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Témoignage de Lisette Baldensperger

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TémoignagesLes incorporés <strong>de</strong> force face à leur <strong>de</strong>stinDeux ans et neuf jours dans la Luftwaffe<strong>Lisette</strong> Bal<strong>de</strong>nsperger<strong>Lisette</strong> (Elisabeth) Bal<strong>de</strong>nsperger est née le2 novembre 1925 à Colmar (Haut-Rhin).«J’ai appris très tôt à me méfier <strong>de</strong>s Nazis.Déjà en septembre 1932, lors d’uneexcursion dans les Vosges du Nord, nousavions découvert à Schoenau, le village allemandle plus proche <strong>de</strong> la frontière, un panneaumentionnant que «les juifs sont notremalheur».J’ai passé le bac (Abitur) le 17 mars 1943. Lelen<strong>de</strong>main, je recevais ma convocation pourle conseil <strong>de</strong> révision (Musterung) qui setenait le 22 mars suivant à Guebwiller(Haut-Rhin)!».Pendant les premières années <strong>de</strong> l’Annexion,mon père, détenteur <strong>de</strong> la Légion d’honneur,n’a pas été expulsé, car il savait soigner lamaladie <strong>de</strong>s abeilles. Il s’arrangeait pour donner<strong>de</strong>s conférences le dimanche, afin d’éviter<strong>de</strong> participer aux réunions du parti.Les jeunes <strong>de</strong>vaient également assister à <strong>de</strong>sréunions. Je m’évanouissais exprès et, avec<strong>de</strong>s camara<strong>de</strong>s qui me soutenaient, nous sortionspour ne plus y retourner! C’était notremanière <strong>de</strong> résister.<strong>Lisette</strong> Bal<strong>de</strong>nsperger en uniformedu RAD. (Coll. Bal<strong>de</strong>nsperger)1


TémoignagesLes incorporés <strong>de</strong> force face à leur <strong>de</strong>stinCarte postale représentant Hermann Göring, „Reichsmarschall<strong>de</strong>s Gross<strong>de</strong>utschen Reiches, Oberbefehlshaber<strong>de</strong>r Luftwaffe“ d’après une peinture d’Erich Cleff,le Jeune. Elle a été éditée par les éditions „NationalsozialistischerBil<strong>de</strong>r“.(Coll. particulière)Appelée au RADLe 8 avril 1943, trois semaines aprèsl’Abitur passé au collège <strong>de</strong> garçons <strong>de</strong>Guebwiller, <strong>Lisette</strong> Bal<strong>de</strong>nsperger estincorporée dans le Reichsarbeitsdienst(RAD) et affectée à l’Abteilung 10/194 àWerneck, près <strong>de</strong> Schweinfurt. «Je doissouligner que le RAD était une formationpara-militaire et totalement différente <strong>de</strong>ce qu’ont connu les personnes contraintesau travail en Allemagne. Au RAD, nousétions plus libres qu’en Alsace: avec unecamara<strong>de</strong> <strong>de</strong> Forbach qui ne parlait pasl’allemand, nous pouvions parler français.Par ailleurs, nous touchions une sol<strong>de</strong>.Elle s’élevait à 20 pfennigs par jour.Quand on sait qu’un timbre coûtait alors12 pfennigs et qu’une carte postale encoûtait 8, la sol<strong>de</strong> n’était vraiment pas élevée!Au RAD, on nous posait <strong>de</strong>s questions surnotre vie. Nous étions titulaires du Mittelschulerabschluss(EPS avant-guerre) ou <strong>de</strong>l’Abitur (baccalauréat). J’étais la seuleAlsacienne qui parlait bien l’Allemand».Du RAD à la LuftwaffeLe 18 juin 1943, <strong>Lisette</strong> Bal<strong>de</strong>nsperger part enpermission (Urlaub) à Guebwiller jusqu’au 22juin. Puis tout le camp est versé en secret dansla Luftwaffe. C’est le 10 septembre 1943qu’elle est mise à la disposition <strong>de</strong> la Luftwaffeet affectée au Nachtjagdraumführer 106 àKitzingen (Luftwaffeneinsatz 1/XIII) jusqu’au19 septembre 1943 („Lager 53506 LGPANürnberg“). «On nous enseigna notammentqu’en cas <strong>de</strong> capture par l’ennemi, nous ne<strong>de</strong>vions rien dire en-<strong>de</strong>hors <strong>de</strong> notre nom et<strong>de</strong> notre numéro <strong>de</strong> matricule. Si, à la fin <strong>de</strong>la guerre, l’ennemi arrivait à envahir l’Allemagne,nous <strong>de</strong>vions disparaître dans le Wehrwolf.On appelle Wehrwolf les Allemands qui,en uniforme américain, avec <strong>de</strong>s dollars enpoche, <strong>de</strong> faux papiers américains, à qui onavait appris à parler avec l’accent <strong>de</strong> Los Angeles,etc., <strong>de</strong>vaient infiltrer les troupes alliéespour les espionner. En août 1945, j’ai apprisoù et comment <strong>de</strong>s officiers allemands avaient«disparu» en <strong>de</strong>venant garçon <strong>de</strong> café ou palefrenierdans une ferme. L’ordre du Wehrwolfétait clair: ne pas être fait prisonnier. Bienentendu, cette organisation ne pouvait fonctionnerque tant que la guerre se poursuivait».2


TémoignagesLes incorporés <strong>de</strong> force face à leur <strong>de</strong>stinLe livret du RAD <strong>de</strong> <strong>Lisette</strong> Bal<strong>de</strong>nsperger.(coll. Bal<strong>de</strong>nsperger)3


