Entretien avec Richard Descoings - Association des Sciences-Po
Entretien avec Richard Descoings - Association des Sciences-Po
Entretien avec Richard Descoings - Association des Sciences-Po
Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
BILAN<br />
Campus 29<br />
RICHARD DESCOINGS :<br />
« SCIENCES PO EST AUJOURD’HUI<br />
UNE UNIVERSITÉ INTERNATIONALE,<br />
SÉLECTIVE, QUI CONSACRE 40 %<br />
DE SON BUDGET À LA RECHERCHE »<br />
<strong>Richard</strong> <strong>Descoings</strong> entame son quatrième mandat à la direction de <strong>Sciences</strong> <strong>Po</strong> ; il revient<br />
sur ses combats, ses regrets, ses satisfactions, et détaille ses objectifs et ses ambitions. <strong>Entretien</strong>.<br />
Propos recueillis par Pierre Meynard, Jean-Pascal Picy et Anne-Sophie Beauvais<br />
Vous avez pris la direction de <strong>Sciences</strong> <strong>Po</strong> en 1996.<br />
De quoi êtes-vous le plus fier ?<br />
L’un <strong>des</strong> combats les plus durs que j’ai eu à mener a été sans<br />
aucun doute l’institution de la 3 e année obligatoire à l’étranger.<br />
C’était en 1997. À cette époque, j’ai tout entendu. Que je transformais<br />
le diplôme en millefeuilles, que les élèves auraient à<br />
l’étranger une moins bonne formation que s’ils restaient à <strong>Sciences</strong><br />
<strong>Po</strong>, que parler une langue étrangère n’était pas aussi nécessaire<br />
que je voulais bien le dire.<br />
Photos Cyrille Romulus<br />
Faire aboutir ce projet de troisième année<br />
obligatoire à l’étranger a été plus difficile que la mise en<br />
place, en 2000, <strong>des</strong> Conventions éducation prioritaire<br />
<strong>avec</strong> plusieurs lycées partenaires en ZEP ?<br />
En réalité, je n’ai jamais compris pourquoi la mise en place de<br />
ces conventions avait fait autant de bruit. On était parti du constat<br />
suivant : il y a de très bons élèves, <strong>avec</strong> <strong>des</strong> familles attentives<br />
et <strong>des</strong> professeurs de qualité dans tous les lycées de France, y<br />
compris dans <strong>des</strong> zones dites « défavorisées ». L’idée était donc<br />
d’aller chercher ces élèves et de mettre en place une procédure<br />
adéquate pour les recruter. Il faut avoir à l’esprit que, depuis longtemps,<br />
<strong>Sciences</strong> <strong>Po</strong> avait diversifié ses voies d’admission. On<br />
ne rentre pas en master par la même procédure qu’en doctorat.<br />
De la même manière, le recrutement <strong>des</strong> élèves internationaux<br />
ne se fait pas à l’identique de celui <strong>des</strong> étudiants français. Nous<br />
avons donc, là aussi, voulu nous adapter à la cible de recrutement.<br />
Ce projet était cohérent et, pour moi, n’était pas de nature<br />
à prendre une telle proportion dans le débat public. Si cette<br />
mesure est devenue emblématique et si elle a fait beaucoup parler<br />
d’elle, paradoxalement, elle n’a pas été pour moi du même<br />
RUE SAINT-GUILLAUME N° 163 > JUIN 2011
30<br />
Campus BILAN<br />
ordre de difficulté, pour convaincre et pour réaliser, que de faire<br />
partir 1 400 jeunes dans les meilleures universités étrangères, de<br />
façon obligatoire, en troisième année.<br />
Vous avez le sentiment d’avoir été suivi<br />
dans cette voie de la diversité par les autres gran<strong>des</strong><br />
écoles françaises ?<br />
Pas vraiment. Seule l’ESCP Europe recrute aujourd’hui <strong>des</strong><br />
diplômés de BTS ou d’IUT, ce qui représente, pour une école<br />
de commerce, une vraie modification structurelle. Et c’est une<br />
