CASPAR Joseph : Un rescapé de la baraque 22 ... - Malgré-Nous
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<strong>CASPAR</strong> <strong>Joseph</strong> : <strong>Un</strong> rescapé <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>baraque</strong> <strong>22</strong><br />
<strong>Joseph</strong> Caspar, né à Friedolsheim le 21 décembre 1924, est appelé au Reichsarbeitsdienst,<br />
puis incorporé <strong>de</strong> force dans <strong>la</strong> Wehrmacht. Sur le front en Ukraine, il se rend aux Russes.<br />
Transféré au camp <strong>de</strong> Tambov, son état <strong>de</strong> santé est tel qu’il est déposé dans <strong>la</strong> <strong>baraque</strong> <strong>22</strong>, <strong>la</strong><br />
<strong>baraque</strong> <strong>de</strong>s morts. C’est une connaissance, Constant Litzelmann, <strong>de</strong> Lupstein, qui remarque<br />
<strong>de</strong> justesse qu’il n’était pas mort. Il est envoyé à l’hôpital <strong>de</strong> Kirsanov et va progressivement<br />
retrouver ses forces ; sur 26 mois <strong>de</strong> captivité à Tambov, il en a passé 16 à Kirsanov. Il rejoint<br />
ses foyers le 21 octobre 1945.<br />
« Je suis né le 21 décembre 1924 à Friedolsheim, Bas-Rhin. J’ai effectué le<br />
Reichsarbeitsdienst (RAD) du 17 avril au 26 septembre 1942. J’ai été cherché en car ; j’étais<br />
le seul à partir à cette date. Après une nuit passée à Strasbourg, nous sommes partis en train<br />
pour Münster (Westphalie), puis nous avons été transférés à Osnabrück.<br />
<strong>Joseph</strong> Caspar au Reichsarbeitsdienst (RAD). (Coll. J. Caspar)<br />
Souvenirs du RAD<br />
Tous les matins, nous nous levions à 6h. Après une toilette à l’eau froi<strong>de</strong> – nous n’avions<br />
finalement pas besoin d’eau chau<strong>de</strong> puisque c’était l’été – dans une sorte <strong>de</strong> <strong>la</strong>voir, nous<br />
déjeunions : café noir et sucre (qui aurait été fait à base <strong>de</strong> houille) et 600 grammes <strong>de</strong> pain –<br />
du Pumpernickel, par personne. Il nous était interdit <strong>de</strong> parler. Le contrevenant écopait <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
corvée <strong>de</strong> chiotte. Mais il arrivait, à condition d’avoir <strong>de</strong> <strong>la</strong> chance, d’être <strong>de</strong> corvée <strong>de</strong><br />
cuisine : on pouvait lécher le fond <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s gamelles dont se servait le cuisinier. Puis,<br />
retour à <strong>la</strong> <strong>baraque</strong>. Vers 7h avait lieu l’appel <strong>de</strong> <strong>la</strong> compagnie, soit 120 personnes. Puis nous<br />
nous rendions à pied, en rang, jusqu’à un aérodrome qui se trouvait à 6km du camp. Là, nous<br />
<strong>de</strong>vions remplir <strong>de</strong> sable <strong>de</strong>s wagonnets pouvant basculer. <strong>Nous</strong> étions <strong>de</strong>ux par wagonnet et<br />
les tas <strong>de</strong> sable étaient énormes. <strong>Nous</strong> remplissions les wagonnets au coup <strong>de</strong> sifflet : « Stich !
Hub ! Wurf ! » ( P<strong>la</strong>ntez ! Levez ! Jetez ! »). Malheur à celui qui n’était pas dans le rythme,<br />
car le chef considérait son manque <strong>de</strong> rigueur comme un acte d’insoumission. Il était puni par<br />
<strong>de</strong>s exercices physiques et <strong>de</strong>vait par exemple ramper ou monter dans un arbre.<br />
<strong>Nous</strong> avions droit à une pause <strong>de</strong> 10/15mn pendant <strong>la</strong>quelle on pouvait casser <strong>la</strong> croûte et<br />
pisser (Pinckelpause) – il nous était d’ailleurs strictement interdit d’aller pisser en-<strong>de</strong>hors <strong>de</strong><br />
cette pause !<br />
Je dois dire que nos surveil<strong>la</strong>nts n’étaient pas méchants avec nous et que nous pouvions<br />
discuter avec eux. Le tout était <strong>de</strong> se soumettre à <strong>la</strong> discipline.<br />
On s’arrêtait <strong>de</strong> travailler vers 11h pour être <strong>de</strong> retour au camp à 12h30. <strong>Nous</strong> mangions à<br />
13h. Il fal<strong>la</strong>it qu’on se tienne correctement, pas question <strong>de</strong> chahuter. Puis nous faisions <strong>la</strong><br />
sieste jusqu’à 15/16h pour aller ensuite faire du sport sur <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce d’exercice ou du maniement<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> bêche (celle-ci <strong>de</strong>vait toujours briller comme un miroir). A noter que celui qui avait bien<br />
travaillé le matin était dispensé <strong>de</strong> sport et pouvait rester couché.<br />
Le soir, nous avions droit à une soupe, puis nous avions du temps libre que nous passions<br />