TémoignagesLes incorporés <strong>de</strong> force face à leur <strong>de</strong>stinElle rejoint ensuite la IV. AusbildungAbteilung für Luftnachrichten-Helferinnen/Luftgau-Nachrichten Regiment 7 à Munichjusqu’au 16 décembre 1943. Le 11 décembre1943, elle bénéficie d’une permission jusqu’aulen<strong>de</strong>main à Garmisch. «Le papier quim’a alors été remis prouvait que j’étais bel etbien dans la Luftwaffe, même si nous portionstoujours l’uniforme du RAD.Nous avions été envoyé à Munich pourapprendre le morse. Nous avons été forméesau morse et à l’usage <strong>de</strong> la Schlüsselmaschine.Toutes les huit heures, un co<strong>de</strong> nous disaitcomment déco<strong>de</strong>r les messages que nousrecevions (par exemple: F = N). Si on soupçonnaitune écoute <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> l’adversaire,on passait à un autre co<strong>de</strong> (Ausweichfrequenz).Nous transcrivions et mettions enclair le chiffrage à colonnes <strong>de</strong> cinq lettres.Je me souviens que nous étions astreintes àune mission particulièrement périlleuse:ramasser les bombes incendiaires qui éclataientà retar<strong>de</strong>ment (elles ne contenaient pas<strong>de</strong> phosphore). Celles-ci étaient comparablesen gran<strong>de</strong>ur et en grosseur à <strong>de</strong>s néons.A tour <strong>de</strong> rôle, une Arbeitsmaid était désignéepour monter dans le grenier <strong>de</strong> la caserne encas d’alerte. Sous les toits étaient disposés <strong>de</strong>sseaux remplis <strong>de</strong> sable. Nous avions ordre <strong>de</strong>ramasser les bombes incendiaires, au risquequ’elles nous éclatent dans les mains, et lesmettre dans le sable. Utiliser <strong>de</strong> l’eau étaitimpensable: cela déclenchait leur éclatementet le feu se répandait dans toutes les directions!Bien sûr, si les avions larguaient d’autrestypes <strong>de</strong> bombes - les plus gran<strong>de</strong>s faisaient500 tonnes à l’époque -, notre sortétait vite réglé.Après les trois mois d’instruction pourapprendre le morse et distinguer les gra<strong>de</strong>s, ilne m’a pas été possible <strong>de</strong> rater l’examen(Funkerprüfung du 12 décembre 1943), carje connaissais déjà le morse <strong>de</strong>s Eclaireusesd’avant-guerre. Le professeur qui nousapprenait le morse, un sous-officier un peupoète, nous recommanda le jour <strong>de</strong> l’examen:«Vous ne parlez pas entre vous et, sivous avez <strong>de</strong>s questions, vous me les posez enfrançais». C’est ce que j’ai fait et il m’a effectivementrépondu en français.4


TémoignagesLes incorporés <strong>de</strong> force face à leur <strong>de</strong>stinUn jour, le conducteur du tram, nous ayantentendu parler en français, nous a <strong>de</strong>mandé:«Etes-vous françaises? Moi aussi!». Il nous aensuite indiqué l’endroit où nous pouvionstrouver d’autres Français le samedi, lorsqu’ilsne travaillaient pas; c’étaient <strong>de</strong>s gens duSTO. D’ailleurs, le <strong>de</strong>rnier wagon du tramétait réservé aux prisonniers. Il nous est arrivé<strong>de</strong> parler avec eux. Nous leur avons ditque nous étions à la caserne Freimann(Freimannkaserne), à Munich. Ils nous ontenvoyé une lettre en précisant au verso qu’ilsse trouvaient au Lager für Zivil Franzosen, uncamp pour anciens prisonniers <strong>de</strong> guerrelibérés, mais transformés en STO. Nousaurions pu être envoyées dans un camp <strong>de</strong>concentration si la cheftaine avait vu ça: ilnous était formellement interdit <strong>de</strong> parler à<strong>de</strong>s prisonniers français!Toujours à Munich, je me souviens que toutesles 100 filles du groupe avons été envoyéesdans une chambre à gaz. Nous yétions soumises à <strong>de</strong>s exercices <strong>de</strong> courses,<strong>de</strong> chant, etc. avec ou sans masque à gaz.Même si l’une d’entre nous a dû être évacuée,les exercices se sont poursuivis: ilsvoulaient voir combien <strong>de</strong> temps nous pouvionstenir!Nous avons été réparties dans différentesStellungen. J’ai été versée comme Funkerin àla 7 e Jagddivision sur un aérodrome (Fliegerhorst)à Schleissheim (Flugplatz Kdo A15/VII), Bavière, au Lager (camp) 54976 àpartir du 16 décembre 1943; nous étionssous les ordres <strong>de</strong> l’Oberleutnant Willy Kietz.A Schleissheim, le rythme <strong>de</strong> travail était lesuivant: on travaillait <strong>de</strong> 13 à 19 heures.Après une nuit <strong>de</strong> sommeil, nous reprenionsle travail <strong>de</strong> 7 à 13 heures. L’après-midi étaitlibre, puis on travaillait <strong>de</strong> 19 à 7 heures dumatin et, ensuite, un jour et <strong>de</strong>mi <strong>de</strong> repos.C’était un rythme fatigant et nous restionsau lit quand nous avions une journée <strong>de</strong>libre.Nous étions trois télégraphistes dans notrechambrée. On s’arrangeait pour embrouillerla MOF (Mai<strong>de</strong>noberführerin) Gisela Schlottafin qu’elle ne sache pas laquelle d’entre nousavait été <strong>de</strong> service.5


TémoignagesLes incorporés <strong>de</strong> force face à leur <strong>de</strong>stinUn <strong>de</strong>s aspects <strong>de</strong> la formation paramilitaire du RAD: le salut au drapeau (Extraits <strong>de</strong> Arbeitsmai<strong>de</strong>n in Altbayern).(Coll. Bal<strong>de</strong>nsperger)6


