Rendez-vous d'Archimède _cycle les émotions - Espace culture de l ...
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l e s<br />
d<br />
n o u v e l l e s<br />
J A N<br />
’ A r c h i m è d e<br />
F É V<br />
MAR<br />
le journal <strong>culture</strong>l <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong>s Sciences & Technologies <strong>de</strong> Lille<br />
# 3 5<br />
Dossier <strong>Espace</strong> Culture<br />
<strong>Ren<strong>de</strong>z</strong>-<strong>vous</strong> d’Archimè<strong>de</strong><br />
Cycle Les Emotions<br />
Cycle La Mesure<br />
Réflexion-débat<br />
Culture et ville<br />
Expositions<br />
War against Terror<br />
L’art <strong>de</strong> la mesure<br />
Concert<br />
Sophie Agnel/Olivier Benoit<br />
2004<br />
La vérité est sans partage.<br />
Elle est, à l’origine, déjà partagée.<br />
Reste à légitimer le partage.<br />
Edmond Jabès, Les <strong>de</strong>ux livres, suivi <strong>de</strong> Aigle et chouette ; Fata Morgana,1995
LNA#35 / édito<br />
Les travaux achevés, le chantier continue<br />
Nabil EL-HAGGAR<br />
Vice-Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> l’USTL, chargé <strong>de</strong> la Culture<br />
L’équipe<br />
Nabil El-HAGGAR<br />
vice-prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> l’USTL,<br />
chargé <strong>de</strong> la Culture<br />
Christiane FORTASSIN<br />
directrice <strong>Espace</strong> Culture<br />
Marie-Christine GROSLIERE<br />
chargée <strong>de</strong> mission<br />
Delphine POIRETTE<br />
chargée <strong>de</strong> communication<br />
Edith DELBARGE<br />
chargée <strong>de</strong>s éditions et communication<br />
Julien LAPASSET<br />
concepteur graphique et multimédia<br />
Mourad SEBBAT<br />
chargé <strong>de</strong>s relations jeunesse/étudiants<br />
Corinne JOUANNIC<br />
responsable administrative<br />
Johanne WAQUET<br />
secrétaire <strong>de</strong> direction<br />
Michèle DUTHILLIEUX<br />
relations logistique/organisation<br />
Maryse LOOF<br />
assistante administrative<br />
Emmanuel MUTIMURA<br />
assistant aux éditions<br />
Jacques SIGNABOU<br />
régisseur<br />
Stéphane LHERMITTE<br />
Nadia RAMDANE<br />
café <strong>culture</strong>l<br />
Lamia GHRAIRI<br />
Monique LAGODA<br />
secrétariat-accueil<br />
Sandra GUINAND<br />
stagiaire<br />
Rêvé et désiré, puis imaginé et conceptualisé, l’<strong>Espace</strong> Culture est aujourd’hui<br />
construit et ouvert. Malgré l’imperfection, le public s’approprie ce lieu, que nous<br />
voulions différent, et une part <strong>de</strong> cette i<strong>de</strong>ntité en construction.<br />
Dix ans d’aventure exigeante autant que passionnante. Enseignants, chercheurs,<br />
artistes, associations ont participé, ici et là, à la conception du projet, croisé leur<br />
connaissance et leur savoir, fait preuve d’imagination au service <strong>de</strong> la confrontation et<br />
<strong>de</strong> l’expérimentation.<br />
Pendant ce temps, face à la pertinence et au rapi<strong>de</strong> développement <strong>de</strong> l’activité <strong>culture</strong>lle<br />
; nos partenaires, État et collectivités, ont soutenu l’idée <strong>de</strong> la construction d’un<br />
lieu, capable <strong>de</strong> répondre aux perspectives <strong>de</strong> notre politique <strong>culture</strong>lle.<br />
Entre passions et complications institutionnel<strong>les</strong>…<br />
Nous venions tous ensemble <strong>de</strong> commencer une aventure, que l’on n’imaginait pas si<br />
longue. Nous ne savions pas non plus que cette entreprise allait, d’une part, cristalliser,<br />
au sein <strong>de</strong> l’université, la diversité <strong>de</strong>s regards <strong>de</strong>s uns et <strong>de</strong>s autres sur la <strong>culture</strong><br />
et, d’autre part, mettre en évi<strong>de</strong>nce <strong>les</strong> difficultés institutionnel<strong>les</strong> à subventionner ce<br />
projet métis et difficilement classable.<br />
Tout se complique !<br />
Au sein <strong>de</strong> l’université, la construction d’un tel bâtiment aurait pu passer inaperçue<br />
s’il s’était agi <strong>de</strong> locaux d’enseignements ou <strong>de</strong> recherches. Selon ses détracteurs, il y<br />
avait mille raisons pour l’empêcher <strong>de</strong> voir le jour ; la première d’entre-el<strong>les</strong> : « cette<br />
construction ne correspond pas à <strong>de</strong>s locaux <strong>de</strong> première nécessité ». L’implacable<br />
argument mettait en évi<strong>de</strong>nce la confrontation entre <strong>de</strong>ux visions <strong>de</strong> la <strong>culture</strong> et <strong>de</strong><br />
sa valeur matérielle et symbolique.<br />
À l’externe, il fallait convaincre. Il ne s’agissait pas d’un équipement <strong>culture</strong>l prestigieux<br />
en centre ville dont <strong>les</strong> tenants et <strong>les</strong> aboutissants se règlent à coup d’équilibrage<br />
politique. Seule l’intelligence <strong>de</strong> nos nombreux partenaires a permis <strong>de</strong> rendre possible<br />
la construction <strong>de</strong> l’<strong>Espace</strong> Culture.<br />
Dans ce numéro, nous avons souhaité que <strong>de</strong>s amis, chercheurs, étudiants, artistes,<br />
partenaires nous proposent leur vision <strong>de</strong> l’<strong>Espace</strong> Culture. Jean Caune apporte une<br />
réflexion générale sur l’université composante <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité du territoire, laquelle « ne<br />
se fera pas sans une forte dimension imaginaire et symbolique qui peut être illustrée<br />
par <strong>les</strong> pratiques <strong>culture</strong>l<strong>les</strong> <strong>de</strong>s étudiants ». Alain Cambier abor<strong>de</strong> l’hétérotopie <strong>de</strong><br />
l’<strong>Espace</strong> Culture : « au-<strong>de</strong>là du savoir qui y est transmis, ce lieu critique ouvre celle-ci à<br />
la question du sens <strong>de</strong> l’existence ». Pour Olivier Benoit, il est « un terrain <strong>de</strong> rencontre<br />
entre artistes dit « confirmés » et gens curieux, désireux. C’est un outil quasi-inespéré<br />
». Eric Le Moal rappelle la philosophie qui a poussé <strong>les</strong> partenaires à soutenir sa<br />
construction qui doit servir le projet <strong>culture</strong>l et « permettre à l’équipe <strong>de</strong> l’USTL et au<br />
public actif qui l’accompagne <strong>de</strong> continuer à nous gratouiller là où ça chatouille ». On<br />
lira aussi dans ce dossier <strong>les</strong> textes <strong>de</strong> Jean-Marie Breuvart, Christian Ruby, Hervé<br />
Royer, Sandra Guinand et Maxime Pauwels.<br />
Encore et toujours, il nous incombe <strong>de</strong> ne pas décevoir. Notre projet ne doit jamais<br />
oublier que la <strong>culture</strong> interroge l’Être et le met face à son envers, le néant.<br />
Bonne année 2004 !<br />
2
sommaire / LNA#35<br />
Photographie : Philippe Timmerman, « Peut-être que rien n’existe qu’un immense tourbillon »<br />
Tout est dans « l’in_edit » !<br />
Retrouvez désormais, en pages centra<strong>les</strong><br />
<strong>de</strong>s Nouvel<strong>les</strong> d’Archimè<strong>de</strong> et<br />
en diffusion libre au café <strong>culture</strong>l,<br />
la programmation trimestrielle <strong>de</strong><br />
l’<strong>Espace</strong> Culture.<br />
L’in_edit dit l’essentiel, pour en<br />
savoir plus :<br />
www.univ-lille1.fr/<strong>culture</strong><br />
> à lire pages 17 à 20 :<br />
Dossier <strong>Espace</strong> Culture<br />
<strong>Ren<strong>de</strong>z</strong>-<strong>vous</strong> d’Archimè<strong>de</strong> : <strong>les</strong> émotions<br />
4-5. La construction sociale <strong>de</strong> l’émotion par David Le Breton<br />
6. L’émotion par Bernard Forthomme<br />
7. Emotions, sentiments et affects : un point philosophique,<br />
puis psychanalytique par Pierre-Henri Castel<br />
Rubriques<br />
8-9. Paradoxes par Jean-Paul Delahaye<br />
10-11. Repenser la politique par Alain Cambier<br />
12-13. Jeux littéraires par Robert Rapilly<br />
14-15. Humeurs par Jean-François Rey<br />
16. A lire par Rudolf Bkouche<br />
21. Vivre <strong>les</strong> sciences, vivre le droit par Jean-Marie Breuvart<br />
22-23. Mémoires <strong>de</strong> science par Fabien Chareix<br />
24-25. L’art et la manière par Michèle Dard et Isabelle Kustosz<br />
Dossier<br />
17-20. <strong>Espace</strong> Culture<br />
Libres Propos<br />
26. La fécondité <strong>de</strong>s erreurs par Bernard Pourprix<br />
27. Vénus <strong>de</strong>vant le Soleil par Arkan Simaan<br />
A noter<br />
28. Réflexion-Débat : <strong>cycle</strong> Culture et ville<br />
29. Réflexion-Débat : <strong>Ren<strong>de</strong>z</strong>-<strong>vous</strong> d’Archimè<strong>de</strong>, <strong>cycle</strong> « Les émotions »<br />
30-31. Exposition : War against Terror<br />
32-33. Réflexion-Débat : <strong>Ren<strong>de</strong>z</strong>-<strong>vous</strong> d’Archimè<strong>de</strong>, <strong>cycle</strong> « La mesure »<br />
34. Exposition scientifique : L’art <strong>de</strong> la mesure<br />
35. Concert : Sophie Agnel - Olivier Benoit<br />
Photographie <strong>de</strong> couverture :<br />
Philippe Timmerman<br />
LES NOUVELLES D’ARCHIMÈDE<br />
Directeur <strong>de</strong> la publication : Hervé BAUSSART<br />
Directeur <strong>de</strong> la rédaction : Nabil El-HAGGAR<br />
Comité <strong>de</strong> rédaction :<br />
Pierre BEHAGUE<br />
Rudolf BKOUCHE<br />
Jean-Marie BREUVART<br />
Alain CAMBIER<br />
Fabien CHAREIX<br />
Jean-Paul DELAHAYE<br />
Ahmed DJEBBAR<br />
Nicole GADREY<br />
Robert GERGONDEY<br />
Isabelle KUSTOSZ<br />
Catherine LEFRANÇOIS<br />
Bernard MAITTE<br />
Anne-Marie MARMIER<br />
Robert RAPILLY<br />
Jean-François REY<br />
Rédaction - Réalisation : Christiane FORTASSIN<br />
Delphine POIRETTE<br />
Edith DELBARGE<br />
Julien LAPASSET<br />
Impression :<br />
Dumoulin imprimeur<br />
ISSN : 1254 - 9185<br />
3
LNA#35 / <strong>cycle</strong> <strong>les</strong> émotions<br />
> version intégrale <strong>de</strong> l’article : www.univ-lille1.fr/<strong>culture</strong><br />
La construction sociale <strong>de</strong> l’émotion<br />
Par David LE BRETON 1<br />
Professeur <strong>de</strong> sociologie<br />
à l’Université Marc Bloch <strong>de</strong> Strasbourg<br />
1<br />
Auteur notamment <strong>de</strong><br />
Les passions ordinaires.<br />
Anthropologie <strong>de</strong>s émotions<br />
(Armand Colin), Eloge<br />
<strong>de</strong> la marche (Métailié),<br />
Signes d’i<strong>de</strong>ntité. Tatouage,<br />
piercing et autres traces corporel<strong>les</strong><br />
(Métailié), La peau<br />
et la trace. Sur <strong>les</strong> b<strong>les</strong>sures<br />
<strong>de</strong> soi (Métailié).<br />
2<br />
Jean Piaget, Les relations<br />
entre l’intelligence et l’affectivité<br />
dans le développement<br />
<strong>de</strong> l’enfant, in B. Rimé<br />
et K. Scherer (eds), Les<br />
émotions, Neuchâtel,<br />
Delachaux-Niestlé, 1988,<br />
p 75 sq.<br />
3<br />
Aristote, Rhétorique,<br />
Paris, Livre <strong>de</strong> poche,<br />
1991, 183.<br />
L<br />
’homme est relié au mon<strong>de</strong> par un permanent tissu d’émotions et <strong>de</strong> sentiments. Il est en permanence<br />
affecté, touché par <strong>les</strong> événements. L’affectivité mobilise <strong>de</strong>s modifications viscéra<strong>les</strong> et musculaires, elle<br />
filtre la tonalité du rapport au mon<strong>de</strong>. Elle incarne, pour le sens commun, un refuge <strong>de</strong> l’individualité, un<br />
jardin secret où s’affirmerait une intériorité née d’une spontanéité sans défaut. Pourtant, si elle s’offre sous<br />
<strong>les</strong> couleurs <strong>de</strong> la sincérité et <strong>de</strong> la particularité individuelle, l’affectivité est toujours l’émanation d’un milieu<br />
humain donné et d’un univers social <strong>de</strong> sens et <strong>de</strong> valeurs. Si son infinie diversité appartient bien entendu au<br />
patrimoine <strong>de</strong> l’espèce, son actualisation dans un ressenti et une économie subtile <strong>de</strong> mimiques, <strong>de</strong> gestes,<br />
<strong>de</strong> postures, une succession <strong>de</strong> séquences, une durée ne se conçoit pas hors <strong>de</strong> l’apprentissage, hors du façonnement<br />
<strong>de</strong> la sensibilité que suscite le rapport aux autres au sein d’une <strong>culture</strong> dans un contexte particulier.<br />
L’émotion n’a pas <strong>de</strong> réalité en soi, ne puise pas dans une physiologie indifférente aux circonstances <strong>culture</strong>l<strong>les</strong><br />
ou socia<strong>les</strong>. Elle s’inscrit plutôt à la première personne au sein d’un tissu <strong>de</strong> significations et d’attitu<strong>de</strong>s<br />
qui imprègne simultanément <strong>les</strong> manières <strong>de</strong> la dire et <strong>de</strong> la mettre physiquement en jeu. Elle est donc une<br />
émanation sociale rattachée à <strong>de</strong>s circonstances mora<strong>les</strong> et à la sensibilité particulière <strong>de</strong> l’individu. Elle n’est<br />
pas spontanée, mais rituellement organisée, reconnue en soi et signifiée aux autres, mobilise un vocabulaire,<br />
<strong>de</strong>s discours. Elle relève <strong>de</strong> la communication sociale. L’individu ajoute sa note particulière et bro<strong>de</strong> sur un<br />
motif collectif susceptible d’être reconnu par ses pairs, selon son histoire personnelle, sa psychologie, son<br />
statut social, son sexe, son âge, etc. L’affectivité est l’inci<strong>de</strong>nce d’une valeur personnelle confrontée à la réalité<br />
du mon<strong>de</strong>.<br />
Le détour anthropologique force à se percevoir soi sous l’angle <strong>de</strong> la relativité sociale et <strong>culture</strong>lle même pour<br />
<strong>de</strong>s valeurs qui paraissent intimes et essentiel<strong>les</strong>. Il rappelle le caractère socialement construit <strong>de</strong>s états affectifs<br />
même <strong>les</strong> plus brûlants et <strong>de</strong> leurs manifestations sur un fond biologique qui n’est jamais une fin mais<br />
toujours la matière première sur laquelle bro<strong>de</strong>nt inlassablement <strong>les</strong> sociétés.<br />
La vie affective s’impose en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> toute intention. Elle est une pensée en mouvement que n’épuise pas le<br />
cogito. Des processus inconscients entrent également dans son émergence. Elle autorise parfois un contrôle<br />
pour un ajustement plus favorable aux circonstances. Les émotions ne sont pas <strong>de</strong>s turbulences mora<strong>les</strong> percutant<br />
<strong>de</strong>s conduites raisonnab<strong>les</strong>, el<strong>les</strong> suivent <strong>de</strong>s logiques personnel<strong>les</strong> et socia<strong>les</strong>, el<strong>les</strong> ont leur raison. Un<br />
homme qui pense est un homme affecté, renouant le fil <strong>de</strong> sa mémoire, imprégné d’un certain regard sur<br />
le mon<strong>de</strong> et sur <strong>les</strong> autres. Des mouvements affectifs qui paraissent en rupture avec <strong>les</strong> manières habituel<strong>les</strong><br />
d’un sujet, ou qui le poussent à agir sur un mo<strong>de</strong> qui lui est nuisible, renvoient pour le psychanalyste à <strong>de</strong>s<br />
logiques <strong>de</strong> l’inconscient enracinées à <strong>de</strong>s types <strong>de</strong> relations nouées dans l’enfance et dont la signification<br />
peut être retrouvée au cours <strong>de</strong> l’anamnèse. Piaget a mis en évi<strong>de</strong>nce qu’il n’y a pas <strong>de</strong> processus cognitif<br />
sans mise en jeu affective et inversement 2 .<br />
L’individu interprète <strong>les</strong> situations à travers son système <strong>de</strong> connaissance et <strong>de</strong> valeurs. L’affectivité déployée<br />
en est la conséquence. Aristote est sans doute le premier à souligner la part active <strong>de</strong> l’individu dans <strong>les</strong><br />
émotions qui le traversent. « On doit, en ce qui concerne chaque passion, distinguer trois points <strong>de</strong> vue,<br />
écrit-il. Ainsi, par exemple, au sujet <strong>de</strong> la colère, voir dans quel état d’esprit sont <strong>les</strong> gens en colère, contre<br />
quel<strong>les</strong> personnes ils le sont d’habitu<strong>de</strong>, et pour quel motif 3 ». La signification conférée à l’événement fon<strong>de</strong><br />
l’émotion ressentie, c’est elle que <strong>les</strong> propositions naturalistes échouent à appréhen<strong>de</strong>r du fait <strong>de</strong>s limites<br />
<strong>de</strong> leur cadre <strong>de</strong> pensée au risque d’élaguer la spécificité humaine qui tient justement dans la dimension<br />
symbolique. Dans la terreur qui se saisit d’une foule, dans la haine raciste ou dans <strong>les</strong> manifestations <strong>de</strong> la<br />
fureur individuelle ou collective, nul triomphe <strong>de</strong> l’« irrationalité » ou <strong>de</strong> la « nature », mais la mise en jeu<br />
d’un raisonnement, d’une logique mentale, d’une ambiance sociale. On n’est pas ému par le déclenchement<br />
inopiné d’un processus biologique, mais face à une implication particulière dans une situation donnée qui<br />
mobilise alors un état physiologique reconnaissable.<br />
À l’intérieur d’une même communauté sociale, <strong>les</strong> manifestations corporel<strong>les</strong> et affectives d’un acteur sont<br />
4
<strong>cycle</strong> <strong>les</strong> émotions / LNA#35<br />
virtuellement signifiantes aux yeux <strong>de</strong> ses partenaires, el<strong>les</strong> se renvoient <strong>les</strong> unes aux autres à travers un jeu<br />
<strong>de</strong> miroir infini. Son expérience contient en germe celle <strong>de</strong>s membres <strong>de</strong> sa société. Pour qu’une émotion<br />
soit ressentie, perçue et exprimée par l’individu, elle doit appartenir sous une forme ou sous une autre au<br />
répertoire <strong>culture</strong>l <strong>de</strong> son groupe. Un savoir affectif diffus circule au sein <strong>de</strong>s relations socia<strong>les</strong> et enseigne<br />
aux acteurs, selon leur sensibilité personnelle, <strong>les</strong> impressions et <strong>les</strong> attitu<strong>de</strong>s qui s’imposent à travers <strong>les</strong><br />
différentes circonstances <strong>de</strong> leur existence singulière. Les émotions sont <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s d’affiliation à une communauté<br />
sociale, une manière <strong>de</strong> se reconnaître et <strong>de</strong> pouvoir communiquer ensemble sur le fond affectif<br />
proche. « Il y a <strong>de</strong>s gens qui n’auraient jamais été amoureux s’ils n’avaient jamais entendu parler <strong>de</strong> l’amour »<br />
dit finement La Rochefoucault.<br />
Mauss montre comment <strong>les</strong> sociétés induisent une « expression obligatoire <strong>de</strong>s sentiments » qui imprègne<br />
l’individu à son insu et le rend conforme aux attentes et à la compréhension <strong>de</strong> son groupe. Il dégage la<br />
rigoureuse progression sociale d’un rite funéraire australien dont l’affectivité est régie par <strong>de</strong>s règ<strong>les</strong> que <strong>les</strong><br />
acteurs ne cessent <strong>de</strong> rejouer en se conformant aux usages. La vive douleur exprimée par <strong>les</strong> cris, <strong>les</strong> lamentations,<br />
<strong>les</strong> chants, <strong>les</strong> pleurs n’en est pas moins sincère. Les manifestations du chagrin diffèrent selon la<br />
position <strong>de</strong>s acteurs dans le système <strong>de</strong> parenté, el<strong>les</strong> ne sont pas univoques, une dose licite <strong>de</strong> souffrance est<br />
<strong>de</strong> mise selon la proximité avec le défunt, selon que l’en<strong>de</strong>uillé est un homme ou une femme. La conclusion<br />
<strong>de</strong> Mauss a une valeur programmatique : « Toutes ces expressions collectives, simultanées, à valeur morale<br />
et à force obligatoire <strong>de</strong>s sentiments <strong>de</strong> l’individu et du groupe, ce sont plus que <strong>de</strong> simp<strong>les</strong> manifestations,<br />
ce sont <strong>de</strong>s signes <strong>de</strong>s expressions comprises, bref, un langage. Ces cris, ce sont comme <strong>de</strong>s phrases et <strong>de</strong>s<br />
mots. Il faut dire, mais s’il faut <strong>les</strong> dire c’est parce que tout le groupe <strong>les</strong> comprend. On fait donc plus que <strong>de</strong><br />
manifester ses sentiments, on <strong>les</strong> manifeste aux autres puisqu’il faut <strong>les</strong> leur manifester. On se <strong>les</strong> manifeste<br />
à soi en <strong>les</strong> exprimant aux autres et pour le compte <strong>de</strong>s autres. C’est essentiellement une symbolique 4 ».<br />
Les émotions qui nous traversent, et la manière dont el<strong>les</strong> retentissent en nous, s’alimentent dans <strong>de</strong>s orientations<br />
<strong>de</strong> comportements que chacun exprime selon son style, selon son appropriation personnelle <strong>de</strong><br />
la <strong>culture</strong> qui le baigne. El<strong>les</strong> sont donc i<strong>de</strong>ntifiab<strong>les</strong> au sein d’un même groupe puisqu’el<strong>les</strong> relèvent d’une<br />
symbolique sociale. Leur émergence est liée à l’interprétation propre que donne l’individu d’un événement<br />
qui l’affecte moralement et modifie ainsi <strong>de</strong> façon provisoire ou durable son rapport au mon<strong>de</strong>. El<strong>les</strong> traduisent<br />
sur un mo<strong>de</strong> significatif aux yeux <strong>de</strong>s autres la résonance affective <strong>de</strong> l’événement. El<strong>les</strong> ne sont pas une<br />
émanation singulière <strong>de</strong> l’individu, mais la conséquence intime, à la première personne, d’un apprentissage<br />
social et d’une i<strong>de</strong>ntification aux autres qui nourrissent sa sociabilité et lui signalent ce qu’il doit ressentir,<br />
et <strong>de</strong> quelle manière, dans ces conditions précises. Le déclenchement <strong>de</strong>s émotions est nécessairement une<br />
donnée <strong>culture</strong>lle tramée au coeur du lien social. D’une certaine manière, l’émotion est soufflée par le groupe<br />
qui attache une importance particulière à l’événement. Son émergence, son intensité, sa durée, ses modalités<br />
<strong>de</strong> mise en jeu, son <strong>de</strong>gré d’inci<strong>de</strong>nce sur <strong>les</strong> autres, répon<strong>de</strong>nt à <strong>de</strong>s incitations collectives susceptib<strong>les</strong> <strong>de</strong><br />
varier selon <strong>les</strong> différents publics et la personnalité <strong>de</strong>s acteurs sollicités. L’émotion est la définition sensible <strong>de</strong><br />
l’événement tel que le vit l’individu, la traduction immédiate et intime d’une valeur confrontée au mon<strong>de</strong>.<br />
Rappelons pour conclure que <strong>les</strong> émotions se donnent à comprendre aux autres à travers une symbolique<br />
corporelle. Tout individu est donc susceptible <strong>de</strong> jouer avec son ressenti pour faire accroître aux autres <strong>de</strong>s<br />
émotions qu’il ne ressent pas, mais qu’il sait mettre en scène. Il est aisé ainsi <strong>de</strong> manipuler ses propres sentiments<br />
pour manipuler ceux <strong>de</strong>s autres. Le jeu sur la scène est pensable parce que la comédie est d’abord<br />
sur la scène sociale. Dans la condition humaine, l’émotion ne relève pas d’une nature mais d’une <strong>culture</strong>. Le<br />
comédien l’illustre à merveille. Il instruit aux yeux du public une croyance à son rôle grâce au travail d’élaboration,<br />
d’interprétation (dans tous <strong>les</strong> sens du terme) qu’il en donne. Mais la transformation n’est possible que<br />
parce que <strong>les</strong> passions ne sont pas érigées en nature, mais sont le fait d’une construction sociale et <strong>culture</strong>lle<br />
et qu’el<strong>les</strong> s’expriment dans un jeu <strong>de</strong> signes que l’homme a toujours la possibilité <strong>de</strong> déployer, même s’il ne<br />
<strong>les</strong> ressent pas 5 .<br />
4<br />
Marcel Mauss,<br />
L’expression obligatoire<br />
<strong>de</strong>s sentiments, Essais <strong>de</strong><br />
sociologie, Paris, Minuit,<br />
1968, p 88.<br />
5<br />
Pour un approfondissement<br />
<strong>de</strong>s points abordés<br />
ici nous renvoyons à David<br />