belle manière de prouver que diversité et excellence peuvent aussi<br />
rimer pour les écoles de management françaises.<br />
Autant pour ce qui concerne l’internationalisation que la globalisation,<br />
si tous les établissements d’enseignement supérieur<br />
n’y sont pas encore passés c’est surtout pour une question de<br />
moyens. Mais l’idée est bien là. Il n’y a plus de désaccord sur la<br />
‘<br />
Les élites sociales ne sont pas encore<br />
convaincues qu’il leur faut s’ouvrir à la diversité<br />
de la population française. Ce qui n’est pas le cas<br />
<strong>des</strong> entreprises qui, elles, l’ont bien compris.<br />
‘<br />
nécessité actuelle de former les jeunes diplômés en leur donnant<br />
une culture internationale. En revanche, les élites sociales ne sont<br />
pas encore convaincues qu’il leur faut s’ouvrir à la diversité de<br />
la population française. Ce qui n’est pas le cas <strong>des</strong> entreprises<br />
qui, elles, l’ont bien compris. Ce sont d’ailleurs les entreprises<br />
qui m’ont beaucoup soutenu dans mon projet de CEP, à commencer<br />
par Michel Pébereau et Henri de Castries.<br />
D’autres sujets de fierté ?<br />
Deux projets m’ont particulièrement tenu à cœur : la création<br />
du département d’Économie et celle de l’École de droit.<br />
<strong>Sciences</strong> <strong>Po</strong> a toujours été très présente en économie, ne seraitce<br />
que grâce à l’OFCE, créé en 1979. Et l’enseignement de l’économie<br />
est aussi ancien que l’École libre <strong>des</strong> sciences politiques.<br />
C’est vraiment dans notre identité. En revanche, comme recherche<br />
scientifique, l’économie n’était pas en pointe à <strong>Sciences</strong> <strong>Po</strong>. Grâce<br />
à ce nouveau département, qui a ouvert ses portes en 2009, on<br />
a réussi à faire venir à <strong>Sciences</strong> <strong>Po</strong> de très grands économistes.<br />
On a aussi réussi à réhabiliter la microéconomie. Pendant longtemps,<br />
à <strong>Sciences</strong> <strong>Po</strong>, les grands cours d’économie étaient dispensés<br />
par Bercy pour étudier le fonctionnement de l’économie<br />
française, sa politique monétaire et budgétaire. Mais savoir comment<br />
on fixe un prix, comment on a accès ou pas à un marché,<br />
pourquoi une entreprise disparaît… bref, tout ce qui fait la vie<br />
quotidienne de l’économie était resté en dehors du champ de<br />
réflexion. Aujourd’hui, on a réussi à rééquilibrer les enseignements<br />
et à dynamiser notre recherche scientifique en économie.<br />
Et n’oublions pas aussi que dans le domaine <strong>des</strong> sciences humaines<br />
et sociales, l’économie est la seule discipline où existe une communauté<br />
scientifique internationale. <strong>Po</strong>ur les sciences du vivant,<br />
c’est le cas depuis longtemps. Quand une « bactérie tueuse » sévit<br />
en Allemagne sans pouvoir être identifiée, comme ce fut le cas<br />
il y a quelques semaines, la communauté scientifique mondiale<br />
se met à travailler sur ce sujet pour aider les Allemands dans leur<br />
recherche, et c’est une équipe chinoise qui identifie la bactérie.<br />
En histoire, en sociologie, cette communauté scientifique internationale<br />
n’existe pas de la même façon.<br />
Et pour l’École de droit, en quoi sa création a-t-elle<br />
changé la donne pour les élèves de <strong>Sciences</strong> <strong>Po</strong> ?<br />
C’est la réparation d’une injustice. Jusqu’en 1994, les diplômés<br />
de <strong>Sciences</strong> <strong>Po</strong> pouvaient passer le concours d’entrée à l’École<br />