TémoignagesLes incorporés <strong>de</strong> force face à leur <strong>de</strong>stinJ’ai été en en permission à Guebwiller du7 au 19 janvier 1944».En mars 1944, alors qu’elles <strong>de</strong>vaient êtrelibérées <strong>de</strong> leur service, les filles du RAD(désormais télégraphistes) <strong>de</strong> la Luftwaffe ontappris qu’elles seraient mobilisées jusqu’enseptembre. En août 1944, les Funkerinen(radiotélégraphistes) apprirent que ce seraitjusqu’à la fin <strong>de</strong> la guerre par ordre <strong>de</strong> Hitler.Sur les 100 filles du groupe du RAD à laLuftwaffe, sept ou huit Funkerinen étaientconcernées. «Nous n’étions évi<strong>de</strong>mment pasd’accord avec cette prolongation et nous faisionssavoir que nous refusions d’être astreintesaux corvées comme les nouvelles qui arrivaient.C’est à ce moment-là que les Allemandsont créé le gra<strong>de</strong> <strong>de</strong> Son<strong>de</strong>rführerin:nous avions une sol<strong>de</strong> plus conséquente et ledroit <strong>de</strong> nous mettre en civil une fois parmois.Ce cher Dr. Gustav!«Dr. Gustav était en fait un nom <strong>de</strong> co<strong>de</strong>ultra-secret. Lors <strong>de</strong> notre prise <strong>de</strong> fonction,nous avons dû signer un papier selon lequelon s’engageait à ne jamais le divulguer. EtLa MOF Gisela Schlott, une vraie «peau <strong>de</strong> vache», dans le livre du RAD Arbeitsmai<strong>de</strong>n in Altbayern (page <strong>de</strong>gauche) qu’il était conseillé d’acquérir.(Coll. Bal<strong>de</strong>nsperger)7


TémoignagesLes incorporés <strong>de</strong> force face à leur <strong>de</strong>stinPortrait <strong>de</strong> radiotélégraphistes extrait <strong>de</strong> Arbeitsmai<strong>de</strong>nin Altbayern. (Coll. Bal<strong>de</strong>nsperger)pour cause: il signalait le débarquement <strong>de</strong>l’ennemi!Le 6 juin 1944, les filles, qui sortaient <strong>de</strong> leurservice <strong>de</strong> nuit à 7 heures du matin, medirent qu’il se passait quelque chose du côté<strong>de</strong> la Normandie. J’ai mis mon écouteur surles oreilles et, ayant entendu la confirmationdu Débarquement allié - je crois que c’étaitle chiffre 848 -, j’ai eu envie <strong>de</strong> hurler «Dr.Gustav!!» sans toutefois laisser transparaîtrema joie! Le Feldwebel sarrois a aussitôt prévenule chef <strong>de</strong> compagnie Kietz et ils ontpris l’écouteur. J’ai été la première àSchleissheim à apprendre la nouvelle duDébarquement et ce fut une joie <strong>de</strong> savoirque les Allemands l’apprirent <strong>de</strong> la bouched’une Alsacienne!Bombar<strong>de</strong>ments à SchleissheimLes 19 et 31 juillet 1944, la ville <strong>de</strong>Schleissheim subit <strong>de</strong> terribles bombar<strong>de</strong>ments<strong>de</strong> cinq vagues <strong>de</strong> 1000 avions. Ilsdurèrent cinq heures. Si l’aéroport était lacible <strong>de</strong>s Alliés, les civils furent égalementtouchés: six maisons furent détruites et 20personnes trouvèrent la mort au cours <strong>de</strong> cesattaques (informations confirmées par lemaire d’Oberschleissheim dans une lettre du7.2.1983). Parmi les victimes figuraient <strong>de</strong>ux<strong>de</strong> mes camara<strong>de</strong>s: l’une fut décapitée et l’autreeut les poumons éclatés. Une autre a eu lavie sauve car, dans la forêt, un soldat s’étaitcouché sur elle et c’est lui qui a pris les éclatsd’obus. Vous savez, à cette époque, on étaitdans un tel état moral qu’on n’avait pas peur<strong>de</strong> mourir. On acceptait la mort sans toutefoisla souhaiter: nous étions tellement fatiguésqu’on l’envisageait comme un moyen <strong>de</strong>se reposer, <strong>de</strong> dormir enfin.Le 20 juillet 1944, <strong>de</strong>s prisonniers du camp<strong>de</strong> Dachau ont été réquisitionnés pourremettre <strong>de</strong>s tuiles sur les toits <strong>de</strong>s casernes.J’étais avec Emmi Lubos, née Kroher. J’aijoué avec un harmonica ou une flûte l’air <strong>de</strong>«La Marseillaise». Un <strong>de</strong>s prisonniers <strong>de</strong>Dachau m’a salué du haut du toit d’un«Bonjour, ma<strong>de</strong>moiselle!». J’ai fait semblant<strong>de</strong> rien, espérant que ma camara<strong>de</strong> alleman<strong>de</strong>n’avait rien remarqué: il était interditd’avoir <strong>de</strong>s contacts avec <strong>de</strong>s captifs. A magran<strong>de</strong> surprise, ce n’est que bien après laguerre qu’elle m’a rappelé cet épiso<strong>de</strong>. C’était8


