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Rendez-vous d'Archimède _cycle les émotions - Espace culture de l ...

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l e s<br />

d<br />

n o u v e l l e s<br />

J A N<br />

’ A r c h i m è d e<br />

F É V<br />

MAR<br />

le journal <strong>culture</strong>l <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong>s Sciences & Technologies <strong>de</strong> Lille<br />

# 3 5<br />

Dossier <strong>Espace</strong> Culture<br />

<strong>Ren<strong>de</strong>z</strong>-<strong>vous</strong> d’Archimè<strong>de</strong><br />

Cycle Les Emotions<br />

Cycle La Mesure<br />

Réflexion-débat<br />

Culture et ville<br />

Expositions<br />

War against Terror<br />

L’art <strong>de</strong> la mesure<br />

Concert<br />

Sophie Agnel/Olivier Benoit<br />

2004<br />

La vérité est sans partage.<br />

Elle est, à l’origine, déjà partagée.<br />

Reste à légitimer le partage.<br />

Edmond Jabès, Les <strong>de</strong>ux livres, suivi <strong>de</strong> Aigle et chouette ; Fata Morgana,1995


LNA#35 / édito<br />

Les travaux achevés, le chantier continue<br />

Nabil EL-HAGGAR<br />

Vice-Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> l’USTL, chargé <strong>de</strong> la Culture<br />

L’équipe<br />

Nabil El-HAGGAR<br />

vice-prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> l’USTL,<br />

chargé <strong>de</strong> la Culture<br />

Christiane FORTASSIN<br />

directrice <strong>Espace</strong> Culture<br />

Marie-Christine GROSLIERE<br />

chargée <strong>de</strong> mission<br />

Delphine POIRETTE<br />

chargée <strong>de</strong> communication<br />

Edith DELBARGE<br />

chargée <strong>de</strong>s éditions et communication<br />

Julien LAPASSET<br />

concepteur graphique et multimédia<br />

Mourad SEBBAT<br />

chargé <strong>de</strong>s relations jeunesse/étudiants<br />

Corinne JOUANNIC<br />

responsable administrative<br />

Johanne WAQUET<br />

secrétaire <strong>de</strong> direction<br />

Michèle DUTHILLIEUX<br />

relations logistique/organisation<br />

Maryse LOOF<br />

assistante administrative<br />

Emmanuel MUTIMURA<br />

assistant aux éditions<br />

Jacques SIGNABOU<br />

régisseur<br />

Stéphane LHERMITTE<br />

Nadia RAMDANE<br />

café <strong>culture</strong>l<br />

Lamia GHRAIRI<br />

Monique LAGODA<br />

secrétariat-accueil<br />

Sandra GUINAND<br />

stagiaire<br />

Rêvé et désiré, puis imaginé et conceptualisé, l’<strong>Espace</strong> Culture est aujourd’hui<br />

construit et ouvert. Malgré l’imperfection, le public s’approprie ce lieu, que nous<br />

voulions différent, et une part <strong>de</strong> cette i<strong>de</strong>ntité en construction.<br />

Dix ans d’aventure exigeante autant que passionnante. Enseignants, chercheurs,<br />

artistes, associations ont participé, ici et là, à la conception du projet, croisé leur<br />

connaissance et leur savoir, fait preuve d’imagination au service <strong>de</strong> la confrontation et<br />

<strong>de</strong> l’expérimentation.<br />

Pendant ce temps, face à la pertinence et au rapi<strong>de</strong> développement <strong>de</strong> l’activité <strong>culture</strong>lle<br />

; nos partenaires, État et collectivités, ont soutenu l’idée <strong>de</strong> la construction d’un<br />

lieu, capable <strong>de</strong> répondre aux perspectives <strong>de</strong> notre politique <strong>culture</strong>lle.<br />