du barreau. Les facultés de droit ont profité d’un moment d’inattention<br />
pour obtenir la suppression du diplôme de <strong>Sciences</strong> <strong>Po</strong><br />
dans la liste <strong>des</strong> diplômes permettant l’accès au concours.<br />
Si je me suis engagé dans cette bataille, c’est parce que je suis<br />
convaincu que pour une partie <strong>des</strong> avocats, une formation à<br />
<strong>Sciences</strong> <strong>Po</strong>, ancrée dans l’étude <strong>des</strong> humanités et <strong>des</strong> sciences<br />
sociales en 1 er cycle (notre actuel collège universitaire), peut être<br />
très utile en préalable à une intense formation juridique. C’est<br />
l’idée, qui fait notre force, que les disciplines n’ont pas à s’enseigner<br />
de façon unique dès la première année d’enseignement<br />
supérieur. On est très vite monodisciplinaire à l’université, ce qui<br />
n’est pas le cas à <strong>Sciences</strong> <strong>Po</strong>. Il y a dans le monde, aux États-<br />
Unis, au Royaume-Uni, <strong>des</strong> avocats qui ne font pas partie <strong>des</strong><br />
moins bons, et qui ne sont pas formés exclusivement au droit<br />
dès leur première année d’étu<strong>des</strong> supérieures.<br />
Après les motifs de satisfaction, quelques regrets ?<br />
Si vous me le permettez – et j’aurais même dû commencer par<br />
là – l’un de mes grands sujets de fierté est l’adoption de la loi du<br />
2 juillet 1998. Dans sa grande sagesse, le Parlement a décidé cet<br />
été-là de hisser au niveau de la loi le lien entre la FNSP et l’IEP.<br />
Grâce à ce texte législatif, le conseil d’administration de la FNSP<br />
a seul la responsabilité de fixer le montant <strong>des</strong> droits de scolarité<br />
à <strong>Sciences</strong> <strong>Po</strong>. <strong>Po</strong>ur l’école, c’était une étape vraiment décisive.<br />
<strong>Po</strong>ur en venir aux regrets, oui, j’en ai, bien sûr. Le premier qui<br />
me vient à l’esprit, c’est sans doute l’échec, en 1999, de la création<br />
d’un premier cycle à Casablanca. Nous avions travaillé pendant<br />
un an et demi sur ce projet qui n’a malheureusement pas<br />
pu aboutir. À l’époque, nous n’avons pas eu le soutien du Quai<br />
d’Orsay qui avait fait de la lutte contre l’illettrisme un axe majeur<br />
de sa politique et qui a jugé le projet de <strong>Sciences</strong> <strong>Po</strong> trop élitiste.<br />
Nous avions sollicité à l’époque une aide du ministère <strong>des</strong> Affaires<br />
étrangères de 500 000 francs par an, pendant trois ans, qui nous<br />
a été refusée. Sans ce soutien financier, on ne pouvait pas démarrer.<br />
Je le regrette d’autant plus aujourd’hui que <strong>Sciences</strong> <strong>Po</strong> aurait<br />
pu, en s’installant à Casablanca, contribuer à la formation positive,<br />
au sens très large du terme, de jeunes générations du<br />
Maghreb.<br />
RUE SAINT-GUILLAUME N° 163 > JUIN 2011
BILAN<br />
Campus 31<br />
Est-ce que le contexte actuel dans un certain nombre<br />
de pays arabes ne remet pas au goût du jour ce projet ?<br />
La question peut se poser en effet. Cela étant, s’installer<br />
aujourd’hui en Tunisie ou même en Égypte est encore risqué,<br />
sans parler <strong>des</strong> pays où règne la violence politique, comme la<br />
Syrie ou la Lybie. Mais réfléchir au recrutement, à <strong>Sciences</strong><br />
<strong>Po</strong>, de jeunes élèves venant de ces pays serait intéressant.<br />
D’autres regrets ?<br />
Le départ d’un grand professeur, Bernard Manin, qui a quitté<br />
