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La traduction vers l'arabe - Transeuropéennes

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Traduire en Méditerranée<br />

ETAT DE LA TRADUCTION ARABE DES<br />

OUVRAGES DE SCIENCES HUMAINES ET<br />

SOCIALES<br />

(2000-2009)<br />

Dans le cadre de l’état des lieux de la <strong>traduction</strong> en Méditerranée, coproduit<br />

par la Fondation Anna Lindh et Transeuropéennes en 2010<br />

Collecte et analyse des données<br />

Hasnaa Dessa<br />

Contrôle des données et rédaction<br />

Mohamed-Sghir Janjar<br />

Remerciements à Mme Samira Refai, responsable du département des acquisitions à<br />

la bibliothèque de la Fondation du Roi Abdul-Aziz pour les Etudes Islamiques et<br />

Sciences Humaines à Casablanca, qui a rendu possible l’accès aux informations<br />

bibliographiques et aux publications.<br />

© Transeuropéennes, Paris & Fondation du Roi Abdul Aziz, Casablanca - 2010<br />

1


Préambule<br />

<strong>La</strong> présente étude est réalisée par la Fondation du Roi Abdul Aziz-Casablanca en partenariat<br />

avec Transeuropéennes (Traduire en Méditerranée). Elle est une composante du premier<br />

état des lieux de la <strong>traduction</strong> en Méditerranée que conduisent à partir de 2010<br />

Transeuropéennes et la Fondation Anna Lindh (programme euro-méditerranéen pour la<br />

<strong>traduction</strong>), en partenariat avec une plus d’une quinzaine d’organisations de toute l’Union<br />

pour la Méditerranée.<br />

Partageant une même vision ample de la <strong>traduction</strong>, du rôle central qu’elle doit jouer dans<br />

les relations euro-méditerranéennes, dans l’enrichissement des langues, dans le<br />

développement des sociétés, dans la production et la circulation des savoirs et des<br />

imaginaires, les partenaires réunis dans ce projet prendront appui sur cet état des lieux pour<br />

proposer et construire des actions de long terme.<br />

1. Introduction : enjeux de la <strong>traduction</strong> dans le monde arabe<br />

Les observateurs et spécialistes des questions culturelles arabes ont toujours à l’esprit la<br />

polémique provoquée par les phrases et chiffres relatifs à la <strong>traduction</strong> dans le monde arabe<br />

et contenus dans le rapport du PNUD sur le Développement humain arabe de 2003, qui<br />

avait pour sous-titre « Construire une société de la connaissance ». Les auteurs du rapport<br />

avaient, en effet, pointé les carences arabes en termes de <strong>traduction</strong> et les ont présentées<br />

comme les manifestations de la crise d’une culture arabe contemporaine 1 enfermée dans un<br />

traditionalisme intellectuel réfractaire aux avancées de la pensée moderne. Quoiqu’erronés<br />

et contestables, les chiffres exposés dans ce rapport ont eu un effet d’électrochoc qui a<br />

accéléré la prise de conscience de l’importance des enjeux culturels de la <strong>traduction</strong>,<br />

notamment chez les décideurs politiques et les élites arabes (uni<strong>vers</strong>itaires, éditeurs et<br />

journalistes culturels…)<br />

<strong>La</strong> polémique a montré aussi les limites des systèmes statistiques arabes surtout ceux relatifs<br />

à la production et à la circulation des biens culturels. On constate, en effet, qu’au temps de<br />

l’informatisation généralisée et de la transition <strong>vers</strong> le tout numérique, les pays arabes sont<br />

1 Pour plus de détails, voire les travaux de Richard Jacquemond : « Les Arabes et la <strong>traduction</strong> : petite<br />

déconstruction d’une idée reçue » in <strong>La</strong> pensée de midi, n° 21, 2007 ; « Les flux de <strong>traduction</strong> entre le français et<br />

l’arabe depuis les années 1980 : un reflet des relations culturelles » in Translatio : le marché de la <strong>traduction</strong> en<br />

France au temps de la mondialisation, sous la direction de Gisèle Sapiro, Paris : Editions du CNRS, 2008. Voire<br />

aussi Mohamed-Sghir Janjar « Traduction et constitution de nouveaux champs des savoirs en langue arabe » in<br />

Transeuropéennes, revue en ligne, www.transeuropeennes.eu .<br />

© Transeuropéennes, Paris & Fondation du Roi Abdul Aziz, Casablanca - 2010<br />

2


encore loin de parachever leurs dispositifs d’information bibliographique. D’où les discours<br />

approximatifs sur la recherche, la <strong>traduction</strong> ou l’édition dans le monde arabe.<br />

Mais par-delà les contro<strong>vers</strong>es sur les chiffres, la problématique de la <strong>traduction</strong> constitue<br />

aujourd’hui un enjeu culturel majeur dans le monde arabe. Elle traduit un certain nombre de<br />

défis auxquels est soumise la culture dans les pays arabes. On peut citer parmi ces défis les<br />

chantiers suivants :<br />

- <strong>La</strong> reprise et la consolidation du processus de modernisation culturelle qui a<br />

démarré, pour certains pays avec le mouvement de la Nahda (renaissance culturelle<br />

arabe) <strong>vers</strong> la fin du XIX è siècle, s’est poursuivi avec l’élite restreinte formée par la<br />

colonisation et dans les uni<strong>vers</strong>ités étrangères, mais qui semble, aujourd’hui,<br />

bloquer du fait de la conjugaison d’une massification de l’éducation et la<br />

rapide arabisation des enseignements uni<strong>vers</strong>itaires.<br />

- <strong>La</strong> généralisation du processus d’arabisation de tous les cycles de l’enseignement,<br />

qui est une avancée en soi, nécessite impérativement et parallèlement, le<br />

développement de la pratique des langues étrangères ainsi que la di<strong>vers</strong>ification et<br />

l’intensification du travail de <strong>traduction</strong>. Il s’agit à la fois de faire accéder les<br />

uni<strong>vers</strong>itaires et chercheurs arabes aux savoirs modernes, tout en œuvrant pour que<br />

de tels savoirs émergent et irriguent la langue arabe, comme ce fut le cas à l’époque<br />

classique avec les savoirs venus de la Grèce, de l’Inde et de la Chine. Cette étape<br />

paraît nécessaire pour les Arabes, comme elle l’a été pour d’autres (Japonais,<br />

Chinois, Turcs…), afin de participer au processus uni<strong>vers</strong>el de production des<br />

savoirs.<br />

- Le défi est aussi de nature politique dans le sens où la culture politique arabe doit<br />

intégrer en son sein les œuvres, les théories, les concepts et les attitudes mentales<br />

qui fondèrent la modernité politique (démocratie, citoyenneté, droits de l’homme,<br />

etc.). De même qu’il est de nature géopolitique, compte-tenu du fait que la<br />

<strong>traduction</strong> peut contribuer à la connaissance des autres cultures et à lutter contre<br />

les dérives violentes qu’engendre l’ignorance.<br />

2. Histoire et nature du corpus étudié<br />

Le corpus étudié dans la présente étude relève de la base de données de la Fondation du Roi<br />

Abdul-Aziz pour les Etudes Islamiques et Sciences Humaines consultable sur Internet 2 . <strong>La</strong><br />

Bibliothèque de la Fondation dont les travaux de constitution ont démarré au milieu des<br />

2 Voir : www.fondation.org.ma<br />

© Transeuropéennes, Paris & Fondation du Roi Abdul Aziz, Casablanca - 2010<br />

3


années 1980, compte actuellement près de 600.000 documents, toutes disciplines et tous<br />

supports confondus.<br />

<strong>La</strong> politique d’acquisition de la Fondation en termes de <strong>traduction</strong>s arabes dans les domaines<br />

des sciences humaines et sociales, est passée par deux phases distinctes :<br />

- <strong>La</strong> première phase (de 1985 à 2000) : l’acquisition des ouvrages traduits a été axée<br />

essentiellement sur les textes traduits des langues européennes qui n’étaient pas utilisées<br />

massivement au Maghreb et dans le monde arabe, à savoir l’allemand, l’espagnol, le<br />

portugais, l’italien, etc. Aussi les <strong>traduction</strong>s retenues étaient-elles en arabe, français ou en<br />

anglais. Les <strong>traduction</strong>s arabes des ouvrages théoriques et textes classiques parus en français<br />

et en anglais, n’étaient pas acquises de manière systématique. Les responsables de la<br />

Fondation considéraient jusque là que la communauté des chercheurs maghrébins auxquels<br />

s’adressait le fonds documentaire, travaillait traditionnellement dans les deux principales<br />

langues européennes (le français et l’anglais), parallèlement à la langue nationale et officielle<br />

des Etats maghrébins (l’arabe).<br />

- <strong>La</strong> deuxième phase (des années 2000 à jours) : à l’aube du nouveau siècle, la<br />

politique d’acquisition de la Fondation va mettre l’accent sur les <strong>traduction</strong>s des ouvrages de<br />

sciences humaines et sociales, s’adaptant ainsi à la demande manifestée par les jeunes<br />

étudiants qui travaillent de plus en plus en arabe, et qui présentent de grandes lacunes quant<br />

à la maitrise des langues étrangères, et surtout quant à la connaissance des œuvres<br />

classiques et des grands débats intellectuels qui se produisent dans les champs des sciences<br />

humaines et sociales à tra<strong>vers</strong> le monde. L’arabisation de l’enseignement de la philosophie,<br />

de la psychologie et de la sociologie au début des années 1970, a accentué le processus<br />

d’arabisation de l’enseignement supérieur qui avait commencé une décennie auparavant avec<br />

les études littéraires, la linguistique, le droit et les sciences politiques.<br />

A l’occasion de la tenue d’un premier colloque consacré à l’examen de l’état des lieux de la<br />

<strong>traduction</strong> arabes des sciences humaines et sociales 3 , la Fondation a diffusé un Cd-Rom dans<br />

lequel étaient recensées plus de 7000 <strong>traduction</strong>s arabes d’ouvrages de sciences humaines<br />

et sociales. Le travail de mise à jour de la base de données s’est poursuivi au cours des trois<br />

dernières années avec la volonté affichée de compléter le fonds des <strong>traduction</strong>s. Ce dernier<br />

compte actuellement plus de 11.000 titres d’ouvrages traduits en langue arabe et couvrant<br />

les différentes disciplines relevant des sciences humaines et sociales. <strong>La</strong> base de données<br />

n’inclut pas les <strong>traduction</strong>s arabes des œuvres littéraires (poésie, roman, nouvelle, théâtre,<br />

3 Le colloque s’est tenu au siège de la Fondation à Casablanca les 25, 26 et 27 octobre 2007 et a donné lieu à un<br />

ouvrage intitulé <strong>La</strong> <strong>traduction</strong> des sciences humaines et sociales dans le monde arabe contemporain,, sous la<br />

direction de Richard Jacquemond, Fondation du Roi Abdul-Aziz et Fondation Konrad Adenauer : Casablanca ,<br />

2008, 114 p et 62 p.<br />

© Transeuropéennes, Paris & Fondation du Roi Abdul Aziz, Casablanca - 2010<br />

4


etc.), ainsi que les livres de sciences exactes (biologie, médecine, chimie, physique, géologie,<br />

etc.), les manuels scolaires et plus généralement les livres non académiques 4 .<br />

