caractéristiques, <strong>de</strong>s<br />
ruptures <strong>de</strong> ton, parfois, ainsi que <strong>la</strong> narration éc<strong>la</strong>tée, rappellent forcément Les mystères <strong>de</strong><br />
Lisbonne, pour ne citer que l’une <strong>de</strong>s plus récentes créations <strong>de</strong> Ruiz. Certaines scènes<br />
évoquent son style singulièrement surréaliste. Ici, au cours d’un dîner, un p<strong>la</strong>n <strong>film</strong>é <strong>du</strong> point<br />
<strong>de</strong> vue <strong>de</strong> l’invité d’honneur <strong>du</strong>re alors que l’invité en question a <strong>de</strong>puis longtemps quitté <strong>la</strong><br />
table, ce qui transforme le soliloque <strong>de</strong> l’hôte resté <strong>de</strong>vant son assiette en adresse au spectateur.<br />
Là, un lieutenant portugais, gravement blessé à <strong>la</strong> tête, s’échappe d’un hôpital envahi par les<br />
soldats français, et pénètre dans une <strong>de</strong>meure apparemment abandonnée. Pourtant une<br />
réception donnée par <strong>la</strong> maîtresse <strong>de</strong>s lieux bat soudain son plein, <strong>la</strong> main d’un enfant<br />
s’approche d’une coupe <strong>de</strong> fruits pour s’emparer <strong>de</strong> grains <strong>de</strong> raisin et, sans coupe apparente à<br />
l’image, par un changement d’éc<strong>la</strong>irage ou un subtil fon<strong>du</strong> enchaîné, c’est notre soldat que<br />
nous voyons accomplir ce geste, dans l’obscurité <strong>de</strong> <strong>la</strong> froi<strong>de</strong> bâtisse. Réminiscence, rêve,<br />
fantôme : cette indécision quant à <strong>la</strong> nature <strong>de</strong> certaines visions, récurrente chez Ruiz, s’efface<br />
progressivement.<br />
Les audaces stylistiques typiques <strong>du</strong> défunt cinéaste s’espacent, puis disparaissent. Par son<br />
avènement gra<strong>du</strong>el d’une mise en scène moins marquée, Les lignes <strong>de</strong> Wellington montre en<br />
filigrane <strong>la</strong> disparition totale <strong>de</strong> Raoul Ruiz. Ce n’est pas seulement un <strong>film</strong>, intéressant et<br />
narrativement maîtrisé, c’est une messe d’adieu à <strong>la</strong>quelle participent les fidèles <strong>de</strong> Ruiz. Si<br />
l’on s’en tient seulement à <strong>la</strong> branche française <strong>de</strong> sa famille <strong>de</strong> cinéma, Elsa Zylberstein,<br />
Isabelle Huppert, Michel Piccoli, Chiara Mastroianni, Catherine Deneuve ou Melvil Poupaud<br />
sont là, parfois pour <strong>de</strong>s rôles anecdotiques.<br />
Ce <strong>de</strong>uil artistique, <strong>de</strong>ux images l’illustrent simplement : <strong>la</strong> première (ou presque) et <strong>la</strong><br />
<strong>de</strong>rnière. Après <strong>la</strong> mention au générique <strong>du</strong> pro<strong>du</strong>cteur Paulo Branco, une note rend hommage<br />
à Raoul Ruiz. 2h30 plus tard, précédant le générique <strong>de</strong> fin, un autre texte déplore les ravages<br />
infligés au Portugal par l’invasion napoléonienne, sur fond <strong>de</strong> paysage désolé. Juste avant,<br />
nous avons évi<strong>de</strong>mment assisté à un enterrement, solennel, comme le prouvait ce p<strong>la</strong>n à <strong>la</strong> grue<br />
découvrant <strong>de</strong> nombreux figurants à l’arrêt, figés par l’instant, dans <strong>la</strong> profon<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> champ.<br />
Raoul Ruiz mort, l’horizon cinématographique ressemble-t-il à ce paysage noir et dépouillé où<br />
tout est à reconstruire ? C’est assurément le cas pour ses proches, comme pour les aficionados<br />
<strong>de</strong> son cinéma. Est-ce l’horizon spécifiquement portugais <strong>du</strong> cinéma qui est ici représenté ?