TémoignagesLes incorporés <strong>de</strong> force face à leur <strong>de</strong>stinen 1993, alors que j’étais chez elle en vacances,qu’elle m’a <strong>de</strong>mandé si je me souvenais<strong>de</strong> ce gars sur le toit. J’étais étonnée et heureuse:elle tenait alors ma vie dans ses mainset, fidèle à notre amitié, ne m’avait jamaisdénoncée.Le bombar<strong>de</strong>ment du 31 fit plus <strong>de</strong> dégâts etle camp fut presque entièrement détruit, cequi obligea les Allemands à nous transférer àPfaffenhofen an <strong>de</strong>r Ilm (au nord <strong>de</strong>Munich).Nous avons été transférées à Scheyern, nonloin <strong>de</strong> Pfaffenhofen, le 4 août 1944. LesAllemands avaient réquisitionné le couvent<strong>de</strong> Scheyern d’où les moines avaient été évacués.Nous avons pris leur place. Une navettenous conduisait à Pfaffenhofen, le tempsque <strong>de</strong>s baraquements y soient construits.Nous étions sous les ordres <strong>de</strong> l’OberleutnantMeyn et <strong>de</strong> l’Oberleutnant Kietz (nous lesommes restées jusqu’au 17 avril 1945). Leservice commençait à 7 heures du matin ets’achevait le len<strong>de</strong>main matin à 7 heures. Ontravaillait 84 heures par semaine! Il n’y avaitplus <strong>de</strong> nuits <strong>de</strong> sommeil complètes. Lors <strong>de</strong>bombar<strong>de</strong>ments, lorsque nous étions aurepos dans les baraquements, nous filions enforêt ou, la nuit, dans les caves. Une fois, unavion - j’ai appris après la guerre qu’il s’agissaitd’un Canadien - nous a pris pour cible,Emmi et moi. Nous nous sommes cachéesdans un trou d’eau, sous <strong>de</strong>s ronces, pouréchapper au tir <strong>de</strong> ce Tiefflieger.On évitait <strong>de</strong> parler <strong>de</strong> politique. De tempsen temps, je faisais semblant <strong>de</strong> m’étonner<strong>de</strong>vant Emmi: «Ce n’est pas possible! Ondoit le cacher au Führer». Nos propos étaientsurveillés. Il ne fallait pas se faire prendre etnos camara<strong>de</strong>s étaient interrogées sur notreattitu<strong>de</strong> et nos paroles. Après la guerre Emmim’a dit qu’elle avait été convoquée par laFührerin pour être interrogé sur les proposque je tenais. Comme j’avais été très pru<strong>de</strong>nte,Emmi avait pu en parler sans craindre <strong>de</strong>me faire du tort. Si elle avait essayé <strong>de</strong> cacherquoi que ce soit à la Schlott, celle-ci s’enserait rendu compte et les conséquencesauraient été dramatiques. Une copine alleman<strong>de</strong>,Gretel, a un jour souhaité la défaite<strong>de</strong> son pays pour que Hitler disparaisse.9


TémoignagesLes incorporés <strong>de</strong> force face à leur <strong>de</strong>stinJe dois dire que le mot «solidarité» n’était pasvain en cette époque <strong>de</strong> malheurs. Je me souviensd’un incorporé <strong>de</strong> force, Alfred Roes,<strong>de</strong> Nie<strong>de</strong>rmo<strong>de</strong>rn, qui était planton en premièreligne sur le front Est. Il était là, dans laneige. Quand il a réalisé qu’il avait été oubliépar ses camara<strong>de</strong>s, il a quitté son poste. Il afinalement été recueilli par une famille <strong>de</strong>Russes et a dormi chez eux, allongé avec sonfusil entre les <strong>de</strong>ux adultes. Il y avait aussibeaucoup <strong>de</strong> solidarité entre nous. Une <strong>de</strong>mes camara<strong>de</strong>s m’a un jour rangé monarmoire pour éviter que je soie punie.N’étions-nous pas toutes dans le mêmepanier?Ma camara<strong>de</strong> Anna Diffiné, d’Offwiller, quiépousa Alfred Roes, était cuisinière àSchleissheim. Elle a donné <strong>de</strong> la soupe à un<strong>de</strong>s prisonniers <strong>de</strong> Dachau. Par mon intermédiaire,elle donnait du pain à <strong>de</strong>s prisonniersrusses qui étaient sous la responsabilitéd’un sous-officier allemand. Celui-ci nousavait <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> donner les restes <strong>de</strong> painaux Russes pour qu’ils ne crèvent pas totalement<strong>de</strong> faim.Histoire <strong>de</strong> bunkerNous nous trouvions dans un bunker <strong>de</strong> cinqétages. Deux étaient enterrés (où se trouvaitla cantine), les trois autres dépassaient du sol.Une seule faça<strong>de</strong> était percée <strong>de</strong> fenêtres.Chaque étage comprenait cinq pièces enenfila<strong>de</strong>s. Ce type <strong>de</strong> constructions était trèsrésistant: celui <strong>de</strong> Berlin, par exemple, n’étaitque légèrement fendu après avoir été touchépar une trentaine <strong>de</strong> bombes.Il y avait un dortoir dans le bunker. Quandnous n’avions pas <strong>de</strong> travail, nous pouvions ydormir, soit <strong>de</strong> 22 heures à 2 heures dumatin, soit <strong>de</strong> 2 heures à 6 heures du matin,mais c’était extrêmement rare. Avec Emmi,nous <strong>de</strong>vions faire <strong>de</strong>s remplacements au servicemétéo (Wetterwachte).En principe, lorsque nous nous trouvionsdans les baraques et qu’il y avait une alerte -la sirène était actionnée par un gars qui pédalaitsur un vélo -, nous courrions la nuit enforêt pour nous mettre à l’abri. Mais, si nousétions dans le dortoir du bunker, nous<strong>de</strong>vions rejoindre notre poste. Comme lebunker était quasiment in<strong>de</strong>structible, Emmi10


TémoignagesLes incorporés <strong>de</strong> force face à leur <strong>de</strong>stinAspects <strong>de</strong> la vie quotidienne au RAD d’après le livre Arbeitsmai<strong>de</strong>n in Altbayern.(Coll. Bal<strong>de</strong>nsperger)11