Outre le travail de description bibliographique classique, le traitement documentaire<br />

effectué par les services de la Fondation permet l’accès à des informations précieuses,<br />

comme le nom de l’auteur (en caractères latins), la langue d’origine, le titre initial de<br />

l’ouvrage, celui du pays d’édition de la <strong>traduction</strong>, la discipline et le sous-thème. De même<br />

qu’il offre, pour certains documents, des informations supplémentaires (programmes de<br />

soutien à la <strong>traduction</strong>, publications bilingues, etc.). Ces données permettent de repérer les<br />

différentes <strong>traduction</strong>s d’un même texte, d’un même auteur ou d’un même traducteur. Elles<br />

permettent aussi d’effectuer des comparaisons dans le temps, par pays, par discipline et par<br />

langue source.<br />

Compte-tenu de la spécificité de cette base de données, qui ne traite que les articles<br />

consacrés à l’ensemble maghrébin, nous nous sommes limités à un seul support (les livres).<br />

Et nous avons choisi la dernière décennie (2000 – 2009) tout en procédant à des<br />

comparaisons avec la décennie précédente (1990 – 1999) pour évaluer le rythme de<br />

progression de l’entreprise de <strong>traduction</strong> des sciences humaines et sociales selon les<br />

disciplines et par pays de publication. L’accent a été mis, en outre, sur les <strong>traduction</strong>s des<br />

langues étrangères <strong>vers</strong> l’arabe, excluant ainsi la question de la <strong>traduction</strong> de l’arabe <strong>vers</strong> les<br />

langues européennes, étant donné qu’un tel travail doit être mené dans les langues de<br />

réception et à partir de corpus plus représentatifs que celui offert par la base de données<br />

utilisée par cette étude.<br />

3. Production des <strong>traduction</strong>s arabes en sciences humaines et sociales<br />

Les travaux de Richard Jacquemond mentionnés plus haut, ont montré le caractère<br />

parcellaire des données collectées par les sources bibliographiques internationales comme<br />

l’Index translationum développé par l’Unesco, en matière d’édition et de <strong>traduction</strong> arabes. Il<br />

serait donc inutile de s’arrêter sur les décalages énormes qui existent entre les informations<br />

qu’offre la banque de données de la Fondation et celles que présentent de telles sources. Les<br />

différences entre les deux ne sont pas seulement d’ordre quantitatif, mais aussi qualitatif,<br />

puisque la source utilisée ici produit ses données à partir d’un catalogage des ouvrages<br />

publiés et non pas uniquement à partir de bulletins des agences bibliographiques nationales<br />

ou des catalogues des éditeurs.<br />

4 Le marché arabe du livre traduit offre chaque année plusieurs centaines d’ouvrages techniques (informatique,<br />

jardinage, décoration, etc.), des ouvrage de vulgarisation religieuse, ainsi que d’autres publications destinées au<br />

large publics. Ce genre de textes est exclu de la politique d’acquisition suivie par la Fondation.<br />

© Transeuropéennes, Paris & Fondation du Roi Abdul Aziz, Casablanca - 2010<br />

5


Une croissance de 38 % par rapport à la décennie précédente<br />

<strong>La</strong> consultation de la base de données de la Fondation au cours des mois de mai-juin 2010,<br />

permet de recenser quelque 2670 titres publiés par des éditeurs arabes durant la<br />

décennie 2000 – 2009, soit une moyenne annuelle de 268 titres. Pour la décennie<br />

précédente la moyenne était de 198 titres, soit une augmentation de 34 %. Si on se<br />

réfère aux estimations relatives aux chiffres globaux des <strong>traduction</strong>s arabes (tous genres<br />

confondus) publiées annuellement (entre 1500 et 2000 titres) 5 , la <strong>traduction</strong> des ouvrages de<br />

sciences humaines et sociales représenterait entre 13% et 18 % de l’ensemble des<br />

<strong>traduction</strong>s arabes. Faut-il insister sur le fait que, étant donné le contexte arabe de<br />

production et de diffusion des publications, les chiffres présentés sont à prendre avec<br />

précaution. S’ils signalent les grandes tendances, ils ne peuvent pas indiquer avec précision la<br />

situation de la <strong>traduction</strong> des sciences humaines et sociales dans le monde arabe.<br />

Un élément illustre sur le plan pratique cette difficulté : malgré le dynamisme effectif des<br />

services d’acquisition et de traitement documentaire de la Fondation, on constate que le<br />

parachèvement de l’acquisition des publications marocaines d’une année donnée, se poursuit<br />

sur trois années après la date de publication des ouvrages. Aussi plus le pays d’édition est<br />

géographiquement lointain, par rapport au siège de l’agence bibliographique, plus grandes<br />

sont les difficultés entravant l’acquisition de l’ouvrage et la production d’informations<br />

bibliographiques le concernant. L’élaboration en cours d’un « Catalogue arabe unifié »<br />

coordonné par la Bibliothèque publique du Roi Abdul-Aziz à Riyad, contribuera, sans doute,<br />

à aplanir une partie de ces difficultés, mais l’entreprise est conditionnée à la modernisation<br />

des bibliothèques nationales de plusieurs pays arabes et leur l’accès aux réseaux<br />

d’information modernes.<br />

Tableau 1 : répartition des <strong>traduction</strong>s arabes (livres de sciences humaines et sociales) par<br />

année d’édition.<br />

Année d’édition Nombre de d’ouvrages traduits<br />

2000 229<br />

2001 189<br />

2002 152<br />

2003 240<br />

2004 282<br />

2005 357<br />

2006 344<br />

2007 314<br />

2008 252<br />

2009 311<br />

5 Voire Franck Mermier, Le livre et la ville : Beyrouth et l’édition arabe, Actes Sud- Sindbad : Arles, 2005 et aussi<br />

Richard Jacquemond, « Les Arabes et la <strong>traduction</strong> : petite déconstruction d’une idée reçue », op cit., p 180.<br />

© Transeuropéennes, Paris & Fondation du Roi Abdul Aziz, Casablanca - 2010<br />

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Total 2670<br />

Une évolution inégale selon les pays :<br />

Le corpus examiné permet de constater que la croissance quantitative des <strong>traduction</strong>s<br />

publiées a été générale, sauf dans les deux cas du Kowait et de la Jordanie, où l’on enregistre<br />

une diminution de la production de près de 22% (par rapport à la décennie 1990-1999).<br />

Le Liban reste toujours en tête des pays arabes dans le domaine de la publication des<br />

<strong>traduction</strong>s en sciences sociales et humaines, avec la production de 684 titres, en<br />

progression de 30%. Ses éditeurs continuent à attirer les traducteurs de tout le monde arabe<br />

et aussi ceux résidant dans les pays européens et en Amérique du Nord. <strong>La</strong> création de<br />

l’Organisation arabe de <strong>traduction</strong> (OAT) à Beyrouth renforce la suprématie du Liban en tant<br />

que foyer central de l’édition et de la <strong>traduction</strong> dans le monde arabe. En quelques années, le<br />

catalogue de l’OAT s’est enrichi de près de 107 <strong>traduction</strong>s de grande qualité intellectuelle.<br />

L’Egypte : Dans cet autre foyer historique de l’édition et de la <strong>traduction</strong>, le mouvement de<br />

<strong>traduction</strong> semble, par contre, s’essouffler. <strong>La</strong> croissance de la production égyptienne n’est<br />

que 8,7 % par rapport à la décennie précédente et reste trop faible par rapport à celle<br />

enregistrée en Syrie ou dans des foyers émergeants comme le Maroc et les pays du Golfe<br />

(Arabie saoudite et Emirats arabes unis). Les deux grands éditeurs publics égyptiens (Le<br />

Conseil supérieur de la culture et Le Centre national de <strong>traduction</strong>) ont produit, à eux seuls, plus<br />

de 73 % des <strong>traduction</strong>s publiées au cours de la dernière décennie. <strong>La</strong> situation égyptienne<br />

contraste avec celle de pays arabes dotés d’une démographie plus modeste et où les<br />

éditeurs privés investissent à des degrés di<strong>vers</strong> dans la publication de <strong>traduction</strong>s spécialisées<br />

dans les différents champs des sciences humaines et sociales. Aussi constate-t-on, en<br />

examinant la liste des éditeurs les plus entreprenants en matière de <strong>traduction</strong> d’ouvrages en<br />

SHS (15 titres et plus au cours de la décennie), l’absence d’éditeurs privés égyptiens. On y<br />

trouve, par contre, des éditeurs privés du Liban, d’Arabie saoudite, du Maroc, d’Algérie, de<br />

Syrie et de Jordanie.<br />

<strong>La</strong> Syrie et le Maroc enregistrent une nette progression (respectivement 61 % et 54%).<br />

Cependant, si l’évolution du secteur éditorial syrien semble s’inscrire dans l’ordre des<br />

choses, compte-tenu de l’ancienneté des traditions de <strong>traduction</strong>, l’arabisation très avancée<br />

de l’enseignement et du champ intellectuel syriens, la progression du Maroc constitue une<br />

véritable surprise. Ce dernier ne s’est jamais doté d’une politique de <strong>traduction</strong> comme celle<br />

assurée, depuis plusieurs décennies, par le ministère de la culture syrienne, et il compte<br />

encore une élite francophone très influente dans les différents départements relevant des<br />

sciences humaines et sociales. A cela s’ajoute d’autres facteurs d’ordre pratique, tels que<br />

© Transeuropéennes, Paris & Fondation du Roi Abdul Aziz, Casablanca - 2010<br />

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l’exigüité du marché marocain, le non accès des éditeurs au marché maghrébin. Par ailleurs, il<br />

faut signaler que, contrairement aux éditeurs du Moyen-Orient (Liban, Syrie et Egypte) qui<br />

publient les travaux des <strong>traduction</strong>s de tout le monde arabe, notamment parce que leurs<br />

publications jouissent d’une large diffusion, les éditeurs marocains publient quasi<br />

exclusivement les travaux réalisés localement par les traducteurs nationaux.<br />

L’Arabie Saoudite : Un mouvement de <strong>traduction</strong> semble s’amorcer dans ce pays même si<br />

le gros de la production (70 %, soit 107 titres sur 153) est assuré par trois éditeurs. Les<br />

Editions Al-Obeikan (51 titres) est une grosse entreprise privée spécialisée dans le livre<br />

scolaire, uni<strong>vers</strong>itaire et pratique, qui s’est investie, au cours des dernières années, dans la<br />

publication de <strong>traduction</strong>s d’ouvrages politiques, économique ou géostratégiques,<br />

notamment les bestsellers anglo-saxons. Les deux autres éditeurs sont des institutions<br />

publiques : l’Institut de l’Administration publique avec 40 titres spécialisés dans le domaine de<br />

l’administration, et la Bibliothèque publique du Roi Abdul-Aziz qui s’est spécialisée dans la<br />

