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C U L T U R E<br />

13<br />

Images symboliques et réalités concrètes dans les slogans et les déclarations<br />

Vox populi, vox révolution !<br />

Le langage populaire cultivé pour les slogans scandés durant les grandes manifestations a beaucoup contribué<br />

à la mobilisation massive et spontanée des citoy<strong>en</strong>s dans la rue arabe.<br />

Lors de son interv<strong>en</strong>tion mercredi<br />

dernier dans le cadre du Colloque<br />

international sur les révolutions<br />

arabes, organisé à la Bibliothèque<br />

nationale dans le cadre du SILA 2011,<br />

Rabab El Mahdi, professeur <strong>en</strong> sci<strong>en</strong>ces<br />

politiques à l'université américaine du<br />

Caire, souti<strong>en</strong>t que dans le cas égypti<strong>en</strong>, la<br />

particularité spontanée de la révolution<br />

était ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t derrière le soulèvem<strong>en</strong>t<br />

populaire contre le régime<br />

Moubarak : « Ni l'élite progressiste, ni les<br />

médias qui ont excellé dans la création des<br />

symboles n'ont pu cont<strong>en</strong>ir ou guider le<br />

cheminem<strong>en</strong>t des manifestants ». En effet,<br />

<strong>en</strong> définissant le slogan comme étant un<br />

pacte d'interaction sociale, <strong>en</strong>tre les manifestants<br />

et ceux qui appell<strong>en</strong>t à la manifestation,<br />

l'interv<strong>en</strong>ante fait remarquer que la<br />

réceptivité des appels à manifestation dans<br />

la rue était plus importante que celles des<br />

médias et due à la spontanéité du mom<strong>en</strong>t<br />

et du slogan. Cela dit, selon la confér<strong>en</strong>cière<br />

le slogan compr<strong>en</strong>d néanmoins un impact<br />

socio- historique des peuples, qui agit plus<br />

ou moins dans le temps ; « Il définit égalem<strong>en</strong>t,<br />

ajoute-t-elle, la feuille de route sur<br />

laquelle une révolution aspire à atteindre<br />

ses objectifs ». S'appuyant toujours sur le<br />

cas égypti<strong>en</strong>, Rabab El Mahdi revi<strong>en</strong>t sur<br />

les deux principaux slogans qui ont porté la<br />

révolution jusqu'à la chute du régime<br />

Moubarak, d'abord « Chaab yourid isqat<br />

an- nizam » (le peuple veut la chute du<br />

régime) à travers lequel les manifestants<br />

dénonc<strong>en</strong>t donc la faillite d'un régime et<br />

son échec, se déterminera davantage la<br />

nature de cette échec à partir du 25 janvier<br />

par le slogan « iîch, aâmal, Houriâ ; aâdala<br />

igtimaâya » (Pain, travail, liberté, égalité),<br />

mettant ainsi <strong>en</strong> avant les rev<strong>en</strong>dications<br />

ess<strong>en</strong>tielles de cette révolution. Ces slogans<br />

portés <strong>en</strong> outre par une catégorie de manifestants<br />

dont la composante ess<strong>en</strong>tielle sont<br />

des jeunes universitaires et diplômés au<br />

chômage, appréh<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t donc la feuille de<br />

route et les objectifs de la révolution après<br />

la chute du régime Moubarak, « le premier<br />

slogan était d'une telle subtilité qu'il a<br />

mobilisé derrière lui toutes les parties de la<br />

société même des jeunes de la sphère bourgeoise<br />

qui ne voulai<strong>en</strong>t plus de Moubarak<br />

même si paradoxalem<strong>en</strong>t ils partageai<strong>en</strong>t<br />

avec lui les même intérêts économiques,<br />

cep<strong>en</strong>dant le deuxième était d'un tel génie<br />

qu'il a interpellé tout le peuple égypti<strong>en</strong> ».<br />

Par ailleurs l'oratrice souligne qu'il serait<br />

injuste de cont<strong>en</strong>ir cette révolution dans<br />

un simple processus de transition démocratique<br />

vu l'ampleur de l'implication<br />

populaire qui a su finalem<strong>en</strong>t dire sans<br />

dernier mot par la voix de la rue face au<br />

dictat du régime et sa répression. « L'un<br />

des slogans les plus percutants était celui de<br />

l'occupation de Maïdan Tahrir le jour du<br />

28 janvier, alors que les manifestants se<br />

sont retrouvés face à des dispositifs de<br />

répression importants, ils ont scandé<br />

« Ched hilek ya balad, doul tamanine millioune<br />

oualad ! » (Résistez ! Nous sommes<br />

à quatre-vingt-mille !), pour insister sur<br />

leur détermination et leur nombre important<br />

». Elle conclut <strong>en</strong>fin, que l'efficacité des<br />

slogans réside dans leur utilité immédiate<br />

dans le contexte voulu, leur interprétation<br />

du malaise social commun et général, et<br />

puis leur pouvoir de provocation comme<br />

celui plaçant Moubarak dans le statut de<br />

traitre national (parlez lui <strong>en</strong> hébreu, il ne<br />

compr<strong>en</strong>d pas l’arabe, dégage veut dire vast-<strong>en</strong><br />