<strong>Sciences</strong> <strong>Po</strong> pour l’École <strong>des</strong> hautes étu<strong>des</strong> en sciences sociales.<br />
Il avait assuré pendant six ans un enseignement important à<br />
<strong>Sciences</strong> <strong>Po</strong> sur les grands enjeux du débat politique, économique<br />
et social. Étant très favorable à la compétition entre les universités,<br />
je ne peux que féliciter l’École <strong>des</strong> hautes étu<strong>des</strong> pour ce<br />
recrutement, et le regretter pour <strong>Sciences</strong> <strong>Po</strong>. Mais lorsque l’on<br />
ne sait pas retenir les meilleurs scientifiques et intellectuels, ce<br />
sont de vraies pertes intellectuelles pour un établissement.<br />
Un dernier échec, mais qui s’est révélé en réalité très bénéfique<br />
pour <strong>Sciences</strong> <strong>Po</strong>, c’est d’avoir manqué, en 2002, le rachat d’une<br />
partie du terrain de l’ancien hôpital Laennec, laissé par l’AP-<br />
HP à proximité du boulevard Raspail et donc à quelques centaines<br />
de mètres de <strong>Sciences</strong> <strong>Po</strong>. On a travaillé dix ans sur ce projet.<br />
Alain Lancelot en était à l’origine. Ce site avait le double<br />
avantage d’une superficie considérable et d’une proximité <strong>avec</strong><br />
la rue Saint-Guillaume. Mais nous avons fini par y renoncer<br />
en raison principalement du prix demandé par l’AP-HP, qui<br />
était trop élevé par rapport à nos moyens. Sur le coup, ce fut une<br />
véritable déception. Mais aujourd’hui, si cette acquisition avait<br />
pu se faire, je crois que je ne serais plus là pour vous en parler.<br />
<strong>Sciences</strong> <strong>Po</strong> serait alors propriétaire d’un terrain où, comme vous<br />
le savez, pour différentes raisons juridiques, rien n’a pu être<br />
construit depuis dix ans. Et nous aurions dû payer chaque année<br />
les intérêts de l’emprunt qu’il aurait fallu contracter pour l’acheter.<br />
Cela aurait été une vraie catastrophe pour l’école. En revanche,<br />
aujourd’hui, nous avons réussi l’extension du campus de <strong>Sciences</strong><br />
<strong>Po</strong> grâce au rachat <strong>des</strong> anciens bâtiments de l’ÉNA, rue de l’Université,<br />
et à la location (pour 350 € TTC le mètre carré) <strong>des</strong> bâtiments<br />
de l’École <strong>des</strong> ponts et chaussées, en face de la faculté<br />
de médecine rue <strong>des</strong> Saints-Pères.<br />
<strong>Sciences</strong> <strong>Po</strong> a beaucoup changé depuis dix ans,<br />
comment définiriez-vous <strong>Sciences</strong> <strong>Po</strong> aujourd’hui ?<br />
<strong>Sciences</strong> <strong>Po</strong> est une université très sélective, qui consacre<br />
aujourd’hui 40 % de son budget à la recherche en économie,<br />
en droit, en histoire, en sociologie et en science politique. Nous<br />
avons par ailleurs décidé de stabiliser le nombre d’élèves autour<br />
de 10 000, ce qui est comparable au niveau de la LSE ou de Princeton.<br />
Nous avons également aujourd’hui 40 % d’élèves étrangers,<br />
proportion que nous voulons passer à 50 % d’ici à 2015.<br />
Un tiers de nos diplômés trouvent chaque année leur premier<br />
emploi hors de France. Et enfin, 80 % <strong>des</strong> nouveaux énarques<br />
sont diplômés de la rue Saint-Guillaume… Ce qui prouve que<br />
<strong>Sciences</strong> <strong>Po</strong> ne s’est pas éloignée du secteur public comme cer-<br />
Dans son bureau, <strong>Richard</strong> <strong>Descoings</strong> reçoit Pierre Meynard,<br />
Jean-Pascal Picy et Anne-Sophie Beauvais.<br />
RUE SAINT-GUILLAUME N° 163 > JUIN 2011
32<br />
Campus BILAN<br />