TémoignagesLes incorporés <strong>de</strong> force face à leur <strong>de</strong>stinBunker <strong>de</strong> défense anti-aérienne (Flakturm) tel qu’ilsexistaient à Berlin. «Notre bunker était du même type,mais il était dépourvu <strong>de</strong> DCA».(Extrait <strong>de</strong> Der Freiwillige n°9, 1985, p.26)et moi avons décidé <strong>de</strong> ne plus courir dansles bois, mais <strong>de</strong> nous rendre au bunker. Là,nous disions au planton que nous étionsenvoyées pour le service (Einsatz). Une foisdans la place, on montait dans le dortoir queles occupants légitimes venaient <strong>de</strong> quitterpour rejoindre leurs postes et on dormait jusqu’àla fin <strong>de</strong> l’alerte qui, en principe, duraitquatre heures. On se levait quand retentissaitla sirène et nous disions au planton que leservice était fini et que nous pouvions regagnernotre baraque.Pour sortir <strong>de</strong> notre bunker, par exemplepour chercher une batterie, il fallait qu’onnous donne une carte qu’il fallait rendre auretour. J’en avais conservé une et je l’avaistoujours quand je suis partie à Salzburg, le20 avril 1944; c’était le jour anniversaire duFührer, mais il y avait peu <strong>de</strong> drapeaux accrochésdans les rues. A 6 heures et <strong>de</strong>mie dumatin, le planton ne m’a pas <strong>de</strong>mandé mafeuille <strong>de</strong> permission. Comme on n’avait pas<strong>de</strong> billet <strong>de</strong> train, nous sommes passés encourrant <strong>de</strong>vant le guichetier: on savait qu’ilne pouvait pas nous courir après et, <strong>de</strong> toutefaçon, personne ne se serait risqué à poursuivre<strong>de</strong>s jeunes filles en uniformes du RAD ettout le mon<strong>de</strong> savait que nous n’avions pasd’argent.Un jour, le Feldwebel - un Sarrois nomméKühner - m’a <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> lui chercher unebouteille <strong>de</strong> bière. Je l’ai secouée avant <strong>de</strong> luidonner et, bien sûr, la bière a été projetée jusqu’auplafond du Hochbunker (qui se trouvaità 4m <strong>de</strong> haut) lorsqu’il l’a ouverte! LeFeldwebel était trempé et furieux. Il m’a accuséà plusieurs reprises d’avoir secoué la bouteille,mais j’ai nié à chaque fois. Ayant retrouvémes camara<strong>de</strong>s, je leur ai avoué que jel’avais fait. Les Alleman<strong>de</strong>s étaient surprises,car, pour elles, une parole donnée était sacrée.Les Alsaciennes ne faisaient pas l’unanimitéchez les Allemands. Une «camara<strong>de</strong>», originaire<strong>de</strong>s Sudètes, m’a une fois dit: «Vous, lesAlsaciens, vous êtes <strong>de</strong>s dégénérés avec votresang <strong>de</strong> nègre, <strong>de</strong> juif. Espèce <strong>de</strong> Franzosenkopf(tête <strong>de</strong> Français)!». Je lui ai répondu «Merci,barbare!» et nous nous sommes battues.Lorsque nous sommes revenues au service, leFeldwebel Kühner a bien vu qu’il s’était passé12


TémoignagesLes incorporés <strong>de</strong> force face à leur <strong>de</strong>stinquelque chose. M’ayant interrogé, je racontaisl’altercation. Au mot Franzosenkopf, sonsang n’a fait qu’un tour et il s’est retournévers ma «camara<strong>de</strong>»: «Tu ne la traitera plus<strong>de</strong> Franzosenkopf ou je t’appelle Tscheschenkopf(tête <strong>de</strong> Tchèque)!».Soucis <strong>de</strong> santéVers août 1944, mon père avait découpé unepetite carte <strong>de</strong> France dans un atlas et y indiquaitla progression <strong>de</strong>s Américains. Au vu<strong>de</strong> leur avancée, il m’avait écrit «innocemment»:«Comme tu as une angine diphtérique,je pense que tu as droit à un congé età rentrer».Le 3 septembre 1944, j’ai obtenu d’une sousfifre<strong>de</strong> la cheftaine une permission <strong>de</strong> 24heures, soit le temps d’un aller. Ce n’était passuffisant pour faire les 500 kilomètres à effectuerpour rentrer chez moi, d’autant que lestrains ne circulaient que la nuit. Je suis doncpartie dans la nuit du 3 au 4 septembre.En Alsace, j’habitais alors à Guebwiller-Hauteville. La gare se trouvait dans la basseville et la gare <strong>de</strong> la haute ville s’appelait«Gare d’Heissenstein». C’est là que je prenaismes billets <strong>de</strong> train, car c’était plus près<strong>de</strong> chez moi. Ma gare était donc «Gebweiller-Heissenstein».Ce qui provoquait <strong>de</strong>squiproquos lors <strong>de</strong> l’établissement <strong>de</strong> feuilles<strong>de</strong> route: personne ne trouvait cet«Heissenstein». C’est ainsi que j’ai reçu unbillet <strong>de</strong> couleur roseindiquant le nom <strong>de</strong>la gare - Pfaffenhofen- et titré „Ausweis fürNachlösung“.Je pensais que si j’arrivaisà Guebwiller, jeserai probablementdépassée par le front.Pour éviter <strong>de</strong> retournerau camp (et d’êtrecoupée <strong>de</strong> ma provinceen cas d’avancée<strong>de</strong>s Alliés), j’aisubi, les 5 et 9 septembre,<strong>de</strong>s examensmédicaux à Guebwiller.Mon père étaitallé trouver le docteurGottfried Meyer,Le télégramme envoyé le 13 septembre 1944 par la MOF Schlott.(Coll. Bal<strong>de</strong>nsperger)13