dans ou à l’extérieur <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>baraque</strong>. Tel était notre quotidien.<br />
Il nous arrivait aussi <strong>de</strong> « faire le mur ». On passait l’enceinte clôturée du camp pour aller<br />
chez un paysan voisin avec lequel on aimait discuter. Il faut dire qu’il avait surtout <strong>de</strong>ux jolies<br />
filles. Mais il fal<strong>la</strong>it surtout ne pas se faire prendre. Les gradés ne p<strong>la</strong>isantaient pas avec<br />
l’obéissance et <strong>la</strong> discipline. Certains d’entre nous ont été en « taule », une sorte <strong>de</strong> bunker<br />
semi enterré. Ils avaient pour toute nourriture du pain et <strong>de</strong> l’eau et avaient <strong>de</strong>s rats pour toute<br />
compagnie.<br />
<strong>Joseph</strong> Caspar (à droite) et un ami allemand au RAD. (Coll. J. Caspar)
Envoyé en Ukraine<br />
Après 6 mois, nous sommes rentrés à <strong>la</strong> maison. Mais, trois semaines plus tard, je partais pour<br />
<strong>la</strong> Wehrmacht le 17 octobre 1942. Deux soldats, baïonnette au canon, sont venus me chercher<br />
à l’heure indiquée sur mon ordre <strong>de</strong> mobilisation. Mon père était absent : il avait été<br />
réquisitionné pour creuser <strong>de</strong>s tranchées anti-char. Les adieux avec ma mère ont été<br />
poignants : elle ne vou<strong>la</strong>it pas me <strong>la</strong>isser partir et a été brutalisée par un <strong>de</strong>s hommes qui <strong>la</strong><br />
repoussée <strong>de</strong> telle manière qu’elle est tombée pat terre. Puis ils m’ont conduit dans une<br />
caserne à Strasbourg. Le len<strong>de</strong>main, je me trouvais à Bamberg où a débuté mon instruction.<br />
Les exercices étaient nombreux et nous faisions <strong>de</strong>s sorties <strong>de</strong> nuit pour nous familiariser avec<br />
les techniques <strong>de</strong> combats nocturnes. Pour toutes les recrues, Allemands et autres, un seul mot<br />
d’ordre : respect et obéissance. Et je n’avais pas encore 18 ans.<br />
En tenues <strong>de</strong> travail au RAD. <strong>Joseph</strong> Caspar (3 e <strong>de</strong>puis <strong>la</strong> droite) et ses camara<strong>de</strong>s, dont Lambert (2 e <strong>de</strong>puis <strong>la</strong><br />
gauche), Sprunghart (3 e <strong>de</strong>puis <strong>la</strong> gauche) et Fritz Roth, <strong>de</strong> Wolfisheim (5 e <strong>de</strong>puis <strong>la</strong> gauche). (Coll. J. Caspar)<br />
En février 1943, j’ai eu une permission <strong>de</strong> 15 jours, mais j’ai été rappelé après 10 ou 11 jours :<br />
les Allemands pensaient qu’ils pourraient encore nous envoyer pour sauver Stalingrad ! <strong>Nous</strong><br />
avons été envoyés à Coburg où nous avons touché nos uniformes et nos armes. Et <strong>la</strong> troupe a<br />
été transférée en Ukraine.<br />
<strong>Nous</strong> avons atteint le front le 14 avril 1943, <strong>de</strong> nuit, dans le secteur d’Izioum (ob<strong>la</strong>st <strong>de</strong><br />
Kharkiv). <strong>Nous</strong> étions dans <strong>de</strong>s tranchées qui se développaient en zig-zag pour ne qu’elles ne<br />
puissent pas être mitraillées en enfi<strong>la</strong><strong>de</strong> par l’aviation ennemie. <strong>Nous</strong> étions aux avant-postes<br />
et on pouvait entendre ce que se disaient les Russes qui étaient en face ! On était vraiment tout<br />
près.
Cette première nuit, j’ai vu pour <strong>la</strong> première fois un soldat dont le ventre avait été d échiqueté<br />
par <strong>de</strong>s éc<strong>la</strong>ts d’obus.<br />
<strong>Nous</strong> avons ensuite été relevés et avons cantonné à l’arrière pour souffler. Durant ces 5/6<br />
semaines, je me souviens que nous buvions pas mal <strong>de</strong> vodka qui était sensée nous remplir <strong>de</strong><br />
courage. <strong>Nous</strong> assurions aussi <strong>de</strong>s gar<strong>de</strong>s par groupe <strong>de</strong> trois. Il y avait là <strong>de</strong> belles filles, bien<br />
p<strong>la</strong>ntureuses… Mais gare ! On était obligé <strong>de</strong> passer notre chemin : il ne fal<strong>la</strong>it pas les suivre,<br />
car elles risquaient <strong>de</strong> nous entraîner dans un véritable coupe-gorge.<br />
<strong>Un</strong> jour, j’ai avisé un acacia qui poussait <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> fenêtre d’une maison traditionnelle. J’ai<br />
tiré un coup <strong>de</strong> feu dans le tronc <strong>de</strong> l’arbre et ce<strong>la</strong> a fait un bruit du tonnerre, comme quelque<br />
chose qui virevolte. <strong>Un</strong>e pauvre vieille s’est pendue à mon bras en pleurant, terrorisée : elle<br />
pensait que je vou<strong>la</strong>is <strong>la</strong> tuer !<br />