tains m’en ont fait le reproche. Nos diplômés restent toujours<br />
prédominants dans les concours de la fonction publique. Nous<br />
avons d’excellents résultats également pour la fonction publique<br />
territoriale, la magistrature et l’agrégation d’histoire.<br />
<strong>Po</strong>urquoi lorsque l’on a la chance d’être une école,<br />
vouloir s’appeler « université » ?<br />
<strong>Po</strong>ur une raison simple : partout dans le monde, ce qui existe, ce<br />
sont <strong>des</strong> universités au sein <strong>des</strong>quelles il y a <strong>des</strong> écoles. Ce modèle<br />
est valable que l’on soit à Shanghai, aux États-Unis, en Grande-<br />
Bretagne ou au Qatar. Notre vieille opposition entre les gran<strong>des</strong><br />
écoles, sélectives et bonnes, et les universités, non sélectives,<br />
est une exception culturelle française qui rend notre positionnement<br />
dans la compétition internationale très compliqué à comprendre.<br />
Voilà pourquoi <strong>Sciences</strong> <strong>Po</strong> a choisi d’être une « université<br />
», même si cette appellation, en France, écorche peut-être<br />
certaines oreilles habituées à l’idée que, dans notre pays, le meilleur<br />
de l’enseignement supérieur se passe dans les écoles.<br />
Et pourquoi « sélective » ?<br />
Parce que <strong>Sciences</strong> <strong>Po</strong> n’a jamais été aussi sélective. Cette année,<br />
80 % <strong>des</strong> élèves français entrés en première année à <strong>Sciences</strong><br />
<strong>Po</strong> ont eu une mention « très bien » au baccalauréat, et en leur<br />
sein, la moitié a eu plus de 18/20 de moyenne. Et les sujets que<br />
je choisis à l’examen d’entrée à <strong>Sciences</strong> <strong>Po</strong> sont aujourd’hui d’un<br />
niveau très élevé. Il y a deux ans, en histoire, les candidats ont<br />
par exemple dû plancher sur « l’Orient dans le monde, de 1750<br />
à 1914 ». Je ne suis pas sûr que j’aurais été moi-même capable<br />
de répondre à un tel sujet en fin de terminale !<br />
Et dès la rentrée prochaine, nous allons mettre en œuvre une<br />
réforme importante de l’examen d’entrée en master : nous allons<br />
exiger que les candidats aient un niveau d’anglais correspondant<br />
au standard européen de haut niveau (“B2” pour les initiés). <strong>Po</strong>ur<br />
nous, c’est un déclic absolu qui veut dire qu’il n’est plus possible,<br />
après trois ans d’étu<strong>des</strong> supérieures, de ne pas parler un bon anglais.<br />
Vous faites également de la recherche un élément<br />
important de valorisation de <strong>Sciences</strong> <strong>Po</strong>,<br />
quelles sont aujourd’hui les principales caractéristiques<br />
<strong>des</strong> différents centres de recherche ?<br />
C’est une œuvre de 40 ans, qui a commencé <strong>avec</strong> la création du<br />
Cevipof, du Ceri, de l’OFCE ou encore de l’OSC…, la lente,<br />
longue mais puissante montée de la recherche collective à <strong>Sciences</strong><br />
<strong>Po</strong>. Cette notion d’« équipe de recherche » – être plusieurs à travailler<br />
sur un même sujet, par opposition au professeur qui fait<br />
de la recherche individuelle – est finalement assez neuve, et<br />
<strong>Sciences</strong> <strong>Po</strong> a été novatrice dans ce domaine, en développant ses<br />
centres de recherche dès les années cinquante et soixante.<br />
Aujourd’hui, consacrer 40 % de son budget à la recherche pour<br />
une université qui n’est pas spécifiquement de recherche, c’est<br />
beaucoup d’argent. Surtout en sciences humaines et sociales.<br />
‘<br />