TémoignagesLes incorporés <strong>de</strong> force face à leur <strong>de</strong>stindu sanatorium «Solisana» <strong>de</strong> Guebwiller, quim’a établi un certificat médical indiquantque je souffrais d’un effondrement nerveux,ce qui n’était pas loin <strong>de</strong> la vérité. Je ne pouvaisdonc pas être <strong>de</strong> retour à temps. Le 7, unmé<strong>de</strong>cin militaire, le docteur Porstmann, aécrit à la MOF Schlott que j’étais souffrante.La réaction ne s’est pas fait attendre. Un télégramme,daté du 13 septembre et signé <strong>de</strong> laMOF Schlott (mais commandité par laGestapo qui se méfiait), me rappelait à l’ordre:„Sofort zurueckkommen sonst Dienstfluechtig“(«Retour immédiat ou désertion»).Télégramme et lettre ont été envoyés à laMOF Schlott pour lui assurer que je n’étaispas entrain <strong>de</strong> déserter!La situation <strong>de</strong>vient dangereuseQuand j’ai été <strong>de</strong> retour au camp (fin septembre1944), la cheftaine m’a fait payer letélégramme et a maintenu son accusation <strong>de</strong>désertion. Je lui ai rétorqué: «Je ne suis pasdéserteur, puisque je ne suis pas alleman<strong>de</strong>.- Mais si, vous êtes alleman<strong>de</strong>!- Non! Et je peux vous le prouver!».J’ai alors sorti mon billet <strong>de</strong> train (daté du3 septembre 1944) sur lequel figure „Strassburg(els.) Bhf. (Ausl.).“, soit «Strasbourg(Alsace) Gare...», mais, ne sachant pas ce quesignifiait „Ausl.“, j’ai soutenu que cette abréviationsignifiait „Ausland“, «Etranger».Là-<strong>de</strong>ssus, elle a lancé qu’elle savait que jen’avais pas l’intention <strong>de</strong> revenir, car j’avaisdit à ma camara<strong>de</strong> Emmi que, si je ne revenaispas, elle <strong>de</strong>vait me renvoyer mes affaires.La «camara<strong>de</strong>» <strong>de</strong>s Sudètes l’avait entendu etm’avait immédiatement dénoncé.Mais l’affaire ne s’arrête pas là. FrauleinSchlott me dit: «Si vous pouvez me montrerle billet, je vous crois». Je sors dans le couloir,seule. Theresa, une Bavaroise qui avait eu lacuisse arrachée lors du bombar<strong>de</strong>ment <strong>de</strong>Schleissheim (elle se trouvait à côté <strong>de</strong> cellequi <strong>de</strong>vait la vie au soldat qui s’était couchésur elle) me glisse: «Si j’avais été toi, je neserai pas revenue!» avant d’ajouter que c’étaitla Tscheschenkopf qui m’avait dénoncée. J’aidonc donné le billet. Avec les Allemands, ilfallait toujours cracher plus haut qu’eux.Schlott me dit alors: «Permettez-moi <strong>de</strong>transmettre ce billet à la responsable <strong>de</strong> toutela Bavière» ajoutant, perfi<strong>de</strong>: «Vous ne14


TémoignagesLes incorporés <strong>de</strong> force face à leur <strong>de</strong>stinLe port d’un uniforme jusque dans les activités sportives.(Extraits <strong>de</strong> Arbeitsmai<strong>de</strong>n in Altbayern - Coll. Bal<strong>de</strong>nsperger)15


TémoignagesLes incorporés <strong>de</strong> force face à leur <strong>de</strong>stincroyez pas à la victoire finale!- Et vous, vous y croyez? Sinon vous ne pleureriezpas à chaque fois que <strong>de</strong>s bombes tombentsur Braunschweig!».Elle a commencé à pleurer et j’en ai profité àmon avantage. L’inci<strong>de</strong>nt en est heureusementresté là. J’avais été questionnée pendant8 heures!C’est à partir <strong>de</strong> ce moment-là que les lettresenvoyées à mes parents étaient interceptéespar la postière et données à la cheftaine(Lagerführerin). Et les lettres qui m’étaientenvoyées ne me parvenaient plus. Mesparents ignoraient donc tout <strong>de</strong> ma situation,si j’étais toujours en vie ou si j’avais étéfusillée pour désertion. Ce n’est que le5 novembre 1944 que la MOF GiselaSchlott m’a redonné les lettres reçues <strong>de</strong> mesparents <strong>de</strong>puis mon retour, quand nousavons été nommées auxiliaires <strong>de</strong> laLuftwaffe, c’est-à-dire Luftwaffenhelferinen».Feuille <strong>de</strong> libération (Entlassungsschein) du RAD établiele 5 novembre 1944 et signée par la MOF Schlott.(Coll. Bal<strong>de</strong>nsperger)Le RAD se termine enfin!Le 28 octobre 1944, <strong>Lisette</strong> Bal<strong>de</strong>nspergerapprend qu’elle ne pourra pas être libérée <strong>de</strong>16


TémoignagesLes incorporés <strong>de</strong> force face à leur <strong>de</strong>stinson service dans la Luftwaffe, puisquel’Allemagne livrait à ce moment-là les <strong>de</strong>rnierscombats pour la victoire finale. Ce n’estque le 5 novembre 1944, soit un an et septmois après son incorporation, qu’elle est libéréedu Reichsarbeitsdienst. Sa feuille <strong>de</strong> libération(Reichsarbeitsdienst-Entlassungsschein)indique bien qu’elle a effectué le RAD du8 avril 1943 au 4 novembre 1944. «Mais jesuis restée dans la même baraque, avec lemême Hauptmann (capitaine) Kietz qui avaitpris du galon. Il y avait pourtant un mieux:nous étions à présent commandée par unecheftaine <strong>de</strong> la Luftwaffe et non plus par celledu RAD qui était une véritable peau <strong>de</strong>vache et qui, à cause <strong>de</strong> son comportement,a plusieurs suici<strong>de</strong>s sur la conscience».Deux jours plus tard, le 7 novembre 1944,alors qu’elle est affectée au LuftnachrichtenRegiment 217, elle obtient une permissionjusqu’au 14 novembre suivant. «Nous<strong>de</strong>vions nous engager sur l’honneur à revenir.Comme je l’ai dit, pour les Allemands, unepromesse est une promesse. Pour nous autres,c’était un billet pour la maison, car, entant qu’incorporées <strong>de</strong> force, nous ne noussentions pas liées par ce serment. En fait,cette permission <strong>de</strong>vait nous permettre <strong>de</strong>rentrer chez nous pour ramener <strong>de</strong>s vêtementscivils. En effet, lorsque nous avons dûrendre les uniformes du RAD, la Luftwaffen’a pas pu nous fournir d’uniformes, uniquement<strong>de</strong>s tabliers <strong>de</strong> mauvaise qualité!Avant <strong>de</strong> partir, j’ai aussi juré à l’OberleutnantMeyn <strong>de</strong> ne rien dire <strong>de</strong> ce que je savaisou <strong>de</strong> ce que j’avais vu chez eux. J’avoueavoir tenu parole quand les Français ont libéréSingen. Je ne leur ai pas donné <strong>de</strong> renseignementsd’ordre militaire, car nous étions àquelques jours <strong>de</strong> la fin <strong>de</strong> la guerre. Enoutre, ces renseignements auraient été certainementtransmis aux Américains qui auraientbombardé le site où se trouvait encoremon amie. Je ne voulais pas risquer <strong>de</strong> la fairemourir. J’ai donc, cette fois-là, tenu parolepour épargner <strong>de</strong>s vies humaines.Je me dois <strong>de</strong> préciser que Meyn n’était pasun gars commo<strong>de</strong>. Un jeune soldat allemand<strong>de</strong> 18 ans avait obtenu une permission à partir<strong>de</strong> minuit. Il est sorti du bunker <strong>de</strong> l’aérodromeà 22h30 pour prendre le <strong>de</strong>rnier17