Au front, nous avions parfois <strong>de</strong>s accrochages qui se résumaient à <strong>de</strong>s tirs <strong>de</strong> mitrailleuses et<br />
<strong>de</strong> fusils. <strong>Un</strong> jour, je <strong>de</strong>vais aller aux avant-postes, mais il s’est trouvé que j’étais ma<strong>la</strong><strong>de</strong>. <strong>Un</strong><br />
gars a pris ma p<strong>la</strong>ce et il n’est jamais revenu.<br />
Notre réseau <strong>de</strong> tranchées était ponctué <strong>de</strong> petits bunkers. <strong>Un</strong> soir <strong>de</strong> mai, j’observais l’un<br />
d’eux et trouvait qu’il n’y avait pas beaucoup <strong>de</strong> terre qui le recouvrait. J’empoignais donc<br />
une sorte <strong>de</strong> corbeille, pour <strong>la</strong> remplir <strong>de</strong> terre. Je montais ensuite sur le bunker et, une fois sur<br />
le tertre, les balles ont sifflé tout autour <strong>de</strong> moi !<br />
Dans le même ordre d’idée, nous attendions tous les jours <strong>la</strong> cantine. J’attendais moi aussi<br />
lorsqu’un éc<strong>la</strong>t d’obus s’est fiché en terre à 20 cm <strong>de</strong> moi ! Je l’avais échappé belle ! J’ai<br />
voulu prendre cet éc<strong>la</strong>t pour le ramener à <strong>la</strong> maison en guise <strong>de</strong> souvenir et je me suis brûlé <strong>la</strong><br />
main !<br />
Au mois <strong>de</strong> mai, nous assistions à <strong>de</strong> beaux couchés <strong>de</strong> soleil. Les Russes, qui se trouvaient à<br />
une soixantaine <strong>de</strong> mètres, nous haranguaient au moyen d’un mégaphone : « Soldats<br />
allemands, venez chez nous ! Amenez <strong>la</strong> cu<strong>la</strong>sse <strong>de</strong> vos armes et votre gamelle ! Chez nous<br />
vous atten<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s milliers <strong>de</strong> lèvres rouges ! ». Puis ils passaient <strong>la</strong> chanson qui disait<br />
« Komm zurück, ich warte auf dich » (« J’attendrais, le jour et <strong>la</strong> nuit, j’attendrais…. » en<br />
français). Personne n’a répondu à ce genre d’invitation : on savait qu’on serait abattu.<br />
<strong>Un</strong>e fois, je suis sorti avec un autre pour patrouiller. Soudain, nous nous sommes retrouvés<br />
face à un gigantesque Russe qui se trouvait à <strong>de</strong>ux mètres <strong>de</strong> nous. <strong>Nous</strong> étions tous tellement<br />
surpris que personne n’a songé a tirer et chacun est reparti dans son coin.<br />
Les Russes <strong>la</strong>nçaient <strong>de</strong>s attaques vers minuit ou 1h du matin. Celles-ci duraient <strong>de</strong> 1 à 2<br />
heures. Dès fois, au c<strong>la</strong>ir <strong>de</strong> lune, on les voyait <strong>de</strong> loin, dans leurs tranchées. Mais nous avions<br />
ordre <strong>de</strong> ne pas tirer. D’ailleurs, on tirait assez peu <strong>la</strong> nuit.<br />
Je dois dire que nous n’aimions pas tirer, mais pour nous défendre, sauver notre vie, nous<br />
aurions tout fait. <strong>Nous</strong> étions jeunes et nous voulions survivre à tout ça. Mais,<br />
paradoxalement, lorsque vous avez passé du temps au front et au combat, vous finissez par ne<br />
plus avoir peur <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort, car vous <strong>la</strong> côtoyez au quotidien. Et puis on en avait marre <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
guerre, tellement marre que si on mourrait, on mourrait.
Quatre Alsaciens dans <strong>la</strong> Wehrmacht.<br />
De gauche à droite : Charles Mehl, <strong>de</strong> Hohfrankenheim, <strong>Joseph</strong> Caspar,<br />
Ernest Krieger et Urban, <strong>de</strong> Ringendorf. (Coll. J. Caspar)<br />
La fin (août 1943)<br />
En août 1943, notre Kampfgruppe (groupe <strong>de</strong> combat) <strong>de</strong> 11 gars a vécu les trois pires<br />
journées.<br />
Ce<strong>la</strong> a commencé dans <strong>la</strong> nuit du 16 au 17 août 1943. Après l’attaque <strong>de</strong>s Russes, j’étais le<br />
seul homme encore vali<strong>de</strong>, encore capable <strong>de</strong> tirer : les autres étaient blessés ou morts ! A ce<br />
moment-là, notre chef <strong>de</strong> groupe était un remp<strong>la</strong>çant : il remp<strong>la</strong>çait notre chef <strong>de</strong> Bamberg, un<br />
vrai salopard que nous nous étions promis d’abattre dès que l’occasion se présenterait. Et ce<br />
remp<strong>la</strong>çant, le Gruppenführer Waldometz gisait à 10-20m <strong>de</strong> notre tranchée, tué par un éc<strong>la</strong>t<br />
d’obus. Je savais qu’il possédait une belle montre à gousset et je vou<strong>la</strong>is <strong>la</strong> récupérer en<br />
souvenir. Mais son cadavre était déjà couvert <strong>de</strong> mouches et j’ai <strong>la</strong>issé tombé.<br />