<strong>Sciences</strong> <strong>Po</strong> a choisi de poursuivre son<br />
développement au cœur de Paris. C’est un<br />
atout essentiel dans sa stratégie internationale,<br />
notamment pour recruter <strong>des</strong> enseignants<br />
et <strong>des</strong> étudiants étrangers.<br />
‘<br />
Quelle est justement la situation<br />
financière de <strong>Sciences</strong> <strong>Po</strong> ?<br />
La situation financière de <strong>Sciences</strong> <strong>Po</strong> est à la fois dynamique et<br />
fragile. On a un trend de croissance de + 8 % par an sur les dix<br />
dernières années. Peu d’institutions universitaires peuvent montrer<br />
une telle constance. Mais notre situation est aussi fragile<br />
parce que, sur un budget de 150 millions d’euros, notre compte<br />
de résultat ne dégage, chaque année, qu’une petite fenêtre de<br />
tir délicate à gérer, qui se situe entre - 500 000 et + 900 000 euros.<br />
Quel est le modèle économique de l’école ?<br />
On fait feu de tout bois. Tout d’abord, l’État, depuis 15 ans, a<br />
augmenté sa dotation de 6 % en moyenne par an. Dans le contexte<br />
actuel, peu favorable, de nos finances publiques, c’est un soutien<br />
significatif, constant, et qui n’est pas lié à telle ou telle majorité<br />
parlementaire. Ce qui est rassurant pour l’école. L’État reste<br />
RUE SAINT-GUILLAUME N° 163 > JUIN 2011
BILAN<br />
Campus 33<br />
un très bon actionnaire, prévisible et stable. Par ailleurs, en 2004,<br />
nous avons décidé de modifier en profondeur le système <strong>des</strong><br />
droits de scolarité pour les augmenter de façon très significative.<br />
On est passé de 4,5 à 30 millions de ressources annuelles de droits<br />
de scolarité. Le mécénat <strong>des</strong> entreprises rapporte quant à lui<br />
10 millions par an et la formation continue de <strong>Sciences</strong> <strong>Po</strong> dégage<br />
environ 9 millions de chiffre d’affaires.<br />
‘<br />
Nous avons également aujourd’hui<br />
40 % d’élèves étrangers, proportion<br />
que nous voulons passer à 50 % d’ici à 2015.<br />
Un tiers de nos diplômés trouvent chaque<br />
année leur premier emploi hors de France.<br />
Et enfin, 80 % <strong>des</strong> nouveaux énarques sont<br />
diplômés de la rue Saint-Guillaume.<br />
‘<br />
Le gouvernement a encouragé les établissements<br />
d’enseignement supérieur à nouer <strong>des</strong> alliances au sein<br />
<strong>des</strong> PRES (Pôle de recherche et d’enseignement<br />
supérieur). <strong>Sciences</strong> <strong>Po</strong> fait partie du PRES « Sorbonne<br />
Paris Cité », est-ce une évolution favorable pour<br />
l’établissement ?<br />
La création <strong>des</strong> PRES, décidée par le gouvernement actuel, repose<br />
sur un constat difficilement contestable : en France, les universités,<br />
les institutions de recherche et les gran<strong>des</strong> écoles sont morcelées<br />
et éparpillées, ce qui représente un gâchis incroyable d’énergies<br />
intellectuelles et de moyens financiers.<br />
Vous avez en France plus de 100 écoles de management, plus de<br />
250 écoles d’ingénieurs, quatre universités à Bordeaux, deux à<br />
Nancy… Tout cela n’a objectivement pas de sens. Nous en<br />
connaissons la raison, qui est historiquement datée : depuis le<br />
XIX e siècle et jusque dans la deuxième moitié du XX e siècle, les<br />
universités ont refusé les nouvelles disciplines et les nouveaux<br />
métiers, ce qui a débouché sur la création d’écoles <strong>des</strong>tinées à<br />
combler cette carence. De même, pendant longtemps, les universités<br />