Entre passions et complications institutionnel<strong>les</strong>…<br />

Nous venions tous ensemble <strong>de</strong> commencer une aventure, que l’on n’imaginait pas si<br />

longue. Nous ne savions pas non plus que cette entreprise allait, d’une part, cristalliser,<br />

au sein <strong>de</strong> l’université, la diversité <strong>de</strong>s regards <strong>de</strong>s uns et <strong>de</strong>s autres sur la <strong>culture</strong><br />

et, d’autre part, mettre en évi<strong>de</strong>nce <strong>les</strong> difficultés institutionnel<strong>les</strong> à subventionner ce<br />

projet métis et difficilement classable.<br />

Tout se complique !<br />

Au sein <strong>de</strong> l’université, la construction d’un tel bâtiment aurait pu passer inaperçue<br />

s’il s’était agi <strong>de</strong> locaux d’enseignements ou <strong>de</strong> recherches. Selon ses détracteurs, il y<br />

avait mille raisons pour l’empêcher <strong>de</strong> voir le jour ; la première d’entre-el<strong>les</strong> : « cette<br />

construction ne correspond pas à <strong>de</strong>s locaux <strong>de</strong> première nécessité ». L’implacable<br />

argument mettait en évi<strong>de</strong>nce la confrontation entre <strong>de</strong>ux visions <strong>de</strong> la <strong>culture</strong> et <strong>de</strong><br />

sa valeur matérielle et symbolique.<br />

À l’externe, il fallait convaincre. Il ne s’agissait pas d’un équipement <strong>culture</strong>l prestigieux<br />

en centre ville dont <strong>les</strong> tenants et <strong>les</strong> aboutissants se règlent à coup d’équilibrage<br />

politique. Seule l’intelligence <strong>de</strong> nos nombreux partenaires a permis <strong>de</strong> rendre possible<br />

la construction <strong>de</strong> l’<strong>Espace</strong> Culture.<br />

Dans ce numéro, nous avons souhaité que <strong>de</strong>s amis, chercheurs, étudiants, artistes,<br />

partenaires nous proposent leur vision <strong>de</strong> l’<strong>Espace</strong> Culture. Jean Caune apporte une<br />

réflexion générale sur l’université composante <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité du territoire, laquelle « ne<br />

se fera pas sans une forte dimension imaginaire et symbolique qui peut être illustrée<br />

par <strong>les</strong> pratiques <strong>culture</strong>l<strong>les</strong> <strong>de</strong>s étudiants ». Alain Cambier abor<strong>de</strong> l’hétérotopie <strong>de</strong><br />

l’<strong>Espace</strong> Culture : « au-<strong>de</strong>là du savoir qui y est transmis, ce lieu critique ouvre celle-ci à<br />

la question du sens <strong>de</strong> l’existence ». Pour Olivier Benoit, il est « un terrain <strong>de</strong> rencontre<br />

entre artistes dit « confirmés » et gens curieux, désireux. C’est un outil quasi-inespéré<br />

». Eric Le Moal rappelle la philosophie qui a poussé <strong>les</strong> partenaires à soutenir sa<br />

construction qui doit servir le projet <strong>culture</strong>l et « permettre à l’équipe <strong>de</strong> l’USTL et au<br />

public actif qui l’accompagne <strong>de</strong> continuer à nous gratouiller là où ça chatouille ». On<br />

lira aussi dans ce dossier <strong>les</strong> textes <strong>de</strong> Jean-Marie Breuvart, Christian Ruby, Hervé<br />

Royer, Sandra Guinand et Maxime Pauwels.<br />

Encore et toujours, il nous incombe <strong>de</strong> ne pas décevoir. Notre projet ne doit jamais<br />

oublier que la <strong>culture</strong> interroge l’Être et le met face à son envers, le néant.<br />

Bonne année 2004 !<br />

2


sommaire / LNA#35<br />

Photographie : Philippe Timmerman, « Peut-être que rien n’existe qu’un immense tourbillon »<br />