TémoignagesLes incorporés <strong>de</strong> force face à leur <strong>de</strong>stintrain et gagner ainsi une journée <strong>de</strong> perm.Mais sa permission débutant à minuit, leFeldwebel Kühner l’a signalé et Meyn a faitfusiller ce soldat pour désertion!Vers la libérationA partir <strong>de</strong> novembre 1944, il n’y avait plus<strong>de</strong> courrier entre l’Alsace et l’Allemagne.Mais le pasteur <strong>de</strong> Guebwiller connaissait <strong>de</strong>ssoldats allemands, non nazis, qui assistaientau culte. Ces <strong>de</strong>rniers servaient <strong>de</strong> boîtes auxlettres. Mon père les connaissait aussi et ilslui permettaient d’envoyer <strong>de</strong>s lettres par laFeldpost (poste militaire); un camara<strong>de</strong> ducollège, hospitalisé au Lazaret d’Ingolstadt,recevait du courrier <strong>de</strong> la même manière.Quand les soldats ont dû se replier, l’un d’entreeux a dit à mon père d’écrire un billetpour moi. C’est donc par l’intermédiaire <strong>de</strong>ce gars, originaire <strong>de</strong> Lorrach, que j’ai eu <strong>de</strong>snouvelles <strong>de</strong> l’Alsace (3 février 1945). Ce soldatm’avait écrit qu’ils avaient quitté Guebwillersans combattre, car les Français étaientarrivés avec une masse <strong>de</strong> chars. Il répétait enfait l’explication officielle <strong>de</strong>s Allemandspour expliquer leur repli.Mon père a été mobilisé pour creuser <strong>de</strong>s fossésanti-chars (Schanzen) à Winkel, le long<strong>de</strong> la frontière suisse. Si un gars du groupe(Schanzgruppe) avait un membre <strong>de</strong> safamille dans l’Armée alleman<strong>de</strong>, il avait ledroit <strong>de</strong> quitter son travail pour voir sonWehrmachtsangehöriger. C’est grâce à ça quemon père m’a vue à Guebwiller du 7 au 14novembre. Lorsque Mulhouse a été libérée, iln’est évi<strong>de</strong>mment pas retourné au Schanzgruppe.Début février 1945, mon père est allé àWinkel en vélo et il s’est arrangé pour donnerune lettre à un douanier suisse pour fairecroire que l’expéditeur était un apiculteurd’Alschwill, près <strong>de</strong> Bâle. Dans cette lettre, ilme faisait comprendre que Guebwiller avaitété épargnée tout en faisant croire qu’il parlaitd’Alschwill et qu’il écrivait <strong>de</strong>puis laSuisse. J’ai montré cette lettre qui venait <strong>de</strong>Suisse au capitaine Kietz - qui n’était pas unnazi - pour obtenir une carte (que je possédaisen fait <strong>de</strong>puis la fin du mois <strong>de</strong> septembre1944!) qui me permettait d’écrire àl’étranger („Kontrollkarte für <strong>de</strong>n Auslands-18


TémoignagesLes incorporés <strong>de</strong> force face à leur <strong>de</strong>stinbriefverkehr“). Je l’ai postée le 9 mars 1945 àPfaffenhofen et l’ai envoyée à Alschwill/Basel.Une semaine plus tard, le capitaine Kietz -qui était le chef du camp (secteur postaln°54976) - a réuni la compagnie (Kompaniebelehrung).Me regardant avec insistance, il adéclaré qu’il était interdit aux membres <strong>de</strong> laWehrmacht d’écrire à l’étranger. Personne necomprenait <strong>de</strong> quoi il parlait, sauf moi quiavait été la seule à écrire à l’étranger. J’avaiscompris son message: il m’avait laissé 8 jourspour répondre à la lettre <strong>de</strong> mon père.A propos <strong>de</strong> courrier, je dois encore évoquerles nombreuses lettres écrites, dès 1943, parmon père pour que je sois engagée à l’EcoleNormale (il avait l’accord <strong>de</strong> la Lehranstalt),aux Mines <strong>de</strong> potasse, à la Reichsuniversität<strong>de</strong> Strasbourg ou à la Maschinenfabrick <strong>de</strong>Guebwiller (lettre du 25 août 1944). En casd’engagement à un <strong>de</strong> ces postes, j’aurais étélibérée du RAD.Le 16 avril 1945, la région <strong>de</strong> Pfaffenhofen setrouvait dans une «poche». Chaque fois qu’unRéponse négative, datée du 13 mars 1944, <strong>de</strong> la Stabsoberführerin du RAD à une énième <strong>de</strong>man<strong>de</strong> du père <strong>de</strong><strong>Lisette</strong> Bal<strong>de</strong>nsperger.(Coll. Bal<strong>de</strong>nsperger)19