ont refusé de faire de la recherche, ce qui a conduit à la<br />
création de gran<strong>des</strong> institutions de recherche comme le CNRS,<br />
l’Inserm ou encore le CEA.<br />
L’idée de faire travailler ensemble ces universités, ces gran<strong>des</strong><br />
écoles et ces institutions de recherche est donc, a priori, une<br />
bonne initiative. La question reste celle de la méthode et du<br />
résultat. Il est trop tôt pour se prononcer.<br />
Ces pôles de recherche et d’enseignement supérieur ont précisément<br />
été pensés en 2006 – donc plus d’un an avant la loi sur<br />
l’autonomie <strong>des</strong> universités – par un gouvernement qui ne pensait<br />
pas possible cette autonomie, et qui donc a décidé de passer<br />
par l’intercommunalité faute de pouvoir créer <strong>des</strong> communes<br />
autonomes… En Allemagne, les universités ont été rendues autonomes<br />
pour être mises en compétition afin d’obtenir <strong>des</strong> moyens<br />
supplémentaires de l’État. En France, le gouvernement a obligé<br />
les universités, devenues autonomes, à se réunir pour obtenir <strong>des</strong><br />
ressources complémentaires.<br />
Cela étant dit, il faut reconnaître que sur la scène internationale,<br />
c’est très compliqué d’exister lorsque l’on est spécialisé dans les<br />
seules humanités. Une fois que vous avez cité la LSE ou Princeton,<br />
c’est difficile de trouver d’autres universités de rang international<br />
exclusivement dédiées aux sciences humaines et sociales.<br />
Les gran<strong>des</strong> universités ont toutes <strong>des</strong> départements dédiés à<br />
la médecine, à la formation <strong>des</strong> ingénieurs, aux nanosciences…<br />
Donc, l’idée de se mettre à plusieurs pour constituer une confédération<br />
me paraît une très bonne idée, et je la défends au sein<br />
du PRES Sorbonne Paris Cité auquel appartient <strong>Sciences</strong> <strong>Po</strong> et<br />
qui regroupe quatre universités 1 et quatre gran<strong>des</strong> écoles 2 .<br />
Je suis convaincu que nous serons plus forts, ensemble, sur la<br />
scène internationale que chacun d’entre nous pris séparément.<br />
Mais je tiens aussi à ce que ce projet ne mette pas en péril l’identité<br />
de chacun de ces établissements. Sinon pourquoi avoir fait<br />
l’autonomie ? On ne va pas fusionner une masse de 125 000 étudiants<br />
et <strong>des</strong> histoires d’établissements radicalement différentes.<br />
Sur le modèle de la Suisse, restons fidèles aux traditions de chaque<br />
canton et créons une « confédération » universitaire qui comptera<br />
dans le monde.<br />
Qu’aimeriez-vous avoir réussi<br />
à la fin de votre quatrième mandat ?<br />
Nous faisons déjà de la très bonne recherche à <strong>Sciences</strong> <strong>Po</strong>, mais<br />
elle n’est pas encore reconnue, sur le plan international, au niveau<br />
d’excellence déjà atteint par nos formations de collège ou de<br />
master. J’aimerais que cela soit différent dans cinq ans. Cela passera<br />
notamment par une intense politique de recrutement et la<br />
1<br />
Sorbonne nouvelle, Paris Descartes, Diderot et Paris 13.<br />
2<br />
<strong>Sciences</strong> <strong>Po</strong>, l’École <strong>des</strong> hautes étu<strong>des</strong> en Santé publique, l’Institut national <strong>des</strong><br />
langues et <strong>des</strong> civilisations orientales et l’Institut physique du globe de Paris.<br />
RUE SAINT-GUILLAUME N° 163 > JUIN 2011
34<br />
Campus BILAN<br />
poursuite de l’internationalisation de notre corps enseignant.<br />