<strong>traduction</strong> des textes de voyageurs ou chercheurs européens et américains traitant de<br />

l’histoire et la culture de l’Arabie.<br />

L’Algérie : L’édition algérienne a, de son côté, fait un bond quantitatif impressionnant en<br />

termes d’ouvrages traduits en arabe. Un grand évènement culturel a contribué à cette<br />

avancée : la célébration de l’année « Alger : capitale de la culture arabe » (2007). Les<br />

différentes subventions accordées aux institutions culturelles et aux éditeurs, à cette<br />

occasion, ont stimulé l’édition locale ainsi que la <strong>traduction</strong>. A cet évènement conjoncturel<br />

s’ajoutent des facteurs structurels tels que l’approfondissement du processus d’arabisation<br />

de l’enseignement des disciplines de sciences humaines et sociales, et l’émergence d’une<br />

nouvelle communauté d’enseignants-chercheurs maniant la langue arabe dans les<br />

départements de l’Uni<strong>vers</strong>ité algérienne.<br />

Les autres pays arabes : Dans le reste du monde arabe, la publication des ouvrages de<br />

sciences humaines et sociales traduits est, soit embryonnaire (Emirats arabes unis, Tunisie,<br />

Kowait, Jordanie, Lybie, Iraq et Palestine) avec moins de 10 titres par an, soit quasi<br />

inexistante (Yémen, Soudan, Qatar, Bahreïn, Mauritanie, Sultanat d’Oman), à l’image,<br />

d’ailleurs, de leur secteur éditorial très fragile. Il faut signaler toutefois que de nombreux<br />

traducteurs tunisiens préfèrent publier leurs travaux chez les grands éditeurs libanais,<br />

égyptiens ou syriens pour garantir à ceux-ci une meilleure diffusion dans le monde arabe. Par<br />

ailleurs, de nombreux traducteurs publient leurs travaux au Moyen-Orient, du fait des<br />

indemnités importantes que garantissent les fonds d’aides à la <strong>traduction</strong>.<br />

Traductions arabes dans le monde : On ne dispose que de très peu de données sur les<br />

<strong>traduction</strong>s arabes réalisées dans des pays musulmans non-arabes comme l’Iran (26 titres) et<br />

© Transeuropéennes, Paris & Fondation du Roi Abdul Aziz, Casablanca - 2010<br />

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la Turquie (7 titres). <strong>La</strong> situation est semblable pour les pays occidentaux (98 titres publiés<br />

en Europe et en Amérique du Nord). A noter que les Editions Dar al-Jamal (dont le<br />

propriétaire est un exilé irakien installé à Cologne) compte 44 des 98 titres recensés.<br />

Tableau 2 : comparaison de la production des deux dernières décennies 2000 et 1990 par<br />

pays.<br />

Pays d’édition<br />

Nombre de<br />

<strong>traduction</strong>s<br />

arabes<br />

publiées entre<br />

1990 et 1999<br />

Nombre de<br />

<strong>traduction</strong>s<br />

arabes publiées<br />

entre 2000 et<br />

2009<br />

Taux de<br />

croissance<br />

Liban 525 684 + 30 %<br />

Egypte 433 471 + 8,7 %<br />

Syrie 231 372 + 61 %<br />

Maroc 217 335 + 54 %<br />

Arabie Saoudite 113 153 + 35 %<br />

Algérie 68 148 + 117 %<br />

Emirats Arabes<br />

37 82 + 121 %<br />

Unis<br />

Tunisie 54 60 + 11 %<br />

Kuwait 71 55 -22 %<br />

Jordanie 75 55 -22%<br />

Libye 35 39 + 11 %<br />

Iraq 27 31 + 14 %<br />

Autres pays arabes 14 36 + 157 %<br />

Pays musulmans 15 33 + 120 %<br />

(Iran- Turquie)<br />

Pays occidentaux 57 98 + 72 %<br />

Lieu d’édition<br />

16 17 + 6 %<br />

inconnu<br />

Total 1988 2670<br />

4. Les éditeurs des <strong>traduction</strong>s arabes d’ouvrages de SHS<br />

L’examen des données par éditeur, révèle les éléments suivants :<br />

- Le nombre très réduit des éditeurs qui publient régulièrement des <strong>traduction</strong>s en<br />

SHS : Il existe, en effet, une nette concentration de l’activité éditoriale arabe en matière de<br />

<strong>traduction</strong> des ouvrages de sciences sociales et humaines. Un petit groupe de 34 éditeurs a<br />

publié 49 % des <strong>traduction</strong>s recensées dans le corpus, soit 1315 titres (voire tableau n° 3).<br />

Les <strong>traduction</strong>s restantes se répartissent entre près de 300 éditeurs dont la majorité traite la<br />

publication des <strong>traduction</strong>s d’ouvrages en sciences sociales et humaines comme une activité<br />

© Transeuropéennes, Paris & Fondation du Roi Abdul Aziz, Casablanca - 2010<br />

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marginale et peu lucrative. Dans leur cas, la publication d’un ouvrage de ce genre relève plus<br />

d’un accident que d’une véritable politique éditoriale. <strong>La</strong> majorité de ces éditeurs ont publié<br />

moins de deux titres en dix ans. Le faible nombre d’éditeurs arabes qui investissent le champ<br />

de la <strong>traduction</strong> des ouvrages de SHS peut être expliqué par une série de facteurs, dont,<br />

notamment, le coût élevé de la <strong>traduction</strong> ; l’exigüité du marché de ce genre de livres ; les<br />

exigences en matière de gestion (achat des droits, contrat avec le traducteur, recherche des<br />

aides et autres subventions..)<br />

- Le suprématie des éditeurs privés : Parmi les 34 grands éditeurs des <strong>traduction</strong>s en<br />

SHS, 25 sont des établissements privés et assurent la publication de 65,5 % des ouvrages<br />

publiés (862 titres). Les plus dynamiques de ces éditeurs privés se trouvent surtout au Liban<br />

éditeurs avec 428 titres (voire le tableau n° 3) ; en Syrie (6 éditeurs avec 168 titres) ; et au<br />

Maroc (4 éditeurs avec 140 titres). <strong>La</strong> Librairie Obeikan est le plus important éditeur privé de<br />

l’Arabie saoudite et du Golfe (avec 51 titres). De même que les Editions Al-Jamal qui sont<br />

installées à Cologne en Allemagne, jouent un rôle important dans la <strong>traduction</strong> notamment<br />

des ouvrages de l’orientalisme allemand et plus généralement les textes d’islamologie<br />

moderne. Il faut noter pour ce qui du Liban, le rôle moteur que joue l’Organisation Arabe de<br />

Traduction (107 titres).<br />

- Le quasi monopole du secteur public en Egypte et dans le Golfe : En Egypte, les seuls<br />

éditeurs figurant dans la liste des 34 plus importants éditeurs de <strong>traduction</strong>s en SHS, sont<br />

des établissements publics (le Conseil supérieur de la culture et le Centre national de <strong>traduction</strong>)<br />

avec 245 titres. ls mettent l’accent essentiellement sur les ouvrages relatifs à l’histoire, la<br />

culture et la société égyptiennes. C’est également le cas pour Abou Dhabi, où les deux plus<br />

importants éditeurs de <strong>traduction</strong>s en SHS (Centre Emirati d’Etudes et de Recherches<br />

Stratégiques et Mujama Culturel) sont des établissements publics qui suivent une politique<br />

éditoriale ouverte sur les travaux à caractère théorique. Quant au seul grand éditeur public<br />

saoudien de <strong>traduction</strong>s, l’Institut de l’Administration publique, il développe une action centrée<br />

sur les ouvrages de référence publiés initialement en anglais et portant sur les questions<br />

d’administration, d’organisation et de gestion des ressources humaines.<br />

Tableau 3 : répartition des ouvrages traduits par éditeurs (les plus producteurs de 15 titres<br />

et plus) : 2000 - 2009<br />

Editeur Public /<br />

Privé<br />

Ville<br />

Le Conseil Supérieur de la Public eLiaC eL 175<br />

Culture<br />

L’Organisation Arabe de ée rP Beyrouth 107<br />

Traduction<br />

Le Centre National de Traduction éilb P eLiaC eL 70<br />

Nombre<br />

de titres<br />

traduits<br />

© Transeuropéennes, Paris & Fondation du Roi Abdul Aziz, Casablanca - 2010<br />

10


Editions El-Hadi ée rP hLuerieB 59<br />

Librairie Obeikan ée rP d uCR 51<br />

Ministère de la Culture éilb P sCmCD 44<br />

Le Conseil National de la Culture, éilb P Koweit /Safat 44<br />

des Arts et des Lettres<br />

Editions El-Jamal ée rP arbrloL 44<br />

Editions Al-Saqi ée rP hLuerieB 43<br />

Editions Toubkal ée rP Casablanca 40<br />

Institut de l’Administration éilb P d uCR 40<br />

publique<br />

Editions El-Hiwar ée rP eCeeCti P 38<br />

Editions Farabi ée rP hLuerieB 38<br />

Centre d’Eudes de l’Unité Arabe ée rP hLuerieB 38<br />

Editions Afrique - Orient ée rP lbCoPC aCDC 36<br />

Centre Emarati d’Etudes et de éilb P ilriisBCl 34<br />

Recherches Stratégiques<br />

Editions El-Mada ée rP sCmCD 33<br />

Editions du Centre Culturel Arabe ée rP aCDClbCoPC 31<br />

Editions Unifiées du Nouveau ée rP hLuerieB 30<br />

Livre<br />

Editions de l’Institut Uni<strong>vers</strong>itaire ée rP hLuerieB 30<br />

des Etudes et de Diffusion<br />

Editions El-Kasabah ée rP iblLe 28<br />

Editions Arabes des Sciences ée rP hLuerieB 28<br />

Editions Qudmus ée rP sCmCD 28<br />

Editions Kanaan ée rP sCmCD 25<br />

Editions El-Fikr ée rP sCmCD 23<br />

Editions Al-Mu’assassa al-‘arabiya ée rP Beyrouth 21<br />

li-dirassat wa al-nachr (AIRP -<br />

Institut Arabe pour la recherche<br />

et la publication)<br />

Editions Alla Din ée rP sCmCD 21<br />

E-Ahliya pour l’Edition et la ée rP immCo 19<br />

Difusion<br />

Centre de Civilisation et le ée rP hLuerieB 17<br />

Développement Islamiques<br />

Editions Al-Nahar ée rP hLuerieB 17<br />

Editions du Monde de l’Education ée rP Casablanca 17<br />

Bibliothèque publique du Roi éilb P d uCR 16<br />

Abdul-Aziz<br />

Editions du Mujama Culturel éilb P ilriisBCl 15<br />

Institut Publique Syrien du Livre éilb P Damas 15<br />

5. Les langues sources des <strong>traduction</strong>s arabes d’ouvrages de SHS<br />

L’examen des données relatives aux langues sources des différentes <strong>traduction</strong>s arabes en<br />

sciences humaines et sociales, se heurte à une série de difficultés liées notamment à la nature<br />

de l’environnement éditorial arabe qui peine à se professionnaliser et à rationaliser ses<br />

modes de fonctionnement.<br />

© Transeuropéennes, Paris & Fondation du Roi Abdul Aziz, Casablanca - 2010<br />

11


- Difficulté à déterminer le titre initial de l’ouvrage : Ainsi plus de 45 % des ouvrages<br />

traduits ne comportent aucune mention du titre original de l’ouvrage traduit, ce qui<br />

complique le travail des documentalistes chargés de cataloguer le livre et d’indiquer entre<br />

autres la langue source. Il s’ensuit une opération de recherche à partir du nom de l’auteur<br />

afin de déterminer la langue source.<br />

- Difficulté de connaître la <strong>vers</strong>ion originale utilisée pour la <strong>traduction</strong> : Dans<br />

plusieurs cas, la mention du titre initial n’informe pas sur la langue source qu’a utilisée le<br />

traducteur. Cela est vrai pour une grande partie des ouvrages publiés initialement dans les<br />

langues autres que l’anglais ou le français (l’espagnol, le portugais, l’italien, etc.) Mais c’est<br />