Cette première nuit, nous avons reçu l’ordre <strong>de</strong> nous replier. En recu<strong>la</strong>nt, j’ai retrouvé mon<br />
copain Willy, un Autrichien, qui faisait partie d’un autre groupe qui avait été, lui aussi,<br />
décimé. <strong>Nous</strong> avons donc reculé ensemble. Sur le chemin, il y avait déjà <strong>de</strong>s soldats morts<br />
dont <strong>de</strong>s femmes, ce qui signifiait qu’il y avait eu <strong>de</strong>s combats dans notre dos et que nous<br />
avions manqué d’être encerclés.<br />
A un moment, nous avons creusé un petit abri pour ne pas être repérés par les Russes. La nuit<br />
du 17 au 18 a été calme.<br />
C’est dans <strong>la</strong> nuit du 18 au 19 août que <strong>de</strong>s milliers <strong>de</strong> Russes ont attaqué pour nous encercler.<br />
De loin, on les entendait crier « Hourraï !! », <strong>de</strong>s cris qui étaient <strong>de</strong>stinés à nous effrayer et<br />
donc, en quelque sorte, à nous paralyser ; on nous avait aussi appris cette technique pendant<br />
les c<strong>la</strong>sses à Bamberg.<br />
Les Russes étaient à présent à une trentaine <strong>de</strong> mètres <strong>de</strong> nous. J’ai salué Willy : « Auf<br />
wie<strong>de</strong>rsehen im Himmel » (« Au revoir au ciel »), ce à quoi il m’a répondu : « Auf<br />
wie<strong>de</strong>rsehen im Massenbgrab » (« Au revoir dans <strong>la</strong> fosse commune »). Puis on s’est levé,<br />
les bras en l’air, après nous être débarrassés <strong>de</strong> nos armes ; j’avais même jeté mon rasoir, car<br />
nous savions que nous avions face à nous <strong>de</strong>s Mongols, <strong>de</strong>s sa<strong>la</strong>uds qui vous coupaient <strong>la</strong> tête,<br />
et je ne vou<strong>la</strong>is pas me faire couper <strong>la</strong> tête avec mon propre rasoir.<br />
<strong>Nous</strong> étions donc là, les mains en l’air. <strong>Un</strong> Russe, un gradé, s’est approché et nous a tendu <strong>la</strong><br />
main en nous saluant (en russe bien sûr) d’un « Salut camara<strong>de</strong>s » ! <strong>Nous</strong> avons répondu<br />
« Franzousky » et « Austrian »… <strong>Nous</strong> pensions mourir et ce<strong>la</strong> n’a pas été le cas.
En fait, si Willy et moi n’avions pas dormi, nous ne serions pas restés dans notre trou et<br />
aurions reculé avec les autres lorsque l’ordre <strong>de</strong> repli a été donné. Ce qui fait que lorsque j’ai<br />
raconté plus tard ce fait au Centre <strong>de</strong> démobilisation, je n’ai pas été reconnu comme<br />
déserteur… tout simplement parce que j’avais dit <strong>la</strong> vérité.<br />
Suite à ça, j’ai été porté disparu par l’armée alleman<strong>de</strong>, mais ma mère a toujours été<br />
persuadée que j’étais en vie.<br />
Début <strong>de</strong> captivité soviétique<br />
Le gradé russe nous a envoyé assez loin à l’arrière, à <strong>la</strong> Kommandantura. <strong>Nous</strong> étions escortés<br />
par <strong>de</strong>ux jeunes <strong>de</strong> 15-16 ans. Ces jeunes, garçons et filles, portaient un sac à dos plein <strong>de</strong><br />
cartouches et accompagnaient les hommes au combat pour que ces <strong>de</strong>rniers ne manquent pas<br />
<strong>de</strong> munitions.<br />
<strong>Un</strong>e fois arrivé, nous avons été interrogé par un officier <strong>de</strong> très gran<strong>de</strong> taille. Avec lui se<br />
trouvait un jeune soldat armé d’un pistolet-mitrailleur et une jeune femme parfaitement<br />
francophone : elle vérifiait si j’étais bien français. Elle m’a <strong>de</strong>mandé : « Pourquoi tirez-vous<br />
sur les soldats russes <br />
- Parce qu’il le fal<strong>la</strong>it ! » ai-je répondu.<br />
Pour prouver ma nationalité française, ma mère m’avait envoyé un billet <strong>de</strong> 1000 francs. Je<br />
l’ai tendu à l’officier. Celui-ci m’a <strong>de</strong>mandé ce que c’était et n’a pas été convaincu que c’était<br />
<strong>de</strong> l’argent français, puisqu’il a haussé les épaules avant <strong>de</strong> déchirer le billet !<br />
A un moment donné, l’officier a secoué <strong>la</strong> tête en réponse à une question du soldat. Sans<br />
doute ce <strong>de</strong>rnier lui avait-il <strong>de</strong>mandé l’autorisation <strong>de</strong> nous abattre. De rage, le soldat nous a<br />
donné un coup <strong>de</strong> pied au niveau <strong>de</strong> <strong>la</strong> gorge (l’endroit étant légèrement en pente, il se tenait<br />
un peu plus haut que nous), nous envoyant à terre. Sans avoir le temps <strong>de</strong> ramasser nos<br />
casquettes, l’ordre nous est donné : « Dawaï ! Dawaï ! », « Vite ! Vite », et, en courrant, nous<br />
rejoignons une forêt assez éloignée. Là, au fond d’une petite vallée où se trouvaient déjà<br />
d’autres prisonniers, nous recevons <strong>de</strong> l’eau dans un seau et du rosbeef. En fait, nous n’avons<br />