J’ai également une seconde ambition pour <strong>Sciences</strong> <strong>Po</strong> : être en<br />
mesure de loger une partie de nos étudiants. Aujourd’hui, le principal<br />
handicap de <strong>Sciences</strong> <strong>Po</strong>, y compris dans la compétition<br />
internationale, c’est de ne pas être capable de proposer <strong>des</strong> logements.<br />
Paris a d’immenses avantages, mais le logement fait incontestablement<br />
partie <strong>des</strong> inconvénients de notre ville.<br />
Quitter Paris, pour un deuxième campus,<br />
n’est définitivement plus à l’ordre du jour ?<br />
<strong>Sciences</strong> <strong>Po</strong> a choisi de poursuivre son développement au cœur<br />
de Paris. C’est un atout essentiel dans sa stratégie internationale,<br />
notamment pour recruter <strong>des</strong> enseignants et <strong>des</strong> étudiants étrangers.<br />
Même si cet ancrage parisien est une source de contraintes<br />
immobilières, il représente aussi une force inestimable pour<br />
<strong>Sciences</strong> <strong>Po</strong>. Mais nous avons aussi ouvert six autres campus<br />
urbains : Dijon, Menton, Nancy, <strong>Po</strong>itiers, Le Havre, Reims.<br />
Aujourd’hui, les alumni constituent un facteur<br />
essentiel de la compétitivité <strong>des</strong> universités,<br />
comment les anciens peuvent-ils aider <strong>Sciences</strong> <strong>Po</strong> ?<br />
Les anciens représentent deux forces incroyables pour <strong>Sciences</strong><br />
<strong>Po</strong>. Tout d’abord, la fierté qu’ils ont de leur école. Je les encourage<br />
vivement à afficher et à partager cette fierté <strong>avec</strong> le plus<br />
grand nombre. <strong>Po</strong>rter par exemple un teeshirt à l’effigie de<br />
<strong>Sciences</strong> <strong>Po</strong>, c’est lui rendre honneur, la valoriser et témoigner<br />
de ce qu’elle vous a apporté. Ensuite, la participation financière<br />
<strong>des</strong> alumni au développement de l’école s’est beaucoup<br />
développée ces trois dernières années, et je m’en réjouis. Les universités<br />
sont de plus en plus financées par les crédits d’impôts.<br />
Donner de l’argent à <strong>Sciences</strong> <strong>Po</strong>, c’est le moyen de participer<br />
à une aventure collective et d’en devenir coresponsable. Les dons<br />
faits à la Fondation nationale <strong>des</strong> <strong>Sciences</strong> politiques sont déductibles<br />
de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur la fortune.<br />
Par ailleurs, l’<strong>Association</strong> <strong>des</strong> <strong>Sciences</strong>-<strong>Po</strong> occupe aussi une place<br />
essentielle dans la relation de l’école <strong>avec</strong> ses anciens. Elle a<br />
pris à sa charge <strong>des</strong> activités importantes, notamment celle d’entraide<br />
et de solidarité entre toutes les générations de diplômés.<br />
Et l’<strong>Association</strong> a été, ces dernières années, de tous les grands<br />
combats, aux côtés de <strong>Sciences</strong> <strong>Po</strong>, pour soutenir les réformes<br />
importantes dont j’ai déjà parlé.<br />
Et comment <strong>Sciences</strong> <strong>Po</strong> peut-elle aider les anciens ?<br />
Tout ce qui valorise le diplôme de <strong>Sciences</strong> <strong>Po</strong> accroit le capital<br />
<strong>des</strong> anciens. C’est une notion un peu nouvelle en France, mais<br />
très connue aux États-Unis ou au Canada. Travailler à faire prospérer<br />
l’université, c’est bien évidemment donner de la valeur au<br />
diplôme et tous les anciens en bénéficient. <br />
RUE SAINT-GUILLAUME N° 163 > JUIN 2011