Le Breton, Les passions ordinaires.<br />
Anthropologie <strong>de</strong>s<br />
émotions, Paris, Armand<br />
Colin, 1998.<br />
5
LNA#35 / <strong>cycle</strong> <strong>les</strong> émotions<br />
L’émotion<br />
Par Bernard FORTHOMME<br />
Docteur en Philosophie et Lettres<br />
Membre <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong>s Franciscains<br />
Une larme à l’œil n’est pas simplement la cause <strong>de</strong> mon<br />
émotion. Toutefois, une manifestation poétique et ma<br />
conscience aiguë <strong>de</strong> la métaphore ne sont pas non plus cette<br />
cause supérieure dont la larme ne serait que le misérable effet<br />
naturel, cette lune dérisoire dans l’orbite <strong>de</strong> mon regard, cet<br />
œil <strong>de</strong> feu décrit par un ami astronome.<br />
Certes, la réduction <strong>de</strong> l’émotion à un acci<strong>de</strong>nt physiologique,<br />
au corps entendu comme ce pur foyer causal, est une bévue<br />
considérable. Mais réinsérer le rapport délicat entre la larme à<br />
l’œil et l’émotion, dans son contexte social et dans son champ<br />
naturel, ne rend pas automatiquement justice au jaillissement<br />
<strong>de</strong> l’émotion.<br />
Sans doute le corps ému, la larme à l’œil qui le trahit et le<br />
traduit, n’est jamais simplement cause <strong>de</strong> l’émotion vécue et<br />
reconnue. Il y a toujours une forme d’interprétation spontanée<br />
<strong>de</strong> l’événement physiologique, dès lors qu’il se manifeste à soi,<br />
s’exprime comme expérience vive et, surtout, s’il se verbalise !<br />
Mais en vérité l’émotion se manifeste comme la production<br />
d’un corps différent dont le sujet ne s’est pas encore séparé,<br />
<strong>de</strong>meuré tout proche <strong>de</strong> l’impression originaire. Je connais<br />
d’abord l’être dans une simplicité confuse, sa voix unique,<br />
avant <strong>de</strong> pouvoir reconnaître la singularité pure au sein <strong>de</strong><br />
l’existence et du vivant.<br />
L’émotion s’éprouve à la fois comme production d’une épreuve<br />
originaire et comme une forme d’interprétation <strong>de</strong> la réalité<br />
environnante, d’un réseau <strong>de</strong> relations et d’attachement à l’être<br />
singulier. Bref, l’émotion n’est pas seulement liée à la physiologie<br />
ou au registre <strong>de</strong> l’affect ou du subjectif, <strong>de</strong> l’intime. Elle<br />
est également une forme <strong>de</strong> connaissance et même un jugement<br />
enrôlant un mot expressif. Sans doute ne s’agit-il pas là<br />
<strong>de</strong> la raison intellectuelle, d’une activité consciente <strong>de</strong> l’esprit<br />
ou <strong>de</strong> la raison volontaire. Mais l’émotion témoigne plus que<br />
d’un simple inconscient. Elle atteste au contraire <strong>de</strong> la vigilance<br />
incorporée <strong>de</strong> l’esprit, comme expérience première où<br />
la dialectique <strong>de</strong> l’environnement, d’autrui, <strong>de</strong> mon corps et<br />
<strong>de</strong> ma conscience n’est pas encore mise à jour ; expérience que<br />
cette dialectique présuppose comme un contentieux dérivé.<br />
L’émotion ainsi perçue offre une base expérimentale d’une<br />
relation et d’un attachement où la question <strong>de</strong> la nature et<br />
<strong>de</strong> ce qui l’excè<strong>de</strong>, <strong>de</strong> l’affectif et <strong>de</strong> l’effectivité morale, du<br />
sentiment et <strong>de</strong> la volonté, <strong>de</strong> l’immanence et <strong>de</strong> la relation<br />
transfinie, n’est pas encore d’actualité. Autrement dit, l’émotion<br />
se joue à un niveau d’articulation <strong>de</strong> soi, d’autrui, d’une<br />
décence sociale, du corps et <strong>de</strong> la nature, <strong>de</strong> la nature et <strong>de</strong><br />
la relation excé<strong>de</strong>ntaire, qui reste indiscernable. Cette irrésolution<br />
n’est pas un vague sentiment. Parler ainsi serait juger<br />
l’émotion comme un simple affect, un effet passif d’une cause<br />
corporelle, naturelle ou sociale, à partir d’un sentiment différencié<br />
ou d’une logique perçue comme dégradée ou seulement<br />
inchoative. Or l’émotion est déjà un discernement autonome,<br />
une articulation originale et une expérience indépassable, en<br />
tant que telle, <strong>de</strong> la réalité complexe. Elle assure, en outre,<br />
une constante significative entre <strong>de</strong>s instances qui peuvent<br />
apparaître ultérieurement hétérogènes ou nécessairement différentiab<strong>les</strong>.<br />
Si le corps est susceptible d’une émotion, c’est aussi parce que<br />
l’émotion provoque le corps ému. Le corps est aussi un <strong>de</strong>venir<br />
propre <strong>de</strong> l’émotion. L’émotion façonne le corps, lui donne à<br />
éprouver l’articulation <strong>de</strong> la réalité la plus hétérogène, seraitce<br />
le lien mystérieux entre la nature finie et la relation infinie.<br />
L’imitation d’une émotion produit en quelque sorte un corps<br />
ému. L’imitation enrôle le corps pour produire le corps ému,<br />
mais le corps ému est également provoqué par l’imitation désirée.<br />
Ce désir d’imitation, nous le retrouvons présent dans la<br />
pratique théâtrale. Il y a volonté <strong>de</strong> mimer la passion. Mais<br />
toute répétition est sélection et toute sélection inclut une opposition<br />
à certains traits non retenus. La sélection est une élection<br />
et une diffusion qui laisse inexprimés certains éléments<br />
d’une émotion imitée.<br />
Imitation qui exerce une fonction dans le <strong>de</strong>venir autre ou la<br />
transexpressivité : l’émotion mimétique est une forme <strong>de</strong> préhension<br />
du cheval, du fou ou d’un geste féminisé. En outre, le<br />
<strong>de</strong>venir femme <strong>de</strong> la sensibilité masculine peut être l’expression<br />
émotionnelle provoquée par une autre émotion. Ainsi,<br />
pour être plus fidèle à l’impression <strong>de</strong> grâce d’une femme que<br />
l’on ne voudrait pas voir brutalement allongée sur un lit pour<br />
dormir, l’émotion poétique l’imagine posée endormie sur une<br />
branche tel un oiseau <strong>de</strong> paradis ! Je prends un air joyeux pour<br />
être moins malheureux. De même si je prends <strong>de</strong> l’alcool, c’est<br />
aussi pour induire un corps exprimant la bonne humeur ou<br />
mieux incorporer ma tristesse.<br />
Par l’émotion que j’éprouve je ne suis pas simplement effet, un<br />
être senti, mais ce qui me fait éprouver, expérimenter <strong>de</strong>s événements<br />
neufs ou différents. Je ne suis plus seulement l’effet<br />
d’un événement esthétique ni la cause transfigurante, sublimant<br />
un simple mur <strong>de</strong> briques en empreinte digitale <strong>de</strong> Dieu.<br />
J’incorpore l’édifice, je <strong>de</strong>viens une peau basanée, je <strong>de</strong>viens<br />
ocre, peau-rouge, homme terreux, en relation quinconce, et<br />
par là, assoupli comme glaise, mis en mouvement, ému, j’édifie,<br />
je me construis, je m’édifie, occasion <strong>de</strong> sauvegar<strong>de</strong> ou <strong>de</strong><br />
verticalité pour ceux que je touche.<br />
6
<strong>cycle</strong> <strong>les</strong> émotions / LNA#35<br />
> version intégrale <strong>de</strong> l’article : www.univ-lille1.fr/<strong>culture</strong><br />
Emotions, sentiments et affects :<br />
un point philosophique, puis psychanalytique<br />
Par Pierre-Henri CASTEL<br />
Chercheur au CNRS, historien<br />
et philosophe <strong>de</strong>s sciences, psychanalyste<br />
Je doute qu’on puisse parler <strong>de</strong> l’émotion en psychanalyse<br />
sainement sans une soli<strong>de</strong> préparation conceptuelle ; et<br />
qui parle <strong>de</strong> concepts ne parle justement pas <strong>de</strong>s mots <strong>de</strong> la<br />
langue. Car un concept est assurément un terme <strong>de</strong> la langue,<br />
mais il ne prend sens qu’en fonction du rôle qu’il joue dans un<br />
argument. Et un argument, voilà qui exige une mise en scène<br />
philosophique. A cet égard, peu importe, dans l’exposé que je<br />
promets ici, <strong>les</strong> affinités éventuel<strong>les</strong> entre ce que je tente d’isoler<br />
comme l’affect, ou le sentiment, ou l’émotion, et le terme<br />
technique freudien « Affekt » réduit à sa littéralité sans esprit.<br />
Je me donne plutôt pour tâche <strong>de</strong> voir quel objet psychologiquement<br />
étrange nous force ainsi à faire ces distinctions, et<br />
pourquoi : parce qu’on ne se sert pas <strong>de</strong>s mêmes mots pour<br />
signifier ou faire valoir <strong>les</strong> mêmes choses. Mais, ce n’est pas<br />
juste au philologue sourcilleux que je m’en prends ; c’est aussi<br />
à l’assurance naïve qui, bien souvent, prési<strong>de</strong> au découpage<br />
neuroscientifique <strong>de</strong>s fonctions menta<strong>les</strong>, en préalable à leur<br />
réduction. Un peu comme si l’on savait si bien i<strong>de</strong>ntifier ce<br />
qui est émotion et ce qui ne l’est pas, en palpant <strong>les</strong> contours<br />
<strong>de</strong> nos acci<strong>de</strong>nts mentaux, si j’ose dire, qu’il serait évi<strong>de</strong>nt que<br />
ce que montre l’imagerie cérébrale, ou bien <strong>les</strong> expériences<br />
neuropsychologiques, « correspond » à ce que chacun sait <strong>de</strong><br />
toute éternité relever <strong>de</strong> l’émotion, du sentiment, ou <strong>de</strong> l’affect<br />
- bien plus, <strong>les</strong> définit « objectivement ».<br />
Montrer qu’il n’en est rien serait déjà une belle tâche. Elle<br />
serait parfaitement menée si, philosophiquement, on pouvait<br />
montrer que le travail <strong>de</strong> distinction entre ces notions entremêlées<br />
n’est rien d’autre qu’une forme d’explicitation à nos<br />
propres yeux du contenu <strong>de</strong> notre propre esprit. Mais qu’on<br />
puisse faire dégénérer un sentiment en émotion en un sens<br />
presque purement corporel, ou qu’on puisse concentrer un<br />
sentiment complexe dans un affect limpi<strong>de</strong> et homogène, et<br />
que ces opérations, qui sont indissolublement <strong>de</strong>s re-<strong>de</strong>scriptions<br />
logiques et <strong>de</strong>s auto-manipulations menta<strong>les</strong>, correspon<strong>de</strong>nt<br />
à <strong>de</strong>s figures précises <strong>de</strong> notre vie morale ou érotique, et<br />
voilà, soudain, que le choix <strong>de</strong> voir tel état affectif comme ceci<br />
(ou comme cela) se charge d’enjeux éthiques, esthétiques, religieux,<br />
et j’en passe. Nous n’avons plus, alors, une « théorie » ni<br />
un « modèle » <strong>de</strong> la vie affective mais, <strong>de</strong> manière immanente,<br />
une articulation <strong>de</strong> nos émotions, <strong>de</strong> nos sentiments et <strong>de</strong> nos<br />
affects, et une articulation profondément rationnelle. Ce que<br />
nous pensons <strong>de</strong> ce que nous ressentons fait alors vraiment<br />
corps avec notre vie. Et une telle attitu<strong>de</strong> « impliquée » <strong>de</strong> la<br />
pensée à l’égard <strong>de</strong>s affects ne se réfute pas comme une théorie<br />
empiriquement ou expérimentalement déficiente.<br />
Voilà en tout cas le point <strong>de</strong> départ pour apprécier l’apport<br />
freudien. L’affect est en effet pour Freud une dimension<br />
intrinsèquement subjective du vécu psychique, et c’est la nature<br />
étrange <strong>de</strong> cette subjectivité qui rend si difficile la saisie<br />
correcte <strong>de</strong> ce qu’il dit <strong>de</strong> l’amour, du <strong>de</strong>uil, <strong>de</strong> l’angoisse, du<br />
plaisir et <strong>de</strong> la douleur, ou <strong>de</strong> la culpabilité.<br />
Je rappellerai alors pourquoi, dans une cure, <strong>les</strong> affects (sauf<br />
l’angoisse et peut-être parfois la douleur) sont toujours<br />
suspects : pourquoi la froi<strong>de</strong>ur du psychanalyste <strong>de</strong>vant <strong>les</strong><br />
décharges affectives <strong>de</strong> son patient, si « authentiques », ou<br />
ressenties du moins comme tel<strong>les</strong>, repose sur une analyse qui<br />
leur donne fonction d’instruments <strong>de</strong> mensonge, à soi-même,<br />
au plus vif, mais aussi aux autres, dans le symptôme, comme<br />
à l’analyste dans le transfert. Constat cruel, mais peut-être<br />
parce que l’affection, ou l’être-affecté, ne supporte pas <strong>de</strong><br />
voisiner <strong>de</strong> trop près l’affectation ; il faudrait qu’un tel rapprochement<br />
soit un hasard, un mauvais jeu <strong>de</strong> mots. Rien <strong>de</strong> plus<br />
banal (<strong>de</strong> plus hystérique ?), cependant, que la croyance que la<br />
vérité <strong>de</strong> la souffrance serait la souffrance même - rien <strong>de</strong> plus<br />
perturbant (<strong>de</strong> plus soulageant ?) que l’idée inverse, qui pose<br />
d’abord que la vérité <strong>de</strong> la souffrance est d’abord une vérité, et<br />
ensuite autre chose que <strong>de</strong> la souffrance.<br />
Je conclurai en suivant une piste ancienne, que la neurobiologie<br />
retrouve aujourd’hui. Il y a chez Freud une profon<strong>de</strong><br />
théorie <strong>de</strong> l’acte et <strong>de</strong> l’action. C’est dans ce cadre qu’il tente<br />
<strong>de</strong> nous déprendre <strong>de</strong> notre fascination pour l’effet que ça fait<br />
d’être affecté, et qu’il interroge la fonction <strong>de</strong> cette violence<br />
émotionnelle et <strong>de</strong> ces affects qui parviennent à nous inhiber,<br />
et qui s’incrustent parfois en nous comme <strong>de</strong>s clous <strong>de</strong> douleur.<br />
Comprendre le pourquoi <strong>de</strong> l’affect fait donc partie du<br />
processus <strong>de</strong> guérison, et différencie à coup sûr une psychothérapie<br />
qui ne proposerait qu’une rééducation émotionnelle, et<br />
une psychanalyse qui déplace <strong>les</strong> affects avec leur sujet (je veux<br />
dire, leur sujet caché, inconscient). Du coup, non seulement<br />
il se pourrait qu’il n’y ait rien <strong>de</strong> mal ou <strong>de</strong> dommageable à «<br />
agir sous le coup <strong>de</strong> l’émotion », mais que tout acte vrai <strong>de</strong> décision<br />
subjective s’alimente à cette affectivité, laquelle ne nuit<br />
nullement à la raison, mais permet à l’action <strong>de</strong> se transmuer<br />
en un acte où je me retrouve moi-même (là où parfois je ne me<br />
soupçonnais pas). Un pareil lien entre émotion, affect, acte,<br />
décision et subjectivation est spéculatif : mais s’il était mieux<br />
étayé, il prouverait la solidarité entre l’analyse philosophique<br />
<strong>de</strong>s concepts et l’articulation concrète que ceux-ci introduisent<br />
dans notre expérience mentale et morale. En sorte que cette<br />
spéculation n’est pas tout à fait arbitraire, elle veut bousculer<br />
<strong>de</strong>s impressions fausses où nous sommes empêtrés. Selon le<br />
mot freudien, c’est donc une « interprétation » – dont il faudra<br />
mettre l’effet en débat.<br />
7
LNA#35 / paradoxes<br />
Paradoxes Rubrique <strong>de</strong> divertissements mathématiques pour ceux qui aiment se prendre la tête<br />
Par Jean-Paul DELAHAYE<br />
Professeur à l’Université <strong>de</strong>s Sciences et Technologies <strong>de</strong> Lille *<br />
Les paradoxes stimulent l’esprit et sont à l’origine <strong>de</strong> nombreux progrès mathématiques. Notre but est <strong>de</strong> <strong>vous</strong> provoquer et <strong>de</strong><br />
<strong>vous</strong> faire réfléchir. Si <strong>vous</strong> pensez avoir une explication <strong>de</strong>s paradoxes proposés, envoyez-la moi (faire parvenir le courrier à<br />
l’<strong>Espace</strong> Culture <strong>de</strong> l’USTL ou à l’adresse électronique <strong>de</strong>lahaye@lifl.fr).<br />
Rappel du problème précé<strong>de</strong>nt :<br />
le paradoxe <strong>de</strong>s Dupont<br />
Supposons donnée une infinité <strong>de</strong> personnages (appelés Dupont-0,<br />
Dupont-1, ..., Dupont-n,...) placés en ligne <strong>les</strong> uns<br />
<strong>de</strong>rrière <strong>les</strong> autres :<br />
- Dupont-0 est placé en tête <strong>de</strong> la rangée infinie et n’a personne<br />
<strong>de</strong>vant lui,<br />
- Dupont-1 est placé juste <strong>de</strong>rrière Dupont-0,<br />
- Dupont-2 est placé juste <strong>de</strong>rrière Dupont-1, etc.<br />
Chaque Dupont prononce la phrase : « au moins une personne<br />
<strong>de</strong>rrière moi ment ». Qui dit vrai ? qui ment ?<br />
D’après le sens <strong>de</strong>s phrases prononcées :<br />
• <strong>de</strong>rrière tout Dupont qui dit vrai, il y a au moins un Dupont<br />
qui ment ;<br />
• si un Dupont ment alors tous <strong>les</strong> Dupont <strong>de</strong>rrière lui disent<br />
la vérité.<br />
Si on désigne par M <strong>les</strong> Dupont qui mentent et par H ceux qui<br />
sont honnêtes et donc ne mentent pas, <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux règ<strong>les</strong> précé<strong>de</strong>ntes<br />
se traduisent en : (a) <strong>de</strong>rrière tout H, il y a au moins un<br />
M et (b) <strong>de</strong>rrière un M, il n’y a que <strong>de</strong>s H. Or il est impossible<br />
<strong>de</strong> concevoir une suite infinie <strong>de</strong> M et <strong>de</strong> H qui vérifie <strong>les</strong><br />
règ<strong>les</strong> (a) et (b), car tout M doit être suivi uniquement <strong>de</strong> H,<br />
ce qui ne se peut pas puisque tout H doit être suivi d’au moins<br />
un M. La situation est contradictoire. Pourquoi ?<br />
Solution<br />
Comme dans le cas du paradoxe du menteur (celui qui dit<br />
« je mens » ne dit pas vrai - car cela signifierait qu’il ment -, ni<br />
ne ment - car cela signifierait qu’il dit vrai), aucune solution<br />
pleinement satisfaisante n’a aujourd’hui été proposée.<br />
Pour le paradoxe du menteur, on se contente souvent <strong>de</strong> le<br />
résoudre en affirmant que, si on dit <strong>de</strong> certaines phrases qu’el<strong>les</strong><br />
sont vraies ou fausses, il faut s’interdire d’inclure dans <strong>les</strong><br />
phrases visées la phrase qu’on prononce. Plus généralement<br />
lorsque plusieurs phrases sont concernées parlant <strong>de</strong> vérité et<br />
<strong>de</strong> fausseté (comme dans le paradoxe <strong>de</strong> Pierre et Paul : Pierre<br />
dit : « Ce que dit Paul est faux » et Paul dit : « Ce que dit Pierre<br />
est vrai ») il faut s’interdire <strong>les</strong> <strong>cycle</strong>s (si Pierre parle <strong>de</strong> la phrase<br />
<strong>de</strong> Paul alors Paul ne doit pas parler <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> Pierre).<br />
La solution <strong>de</strong> l’interdiction <strong>de</strong>s <strong>cycle</strong>s se généralise et conduit<br />
à une solution qui résout (<strong>de</strong> manière moyennement satisfaisante)<br />
le paradoxe du menteur, celui <strong>de</strong> Pierre et Paul et celui<br />
<strong>de</strong>s Dupont. La généralisation est :<br />
- lorsqu’on considère <strong>de</strong>s phrases parlant <strong>de</strong> vérité et <strong>de</strong> fausseté,<br />
il faut s’ interdire <strong>les</strong> <strong>cycle</strong>s et s’ interdire <strong>les</strong> situations infinies.<br />
Si <strong>vous</strong> disposez d’une meilleure solution, signalez-le moi.<br />
Nouveau paradoxe :<br />
Mona Lisa au photomaton<br />
Cette fois le paradoxe proposé est uniquement graphique.<br />
Regar<strong>de</strong>z attentivement la série <strong>de</strong> 9 images A, B, C, D, E, F,<br />
G, H, I.<br />
Chacune a été obtenue à partir <strong>de</strong> la précé<strong>de</strong>nte en réduisant<br />
la taille <strong>de</strong> l’image <strong>de</strong> moitié ce qui a donné quatre morceaux<br />
analogues qu’on a placés en carré pour obtenir une image ayant<br />
la même taille que l’image d’origine. Le nombre <strong>de</strong> pixels a été<br />
exactement conservé et en fait on a seulement déplacé <strong>les</strong> pixels<br />
pour avoir quatre réductions <strong>de</strong> l’image initiale.<br />
Cette transformation s’appelle la transformation du photomaton.<br />
L’image B comporte 4 Mona Lisa. L’image C en comporte 16.<br />
L’image D en comporte 64, etc.<br />
Il se produit quelque chose d’étrange car, au bout <strong>de</strong> neuf<br />
étapes, l’image <strong>de</strong> Mona Lisa est réapparue. Précisons que<br />
c’est bien la même transformation qui a été utilisée pour déduire<br />
<strong>les</strong> unes après <strong>les</strong> autres <strong>les</strong> images <strong>de</strong> la série (c’est un<br />
programme d’ordinateur <strong>de</strong> Philippe Mathieu qui a fait le<br />
travail à chaque fois : http://www.lifl.fr/~mathieu/transform/<br />
in<strong>de</strong>x.html).<br />
Savez-<strong>vous</strong> expliquer le paradoxe graphique <strong>de</strong> la réapparition<br />
<strong>de</strong> l’image initiale ?<br />
*Laboratoire d’Informatique Fondamentale <strong>de</strong> Lille,<br />
UMR CNRS 8022, Bât. M3<br />
8
paradoxes / LNA#35<br />
9
LNA#35 / repenser la politique<br />
De la provi<strong>de</strong>nce à la nécessité aveugle<br />
Par Alain CAMBIER<br />
Professeur <strong>de</strong> Philosophie en Khâgne (Douai)<br />
« La vie n’est pas l’affaire <strong>de</strong>s politiques » : la formule est heureuse, si elle signifie que chacun doit rester maître <strong>de</strong> sa <strong>de</strong>stinée<br />
; mais dans la bouche d’un chef <strong>de</strong> gouvernement qui se réclame du libéralisme, elle renvoie à une idéologie politique<br />
dont l’objectif est <strong>de</strong> limiter l’interventionnisme <strong>de</strong> l’Etat. Pour la logique libérale, l’émancipation <strong>de</strong>s individus suppose<br />
que l’on cesse <strong>de</strong> compter sur le rôle provi<strong>de</strong>ntiel <strong>de</strong> l’Etat. Pourtant, il ne s’agit peut-être encore ici que d’un mirage : moins<br />
d’Etat ne signifie pas mécaniquement plus <strong>de</strong> libertés individuel<strong>les</strong>. Loin d’être une idéologie <strong>de</strong> la liberté, le néo-libéralisme<br />
sert plutôt à justifier notre soumission à la nécessité aveugle <strong>de</strong> la mondialisation économique.<br />
Pendant longtemps, notre société a vécu à l’ombre protectrice<br />
<strong>de</strong> l’Etat. Celui-ci jouait un rôle régulateur, tant<br />
politique qu’économique et social, pour la collectivité. A tel<br />
point que <strong>de</strong>s conceptions apparemment opposées – gaullisme,<br />
socialisme – ont contribué à maintenir, voire à renforcer,<br />
ce rôle dévolu à l’Etat. Pourtant, aujourd’hui, l’idéologie<br />
libérale n’hésite plus à s’afficher comme telle et dès lors, pour<br />
<strong>les</strong> politiques qui s’en réclament ouvertement, l’Etat doit être<br />
remis à sa place, en l’occurrence se cantonner au maintien <strong>de</strong><br />
l’ordre.<br />
Pour nos gouvernants, la sécurité est présentée comme<br />
l’enjeu politique prioritaire. La lutte contre la délinquance<br />
routière se veut le symbole même <strong>de</strong> l’efficacité du pouvoir<br />
politique contre l’insécurité, alors qu’elle n’est que la partie<br />
apparente <strong>de</strong> l’iceberg. Il est, en effet, techniquement plus<br />
facile <strong>de</strong> s’attaquer à ce type <strong>de</strong> délinquance qu’aux autres<br />
et, en particulier, à la corruption en « col blanc ». Fort <strong>de</strong><br />
ses succès médiatiques, le ministère <strong>de</strong> l’Intérieur joue ainsi<br />
un rôle prépondérant au sein du gouvernement. Pourtant,<br />
<strong>les</strong> Français sont <strong>de</strong> plus en plus inquiets <strong>de</strong>vant la montée<br />
d’un autre type d’insécurité : <strong>les</strong> insécurités socia<strong>les</strong>. Non<br />
seulement le chômage ne régresse pas, mais <strong>les</strong> emplois offerts<br />
sont <strong>de</strong> plus en plus précaires. En outre, <strong>les</strong> acquis sociaux,<br />
qui permettaient <strong>de</strong> préserver une certaine qualité <strong>de</strong> vie, sont<br />
aujourd’hui clairement remis en question. Ainsi, la mise sur<br />
la sellette <strong>de</strong>s systèmes <strong>de</strong> protection sociale – retraites, sécurité<br />
sociale… – indique que le temps <strong>de</strong> l’Etat-Provi<strong>de</strong>nce est<br />
révolu.<br />