Tout est dans « l’in_edit » !<br />

Retrouvez désormais, en pages centra<strong>les</strong><br />

<strong>de</strong>s Nouvel<strong>les</strong> d’Archimè<strong>de</strong> et<br />

en diffusion libre au café <strong>culture</strong>l,<br />

la programmation trimestrielle <strong>de</strong><br />

l’<strong>Espace</strong> Culture.<br />

L’in_edit dit l’essentiel, pour en<br />

savoir plus :<br />

www.univ-lille1.fr/<strong>culture</strong><br />

> à lire pages 17 à 20 :<br />

Dossier <strong>Espace</strong> Culture<br />

<strong>Ren<strong>de</strong>z</strong>-<strong>vous</strong> d’Archimè<strong>de</strong> : <strong>les</strong> émotions<br />

4-5. La construction sociale <strong>de</strong> l’émotion par David Le Breton<br />

6. L’émotion par Bernard Forthomme<br />

7. Emotions, sentiments et affects : un point philosophique,<br />

puis psychanalytique par Pierre-Henri Castel<br />

Rubriques<br />

8-9. Paradoxes par Jean-Paul Delahaye<br />

10-11. Repenser la politique par Alain Cambier<br />

12-13. Jeux littéraires par Robert Rapilly<br />

14-15. Humeurs par Jean-François Rey<br />

16. A lire par Rudolf Bkouche<br />

21. Vivre <strong>les</strong> sciences, vivre le droit par Jean-Marie Breuvart<br />

22-23. Mémoires <strong>de</strong> science par Fabien Chareix<br />

24-25. L’art et la manière par Michèle Dard et Isabelle Kustosz<br />

Dossier<br />

17-20. <strong>Espace</strong> Culture<br />

Libres Propos<br />

26. La fécondité <strong>de</strong>s erreurs par Bernard Pourprix<br />

27. Vénus <strong>de</strong>vant le Soleil par Arkan Simaan<br />

A noter<br />

28. Réflexion-Débat : <strong>cycle</strong> Culture et ville<br />

29. Réflexion-Débat : <strong>Ren<strong>de</strong>z</strong>-<strong>vous</strong> d’Archimè<strong>de</strong>, <strong>cycle</strong> « Les émotions »<br />

30-31. Exposition : War against Terror<br />

32-33. Réflexion-Débat : <strong>Ren<strong>de</strong>z</strong>-<strong>vous</strong> d’Archimè<strong>de</strong>, <strong>cycle</strong> « La mesure »<br />

34. Exposition scientifique : L’art <strong>de</strong> la mesure<br />

35. Concert : Sophie Agnel - Olivier Benoit<br />

Photographie <strong>de</strong> couverture :<br />

Philippe Timmerman<br />

LES NOUVELLES D’ARCHIMÈDE<br />

Directeur <strong>de</strong> la publication : Hervé BAUSSART<br />

Directeur <strong>de</strong> la rédaction : Nabil El-HAGGAR<br />

Comité <strong>de</strong> rédaction :<br />

Pierre BEHAGUE<br />

Rudolf BKOUCHE<br />

Jean-Marie BREUVART<br />

Alain CAMBIER<br />

Fabien CHAREIX<br />

Jean-Paul DELAHAYE<br />

Ahmed DJEBBAR<br />

Nicole GADREY<br />

Robert GERGONDEY<br />

Isabelle KUSTOSZ<br />

Catherine LEFRANÇOIS<br />

Bernard MAITTE<br />

Anne-Marie MARMIER<br />

Robert RAPILLY<br />

Jean-François REY<br />

Rédaction - Réalisation : Christiane FORTASSIN<br />

Delphine POIRETTE<br />

Edith DELBARGE<br />

Julien LAPASSET<br />

Impression :<br />

Dumoulin imprimeur<br />

ISSN : 1254 - 9185<br />

3


LNA#35 / <strong>cycle</strong> <strong>les</strong> émotions<br />

> version intégrale <strong>de</strong> l’article : www.univ-lille1.fr/<strong>culture</strong><br />