également le cas des ouvrages publiés en anglais et traduits au Maghreb, où le recours au<br />

français comme langue intermédiaire est très courant. De même pour une partie des<br />

publications françaises traduites au Moyen- Orient à tra<strong>vers</strong> le recours à la <strong>traduction</strong><br />

anglaise.<br />

- L’absence d’appareil critique : <strong>La</strong> majorité des <strong>traduction</strong>s arabes des ouvrages en SHS<br />

ne comporte pas d’introduction ou de préface où le traducteur signalerait la <strong>vers</strong>ion / les<br />

<strong>vers</strong>ions utilisées pour établir sa <strong>traduction</strong>, ainsi que ses choix en matière de terminologie<br />

ou l’apport de sa <strong>traduction</strong> par rapport à celles qui l’auraient précédée.<br />

Tableau 4 : répartition des <strong>traduction</strong>s par langue d’origine<br />

<strong>La</strong>ngue d’origine Nombre de titres Pourcentage<br />

traduits<br />

Anglais 1298 48,50 %<br />

Français 894 33,50 %<br />

Persan 158 6,00 %<br />

Allemand 112 4,00 %<br />

Espagnol 63 2,36 %<br />

Russe 35 1,31 %<br />

Hébreu 34 1,27 %<br />

Autres langues 76 3,06%<br />

Total 2670 100 %<br />

L’examen du corpus nous a également révélé deux surprises importantes :<br />

- <strong>La</strong> place relativement importante qu’occupe la production française : l’Index<br />

translationum n’accorde à la production française (toutes disciplines confondues) qu’une part<br />

modeste variant entre 12% (de 1980 à 1989) et 20% (de 200 à 2005) des ouvrages traduits<br />

en langue arabe, par rapport à une production anglaise dominante dont la part dans la<br />

© Transeuropéennes, Paris & Fondation du Roi Abdul Aziz, Casablanca - 2010<br />

12


<strong>traduction</strong> arabe oscille entre 54% (de 1980 à 1989) et 64% (de 2000 à 2005) 6 . Or, le corpus<br />

constitué à partir de la base de données de la Fondation, montre par contre que, dans le<br />

domaine précis de la <strong>traduction</strong> arabe des ouvrages de SHS, la production intellectuelle<br />

française (33,50% des titres traduits), constitue un réel concurrent de la production en<br />

anglais (48,50 % des titres traduits).<br />

Il serait difficile de tenter une explication du maintien de la production française et la<br />

concurrence qu’il fait à la langue anglaise dans le champ de la <strong>traduction</strong> arabe des SHS. Ce<br />

fait pourrait s’expliquer, en partie, par l’émergence relative du Maghreb dans le champ de la<br />

<strong>traduction</strong> arabe, dans le sens où la majorité des traducteurs maghrébins utilise les sources<br />

françaises aussi bien pour traduire les auteurs français que les auteurs non-français (les<br />

allemands ou les italiens par exemple). Ainsi lorsqu’on consulte la liste (voire tableau A dans<br />

les Annexes) des 16 auteurs les plus traduits (= 6 titres et plus) dans le monde arabe, au<br />

cours de la période étudiée (2000-2009), on constate que sept d’entre eux ont produit une<br />

œuvre en langue française : Ricœur, Bourdieu, Derrida, Blanché, Todorov, Malek Bennabi et<br />

Mohamed Arkoun. Par ailleurs, la plupart des textes de Nietzsche, Eco ou Habermas,<br />

surtout ceux publiés au Maghreb, sont traduits à partir des éditions françaises. Et si l’on<br />

excepte l’Egypte et les pays du Golfe, où l’anglais constitue la principale langue source, on<br />

constate, en effet, que la pensée française moderne et contemporaine est très présente dans<br />

le catalogue des <strong>traduction</strong>s publiées au Liban, en Syrie et au Maghreb. Par ailleurs, il faut<br />

noter que la répartition entre les deux principales langues sources (anglais et français) se<br />

vérifie à partir d’un échantillon plus réduit tel que celui offert par le catalogue de l’OAT.<br />

- Essor relatif des <strong>traduction</strong>s arabes des productions intellectuelles iraniennes : Le<br />

corpus montre, en effet, que le persan vient en troisième position parmi les langues sources<br />

(6% des titres traduits), après l’anglais et le français. Cela est dû notamment aux efforts<br />

déployés par les intellectuels chiitesarabes au Liban, pour faire connaître les travaux de<br />

philosophes et théologiens iraniens contemporains tels que A. Sourouch, M. Shabastari,<br />

Tabtaba’i, Al-Yazdi, Al-Wa’idhi, Bahchati, Mouttahri, ainsi que d’autres auteurs qui se sont<br />

imposés après la révolution iranienne, notamment les penseurs du courant dit réformiste.<br />

Les instituts et maisons d’édition shi’itse comme Dar al-Hadi (Beyrouth), le Centre de<br />

civilisation pour le développement de la pensée islamique qui publie la collection « Pensée<br />

iranienne contemporaine », jouent un rôle moteur dans la diffusion de cette nouvelle pensée<br />

iranienne dans le monde arabe. Par ailleurs, une réelle demande est suscitée par plusieurs<br />

6 Voir : Richard Jacquemond, « Les flux de <strong>traduction</strong>s entre le français et l’arabe depuis 1980 : un reflet des<br />

relations culturelles » in Translatio : le marché de la <strong>traduction</strong> en France à l’heure de la mondialisation,<br />

Paris : CNRS Editions, 2008, p. 354<br />

© Transeuropéennes, Paris & Fondation du Roi Abdul Aziz, Casablanca - 2010<br />

13


evues chiitesde bonne tenue intellectuelle qui contribuent à initier les lecteurs arabes aux<br />

grands débats politiques, intellectuels et théologiques qui animent la société iranienne.<br />

- Le peu d’intérêt accordé à l’Espagnol, l’Allemand, le Russe et aux langues de<br />

l’extrême-Orient : le corpus montre aussi la faible présence des autres langues<br />

européennes comme l’Allemand (112 titres) ; l’Espagnol (63 titres) ; le Russe (35 titres) ou<br />

l’Italien (24 titres). De même qu’il faut signaler le peu d’intérêt porté aux travaux de sciences<br />

sociales et humaines publiés en Turc, à l’exception des textes d’un penseur mystique comme<br />

Nawrassi, dont les <strong>traduction</strong>s arabes sont réalisées par les adeptes turcs de sa voie. C’est le<br />

cas aussi des travaux en hébreu qui, pour des raisons politiques, sont ignorés par les<br />

traducteurs arabes à l’exception de ceux traduits et publiés par des éditeurs palestiniens tels<br />

que le Centre d’études de la société arabe en Israël (Jérusalem) ou le Centre palestinien des<br />

études israéliennes (Madar) à Ramallah. Il faut signaler aussi les quelques rares textes de<br />

philosophie et de théologie traduits de l’ancien hébreu qui font partie du patrimoine andalou,<br />

et dont la <strong>traduction</strong> est assurée le plus souvent par des chercheurs marocains ou tunisiens.<br />

Quant à la <strong>traduction</strong> arabe des textes chinois ou japonais, on constate qu’elle est<br />

totalement absente des préoccupations des traducteurs arabes.<br />

- L’absence de <strong>traduction</strong>s arabes à partir des langues anciennes : Si on excepte<br />

quelques <strong>traduction</strong>s de l’hébreu médiéval, on peut considérer que la <strong>traduction</strong> des textes<br />

anciens (du syriaque, de l’araméen, du grec ou du latin) ne figure pas parmi les priorités des<br />

traducteurs arabes. Et quand bien même il y aurait des travaux dans ce sens réalisés par<br />

quelques uni<strong>vers</strong>itaires arabes, il serait difficile de les voir édités, compte-tenu de l’état<br />

d’indigence des éditions uni<strong>vers</strong>itaires dans le monde arabe. De même que ces textes ne<br />

pourraient pas retenir l’attention des éditeurs commerciaux à cause de leur caractère<br />

spécialisé qui les destine à des cercles restreints de lecteurs initiés.<br />

Pays<br />

Tableau 5 : répartition par langue d’origine et pays de publication<br />

de<br />

l’anglais<br />

du<br />

français<br />

du<br />

persan<br />

de<br />

l’espagnol<br />

de<br />

l’allemand<br />

du<br />

russe<br />

des<br />

autres<br />

langues<br />

Liban 317 214 103 2 24 4 20 684<br />

Egypte 318 85 11 22 8 3 24 471<br />

Syrie 181 129 14 3 13 21 11 372<br />

Maghreb 101 413 29 19 2 19 583<br />

Pays du<br />

Golfe<br />

Autres<br />

pays et<br />

régions<br />

253 15 4 11 3 8 293<br />

128 38 30 3 37 2 28 267<br />

Total<br />

© Transeuropéennes, Paris & Fondation du Roi Abdul Aziz, Casablanca - 2010<br />

14


Total 1298 894 158 63 112 35 110 2670<br />

Le tableau 5 relatif à la répartition par langue d’origine et pays de publication, illustre la<br />

géographie intellectuelle du mouvement de <strong>traduction</strong> arabe des SHS, montrant notamment<br />

le maintien de l’influence de la pensée française au Maghreb, au Liban et en Syrie. Il montre<br />

aussi la place centrale qu’occupe l’anglais comme langue source pour les <strong>traduction</strong>s publiées<br />

en Egypte et dans les pays du Golfe. Un petit foyer de russe survit en Syrie grâce notamment<br />

aux intellectuels qui se sont formés dans les uni<strong>vers</strong>ités de la Russie soviétique au temps de<br />

la Guerre froide. Quant aux chiffres relatifs à l’allemand, ils sont à nuancer, notamment<br />

quand il s’agit de textes traduits et publiés au Maghreb, car il s’agit souvent d’une <strong>traduction</strong><br />

effectuée à partir de la <strong>vers</strong>ion française.<br />

6. Les champs disciplinaires traduits dans le monde arabe<br />

Quels sont les disciplines des sciences sociales et humaines les plus traduites dans le monde<br />

arabe <br />

Tableau 6 : répartition des <strong>traduction</strong>s par champ disciplinaire<br />

Disciplines Nombre d’ouvrages Pourcentage<br />

traduits<br />

Sociologie -<br />

452 17,00%<br />

anthropologie<br />

Histoire 431 16,14%<br />

Sciences politiques 355 13,30%<br />

Etudes littéraires et<br />

295 11,00%<br />

linguistique<br />

Philosophie 284 10,50%<br />

Religion / Islam 200 7,50%<br />

Economie 112 4,00%<br />

Beaux-arts 82 3,00%<br />

Histoire et<br />

64 2,50%<br />

épistémologie des<br />

Sciences<br />

Education 63 2,50%<br />

Géographie 55 2,10%<br />

Droit 51 2,00%<br />

Généralités 49 2,00%<br />

Psychologie 49 2,00%<br />

Administration 37 1,30%<br />

Religion /<br />

27 1,00%<br />

Christianisme<br />

Religions comparées 24 0,90%<br />

Criminologie 12 0,45%<br />

Religion / Judaïsme 8 0,31%<br />

Commerce 7 0,25%<br />

© Transeuropéennes, Paris & Fondation du Roi Abdul Aziz, Casablanca - 2010<br />

15


Traditions populaires 7 0,25%<br />

Total 2670 100%<br />

L’examen du corpus suivant le classement Dewey réalisé par les services documentaire de la<br />