Le paradoxe qui émerge à propos du traitement <strong>de</strong> l’insécurité<br />
révèle la transformation profon<strong>de</strong> du rapport entre la société<br />
et l’Etat à laquelle nous assistons. Tant que l’on considère<br />
que <strong>les</strong> liens sociaux sont garantis par l’Etat, l’intervention<br />
<strong>de</strong> celui-ci n’apparaît pas seulement requise pour empêcher<br />
l’anarchie, mais aussi indispensable pour faire prendre<br />
conscience <strong>de</strong> l’existence d’un bien commun. Aussi son rôle<br />
a-t-il pu sembler provi<strong>de</strong>ntiel pour traiter la question sociale.<br />
Le vote <strong>de</strong> la loi sur <strong>les</strong> acci<strong>de</strong>nts <strong>de</strong> travail en 1898 a constitué<br />
l’acte <strong>de</strong> baptême <strong>de</strong> l’Etat-Provi<strong>de</strong>nce. Depuis, celui-ci<br />
s’est développé à tel point qu’on lui a reproché d’engendrer<br />
une société d’assistés. Sa crise n’est pas seulement financière :<br />
elle est également celle <strong>de</strong> sa philosophie. L’Etat-Provi<strong>de</strong>nce<br />
ne serait plus adapté <strong>de</strong>puis que chacun a compris que <strong>les</strong> liens<br />
sociaux peuvent s’établir et se renouveler en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> toute intervention<br />
<strong>de</strong> l’Etat et que celle-ci risque même <strong>de</strong> <strong>les</strong> entraver.<br />
L’Etat-Provi<strong>de</strong>nce est apparu en porte-à-faux dès le moment<br />
où il a voulu continuer à dispenser ses bienfaits, alors que <strong>les</strong><br />
individus attendaient le bonheur <strong>de</strong> plus en plus <strong>de</strong> la société<br />
civile. L’Etat-Provi<strong>de</strong>nce relève encore d’une problématique<br />
archaïque <strong>de</strong> la « bonne raison d’Etat » qui, pour garantir<br />
sa puissance, prétend se réserver la clef du bien commun. La<br />
manne que l’Etat-Provi<strong>de</strong>nce distribue correspond à un traitement<br />
strictement quantitatif <strong>de</strong>s problèmes sociaux, alors<br />
que l’émiettement <strong>de</strong>s sty<strong>les</strong> <strong>de</strong> vie exige plutôt une approche<br />
qualitative plus fine. Pourtant, l’Etat-Provi<strong>de</strong>nce assume une<br />
fonction irremplaçable : celle <strong>de</strong> rendre moins tragique l’impact<br />
<strong>de</strong>s aléas <strong>de</strong> la vie sur <strong>les</strong> plus mo<strong>de</strong>stes qui sont aussi<br />
<strong>les</strong> plus exposés. Il a le mérite d’adoucir <strong>les</strong> coups du <strong>de</strong>stin<br />
lorsqu’ils s’accumulent sur <strong>les</strong> plus fragi<strong>les</strong>. En outre, il éduque<br />
tout citoyen au sens <strong>de</strong> l’équité et <strong>de</strong> la solidarité.<br />
Face à l’Etat-Provi<strong>de</strong>nce, le libéralisme préfère opposer le<br />
modèle <strong>de</strong> l’Etat-Gendarme. La puissance étatique est alors<br />
censée s’en tenir à faire respecter le droit formel : « le droit <strong>de</strong> »<br />
plutôt que « le droit à ». Alors que, <strong>de</strong>puis plus d’un siècle, la<br />
notion <strong>de</strong> risque objectif avait supplanté la notion <strong>de</strong> faute<br />
subjective – surtout dans le droit social –, nous assistons à<br />
une révision radicale <strong>de</strong> ce principe : l’individu est supposé<br />
<strong>de</strong>voir désormais assumer son <strong>de</strong>stin. Plus question d’influer<br />
sur l’itinéraire existentiel du citoyen par le jeu <strong>de</strong> la redistribution<br />
<strong>de</strong>s richesses : <strong>les</strong> règ<strong>les</strong> civi<strong>les</strong> comme cel<strong>les</strong> du co<strong>de</strong><br />
<strong>de</strong> la route ne peuvent être enfreintes, mais el<strong>les</strong> n’ont pas<br />
à ouvrir <strong>de</strong> voies <strong>de</strong> salut nouvel<strong>les</strong>. L’homme solidaire, qui<br />
faisait porter à la société assurantielle le poids financier <strong>de</strong> la<br />
réparation du tort subi, doit faire place à l’homme solitaire<br />
considéré pleinement comme le foyer initiateur <strong>de</strong> ses actes. À<br />
l’encontre du concept <strong>de</strong> « responsabilité sans faute » propre à<br />
l’Etat-Provi<strong>de</strong>nce, l’Etat libéral aurait le mérite <strong>de</strong> réhabiliter<br />
10
epenser la politique / LNA#35<br />
la notion <strong>de</strong> faute individuelle et <strong>de</strong> culpabilité. À l’encontre<br />
d’une théorie rétributive <strong>de</strong> la responsabilité, qui tient compte<br />
<strong>de</strong> la situation <strong>de</strong> l’auteur d’un crime ou délit, se développe<br />
aujourd’hui une théorie préventive qui impute d’avance à l’individu<br />
la totalité <strong>de</strong> ses actes, pour qu’il modifie sa conduite<br />
et s’arrache à ses penchants. La menace <strong>de</strong> la sanction impose,<br />
en effet, une certaine circonspection vis-à-vis <strong>de</strong> la façon dont<br />
on se conduit dans la société. Ainsi, le principe d’imputation<br />
vient se substituer au principe <strong>de</strong> causalité qui, appliqué en<br />
sociologie, avait trop tendance à faire du coupable lui-même<br />
une victime. Cependant, par un mouvement <strong>de</strong> balancier<br />
inverse, cette hyper-responsabilisation peut conduire à <strong>de</strong>s<br />
effets pervers : vouloir faire juger <strong>les</strong> mala<strong>de</strong>s mentaux au<br />
même titre que <strong>les</strong> autres, inciter chacun à limiter ses choix et<br />
ses initiatives au nom d’un principe <strong>de</strong> pru<strong>de</strong>nce, entretenir<br />
la mauvaise conscience et le ressentiment, trouver <strong>de</strong>s boucs<br />
émissaires en pointant <strong>de</strong>s populations jugées potentiellement<br />
déviantes, criminaliser l’action syndicale, confondre le<br />
droit et la morale, etc.<br />
En réalité, moins d’Etat ne garantit pas plus <strong>de</strong> liberté. Car<br />
l’économie libérale accomplit au plus haut point l’immanence<br />
du pouvoir et ne prétend se développer qu’en prenant<br />
en charge <strong>les</strong> désirs <strong>de</strong> chacun. Loin d’éduquer l’homme, il<br />
s’agirait avant tout <strong>de</strong> le satisfaire, au nom d’un hédonisme<br />
standardisé. L’économie libérale vise la normalisation <strong>de</strong>s<br />
individus et <strong>de</strong>s populations. Ses chefs <strong>de</strong> file ont compris<br />
l’intérêt <strong>de</strong> lui faire jouer le rôle <strong>de</strong> biopouvoir. Comme l’avait<br />
vu Michel Foucault, <strong>les</strong> biopouvoirs ne sont pas <strong>de</strong>s appareils<br />
idéologiques d’Etat : ce sont <strong>de</strong>s institutions qui interviennent<br />
dans la société civile et, au nom du savoir qu’el<strong>les</strong> produisent,<br />
préten<strong>de</strong>nt prendre en charge notre vie et la normaliser. En<br />
un mot, il s’agit <strong>de</strong> rendre doci<strong>les</strong> à la fois nos corps et nos<br />
âmes. Le pouvoir économique redouble d’efforts sur le terrain<br />
psychologique : il attise nos désirs pour <strong>les</strong> canaliser, <strong>les</strong><br />
rendre uti<strong>les</strong> à l’appareil <strong>de</strong> production et <strong>de</strong> consommation.<br />
Comme il prétend favoriser notre quête <strong>de</strong> bonheur, il a beau<br />
jeu <strong>de</strong> faire croire qu’il répond à nos attentes, alors qu’il <strong>les</strong><br />
conditionne insidieusement. La « marchandisation » <strong>de</strong> nos<br />
goûts, <strong>de</strong> nos aspirations, <strong>de</strong> nos rêves est <strong>de</strong>venue sa principale<br />
préoccupation. En prétendant aller au-<strong>de</strong>vant <strong>de</strong> nos<br />
désirs, l’économie libérale rendrait alors vaine toute tentative<br />
<strong>de</strong> révolte, puisque celle-ci reviendrait à se nier soi-même.<br />
Le néo-libéralisme nous initie à la servitu<strong>de</strong> volontaire.<br />
En induisant sans frein <strong>de</strong> nouveaux besoins, il fait croire<br />
que nous en sommes responsab<strong>les</strong>. À une époque, le sage<br />
conseillait <strong>de</strong> changer nos désirs, à défaut <strong>de</strong> changer l’ordre<br />
du mon<strong>de</strong> : désormais, même nos désirs sont voués à contribuer<br />
au développement d’un ordre mondial.<br />
Le néo-libéralisme tend à faire disparaître toute transcendance<br />
du pouvoir. Il s’agit non pas <strong>de</strong> mettre fin à la domination<br />
<strong>de</strong> la « France d’en haut » sur celle « d’en bas », mais <strong>de</strong> faire<br />
disparaître chez celle-ci la conscience d’être dominée par un<br />
pouvoir venant d’en haut. L’enjeu, pour <strong>les</strong> pouvoirs en place,<br />
consiste à se défausser <strong>de</strong> leurs responsabilités sur <strong>les</strong> citoyens.<br />
L’exemple <strong>de</strong>s effets mortifères <strong>de</strong> la canicule a été révélateur :<br />
nos dirigeants ont cherché à excuser leur imprévoyance dans<br />
la proportion même où ils accusaient – le plus souvent à tort<br />
– <strong>les</strong> famil<strong>les</strong> d’avoir failli à leur <strong>de</strong>voir. Bien plus, alors que<br />
<strong>les</strong> indignités <strong>de</strong> certains hommes politiques sont l’objet d’une<br />
mansuétu<strong>de</strong> complaisante, le citoyen est censé supporter sans<br />
cesse <strong>de</strong> nouvel<strong>les</strong> charges. Aussi, l’exacerbation <strong>de</strong> la responsabilité<br />
renvoie-t-elle à une stratégie politique. Mais celle-ci<br />
est d’autant plus frustrante que le citoyen mesure en même<br />
temps son impuissance : il lui faudrait assumer la vie que le<br />
sort lui a accordée sans pouvoir y déroger. Le citoyen raisonnable<br />
serait surtout celui qui <strong>de</strong>vrait se résigner à faire <strong>de</strong><br />
nécessité vertu. Se montrer « responsable » consisterait à admettre<br />
l’inéluctabilité <strong>de</strong> certaines situations. Sous prétexte<br />
<strong>de</strong> libérer <strong>les</strong> énergies individuel<strong>les</strong>, le libéralisme substitue<br />
à l’idée <strong>de</strong> Provi<strong>de</strong>nce celle d’une nécessité implacable et<br />
aveugle : celle <strong>de</strong>s lois économiques. Cette nécessité se veut<br />
même mondiale et rendrait vaine toute volonté politique <strong>de</strong><br />
résistance. Nécessaires seraient <strong>les</strong> licenciements économiques,<br />
nécessaire serait la privatisation <strong>de</strong>s caisses <strong>de</strong> retraites<br />
ou celle du système <strong>de</strong> santé, nécessaire serait l’allongement<br />
du temps <strong>de</strong> travail, etc. Aucune alternative ne serait<br />
possible à la mondialisation. Les choix <strong>les</strong> plus fondamentaux,<br />
dictés par la nécessité économique, rendraient donc toute<br />
négociation véritable vaine. À la limite, la démocratie ellemême<br />
ne serait plus qu’une illusion puisqu’il n’y aurait plus<br />
personne à qui s’opposer.<br />
Dans l’Antiquité, <strong>les</strong> Grecs distinguaient la Pronoïa ou Provi<strong>de</strong>nce<br />
<strong>de</strong> la Nécessité aveugle et implacable qu’ils appelaient<br />
Anagkè ou Heimarménè, telle celle qui s’était abattue sur<br />
<strong>les</strong> Atri<strong>de</strong>s. La Provi<strong>de</strong>nce a au moins l’avantage <strong>de</strong> nous<br />
faire supposer une intention consciente bienveillante que l’on<br />
pouvait éventuellement mettre en défaut mais, <strong>de</strong>vant cette<br />
nouvelle Heimarménè économique, il n’y aurait plus qu’à<br />
se soumettre sans discussion. L’action politique serait ainsi<br />
vidée <strong>de</strong> son sens, au point que, pour nos gouvernants euxmêmes,<br />
seule la communication pourrait faire office <strong>de</strong><br />
« gouvernance ».<br />
11
LNA#35 / jeux littéraires<br />
Mots croisés symétriques<br />
Par Robert RAPILLY<br />
<strong>de</strong> l’ Atelier <strong>de</strong> Pédagogie Personnalisée<br />
Observons ci-<strong>de</strong>ssous une grille <strong>de</strong> mots croisés. Première<br />
singularité, qui saute aux yeux, il n’y a aucune case<br />
noire. Une lecture attentive révèle cette autre caractéristique :<br />
<strong>les</strong> mots sont <strong>les</strong> mêmes horizontalement et verticalement.<br />
La diagonale (lettres rouges) constitue un axe <strong>de</strong> symétrie,<br />
un peu comme un “ miroir à lettres ”.<br />
Georges Perec avait fabriqué une grille 6x6 <strong>de</strong> ce type en 1982<br />
(premier mot : corner… cherchez la suite). On la retrouvera<br />
avec bonheur parmi une centaine <strong>de</strong> “ Jeux intéressants ” faisant<br />
appel à autant <strong>de</strong> stratégies retorses (Zulma, 1997).<br />
P R E C A I R E S<br />
R E D O N N E N T<br />
E D E N T A S S E<br />
C O N C I L I E R<br />
A N T I S I G M A<br />
I N A L I E N E S<br />
R E S I G N O N S<br />
E N S E M E N C E<br />
S T E R A S S E S<br />
Tous ces mots figurent au lexique officiel du Scrabble :<br />
é<strong>de</strong>ntasse - arrachasse <strong>les</strong> <strong>de</strong>nts (1ère personne du singulier au<br />
subjonctif imparfait)<br />
antisigma - signe en forme <strong>de</strong> sigma inversé employé dans <strong>les</strong><br />
corrections <strong>de</strong> manuscrits<br />
stérasses - mesurasses en stères (2e pers. sing. subj. imparf.)<br />
Ce carré <strong>de</strong> 9x9 et d’autres ont été établis par nicolas graner.<br />
C’est un record en langue française. En effet, aucune<br />
grille symétrique <strong>de</strong> 10x10 n’existera jamais, du moins avec<br />
<strong>les</strong> 57412 mots <strong>de</strong> 10 lettres répertoriés par le Scrabble. Cela<br />
a été vérifié par un programme informatique <strong>de</strong> recherche<br />
exhaustive écrit par Nicolas. Citons un précé<strong>de</strong>nt historique<br />
qui figure dans le Guinness <strong>de</strong>s records : une grille <strong>de</strong> 8x8<br />
composée sans ordinateur par laurent baril.<br />
R E N I E R A S<br />
E P A N N E L A<br />
N A G E R A I S<br />
I N E G A L E S<br />
E N R A C I N E<br />
R E A L I S E R<br />
A L I E N E R A<br />
S A S S E R A S<br />
hommage à michel taurines - Ce grand maître ès palindromes<br />
poétiques vient <strong>de</strong> disparaître. Voici <strong>de</strong>ux quatrains<br />
parfaits qu’il nous a laissés.<br />
Emu, ce <strong>de</strong>ssin rêve<br />
Il part natter<br />
ce secret tantra plié,<br />
vernissé d’écume.<br />
Rupture <strong>de</strong> lien<br />
un arc élève le reste<br />
et se révèle l’écran<br />
une île <strong>de</strong> rut pur.<br />
12
jeux littéraires / LNA#35<br />
Retorse également, cette idée d’écrire un sonnet qui, disposé<br />
dans une grille carrée, soit i<strong>de</strong>ntique <strong>de</strong> gauche à<br />
droite et <strong>de</strong> haut en bas ? En tout cas, notre lecteur pierrejean<br />
varois (<strong>de</strong> Liège) s’y est collé. Dans ce poème, sont nommés<br />
<strong>de</strong>ux membres <strong>de</strong> l’Oulipo : Latis et Perec. L’alternance<br />
systématique <strong>de</strong>s voyel<strong>les</strong> et consonnes s’appelle “ okapi ”.<br />
A l’ure lésé<br />
D’usé fêté selon en o<strong>de</strong> d’okapis<br />
Avec une sirène saline galère<br />
Son agile sari n’opine ni n’acère<br />
Le halo - nodal or - a coloré Latis<br />
Ire. Le dégelé ne dîne <strong>de</strong> semis<br />
En ironisera l’Oc émané <strong>de</strong> l’ère<br />
Si l’été la jeta dose-le délétère<br />
Bec en ukase lire t’en a doté. Lis<br />
À l’ahan a tenu mâle note pirate<br />
Le Râ m’a-t-il été ? Fini.. l’idole date<br />
Balises-en ô sec aboli bibelot !<br />
Agonisé-je ? Té ! La bête n’évapore<br />
Mécène le typo s’éli<strong>de</strong> matelot<br />
Île Perec en a l’inanité sonore<br />
A L U R E L E S E D U S E F E T E S E<br />
L O N E N O D E D O K A P I S A V E C<br />
U N E S I R E N E S A L I N E G A L E<br />
R E S O N A G I L E S A R I N O P I N<br />
E N I N A C E R E L E H A L O N O D A<br />
L O R A C O L O R E L A T I S I R E L<br />
E D E G E L E N E D I N E D E S E M I<br />
S E N I R O N I S E R A L O C E M A N<br />
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D O S E L E D E L E T E R E B E C E N<br />
U K A S E L I R E T E N A D O T E L I<br />
S A L A H A N A T E N U M A L E N O T<br />
E P I R A T E L E R A M A T I L E T E<br />
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E S E N O S E C A B O L I B I B E L O<br />
T A G O N I S E J E T E L A B E T E N<br />
E V A P O R E M E C E N E L E T Y P O<br />
S E L I D E M A T E L O T I L E P E R<br />
E C E N A L I N A N I T E S O N O R E<br />
Sortie <strong>de</strong> formes poetiques contemporaines, nouvelle<br />
revue s’annonçant non pas <strong>de</strong> poésie, mais sur la poésie.<br />
Colonnes d’une totale érudition. Il s’agit d’enquêter sur <strong>les</strong><br />
développements présents <strong>de</strong> l’art poétique. Des auteurs en activité<br />
sont invités à commenter leur travail, poèmes à l’appui. Ce<br />
premier numéro traite principalement du vers libre. Nul ici ne<br />
s’étonnera <strong>de</strong> ce paradoxe : le vers libre intéresse <strong>les</strong> oulipiens !<br />
Page 285, une poésie à la beauté fulgurante <strong>vous</strong> en convaincra,<br />
alea <strong>de</strong> jacques perry-salkow. Citons juste l’exergue :<br />
Du faon défunt partent trente parfums défendus.<br />
La suite est un festin <strong>de</strong> prosodie et <strong>de</strong> lexique. Lisant, on<br />
oublie que chaque ligne est un palindrome <strong>de</strong> syllabes. S’impose<br />
une sensation <strong>de</strong> résonance, mesurée vers après vers. Jacques<br />
Perry-Salkow met la contrainte au service d’une exigence<br />
poétique incorruptible.<br />
formes poetiques contemporaines - Les Impressions Nouvel<strong>les</strong><br />
– juin 2003 (327 pages - 22 euros).<br />
13
LNA#35 / humeurs<br />
Pouvons-nous nous passer d’une référence<br />
à la nature humaine ? *<br />
Par Jean-François REY<br />
Philosophe, I.U.F.M <strong>de</strong> Lille<br />
* 2° partie (suite du<br />
n° 34 : L’émancipation<br />
humaine, au sens <strong>de</strong>s<br />
Lumières, exclut la<br />
référence à une nature<br />
humaine. Peut-on encore<br />
partager ce point <strong>de</strong> vue<br />
?) À lire sur http://www.<br />
univ-lille1.fr/<strong>culture</strong>/<br />
archives/lna/34.html<br />
1<br />
Habermas L’avenir <strong>de</strong><br />
la nature humaine op.cit<br />
p 149<br />
2<br />
J. Habermas op.cit. p 149<br />
2 ère partie : Quel<strong>les</strong> sont <strong>les</strong> menaces contemporaines contre la dignité<br />
humaine ?<br />
Les choses s’échangent. Leur valeur d’échange s’exprime dans un prix. Les personnes sont ininterchangeab<strong>les</strong>,<br />
insubstituab<strong>les</strong>, el<strong>les</strong> ont une dignité. La formulation kantienne <strong>de</strong> l’impératif catégorique<br />
est bien <strong>de</strong> traiter l’humanité en autrui, « non seulement » comme un moyen (qu’elle est <strong>de</strong> toute façon,<br />
ne serait ce que parce que la force <strong>de</strong> travail a un prix), mais « toujours en même temps comme une fin ».<br />
Ce n’est pas la nature qui nous dispose à une norme fondamentale, même si cette « bonne disposition » à<br />
l’égard <strong>de</strong> la nature procè<strong>de</strong> d’un souci <strong>de</strong> la dignité humaine. La pierre <strong>de</strong> touche <strong>de</strong> toutes <strong>les</strong> éthiques<br />
c’est la dignité. Toutefois à en rester là on encourrait le reproche d’abstraction.<br />
Car ce que l’on perd en perdant une norme naturelle, on le gagne en replongeant la dignité humaine<br />
dans le cours <strong>de</strong> l’histoire. On pourrait suivre ce cours comme celui d’un lent processus <strong>de</strong> sécularisation.<br />
Nos sociétés contemporaines, qu’on <strong>les</strong> qualifie <strong>de</strong> post-traditionnel<strong>les</strong> (Habermas) ou <strong>de</strong> post-mo<strong>de</strong>rnes<br />
(Lyotard), sont entrées dans une séparation du théologique et du politique, et d’où nous ne sommes pas<br />
encore complètement sortis. « Si l’on veut éviter une guerre <strong>de</strong>s civilisations, il faut se souvenir du caractère<br />
dialectiquement inachevé <strong>de</strong> notre propre processus occi<strong>de</strong>ntal <strong>de</strong> sécularisation » 1 . Sécularisation juridique<br />
(transfert <strong>de</strong>s biens ecclésiastiques à l’État), <strong>culture</strong>lle, sociale, ce long processus est aussi celui que<br />
Max Weber désigna par l’expression « désenchantement du mon<strong>de</strong> ». C’est le choc ressenti le 11 septembre<br />
2001 qui contraignit Habermas à rajouter à son livre déjà cité un chapitre intitulé « Foi et savoir : comme<br />
si <strong>les</strong> motivations religieuses mortifères <strong>de</strong>s terroristes trouvaient un écho « souterrain » dans nos sociétés<br />
(mal) sécularisées. Même <strong>les</strong> sociétés, d’où sont issus <strong>les</strong> responsab<strong>les</strong> du 11 septembre, sont entrées dans<br />
la mo<strong>de</strong>rnité : fondamentalisme religieux et technologie avancée. Leur ambivalence à l’égard <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>rnité<br />
ne place pas ces sociétés en marge du mon<strong>de</strong> occi<strong>de</strong>ntalisé, el<strong>les</strong> lui renvoient plutôt un malaise qu’il<br />
aurait préféré oublier. « Face à la globalisation qui s’instaure par le truchement <strong>de</strong> marchés sans frontières,<br />
beaucoup espéraient un retour du politique sous une autre forme, non sous sa forme hobbesienne originelle<br />
d’un État sécuritaire globalisé, privilégiant la police, <strong>les</strong> services secrets et le militaire, mais sous celle<br />
d’une capacité à valoriser la civilisation à l’échelle mondiale. Au sta<strong>de</strong> où nous en sommes, il ne nous reste<br />
guère qu’à espérer une ruse <strong>de</strong> la raison et que l’on fasse preuve d’un peu <strong>de</strong> réflexion » 2 . Nous ne sommes<br />
pas tenus, comme Habermas, à parier sur une très hegelienne ruse <strong>de</strong> la raison. Sans être pour autant plus<br />
optimiste, il est permis <strong>de</strong> faire appel à une conception moins historiciste <strong>de</strong> la sécularisation.<br />
C’est dans un article <strong>de</strong> 1976 intitulé « Sécularisation et faim » qu’Emmanuel Levinas met en rapport, <strong>de</strong><br />
manière inédite, la contemplation (en grec Theoria) du ciel étoilé et le souci <strong>de</strong> la faim <strong>de</strong>s hommes. Nous<br />
pensons que, sur ce point, la position philosophique <strong>de</strong> Levinas tranche sur un discours <strong>de</strong> la déploration<br />
(« désenchantement du mon<strong>de</strong> »), sur une dépréciation <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>rnité technicienne (d’inspiration hei<strong>de</strong>ggerienne<br />
et écologiste) et enfin sur un idéalisme peu soucieux <strong>de</strong> la matérialité du besoin. Philosophe<br />
du désir, Levinas, dans ce texte si stimulant, se livre à une réhabilitation du besoin en l’arrachant à l’utilitarisme<br />
et en l’affranchissant d’une pure logique du calcul et <strong>de</strong> l’intérêt. Mais que reproche Levinas à la<br />
Théoria grecque ? A fixer le regard plus haut que la cime <strong>de</strong>s arbres, <strong>les</strong> sommets, la vue accomplit un mouvement<br />
vers <strong>de</strong>s corps inaccessib<strong>les</strong> : <strong>les</strong> étoi<strong>les</strong> fixes ou cel<strong>les</strong> qui parcourent <strong>de</strong>s trajectoires fermées. Un<br />
tel mouvement ascendant qui franchit un vi<strong>de</strong>, Levinas l’appelle « Transcendance ». Et la sécularisation,<br />
au sens <strong>de</strong> Levinas et dans cet article, est le trajet qui conduit <strong>de</strong> cette transcendance du regard à un terme<br />
oublié par celle-ci : le souci <strong>de</strong> la faim <strong>de</strong>s hommes. A un mouvement du regard vers le haut répond un<br />
souci « horizontal », c’est l’occasion pour Levinas <strong>de</strong> mettre en comparaison la religion et le commerce. Si<br />
14
humeurs / LNA#35<br />