!), et <strong>en</strong>fin sa rapidité dans l'influ<strong>en</strong>ce<br />

de l'opinion public par exemple (Omar<br />

ALGERIE NEWS Samedi 1 er octobre 2011<br />

Soleim<strong>en</strong>e est un inféodé aux USA) et <strong>en</strong>fin<br />

le pouvoir de la manipulation face à l'interv<strong>en</strong>tion<br />

de l'armée où les manifestations<br />

ont dévié la confrontation vers une « fausse<br />

alliance » avec les militaires.<br />

Rabab El Mahdi conclut sa contribution<br />

par la nécessité d'analyser ces révolutions<br />

d'un angle différ<strong>en</strong>t que celui des « révolutions<br />

couleurs » des pays de l'Europe de<br />

l'Est, ou une simple transition démocratique,<br />

mais plutôt dans un contexte révolutionnaire<br />

à dim<strong>en</strong>sion arabe commune.<br />

Le lapsus révolutionnaire<br />

Professeur de sociologie à l'université de<br />

Tunis, Mohs<strong>en</strong> Bouazizi avance plusieurs<br />

exemples et anecdotes qui <strong>en</strong> dis<strong>en</strong>t long<br />

sur un malaise social longtemps <strong>en</strong>foui, qui<br />

ressurgissait cep<strong>en</strong>dant dans un langage<br />

populaire décapant et naïf, lequel a<br />

échappé à la vigilance de la flicaille tunisi<strong>en</strong>ne<br />

et des services de r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t.<br />

« Sidi raïs bi fadhlek rana maytine<br />

be'cher ! » (Grâce à vous Monsieur le présid<strong>en</strong>t…<br />

nous crevons de faim) avait dit une<br />

vieille villageoise à la r<strong>en</strong>contre du présid<strong>en</strong>t<br />

déchu lors d'une visite officielle. Le<br />

professeur Bouazizi voit dans ce lapsus<br />

révélateur toute la matière génitrice de la<br />

révolution, ce qu'il sous-<strong>en</strong>t<strong>en</strong>d lui comme<br />

l'inconsci<strong>en</strong>t social qui allait ressurgir tôt<br />

ou tard.<br />

« Le peuple assistait dans un sil<strong>en</strong>ce<br />

accablant, à l'extravagante ext<strong>en</strong>sion du<br />

pouvoir B<strong>en</strong>ali ». Il souligne par là que la<br />

révolution du peuple tunisi<strong>en</strong> par son<br />

caractère improbable est issue d'une révolte<br />

réussie après une gestation reportée à une<br />

vingtaine d'années : « Le peuple était<br />

décidé à dégeler son compte avec B<strong>en</strong>ali et<br />

son régime qui a été vidé de toute son énergie<br />

face à l'impact de la colère ». Ainsi le<br />

discours de la rue fusait d'une explosion de<br />

l'inconsci<strong>en</strong>t populaire qui repose sur un<br />

langage profond qui a transposé le paradigme<br />

id<strong>en</strong>titaire sur l'humanitaire. « Dans<br />

la langue arabe, dire que le jeune Bouazizi<br />

s'est immolé qarhan ou meurtri dans sa<br />

misère, le mot « qarhan » dans la sémiologie<br />

définit la chair rongée par le feu », cette<br />

base linguistique si profonde dans la culture<br />

a été pour beaucoup dans l'éveil<br />

populaire devant un tel « s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t<br />

d'anéantissem<strong>en</strong>t et l'atteinte au soi profond<br />

». Aussi cette culture r<strong>en</strong>voie à un<br />

patrimoine très ancré dans la mémoire<br />

commune à travers les grands auteurs et<br />

élites de l'histoire du pays à l'instar du<br />

poète Abou al Qassim Chabi ou Mahmoud<br />

El Massaadi. En effet, les slogans scandés<br />

durant les manifestations ont exclu tout<br />

métalangage, à travers un discours franc et<br />

direct, assignant au régime l'exécution<br />

immédiate de la volonté du peuple : « le<br />

mot dégage est v<strong>en</strong>u comme une signature<br />

de la révolution mais les manifestants ont<br />

rev<strong>en</strong>diqué dès le début le changem<strong>en</strong>t du<br />

régime ».<br />

Bouazizi conclut donc que l'inconsci<strong>en</strong>t<br />

tant occulté par la brimade politique et<br />

policière a am<strong>en</strong>é l'individu privé de la<br />

libre expression à pr<strong>en</strong>dre consci<strong>en</strong>ce de sa<br />

condition et donc exploser sous l'effet de la<br />

répression politique et sociale dans une<br />

énergie verbale riche et profonde qui le<br />

confronte au choix de « la parole ou la<br />

mort ». Cet aspect de lapsus révélateur est<br />

souv<strong>en</strong>t négligé selon le confér<strong>en</strong>cier par<br />

les études sociologiques alors qu'il révèle<br />

beaucoup sur les états et condition d'une<br />

société.<br />

Fatma Baroudi

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