pas mangé, mais nous avions très soif : il faisait dans les 38° (pour 12° <strong>la</strong> nuit).<br />
Puis nous avons dû écrire une lettre à nos parents pour leur dire que nous étions prisonniers et<br />
que tout al<strong>la</strong>it bien. Evi<strong>de</strong>mment, cette lettre n’est jamais arrivée.<br />
Je me souviens que <strong>de</strong> jeunes soldats, postés sur les hauteurs environnantes, nous tiraient<br />
<strong>de</strong>ssus avec une fron<strong>de</strong>. Plusieurs prisonniers se sont écroulés. Etaient-ils morts <br />
A <strong>la</strong> tombée <strong>de</strong> <strong>la</strong> nuit, nous étions à présent dans une sablière (Sandgrube). Il y avait là un<br />
prisonnier grièvement blessé à <strong>la</strong> jambe. Le len<strong>de</strong>main, il était mort et avait succombé à <strong>la</strong><br />
fièvre (Wundfieber). Par <strong>la</strong> suite, nous sommes passés par trois camps (fermes, kolkhozes…).<br />
On dormait sur <strong>de</strong> <strong>la</strong> paille et on recevait 600 grammes <strong>de</strong> pain et 60 grammes <strong>de</strong> sucre par<br />
jour, plus une soupe le matin. <strong>Nous</strong> étions toujours dans le secteur d’Isioum. Durant les<br />
trajets, les femmes vou<strong>la</strong>ient nous donner du maïs, du tournesol, etc., mais c’était strictement<br />
défendu et aucun <strong>de</strong> nous ne se serait permis <strong>de</strong> sortir <strong>de</strong>s rangs. Certaines <strong>de</strong> ces femmes<br />
pleuraient en nous voyant.<br />
A un moment, nous avons longé un fleuve, le Don ou le Donetz. Il y avait là <strong>de</strong>s chevaux<br />
morts, gonflés par <strong>la</strong> chaleur et picorés par <strong>de</strong>s oiseaux. J’ai bu <strong>de</strong> l’eau <strong>de</strong> ce fleuve, à côté<br />
d’algues et <strong>de</strong> chevaux flottants.
Puis, fin octobre, nous avons pris p<strong>la</strong>ce à bord <strong>de</strong> wagons cellu<strong>la</strong>ires. Au milieu se trouvait un<br />
grand trou pour faire nos besoins. Il y avait un long couloir où se tenait une sentinelle et <strong>de</strong>s<br />
cellules où l’on ne pouvait se tenir <strong>de</strong>bout. J’étais couché près du trou et c’est pour ça que j’ai<br />
attrapé une pleurésie et que j’ai eu les pieds à moitié gelés.<br />
Nos vêtements se limitaient à <strong>de</strong>s manteaux russes, un pantalon (sans caleçons), <strong>de</strong>s chiffons<br />
en guise <strong>de</strong> chaussettes (Schuhlumpe) et <strong>de</strong> vieilles chaussures trouées. Les Russes nous<br />
avaient pris nos uniformes et n’hésitaient pas à porter <strong>de</strong>s vestes <strong>de</strong> <strong>la</strong> Wehrmacht.<br />
De <strong>la</strong> <strong>baraque</strong> <strong>22</strong> <strong>de</strong> Tambov à l’hôpital <strong>de</strong> Kirsanov<br />
J’étais comme mort lorsque je suis arrivé à Tambov, le 13 décembre 1943. J’étais tellement<br />
ma<strong>la</strong><strong>de</strong> que je n’ai pas vu <strong>la</strong> gare <strong>de</strong> Rada. Au camp, je grelottais comme tout. Je n’ai pas<br />
résisté au passage à l’épouil<strong>la</strong>ge, à <strong>la</strong> Sauna et à <strong>la</strong> douche à peine chau<strong>de</strong>. Je ne sais pas<br />
quand ils m’ont mis dans <strong>la</strong> <strong>baraque</strong> <strong>22</strong>, <strong>la</strong> <strong>baraque</strong> où l’on entassait les prisonniers morts en<br />
attendant <strong>de</strong> les enterrer. Je ne l’ai appris que par <strong>la</strong> suite et c’est un miracle qu’on m’en ait<br />
sorti. C’est grâce à un nommé Constant Litzelmann, <strong>de</strong> Lupstein. Il faisait partie du groupe<br />
qui ramenait les morts dans cette <strong>baraque</strong>. Il m’a reconnu à mes cheveux : j’étais roux à<br />
l’époque et j’étais donc connu dans notre région. Ce n’était pas un copain, mais il me<br />
connaissait. C’est lui qui a remarqué que je respirais toujours ! Il m’a alors sorti <strong>de</strong> là avec ses<br />
camara<strong>de</strong>s et m’a installé dans une <strong>baraque</strong> normale. Et je me suis finalement remis, j’ai<br />
retrouvé <strong>la</strong> vie.<br />
J’ai sans doute été soigné. En fait, j’étais tellement ma<strong>la</strong><strong>de</strong> que je ne sais plus comment je<br />
suis arrivé à Kirsanov, cet hôpital où je <strong>de</strong>vais passer un total <strong>de</strong> 16 mois <strong>de</strong> ma captivité<br />
(mais pas en continu, car j’y suis allé à chaque fois que je rechutais). J’ai côtoyé <strong>de</strong><br />
nombreuses nationalités dans cet endroit.<br />
La première fois qu’on m’a cru guéri, on m’a renvoyé au camp <strong>de</strong> Tambov, mais j’avais<br />