la première a tendance à oublier et à dévaloriser <strong>les</strong> soucis terrestres, et donc à oublier la faim <strong>de</strong>s hommes,<br />
le second meut l’échange intérieur à la cité, comme l’échange avec l’étranger. La sécularisation, ici, n’est<br />
pas d’ordre juridique ou politique, elle est, à travers une confrontation, l’expression d’un matérialisme du<br />
besoin. Le rival <strong>de</strong> Prométhée, appelé par Levinas Messer Gaster (monsieur Estomac), est « le premier<br />
maître es-arts du mon<strong>de</strong> ». Là est le vrai universel : non pas celui <strong>de</strong> la connaissance, fût-elle technique,<br />
mais celui du besoin. Masser Gaster avant Prométhée, c’est l’humain avant le savoir. Toutefois, le savoir<br />
est ce détour nécessaire, cette patience imposée à nos appétits. Le geste <strong>de</strong> Prométhée est donc bien nécessaire<br />
: prévoyance (Pro-Metis) au cœur <strong>de</strong> l’économique. Pour <strong>les</strong> grecs, auteurs <strong>de</strong> ce mythe comme <strong>de</strong> sa<br />
philosophie, il y a une « convenance » : l’homme est « animal » et « raisonnable ». Si le geste prométhéen<br />
s’affranchissait <strong>de</strong> cette convenance, la technique <strong>de</strong>viendrait folle. Il ne s’agit en rien <strong>de</strong> dévaloriser la<br />
technique par un mauvais procès. Il n’y a rien ici d’un renvoi infini entre <strong>les</strong> promesses déçues du « principe<br />
espérance » (Ernst Bloch) et <strong>les</strong> impératifs du « principe responsabilité » (Hans Jonas). Une certaine<br />
rhétorique oublie confortablement la faim du reste du mon<strong>de</strong>. Cette rhétorique vise aussi à résister au<br />
« désenchantement du mon<strong>de</strong> ». Le mérite <strong>de</strong> Levinas est <strong>de</strong> souligner à quel point le développement <strong>de</strong> la<br />
technique fait partie du processus <strong>de</strong> sécularisation : « La technique sécularisante s’inscrit parmi <strong>les</strong> progrès<br />
<strong>de</strong> l’esprit humain ou, plus exactement, justifie ou définit l’idée même du progrès et est indispensable<br />
à cet esprit, même si elle n’en est pas la fin » 3 .<br />
Si nous avons tenu à citer et à commenter aussi longuement cet auteur, c’est pour répondre à l’interrogation<br />
<strong>de</strong> Habermas et tenter d’éclairer sa problématique « Foi et savoir ». A l’ambivalence, déjà signalée,<br />
<strong>de</strong>s terroristes par rapport à la mo<strong>de</strong>rnité et à la technique, il faut ajouter que la religion, portée à un<br />
paroxysme messianique et guerrier, nourrit <strong>les</strong> hommes <strong>de</strong> consolations illusoires. Plus que jamais <strong>les</strong> religions<br />
tirent leur force et leur prestige <strong>de</strong> ce qu’el<strong>les</strong> mettent <strong>de</strong> l’ordre et <strong>de</strong> l’harmonie aussi bien dans le<br />
cosmos que dans le corps social.<br />
« Le langage du marché s’infiltre désormais partout et pousse toutes <strong>les</strong> relations inter humaines vers le<br />
schéma auto référentiel <strong>de</strong> la satisfaction <strong>de</strong> ses préférences » 4 . Nous croyons, en laissant cet exposé sur<br />
cette remarque <strong>de</strong> Habermas, que toutes <strong>les</strong> sociétés contemporaines sont taraudées par une sécularisation<br />
mal comprise, par un dualisme qui vire en ambivalence et en clivage : comment résister au désenchantement<br />
sans se priver <strong>de</strong> poursuivre ses intérêts propres ni couper <strong>les</strong> liens avec l’Autre qui commerce avec<br />
nous ? Commerce qui est une condition <strong>de</strong> la paix et non son ennemi. Tout le travail <strong>de</strong>s philosophes<br />
aujourd’hui n’est-il pas justement <strong>de</strong> clarifier cette ambivalence ? Habermas encore : « cette attitu<strong>de</strong><br />
ambivalente peut aussi faire porter du bon côté <strong>les</strong> efforts qu’une société civile déchirée par le conflit<br />
<strong>de</strong>s <strong>culture</strong>s déploré pour y voir clair en elle-même. Le travail que la religion a accompli sur le mythe, la<br />
société post séculière le poursuit sur la religion elle-même. Cela étant, elle ne le fait plus dans l’intention<br />
hybri<strong>de</strong> d’une conquête entreprise dans un esprit d’hostilité ; elle le fait bien plutôt en postulant qu’il est<br />
<strong>de</strong> son propre intérêt <strong>de</strong> contrecarrer l’entropie larvée qui affecte la maigre ressource du sens » 5 . La mise en<br />
commun et le partage <strong>de</strong> ces maigres ressources menacées <strong>de</strong> l’intérieur sont peut être la tâche prioritaire<br />
pour faire pièce au vertige <strong>de</strong> l’intolérance et <strong>de</strong> la violence.<br />
3<br />
E. Levinas op. cit ; p 81<br />
4<br />
Habermas op. cit. p 159<br />
5 Habermas op.cit. p 164<br />
15
LNA#35 / à lire<br />
De l’immatériel *<br />
* 2° partie (suite du n° 34) À lire sur<br />
http://www.univ-lille1.fr/<strong>culture</strong>/archives/lna/34.html<br />
Par Rudolf BKOUCHE<br />
Professeur honoraire <strong>de</strong> Mathématiques, USTL<br />
L<br />
’immatériel <strong>de</strong> la technique fascine d’autant plus qu’il occulte<br />
cet autre immatériel que constitue, <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s temps immémoriaux,<br />
ce qui fait l’humanitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’homme, la pensée. Mais<br />
la pensée n’est pas vendable, elle ne relève du marché qu’une fois<br />
enfermée dans la technique, elle ne peut être vendue qu’une fois<br />
matérialisée par <strong>de</strong>s objets techniques ; le paradoxe du mythe <strong>de</strong><br />
l’immatériel, c’est que seul relève <strong>de</strong> ce mythe ce qui peut être matérialisé,<br />
techniquement matérialisé.<br />
C’est une fois technicisé que l’immatériel humain <strong>de</strong>vient vendable<br />
et conduit à cet autre mythe que l’on appelle l’ économie <strong>de</strong> la<br />
connaissance. La connaissance <strong>de</strong>vient, selon ce mythe, une force<br />
productive. Cela était déjà vrai au début <strong>de</strong> la révolution industrielle.<br />
Et que se passait-il avant la révolution industrielle ? Quels<br />
types <strong>de</strong> connaissances permettaient <strong>les</strong> gran<strong>de</strong>s constructions architectura<strong>les</strong><br />
et <strong>les</strong> diverses machines utilisées dans <strong>les</strong> anciennes<br />
civilisations ? En ce sens, la connaissance technique (était-elle<br />
scientifique ?) a toujours participé <strong>de</strong>s forces productives, à commencer<br />
par celle qui a permis le tour du potier. Mais l’économie <strong>de</strong><br />
la connaissance concerne moins la connaissance en tant que telle<br />
que la connaissance comme objet <strong>de</strong> marché, c’est la connaissance<br />
mercantilisée qui est considérée aujourd’hui comme une force<br />
productive. La connaissance mercantilisée <strong>de</strong>vient ainsi un point<br />
central <strong>de</strong> l’économie d’aujourd’hui, la part matérielle <strong>de</strong> l’économie<br />
n’apparaissant plus que comme un sous-produit.<br />
Cette connaissance technicisée et mercantilisée ne représente plus<br />
la faculté humaine <strong>de</strong> comprendre le mon<strong>de</strong> et <strong>de</strong> le transformer,<br />
elle <strong>de</strong>vient un simple instrument <strong>de</strong> fabrication <strong>de</strong> nouveaux produits<br />
à mettre sur le marché, triste caricature <strong>de</strong> l’adage marxien.<br />
Se développe alors un capitalisme <strong>de</strong> l’immatériel, c’est-à-dire fondé<br />
sur la connaissance technicisée, le discours sur l’économie <strong>de</strong> la<br />
connaissance occultant le fait que la richesse reste celle <strong>de</strong> la production<br />
matérielle (sans hardware, pas <strong>de</strong> software) et que la maîtrise <strong>de</strong><br />
cette richesse appartient aux seuls détenteurs du capital financier.<br />
Mais si la connaissance <strong>de</strong>vient valeur marchan<strong>de</strong>, cela suppose<br />
une certaine rareté d’icelle, autrement dit une diffusion moindre.<br />
« La valeur d’échange <strong>de</strong> la connaissance est donc entièrement liée<br />
à la capacité pratique <strong>de</strong> limiter sa diffusion libre, c’est-à-dire <strong>de</strong> limiter<br />
avec <strong>de</strong>s moyens juridiques (brevets, droits d’auteur, licences,<br />
contrats) ou monopolistes, la possibilité <strong>de</strong> copier, d’imiter, <strong>de</strong> “ réinventer<br />
”, d’apprendre <strong>les</strong> connaissances <strong>de</strong>s autres » écrit Gorz dans<br />
L’immatériel. La société dite <strong>de</strong> la connaissance est ainsi confrontée<br />
à un double problème : d’une part donner <strong>les</strong> moyens d’accès à la<br />
connaissance pour que la machine économique fonctionne, mais<br />
d’autre part permettre une certaine rétention <strong>de</strong> connaissance<br />
pour assurer sa valeur marchan<strong>de</strong>. Cela explique ce discours récurrent<br />
qui déclare que l’Ecole n’est plus le seul lieu d’acquisition <strong>de</strong>s<br />
connaissances puisque <strong>les</strong> merveilleuses machines peuvent fournir<br />
ces connaissances à bon compte : il suffit <strong>de</strong> tapoter sur un clavier<br />
pour savoir tout ce que l’on désire savoir, oubliant qu’une connaissance<br />
réduite à la seule prise d’information n’est qu’un ersatz <strong>de</strong><br />
connaissance.<br />
Gorz explique cependant que <strong>les</strong> moyens existent <strong>de</strong> contourner<br />
cette volonté <strong>de</strong> non-diffusion <strong>de</strong> la connaissance rappelant l’une<br />
<strong>de</strong>s contradictions <strong>de</strong> l’économie <strong>de</strong> la connaissance. Il y a dans la<br />
connaissance une part « non rémunérée » qui échappe à toute valeur<br />
marchan<strong>de</strong> et qui peut ainsi « être partagée à loisir, au gré <strong>de</strong> chacun<br />
et <strong>de</strong> tous, gratuitement, sur Internet notamment ».<br />
Mais Gorz néglige ici <strong>les</strong> aspects intellectuels <strong>de</strong> l’acquisition <strong>de</strong><br />
la connaissance, se plaçant ainsi sur le même plan que le discours<br />
<strong>de</strong> l’économie <strong>de</strong> la connaissance. Une telle réduction <strong>de</strong> la critique<br />
conduit à un antiscientisme qui n’est que l’image miroir du<br />
scientisme, à un antirationalisme qui conduit à rechercher <strong>de</strong>s<br />
formes <strong>de</strong> connaissance idylliques qui permettraient <strong>de</strong> réintégrer<br />
l’homme dans le mon<strong>de</strong>. C’est que Gorz oppose, d’une façon<br />
quelque peu manichéenne, un « savoir vécu » qui resterait proche<br />
du « savoir intuitif, précognitif », savoir vécu qui renvoie à <strong>de</strong>s objets<br />
dont l’existence est indépendante <strong>de</strong> celui qui <strong>les</strong> connaît, et <strong>les</strong><br />
connaissances scientifiques, constructions humaines qui éloignent<br />
l’homme du mon<strong>de</strong>. Ces connaissances scientifiques seraient<br />
cause <strong>de</strong> tout le mal, y compris <strong>de</strong> l’usage qui en est fait contre<br />
l’homme. Et <strong>de</strong> rappeler, non sans raison, <strong>les</strong> possibilités d’agir sur<br />
la biologie <strong>de</strong> l’homme mettant l’espèce en danger, ou l’usage à<br />
tout va <strong>de</strong> l’intelligence artificielle.<br />
Gorz, s’appuyant sur Husserl, pointe alors la raison première <strong>de</strong><br />
ce mal, la mathématisation <strong>de</strong> la nature, « l’autonomisation la plus<br />
radicale <strong>de</strong> la connaissance par rapport à l’expérience du mon<strong>de</strong> sensible<br />
». C’est oublier que cette autonomisation a permis à l’homme<br />
<strong>de</strong> mieux connaître la nature et, sinon <strong>de</strong> s’en rendre maître et possesseur,<br />
du moins <strong>de</strong> savoir la mettre à son service. Mais si le mal<br />
rési<strong>de</strong> dans cette mise <strong>de</strong> la nature au service <strong>de</strong> l’homme, il faut remonter<br />
plus loin que la mathématisation du mon<strong>de</strong> et l’on peut dire<br />
que le mal commence au néolithique avec la naissance <strong>de</strong> l’agri<strong>culture</strong>,<br />
première prise <strong>de</strong> pouvoir <strong>de</strong> l’homme sur la nature. Mais<br />
c’est l’humanitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’homme qui est ainsi mise en question si<br />
l’on définit cette humanitu<strong>de</strong> comme une sortie <strong>de</strong> l’état <strong>de</strong> nature.<br />
C’est que Gorz confond science et technoscience, la science<br />
comme l’effort <strong>de</strong> comprendre le mon<strong>de</strong> et d’agir sur lui, et la<br />
technoscience qui en serait l’aboutissement nécessaire. C’est alors<br />
moins la science qui est en cause que ses dérives, dérives qui, faut-il<br />
le rappeler, sont le fait <strong>de</strong>s hommes et non cel<strong>les</strong> <strong>de</strong> la science ou<br />
<strong>de</strong> la technique.<br />
Malgré cette <strong>de</strong>rnière partie qui ressortit d’un fondamentalisme<br />
écologiste, l’ouvrage d’André Gorz me semble important pour<br />
comprendre <strong>les</strong> dérives <strong>de</strong> la technoscience et <strong>les</strong> nouvel<strong>les</strong> formes<br />
<strong>de</strong> capitalisme qui s’y rattachent, pour comprendre aussi comment<br />
ces dérives conduisent à une déshumanisation <strong>de</strong> l’homme,<br />
comme si l’histoire humaine, après avoir commencé avec la sortie<br />
<strong>de</strong> l’état <strong>de</strong> nature, <strong>de</strong>vait s’achever par la transformation <strong>de</strong><br />
l’homme en un objet technique parmi d’autres.<br />
16
© Julien Lapasset<br />
dossier / LNA#35<br />
Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s murs...<br />
L’Université composante <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité du territoire<br />
Par Jean CAUNE<br />
Professeur d’Université à Grenoble 3, Stendhal<br />
Vice-prési<strong>de</strong>nt au développement universitaire et nouvel<strong>les</strong> technologies<br />
<strong>de</strong> la communauté d’agglomération grenobloise<br />
La politique <strong>de</strong> construction <strong>de</strong>s campus « à l’américaine » en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> la ville, dans <strong>les</strong> années<br />
60, a certainement contribué à masquer la présence <strong>de</strong>s étudiants dans la vie urbaine. Ceux-ci<br />
apparaissent alors, aux yeux <strong>de</strong> beaucoup d’élus <strong>de</strong>s collectivités loca<strong>les</strong>, comme une population<br />
dont le travail, <strong>les</strong> loisirs, <strong>les</strong> habitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> vie relèvent <strong>de</strong> l’extra-territorialité.<br />
Le campus n’est alors qu’un lieu, c’est-à-dire, selon la définition <strong>de</strong> Michel <strong>de</strong> Certeau, un « ordre (quel<br />
qu’il soit) selon lequel <strong>de</strong>s éléments sont distribués dans <strong>les</strong> rapports <strong>de</strong> coexistence. » 1 Il ne peut <strong>de</strong>venir<br />
espace qu’à la condition d’être l’objet <strong>de</strong> mouvements, <strong>de</strong> forces, d’opérations humaines. « L’espace est,<br />
selon <strong>de</strong> Certeau, un lieu pratiqué », entendons un lieu <strong>de</strong> pratiques socia<strong>les</strong>. Cette opposition théorisée<br />
par <strong>de</strong> Certeau reprend la distinction que Merleau-Ponty établissait entre l’espace géométrique (spatialité<br />
homogène et isotrope) et l’espace anthropologique (structuré par <strong>de</strong>s relations interpersonnel<strong>les</strong>).<br />
Les facultés, <strong>les</strong> bibliothèques, <strong>les</strong> lieux <strong>de</strong> recherche, dans <strong>de</strong>s campus à l’américaine, sont restés<br />
pendant longtemps <strong>de</strong>s éléments du lieu. Implanté à partir d’un programme, <strong>les</strong> uns à côté <strong>de</strong>s autres,<br />
chacun <strong>de</strong>s établissements est resté dans un endroit propre et distinct qui définit <strong>les</strong> activités précises qui<br />
y sont conduites. Les campus sont longtemps restés <strong>de</strong>s zones dans <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> règne la loi du « propre »,<br />
mais d’un « propre » fragmenté qui coexiste avec d’autres propres.<br />
Les années 90 voient se développer <strong>de</strong>s actions inter-universitaires qui investissent <strong>les</strong> lieux communs.<br />
Le campus <strong>de</strong>vient progressivement un domaine où peuvent se développer <strong>de</strong>s stratégies <strong>de</strong> vouloir et<br />
<strong>de</strong> pouvoir. La stratégie supposant « un lieu susceptible d’être circonscrit comme un propre et donc <strong>de</strong><br />
servir <strong>de</strong> base à une gestion <strong>de</strong> ses relations avec une extériorité distincte » 2 . Le propre, comme dit <strong>de</strong><br />
Certeau, est « une victoire du lieu sur le temps ». Le campus <strong>de</strong>vient espace quand <strong>de</strong>s types d’opérations<br />
sont capab<strong>les</strong> <strong>de</strong> produire, <strong>de</strong> nommer, <strong>de</strong> quadriller, <strong>de</strong> marquer… Pourtant, si <strong>les</strong> liaisons entre<br />
l’université, la vie économique <strong>de</strong> la Cité et le développement local semblent aller <strong>de</strong> soi, il n’en va pas <strong>de</strong><br />
même <strong>de</strong>s liens entre <strong>les</strong> pratiques <strong>culture</strong>l<strong>les</strong> <strong>de</strong>s étudiants et <strong>les</strong> institutions <strong>de</strong> la Cité.<br />
Le territoire est un construit, produit par la convergence <strong>de</strong> trois intentionnalités : la vision d’une<br />
i<strong>de</strong>ntité ; un projet politique, relatif aux conditions du Vivre ensemble ; une volonté <strong>de</strong> développer<br />
<strong>de</strong>s pratiques <strong>culture</strong>l<strong>les</strong>, c’est-à-dire <strong>de</strong>s relations intersubjectives (<strong>de</strong>s énonciations) portées par <strong>de</strong>s<br />
supports qui <strong>les</strong> ren<strong>de</strong>nt visib<strong>les</strong> dans l’<strong>Espace</strong> public.<br />
Pour construire le territoire <strong>de</strong> l’agglomération comme visée et projet, il est nécessaire d’intégrer la<br />
dimension universitaire, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la dimension matérielle (accueil, logement, vie étudiante…).<br />
Il ne s’agit pas seulement <strong>de</strong> considérer la population étudiante comme un réservoir potentiel <strong>de</strong><br />
consommateurs, <strong>de</strong> clients ou d’électeurs ; il s’agit aussi <strong>de</strong> favoriser ses apports et <strong>de</strong> <strong>les</strong> rendre visib<strong>les</strong>,<br />
dans le développement et l’innovation dans la Cité. La construction <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité du territoire ne se fera<br />
pas sans une forte dimension imaginaire et symbolique qui peut être illustrée par <strong>les</strong> pratiques <strong>culture</strong>l<strong>les</strong><br />
<strong>de</strong>s étudiants.<br />
L’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> ce territoire ne sera réelle, ne sera visible, n’aura <strong>de</strong> sens que si <strong>les</strong> pratiques <strong>culture</strong>l<strong>les</strong> <strong>de</strong>s<br />
étudiants apparaissent comme <strong>de</strong>s productions <strong>de</strong> l’esprit diffusées dans l’espace public et non pas <strong>de</strong>s<br />
expressions données à voir et à entendre à l’intérieur <strong>de</strong> l’espace étudiant.<br />
« Les privés <strong>de</strong> Culture<br />
sont inconscients <strong>de</strong> leur<br />
privation et exigent la<br />
privation pour tous »<br />
(Bourdieu), alors Vive<br />
l’<strong>Espace</strong> Culture…<br />
Parce que la Culture<br />
doit être un espace pour<br />
inventer <strong>de</strong>main, parce<br />
que c’est la voie royale<br />
<strong>de</strong> l’émancipation <strong>de</strong>s<br />
hommes, la ligne <strong>de</strong> défense<br />
<strong>de</strong> la connaissance pour<br />
nous permettre <strong>de</strong> refuser<br />
<strong>de</strong> naître avec <strong>de</strong>s cheveux<br />
gris, ne pas croire à la<br />
vieil<strong>les</strong>se <strong>de</strong> l’humanité<br />
mais au contraire imaginer<br />
encore et toujours qu’elle est<br />
dans la fleur <strong>de</strong> l’âge, parce<br />
qu’un pays reste vivant<br />
lorsque sa <strong>culture</strong> reste<br />
vivante.<br />
Par Hervé ROYER<br />
Directeur du Service Culturel<br />
<strong>de</strong> l’ULCO (Université du<br />
Littoral Côte d’Opale)<br />
1<br />
Michel <strong>de</strong> Certeau, L’invention du<br />
quotidien. Arts <strong>de</strong> faire, T1,<br />
p. 208, UGE, 1975<br />
2<br />
Id., p. 85<br />
Extrait <strong>de</strong>s actes <strong>de</strong> la journée du<br />
14 mai 2003 à la Sorbonne « La<br />
mission <strong>culture</strong>lle <strong>de</strong> l’Université au<br />
XXIe siècle », écités par Art + Université<br />
+ Culture ( Janvier 2004)<br />
17
LNA#35 / dossier<br />
Pas un temple, un outil<br />
Par Eric LE MOAL<br />
Conseiller pour l’éducation artistique et <strong>culture</strong>lle<br />
DRAC Nord Pas-<strong>de</strong>-Calais<br />
Le débat qui a précédé l’édification <strong>de</strong><br />
l’<strong>Espace</strong> Culture <strong>de</strong> l’USTL et qui se<br />
poursuit toujours – alors que celui-ci est<br />
<strong>de</strong>venu, désormais, une réalité politique,<br />
architecturale et humaine – a constamment<br />
tourné autour <strong>de</strong> cette tentation du lieu, à ne<br />
pas forcément considérer comme une évi<strong>de</strong>nce,<br />
et <strong>de</strong>s risques encourus <strong>de</strong> mimétisme avec <strong>les</strong><br />
autres lieux professionnels <strong>de</strong> la <strong>culture</strong>, sans en<br />
avoir tous <strong>les</strong> moyens, ni la mission ni même<br />
toutes <strong>les</strong> compétences.<br />
Très vite, en effet, s’est imposée l’idée qu’il<br />
n’était pas pertinent <strong>de</strong> construire, sur le<br />
campus scientifique, un centre <strong>culture</strong>l<br />
calqué sur ceux qui existent sur d’autres<br />
sites, notamment non universitaires. Cela<br />
aurait eu pour conséquence un inévitable<br />
appauvrissement voire un abandon définitif du<br />
projet <strong>culture</strong>l initial, et particulièrement juste,<br />
<strong>de</strong> l’USTL, tant celui-ci repose sur un désir <strong>de</strong><br />
réactivité critique et prospective à l’actualité<br />
artistique, <strong>culture</strong>lle comme universitaire, à<br />
l’actualité tout court, en fait, et non sur une<br />
simple gestion, vite asphyxiante, d’équipement<br />
et <strong>de</strong> programme d’activités.<br />
Cela aurait eu également pour conséquence<br />
immédiate <strong>de</strong> transformer toute personne<br />
fréquentant le lieu en simple usager plutôt<br />
qu’en individu invité à <strong>de</strong>venir acteur <strong>de</strong> la<br />
<strong>culture</strong>.<br />
Le projet <strong>de</strong> l’USTL veille constamment<br />
à la non-confusion entre <strong>les</strong> champs <strong>de</strong><br />
compétence <strong>de</strong>s uns et <strong>de</strong>s autres – ceux <strong>de</strong>s<br />
lieux <strong>de</strong> création et <strong>de</strong> diffusion artistique<br />
professionnels, ceux <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> la pratique<br />
artistique amateur, ceux <strong>de</strong> l’université.<br />
L’<strong>Espace</strong> Culture <strong>de</strong> l’USTL favorise la<br />
rencontre réflexive, imaginative et productive<br />
entre, d’une part, <strong>les</strong> tenants <strong>de</strong> l’université<br />
(étudiants, professeurs, chercheurs, personnels<br />
techniques et administratifs et, au-<strong>de</strong>là, <strong>de</strong><br />
l’éducation permanente) et, d’autre part, <strong>les</strong><br />
