« Par Saint-Lazare, nous sommes venus séjourner à La Celle Saint ...

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« Par Saint-Lazare, nous sommes venus séjourner
à La Celle Saint-Cloud. »
Notre commune, lieu de villégiature
à la fin du XIXème siècle
Conte par Sanda Droumaguet, à l’occasion des Journées du Patrimoine
le dimanche 18 septembre 2011 à 17h00, au lavoir des Gressets.
Conception du texte : Jasmine Tillam, responsable des Archives
municipales.
Nous sommes au début de l’été 1898
Nous attendons nos amis à la Gare Saint-Lazare pour partir à la
campagne. Nos parents nous racontent avoir vu, il y a des années,
Claude Monet peindre devant les voies l’une des sept vues de la gare
qu’il a présentées à la troisième exposition des Impressionnistes en
1877. Il habitait alors le quartier de La Nouvelle Athènes. Après
avoir observé la vie de la gare, ses couleurs et prêté l’oreille à ses bruits,
je m’assois sur une malle.
Le train à destination de Saint-Cloud part enfin. Nous passons sous le
pont de l’Europe, d’où les promeneurs nous observent comme sur le
tableau de Caillebotte. Nous passons par la gare de Bécon les
Bruyères, puis nous cheminons à flanc de colline. Nous surplombons
Paris. Au loin, notre quartier se devine, au pied du Sacré-Cœur qui n’est
pas encore terminé. Eiffel commence à faire construire une tour. De
belles maisons bordent la voie du chemin de fer. Les familles
s’accoudent à leurs balcons pour voir la file de wagons trainée par la
locomotive au long panache blanc : on n’arrête pas le progrès !
Aujourd’hui, La Celle est à une petite heure de Paris.

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Nous descendons avec nos malles à Saint-Cloud pour prendre une
correspondance vers La Celle. La ligne est en effet prolongée vers
l’Etang la Ville depuis 1884. Voici Garches et déjà Vaucresson.
Nos amis descendent à Vaucresson, village fondé en 1145 par Suger,
Abbé de Saint-Denis. Ils vont passer leurs vacances comme nous dans
la commune voisine. Ils achèvent eux-mêmes l’aménagement d’une
maison de style normand à « La Celle Les Bois ». Ce lotissement a été
nouvellement créé par Madame Dutreux, châtelaine de La Celle Saint-
Cloud. Dans cent ans, leur maison du quartier de la Feuilllaume sera
devenue la propriété d’un couple qui ira tous les jours par le train
travailler dans le quartier de Saint-Lazare.
Nous arrivons à la Gare de Bougival – La Celle Saint-Cloud, que les
habitants appellent la gare du Cormier. Nous descendons du train et
longeons des maisons de vignerons et de paysans datant du 18ème
siècle. Nous admirons les champs de roses, les plantations de
groseilliers et les vergers. Par ici et par là, quelques nouveaux cottages
sont construits. Les malles sont lourdes, nous nous réjouissons
d’arriver.
Enfin à la maison ! Nous allons profiter durant tout l’été du cadre
verdoyant des Gressets. Grand-père nous explique que le nom de notre
hameau vient de la nature du sol et des blocs de grès qui affleurent
celui-ci. Il était déjà cité il y a trente ans dans la deuxième édition du
fameux Guide Joanne « Les environs de Paris illustrés », paru à la
Librairie de Louis Hachette en 1868.
Le lendemain, après une nuit de repos bien mérité, nous décidons de
nous rendre au village par l’escalier des Montmorts. Mon petit frère
compte 98 marches. Un beau panorama s’offre à nous. En bas, le
ruisseau de la Drionne coule au fond d’un petit vallon. Nous remontons
la côte Saint-Michel. Nous passons ensuite par la rue Saint-Pierre et

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arrivons sur la place. Nous admirons l’église Saint-Pierre Saint-Paul.
Des villageoises viennent chercher de l’eau à une belle fontaine en fonte
abritée par des tilleuls.
Le Maire, Monsieur Siry, nous reconnaît et vient nous saluer
aimablement. Il est heureux de nous raconter comment sa commune a
pu bénéficier d’une gare :
« Le Conseil municipal de La Celle Saint-Cloud a voté en juin 1879 une
résolution approuvant la décision de la Chambre des Députés du 30
mars qui classait dans le réseau des chemins de fer d’intérêt général un
raccordement entre la ligne de grande ceinture vers l’Etang la Ville et la
ligne de Paris à Versailles rive Droite vers Saint-Cloud. En effet, à cette
époque, nos concitoyens devaient emprunter soit la ligne de Paris à
Saint- Germain ou celle de Paris à Versailles Rive Droite ! Le col du
Butard a été franchi par un souterrain 1 long de 270 mètres ! La
dépense totale de construction de cette ligne avait été évaluée à
7 200 000 francs. Les gares ont toutes été conçues par l’architecte
Luneau.
L’établissement de la ligne avait nécessité l’achat à l’amiable ou
l’expropriation de nombreuses parcelles de terrain appartenant
notamment aux familles Thuilleaux, Bissonnet, au sénateur Duclerc
qui habitait Paris, au pépinériste Deseine… Les travaux ont commencé
à la fin de l’année 1881 et la ligne a été inaugurée au printemps 1884 ».
Un personnage pittoresque vient se joindre à nous. Il s’agit de
Monsieur Walter Douglas Hogg. La villa dans laquelle sa famille a
séjourné domine le bourg. Il est docteur en médecine, pharmacien à
Paris et fier de servir le Prince de Galles, l’Ambassade d’Angleterre et
la Légation des Etats-Unis 2 . Il commercialise une huile de foie frais de
1 Termes utilisés par Monsieur Philippe Loiseleur des Longchamps dans son article paru dans « Nationale 311
A » n° 116, mai-juin 1979.
2 Archives municipales 3 W 52 , papier à en-tête