Fondation, permet d’avancer les constats suivants :<br />

- <strong>La</strong> <strong>traduction</strong> comme complément à la recherche en langue arabe : Si on excepte la<br />

philosophie, les champs disciplinaires qui retiennent l’attention des traducteurs et éditeurs<br />

arabes, sont ceux qui connaissent, par ailleurs, une réelle production en langue arabe.<br />

Autrement dit, la <strong>traduction</strong> sert ici comme complément et appui à ce qui se fait en langue<br />

arabe. Ainsi près de 75,5 % des <strong>traduction</strong>s arabes portent sur six grands champs<br />

disciplinaires. Il s’agit des études des faits sociaux (17%) ; de l’histoire (16,14%) ; des<br />

ouvrages de politologie (13,30) ; des études littéraires et linguistiques (11%) ; de la<br />

philosophie (10%) et des études sur l’islam en tant que religion et civilisation (7,50%). De tels<br />

choix correspondent, en effet, aux thématiques dominantes dans les champs intellectuels et<br />

éditoriaux arabes où les études littéraires, religieuses, politiques et historiques constituent<br />

plus des deux tiers de la production en langue arabe.<br />

- L’étude des faits sociaux : Les ouvrages recensés dans cette rubrique correspondent<br />

en partie seulement à l’approche sociologique ou anthropologique telle qu’elle est reconnue<br />

sur le plan académique. En effet, de nombreux ouvrages traduits représentent des manuels<br />

d’introduction aux sciences sociales et à leur méthodologie. On recense aussi dans cette<br />

rubrique di<strong>vers</strong>es études sur la culture et les valeurs (culture populaire ou savante) ; la<br />

femme et les recherches sur le genre ; les travaux sur la modernité et postmodernité ; ceux<br />

sur la société civile, les médias et la communication ou la psychologie sociale, etc.<br />

- L’histoire et les enjeux des historiographies nationales : Il n’est pas étonnant que<br />

l’histoire vienne en seconde position (16,14 %) parmi les priorités des traducteurs arabes. Il<br />

s’agit majoritairement d’ouvrages relatifs à l’histoire générale du monde arabo-islamique,<br />

mais surtout les histoires nationales qui intéressent les traducteurs et éditeurs arabes. Que<br />

ce soit en Egypte, dans les pays du Golfe ou au Maghreb, les ouvrages d’histoire traduits<br />

correspondent généralement aux stratégies de construction du récit national. L’Arabie<br />

saoudite et les autres pays du Golfe, par exemple, privilégient la littérature de voyage qui<br />

met en valeur leur patrimoine culturel et géographique, alors que l’Egypte met l’accent sur<br />

les ouvrages d’égyptologie qui dévoilent les richesses de la civilisation égyptienne ancienne<br />

parallèlement aux ouvrages sur l’Egypte médiévale et celle de la Nahda. Au Maghreb,<br />

l’Algérie poursuit l’entreprise de reconstitution de l’histoire de la phase coloniale et celle de<br />

la guerre de libération nationale, tandis que le Maroc, privilégie les sujets pointus que<br />

© Transeuropéennes, Paris & Fondation du Roi Abdul Aziz, Casablanca - 2010<br />

16


l’historiographie nationale ne développe pas encore suffisamment (les recherches<br />

archéologiques, l’histoire des minorités, l’histoire des faits urbains, l’histoire des faits socioéconomiques,<br />

etc.)<br />

- Les études politiques : Parallèlement à un noyau d’écrits théoriques comprenant<br />

quelques textes classique de pensée politique (<strong>La</strong> Boétie, Spinoza, Rousseau ou Arendt), on<br />

recense dans cette rubrique des ouvrages traitant des questions brûlantes pour le monde<br />

arabe : la dictature, l’autoritarisme et la démocratie ; l’Etat et le pouvoir politique ; l’islam<br />

politique et le terrorisme ; les di<strong>vers</strong> conflits armés dans la région du Moyen-Orient ; la<br />

politique américaine dans la région ; la mondialisation, etc.<br />

- Les études littéraires et les travaux sur la langue : Compte tenu de l’importance<br />

considérable des études littéraires dans le champ intellectuel et éditorial arabe, il est normal<br />

qu’une part importante des <strong>traduction</strong>s soit consacrée aux travaux théoriques et<br />

méthodologiques, aussi bien en littérature qu’en linguistique. Il s’agit généralement de<br />

théories de critique littéraire, de travaux sur le roman et les techniques romanesques, ainsi<br />

que les di<strong>vers</strong>es recherches en linguistiques émanant notamment de l’école française.<br />

- Philosophie : retour aux sources : Parmi les quelque 300 ouvrages de philosophie<br />

traduits et publiés au cours de la dernière décennie (2000-2009), on relève un grand nombre<br />

de textes classiques de la philosophie occidentale moderne de Descartes à Rawls. On<br />

constate, cependant, que les traducteurs et éditeurs n’accordent que très peu d’intérêt à la<br />

philosophie antique et médiévale. On ne recense en effet que quatre <strong>traduction</strong>s de Platon<br />

et Aristote, et quelques textes de Saint Augustin. Par ailleurs, les œuvres des grands<br />

philosophes modernes sont toujours traduites de façon partielle et aucun éditeur arabe<br />

public ou privé n’a développé des programmes de <strong>traduction</strong> des œuvres complètes de tel<br />

ou tel philosophe. Le corpus étudié permet également de voir que la <strong>traduction</strong> de certains<br />

grands textes philosophiques contemporains comme ceux de Husserl, de Russell, de Ricoeur<br />

ou de Rawls, ne sont pas accompagnés par des livres de vulgarisation susceptibles d’en<br />

faciliter l’accès pour le public cultivé.<br />

- Une ouverture sur l’islamologie iranienne : <strong>La</strong> grande partie des ouvrages traduits et<br />

qui portent sur l’islam, sont l’œuvre de théologiens iraniens contemporains. Plusieurs<br />

facteurs contribuent à l’émergence de ce phénomène nouveau dans le champ intellectuel<br />

arabe. En effet, si les lecteurs arabes étaient familiers des traités théologiques chiites<br />

classiques dont la plupart étaient rédigés directement en arabe ou traduits <strong>vers</strong> l’arabe par<br />

les Iraniens, l’élément nouveau réside dans la montée d’une réelle demande arabe pour les<br />

traités du nouveau kalam (théologie nouvelle) développé en Iran au cours des trois dernières<br />

décennies dans le cadre des débats politico-théologiques entre conservateurs et<br />

© Transeuropéennes, Paris & Fondation du Roi Abdul Aziz, Casablanca - 2010<br />

17


éformateurs. Une telle demande s’explique, en grande partie, par les carences profondes<br />

qui caractérisent la pensée e théologique dans le monde sunnite arabe contemporain. Par<br />

ailleurs, l’activisme des maisons d’édition chiites, comme Dar al-Hadi, ainsi que le travail de<br />

vulgarisation élaborée qu’assurent les revues chiites de langue arabe, contribuent à susciter<br />

une telle demande auprès d’un public cultivé désireux d’approfondir sa connaissance de la<br />

pensée islamique et las des fatwas et discours des fuqaha sunnites sur le licite et l’illicite.<br />

Outre les traités iraniens de pensée religieuse sont traduits également quelques grands<br />

classiques de l’orientalisme allemand (travaux de Th. Nöldeke, A.-M. Schimmel ou J. Van<br />

Ess), ainsi que les ouvrages d’orientalistes anglais, américains ou espagnols.<br />

- Disciplines mineures : Les champs du savoir où la production intellectuelle reste faible<br />

sont également ceux où l’effort de <strong>traduction</strong> est marginal. C’est le cas notamment des<br />

études économiques, les arts et la théorie de l’art, l’étude des autres religions et l’éducation.<br />

Compte tenu de l’audience dont jouissent les textes religieux auprès du lectorat arabe et<br />

leur part importante dans la production éditoriale en langue arabe, on pouvait s’attendre à<br />

un plus grand intérêt pour les études étrangères sur les faits religieux en général, les<br />

recherches modernes en matière d’étude des religions comparées ou plus particulièrement<br />

les travaux sur les deux autres traditions monothéistes, le christianisme et le judaïsme. Or,<br />

dans les faits, on constate très peu de curiosité à l’égard des autres traditions religieuses, en<br />

raison notamment de la nature des systèmes éducatifs et des modes de socialisation<br />

religieuse pratiqués dans les sociétés arabes. Le cas du droit est particulier dans le sens où<br />

chaque pays produit ses traités juridiques dans sa propre langue, même si les codes et<br />

systèmes juridiques en vigueur dans la majorité des pays arabes s’inspirent des systèmes<br />

juridiques européens.<br />

7. Les auteurs dont les ouvrages sont les plus traduits en langue arabe<br />

<strong>La</strong> liste des auteurs dont les œuvres sont les plus traduites en langue arabe au cours de la<br />

dernière décennie (voire Annexes : tableau A), est assez représentative des grandes<br />

tendances qui tra<strong>vers</strong>ent le mouvement de <strong>traduction</strong> des sciences humaines et sociales dans<br />

le monde arabe.<br />

Noam Chomsky et Edward Saïd : deux penseurs emblématiques : Deux auteurs<br />

contemporains de langue anglaise sont en tête des penseurs les plus traduits en arabe au<br />

cours de la dernière décennie. Le premier est un linguiste américain, le second est un<br />

théoricien de la littérature, américain d’origine palestinienne. Leur renommée mondiale<br />

n’explique pas à elle seule leur succès dans le monde arabe. C’est en fait la dimension<br />

politique de leur pensée qui séduit les traducteurs et les lecteurs arabes. Leur critique<br />

© Transeuropéennes, Paris & Fondation du Roi Abdul Aziz, Casablanca - 2010<br />

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adicale de l’impérialisme occidental et surtout de la politique américaine, conjugué à leur<br />

soutien au peuple palestinien dans sa lutte contre la domination israélienne, contribuent au<br />

succès de leurs livres auprès des lecteurs arabes. Aussi cela explique que 17 des 18 titres de<br />