artistes et <strong>les</strong> professionnels <strong>de</strong> la <strong>culture</strong>.<br />
L’<strong>Espace</strong> Culture veille également à être<br />
force <strong>de</strong> proposition novatrice autant<br />
qu’expérimentale en matière <strong>de</strong> démocratisation<br />
<strong>culture</strong>lle.<br />
C’est dans son lien étroit avec <strong>les</strong> autres sphères<br />
professionnel<strong>les</strong> citées, dans un rapport permanent<br />
d’échanges et d’ouverture avec cel<strong>les</strong>-ci que cette<br />
structure construit sa légitimité, revêt tout son sens.<br />
Alors, forcément, l’<strong>Espace</strong> Culture, en tant<br />
que lieu, se <strong>de</strong>vait d’être différent. L’équipe<br />
qui a présidé à sa naissance et <strong>les</strong> institutions<br />
partenaires qui y ont financièrement contribué<br />
se sont imposées <strong>de</strong> multip<strong>les</strong> et lour<strong>de</strong>s<br />
contraintes afin <strong>de</strong> permettre à la réalisation<br />
architecturale et équipementielle d’être<br />
totalement en phase avec le projet <strong>culture</strong>l <strong>de</strong><br />
l’université. Afin <strong>de</strong> ne pas le compromettre.<br />
Afin <strong>de</strong> ne pas l’assagir. Afin <strong>de</strong> ne pas le<br />
niveler ni le conformer. Afin <strong>de</strong> le servir<br />
pleinement. Afin <strong>de</strong> permettre à l’équipe <strong>de</strong><br />
l’USTL et au public actif qui l’accompagne <strong>de</strong><br />
continuer à nous gratouiller là où ça chatouille.<br />
Maintenant que cet <strong>Espace</strong> Culture, si particulier,<br />
est achevé, il importe que chacun reste<br />
vigilant.<br />
Il est <strong>de</strong> première importance que cet endroit<br />
placé au centre du campus, mo<strong>de</strong>ste dans sa<br />
configuration, immo<strong>de</strong>ste dans ses propositions,<br />
n’incite pas au culte du lieu mais célèbre<br />
bien plutôt celui <strong>de</strong> l’acteur <strong>culture</strong>l. La<br />
première posture ne mènerait pas bien loin, au<br />
contraire elle serait une forme <strong>de</strong> régression, <strong>de</strong><br />
repli sur soi, d’échec en un mot.<br />
La secon<strong>de</strong> posture relève du manifeste, elle<br />
est inconfortable, exigeante, non sclérosante,<br />
indispensable. Elle est une incontestable<br />
expression du droit à la <strong>culture</strong> et une<br />
mobilisation réfléchie en sa faveur.<br />
Il s’agit bien <strong>de</strong> positionner le service comme<br />
l’aboutissement évi<strong>de</strong>nt du projet et non le<br />
contraire.<br />
Cela <strong>de</strong>man<strong>de</strong> du courage et le courage,<br />
effectivement, n’a jamais manqué <strong>de</strong><br />
l’avènement <strong>de</strong> l’USTL Culture à l’achèvement<br />
<strong>de</strong>s travaux <strong>de</strong> l’<strong>Espace</strong> Culture. Mais la<br />
dynamique ne s’arrête pas là pour autant.<br />
Dotée d’un outil singulier autant que<br />
performant, elle ne s’en trouve que réactivée.<br />
Que ce lieu nouveau, dans toutes <strong>les</strong> acceptions<br />
du terme, ne se transforme jamais en temple<br />
mais bien en forum permanent, en espace<br />
<strong>de</strong> formation critique d’acteurs <strong>culture</strong>ls, en<br />
fabrique d’idées, en site d’implication, en<br />
développeur d’imaginaires, en laboratoire<br />
<strong>de</strong> la transversalité et du croisement <strong>de</strong>s<br />
compétences, en observatoire <strong>de</strong> la friction…<br />
À chacun <strong>de</strong> compléter la liste !<br />
Lors <strong>de</strong> mon cursus <strong>de</strong><br />
DESS à l’USTL, l’<strong>Espace</strong><br />
Culture s’est révélé être,<br />
pour moi, un lieu <strong>de</strong><br />
possibilités et d’ouverture.<br />
En effet, alors que j’arrivais<br />
d’ailleurs, un peu perdue,<br />
la rencontre <strong>de</strong> ce lieu m’a<br />
permis d’approfondir et<br />
d’évoluer dans une pratique<br />
artistique alors encore<br />
somnolente. L’<strong>Espace</strong><br />
Culture m’a également<br />
permis <strong>de</strong> connaître<br />
d’autres visages que ceux<br />
côtoyés quotidiennement<br />
lors <strong>de</strong>s cours - processus<br />
<strong>de</strong> socialisation important,<br />
à mon sens, pour que<br />
l’étudiant étranger qui<br />
débarque à Lille s’y sente<br />
bien et qu’il y fasse sa<br />
place.<br />
Je pense donc à l’<strong>Espace</strong><br />
Culture comme lieu <strong>de</strong><br />
vie, lieu d’échanges et <strong>de</strong><br />
connaissance, lieu qui<br />
selon moi se révèle être un<br />
véritable espace public.<br />
Par Sandra GUINAND<br />
Ancienne étudiante à<br />
l’USTL, DESS Ville et<br />
Projets<br />
18
dossier / LNA#35<br />
Une politique<br />
philosophique <strong>de</strong> <strong>culture</strong><br />
Par Christian RUBY *<br />
Enseignant, Chargé <strong>de</strong> cours sur le service<br />
Audiosup.net <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Paris X, et à<br />
l’Antenne parisienne <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Chicago<br />
Ce centre <strong>de</strong> <strong>culture</strong> montre avec éclat<br />
que la cause <strong>de</strong> la philosophie n’est pas<br />
nécessairement perdue lorsqu’elle est soumise<br />
à un procès <strong>de</strong> médiatisation, qu’elle a tout à<br />
gagner à persévérer dans <strong>les</strong> confrontations<br />
transversa<strong>les</strong> entre <strong>les</strong> savoirs. L’idée que la<br />
philosophie puisse prospérer au détriment <strong>de</strong>s<br />
autres savoirs n’a jamais fait que l’enfermer.<br />
L’idée qu’elle puisse se passer <strong>de</strong>s savoirs fait<br />
du mot « philosophie » un mot simplement<br />
commo<strong>de</strong> pour désigner un genre littéraire<br />
parmi d’autres. Plus <strong>les</strong> savoirs se déploient,<br />
plus la philosophie a du travail. Plus <strong>les</strong><br />
connaissances se diffusent, plus elle doit<br />
se montrer, en public, active au milieu <strong>de</strong>s<br />
différends.<br />
Enfin, plus généralement, la curiosité théorique<br />
et pratique a besoin d’un lieu <strong>de</strong> rencontre.<br />
Mais il lui faut aussi une politique, non une<br />
politique <strong>culture</strong>lle – dans laquelle on se flatte<br />
<strong>de</strong> soutenir <strong>de</strong>s « projets <strong>culture</strong>ls », <strong>de</strong>stinés<br />
à « <strong>de</strong>s publics », soumettant <strong>les</strong> œuvres aux<br />
règ<strong>les</strong> du jeu politico-<strong>culture</strong>l, consistant à faire<br />
entrer la <strong>culture</strong> dans le cadre <strong>de</strong> l’esthétisation,<br />
<strong>de</strong> la communication <strong>culture</strong>lle –, mais une<br />
politique <strong>de</strong> <strong>culture</strong>. Une politique qui favorise<br />
l’épanouissement d’une manière <strong>de</strong> poser le<br />
problème <strong>de</strong> la <strong>culture</strong>, <strong>de</strong>s arts, et du public,<br />
qui suscite <strong>de</strong>s confrontations, <strong>les</strong>quel<strong>les</strong><br />
pourraient engendrer <strong>de</strong> nouveaux espaces<br />
éducatifs, artistiques et politiques.<br />
renouvelée, que l’activité scientifique recèle en C’est l’histoire hédoniste<br />
elle-même sa propre mesure d’humanité est en du mariage hérétique<br />
soi un bien précieux, à préserver absolument. entre Sir Art, fumiste ?, et<br />
Au « toujours plus », qui nous pousse Dame Science, ascétique.<br />
quotidiennement à la consommation, s’oppose<br />
De l’hymen atypique<br />
<strong>de</strong> champs exploratoires<br />
ici définitivement un « jamais plus » qui est<br />
sondant l’un l’ineffable,<br />
celui <strong>de</strong> l’infini respect. Cela <strong>de</strong>man<strong>de</strong> plus que<br />
l’autre l’exact savoir.<br />
<strong>de</strong> l’espace : un déploiement qui doit pouvoir « Chimérique utopie que<br />
durer tout le temps que ce respect ne sera pas ce fatras abscons, croient<br />
<strong>de</strong>venu réellement une habitu<strong>de</strong>, c’est-à-dire, ceux qui voient en fils un<br />
finalement, une <strong>culture</strong>.<br />
monstre moribond. Peut-on<br />
C’est pourquoi, à mes yeux, il faudrait seulement penser que cette<br />
comprendre l’<strong>Espace</strong> Culture comme un soupe incongrue nourrira<br />
<strong>Espace</strong>-temps <strong>culture</strong>l, nous faisant redécouvrir la rigueur <strong>de</strong> nos esprits<br />
le cœur le plus secret <strong>de</strong> nos existences. Car<br />
ardus ? ».<br />
Or, l’hybri<strong>de</strong> séduit<br />
« comparés aux milliards d’années sur <strong>les</strong>quel<strong>les</strong><br />
son rationnel public.<br />
s’étend l’histoire <strong>de</strong> la terre, <strong>les</strong> six mille ans <strong>de</strong><br />
Croissant à chaque volée<br />
la tradition humaine sont comme <strong>les</strong> premières palingénésique, il se<br />
secon<strong>de</strong>s d’une nouvelle pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> transformation montre fécond, que dis-je,<br />
<strong>de</strong> la planète » (K. Jaspers, La situation spirituelle floribond ; insensiblement<br />
<strong>de</strong> notre époque).<br />
s’installe, tumeur<br />
messianique, participe<br />
au dédale <strong>de</strong> nos heures<br />
empiriques.<br />
On le nomme.<br />
Culture.<br />
<strong>Espace</strong> <strong>de</strong> son prénom.<br />
Par Maxime PAUWELS<br />
Étudiant, Association<br />
« Les Arts Osés »<br />
* Dernier ouvrage : Les Résistances à l’art contemporain, Bruxel<strong>les</strong>,<br />
Labor, 2002 ; La Responsabilité, Paris, Quintette, 2003.<br />
<strong>Espace</strong>-temps <strong>culture</strong>l…<br />
Par Jean-Marie BREUVART<br />
Philosophe<br />
Il faut avoir fréquenté l’<strong>Espace</strong> Culture <strong>de</strong><br />
l’USTL pour vivre en vérité la force et <strong>les</strong><br />
faib<strong>les</strong>ses du concept même <strong>de</strong> « <strong>culture</strong> », mot<br />
barbouillé <strong>de</strong> connotations diverses et contradictoires.<br />
D’où l’urgence <strong>de</strong> revenir à l’essentiel.<br />
L’affirmation, franche et inlassablement<br />
entrée libre © Julien Lapasset<br />
19
LNA#35 / dossier<br />
> version intégrale <strong>de</strong> l’article : www.univ-lille1.fr/<strong>culture</strong><br />
Une hétérotopie<br />
dans la cité<br />
Par Alain CAMBIER<br />
Professeur <strong>de</strong> Philosophie en Khâgne (Douai)<br />
Au cœur du campus, l’<strong>Espace</strong> Culture<br />
apparaît comme un espace <strong>de</strong> dialogue où<br />
sal<strong>les</strong> <strong>de</strong> conférences, d’expositions, <strong>de</strong> représentations<br />
théâtra<strong>les</strong>, musica<strong>les</strong> ou <strong>de</strong> danse<br />
constituent autant d’ouvertures au mon<strong>de</strong>.<br />
Car s’il est vrai que penser, réfléchir, s’adonner<br />
à la recherche impliquent une mise en retrait<br />
<strong>de</strong> l’être humain, celui-ci ne peut pourtant<br />
faire abstraction <strong>de</strong> son être-au-mon<strong>de</strong>, sans<br />
risquer <strong>de</strong> se déshumaniser. L’<strong>Espace</strong> Culture<br />
est là pour nous le rappeler. En ce sens, il n’est<br />
pas simplement une Agora au cœur <strong>de</strong> la cité<br />
universitaire où chacun peut venir débattre au<br />
milieu <strong>de</strong>s autres, mais il se définit comme une<br />
hétérotopie. Michel Foucault désignait par ce<br />
concept « <strong>de</strong>s lieux réels, <strong>de</strong>s lieux effectifs, <strong>de</strong>s<br />
lieux qui sont <strong>de</strong>ssinés dans l’institution même<br />
<strong>de</strong> la société, et qui sont <strong>de</strong>s sortes <strong>de</strong> contreemplacements,<br />
sortes d’utopies effectivement<br />
réalisées dans <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> <strong>les</strong> emplacements réels,<br />
tous <strong>les</strong> autres emplacements réels que l’on peut<br />
trouver à l’intérieur <strong>de</strong> la <strong>culture</strong> sont à la fois<br />
représentés, contestés et inversés, <strong>de</strong>s sortes <strong>de</strong><br />
lieux qui sont hors <strong>de</strong> tous <strong>les</strong> lieux, bien que<br />
pourtant ils soient effectivement localisab<strong>les</strong> » 1 .<br />
L’<strong>Espace</strong> Culture apparaît bien comme un lieu<br />
réel, mais toujours autre que lui-même, dans la<br />
mesure où il inscrit son espace dans l’ordre du<br />
symbolique. Sa fonction consiste à représenter<br />
d’autres horizons qui font ainsi irruption dans<br />
la cité universitaire. En tant qu’hétérotopie,<br />
l’<strong>Espace</strong> Culture constitue un emplacement critique,<br />
puisque le <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> la cité se retrouve en<br />
son <strong>de</strong>dans : le « là-bas » est alors ici. Il renvoie<br />
à d’autres lieux que lui-même et ouvre <strong>les</strong> possib<strong>les</strong><br />
au cœur même <strong>de</strong> notre réalité prosaïque.<br />
Son organisation modulable accentue encore ce<br />
caractère : son café <strong>culture</strong>l se métamorphose<br />
en salle <strong>de</strong> projection ou <strong>de</strong> manifestation artistique,<br />
sa salle d’exposition change sans cesse<br />
au gré <strong>de</strong> ce qu’elle montre, son amphithéâtre,<br />
propice aux débats, peut se muer en salle <strong>de</strong><br />
spectac<strong>les</strong> venus parfois d’un extrême ailleurs.<br />
En un mot, l’hétérotopie <strong>de</strong> l’<strong>Espace</strong> Culture<br />
opère une dilatation <strong>de</strong> l’espace et du temps.<br />
Au sens propre, l’espace qu’il déploie débor<strong>de</strong><br />
largement son lieu assigné.<br />
Au-<strong>de</strong>là du savoir qui y est transmis, ce lieu<br />
critique ouvre celle-ci à la question du sens <strong>de</strong><br />
l’existence. Car une cité, quelle qu’elle soit, ne<br />
peut se contenter d’être un ensemble <strong>de</strong> constructions<br />
: encore faut-il qu’elle soit habitable.<br />
Habiter ne signifie pas simplement disposer<br />
d’un domicile, mais veut dire organiser son<br />
mon<strong>de</strong> autour d’un centre, faire rayonner<br />
un espace qualifié <strong>de</strong> significations qui rend<br />
notre environnement familier. Trop souvent,<br />
comme le relevait Hei<strong>de</strong>gger, le besoin <strong>de</strong><br />
construire <strong>de</strong>s bâtiments l’emporte sur le souci<br />
<strong>de</strong> l’habitat. Ainsi, une cité universitaire peut<br />
paradoxalement nous condamner à la grégaire<br />
solitu<strong>de</strong>. Depuis déjà longtemps, l’USTL a<br />
voulu pallier ce danger en donnant droit <strong>de</strong> cité<br />
aux expériences <strong>culture</strong>l<strong>les</strong>. Toute expérience<br />
est une traversée : la <strong>culture</strong> plus qu’une autre<br />
puisqu’elle nous fait sortir du cercle étroit <strong>de</strong><br />
nos certitu<strong>de</strong>s étriquées. Enfin achevé, l’<strong>Espace</strong><br />
Culture pourra d’autant mieux poursuivre son<br />
ambition : réconcilier le bâtir et l’habiter, pour<br />
faire retrouver à chacun son être-au-mon<strong>de</strong>.<br />
1<br />
Michel Foucault, Des espaces autres in Dits et écrits, tome IV,<br />
éd. Gallimard, 1994, p. 756.<br />
À la croisée artscience<br />
Par Olivier BENOIT<br />
Musicien<br />
Expérimentation,<br />
recherche, laboratoire sont<br />
<strong>de</strong>s mots que l’on entend<br />
souvent à l’université.<br />
Mais c’est aussi un<br />
vocabulaire courant dans<br />
l’art. Pourtant, lorsque<br />
l’on parle <strong>de</strong> recherche<br />
artistique, <strong>de</strong> création, le<br />
public peut se méfier ou<br />
ne pas comprendre, voire<br />
fuir alors que, comme<br />
pour la science, celle-ci est<br />
indispensable. La création<br />
est même la raison d’être<br />
<strong>de</strong> l’art.<br />
Diverses expériences<br />
récentes (je pense<br />
notamment à la<br />
chorégraphe Christine <strong>de</strong><br />
Smedt dans « 9x9 », au<br />
film <strong>de</strong> Bruno Dumont :<br />
« L’humanité », ou à mon<br />
expérience personnelle)<br />
qui intègrent <strong>de</strong>s artistes<br />
dits « amateurs » au sein <strong>de</strong><br />
groupes « professionnels »<br />
me font penser, étant<br />
donné le résultat, parfois<br />
si fort et original, que la<br />
barrière à laquelle on est<br />
habitués peut totalement<br />
perdre son sens.<br />
Ce nouveau lieu est un<br />
terrain <strong>de</strong> rencontre entre<br />
artistes dits « confirmés »<br />
et gens curieux, désireux.<br />
C’est un outil quasiinespéré,<br />
vu la tentative<br />
grandissante <strong>de</strong> récupérer<br />
la <strong>culture</strong>, <strong>de</strong> la détourner,<br />
<strong>de</strong> contrôler l’outil <strong>de</strong><br />
production <strong>de</strong> bout en<br />
bout, <strong>de</strong> la rentabiliser, bref<br />
<strong>de</strong> la vi<strong>de</strong>r <strong>de</strong> sa moelle.<br />
À nous <strong>de</strong> faire vivre<br />
cet <strong>Espace</strong> Culture,<br />
<strong>de</strong> confirmer que l’art<br />
« vivant » (opérant) est<br />
vital et pas seulement<br />
pour <strong>les</strong> « chercheurs » (<strong>les</strong><br />
créateurs).<br />
20
vivre <strong>les</strong> sciences, vivre le droit / LNA#35<br />
Retombée <strong>de</strong>s températures, mais toujours :<br />
délires et délices <strong>de</strong>s émotions dans un «État <strong>de</strong> droit»<br />
Par Jean-Marie BREUVART<br />
Philosophe<br />
Les effets <strong>de</strong> la canicule sont maintenant bien retombés, et je<br />
ne voudrais pas pour l’heure <strong>vous</strong> servir du « réchauffé » !<br />
Pourtant, avec le recul, apparaît maintenant la nécessité <strong>de</strong> relier<br />
cela à ce qui se passe encore tous <strong>les</strong> jours sous nos yeux,<br />
avec le gouffre <strong>de</strong> la sécurité sociale, <strong>les</strong> difficultés <strong>de</strong> notre<br />
gouvernement face à l’Europe, le chômage qui repart à la<br />
hausse, <strong>les</strong> fermetures d’usines, résultant d’une gestion purement<br />
technique <strong>de</strong> l’économie, sans oublier, bien sûr, la violence<br />
universellement présente ni la montée <strong>de</strong> l’intolérance.<br />
C’est au cœur même <strong>de</strong> nos vies qu’il y a insécurité.<br />
Justement, nos problèmes ne relèveraient-ils pas <strong>de</strong> la même<br />
difficulté à articuler nos émotions personnel<strong>les</strong> à l’émotion<br />
collective ? Car l’émotion collective fut gran<strong>de</strong>, l’été <strong>de</strong>rnier.<br />
Mais disait-elle <strong>les</strong> drames individuels qui s’y cachaient ?<br />
Un grand journal national a raconté la douce disparition d’un<br />
couple <strong>de</strong> personnes âgées, pourtant relativement choyé par<br />
son entourage. Ils sont disparus à quelques jours d’intervalle,<br />
sans que <strong>les</strong> grands média ne s’y intéressent.<br />
Ce décalage entre l’émotion collective « à fleur <strong>de</strong> peau » et <strong>les</strong><br />
émotions personnel<strong>les</strong> a bien évi<strong>de</strong>mment <strong>de</strong>s conséquences<br />
sur le rapport aux sciences et au droit. En l’absence d’une<br />
authentique para<strong>de</strong> juridique ou scientifique, chacun est resté<br />
aux prises avec la turbulence <strong>de</strong> sa propre vie intérieure, ne<br />
sachant trop qu’en faire, ni comment la comparer réellement à<br />
celle du voisin ou <strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong>s citoyens.<br />
Car il est inscrit dans l’évolution même <strong>de</strong> notre société technicienne<br />
que tout problème doive se résoudre par référence<br />
soit aux sciences, soit au droit, soit aux <strong>de</strong>ux. Et nous avions,<br />
avec la canicule, <strong>de</strong> quoi illustrer l’un ou l’autre <strong>de</strong> ces cas <strong>de</strong><br />
figure.<br />
Le droit d’abord, ou plutôt le pouvoir politique, dont <strong>les</strong> institutions<br />
ont mal fonctionné, notamment l’observatoire <strong>de</strong> la<br />
santé, qui n’avait pas suffisamment pressenti la gravité <strong>de</strong>s<br />
choses, et n’avait en tout cas pas su diffuser son sentiment<br />
dans <strong>les</strong> institutions <strong>de</strong> sa compétence.<br />
Ce dysfonctionnement doit-il pour autant conduire à une révision<br />
<strong>de</strong> la législation ? Encore une façon d’insister sur l’importance<br />
du droit dans la gestion <strong>de</strong>s vies privées. Mais quelle<br />
instance pourrait alors contrôler une telle articulation entre le<br />
droit, <strong>les</strong> institutions et le pouvoir politique ? Il y faudrait un<br />
dieu, peut-être.<br />
Alors, pourquoi pas <strong>les</strong> sciences, notamment <strong>les</strong> sciences dites<br />
« humaines », mais également <strong>les</strong> sciences <strong>de</strong> la complexité<br />
climatique et cel<strong>les</strong> <strong>de</strong>s organismes humains qui y sont confrontés<br />
? Ici non plus, on ne peut se prévaloir d’une instance<br />
supérieure, qui permettrait <strong>de</strong> mieux résoudre <strong>les</strong> questions<br />
auxquel<strong>les</strong> est quotidiennement confronté tout citoyen. À<br />
supposer même que chacune <strong>de</strong> ces sciences puisse clarifier<br />
la question du rapport humain au climat, elle le fait dans sa<br />
sphère, sans pour autant viser ce que l’on pourrait appeler une<br />
« transdisciplinarité météorologique ».<br />
Resterait alors à traiter la question à un niveau plus proche <strong>de</strong>s<br />
vies individuel<strong>les</strong> et <strong>de</strong> leurs émotions, au niveau <strong>de</strong> chaque<br />
« localité », justement là où l’universel du droit et celui <strong>de</strong>s<br />
sciences buttent sur une vérité <strong>de</strong>rnière qui <strong>les</strong> laisse finalement<br />
impuissants. Ne reste plus alors que ce qui est essentiel<br />
à chaque être humain, aux prises avec la question <strong>de</strong> sa vie et<br />
<strong>de</strong> sa mort.<br />
Certes, on pourrait encore saisir le maire ou tel ou tel expert<br />
« local » pour éclairer <strong>les</strong> décisions à prendre. Mais cela ne saurait<br />
en rien remplacer l’attention au différent et au faible. Problème<br />
: le développement même <strong>de</strong> nos sociétés ne conduit-il<br />
pas justement à en détourner chacun, occupé qu’il est à écrire<br />
le moins mal possible sa seule et unique histoire ?<br />
Et pourtant, ne faut-il pas persister et signer pour redire que<br />
seul compte le lieu concret qui reste propice aux rencontres ?<br />
Il n’y a pas eu <strong>de</strong> problème <strong>de</strong> la canicule, mais il y eut une façon<br />
<strong>de</strong> la vivre, délirante ou « délicieuse », selon que l’on y voit<br />
ou non une occasion <strong>de</strong> rencontre <strong>de</strong> l’autre. Ici, en réalité, un<br />
quatrième facteur entre en ligne <strong>de</strong> compte, que notre société<br />
mo<strong>de</strong>rne n’est toujours pas préparée à accepter : le hasard et<br />
le risque, c’est-à-dire ce qui rend réellement humaine toute<br />
relation.<br />
Faut-il pour autant retrouver le vieux réflexe obscurantiste<br />
qui condamne toute volonté d’universalité, au nom d’un non<br />
moins vieux communautarisme ?<br />
Nous n’avons jamais été mo<strong>de</strong>rnes, constatait récemment<br />
Bruno Latour. Non, notre mo<strong>de</strong>rnité serait justement <strong>de</strong><br />
savoir articuler, ici et maintenant, <strong>les</strong> informations scientifiques<br />
nous venant d’instances distantes, <strong>les</strong> prescriptions<br />
juridiques émanant d’un pouvoir tout aussi éloigné, et la vie<br />
désirante <strong>de</strong> chacun, dans la proximité d’un temps météorologique<br />
qui offre, quant à lui, la particularité d’être toujours<br />
« local », pour le meilleur et pour le pire.<br />
21
LNA#35 / mémoires <strong>de</strong> science : rubrique dirigée par Ahmed Djebbar<br />
> version intégrale <strong>de</strong> l’article : www.univ-lille1.fr/<strong>culture</strong><br />
Christiaan Huygens (1629-1695)<br />