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morue réputée, au flacon triangulaire. Je me souviens bien du goût de ce
fortifiant ! Très attaché à la commune, Monsieur Hogg y revient
souvent. Il évoque sa volonté de verser chaque année 3 au receveur
municipal de La Celle Saint-Cloud une somme de 50 francs afin de
contribuer à assurer un service d’omnibus entre la place de l’église et la
station de chemin de fer de Vaucresson.
Monsieur Siry l’en remercie vivement, ainsi que pour sa participation à
la souscription pour les fêtes publiques. Il nous explique ensuite que
depuis 1892, la municipalité de La Celle Saint-Cloud s’était associée au
souhait qu’un tramway soit mis en place de Neuilly à Versailles, en
desservant la commune par un arrêt au rond-point de l’Etang Sec. Le
projet n’a pas encore abouti.
La famille Belloc vient saluer Monsieur Siry et Monsieur Hogg. Ces
Anglais ont découvert le village au début des années 1830 ! « La Celle
Saint-Cloud serait presque une petite Angleterre ! » plaisantent-ils. Ils
nous racontent la vie tourmentée d’Elisabeth-Ann Harryett, comtesse de
Beauregard, décédée en 1865. Elle disait parfois : « Beauregard suits
me. Beauregard sounds just like me. I shall be Lady Fairlook or no
Lady at all ». Ils nous apprennent que Beauregard appartient
aujourd’hui à la famille de Hirsch. Le Baron de Hirsch, anobli par la
Maison de Bavière, est un banquier qui a fondé la compagnie des
Chemins de Fer d’Orient. Son fils naturel serait un certain Maurice
Arnold de Forest, très connu plus tard dans la commune sous le titre de
« Comte de Bendern ».
« Combien d’habitants La Celle Saint-Cloud compte-elle ? » demandonsnous.
Monsieur Siry nous répond en souriant : « Environ 900 habitants
et au siècle dernier, la population n’atteignait pas 500 habitants. Elle
était composée de petits cultivateurs, vignerons ou employés de
pépinières et de domestiques et artisans au service des châteaux.
Aujourd’hui la production des horticulteurs et des pépiniéristes se
3 Archives municipales 3 W 52

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négocie aux halles de Paris et les Parisiens font construire de
nombreuses résidences secondaires ».
« Et que pouvons-nous voir ? » Nos interlocuteurs sont intarissables.
Ils nous évoquent notamment l’Etang Sec et ses guinguettes, le Butard,
construit suivant les plans du célèbre architecte Gabriel à qui nous
devons entre autres le Petit Trianon et la Place de la Concorde, le
château que Edmond Blanc, fils du créateur des Casino de Monte-
Carlo, a fait construire en 1886, les nombreux châtaigniers que Sisley
est venu peindre en 1865. Et tout près de notre maison, un petit lavoir
qui, paraît-il, existe depuis des lustres et que la municipalité améliore
régulièrement. Il paraîtrait que les conversations des lavandières au
travail seraient très amusantes à écouter ! Il y a aussi un petit
abreuvoir non loin. Quelles bêtes pourrons-nous y observer ? Des vaches,
des moutons, des chevaux ? Peut-être serons-nous même invités à visiter
des pépinières !
Que de promenades et de découvertes en perspective lors de ces vacances
champêtres ! Nous remontons déjeuner aux Gressets, bien décidés à
profiter dès cet après-midi des précieux conseils de visite dont nous
avons bénéficié.
Les voisins nous saluent par dessus leur clôture en bois de châtaignier.
Ils sont fiers d’avoir vu hier soir au Bal des Canotiers à Bougival Jane
Avril des Folies Bergères et surtout Louise Weber, dite « la Goulue » et
« Valentin le désossé » dansant le « chahut ».
Rentrée à la maison, je m’empresse de rechercher dans une boîte à
chapeaux l’article du Courrier de Versailles et de Seine et Oise du 8 mai
1884 qui présentait l’ouverture de la ligne de chemin de fer. Il reprend
un article du Figaro et nous l’avons précieusement conservé. Je le lis à
voix haute :

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« Un véritable évènement parisien ! Car il ne s’agit de rien moins que
d’horizons nouveaux et de paysages inconnus, offerts au goût
légendaire du Parisien pour la promenade et la flânerie. […] Le
Parisien va pouvoir découvrir à peu de frais et sans fatigue tout cet
ensemble de pays charmants qui sont à sa porte et qu’il ignore :
Garches, Vaucresson, La Celle Saint-Cloud, Louveciennes, Marly le
Roi […] Peu de Parisiens ne connaissaient pas le Butard, cette jolie
colline boisée que domine le pavillon de chasse de Louis XV, avec sa
belle plate-forme engazonnée et si bien ombragée. Là de grands travaux
ont été exécutés ; une tranchée de trente mètres de profondeur a dû être
ouverte, un tunnel de 200 mètres de long creusé car la voie passe sous
la colline. […] Cette villette de La Celle est des plus agréables et offre
aux amateurs de villégiature de charmantes promenades sois bois. Son
château […] date d’il ya plus de deux siècles. Madame de
Pompadour l’habita et après elle, le fermier général Roussel. […] Il
est aujourd’hui la propriété de Monsieur Dutreux, le châtelain le plus
aimable, le plus distingué et le plus hospitalier que nous connaissions.
[…] Parisiens, allez voir ces pays enchantés et, quand vous en serez
revenus, vous ne rêverez que d’y retourner ». 4
4 Cité dans « Nationale 311 A », n°117, septembre-octobre 1979