Chomsky traduits entre 2000 et 2009, sont des livres politiques ne relevant pas du domaine<br />

initial de sa spécialisation, à savoir la linguistique. Quant à l’œuvre d’Edward Saïd, elle est tant<br />

appréciée dans le monde arabe que certain de ses ouvrages ont connu plusieurs <strong>traduction</strong>s<br />

aussi bien au Machreq qu’au Maghreb. C’est le cas notamment de son livre Covering Islam ou<br />

son texte autobiographique, Out of Place.<br />

A la recherche d’une nouvelle pensée islamique : après plus deux décennies de<br />

discours islamiste à caractère apologétique, le champ intellectuel et éditorial arabe semble<br />

rechercher de nouvelles approches du fait religieux. Cela se reflète dans le succès éditorial<br />

que connaissent les <strong>traduction</strong>s arabes de deux catégories d’ouvrages : d’un côté, les textes<br />

de penseurs iraniens qui renouvellent le questionnement théologique à partir d’une<br />

fécondation de la pensée religieuse chiite en s’appuyant sur les acquis de l’herméneutique<br />

moderne ; et d’un autre côté, la <strong>traduction</strong> des œuvres maîtresses de l’orientalisme allemand<br />

comme le livre de Théodore Nöldeke sur le Coran ou l’œuvre de Joseph Van Ess sur la<br />

formation de la théologie musulmane, ainsi que les travaux de Annemarie Schimmel sur la<br />

mystique musulmane. D’autres travaux des orientalistes anglais, américains 7 et espagnols, sur<br />

le fait coranique, l’expérience du Prophète, la guerre juste ou le droit musulman,<br />

apparaissent en arabe plusieurs décennies après leur publication. Quant à l’orientalisme<br />

français, il semble perdre du terrain dans l’environnement intellectuel arabe, si on excepte<br />

quelques rares <strong>traduction</strong>s nouvelles de l’œuvre classique de Louis Massignon sur le<br />

mystique de Baghdad, Hallaj, et les travaux de Henry Corbin sur Ibn Arabi et l’Islam iranien.<br />

Par ailleurs, les nouveaux représentants de l’islamologie française, comme Malek Chabel, ne<br />

retiennent pas l’attention des traducteurs et auteurs arabes 8 , malgré l’accueil favorable qui<br />

leur est fait par le public français. Il faut signaler aussi l’intérêt régulier pour les auteurs<br />

travaillant sur le fait islamique moderne comme Fred Halliday (5 titres), John Esposito (5<br />

titres) Olivier Roy (3 titres), Gilles Kepel (2 titres) ou Roy Mottahedeh, auteur américain<br />

d’origine iranienne (3 titres).<br />

A signaler aussi la place singulière qu’occupent deux auteurs musulmans non arabes :<br />

Mohamed Iqbal dont le fameux livre sur la Reconstruction de la pensée islamique est<br />

7 Il faut signaler que malgré la critique massive à laquelle a été soumise son œuvre, l’orientaliste américain<br />

Bernard Lewis continue à être régulièrement traduit. Aussi la décennie 2000-2009 a connu la <strong>traduction</strong> de huit de<br />

ses ouvrages.<br />

8 Un seule ouvrage de Malek Chebel a été traduit au cours de la décennie écoulée : L’Esprit de Sérail : per<strong>vers</strong>ions<br />

et marginalité sexuelles au Maghreb, paru aux Editions Afrique – Orient à Casablanca en 2007.<br />

© Transeuropéennes, Paris & Fondation du Roi Abdul Aziz, Casablanca - 2010<br />

19


égulièrement traduit ; et le penseur mystique turc, Said Nawrassi, dont les textes sont<br />

traduits par ses disciples en Turquie et diffusés dans le monde arabe.<br />

Réappropriation des auteurs d’origine arabe : L’engouement pour les nouvelles<br />

approches des faits religieux s’illustre également par l’intérêt porté aux auteurs d’origine<br />

arabe qui publient dans des langues étrangères. C’est le cas du promoteur de l’islamologie<br />

appliquée, Mohamed Arkoun, dont les livres sont systématiquement traduits en arabe. C’est<br />

aussi le cas de Wael Hallaq, spécialiste du droit musulman ; des psychanalystes Moustapha<br />

Safouan ou Fethi Benslama ; de l’anthropologue Abdellah Hammoudi, de l’économiste Samir<br />

Amin, et des penseurs Hicham Sharabi et Georges Corm.<br />

C’est aussi dans ce même cadre que s’inscrit le retour <strong>vers</strong> l’œuvre du penseur algérien<br />

Malek Bennabi, œuvre publiée en français et qui fut longtemps ignorée, avant qu’elle ne soit<br />

ressuscitée par une partie des intellectuels islamistes algériens qui, en plein guerre civile,<br />

voyait en Bennabi le penseur d’une voie algérienne en rupture avec le modernisme<br />

postcolonial et le radicalisme islamiste importé du Moyen-Orient.<br />

Il faut noter que cette tendance à se réapproprier des travaux de chercheurs arabes écrivant<br />

dans des langues étrangères par la voie de la <strong>traduction</strong> ne concerne pas seulement les<br />

grands intellectuels de renommée internationale. Des dizaines de <strong>traduction</strong>s d’ouvrages<br />

d’histoire, de politologie, de sociologie ou d’anthropologie ont été publiées notamment au<br />

Maghreb, dans le but de permettre l’accès aux travaux de chercheurs nationaux formés dans<br />

les uni<strong>vers</strong>ités étrangères.<br />

Attractivité continue de la pensée française contemporaine : Au moment où la<br />

tendance en Europe, est à la critique et au dépassement de la pensée française notamment<br />

celle des années 1970, la fascination des intellectuels arabes pour cette pensée ne paraît pas<br />

faiblir. En effet, on a continué dans la décennie 2000 à traduire des philosophes français<br />

comme Paul Ricoeur, Jacques Derrida, Tzvetan Todorov, Gilles Deuleuze, Michel Foucault,<br />

Jean Baudrillard, Edgar Morin, Marcel Gauchet, René Girard. Sont traduits aussi des livres de<br />

philosophes français de la génération précédente comme Maurice Merleau-Ponty, Jean-Paul<br />

Sartre, Gaston Bachelard, Ferdinand Alquié, Alexandre Koyré, Henri Bergson…<br />

Dans le domaine de la sociologie – anthropologie, les travaux de Pierre Bourdieu (7 titres)<br />

continuent à exercer une réelle influence dans le champ intellectuel arabe. On poursuit aussi<br />

la <strong>traduction</strong> de l’œuvre de Claude Lévi-Strauss (3 titres) et la découverte de la sociologie de<br />

Raymond Boudon (3 titres). Par contre, les intellectuels arabes qui, majoritairement, ont été<br />

formés dans un uni<strong>vers</strong> idéologique marxisant d’avant la fin de la guerre froide, semblent<br />

© Transeuropéennes, Paris & Fondation du Roi Abdul Aziz, Casablanca - 2010<br />

20


ignorer l’œuvre de Raymond Aron 9 ainsi que la pensée sociologique et la philosophie de<br />

l’histoire auxquelles il se réfère.<br />

<strong>La</strong> découverte des œuvres de Fernand Braudel commencée une décennie auparavant, se<br />

poursuit avec la <strong>traduction</strong> des trois volumes de L’identité française (Le Caire) ; et la sortie<br />

d’une nouvelle <strong>traduction</strong> de Grammaire des civilisations chez l’Organisation arabe de<br />

<strong>traduction</strong> (Beyrouth) ; ainsi qu’un court texte intitulé <strong>La</strong> dynamique du capitalisme<br />

(Beyrouth, Dar al-Kitab al-jadid). De même a été traduit récemment le livre de François<br />

Dosse, « L’histoire en miettes » qui réécrit l’histoire de l’école française depuis les « Annales »<br />

jusqu’à à la « Nouvelle histoire ».<br />

Mais si l’intérêt à la fois tardif et massif porté à l’œuvre de Paul Ricoeur (12 titres) peut<br />

étonner l’observateur de l’environnement intellectuel arabe, il est aussi étonnent<br />

l’indifférence total que manifestent jusque là les traducteurs et éditeurs arabes l’égard des<br />

œuvres de grands penseurs français contemporains comme Maurice Blanchot, Claude Lefort,<br />

Emmanuel Levinas, Eric Weil, Michel de Certeau, Gilles-Gaston Granger, Vladimir<br />

Jankélévitch, Michel Serres, Jean Wahl, Philippe <strong>La</strong>coue-<strong>La</strong>barthe, Jean-Luc Nancy ou Alain<br />

Badiou...<br />

Le retour aux classiques : Pendant longtemps, les différents chercheurs arabes qui se sont<br />

intéressés au devenir de la <strong>traduction</strong> arabe et le rôle qu’elle pourrait jouer dans<br />

l’émergence d’une pensée moderne, avaient insisté sur la nécessité et l’urgence de traduire<br />

les grandes œuvres classiques de la pensée occidentale moderne. Mais compte tenu de<br />

l’effort scientifique, éditorial et financier qu’exige une telle entreprise, de telles<br />

recommandations sont restées des vœux pieux. Par ailleurs, les efforts de <strong>traduction</strong> des<br />

œuvres de la pensée moderne étaient chaotiques et ne produisaient que des résultats très<br />

modestes. <strong>La</strong> création de l’Organisation arabe de <strong>traduction</strong> à Beyrouth, à l’aube du XXI e<br />

siècle, a apporté le début de réponse à une question lancinante : que traduire et comment <br />

Au cours de la décennie écoulée, ont été éditées ou rééditées des œuvres majeurs de la<br />

pensée occidentale moderne qui sont apparues entre le XVII e et le XX e siècle. C’est ainsi<br />

qu’a été réédité la <strong>traduction</strong> de l’œuvre maîtresse de Descartes Discours de la méthode, et<br />

éditée, pour la première fois, une <strong>vers</strong>ion arabe de L’éthique ainsi qu’une nouvelle <strong>traduction</strong><br />

du Traité théologico-politique de Spinoza. De même qu’ont été éditées de nouvelles<br />

<strong>traduction</strong>s des Discours de la servitude volontaire (Etienne de <strong>La</strong> Boétie) ; Discours de<br />

métaphysique de Leibniz ; Enquête sur l’entendement humain (David Hume) ; Critique de la<br />

raison pratique et Critique de la faculté de juger (Kant) ; Discours sur l'origine et les fondements de<br />

9 Le corpus ne signale aucune <strong>traduction</strong> d’un des travaux de Raymond Aron au cours de la décennie étudiée (2000<br />

-2009).<br />

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21


l'inégalité parmi les hommes (Jean-Jacques Rousseau) ; <strong>La</strong> phénoménologie de l’esprit de Hegel,<br />

ainsi que des textes de Voltaire ou John Stuart Mill. De nombreuses œuvres philosophiques<br />

importantes du XX e siècle ont été aussi traduites ou retraduites au cours de la dernière<br />

décennie. Signalons à titre d’exemples l’œuvre majeure de Husserl <strong>La</strong> crises des sciences<br />

européennes et la phénoménologie transcendantale; celle de Gadamer L’art de comprendre :<br />

herméneutique et tradition philosophique ; Wittgenstein Philosophical investigations; Popper <strong>La</strong><br />

logique de la découverte scientifique ou le célèbre livre de Arendt On Revolution. Du côté<br />

anglo-américain, citons la re<strong>traduction</strong> du livre de Kuhn <strong>La</strong> structure des révolutions<br />

scientifiques ; de Russell The Impact of Science on Society, ainsi que le lancement de la<br />

<strong>traduction</strong> d’un auteur majeur comme Rawls avec la parution des <strong>vers</strong>ions arabes de deux de<br />

ses textes, <strong>La</strong> justice comme équité : une reformulation de la théorie de la justice et Le droit des<br />

gens. De même qu’a été traduite l’œuvre principale du philosophe pragmatiste américain<br />