Homme <strong>de</strong> principes et homme <strong>de</strong> lois<br />
Par Fabien CHAREIX<br />
Maître <strong>de</strong> conférences, Université <strong>de</strong> Paris-IV/Sorbonne<br />
On connaît aujourd’hui le nom <strong>de</strong> Christiaan Huygens<br />
parce qu’il reste attaché à un principe <strong>de</strong> propagation<br />
ondulatoire <strong>de</strong> la lumière. Mais qui fut ce savant, considéré en<br />
son temps comme l’un <strong>de</strong>s plus influents physiciens ?<br />
Christiaan Huygens est né en juillet 1629, au sein d’une<br />
famille dévouée à la lignée <strong>de</strong>s princes d’Orange. Refusant<br />
<strong>de</strong> suivre son père Constantijn et son frère Lo<strong>de</strong>wijk dans la<br />
voie <strong>de</strong> la diplomatie, il se consacre dès son plus jeune âge<br />
aux mathématiques et, plus particulièrement, à la mécanique<br />
théorique.<br />
Huygens, par sa position dans le siècle, permet <strong>de</strong> jeter un<br />
pont entre l’œuvre <strong>de</strong> Galilée en philosophie naturelle et celle<br />
<strong>de</strong> Newton.<br />
Ses premières recherches en mathématiques sont liées à la<br />
mesure <strong>de</strong>s surfaces et, en physique, il a réalisé <strong>de</strong> nombreuses<br />
étu<strong>de</strong>s qui suivent le modèle galiléen : l’équilibre <strong>de</strong>s soli<strong>de</strong>s,<br />
l’étu<strong>de</strong> du mouvement et du repos considérés en tant qu’états<br />
relatifs, la chute libre et le mouvement composé <strong>de</strong>s corps<br />
projetés. Nommé, dès la création, en 1666, membre <strong>de</strong> l’Académie<br />
royale <strong>de</strong>s sciences, et <strong>de</strong>meurant presque vingt ans à<br />
Paris où il a publié ses travaux <strong>les</strong> plus importants, Huygens<br />
appartient en propre à la <strong>culture</strong> scientifique <strong>de</strong> notre pays.<br />
Huygens a critiqué la physique <strong>de</strong> Descartes <strong>de</strong>puis le commencement<br />
<strong>de</strong> ses recherches sur le choc <strong>de</strong>s corps, entre 1652<br />
et 1656. Toutes <strong>les</strong> règ<strong>les</strong> données par le philosophe français<br />
sont fausses, dit Huygens, sauf la première. Évitant, comme<br />
Descartes, d’abuser du concept <strong>de</strong> force interne dans la <strong>de</strong>scription<br />
<strong>de</strong> différents corps se « rencontrant » dans l’impact,<br />
Huygens parvient à calculer <strong>les</strong> vitesses résultantes après le<br />
choc. Si a, b et c sont respectivement la quantité <strong>de</strong> matière<br />
dans A, dans B, et la vitesse <strong>de</strong> A avant l’impact, et si x est la<br />
vitesse <strong>de</strong> A après l’impact, on obtient la relation :<br />
Huygens a réalisé une expression calculable <strong>de</strong> x seulement<br />
après avoir essayé <strong>de</strong> voir ce que pouvait donner l’application<br />
<strong>de</strong> la conservation du mouvement au sens <strong>de</strong> Descartes (mv).<br />
Puis, essayant <strong>de</strong> trouver une loi <strong>de</strong> conservation, il a l’idée <strong>de</strong><br />
modifier le principe cartésien en prenant non pas la vitesse,<br />
mais son carré, dans l’équation générale <strong>de</strong>s forces engagées<br />
dans le choc. Cette quantité mv 2 a joué un rôle considérable<br />
dans le système <strong>de</strong> Leibniz et dans la physique <strong>de</strong> l’énergie,<br />
mais elle était en fait chez Huygens le produit d’une hypothèse<br />
algébrique, sans signification physique particulière, qui permettait<br />
<strong>de</strong> conclure à une conservation <strong>de</strong>s forces (vires). Dans<br />
ses lettres très précoces à Mersenne, Huygens a commencé à<br />
résoudre quelques problèmes mécaniques (oscillation, centre<br />
<strong>de</strong> la gravité, principe <strong>de</strong> l’accélération uniforme <strong>de</strong>s corps<br />
dans le vi<strong>de</strong>). L’ Horologium Oscillatorium (1673) expose,<br />
après vingt années <strong>de</strong> recherches mécaniques, l’ensemble <strong>de</strong>s<br />
résultats qui, selon notre savant, contribuent à « perfectionner<br />
l’œuvre magnifique <strong>de</strong> Galileus ».<br />
Huygens, indépendamment <strong>de</strong> l’école italienne <strong>de</strong> Galilée,<br />
a eu l’idée <strong>de</strong> réguler <strong>de</strong>s horloges avec le mouvement d’un<br />
pendule. Mais la question physique et mathématique cruciale<br />
était celle <strong>de</strong> la précision <strong>de</strong> chaque oscillation. En 1659, il<br />
donne la démonstration selon laquelle l’isochronisme parfait<br />
(indépendance <strong>de</strong> la fréquence et <strong>de</strong> l’amplitu<strong>de</strong> d’un pendule<br />
simple) est obtenu quand le plomb du pendule décrit une<br />
courbe cycloïdale. Alors la fréquence dépend seulement <strong>de</strong> la<br />
longueur du pendule. Si l’on adopte une notation mo<strong>de</strong>rne et<br />
fautive :<br />
Cette propriété <strong>de</strong> la cycloï<strong>de</strong> est venue à l’esprit <strong>de</strong> Huygens<br />
quand, après avoir démontré que <strong>les</strong> oscillations brèves sont<br />
quasi-isochrones, il s’est rappelé sa propre contribution au<br />
défi <strong>de</strong> Pascal sur <strong>les</strong> propriétés géométriques <strong>de</strong> la « roulette<br />
» : dans une telle figure, toutes <strong>les</strong> tangentes sont parallè<strong>les</strong><br />
aux cor<strong>de</strong>s correspondantes du cercle générateur, et la pério<strong>de</strong><br />
<strong>de</strong> la chute est ainsi égale quelle que soit l’amplitu<strong>de</strong>. Huygens<br />
a également étudié d’autres genres <strong>de</strong> mouvements périodiques<br />
: le pendule circulaire fut l’occasion d’une étu<strong>de</strong> complète<br />
<strong>de</strong> la force centrifuge. La tension, mesurée par Huygens,<br />
dépend <strong>de</strong> la vitesse <strong>de</strong> rotation et du rayon. La loi, qui a été<br />
découverte par <strong>les</strong> moyens <strong>de</strong>s expériences répétées, est .<br />
Appliquant le principe <strong>de</strong> relativité, Huygens a pu prouver<br />
la correspondance mathématique entre la force centrifuge<br />
et l’accélération <strong>de</strong> chute libre. Il imagine ce qu’un homme, situé<br />
sur un plateau en révolution uniforme, peut voir quand un<br />
objet est libéré <strong>de</strong> sa propre main. Pour un observateur extérieur,<br />
le mouvement est vu en tant que rectiligne et uniforme.<br />
Pour l’homme du plat, <strong>les</strong> distances augmentent, à chaque<br />
quantité <strong>de</strong> temps égale, dans la proportion galiléenne 1, 3,<br />
5, 7…, qui est le rapport <strong>de</strong> progression <strong>de</strong>s espaces dans la<br />
chute libre.<br />
À l’heure <strong>de</strong> son premier voyage à Paris (1655), il a été connu<br />
pour sa conception <strong>de</strong> l’anneau <strong>de</strong> Saturne et pour sa contribution<br />
à la quadrature du cercle. Un <strong>de</strong>uxième voyage<br />
(1660-61) lui a permis <strong>de</strong> montrer sa première publication sur<br />
<strong>de</strong>s rouages d’horloge : l’Horologium (1658), qui présente le<br />
premier modèle d’horloge régulé par un pendule.<br />
Jusqu’en 1672, Huygens ne s’est intéressé à l’optique que sous<br />
22
mémoires <strong>de</strong> science : rubrique dirigée par Ahmed Djebbar / LNA#35<br />
l’angle <strong>de</strong> la géométrie, dont <strong>les</strong> résultats lui étaient uti<strong>les</strong> pour<br />
concevoir <strong>de</strong>s lunettes. Après la contribution <strong>de</strong> Newton, qui<br />
publie une série d’artic<strong>les</strong> sur la lumière et sur la couleur,<br />
Huygens va ajouter la question <strong>de</strong> la lumière à ses nombreux<br />
centres d’intérêt. Il rejette l’hypothèse newtonienne selon<br />
laquelle la lumière est faite <strong>de</strong> petites particu<strong>les</strong> <strong>de</strong> matière<br />
légère, possédant <strong>de</strong>s « accès » <strong>de</strong> facile réfraction ou <strong>de</strong> facile<br />
réflexion. Comment un morceau <strong>de</strong> matière pourrait-il savoir<br />
quand il est temps <strong>de</strong> rebondir ? Newton, étudiant <strong>les</strong><br />
anneaux colorés apparaissant dans <strong>les</strong> lames minces, assigne<br />
à chaque couleur un nombre dans lequel nous reconnaissons<br />
aujourd’hui une longueur d’on<strong>de</strong>, mais qui n’a pas cette propriété<br />
au sein <strong>de</strong> sa théorie corpusculaire. Après Bartholin et<br />
Grimaldi, Huygens se concentre sur <strong>les</strong> propriétés du cristal<br />
ou du «spath» <strong>de</strong> l’Islan<strong>de</strong>. En passant par le cristal, la lumière<br />
engendre <strong>de</strong>ux réfractions. La théorie corpusculaire<br />
ne pouvait pas expliquer comment une quantité indiquée <strong>de</strong><br />
particu<strong>les</strong> pourrait réellement produire <strong>de</strong>ux rayons d’égale<br />
intensité. Huygens imagine, en 1677, que la lumière peut être<br />
une pression transmise en on<strong>de</strong>s sphériques et, dans le cas<br />
<strong>de</strong> la réfraction extraordinaire, sphéroïdale (la structure du<br />
cristal expliquant ainsi la double réfraction). Selon Huygens,<br />
chaque point dans l’on<strong>de</strong> est le commencement d’une autre<br />
on<strong>de</strong> et, périodiquement, <strong>les</strong> on<strong>de</strong>lettes concourent en une<br />
courbe tangente commune.<br />
Le « principe <strong>de</strong> Huygens » ne permettait pas d’expliquer tous<br />
<strong>les</strong> phénomènes (la propagation rectiligne était un problème<br />
réel, par exemple, tout comme la polarisation) et la théorie <strong>de</strong><br />
Newton conservait ainsi <strong>de</strong> nombreux avantages, malgré ses<br />
lacunes. C’est ainsi que commence une longue rivalité entre<br />
<strong>de</strong>ux explications physiques <strong>de</strong> la lumière. Fresnel et Young,<br />
au XIXe siècle, retrouveront par d’autres moyens l’idée ondulatoire.<br />
Huygens laisse, dans ses manuscrits, <strong>de</strong> nombreuses réflexions<br />
sur la nature <strong>de</strong>s théories scientifiques, sur <strong>les</strong> relations entre la<br />
loi et le réel. Trop attaché au rationalisme, il a toujours refusé<br />
aux hypothèses <strong>de</strong> Newton le statut d’une véritable théorie<br />
physique. Trop lié à la science mo<strong>de</strong>rne, il a toujours, en revanche,<br />
admis la supériorité <strong>de</strong>s lois <strong>de</strong> Newton sur cel<strong>les</strong> <strong>de</strong>s<br />
cartésiens mineurs qui se disputent, alors, l’héritage du maître.<br />
Son œuvre, bien plus qu’une simple collection <strong>de</strong> principes<br />
et <strong>de</strong> lois, nous incite à réfléchir aux rapports qu’il y a entre<br />
un principe (qui doit être fondé et compréhensible) et une loi<br />
(qui n’est qu’un rapport). Cette présence d’une réflexion philosophique<br />
chez l’un <strong>de</strong>s plus grands physiciens <strong>de</strong> son époque<br />
nous montre, à l’évi<strong>de</strong>nce, le lien étroit entre la philosophie<br />
naturelle (ou physique) et la philosophie tout court.<br />
Pour en savoir plus :<br />
Oeuvres Complètes <strong>de</strong> Christiaan Huygens. Editées par la Société Hollandaise <strong>de</strong>s<br />
Sciences, XXII vol., La Haye 1888-1950.<br />
[coll.] Huygens et la France (Paris : Vrin, 1981)<br />
Chareix, Fabien [dir.], « Expérience et raison », la science chez Huygens (1629-<br />
1695), Revue d’histoire <strong>de</strong>s sciences, 56-1 (2003)<br />
Article intégral (iconographies et bibliographie) sur www.univ-lille1.fr/<strong>culture</strong><br />
Traité <strong>de</strong> la lumière, <strong>de</strong>scription <strong>de</strong> la réfraction par une on<strong>de</strong> (AC réfractée en NB)<br />
23
LNA#35 / l’art et la manière<br />
Une comman<strong>de</strong> artistique à la mesure<br />
du corps humain<br />
Propos <strong>de</strong> Michèle DARD<br />
recueillis par Isabelle KUSTOSZ<br />
1<br />
Conçu en 1930 par<br />
l’architecte Jean Walter,<br />
cet édifice rassemble un<br />
hôpital et une faculté <strong>de</strong><br />
mé<strong>de</strong>cine et s’étend sur<br />
60 hectares. Construit<br />
en béton armé et en<br />
briques, il comporte neuf<br />
étages et <strong>de</strong>ux sous-sols<br />
organisés autour d’une<br />
cour d’honneur <strong>de</strong> plan<br />
<strong>de</strong>mi-hexagonal.<br />
2<br />
Né à Tokyo en 1949, il<br />
choisit <strong>de</strong> s’installer en<br />
Allemagne dès 1974. Il<br />
participe à <strong>de</strong> nombreuses<br />
expositions et ses œuvres<br />
sont présentes dans <strong>de</strong><br />
multip<strong>les</strong> collections<br />
publiques. Sa démarche<br />
investit <strong>de</strong> façon<br />
harmonieuse le <strong>de</strong>ssin, la<br />
couleur, le volume. Son<br />
paradoxe est <strong>de</strong> ne pas<br />
hiérarchiser ces catégories<br />
mais <strong>de</strong> <strong>les</strong> faire coexister<br />
en nous proposant un<br />
environnement global.<br />
Dans le cadre du projet <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rnisation <strong>de</strong> l’hôpital Huriez 1 du CHRU <strong>de</strong> Lille, une comman<strong>de</strong><br />
artistique a été confiée à l’artiste japonais Katsuhito Nishikawa 2 par la direction du CHRU en<br />
concertation avec la DRAC (Direction Régionale <strong>de</strong>s Affaires Culturel<strong>les</strong>). Ce projet ambitieux,<br />
qui s’étend <strong>de</strong> la cour d’honneur aux espaces intérieurs, tente, à partir d’une intervention artistique,<br />
d’apporter apaisement et hospitalité dans un lieu, l’hôpital, porteur d’appréhension : une réponse<br />
simple articulée autour <strong>de</strong> quelques mots-clefs tels que quiétu<strong>de</strong>, réconfort, repères à l’opposé du<br />
gigantisme et <strong>de</strong> la complexité labyrinthique <strong>de</strong> l’espace investi. Michèle Dard, responsable du<br />
projet, répond à nos questions.<br />
Les Nouvel<strong>les</strong> d’Archimè<strong>de</strong> :<br />
Porter un projet <strong>de</strong> comman<strong>de</strong> artistique au sein d’un lieu tel que l’hôpital peut ne pas sembler naturel.<br />
Comment peut-on faire pour donner du sens à une telle démarche ?<br />
Michèle Dard :<br />
Le projet <strong>de</strong> comman<strong>de</strong> artistique s’inscrit dans le cadre <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>rnisation <strong>de</strong> l’hôpital Huriez. Ce bâtiment,<br />
d’une architecture monumentale, est emblématique <strong>de</strong> la cité hospitalière. La décision <strong>de</strong> faire<br />
intervenir un artiste sur ce site répond à une volonté <strong>de</strong> proposer <strong>de</strong>s espaces propices à l’apaisement et<br />
à l’hospitalité dans un lieu souvent porteur d’appréhension. L’hôpital constitue dans nos sociétés un <strong>de</strong>s<br />
seuls lieux où se pose le discours <strong>de</strong> la vie et <strong>de</strong> la mort. Il ne faut pas l’esquiver. Une intervention artistique<br />
sur l’espace, l’environnement qui conditionnent la vie <strong>de</strong> toute personne qui passe à l’hôpital, peut<br />
permettre <strong>de</strong> sublimer et d’abor<strong>de</strong>r autrement un temps douloureux. Cette démarche témoigne du respect<br />
<strong>de</strong>s individus, <strong>de</strong>s missions et <strong>de</strong> la gravité <strong>de</strong> ce qui se déroule dans ces lieux.<br />
LNA :<br />
En quoi l’artiste Katsuhito Nishikawa semble pouvoir répondre aux objectifs <strong>de</strong> votre projet ?<br />
3<br />
« Le répertoire est épuré :<br />
l’artiste opte pour <strong>de</strong>s matières<br />
non sophistiquées<br />
(papier, plâtre, chaux,<br />
pierre, bois...) à même <strong>de</strong><br />
véhiculer une impression<br />
<strong>de</strong> <strong>de</strong>nsité. L’apparente<br />
simplicité <strong>de</strong> ces environnements<br />
résulte d’une<br />
approche sensible qui<br />
conjugue simultanément<br />
lignes <strong>de</strong> forces, physicité<br />
<strong>de</strong>s matières et <strong>de</strong>nsité <strong>de</strong><br />
la lumière. »<br />
MD :<br />
L’intervention artistique <strong>de</strong> Katsuhito Nishikawa consiste en l’aménagement intérieur et extérieur <strong>de</strong>s<br />
espaces d’accueil <strong>de</strong> l’hôpital, soit près <strong>de</strong> 5000m 2 . Elle inaugure une nouvelle forme <strong>de</strong> présence <strong>de</strong> l’art à<br />
l’hôpital. Ni monumentale, ni décorative, l’oeuvre propose un espace <strong>de</strong> vie conçu pour améliorer l’environnement<br />
<strong>de</strong>s personnes. L’intervention <strong>de</strong> Katsuhito Nishikawa vise à qualifier le parcours effectué par<br />
<strong>les</strong> usagers. Ce créateur a un champ d’intervention large, qui touche aussi bien l’architecture, l’environnement,<br />
le mobilier, la sculpture et ce, toute hiérarchie gommée. Ce qui est constant dans sa démarche, c’est<br />
que sa vision du corps est une composante <strong>de</strong> l’oeuvre. Sa présence est un leitmotiv qui se décline dans la<br />
matérialité, la physicité, l’échelle 3 .<br />
LNA :<br />
Peut-on considérer que la proposition <strong>de</strong> K. Nishikawa est en quelque sorte « à la mesure <strong>de</strong> notre humanité » ?<br />
MD :<br />
Katsuhito Nishikawa a souhaité humaniser l’esprit <strong>de</strong>s lieux tout en respectant son histoire, son vécu. Il a<br />
conçu son projet artistique à partir du corps humain et <strong>de</strong> sa mesure. La logique qui a présidé à ce projet<br />
vise à offrir à tous <strong>les</strong> usagers amenés à fréquenter l’hôpital une expérience forte <strong>de</strong> vie à travers la présence<br />
d’une oeuvre d’art.<br />
24
l’art et la manière / LNA#35<br />
LNA :<br />
A côté <strong>de</strong> cette question d’échelle, y-a-t-il aussi la dimension <strong>de</strong> mesure du temps et <strong>de</strong> rythme ?<br />
MD :<br />
C’est effectivement une dimension majeure dans l’approche <strong>de</strong> l’artiste qui précise d’ailleurs, dans sa note<br />
d’intention : « J’ai pensé qu’il fallait faire disparaître la structure froi<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’entrée du bâtiment en imaginant<br />
un paysage harmonisant l’espace extérieur et intérieur. J’ai souhaité élever et aplanir le niveau <strong>de</strong><br />
la cour d’honneur, puis y concevoir un ensemble végétal composé d’une unique essence d’arbre, afin <strong>de</strong><br />
rythmer le passage <strong>de</strong>s saisons. »<br />
Photos <strong>de</strong> gauche à droite :<br />
- Physalis, 1998<br />
Glass, stain<strong>les</strong>s steel<br />
(Glass) 45x45x54 cm<br />
(Stain<strong>les</strong>s steel) 230x230x30 cm<br />
- Hôpital Huriez, vue générale<br />
Photo bas <strong>de</strong> page :<br />
- Maquette du projet<br />
Nishikawa, cour d’honneur<br />
hôpital Huriez<br />
LNA :<br />
Le mon<strong>de</strong> végétal, mais aussi la métaphore du « jardin traversé », caractérise le travail <strong>de</strong> l’artiste : quel<br />
sens cela a-t-il ?<br />
MD :<br />
La caractéristique principale <strong>de</strong> ce projet rési<strong>de</strong> dans le fait que la forme créée et l’espace environnant sont<br />
dans un état <strong>de</strong> « compénétration » perpétuelle. L’extérieur propose un havre <strong>de</strong> nature et nous invite à<br />
être au milieu d’une population sereine dans un rapport au corps libéré <strong>de</strong> l’obstacle et du traumatisme.<br />
À l’intérieur, mesure et matière se répon<strong>de</strong>nt et réveillent l’expérience du jardin traversé. Le hall porte <strong>les</strong><br />
indices qui font écho au chemin parcouru. L’ oeuvre contribue à nous orienter.<br />
Par son approche sensible, tactile <strong>de</strong> la matière, <strong>de</strong>s formes, l’artiste réconcilie le <strong>de</strong>dans et le <strong>de</strong>hors, et<br />
tisse un dialogue harmonieux où se conjuguent simplicité, apaisement, hospitalité.<br />
LNA :<br />
Au terme <strong>de</strong> cette comman<strong>de</strong> artistique, qu’est-ce qui pourra <strong>vous</strong> faire dire que le projet est réussi ?<br />
MD :<br />
Pour annoncer et accompagner la mise en place <strong>de</strong> cette réalisation, un projet <strong>de</strong> médiation <strong>culture</strong>lle a été<br />
élaboré. À partir d’actions d’information et <strong>de</strong> sensibilisation, il propose à l’ensemble <strong>de</strong>s personnes qui<br />
fréquentent l’hôpital <strong>de</strong>s rencontres inédites avec l’art et la <strong>culture</strong>.<br />
La présence artistique et <strong>culture</strong>lle à l’hôpital est à même <strong>de</strong> créer <strong>de</strong>s espaces symboliques qui favorisent<br />
le lien entre <strong>les</strong> personnes. C’est un nouveau regard sur un lieu porteur d’appréhension pour mieux vivre<br />
ensemble l’hôpital et l’inscrire pleinement au coeur <strong>de</strong> la cité.<br />
25
LNA#35 / libres propos<br />
La fécondité <strong>de</strong>s erreurs<br />
Histoire <strong>de</strong>s idées dynamiques en physique au XIX e siècle *<br />
* Presses Universitaires<br />
du Septentrion, Coll. Les<br />
savoirs mieux, 2003.<br />
Cet ouvrage 11x18, <strong>de</strong><br />
192 pages, est en vente en<br />
librairie au prix <strong>de</strong> 13,50<br />
euros. Vous pouvez aussi<br />
le comman<strong>de</strong>r aux Presses<br />
Universitaires du Septentrion,<br />
rue du Barreau, B.<br />
P. 199, 59654 Villeneuve<br />
d’Ascq Ce<strong>de</strong>x.<br />
Un livre <strong>de</strong> Bernard POURPRIX<br />
Professeur <strong>de</strong>s Universités honoraire en épistémologie<br />
et histoire <strong>de</strong>s sciences, chercheur à l’UMR<br />
« Savoirs et Textes » (CNRS, Lille 1, Lille 3)<br />
L<br />
’idée que l’on se fait assez généralement <strong>de</strong> la science est formée d’images simplifiées, souvent illusoires.<br />
On croit qu’elle se construit par accumulation progressive <strong>de</strong> connaissances vraies et immuab<strong>les</strong>,<br />
que tout vient <strong>de</strong> l’expérience, etc. La visite du grand « laboratoire épistémologique » <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong>s<br />
sciences est un puissant moyen <strong>de</strong> dissiper ce genre d’illusion. C’est cette conviction que l’auteur veut<br />
faire partager. Il <strong>de</strong>man<strong>de</strong> au lecteur d’entrer avec lui dans le « laboratoire » et d’observer attentivement<br />
<strong>de</strong>s chercheurs au travail, particulièrement ceux qui participent aux bouleversements conceptuels accompagnant<br />
la révolution industrielle du XIXe siècle, ceux qui jettent <strong>les</strong> bases <strong>de</strong> l’électrodynamique<br />
(Volta, Oersted, Ohm, Ampère, Faraday), <strong>de</strong> la thermodynamique et <strong>de</strong> la physique <strong>de</strong> l’énergie (Joule,<br />
Helmholtz, Thomson, Maxwell, Planck) durant un siècle, <strong>de</strong> la pile électrique au quantum d’énergie.<br />
Bien vite le lecteur se rend compte que <strong>les</strong> physiciens ne disposent pas d’une métho<strong>de</strong> universelle, définie<br />
une fois pour toutes, et garantissant la vérité <strong>de</strong> leurs savoirs. Quand ils construisent leurs théories,<br />
ils associent trois sortes d’éléments : conceptuel, mathématique, expérimental. C’est sur le premier <strong>de</strong><br />
ces éléments que l’auteur attire plus particulièrement l’attention. La grille conceptuelle à travers laquelle<br />
sont vus <strong>les</strong> phénomènes occupe, dans la phase d’élaboration d’une théorie, une position clé : c’est elle<br />
qui détermine le choix <strong>de</strong>s hypothèses <strong>les</strong> plus vraisemblab<strong>les</strong>, <strong>de</strong>s principes <strong>les</strong> plus simp<strong>les</strong> et évi<strong>de</strong>nts,<br />
<strong>de</strong>s observations et <strong>de</strong>s expériences <strong>les</strong> plus significatives. L’objet principal <strong>de</strong> ce livre est <strong>de</strong> montrer que<br />
<strong>de</strong>s gril<strong>les</strong> conceptuel<strong>les</strong> reconnues comme fausses par la science d’aujourd’hui ont pourtant joué un rôle<br />