toujours ma pleurésie. Et <strong>la</strong> <strong>de</strong>uxième fois que j’étais à Kirsanov, j’y avais <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>ria, <strong>la</strong> galle<br />
et <strong>la</strong> dysenterie.<br />
Je suis retourné à Tambov pour le départ <strong>de</strong>s 1500 en juillet 1944. Comme j’étais alors en<br />
bonne forme, je m’étais porté volontaire pour partir et ce<strong>la</strong> avait été accepté ar les Russes.<br />
Malheureusement, je suis tombé dans les pommes en cours <strong>de</strong> route et je n’ai pas pu partir<br />
avec eux ! Les Russes auraient pu m’achever sur p<strong>la</strong>ce et m’enterrer au bord <strong>de</strong> <strong>la</strong> route, mais<br />
non : ils m’ont conduit pour <strong>la</strong> troisième fois à Kirsanov et j’ai ressuscité une nouvelle fois.<br />
Lorsque j’étais bien ma<strong>la</strong><strong>de</strong>, un souvenir m’est resté. Après m’avoir ausculté, un mé<strong>de</strong>cin<br />
hongrois m’a dit : « Vous avez un bon cœur, vous allez vivre encore très longtemps ». Il ne<br />
s’est pas trompé !<br />
Comme médicament, je ne recevais que <strong>de</strong> <strong>la</strong> bel<strong>la</strong>done à Kirsanov.<br />
C’est à partir <strong>de</strong> là que j’ai vraiment commencé à guérir. J’avais fait <strong>la</strong> connaissance d’un<br />
cuisinier italien. On avait sympathisé et il m’avait dit : « Avec moi, tu ne mourras pas ». Tous<br />
les soirs, à ses risques et périls, il me donnait <strong>de</strong> <strong>la</strong> Kacha, une sorte <strong>de</strong> purée qui avait été<br />
préparée pour le len<strong>de</strong>main dans une boîte <strong>de</strong> conserve <strong>de</strong> 2 à 3 litres. Grâce à cette nourriture<br />
supplémentaire, j’ai progressivement repris <strong>de</strong>s forces. Quel bonheur le jour où j’ai pu me<br />
soulever sur mes bras pour m’installer sur le réservoir du système <strong>de</strong> chauffage d’eau. J’ai<br />
remercié Dieu <strong>de</strong> m’avoir rendu ces forces.
A Tambov, les échanges entre prisonniers al<strong>la</strong>ient bon train : Mahorka (tige du tabac séché),<br />
sucre, sous-vêtements, etc. Ceux qui cédaient leur sucre, en particulier les fumeurs, se<br />
privaient d’un élément essentiel pour leur survie et se condamnaient à mort ; pour eux, <strong>la</strong><br />
fumée était <strong>la</strong> plus forte.<br />
Les quelques semaines où j’étais bien à Tambov, je me souviens avoir fabriqué <strong>de</strong>s pinceaux<br />
à partir d’écorce <strong>de</strong> bouleaux.<br />
Dessin <strong>de</strong> Jean Thuet représentant <strong>la</strong> <strong>baraque</strong> <strong>de</strong>s <strong>la</strong>trines (à gauche),<br />
un <strong>de</strong>s symboles <strong>de</strong> <strong>la</strong> détresse physique et morale <strong>de</strong>s Malgré-<strong>Nous</strong> (Coll. Jean Thuet/FAT).<br />
Le commando <strong>de</strong>s morts <strong>de</strong> Kirsanov<br />
Grâce aux soins et à <strong>la</strong> nourriture du cuisinier italien, j’étais re<strong>de</strong>venu un homme et les Russes<br />
qui dirigeaient l’hôpital ont estimé que je pouvais travailler. C’est ainsi que je suis <strong>de</strong>venu une<br />
sorte d’infirmier, <strong>de</strong> Sanitäter, chargé <strong>de</strong> réveiller le matin et <strong>de</strong> donner <strong>de</strong> <strong>la</strong> soupe ou <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
Kacha aux ma<strong>la</strong><strong>de</strong>s à <strong>de</strong>mi-morts qui ne pouvaient plus se nourrir seuls. Parmi eux se trouvait<br />
un grand jeune homme blond, un <strong>de</strong>ssinateur norvégien. Je lui donnais du thé lorsqu’il a<br />
commencé à cracher. Dans l’obscurité (on s’éc<strong>la</strong>irait à <strong>la</strong> bougie), j’ai d’abord cru qu’il avait<br />
avalé <strong>de</strong> travers, mais en regardant <strong>de</strong> plus près, j’ai vu que c’était son sang qu’il vomissait. Il<br />
est mort dans mes bras. <strong>Un</strong> grand gail<strong>la</strong>rd nommé Hartwig (je ne me souviens plus <strong>de</strong> son<br />
prénom), paysan à Beblenheim (Haut-Rhin), est également mort dans mes bras ; il a été<br />
enterré à Kirsanov.<br />
Je ne sais plus pendant combien <strong>de</strong> temps j’ai rempli ces fonctions. Ensuite, mes forces<br />
revenant, j’ai intégré le commando <strong>de</strong>s morts. Avant <strong>de</strong> poursuivre, je voudrais dire que ceux<br />
qui al<strong>la</strong>ient mourir ne mangeaient plus guère et mettaient leur pain <strong>de</strong> côté. Ce n’est qu’une<br />
fois l’homme décédé que les autres patients étaient autorisés à se partager son pain ; j’en ai<br />
bien sûr aussi pris.
