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Index des cahiers de brouillon, par Akio Wada - Item

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la création <strong><strong>de</strong>s</strong> personnages, la dénomination et même<br />

la modification <strong><strong>de</strong>s</strong> noms se rattachent, semble-t-il, à un<br />

thème ou un sujet dont Proust s’occupait à chaque sta<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> la rédaction. L’automne 1909 marque un nouveau dé<strong>par</strong>t<br />

<strong>de</strong> la création romanesque, car c’est à cette pério<strong>de</strong><br />

que Proust a pré<strong>par</strong>é les Cahiers <strong>de</strong> mise au net et même<br />

les dactylographies en vue <strong>de</strong> la publication <strong>de</strong> son roman.<br />

Le tableau II nous permet <strong>de</strong> savoir que « Maria »,<br />

« Gilberte » et « Andrée » sont mises en scène justement<br />

à cette époque dans le Cahier 12. De fait, le thème<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> « jeunes filles » est plus ancien ; mais elles n’ap<strong>par</strong>aissent<br />

pas au bord <strong>de</strong> la mer dans les <strong>brouillon</strong>s primitifs<br />

; le héros les entrevoit <strong>par</strong> la fenêtre ou dans la rue<br />

sans doute à Paris. Rien d’étonnant à ce qu’elles ne<br />

soient pas nommées, puisque la rencontre avec elles est<br />

passagère; il est vrai qu’elles fournissent matière à rêverie<br />

au jeune héros, mais aucune épaisseur romanesque en<br />

tant que personnage ne leur est donnée. Il faut remarquer<br />

d’autre <strong>par</strong>t que l’esquisse <strong>de</strong> la future Mlle <strong>de</strong> Stermaria<br />

est suffisamment développée ; c’est une fille <strong>de</strong> l’aristocratie<br />

bretonne, dénommée successivement Caudéran,<br />

Penhoët et Quimperlé ; il s’agit donc d’un personnage<br />

romanesque déjà doté d’un nom. Or, Maria, Andrée<br />

et d’autres jeunes filles commencent à être ébauchées à<br />

l’automne 1909 dans le Cahier 12 ; elles sont appelées<br />

<strong>par</strong> leur nom malgré l’anonymat <strong>de</strong> leur première ap<strong>par</strong>ition.<br />

Ainsi sont-elles <strong>de</strong>venues <strong><strong>de</strong>s</strong> personnages romanesques.<br />

Leur dénomination les rend reconnaissables<br />

non seulement pour le narrateur mais aussi pour le lecteur<br />

; elles réap<strong>par</strong>aissent donc pour constituer une histoire<br />

amoureuse dans le roman.<br />

En ce qui concerne Gilberte, c’est dans le même Cahier<br />

que son prénom a été inventé [20] . Elle était désignée<br />

au<strong>par</strong>avant comme « fille <strong>de</strong> Swann », « Mlle Swann »<br />

ou « la petite Swann ». Suite à l’invention du prénom<br />

« Gilberte », elle <strong>de</strong>vient désormais un personnage romanesque<br />

en tant qu’objet du premier amour du jeune<br />

héros [21] . Il n’est pas sans intérêt <strong>de</strong> constater que les<br />

<strong>de</strong>ux histoires amoureuses menées avec Gilberte et avec<br />

Maria, qui se situent à <strong><strong>de</strong>s</strong> pério<strong><strong>de</strong>s</strong> différentes <strong>de</strong> la vie<br />

du héros, l’enfance et l’adolescence, ont été écrites <strong>par</strong>allèlement.<br />

Ajoutons en outre que l’amour <strong>de</strong> Swann pour<br />

une femme nommée alors « Anna » est esquissé également<br />

à cette pério<strong>de</strong>. Proust s’occupait entre autres <strong>de</strong><br />

ces trois récits d’amour entre l’automne 1909 et le début<br />

1910 [22] . L’invention <strong><strong>de</strong>s</strong> prénoms <strong><strong>de</strong>s</strong> jeunes filles<br />

montre bien le souci principal <strong>de</strong> l’écrivain à l’époque : le<br />

thème <strong>de</strong> l’amour.<br />

Proust se consacre ensuite à un autre thème approximativement<br />

au début <strong>de</strong> 1910 : le thème <strong>de</strong> l’art ; il s’associe,<br />

comme nous le verrons, avec le thème <strong>de</strong> l’amour.<br />

Les artistes fictifs qui jouent un rôle considérable dans<br />

l’apprentissage du héros sont : « Bergotte » écrivain,<br />

« Elstir » peintre et « Vinteuil » musicien. On peut y<br />

ajouter « la Berma », actrice. Ces quatre personnages<br />

qui ap<strong>par</strong>tiennent au domaine artistique figurent dans<br />

notre tableau. Bergotte fait sa première ap<strong>par</strong>ition dans<br />

le Cahier 29 ; il ne s’agit pas seulement <strong>de</strong> l’invention<br />

d’un nom, mais <strong>de</strong> la création d’un nouveau personnage.<br />

Il est nécessaire <strong>de</strong> noter en plus l’invention d’un autre<br />

personnage, « Bloch », ami du héros, dans le Cahier 14<br />

qui succè<strong>de</strong> au Cahier 29 ; c’est Bloch qui recomman<strong>de</strong><br />

la lecture <strong>de</strong> Bergotte au jeune héros et il <strong>de</strong>viendra luimême<br />

écrivain. Aussi Bloch est-il, malgré son ap<strong>par</strong>ence<br />

burlesque, un personnage placé sous le signe <strong>de</strong> la littérature<br />

et <strong>de</strong> l’art.<br />

On remarque cependant, dans les <strong>brouillon</strong>s antérieurs,<br />

la présence d’un peintre anonyme désigné épisodiquement<br />

comme « peintre X » ou « peintre Z » que<br />

l’on peut considérer comme le prototype d’Elstir. Ce<br />

peintre acquiert le nom d’Elstir presque simultanément<br />

à l’invention <strong>de</strong> Bergotte. Il joue un rôle d’entremetteur<br />

entre Swann et une femme nommée alors « Wanda<br />

» dans le salon <strong><strong>de</strong>s</strong> Verdurin ; il se charge <strong>de</strong> plus <strong>de</strong><br />

la même fonction entre le narrateur et les jeunes filles à<br />

Querqueville, le futur Balbec. Il est à noter que l’invention<br />

du nom d’ « Elstir » coïnci<strong>de</strong> avec la révélation <strong>de</strong><br />

son génie artistique. Tout en gardant son rôle dans l’intervention<br />

amoureuse, il initie le héros à la peinture.<br />

Elstir est dorénavant l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> personnages typiquement<br />

proustiens qui présentent différents aspects en ap<strong>par</strong>ence<br />

incohérents ; ce n’est rien d’autre qu’une illustration romanesque<br />

<strong>de</strong> la thèse du Contre Sainte-Beuve : distinc-<br />

[20] Voir <strong>Akio</strong> <strong>Wada</strong>, « La création romanesque <strong>de</strong> Proust : étu<strong>de</strong><br />

génétique sur la première ap<strong>par</strong>ition <strong>de</strong> Gilberte », Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> langue<br />

et littérature française, No. 54, 1989, pp.127-128.<br />

[21] Nous savons en fait que le nom <strong>de</strong> « Gilberte » permet au narrateur<br />

<strong>de</strong> la reconnaître sur les Champs-Elysées.<br />

La formation <strong><strong>de</strong>s</strong> noms <strong>de</strong> personnages dans la genèse <strong>de</strong> À la recherche du temps perdu<br />

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