majeur dans l’élaboration du savoir.<br />
À vrai dire, la notion <strong>de</strong> grille conceptuelle recouvre <strong>de</strong>ux idées différentes. Elle comprend d’abord <strong>les</strong><br />
conceptions du mon<strong>de</strong> et <strong>de</strong> la science du chercheur, ces principes philosophiques et épistémologiques<br />
qui sous-ten<strong>de</strong>nt <strong>les</strong> différentes composantes <strong>de</strong> sa pratique scientifique et <strong>les</strong> mettent en cohérence. Les<br />
conceptions statiques et dynamiques du mon<strong>de</strong> en sont <strong>de</strong>s exemp<strong>les</strong> typiques. L’histoire que raconte ce<br />
livre est celle du passage graduel <strong>de</strong>s conceptions statiques aux conceptions dynamiques, passage lié à la<br />
décomposition <strong>de</strong> ce monument qu’est le système <strong>de</strong> Newton. La notion <strong>de</strong> grille conceptuelle s’applique<br />
aussi à une phase bien définie <strong>de</strong> la pratique scientifique, celle <strong>de</strong> la conceptualisation <strong>de</strong>s phénomènes<br />
proprement dite. Ce livre étudie tout particulièrement le passage progressif du cadre conceptuel <strong>de</strong> la<br />
« physique <strong>de</strong> la force » à celui <strong>de</strong> la « physique <strong>de</strong> l’énergie ».<br />
On pourrait être tenté <strong>de</strong> considérer l’histoire <strong>de</strong>s idées dynamiques comme un mouvement qui suit une<br />
voie bien déterminée, un progrès dans une direction donnée. Mais on comprendra vite, en lisant cet<br />
ouvrage, que l’existence d’un tel chemin n’est qu’une illusion. En fait, la science ne fonctionne pas <strong>de</strong> cette<br />
façon. Ce n’est pas une séquence linéaire, et il n’y a pas, en conséquence, quelque chose qui serait le « chaînon<br />
manquant ». Ce qui intéresse l’auteur, chez un chercheur reconnu, ce n’est pas tant l’œuvre achevée,<br />
consacrée par <strong>les</strong> pairs et par l’usage, que l’œuvre en cours d’élaboration. C’est une entreprise souvent<br />
incertaine, à l’aspect foisonnant, buissonnant, rarement linéaire, où le vrai et le faux peuvent se côtoyer. Il<br />
n’est pas rare que <strong>de</strong>s idées qui se révéleront périssab<strong>les</strong>, en particulier cel<strong>les</strong> <strong>de</strong> l’héritage statique, jouent<br />
pourtant un rôle important dans l’élaboration d’une œuvre et, paradoxalement, favorisent le développement<br />
du paradigme dynamique qui va <strong>les</strong> supplanter.<br />
Ce livre peut aussi éclairer sur <strong>les</strong> résistances <strong>de</strong> la pensée naturelle aux idées dynamiques et sur <strong>les</strong> difficultés<br />
à construire le concept d’énergie dans l’enseignement. Au terme <strong>de</strong> son parcours peut-être le lecteur<br />
comprendra-t-il mieux ces pédagogues mo<strong>de</strong>rnes qui préconisent la prise en compte <strong>de</strong>s erreurs conceptuel<strong>les</strong><br />
<strong>de</strong>s « apprenants » dans l’apprentissage <strong>de</strong>s sciences…<br />
26
libres propos / LNA#35<br />
VÉNUS <strong>de</strong>vant le Soleil<br />
Comprendre et observer un phénomène astronomique *<br />
Un livre coordonné par Arkan SIMAAN<br />
Professeur <strong>de</strong> sciences physiques<br />
Auteur <strong>de</strong> plusieurs ouvrages dont La science au péril <strong>de</strong> sa<br />
vie – Les aventuriers <strong>de</strong> la mesure du mon<strong>de</strong> * (Vuibert/Adapt, 2001)<br />
fil <strong>de</strong> l’histoire el<strong>les</strong> nous ont été rapportées par <strong>les</strong> savants.<br />
Plus près <strong>de</strong> nous, l’inventeur d’une métho<strong>de</strong> révolutionnaire<br />
pour étudier l’atmosphère <strong>de</strong> vénus présente ici lui-même sa<br />
découverte : l’envoi <strong>de</strong> ballons-son<strong>de</strong>s sur la planète.<br />
Aucun aspect n’étant oublié, on verra aussi comment Vénus<br />
– omniprésente dans <strong>les</strong> récits mythologiques et dans <strong>les</strong> arts –<br />
a fasciné toutes <strong>les</strong> civilisations ; <strong>de</strong> « l’étoile du berger » à la « déesse<br />
<strong>de</strong> l’amour », on la redécouvrira sous ses multip<strong>les</strong> apparences.<br />
Enfin, pour mettre toutes ces données en perspective, l’ouvrage<br />
contient aussi <strong>de</strong> larges extraits <strong>de</strong>s récits d’expéditions<br />
du XVIIIe siècle, textes quasiment introuvab<strong>les</strong> aujourd’hui.<br />
Gageons qu’ainsi préparé cet événement donnera à chacun<br />
l’occasion <strong>de</strong> s’éveiller à l’astronomie comme à l’histoire <strong>de</strong>s<br />
sciences.<br />
* Vuibert/Adapt, 2003<br />
Ces <strong>de</strong>ux ouvrages sont en vente en librairie (20 euros) ou sur comman<strong>de</strong> aux éditions<br />
ADAPT, 237, bld St Germain 75007 Paris (Port gratuit).<br />
Extraits <strong>de</strong> l’entretien accordé par Arkan Simaan à l’US Magazine<br />
(Supplément au n° 587 – 19 mai 2003. Propos recueillis par Catherine Elzière).<br />
Le passage <strong>de</strong> Vénus <strong>de</strong>vant le Soleil est un événement<br />
rarissime. En un volume compact et très illustré, tout ce<br />
qu’il faut savoir pour comprendre et observer l’événement<br />
qui se produira en juin 2004 est présenté par <strong>les</strong> meilleurs<br />
spécialistes actuels. Véritable gui<strong>de</strong> pratique <strong>de</strong> l’observation<br />
astronomique, l’ouvrage indique notamment <strong>les</strong> heures où l’on<br />
pourra suivre le phénomène <strong>de</strong>puis <strong>les</strong> principa<strong>les</strong> vil<strong>les</strong> du<br />
mon<strong>de</strong>. Il contient également <strong>de</strong>s conseils portant sur le matériel<br />
d’observation, ainsi que toutes <strong>les</strong> consignes <strong>de</strong> sécurité.<br />
Le transit <strong>de</strong> Vénus permettant – par exemple – <strong>de</strong> mesurer<br />
l’unité astronomique (distance Terre-Soleil) avec <strong>de</strong>s moyens<br />
simp<strong>les</strong>, son observation fera le régal <strong>de</strong> tous <strong>les</strong> astronomes<br />
amateurs. De concert avec leurs homologues <strong>de</strong> l’hémisphère<br />
sud, <strong>les</strong> lycéens et leurs enseignants pourront profiter <strong>de</strong> cette<br />
occasion pour tester leurs connaissances. A cette fin, une liste<br />
internationale <strong>de</strong> clubs d’astronomie est là pour faciliter <strong>les</strong><br />
contacts.<br />
Parmi <strong>les</strong> informations historiques et techniques rassemblées<br />
ici, on trouvera le récit <strong>de</strong>s premières observations tel<strong>les</strong> qu’au<br />
Vénus <strong>de</strong>vant le Soleil est un ouvrage collectif écrit par <strong>de</strong>s auteurs <strong>de</strong> plusieurs<br />
nationalités. Ceci marque notre attachement à l’aspect international <strong>de</strong> l’opération.<br />
Ainsi, Jacques Blamont, l’initiateur <strong>de</strong> la politique spatiale française, décrit l’exploration<br />
<strong>de</strong> cette planète et Jean-Pierre Luminet traite <strong>de</strong> la mythologie autour<br />
<strong>de</strong> Vénus. À côté se trouvent trois bilans <strong>de</strong>s observations <strong>de</strong>s passages <strong>de</strong> Vénus<br />
aux XVIIe, XVIIIe et XIXe sièc<strong>les</strong> dressés par l’Anglais David Sellers, le Hollandais<br />
Steven Van Roo<strong>de</strong> et moi-même. Yves Delaye, le « chasseur d’éclipses » et<br />
Guillaume Cannat, l’auteur <strong>de</strong>s Gui<strong>de</strong>s du Ciel, donnent <strong>de</strong>s conseils <strong>de</strong> matériel<br />
et <strong>de</strong>s consignes pour observer le Soleil en toute sécurité. Avec Michel Laudon,<br />
professeur <strong>de</strong> physique, nous présentons un dossier pédagogique : il n’utilise que <strong>les</strong><br />
outils mathématiques <strong>de</strong>s lycéens et décrit <strong>les</strong> mesures dans le système solaire dans<br />
l’ordre chronologique.<br />
Enfin, le livre contient <strong>de</strong>s documents historiques, une bibliographie commentée<br />
et un in<strong>de</strong>x détaillé.<br />
Le passage <strong>de</strong> Venus <strong>de</strong>vant le soleil le 8 juin 2004 est un fait rare, le <strong>de</strong>rnier date <strong>de</strong><br />
1882. Il ressemble à une éclipse où la Lune serait remplacée par Vénus.<br />
Cependant, en raison <strong>de</strong> la petite taille apparente <strong>de</strong> la planète, ce phénomène reste<br />
discret. Mais rassurons-nous : on pourra le voir à l’œil nu, à condition <strong>de</strong> se protéger<br />
<strong>les</strong> yeux.<br />
Cet événement est important pour la science : entre autres choses, il a apporté<br />
confirmation <strong>de</strong> l’héliocentrisme, a permis <strong>de</strong> mesurer la distance Terre-Soleil<br />
et a suscité la première coopération scientifique internationale malgré une guerre<br />
effroyable.<br />
En 2004, le passage <strong>de</strong> Vénus est une occasion rêvée pour un travail interdisciplinaire<br />
autour d’une discipline magique qui fascine <strong>les</strong> élèves, l’astronomie, la science<br />
la plus ancienne <strong>de</strong> l’humanité, et aussi celle qui a le plus d’avenir !<br />
De plus, je prends ici le pari que ce passage est une chance extraordinaire pour<br />
éveiller <strong>de</strong> nombreux élèves à la fois aux étu<strong>de</strong>s scientifiques et historiques : il est<br />
rare <strong>de</strong> trouver un thème où la relation entre science et pouvoir soit si évi<strong>de</strong>nte.<br />
> À suivre dans Les Nouvel<strong>les</strong> d‘Archimè<strong>de</strong> n° 36 :<br />
libres propos d’Arkan Simaan sur le passage <strong>de</strong> Vénus <strong>de</strong>vant<br />
le soleil (8 juin 2004).<br />
27
LNA#35 / au programme / réflexion - débat<br />
> dans le cadre <strong>de</strong> Lille 2004, Capitale Européenne <strong>de</strong> la Culture<br />
Culture et ville<br />
Par Didier PARIS<br />
Directeur <strong>de</strong> l’Institut d’Aménagement<br />
et d’Urbanisme <strong>de</strong> Lille<br />
L<br />
’histoire <strong>de</strong> l’humanité nous rappelle que, <strong>de</strong> tout temps,<br />
la ville a constitué l’écrin <strong>de</strong>s civilisations dans lequel<br />
se sont épanouies <strong>les</strong> <strong>culture</strong>s. Non pas qu’il n’y ait pas <strong>de</strong><br />
<strong>culture</strong>s rura<strong>les</strong>, ou que <strong>les</strong> gran<strong>de</strong>s civilisations ne trouvent<br />
pas une part <strong>de</strong> leurs racines dans l’agri<strong>culture</strong> et <strong>les</strong> sociétés<br />
rura<strong>les</strong> - la révolution urbaine <strong>de</strong> la Mésopotamie antique est<br />
aussi liée à la maîtrise <strong>de</strong>s techniques agrico<strong>les</strong>, à commencer<br />
par celle <strong>de</strong> l’eau -, mais c’est bien la ville qui permet souvent<br />
l’épanouissement <strong>de</strong>s individus et <strong>de</strong>s <strong>culture</strong>s (« l’air <strong>de</strong> la<br />
ville rend libre » 1 ).<br />
À l’heure <strong>de</strong> la mondialisation, <strong>de</strong>s métropo<strong>les</strong> cosmopolites,<br />
<strong>de</strong> l’urbanisation accélérée du mon<strong>de</strong>, la question <strong>de</strong> la relation<br />
entre la ville et la <strong>culture</strong> mérite plus que jamais d’être posée.<br />
Au sein <strong>de</strong> la Polis, la <strong>culture</strong> représente un enjeu politique<br />
majeur ; qu’on la considère comme produit <strong>de</strong> consommation<br />
particulier (<strong>les</strong> enjeux <strong>culture</strong>ls au sein <strong>de</strong> l’OMC en sont un<br />
exemple frappant), comme outil <strong>de</strong> création et d’expression ou<br />
encore comme facteur d’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> groupes sociaux qui peut<br />
déboucher soit sur l’épanouissement <strong>de</strong>s individus, soit sur <strong>les</strong><br />
dérives du communautarisme (ou du régionalisme et du localisme<br />
intransigeant).<br />
Dans la ville, la politique <strong>culture</strong>lle doit avant tout être l’occasion<br />
<strong>de</strong> l’échange : le commerce <strong>de</strong> l’esprit, le seul qui enrichisse<br />
vraiment.<br />
Mais pour <strong>les</strong> acteurs urbains, la <strong>culture</strong> est aussi un levier<br />
pour transformer la ville : <strong>les</strong> exemp<strong>les</strong> d’opérations <strong>de</strong> régénération<br />
urbaine fondée sur <strong>de</strong> grands équipements <strong>culture</strong>ls<br />
se multiplient à travers l’Europe. Au-<strong>de</strong>là, c’est la question <strong>de</strong><br />
l’art au quotidien qui est posée : l’art dans la ville, qu’il s’agisse<br />
<strong>de</strong> l’œuvre plastique qui interpelle le citoyen en passant par<br />
la structure <strong>culture</strong>lle qui, par son action d’animation et <strong>de</strong><br />
création, contribue à donner la parole et joue un rôle dans le<br />
développement du territoire.<br />
Au moment où Lille 2004 est capitale européenne <strong>de</strong> la <strong>culture</strong>,<br />
l’USTL - <strong>Espace</strong> Culture en partenariat avec l’Institut<br />
d’Aménagement et Urbanisme (USTL), l’Ecole d’Architecture<br />
<strong>de</strong> Lille et l’Agence d’Urbanisme <strong>de</strong> Lille-Métropole, ne<br />
pouvait rester absent du débat.<br />
1<br />
Voir la contribution d’Alain Cambier dans « La ville en débat » édité par l’<strong>Espace</strong><br />
Culture <strong>de</strong> l’USTL et l’Harmattan en mai 2003 à l’issue du <strong>cycle</strong> <strong>de</strong> <strong>Ren<strong>de</strong>z</strong>-<strong>vous</strong><br />
d’Archimè<strong>de</strong> consacré à la ville <strong>de</strong> 2000 à 2002.<br />
PROGRAMME EN COURS :<br />
18h30 - Amphi - Entrée libre<br />
u La <strong>culture</strong> comme élément fondateur <strong>de</strong> la ville<br />
Mardi 3 février<br />
Avec Alain CAMBIER, Professeur <strong>de</strong> philosophie en<br />
Khâgne, Douai et Michel DAVID, Directeur Général Ville<br />
Renouvelée Éducation Culture, Roubaix<br />
Modérateur : Marnix BONNIKE, Directeur adjoint<br />
chargé du développement, École d’Architecture <strong>de</strong> Lille<br />
u Réseaux et savoirs : stratégies territoria<strong>les</strong> pour la<br />
<strong>culture</strong><br />
Mardi 9 mars<br />
Avec Daniel FILÂTRE, Professeur <strong>de</strong> sociologie à l’Université<br />
<strong>de</strong> Toulouse Le Mirail et Jordi PASCUAL Y RUIZ,<br />
Directeur <strong>de</strong> l’association « Desenvolupamente Comunitari »<br />
(« Développement Communautaire »), Barcelone, sociologue<br />
Modératrice : Chantal LAMARRE (sous réserve), Directrice<br />
<strong>de</strong> la Scène nationale Culture Commune<br />
u Équipements <strong>culture</strong>ls et régénération urbaine<br />
Mardi 25 mai<br />
Avec Patrick BOUCHAIN, architecte, scénographe, Laurent<br />
BUSINE, Directeur du Musée <strong>de</strong>s Arts Contemporains<br />
(MAC’s), Grand-Hornu, Belgique, Henry SIMONS,<br />
Premier échevin chargé <strong>de</strong> la Culture, Urbanisme et<br />
Protection du patrimoine, Bruxel<strong>les</strong> et Olivier ARENDT,<br />
Chef <strong>de</strong> cabinet <strong>de</strong> Henry SIMONS, attaché à la <strong>culture</strong><br />
Modérateur : Thierry BAERT, Chargé <strong>de</strong>s affaires européennes,<br />
Agence <strong>de</strong> Développement et d’Urbanisme Lille-<br />
Métropole<br />
Merci à Thierry Baert, Marnix Bonnike, Alain Cambier, Dominique Mons, Didier<br />
Paris, Maryvonne Prévot , Eric Prigent et Bernard Welcome pour leur participation<br />
à l’élaboration <strong>de</strong> ce <strong>cycle</strong>.<br />
A NOTER :<br />
Conférence organisée par l’Université <strong>de</strong> Lille 3<br />
u Nouveaux enjeux pour la ville<br />
Mardi 13 janvier à 18h00<br />
Avec Didier PARIS, Professeur à l’USTL, IFRESI<br />
Mairie <strong>de</strong> Lille, salon <strong>de</strong> la MEP<br />
28
au programme / réflexion - débat / LNA#35<br />
<strong>Ren<strong>de</strong>z</strong>-<strong>vous</strong> d’Archimè<strong>de</strong> _<strong>cycle</strong> <strong>les</strong> émotions<br />
Réflexion - débat à 18h30<br />
Amphi - <strong>Espace</strong> Culture. Entrée libre<br />
u Émotions et média<br />
Mardi 13 janvier 2004<br />
Avec Michel Maffesoli, Professeur en Sciences<br />
Humaines à la Sorbonne et Serge Tisseron,<br />
Psychiatre – Psychanalyste, Docteur en Psychologie,<br />
Directeur <strong>de</strong> recherche à l’Université<br />
Paris X, Nanterre<br />
Conférence animée par Loris Tamara Schiaratura,<br />
Maître <strong>de</strong> conférences en Psychologie<br />
sociale à l’Université <strong>de</strong> Lille 3<br />
Nous vivons, selon l’expression heureuse<br />
<strong>de</strong> Michel Maffesoli, une « subjectivité<br />
<strong>de</strong> masse » en laquelle se partagent, par<br />
media interposés, <strong>les</strong> émotions suscitées<br />
par <strong>les</strong> événements du mon<strong>de</strong>. Certes,<br />
un tel flux d’images et d’émotions,<br />
difficilement maîtrisable, peut conduire<br />
aux dérives totalitaires que l’on sait.<br />
On peut également se laisser éduquer<br />
par lui, y saisir la chance d’un retour<br />
à la mobilité <strong>de</strong> la vie, avec ses contradictions,<br />
mais aussi sa richesse et sa<br />
gratuité.<br />
u Dimension spirituelle <strong>de</strong> l’émotion<br />
Mardi 20 janvier 2004<br />
Avec Catherine Chalier, Philosophe<br />
Conférence animée par Jean-François Rey,<br />
Professeur agrégé <strong>de</strong> philosophie à l’IUFM <strong>de</strong><br />
Lille et Docteur en Philosophie<br />
« La venue en soi <strong>de</strong>s émotions, dans<br />
leur force secrètement ou ouvertement<br />
déstabilisante, excè<strong>de</strong> l’ordonnance sage<br />
et raisonnée d’un discours conceptuel<br />
soucieux <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r la maîtrise en toute<br />
circonstance. Il ne s’agit pas, (…) <strong>de</strong><br />
plai<strong>de</strong>r la cause <strong>de</strong> l’émotion contre le<br />
concept, et encore moins du corps contre<br />
l’esprit, (…) mais <strong>de</strong> s’interroger sur<br />
<strong>les</strong> significations et l’intelligence vers<br />
<strong>les</strong>quel<strong>les</strong> la capacité émotionnelle du<br />
corps humain oriente. »<br />
Extrait <strong>de</strong> « Traité <strong>de</strong>s larmes », C. Chalier – éd. Albin<br />
Michel, 2003<br />
u Traitement <strong>de</strong>s émotions en<br />
politique<br />
Mardi 27 janvier 2004<br />
Avec Philippe Braud, Professeur <strong>de</strong>s Universités<br />
à l’Institut d’Étu<strong>de</strong>s Politiques <strong>de</strong> Paris<br />
Conférence animée par Jean-Marie Breuvart,<br />
Ancien directeur <strong>de</strong> l’Institut <strong>de</strong> Philosophie<br />
<strong>de</strong> l’Université Catholique <strong>de</strong> Lille<br />
La vie politique oscille entre usage <strong>de</strong><br />
techniques <strong>de</strong> séduction et recours à <strong>de</strong>s<br />
formes <strong>de</strong> violence. La convoitise du<br />
pouvoir est au principe <strong>de</strong> la compétition<br />
démocratique aussi bien que <strong>les</strong><br />
conflits <strong>de</strong> valeurs et <strong>de</strong> croyances.<br />
Le succès <strong>de</strong>s dirigeants, l’efficacité <strong>de</strong>s<br />
institutions se mesurent à la capacité<br />
<strong>de</strong> gérer efficacement <strong>de</strong>s dynamismes<br />
émotionnels.<br />
u Le corps et le social<br />
Mardi 10 février 2004<br />
Avec David Le Breton, Professeur <strong>de</strong> sociologie<br />
à l’Université Marc Bloch (Strasbourg 2) et<br />
Pascale Molinier, Maître <strong>de</strong> conférences en<br />
Psychologie<br />
Conférence animée par Jean-François Rey<br />
Les émotions ne sont pas spontanées<br />
mais rituellement organisées, reconnues<br />
en soi et signifiées aux autres ; el<strong>les</strong><br />
mobilisent un vocabulaire, <strong>de</strong>s mouvements<br />
précis du corps. Chaque société<br />
développe une <strong>culture</strong> affective propre.<br />
La conférence donnera <strong>les</strong> lignes essentiel<strong>les</strong><br />
d’une approche anthropologique<br />
<strong>de</strong> l’émotion.<br />
u Émotions et psychanalyse<br />
Mardi 17 février 2004<br />
Avec Bernard Forthomme, Docteur en Philosophie<br />
et Lettres, Moine Franciscain et Pierre-<br />
Henri Castel, Chercheur au CNRS, historien<br />
et philosophe <strong>de</strong>s sciences, psychanalyste<br />
Conférence animée par Jean-Marie Breuvart<br />
Face à un certain logicisme analytique,<br />
il faut redécouvrir <strong>les</strong> émotions non seulement<br />
comme ce qui dispose le corps<br />
aux sentiments humains et à la pensée,<br />
mais aussi comme révélatrice <strong>de</strong> la manifestation<br />
<strong>de</strong> soi à soi indépendante <strong>de</strong><br />
la causalité et <strong>de</strong> la finalité.<br />
Bernard Forthomme<br />
La psychanalyse utilise fort peu la notion<br />
d’émotion. Freud, dès le départ,<br />
lui a préféré l’idée d’affect. La distinction<br />
<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux est-elle significative ? Et<br />
si elle l’est pour la psychanalyse, la philosophie,<br />
notamment la philosophie<br />
morale, qui s’intéresse aux sentiments<br />
moraux, peut-elle y gagner quelque<br />
chose ?<br />
Pierre-Henri Castel<br />
Merci à Jean-Marie Breuvart, Maurice Falempin,<br />
Janick Naveteur, Jean-François Rey et Loris Tamara<br />
Schiaratura pour leur participation à l’élaboration <strong>de</strong><br />
ce <strong>cycle</strong>.<br />
Programme du <strong>cycle</strong> Question <strong>de</strong> sens « Quel<strong>les</strong><br />
sont <strong>les</strong> valeurs <strong>de</strong> la laïcité ? » dans « l’in_edit ».<br />
29
LNA#35 / au programme / exposition<br />
Les « événements du 11 Septembre » ont laissé <strong>de</strong>s traces sur <strong>les</strong><br />
écrans cathodiques qui nous servent <strong>de</strong> mémoire...<br />
Une installation multimédia by Schuwey<br />
Du 8 au 28 janvier 2004. Vernissage le jeudi 8 janvier à 18h30<br />
Ouverture exceptionnelle le samedi 10 janvier <strong>de</strong> 14h00 à 18h00<br />
Salle d’Exposition* - Entrée libre<br />
« War against Terror » est un projet multimédia initié par<br />
le choc du 11 Septembre alors qu’il <strong>de</strong>venait évi<strong>de</strong>nt que nous<br />
allions assister à une guerre « en direct » à la télévision (tout du<br />
moins sur « CNN » ou « Al-Jazeera »).<br />
La première partie, « War in Afghanistan », est une sélection<br />
d’images numériques réalisées durant la pério<strong>de</strong> <strong>de</strong>s premières<br />
frappes américaines et <strong>de</strong> l’intervention en Afghanistan.<br />
La secon<strong>de</strong> partie, « War in Irak », commence par le compte<br />
à rebours télévisuel pour finir avec la chute (<strong>de</strong> la statue) <strong>de</strong><br />
S. Hussein.<br />
Une « Troisième Partie » n’est pas à exclure.<br />
Les captations d’écrans <strong>de</strong> la chaîne américaine CNN ont<br />
été réalisées « en direct » en utilisant un procédé électronique<br />
comparable à la « photographie en pause ». Ainsi chaque<br />
image est la somme <strong>de</strong> quelques centaines d’images, quelques<br />
secon<strong>de</strong>s <strong>de</strong> vidéo, sans aucun ajout postérieur.<br />
« War against Terror » est une réflexion sur <strong>les</strong> images d’informations<br />
télévisées et leur rapport à la réalité. Les images<br />
« historiques » <strong>de</strong>s twins n’ont-el<strong>les</strong> pas perdu <strong>de</strong> leur véracité<br />
par la multiplicité <strong>de</strong>s ang<strong>les</strong> <strong>de</strong> vues et la répétition à l’infini<br />
<strong>de</strong> leur chute dans un nuage <strong>de</strong> poussière ? Dans quelle mesure<br />
la « mise en scène » <strong>de</strong> ces images (montage, ralentis, ajout <strong>de</strong><br />
musique...) a-t-elle influencé la perception <strong>de</strong> cet événement<br />