Toutes les trois nuits, l’« équipe <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort » (soit quatre gars) s’éveil<strong>la</strong>it à 1h30/2h pour aller<br />
chercher les cadavres nus dans le bunker où ils étaient stockés. Il faut savoir que tous ces<br />
corps avaient servi <strong>de</strong> cobayes : ils avaient tous été ouverts par <strong>de</strong>s chirurgiens (<strong>de</strong>s Russes,<br />
<strong>de</strong>s Hongrois plus un Français nommé Leb<strong>la</strong>nc) et avaient été recousus avec du fil ou <strong>de</strong>s<br />
agrafes.<br />
L’intérieur du bunker – semi enterré comme les <strong>baraque</strong>s du camp <strong>de</strong> Tambov - n’étant pas<br />
éc<strong>la</strong>iré du tout et mes camara<strong>de</strong>s redoutaient un peu d’y entrer. A l’inverse, ma volonté <strong>de</strong><br />
vivre était telle – je ne vou<strong>la</strong>is pas crever ! – qu’elle me donnait tous les courages. Ainsi, à<br />
tâtons, j’attrapais un pied, puis appe<strong>la</strong>is les autres pour qu’ils m’ai<strong>de</strong>nt à sortir le corps ; il y<br />
en avait une dizaine. Je le faisais, car j’étais tellement content d’être en vie. D’ailleurs, on ne<br />
par<strong>la</strong>it jamais <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort à Tambov et à Kirsanov.<br />
Les cadavres étaient chargés sur une charrette conduite par un Russe – très gentil : on<br />
discutait ensemble – et tirée par <strong>de</strong>ux poneys. Il stationnait <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> porte du bunker et nous<br />
prenions les morts, <strong>de</strong>ux par les bras, <strong>de</strong>ux par les pieds, et le ba<strong>la</strong>ncions sur <strong>la</strong> charrette. Les<br />
corps étaient p<strong>la</strong>cés d’abord en longueur, puis en <strong>la</strong>rgeur.<br />
Puis le Russe ordonnait « Dawaï ! » et nous courrions à côté <strong>de</strong> <strong>la</strong> charrette jusqu’au cimetière<br />
<strong>de</strong> Kirsanov. On ne voyait pas grand-chose <strong>de</strong> l’agglomération en elle-même, car le seul<br />
éc<strong>la</strong>irage était le c<strong>la</strong>ir <strong>de</strong> lune. Je me souviens qu’à l’arrière du cimetière se tenait une gran<strong>de</strong><br />
statue <strong>de</strong> Staline en bronze, les bras tendus comme s’il bénissait les environs.<br />
Dessin <strong>de</strong> Jean Thuet représentant une autopsie pratiquée à l’hôpital <strong>de</strong> Kirsanov (Coll. Jean Thuet/FAT).<br />
Au cimetière, une équipe creusait <strong>de</strong>s fosses communes d’environ 8 ou 10 x 4 ou 5m pour<br />
une profon<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> 4 à 5 m. <strong>Un</strong>e fois, <strong>la</strong> charrette s’est renversée à une trentaine <strong>de</strong> mètres du<br />
cimetière et nous avons été obligés <strong>de</strong> tirer les corps jusqu’à <strong>la</strong> fosse ! Les cadavres étaient<br />
nus et pour <strong>la</strong> plupart gonflés d’eau à cause <strong>de</strong>s ma<strong>la</strong>dies. On répandait <strong>de</strong> <strong>la</strong> chaux sur les<br />
corps.<br />
Quand une gran<strong>de</strong> fosse était pleine, elle était rebouchée et une tombe plus petite était encore<br />
aménagée par-<strong>de</strong>ssus.
Il y avait <strong>de</strong>vant l’église, à côté du cimetière, <strong>de</strong> nombreux chars. Leur présence, incongrue en<br />
ce lieu, ne pouvait s’expliquer que parce que l’église <strong>de</strong>vait abriter un atelier <strong>de</strong> réparation.<br />
Le reste du temps, nous restions à l’hôpital, sauf pour chercher <strong>de</strong> l’eau. <strong>Nous</strong> sortions par une<br />
<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux portes avec guérite pour atteindre un puits qui se trouvait non loin. Le puisard était à<br />
ras du sol et l’endroit était gelé, si bien que je redoutais d’y tomber.<br />
Le matin du 8 mai 1945, <strong>la</strong> cheftaine <strong>de</strong> l’hôpital a crié en russe : « Camara<strong>de</strong>s, <strong>la</strong> guerre est<br />
finie ! ». <strong>Nous</strong> avons tous pleuré <strong>de</strong> joie. Je me rappelle qu’il y avait trois cheftaines : Tania,<br />
Maroussa et Nina. Je rigo<strong>la</strong>is souvent avec elles. A l’hôpital, on m’appe<strong>la</strong>it « le Rouge » à<br />
cause <strong>de</strong> <strong>la</strong> couleur <strong>de</strong> mes cheveux. Il faut croire que les rouquins étaient rares à cette époque<br />
en Russie.<br />
J’ai passé 26 mois à Tambov et à Kirsanov. Pour finir, je voudrais dire qu’en <strong>de</strong>hors du jeune<br />
soldat, aucun Russe ne m’a frappé.<br />
Le chemin du retour<br />