Rorty, Philosophy and the Mirror of nature, ainsi que le livre de Sandel Liberalism and the Limits<br />

od Justice.<br />

<strong>La</strong> priorité a été accordée aux œuvres de référence dans les autres domaines des sciences<br />

sociales et humaines avec la <strong>traduction</strong> d’historiens comme Hobsbawm ou Le Goff,<br />

d’anthropologues comme Geertz, Gellner, Goody ou Louis Dument, d’économistes comme<br />

Polanyi. Il en est de même dans d’autres champs comme la théorie du langage ou la<br />

sociologie.<br />

8. Ebauches d’une structuration de l’entreprise de <strong>traduction</strong><br />

L’approche inaugurée par l’Organisation arabe de la <strong>traduction</strong> suppose la mise sur pied de<br />

structures professionnelles dotées d’une administration qui gère les relations avec les<br />

traducteurs et les éditeurs propriétaires des droits. Elle exige des comités scientifiques<br />

chargés de la sélection et du contrôle des <strong>traduction</strong>s ; de la définition de la stratégie et des<br />

priorités en matière de <strong>traduction</strong>. De même, elle nécessite un travail éditorial et<br />

documentaire professionnel susceptible de garantir pour chaque <strong>traduction</strong> une<br />

introduction, une information bibliographique adéquate, un glossaire des concepts et termes<br />

techniques, etc. Mais comme la <strong>traduction</strong> professionnelle est coûteuse, une telle démarche<br />

suppose l’existence d’aides financières publiques ou privées, destinées à soutenir les projets<br />

scientifique et intellectuels ambitieux.<br />

- Aides à la <strong>traduction</strong> : L’examen matériel des <strong>traduction</strong>s publiées au cours de la<br />

dernière décennie (2000-2009) montre, en effet, que les projets importants par leur ampleur<br />

(nombre de titres traduits), la qualité du travail réalisé (le choix des textes, le contrôle de la<br />

<strong>traduction</strong> et la qualité du produit éditorial) sont généralement ceux qui bénéficient de<br />

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22


financements venant de fonds d’aide à la <strong>traduction</strong>. On note parmi les plus importants fonds<br />

et programmes, les organismes suivants :<br />

- Le projet « Tarjam » géré par la Fondation Mohamed Ben Rached Al-Maktoum : ont<br />

bénéficié de l’aide de ce fonds plusieurs <strong>traduction</strong>s dans différents pays arabes, mais pour ce<br />

qui est des <strong>traduction</strong>s en sciences sociales et humaines, l’OAT reste, sans doute, le principal<br />

bénéficiaire. D’autres éditeurs moins actifs dans le domaine de la <strong>traduction</strong> comme Arab<br />

Scientific Publishers (Beyrouth) qui a publié une série de <strong>traduction</strong>s en partenariat avec les<br />

Editions El-Ikhtilaf (Alger) ; Dar Al-Farabi (Beyrouth) ; Fondation Orient/Occident (Dubaï) ou les<br />

Editions Toubkal (Casablanca), ont aussi reçu l’aide du projet « Tarjam ».<br />

- Le projet « Kalima » de l’Organisation d’Abou Dhabi pour la culture et le<br />

patrimoine, a également soutenu plusieurs <strong>traduction</strong>s publiées par des éditeurs arabes<br />

privés, notamment au Liban.<br />

- Le grand « Projet national de <strong>traduction</strong> » qui dépend du Conseil supérieur de la<br />

culture en Egypte avant qu’il ne se transforme en Centre national de <strong>traduction</strong>. Ce<br />

denier bénéficie de subventions publiques et poursuit une politique de <strong>traduction</strong> d’ouvrages<br />

couvrant les différents domaines de la connaissance, en accordant un intérêt particulier aux<br />

textes portant sur l’Egypte.<br />

- Le Conseil national pour la culture, les arts et les lettres (Kowait) poursuit une<br />

politique de <strong>traduction</strong> dans différents domaines du savoir, y compris les SHS. Sa collection<br />

« ‘Alam al-ma’rifa » (Le Monde du savoir) contribue à la vulgarisation des savoirs et connaît<br />

une large diffusion à tra<strong>vers</strong> le monde arabe.<br />

- <strong>La</strong> Fondation Abdelhamid Shoman (Amman) a aussi soutenu un certain nombre de<br />

<strong>traduction</strong>s publiées notamment chez l’OAT.<br />

- En Algérie, ont été publiés au cours des dernières années plusieurs textes français<br />

d’auteurs algériens ou étrangers traitant de l’histoire de la colonisation française, du<br />

mouvement de libération nationale et de la culture et la société algériennes. A l’occasion de<br />

la célébration en 2007 de « Alger : capitale de la culture arabe » a permis à plusieurs<br />

éditeurs algériens de bénéficier d’une aide à la <strong>traduction</strong> et la publication. L’Institut<br />

Supérieur Arabe de Traduction qui vient d’être créé, entame ses activités avec la<br />

publication d’un recueil de textes d’Alexis de Tocqueville intitulé Textes sur l’Algérie :<br />

philosophie de la colonisation. Mais il faut souligner que la grande partie des <strong>traduction</strong>s éditées<br />

à cette occasion concernent la littérature algérienne d’expression française.<br />

- En Arabie Saoudite, plusieurs organismes publics mènent une politique d’aide à la<br />

<strong>traduction</strong>. C’est le cas de l’Institut de l’Administration publique (Riyad), la<br />

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23


Bibliothèque publique du Roi Abbdul-Aziz (Riyad) qui décerne aussi le Prix international<br />

du Serviteur des deux lieux saints pour la <strong>traduction</strong>, et la Darat du Roi Abdul-Aziz,<br />

spécialisée dans l’histoire et le patrimoine du royaume d’Arabie, la Bibliothèque du Roi<br />

Fahd qui fait fonction de bibliothèque nationale, ainsi que l’Uni<strong>vers</strong>ité Mohamed Ibn<br />

Saoud (Riyad).<br />

- En Tunisie, le Centre national de <strong>traduction</strong> qui a été créé récemment a publié très<br />

peu de <strong>traduction</strong>s en SHS, en comparaison avec le nombre de ses publications littéraires<br />

(romans). Par ailleurs, Beït Al-Kihma (Carthage) contribue au financement de quelques<br />

<strong>traduction</strong>s et à leur publication, tel le Grand commentaire d’Averroès sur le Traité de l’âme<br />

d’Aristote qui a été traduit du latin.<br />

- Au Maroc, les aides à la <strong>traduction</strong> sont très limitées et non-systématiques. Elles<br />

proviennent du Ministère de la culture, des Fondations et des Services culturels des<br />

ambassades de France et d’Espagne.<br />

- Le ministère des Affaires extérieurs français, aide, à tra<strong>vers</strong> les services culturels des<br />

ambassades et les centres de recherche français installés dans le monde arabe, à la<br />

<strong>traduction</strong> et publication d’ouvrages français en sciences humaines et sociales. C’est le cas au<br />

Liban, au Maroc et au Yémen.<br />

9. Vers une professionnalisation du travail de <strong>traduction</strong> chez les grands<br />

éditeurs arabes<br />

Plusieurs indices montrent que le secteur de la <strong>traduction</strong>, surtout celle relative aux SHS qui<br />

nous intéresse ici, connaît les prémices d’une évolution <strong>vers</strong> une professionnalisation, qui<br />

avait, pendant longtemps fait défaut aux éditeurs arabes. Citons ici certains indicateurs parmi<br />

les plus importants :<br />

- Le début d’une prise de conscience de l’importance du travail de <strong>traduction</strong> et de<br />

circulation des savoirs dans les domaines des sciences humaines et sociales, notamment par<br />

les pouvoirs publics et les mécènes, comme en témoigne l’émergence de fonds et de<br />

programmes d’aide à la <strong>traduction</strong>.<br />

- L’émergence de grands éditeurs spécialisés comme le Centre national de <strong>traduction</strong> (Le<br />

Caire) ; l’Organisation arabe de Traduction, ainsi que des organismes et centres publics au<br />

Machreq et au Maghreb. Par ailleurs, les grands éditeurs privés, notamment au Liban,<br />

saisissent l’opportunité offerte par les financements arabes pour lancer d’ambitieux projets<br />

de <strong>traduction</strong>. C’est le cas de Dar Al-Madar al-Islami, Arab Network for Research and Publishing,<br />

Dar Al-Kitab al-Jadid, Arab Scientific Publishers à Beyrouth, Al-Kamel Verlag à Cologne, Dar<br />

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24


Kanaan à Damas ou Dar Ouya à Tripoli (Lybie). Cette catégorie d’éditeurs dispose de<br />

moyens matériels et humains qui leur permettent d’acheter les droits pour l’édition arabe,<br />

de s’attaquer aux grands textes et de se payer les services de traducteurs et réviseurs<br />

qualifiés et professionnels. Ainsi, comme le montre le tableau D en annexes, il y a très peu<br />

de doubles <strong>traduction</strong>s, contrairement à ce que laissaient croire de nombreux articles et<br />

études sur l’état de la <strong>traduction</strong> dans le monde arabe.<br />

- <strong>La</strong> publication de <strong>traduction</strong>s accompagnées d’un appareil critique : Outre le fait que<br />

beaucoup de <strong>traduction</strong>s sont soumises à une révision, les textes sont précédés d’une<br />

introduction présentant l’ouvrage et son auteur ainsi que l’édition (s) source utilisée(s)<br />

utilisée par le traducteur. De même qu’ils sont de plus en plus fluides, équipés de glossaires<br />

des concepts et termes techniques avec leurs équivalents arabes et de bibliographie. Cette<br />

pratique scientifique et éditoriale est, certes, propres à quelques grands éditeurs, mais cela<br />

introduit de nouvelle normes dans le champ éditorial arabe qui pourraient se généraliser<br />

progressivement.<br />

- <strong>La</strong> <strong>traduction</strong> de textes intermédiaires : au fur et à mesure que se développe la<br />

<strong>traduction</strong> des grands textes classiques et fondamentaux, le besoin de textes intermédiaires<br />

à la fois savants, courts et au style lisible pour le large public cultivé, se fait sentir. Certains<br />

éditeurs arabes essayent d’investir ce créneau. C’est encore très timide, mais l’exemple de la<br />

collection « Textes » publiée par Dar al-Kitab al-Jadid ou la collection « Tariq al-ma’rifa »<br />

(« Voie de la connaissance ») éditée par Magd - l’Institut uni<strong>vers</strong>itaire d’études, d’édition et de<br />

diffusion, ainsi que la collection « Miroirs de la culture moderne » chez Dar Kanaan,<br />

constituent des premiers pas sur la voie de la vulgarisation des SHS.<br />

10. En guise de conclusion<br />

L’effort de <strong>traduction</strong> des ouvrages de SHS déployé par les éditeurs arabes au cours de la<br />

décennie 2000-2009 est loin de répondre aux besoins en terme de transfert des savoirs<br />

nouveaux, d’appropriation des grands textes classiques et de vulgarisation et diffusion de la<br />

culture moderne issue des recherches en SHS. Le volume des ouvrages traduits reste<br />

insuffisant (300 titres en moyenne par an selon les données du corpus), de même que la<br />

couverture des différents champs disciplinaires, écoles de pensée et auteurs, est encore loin<br />

d’être satisfaisante. L’absence de programme de <strong>traduction</strong> des œuvres complètes des<br />

auteurs majeurs, le nombre réduit des <strong>traduction</strong>s d’ouvrages de base comme les<br />

dictionnaires spécialisés, et la non-systématisation du recours aux traducteurs spécialisés et à<br />

la révision, font que le chemin soit encore long pour sortir réellement de la crise culturelle<br />

