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Le romancier naïf et le romancier sentimental Orhan Pamuk - Decitre

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Extrait distribué par Editions Gallimard<br />

opposée : en d’autres termes, <strong>le</strong>s <strong>le</strong>cteurs <strong>et</strong> <strong>le</strong>s écrivains<br />

qui sont fascinés par l’artificialité du texte <strong>et</strong> son impuissance<br />

à atteindre la réalité, <strong>et</strong> qui prêtent une attention<br />

scrupu<strong>le</strong>use aux méthodes mises en œuvre dans l’écriture<br />

des romans <strong>et</strong> aux processus mentaux mis en jeu dans la<br />

<strong>le</strong>cture. Être <strong>romancier</strong>, c’est l’art d’être à la fois naïf <strong>et</strong><br />

réf<strong>le</strong>xif.<br />

Ou d’être à la fois naïf <strong>et</strong> « <strong>sentimental</strong> ». Friedrich<br />

Schil<strong>le</strong>r a <strong>le</strong> premier proposé c<strong>et</strong>te distinction, dans son<br />

célèbre essai Über naive und <strong>sentimental</strong>ische Dichtung<br />

(« De la poésie naïve <strong>et</strong> sentimenta<strong>le</strong> », 1795-1796). <strong>Le</strong><br />

mot al<strong>le</strong>mand « <strong>sentimental</strong>isch », qu’utilise Schil<strong>le</strong>r pour<br />

décrire <strong>le</strong> poète moderne, inqui<strong>et</strong> <strong>et</strong> réfléchi, qui a perdu<br />

son caractère <strong>et</strong> sa naïv<strong>et</strong>é d’enfant, a une acception<br />

quelque peu différente de l’adjectif anglais « <strong>sentimental</strong><br />

», ou de son équiva<strong>le</strong>nt français « <strong>sentimental</strong> ».<br />

Mais nous n’allons pas nous attarder ici sur ce terme que<br />

Schil<strong>le</strong>r, s’inspirant du Voyage <strong>sentimental</strong> de Sterne, a de<br />

toute façon emprunté à l’anglais. (Dans son inventaire des<br />

génies naïfs <strong>et</strong> enfantins, Schil<strong>le</strong>r cite Sterne avec respect,<br />

parmi d’autres comme Dante, Shakespeare, Cervantès,<br />

Go<strong>et</strong>he <strong>et</strong> même Dürer.) Il nous suffit de remarquer que<br />

Schil<strong>le</strong>r utilise <strong>le</strong> terme « <strong>sentimental</strong>isch » pour désigner<br />

l’état de l’esprit qui s’est éloigné de la simplicité <strong>et</strong> de<br />

la puissance de la nature <strong>et</strong> se trouve désormais complètement<br />

pris dans ses propres émotions <strong>et</strong> ses propres<br />

pensées. Mon but ici est non seu<strong>le</strong>ment de parvenir à une<br />

compréhension approfondie de l’essai de Schil<strong>le</strong>r, que,<br />

depuis ma jeunesse, j’aime énormément, mais aussi, grâce<br />

à lui, de clarifier mes propres réf<strong>le</strong>xions sur l’art du roman<br />

(comme je l’ai toujours fait) <strong>et</strong> de <strong>le</strong>s exprimer avec précision<br />

(comme je m’efforce de <strong>le</strong> faire maintenant).<br />

20<br />

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