Le retour a duré plusieurs semaines. Je dois bien admettre qu’à nouveau <strong>la</strong> gare <strong>de</strong> Rada ne<br />
m’a <strong>la</strong>issé aucun souvenir. <strong>Nous</strong> étions tellement émus <strong>de</strong> pouvoir rentrer, même en wagons à<br />
bestiaux !<br />
Dans le train, les échanges étaient nombreux, ainsi qu’avec les civils lors <strong>de</strong>s arrêts :<br />
nourriture, peaux <strong>de</strong> bêtes pour rendre plus confortable les p<strong>la</strong>nches sur lesquelles on se<br />
couchait.<br />
Les responsables <strong>de</strong> chaque wagon étaient <strong>de</strong>s Lorrains désignés par les Russes. Ils avaient<br />
pour mission <strong>de</strong> veiller à ce qu’il n’y ait pas <strong>de</strong> vols ni <strong>de</strong> bagarres.<br />
En Pologne, alors que nous étions à l’arrêt, un autre train s’est arrêté vis-à-vis du nôtre. Il<br />
s’avéra que ce train venait lui aussi <strong>de</strong> Tambov, car je vis mon camara<strong>de</strong> Florent Heitz, <strong>de</strong><br />
Friedolsheim ! Je lui <strong>de</strong>mandais : « Mais qu’est-ce que tu fais-là <br />
- Mais on rentre à <strong>la</strong> maison !». J’ai profité <strong>de</strong> l’arrêt pour lui donner quelques-unes <strong>de</strong> nos<br />
patates, ce qui lui a donné une chiasse pour longtemps ! <strong>Un</strong> souvenir qui est d’ailleurs resté<br />
gravé dans nos mémoires.<br />
<strong>Nous</strong> avons été escortés par les Russes jusqu’à <strong>la</strong> Porte <strong>de</strong> Bran<strong>de</strong>nburg <strong>de</strong> Berlin. Là, nous<br />
avons échangés nos effets soviétiques contre <strong>de</strong>s uniformes français (les uniformes russes ont<br />
été brûlés pour <strong>de</strong>s raisons sanitaires).<br />
J’ai été démobilisé au centre du Wacken, à Strasbourg où j’ai passé <strong>de</strong>ux jours dans <strong>la</strong><br />
Caserne Ganeval pour établir mes papiers <strong>de</strong> rapatriement. Le troisème jour, j’ai été conduit à<br />
<strong>la</strong> gare pour prendre le train jusqu’à Wilwisheim où, sur le quai, j’ai rencontré Xavier Diss,<br />
une connaissance <strong>de</strong> Lan<strong>de</strong>rsheim. Ensemble, nous avons poursuivi notre chemin à pied.<br />
Lorsque nous sommes arrivés à <strong>la</strong> chapelle qui domine le « pays », ce fut un grand moment<br />
d’émotion : enfin à <strong>la</strong> maison !
Je suis arrivé chez moi le 21 octobre 1945. L’incorporation <strong>de</strong> force m’avait fait perdre trois<br />
ans et <strong>de</strong>mi <strong>de</strong> ma vie. Longtemps après <strong>la</strong> guerre, je n’avais peur <strong>de</strong> rien ni <strong>de</strong> personne,<br />
même quand il y avait <strong>de</strong> <strong>la</strong> bagarre. Si bien que je faisais un peu peur.<br />
Carte <strong>de</strong> rapatrié (recto-verso) <strong>de</strong> <strong>Joseph</strong> Caspar qui porte le tampon « Alsaciens-Lorrains déportés dans <strong>la</strong><br />
Wehrmacht ». A l’époque, les incorporés <strong>de</strong> force étaient encore considérés comme <strong>de</strong>s déportés militaires.<br />
(Coll. J. Caspar)
<strong>Un</strong> <strong>de</strong>rnier choc<br />
Alors que je traversais Friedolsheim, en ce dimanche 21 octobre 1945, je croise un jeune du<br />
vil<strong>la</strong>ge âgé <strong>de</strong> 16 ans, Léon Schnei<strong>de</strong>r (aujourd’hui décédé) qui était (comme toujours) en<br />
retard pour <strong>la</strong> messe. Il me voit et me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> : « Mais d’où viens-tu », puis il se rue à<br />
l’église et crie : « <strong>Joseph</strong> est rentré ! ». Quant à moi, j’ai poursuivi mon chemin jusqu’à <strong>la</strong><br />
maison <strong>de</strong> mes parents. En poussant <strong>la</strong> porte, je découvre un prisonnier <strong>de</strong> guerre allemand<br />
occupé à surveiller le p<strong>la</strong>t qui mijotait sur le feu ! Je crie : « Toi, t’es un Boche ! Je ne veux<br />
pas te voir ici ! Dehors ! ». Et le gars, qui <strong>de</strong>vait avoir environ 5 ans <strong>de</strong> plus que moi, se met à<br />
pleurer. Et moi <strong>de</strong> fondre également en <strong>la</strong>rmes. Il s’agissait d’August Bochtler, <strong>de</strong> Constance.<br />
<strong>Nous</strong> sommes <strong>de</strong>venus amis, mais pendant longtemps j’ai gardé une rancœur terrible contre<br />
les Allemands ».<br />
Pages suivantes : Questionnaire re<strong>la</strong>tif à une <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> reconnaissance <strong>de</strong> <strong>la</strong> qualité<br />
d’incorporé <strong>de</strong> force dans <strong>la</strong> Wehrmacht renseigné par <strong>Joseph</strong> Caspar. (Coll. J. Caspar)