évoquée par plusieurs rapports sur le développement humain dans le monde arabe. Il faut<br />

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25


cependant souligner la dynamique que connaît ce secteur, depuis quelques années, est bien<br />

réelle comme l’illustrent les éléments présentés dans ce rapport.<br />

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26


Annexes<br />

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27


Tableau A : les auteurs les plus traduits (2000- 2009)<br />

Auteur<br />

<strong>La</strong>ngue originale<br />

de l’auteur<br />

<strong>La</strong>ngues à<br />

partir de<br />

laquelle il est<br />

traduit<br />

Nombre de<br />

titres<br />

traduits<br />

Noam Chomsky Anglais Anglais 18<br />

Edward Said Anglais Anglais 14<br />

Friedrich Nietzsche Allemand Français, anglais<br />

et rarement de<br />

l’allemand<br />

12<br />

Paul Ricœur Français Français 12<br />

Pierre Bourdieu Français Français 8<br />

Bernard Lewis Anglais Anglais 8<br />

Malek Bennabi Français Français 7<br />

Jacques Derrida Français Français 7<br />

Umberto Eco Italien Français et<br />

7<br />

anglais<br />

Bertrand Russell Anglais Anglais 7<br />

Jürgen Habermas Allemand Français, anglais<br />

et rarement de<br />

l’allemand<br />

6<br />

AbdolKarim<br />

Persan Persan 6<br />

Sourouch<br />

Tzvetan Todorov Français Français 6<br />

Robert Blanché Français Français 6<br />

Anthony Giddens Anglais Français 6<br />

Mohamed Arkoun Français Français 6<br />

Said Nawrassi Turc Turc 6<br />

28


Tableau B : Liste des principaux indices du Classement Dewey<br />

Indice<br />

Intitulé de l’indice<br />

000 Généralités<br />

100 Philosophie<br />

150 Psychologie<br />

200 Islam<br />

291 Religion comparée<br />

296 Judaïsme<br />

298 Christianisme<br />

300 Sociologie / anthropologie (étude des faits sociaux<br />

320 Science politique<br />

330 Economie<br />

340 Droit<br />

351 Administration publique<br />

360 Services sociaux / associations<br />

364 Criminologie<br />

370 Education<br />

380 Commerce, communication, transports<br />

390 Coutumes, folklore<br />

400 <strong>La</strong>ngues<br />

500 Sciences naturelles et mathématiques<br />

700 Arts<br />

800 Etudes littéraires<br />

900 Histoire<br />

910 Géographie<br />

29


Tableau C : Répartition des <strong>traduction</strong>s par langue source et par champ disciplinaire (Classement Dewey)<br />

<strong>La</strong>ngu<br />

e<br />

source<br />

000 100 150 200 291 296 298 300 320 330 340 351 360 364 370 380 390 400 500 700 800 900 910 Tota<br />

l<br />

Anglais 33 79 26 70 10 4 10 230 199 88 20 35 14 4 26 4 4 56 45 42 83 187 29<br />

Français 10 134 17 30 5 9 153 102 23 25 2 4 8 33 1 3 46 14 29 66 165 15<br />

Persan 27 3 76 1 13 19 2 3 1 5 8<br />

Espagnol 2 19 5 3 1 5 8 17 3<br />

Allemand 2 39 2 9 4 3 13 6 1 1 4 3 1 10 13 1<br />

Russe 2 1 1 1 3 3 1 1 2 2 3 15<br />

Hébreu 1 2 4 1 2 18 1 5<br />

Italien 1 1 1 2 3 1 1 3 10 1<br />

Turc 1 8 1 2 1 2 4 3<br />

Portugais 1 1 2<br />

Berbère 1<br />

Grec 3 1 1<br />

<strong>La</strong>tin 1 1<br />

Urdu 1 1<br />

Hongrois 1 1<br />

Syriaque 2<br />

Akkadien 1<br />

Araméen 1<br />

Bulgare 1<br />

Chinois 1<br />

1298<br />

894<br />

158<br />

63<br />

112<br />

35<br />

34<br />

24<br />

22<br />

4<br />

1<br />

5<br />

2<br />

2<br />

2<br />

2<br />

1<br />

1<br />

1<br />

1<br />

30


Tchèque 1<br />

Danois 1<br />

Japonais 1<br />

Kurde 1<br />

Polonais 1<br />

Slovaque 1<br />

Sumérien 1<br />

Suédois 1<br />

Total 49 284 49 200 24 8 27 440 356 112 51 37 18 12 63 7 7 111 64 82 184 430 55<br />

1<br />

1<br />

1<br />

1<br />

1<br />

1<br />

1<br />

1<br />

2670<br />

31


Tableau D : Titres traduits plus d’une fois au cours de la décennie (2000 – 2009)<br />

Titre Auteur Traduction 1 Traduction 2 Traduction 3<br />

Covering Islam : how the media<br />

and the experts determine how<br />

Edward Saïd Le Caire : Ed. Ru’ya, 2005<br />

(Mohamed Inani)<br />

Damas : Ed. Nainawi, 2006<br />

(Mohamed Karzoun)<br />

we see the rest of the world<br />

Out of place Edward Saïd Beyrouth : Ed. Al-Adab, 2000<br />

(Fawaz Tarabloussi)<br />

Damas : Ed. Farqadk 2008 (Khaled<br />

Ghadri)<br />

Par-delà le bien et le mal Friedrich Nietzsche Beyrouth : Ed. Farabi, 2003 Casablanca : Afrique Orient, 2006<br />

(Gisela Falor Hajjar)<br />

Ecce homo Friedrich Nietzsche Beyrouth : Ed. Tanwir, 2005<br />

(Moujahid Abdelmoun’im<br />

Moujahid)<br />

Ainsi parlait Zarathoustra Friedrich Nietzsche Casablanca : Afrique Orient, 2006<br />

(Mohamed Naji)<br />

Apostille au Nom de la rose Umberto Eco Meknes : Ed. ‘Alamate, 2007 (Saïd<br />

Benkrad)<br />

<strong>La</strong> domination masculine Pierre Bourdieu Le Caire : Ed. Tiers Monde, 2001<br />

(Ahmed Hassaan)<br />

What went wrong : the conflict<br />

between Islam and the West in<br />

the Middle East<br />

Bernard Lewis Le Caire : Ed. Soutour, 2003<br />

(Mohamed Inani)<br />

The impact of science on society Bertrand Russell Damas : Ed. Takwin, 2005 (Samir<br />

Abdou)<br />

Le monolinguisme de l'autre ou la<br />

Prothèse d'origine<br />

Jacques Derrida<br />

Alger : Ed. al-Ikhtilaf, 2008 (Omar<br />

Mhibal)<br />

L'épistémologie Robert Blanché Alger : Office des publications<br />

uni<strong>vers</strong>itaires, 2004 (Mahmoud al-<br />

Yaacoubi)<br />

Capitalism and modern social Anthony Giddens<br />

Damas : Organisation syrienne<br />

theory : an analysis of the writings<br />

générale du livre, 2008 (Adib<br />

of Marx, Durkheim and Max<br />

Youssef Chiche)<br />

(Hassaan Bourquia)<br />

Cologne : Ed. Jamal, 2006 (Ali<br />

Misbah)<br />

Amman : Ed. Ahliya, 2009 (Felix<br />

Fariss)<br />

Damas : Ed. Takwin, 2010<br />

(Ahmed Al-Wizi)<br />

Beyrouth : Organisation arabe<br />

pour la <strong>traduction</strong>, 2009 (Salman<br />

Qa’farani)<br />

Damas : Ed. Al-Ra’y, 2006 (Imad<br />

Chiha)<br />

Beyrouth : Organisation arabe<br />

pour la <strong>traduction</strong>, 2008 (Sabah<br />

Sadiq al-Malouji)<br />

Damas : Ed. Hiwar, 2009 (Aziz<br />

Touma et Ibrahim Mahmoud)<br />

Sfax : Ed. Mohamed Ali Hami,<br />

2004 (Mahmoud Bnou Jama’a)<br />

Beyrouth : Ed. Al-Kitab al-Arabi,<br />

2009 (Fadel Jatkar)<br />

32


Weber<br />

Humanisme et islam : combats et<br />

propositions<br />

Runaway world :how globalization<br />

is reshaping our lives<br />

Mohammed Arkoun Beyrouth : Ed. Saqi, 2000<br />

(Hachem Saleh)<br />

Anthony Giddens Le Caire : Centre Mérit, 2000<br />

(Mohamd Mohyiddine)<br />

Le nouveau désordre mondial :<br />

réflexions d'un Européen<br />

Tzvetan Todorov<br />

Amman : Ed. Azmina, 2005 (Walid<br />

Swirki)<br />

<strong>La</strong> grande désillusion Joseph E. Stiglitz Beyrouth : Ed. Farabi, 2003<br />

(Michel Karam)<br />

Man for himself an enquiry into Erich Fromm<br />

Damas : Ministère de la culture,<br />

the psychology of ethics<br />

2007 (Mahmoud Mounqid<br />

Beyond Chutzpah : On the Misuse<br />

of Anti-Semitism and the Abuse of<br />

History<br />

The Islamic threat: myth or<br />

Hachemi)<br />

Norman Finkelstein Le Caire : Ed. Soutour, 2006<br />

(Fatéma Nassr)<br />

John L. Esposito Le Caire : Ed. Chorouk, 2001<br />

reality<br />

(Kacem Abdou Kacem)<br />

L'Idée de la phénoménologie Edmund Husserl Beyrouth : Organisation arabe<br />

pour la <strong>traduction</strong>, 2007 (Fathi<br />

Inqzou)<br />

Discours sur l'origine et les<br />

fondements de l'inégalité parmi<br />

les hommes<br />

Jean-Jacques Rousseau Tunis : Ed. Maârifa, 2005<br />

(Noureddine Alaoui)<br />

Beyrouth : Ed. Tali’a, 2010<br />

(Mahmoud ‘Azab)<br />

Beyrouth : Centre culturel arabe,<br />

2003 (Abbass Khadir Kadim et<br />

Hassan Nadem)<br />

Damas : Ed. Hiwar, 2006<br />

(Mohamed Milad)<br />

Le Caire : Ed. Merit, 2006<br />

(Loubna Al-Ridi)<br />

[Beyrouth] : Ed. Kalima-Logos,<br />

2009 (Moujahid Abdelmoun’im<br />

Moujahid)<br />

Riyadh : Obeikan, 2008 (Ayman<br />

Haddad)<br />

Damas : Ed. Hiwar, 2002<br />

(Haytham Farhat)<br />

Damas : Ed. Hiwar, 2009 (Ahmae<br />

al-Sadiqi)<br />

Le Caire : Ed. Nawabigh al-Fikr,<br />

2009 (Adil Z’itar)<br />

Beyrouth : Organisation<br />

arabe pour la <strong>traduction</strong>,<br />

2009 (Paul Ghanem)<br />

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