La construction sociale <strong>de</strong> l’émotion<br />

Par David LE BRETON 1<br />

Professeur <strong>de</strong> sociologie<br />

à l’Université Marc Bloch <strong>de</strong> Strasbourg<br />

1<br />

Auteur notamment <strong>de</strong><br />

Les passions ordinaires.<br />

Anthropologie <strong>de</strong>s émotions<br />

(Armand Colin), Eloge<br />

<strong>de</strong> la marche (Métailié),<br />

Signes d’i<strong>de</strong>ntité. Tatouage,<br />

piercing et autres traces corporel<strong>les</strong><br />

(Métailié), La peau<br />

et la trace. Sur <strong>les</strong> b<strong>les</strong>sures<br />

<strong>de</strong> soi (Métailié).<br />

2<br />

Jean Piaget, Les relations<br />

entre l’intelligence et l’affectivité<br />

dans le développement<br />

<strong>de</strong> l’enfant, in B. Rimé<br />

et K. Scherer (eds), Les<br />

émotions, Neuchâtel,<br />

Delachaux-Niestlé, 1988,<br />

p 75 sq.<br />

3<br />

Aristote, Rhétorique,<br />

Paris, Livre <strong>de</strong> poche,<br />

1991, 183.<br />

L<br />

’homme est relié au mon<strong>de</strong> par un permanent tissu d’émotions et <strong>de</strong> sentiments. Il est en permanence<br />

affecté, touché par <strong>les</strong> événements. L’affectivité mobilise <strong>de</strong>s modifications viscéra<strong>les</strong> et musculaires, elle<br />

filtre la tonalité du rapport au mon<strong>de</strong>. Elle incarne, pour le sens commun, un refuge <strong>de</strong> l’individualité, un<br />

jardin secret où s’affirmerait une intériorité née d’une spontanéité sans défaut. Pourtant, si elle s’offre sous<br />

<strong>les</strong> couleurs <strong>de</strong> la sincérité et <strong>de</strong> la particularité individuelle, l’affectivité est toujours l’émanation d’un milieu<br />

humain donné et d’un univers social <strong>de</strong> sens et <strong>de</strong> valeurs. Si son infinie diversité appartient bien entendu au<br />

patrimoine <strong>de</strong> l’espèce, son actualisation dans un ressenti et une économie subtile <strong>de</strong> mimiques, <strong>de</strong> gestes,<br />

<strong>de</strong> postures, une succession <strong>de</strong> séquences, une durée ne se conçoit pas hors <strong>de</strong> l’apprentissage, hors du façonnement<br />

<strong>de</strong> la sensibilité que suscite le rapport aux autres au sein d’une <strong>culture</strong> dans un contexte particulier.<br />

L’émotion n’a pas <strong>de</strong> réalité en soi, ne puise pas dans une physiologie indifférente aux circonstances <strong>culture</strong>l<strong>les</strong><br />

ou socia<strong>les</strong>. Elle s’inscrit plutôt à la première personne au sein d’un tissu <strong>de</strong> significations et d’attitu<strong>de</strong>s<br />

qui imprègne simultanément <strong>les</strong> manières <strong>de</strong> la dire et <strong>de</strong> la mettre physiquement en jeu. Elle est donc une<br />

émanation sociale rattachée à <strong>de</strong>s circonstances mora<strong>les</strong> et à la sensibilité particulière <strong>de</strong> l’individu. Elle n’est<br />

pas spontanée, mais rituellement organisée, reconnue en soi et signifiée aux autres, mobilise un vocabulaire,<br />

<strong>de</strong>s discours. Elle relève <strong>de</strong> la communication sociale. L’individu ajoute sa note particulière et bro<strong>de</strong> sur un<br />

motif collectif susceptible d’être reconnu par ses pairs, selon son histoire personnelle, sa psychologie, son<br />

statut social, son sexe, son âge, etc. L’affectivité est l’inci<strong>de</strong>nce d’une valeur personnelle confrontée à la réalité<br />

du mon<strong>de</strong>.<br />

Le détour anthropologique force à se percevoir soi sous l’angle <strong>de</strong> la relativité sociale et <strong>culture</strong>lle même pour<br />