qui sera bientôt présenté comme la justification <strong>de</strong> guerres à<br />
venir ? Enfin, l’indéniable « beauté plastique » <strong>de</strong> ces images<br />
<strong>de</strong> <strong>de</strong>struction (associée à l’idée <strong>de</strong> « frappes chirurgica<strong>les</strong> ») et<br />
l’esthétique liée à l’utilisation <strong>de</strong> caméras infrarouges (proche<br />
<strong>de</strong> celle <strong>de</strong>s jeux vidéos) n’accréditent-el<strong>les</strong> pas le concept <strong>de</strong><br />
« guerre propre » ? Cette réalité mise en scène est-elle encore<br />
connectée à la « réalité » ou s’agit-il forcément <strong>de</strong> rendre cette<br />
réalité plus « compréhensible », plus « simple », par le recours<br />
au symbolisme, à la glorification <strong>de</strong>s Uns et la diabolisation<br />
<strong>de</strong>s Autres ? Les images fabriquées pour « War against Terror »<br />
sont el<strong>les</strong> aussi une re-création <strong>de</strong> la réalité (télévisée) mais el<strong>les</strong><br />
sont comme la persistance rétinienne <strong>de</strong> l’écran qui s’éteint,<br />
avec <strong>de</strong>s fantômes qui s’agitent sur <strong>les</strong> décombres <strong>de</strong> Bagdad<br />
ou d’ailleurs, comme <strong>les</strong> souvenirs d’une mémoire qui s’efface.<br />
Il en reste un mon<strong>de</strong> chaotique où <strong>les</strong> signes s’accumulent, se<br />
fon<strong>de</strong>nt, s’entrechoquent jusqu’à perdre leur sens.<br />
« War in Iraq » est la continuation logique et presque « automatique<br />
» du travail commencé avec « War in Afghanistan »,<br />
qui présentait, notamment à Lille à l’occasion <strong>de</strong>s Rencontres<br />
Audiovisuel<strong>les</strong> 2003, une série d’images fixes. Le compte à<br />
rebours s’égrenant sur <strong>les</strong> images <strong>de</strong> Bagdad endormie donnait<br />
à penser que le temps réel allait être l’élément primordial <strong>de</strong><br />
cette guerre annoncée. L’utilisation <strong>de</strong> la vidéo permet non<br />
seulement <strong>de</strong> souligner le travail « live » mais aussi <strong>de</strong> rendre<br />
vivante la notion d’effacement, <strong>de</strong> dilution du temps et <strong>de</strong> l’espace,<br />
<strong>de</strong> perte <strong>de</strong> sens <strong>de</strong>s signes mêmes <strong>de</strong> l’écrit.<br />
Production :<br />
Heure Exquise ! <strong>les</strong> Nyctalopes associés et l’<strong>Espace</strong> Culture<br />
<strong>de</strong> l’USTL avec la participation <strong>de</strong> MAP Vidéo et <strong>de</strong><br />
Lille.<br />
* Salle d’Exposition<br />
Du lundi au jeudi <strong>de</strong> 12h à 18h30<br />
et le vendredi <strong>de</strong> 10 à 14h<br />
Renseignements :<br />
<strong>Espace</strong> Culture 03 20 43 69 09<br />
Contacts :<br />
Heure Exquise ! 03 20 432 432 - exquise@nordnet.fr<br />
Hervé Schuwey : www.nyctalop.com<br />
« War against Terror »<br />
Galerie ÉOF : 15, rue Saint Fiacre - Paris du 16 au 27 mars<br />
2004<br />
30
LNA#35 / au programme / réflexion - débat<br />
> dans le cadre <strong>de</strong> Lille 2004, Capitale Européenne <strong>de</strong> la Culture<br />
<strong>Ren<strong>de</strong>z</strong>-<strong>vous</strong> d’Archimè<strong>de</strong> _<strong>cycle</strong> la mesure 1<br />
Réflexion - débat à 18h30<br />
Amphi - <strong>Espace</strong> Culture. Entrée libre<br />
u L’homme est la mesure <strong>de</strong><br />
toutes choses<br />
Mardi 16 mars 2004<br />
Avec Barbara Cassin, Directrice <strong>de</strong><br />
recherche au CNRS – Université<br />
Paris-Sorbonne (Paris IV)<br />
J’abor<strong>de</strong>rai en philologue et<br />
en philosophe l’analyse <strong>de</strong> ce<br />
fragment célèbre attribué à<br />
Protagoras : « L’homme est la<br />
mesure <strong>de</strong> toutes choses ». Je<br />
proposerai <strong>de</strong> réfléchir à certaines<br />
interprétations majeures<br />
qui en ont été données, <strong>de</strong><br />
Platon à Hei<strong>de</strong>gger. J’essaierai<br />
même d’en déterminer une<br />
autre, plus proche <strong>de</strong> ce que la<br />
sophistique peut avoir à dire,<br />
en repartant <strong>de</strong> ces « choses »,<br />
<strong>de</strong> ces « khrêmata », qu’on<br />
pourrait traduire aussi par<br />
« richesses », dont l’homme<br />
serait, dit-on, la mesure.<br />
Barbara Cassin<br />
u Pratique et théorie <strong>de</strong><br />
la mesure dans la tradition<br />
scientifique arabe (IX eme au<br />
XV eme siècle)<br />
Mardi 23 mars 2004<br />
Avec Ahmed Djebbar, Professeur<br />
en Histoire <strong>de</strong>s mathématiques,<br />
USTL<br />
Comme pour <strong>les</strong> autres domaines<br />
<strong>de</strong> la science, la question<br />
<strong>de</strong> la mesure a été appréhendée<br />
<strong>de</strong> différentes manières<br />
dans la tradition scientifique<br />
arabe. D’abord en fonction <strong>de</strong>s<br />
besoins <strong>de</strong>s praticiens <strong>de</strong> certains<br />
métiers et <strong>de</strong> certaines<br />
disciplines scientifiques puis,<br />
dans une secon<strong>de</strong> étape, en<br />
fonction <strong>de</strong> préoccupations<br />
strictement théoriques. La<br />
conférence présentera <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux<br />
aspects <strong>de</strong> la question, à travers<br />
quelques pratiques et quelques<br />
réflexions <strong>de</strong> mathématiciens.<br />
u La mesure en mécanique<br />
quantique : un nouveau<br />
concept ?<br />
Mardi 30 mars 2004<br />
Avec Roger Balian, Conseiller scientifique<br />
au Commissariat à l’Énergie<br />
Atomique (CEA – Saclay)<br />
Selon <strong>les</strong> principes <strong>de</strong> la physique<br />
quantique, il n’est possible<br />
ni d’améliorer indéfiniment<br />
la précision d’une mesure, ni<br />
<strong>de</strong> mesurer simultanément<br />
certaines paires <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>urs.<br />
Ces limitations donnent lieu<br />
à <strong>de</strong>s paradoxes tels celui du<br />
chat <strong>de</strong> Schrödinger, qui serait<br />
à la fois mort et vivant. Pour<br />
comprendre <strong>les</strong> spécificités<br />
d’une mesure quantique, on<br />
l’analyse en tant que processus<br />
dynamique d’interaction entre<br />
l’objet étudié et l’appareil<br />
<strong>de</strong> mesure ; <strong>les</strong> probabilités<br />
jouent un rôle essentiel et la<br />
perturbation apportée à l’objet<br />
ne peut être négligée.<br />
u Enjeux politiques <strong>de</strong> la<br />
mesure<br />
Mardi 4 mai 2004<br />
Avec Michel Senellart, Philosophe,<br />
ENS-LSH <strong>de</strong> Lyon<br />
L’objet <strong>de</strong> cette conférence<br />
sera <strong>de</strong> montrer quel<strong>les</strong> transformations<br />
<strong>de</strong> l’art <strong>de</strong> gouverner<br />
a accompagnées l’essor <strong>de</strong><br />
la « raison statistique » du<br />
XVII eme au début du XIX e<br />
siècle, <strong>de</strong>puis la naissance<br />
<strong>de</strong> l’arithmétique politique<br />
(Petty, Davenant) jusqu’à la<br />
statistique morale <strong>de</strong> Guerry<br />
et Quételet. Faut-il y voir le<br />
développement continu d’une<br />
gouvernementalité prenant en<br />
charge <strong>les</strong> populations à <strong>de</strong>s<br />
fins normalisatrices ou le passage<br />
d’une politique du secret<br />
(arcana) au gouvernement<br />
rationnel <strong>de</strong> la société <strong>de</strong>s individus<br />
?<br />
u La mesure du temps<br />
Mardi 11 mai 2004<br />
Avec Bruno Jacomy, Directeur adjoint<br />
du Musée <strong>de</strong>s Arts et Métiers<br />
(CNAM – Paris)<br />
Dans la gran<strong>de</strong> famille <strong>de</strong>s<br />
instruments scientifiques, ceux<br />
qui servent à mesurer le temps<br />
occupent une place d’honneur.<br />
Qu’il s’agisse du temps<br />
<strong>de</strong>s astres, qui nous donne<br />
gnomons ou cadrans solaires,<br />
ou du temps qui s’écoule, celui<br />
<strong>de</strong>s clepsydres ou <strong>de</strong>s sabliers,<br />
l’homme a déployé pour <strong>les</strong><br />
mesurer <strong>de</strong>s objets étonnamment<br />
ingénieux et dont la<br />
précision n’a fait que croître au<br />
fil <strong>de</strong>s sièc<strong>les</strong>.<br />
u Quel statut pour la mesure<br />
?<br />
Mardi 18 mai 2004<br />
Avec Bernard Maitte, Professeur<br />
d’histoire <strong>de</strong>s sciences et d’épistémologie,<br />
USTL<br />
On a coutume d’affirmer que<br />
l’observation mesurée permet,<br />
d’une part, la théorisation d’un<br />
problème scientifique précis<br />
et fournit, d’autre part, la<br />
preuve <strong>de</strong>s explications et <strong>de</strong>s<br />
prévisions produites par un<br />
modèle.<br />
Dans mon intervention, je<br />
m’efforcerai <strong>de</strong> montrer que<br />
cette représentation est pour le<br />
moins insuffisante, voire mythique.<br />
À partir d’exemp<strong>les</strong> pris<br />
dans l’histoire <strong>de</strong> la physique,<br />
je montrerai que l’on ne peut<br />
effectuer <strong>de</strong> mesures sans<br />
a priori et que <strong>les</strong> relations<br />
liant observation, expérimentation,<br />
conceptualisation et<br />
modélisation sont loin d’être<br />
univoques.<br />
Bernard Maitte<br />
1 ère partie du <strong>cycle</strong> « la Mesure »<br />
Merci à Rudolf Bkouche, Jean-Marie Breuvart,<br />
Fabien Chareix, Eliane Cousquer,<br />
Jean-Paul Delahaye, Ahmed Djebbar, Robert<br />
Gergon<strong>de</strong>y, Marie-Christine Groslière,<br />
Bernard Maitte et Jean-François Rey pour<br />
leur participation à l’élaboration <strong>de</strong> ce <strong>cycle</strong>.<br />
2 ème partie du <strong>cycle</strong> prévue pour décembre<br />
2004<br />
© potironsradioactifsassociés<br />
32
LNA#35 / au programme / exposition<br />
> dans le cadre <strong>de</strong> Lille 2004, Capitale Européenne <strong>de</strong> la Culture<br />
Exposition scientifique : l’art <strong>de</strong> la mesure<br />
Au cœur d’une région industrielle en plein essor, Lille et<br />
son agglomération ont créé à la fin du XIX e siècle ou au<br />
début du XX e d’importants établissements d’enseignement<br />
supérieur et <strong>les</strong> ont dotés du matériel scientifique <strong>de</strong>stiné à<br />
l’enseignement et à la recherche.<br />
Aujourd’hui, <strong>de</strong>s « trésors » dorment dans <strong>les</strong> réserves ou <strong>les</strong><br />
débarras <strong>de</strong>s laboratoires, souvent à l’insu <strong>de</strong> leurs détenteurs.<br />
Relégués dans d’incroyab<strong>les</strong> capharnaüms, placards<br />
ou arrières sal<strong>les</strong> <strong>de</strong> laboratoires, utilisés uniquement, dans<br />
le meilleur <strong>de</strong>s cas, comme matériels pédagogiques pour <strong>les</strong><br />
étudiants mais toujours ignorés du public, <strong>les</strong> instruments <strong>de</strong><br />
mesure et d’observation scientifique semblaient condamnés à<br />
passer le restant <strong>de</strong> leurs jours dans l’indifférence et l’oubli le<br />
plus total.<br />
Depuis <strong>de</strong>ux ans, Guy Séguier, Professeur émérite <strong>de</strong> l’USTL<br />
et membre <strong>de</strong> l’ASA (Association <strong>de</strong> Solidarité <strong>de</strong>s Anciens),<br />
fait l’inventaire <strong>de</strong>s vieux appareils <strong>de</strong> mesure et d’observation<br />
<strong>de</strong> l’Université et d’Eco<strong>les</strong> d’Ingénieurs <strong>de</strong> la région.<br />
- La mesure <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>urs directement observab<strong>les</strong> par <strong>les</strong><br />
sens<br />
- L’optique étend le domaine <strong>de</strong> l’observable<br />
- L’électrostatique : du salon au laboratoire<br />
- Les hésitations <strong>de</strong>s débuts <strong>de</strong> l’électrocinétique<br />
- Le courant continu : à la recherche maladive <strong>de</strong> la précision<br />
- Le courant alternatif : à la recherche <strong>de</strong> l’esthétique et <strong>de</strong> la<br />
précision<br />
Exposition proposée par l’ASA - USTL (Association <strong>de</strong> Solidarité<br />
<strong>de</strong>s Anciens)<br />
Remerciements à Patrick Bougelet, Jean-Paul Delahaye, André Dhainaut,<br />
Henri Dubois, Bernard Maitte et Guy Séguier.<br />
Remerciements au Musée d’Histoire Naturelle <strong>de</strong> Lille pour sa coopération.<br />
Ce travail d’inventaire est<br />
le fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> cette exposition<br />
dont la scénographie<br />
a été confiée à Patrick<br />
Bougelet.<br />
À travers la présentation<br />
d’appareils scientifiques<br />
<strong>de</strong> mesures physiques <strong>de</strong><br />
la <strong>de</strong>uxième moitié du XIX e et<br />
du début du XX e siècle, d’une<br />
facture précise tout autant que précieuse,<br />
il s’agit d’esquisser une partie <strong>de</strong> l’histoire scientifique<br />
et humaine <strong>de</strong> la mesure et d’offrir au visiteur un itinéraire<br />
<strong>de</strong> réflexion sur la mesure <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>urs physiques,<br />
imaginé sur six stations.<br />
10 mars au 1er avril<br />
Vernissage le 10 mars<br />
à 18h30<br />
Polarimètre CORNU-DUBOSCQ<br />
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au programme / concert / LNA#35<br />
Sophie Agnel - mécanique / Olivier Benoit - électrique<br />
Dans le cadre du festival n°4 du CRIME (structure qui soutient <strong>les</strong> musiques improvisées et<br />
expérimenta<strong>les</strong>), l’<strong>Espace</strong> Culture propose le duo Sophie Agnel (piano) – Olivier Benoit (guitare) en<br />
concert à l’occasion <strong>de</strong> la sortie du cd rip-stop (label in situ).<br />
Photo : Yvan Clédat<br />
Sculpture : Caroline Pouzol<strong>les</strong><br />
Mardi 28 janvier à 19h<br />
Café, durée : 1h15<br />
Concert suivi d’un échange autour d’un verre<br />
Entrée libre sur retrait <strong>de</strong>s places à l’<strong>Espace</strong> Culture<br />
ou sur réservation lors <strong>de</strong>s précé<strong>de</strong>nts concerts<br />
Festival du CRIME (n° 4) du 21 au 28 janvier<br />
La Malterie, 20h30<br />
42, rue Kuhlmann – Lille (03 20 78 28 72)<br />
Entrée : 5 euros /soir<br />
- Mercredi 21 janvier<br />
Les chants <strong>de</strong> Bataille Film sur Jac Berrocal <strong>de</strong> Guy Girard<br />
Greg Malcolm<br />
- Jeudi 22 janvier<br />
Nappe + Mayo<br />
Steffen Basho Junghans<br />
- Vendredi 23 janvier<br />
Adélaï<strong>de</strong> Sieuw & Jan Huib Nas<br />
Electric Cue invite Edward Perraud<br />
- Samedi 24 janvier<br />
Zong invite Alfred Spirli<br />
Mingi (Giuseppe Ielasi, Ingar Zach, Michel Doneda)<br />
Larsen Rupin<br />
- Tous <strong>les</strong> soirs du 21 au 24 :<br />
Sarah Duthille Miniatures chorégraphiques<br />
Falter Bramnk Portraits sonores<br />
« La règle (sociale ?) implique que peu <strong>de</strong> rencontres entre pianistes et<br />
guitaristes retiennent l’attention. Il ne s’agit pas ici <strong>de</strong> s’attar<strong>de</strong>r sur un<br />
phénomène secondaire (certainement plus psychologique que musical)<br />
mais d’observer comment cette rencontre parfois forcée n’est plus<br />
aujourd’hui contre nature, mais <strong>de</strong>vient source évi<strong>de</strong>nte d’une variation<br />
à même <strong>de</strong> perturber une esthétique <strong>de</strong> l’improvisation (…).<br />
Le piano est-il mécanique, la guitare est-elle électrique ? (…)<br />
Ces <strong>de</strong>ux instruments, que je qualifie <strong>de</strong> traditionnels (<strong>de</strong> façon équivalente,<br />
ayant œuvré largement à l’enrichissement <strong>de</strong>s <strong>culture</strong>s savantes<br />
et populaires) ont construit, après avoir détourné son cours, l’histoire<br />
<strong>de</strong> la musique et sont marqués par l’histoire (et <strong>les</strong> acci<strong>de</strong>nts) <strong>de</strong> cette<br />
même musique. (…)<br />
Ces <strong>de</strong>ux instruments aux dispositions harmoniques précises, au rôle social<br />
prédéterminé (même celui <strong>de</strong> la révolte) glissent vers une fonction<br />
d’objet à usage multiple : outils <strong>de</strong>stinés à <strong>de</strong>s installations, désossés (le<br />
cadre, le micro), étendus (cor<strong>de</strong>s extérieures et micros additionnels), ou<br />
jetés parfois (l’expérience ultime mais coûteuse !), recevant nombre <strong>de</strong><br />
chocs et <strong>de</strong> parasites extérieurs (lentil<strong>les</strong> pour le piano, on<strong>de</strong>s radio pour<br />
la guitare), ces <strong>de</strong>ux symbo<strong>les</strong> <strong>de</strong> l’évolution technologique (l’ère <strong>de</strong> la<br />
mécanique pour l’un, celle <strong>de</strong> l’électricité pour l’autre) et donc <strong>de</strong> la mutation<br />
<strong>de</strong> la société <strong>de</strong>viennent tantôt œuvres d’art, parfois accessoires et<br />
décors, lorsqu’ils ne sont pas utilisés par <strong>de</strong>s instrumentistes musiciens.<br />
On pourrait croire, à la lecture <strong>de</strong>s lignes précé<strong>de</strong>ntes, que je témoigne<br />
<strong>de</strong> mon indignation face aux détournements <strong>de</strong>s fonctions sacrées !<br />
Rassurez-<strong>vous</strong>, je suis le premier à considérer qu’il convient <strong>de</strong> traquer<br />
dans <strong>les</strong> entrail<strong>les</strong> <strong>de</strong> toute machine <strong>les</strong> ressources absentes <strong>de</strong> la notice<br />
d’utilisation. (…) Des musiciens conscients du poids <strong>de</strong> l’histoire<br />
peuvent relever un défi magnifique : celui <strong>de</strong> rendre la mécanique électrique,<br />
et la musique au son. C’est ce qui est en cours avec le travail <strong>de</strong><br />
Sophie Agnel et Olivier Benoit. Je me permets d’affirmer, ayant écouté<br />
quelques dizaines <strong>de</strong> minutes enregistrées lors <strong>de</strong> leurs séances <strong>de</strong> travail<br />
(…), qu’ils accè<strong>de</strong>nt à ce niveau <strong>de</strong> complicité rare qui repose sur la<br />
volonté commune <strong>de</strong> ne pas se contenter d’un bon moment ou d’une<br />
musique (phénomène) agréable. Il se passe alors ce que j’attends <strong>de</strong> la<br />
musique (dite) improvisée : une conscience simultanée à l’acte <strong>de</strong> production<br />
sonore <strong>de</strong> la position passive <strong>de</strong> l’auditeur qui lui, écoute et qui<br />
soudain se plaît à être surpris, étonné, donc. (…)<br />
Il est en général plutôt indécent <strong>de</strong> décrire la musique ; celle qui n’existe<br />
que lorsqu’elle se révèle poésie. J’ai envie d’écrire qu’il serait plus sérieux<br />
et utile <strong>de</strong> donner le temps à une expérience forte <strong>de</strong> vivre. D’ailleurs<br />
je l’ai écrit. Pour vérifier que ce que je signifie entre ces lignes est bien<br />
là, je retourne la page et réécoute l’enregistrement <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux musiciens<br />
qui n’étaient pas nés lorsque <strong>les</strong> Yardbirds sortirent leur premier<br />
45 tours, mais cette <strong>de</strong>rnière information doit être considérée comme<br />
secondaire. »<br />
Par Dominique RÉPÉCAUD<br />
Musicien, improvisateur (guitariste), Directeur du Centre Culturel<br />
André Malraux <strong>de</strong> Vandoeuvre-<strong>les</strong>-Nancy et organisateur du festival Musique Action<br />
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A<br />
g e n d a<br />
Retrouvez le détail <strong>de</strong>s manifestations sur notre site : www.univ-lille1.fr/<strong>culture</strong> ou dans « l’in_edit » en pages centra<strong>les</strong>.<br />
L’ ensemble <strong>de</strong>s manifestations se déroulera à l’<strong>Espace</strong> Culture <strong>de</strong> l’USTL.<br />
*Pour ces spectac<strong>les</strong>, le nombre <strong>de</strong> places étant limité, il est nécessaire <strong>de</strong> retirer préalablement vos entrées libres à l’<strong>Espace</strong> Culture (disponib<strong>les</strong> un mois avant <strong>les</strong> manifestations).<br />
janvier février mars 04<br />
6, 13, 15, 20, 27 janvier 14h30 Conférences <strong>de</strong> l’UTL<br />
Mercredi 7 janvier 18h30 Question <strong>de</strong> sens : « Quel<strong>les</strong> sont <strong>les</strong> valeurs <strong>de</strong> la laïcité ? »<br />
« Regard d’une scientifique chrétienne sur la laïcité »<br />
avec Lucienne Gouguenheim<br />
Du 8 au 28 janvier<br />
Exposition « War against terror » par Hervé Schuwey<br />
Vernissage le 8 janvier à 18h30<br />
Samedi 10 janvier 14h Conférence par Amnesty International<br />
« La Cour Pénale Internationale, un progrès contre l’impunité ? »<br />
Mardi 13 janvier 18h30 <strong>Ren<strong>de</strong>z</strong>-<strong>vous</strong> d’Archimè<strong>de</strong> : Cycle « Les émotions »<br />
« Émotions et média » avec Michel Maffesoli et Serge Tisseron<br />
Mardi 20 janvier 18h30 <strong>Ren<strong>de</strong>z</strong>-<strong>vous</strong> d’Archimè<strong>de</strong> : « Dimension spirituelle <strong>de</strong> l’émotion »<br />
avec Catherine Chalier<br />
Jeudi 22 janvier 18h30<br />
Salon étrange(r) : gastronomie<br />
Mardi 27 janvier 18h30 <strong>Ren<strong>de</strong>z</strong>-<strong>vous</strong> d’Archimè<strong>de</strong> : « Traitement <strong>de</strong>s émotions en politique »<br />
avec Philippe Braud<br />
Mercredi 28 janvier 19h Concert Sophie Agnel (piano) – Olivier Benoit (guitare)<br />
dans le cadre du festival n° 4 du CRIME *<br />
3, 10 février 14h30, 10h Conférences <strong>de</strong> l’UTL<br />
Mardi 3 février 18h30 Cycle « Culture et ville »<br />
« La <strong>culture</strong> comme élément fondateur <strong>de</strong> la ville »<br />
Mercredi 4 février 18h30 Question <strong>de</strong> sens : « Peut-on parler d’une spiritualité laïque ? »<br />
avec Michel Morineau<br />
Mardi 10 février 18h30 <strong>Ren<strong>de</strong>z</strong>-<strong>vous</strong> d’Archimè<strong>de</strong> : « Le corps et le social »<br />
avec David Le Breton et Pascale Molinier<br />
Jeudi 12 février 15h et 19h Théâtre « Petite forme » par le Théâtre <strong>de</strong> la Fiancée *<br />
Vendredi 13 février 19h Théâtre « Attends-moi ! » par la Cie Acetylcholine *<br />
Mardi 17 février 18h30 <strong>Ren<strong>de</strong>z</strong>-<strong>vous</strong> d’Archimè<strong>de</strong> : « Émotions et psychanalyse »<br />
avec Bernard Forthomme et Pierre-Henri Castel<br />
Jeudi 19 février 18h30 Salon étrange(r) : vidéomaton<br />
9, 16 mars 10h, 14h30 Conférences <strong>de</strong> l’UTL<br />
Mardi 9 mars 18h30 « Réseaux et savoirs : stratégies territoria<strong>les</strong> pour la <strong>culture</strong> »<br />
Du 10 mars au 1 avril<br />
Exposition « L’art <strong>de</strong> la mesure » par l’ASA<br />
Vernissage le 10 mars à 18h30<br />
Lundi 15 mars 19h Concert : Fred Van Hove en partenariat avec le CRIME *<br />
Mardi 16 mars 18h30 <strong>Ren<strong>de</strong>z</strong>-<strong>vous</strong> d’Archimè<strong>de</strong> : Cycle « La mesure »<br />
« L’homme est la mesure <strong>de</strong> toutes choses » avec Barbara Cassin<br />
Mercredi 17 mars 18h30 Question <strong>de</strong> sens : « La laïcité dans un contexte <strong>de</strong> mondialisation »<br />
avec Jean Baubérot<br />
Jeudi 18 mars 18h30 Salon étrange(r) : <strong>de</strong>s mots<br />
Mardi 23 mars 18h30<br />
<strong>Ren<strong>de</strong>z</strong>-<strong>vous</strong> d’Archimè<strong>de</strong> : « Pratique et théorie <strong>de</strong> la mesure<br />
dans la tradition scientifique arabe » avec Ahmed Djebbar<br />
Mercredi 24 mars 18h30 Café court « Le tunnel <strong>de</strong> Samos »<br />
Mardi 30 mars 18h30 <strong>Ren<strong>de</strong>z</strong>-<strong>vous</strong> d’Archimè<strong>de</strong> : « La mesure en mécanique quantique :<br />
un nouveau concept ? » avec Roger Balian<br />
31 mars – 1 et 2 avril Séminaire national « Regard sur le patrimoine <strong>culture</strong>l <strong>de</strong>s universités »<br />
<strong>Espace</strong> Culture - Cité Scientifique 59655 Villeneuve d’Ascq<br />
Accueil : du lundi au jeudi <strong>de</strong> 10h à 18h30<br />
et le vendredi <strong>de</strong> 10h à 12h30<br />
Café et sal<strong>les</strong> d’expositions : du lundi au jeudi <strong>de</strong> 12h à 18h30<br />
et le vendredi <strong>de</strong> 10h à 14h<br />
Tél : 03 20 43 69 09 - Fax : 03 20 43 69 59<br />
www.univ-lille1.fr/<strong>culture</strong><br />
Mail : ustl-cult@univ-lille1.fr