TémoignagesLes incorporés <strong>de</strong> force face à leur <strong>de</strong>stinsoldat qui arrivait était radiotélégraphiste, unefille qui pouvait rentrer recevait une permission.En effet, l’adversaire se rapprochant, ilfallait pouvoir se défendre l’arme à la main.Or, même si ma camara<strong>de</strong> alsacienne GretlClausen avait un pistolet, nous n’avions pasappris à tirer pour la seule raison que lesFunkerinen avaient le service le plus lourd. J’ai<strong>de</strong>mandé au capitaine Kietz <strong>de</strong> pouvoir rentreravant d’être coupée <strong>de</strong> ma région.Mon oncle, qui était cheminot à Mannheim,reculait <strong>de</strong>vant l’avancée américaine. Il faisaitle voyage Munich-Bregenz (ouest <strong>de</strong> l’Autriche)et il est passé par Scheyern. J’ai obtenuune permission pour le voir. Il m’a dit qu’ilallait à Singen-Hohentwiehl. C’est là que jevoulais aller pour le rejoindre. Le 17 avril, lecapitaine m’a donné une permission valablejusqu’au 30 juin 1945; officiellement, j’ai été«mise en congé jusqu’à la libération du service»(„Son<strong>de</strong>rurlaub bis zur Durchführung <strong>de</strong>rEntlassung als Oberhelferin von L 51795 LgPa Landshut (Bayern) am 17/4/45 durch <strong>de</strong>nOberlt. und Komp. Führer Willy Kietz“).Mon <strong>de</strong>rnier gra<strong>de</strong> connu dans la Luftwaffeest Luftnachrichten-Oberhelferin.J’ai fait la première partie du voyage dansune Funkwagen. Je suis arrivée près <strong>de</strong>Kempten - où le chauffeur a rejoint safemme - vers 8 heures du matin. J’ai pris letrain jusqu’à Friedrichshafen, puis le bateaujusqu’à Constance. Le trajet s’est ensuite faiten train jusqu’à Singen. J’y suis arrivée tarddans la nuit. Il était près <strong>de</strong> minuit quand j’aiabordé un vieux soldat - il <strong>de</strong>vait avoir plus<strong>de</strong> 60 ans - dont la fonction était <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r<strong>de</strong>s prisonniers <strong>de</strong> guerre français. Il m’a proposé<strong>de</strong> m’héberger chez lui pour la nuit. Ilm’a également offert à manger. J’ai dormitoute habillée dans le salon, pendant que luiet sa femme dormaient dans leur chambre.Le len<strong>de</strong>main, il m’a conduit où je voulaisaller. J’ai été recueillie par une pauvre femmed’origine alsacienne.Le 1 er mai, j’ai quitté Singen - qui avait étélibérée par les Français - à pied, en directiondu Sud, pour rejoindre la ville d’Hemishofenen Suisse. J’aurais dû être placée en quarantainedans un camp, mais la frontière s’estouverte à Genève. De là, le même jour, j’aipu envoyer un télégramme à mes parentspour leur dire que je rentrais. Le 4, j’étais au20


TémoignagesLes incorporés <strong>de</strong> force face à leur <strong>de</strong>stincentre <strong>de</strong> rapatriement d’Annemasse. Puisj’ai rejoint Mulhouse à bord d’un wagon àbestiaux. De Bollwiller, le train n’allait pasjusqu’à Gubwiller: le pont avait sauté. Je suisdonc allée sur la route pour faire du stop. Unhomme <strong>de</strong> Bollwiller m’a pris dans son taxi -il y avait cinq personnes à bord - et m’aconduit jusqu’à Guebwiller (soit un trajet <strong>de</strong>trois kilomètres). Il a <strong>de</strong>mandé à mon père lasomme <strong>de</strong> 1000 francs pour le service rendu!Mon père, croyant qu’il m’avait ramenéed’Annemasse, a payé sans sourciller. C’étaitle 7 mai 1945.Cas <strong>de</strong> conscienceJ’ai beaucoup souffert pendant ces annéesdans l’Armée alleman<strong>de</strong>, car je travaillaiscontre mon pays. Mais les bombar<strong>de</strong>mentsalliés avaient <strong>de</strong>s conséquences terribles. Sur500 avions, la DCA alleman<strong>de</strong> en <strong>de</strong>scendaitun seul et causait la mort <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux à huithommes d’équipage. Mais si Munich n’étaitpas prévenu par une pré-alerte (Voralarm),c’était entre 3000 et 5000 victimes qu’il faudraitdéplorer. J’avais la possibilité d’interrompreles émissions <strong>de</strong> la radio pour lancerune Voralarm et je ne pouvais me résoudre àAu RAD, <strong>Lisette</strong> Bal<strong>de</strong>nsperger a tenu un cahier <strong>de</strong> souvenirs et a réalisé une poupée à partir <strong>de</strong> bouts <strong>de</strong> tissusprovenant d’uniformes d’Arbeitsmai<strong>de</strong>n.(Coll. Bal<strong>de</strong>nsperger)21


TémoignagesLes incorporés <strong>de</strong> force face à leur <strong>de</strong>stin<strong>Lisette</strong> Bal<strong>de</strong>nsperger obtient la carte du Combattant en 1993.(coll. Bal<strong>de</strong>nsperger)compter en Américainsou en Allemands,mais en vieshumaines. PourDres<strong>de</strong>, on pensaitque les avions allaientsur Vienne, puis surd’autres villes: lesAméricains donnaient<strong>de</strong> faussesdirections, ce qui faitqu’on n’a pas pu prévenirDres<strong>de</strong> du périlqui la guettait.C’était terrible. Si j’aipu tenir mentalement,c’est uniquementparce que je faisaisle travail qu’onme commandait <strong>de</strong>faire avec l’idée d’épargner <strong>de</strong>s vies humaines».territoire français annexé par l’ennemi» pourla pério<strong>de</strong> du 8 avril 1943 au 16 avril 1945,soit une pério<strong>de</strong> totale <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ans et neufjours.En 1989, elle obtient la qualité d’incorporée<strong>de</strong> force dans l’Armée alleman<strong>de</strong> pour uneseule journée <strong>de</strong> novembre: «J’ai pu prouverque, ce jour-là, il y avait eu un mort dans lerégiment: le Zahlmeister. J’ai égalementobtenu la carte du Combattant en 1993, carje m’étais rendu, avec madame Clausen, àFribourg pour rencontrer le Major Schönherrqui a pu établir que les Luftwaffenhelferinnenbats».avaient bien participé à <strong>de</strong>s com-En 1956, le ministère <strong>de</strong>s Anciens combattantset victimes <strong>de</strong> guerre reconnaît à <strong>Lisette</strong>Bal<strong>de</strong>nsperger «la qualité <strong>de</strong> personnecontrainte au travail en pays ennemi, en territoireétranger occupé par l’ennemi ou en22

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