<strong>de</strong>s valeurs qui paraissent intimes et essentiel<strong>les</strong>. Il rappelle le caractère socialement construit <strong>de</strong>s états affectifs<br />

même <strong>les</strong> plus brûlants et <strong>de</strong> leurs manifestations sur un fond biologique qui n’est jamais une fin mais<br />

toujours la matière première sur laquelle bro<strong>de</strong>nt inlassablement <strong>les</strong> sociétés.<br />

La vie affective s’impose en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> toute intention. Elle est une pensée en mouvement que n’épuise pas le<br />

cogito. Des processus inconscients entrent également dans son émergence. Elle autorise parfois un contrôle<br />

pour un ajustement plus favorable aux circonstances. Les émotions ne sont pas <strong>de</strong>s turbulences mora<strong>les</strong> percutant<br />

<strong>de</strong>s conduites raisonnab<strong>les</strong>, el<strong>les</strong> suivent <strong>de</strong>s logiques personnel<strong>les</strong> et socia<strong>les</strong>, el<strong>les</strong> ont leur raison. Un<br />

homme qui pense est un homme affecté, renouant le fil <strong>de</strong> sa mémoire, imprégné d’un certain regard sur<br />

le mon<strong>de</strong> et sur <strong>les</strong> autres. Des mouvements affectifs qui paraissent en rupture avec <strong>les</strong> manières habituel<strong>les</strong><br />

d’un sujet, ou qui le poussent à agir sur un mo<strong>de</strong> qui lui est nuisible, renvoient pour le psychanalyste à <strong>de</strong>s<br />

logiques <strong>de</strong> l’inconscient enracinées à <strong>de</strong>s types <strong>de</strong> relations nouées dans l’enfance et dont la signification<br />

peut être retrouvée au cours <strong>de</strong> l’anamnèse. Piaget a mis en évi<strong>de</strong>nce qu’il n’y a pas <strong>de</strong> processus cognitif<br />

sans mise en jeu affective et inversement 2 .<br />

L’individu interprète <strong>les</strong> situations à travers son système <strong>de</strong> connaissance et <strong>de</strong> valeurs. L’affectivité déployée<br />

en est la conséquence. Aristote est sans doute le premier à souligner la part active <strong>de</strong> l’individu dans <strong>les</strong><br />

émotions qui le traversent. « On doit, en ce qui concerne chaque passion, distinguer trois points <strong>de</strong> vue,<br />

écrit-il. Ainsi, par exemple, au sujet <strong>de</strong> la colère, voir dans quel état d’esprit sont <strong>les</strong> gens en colère, contre<br />

quel<strong>les</strong> personnes ils le sont d’habitu<strong>de</strong>, et pour quel motif 3 ». La signification conférée à l’événement fon<strong>de</strong><br />

l’émotion ressentie, c’est elle que <strong>les</strong> propositions naturalistes échouent à appréhen<strong>de</strong>r du fait <strong>de</strong>s limites<br />

<strong>de</strong> leur cadre <strong>de</strong> pensée au risque d’élaguer la spécificité humaine qui tient justement dans la dimension<br />

symbolique. Dans la terreur qui se saisit d’une foule, dans la haine raciste ou dans <strong>les</strong> manifestations <strong>de</strong> la<br />

fureur individuelle ou collective, nul triomphe <strong>de</strong> l’« irrationalité » ou <strong>de</strong> la « nature », mais la mise en jeu<br />

d’un raisonnement, d’une logique mentale, d’une ambiance sociale. On n’est pas ému par le déclenchement<br />

inopiné d’un processus biologique, mais face à une implication particulière dans une situation donnée qui<br />

mobilise alors un état physiologique reconnaissable.<br />

À l’intérieur d’une même communauté sociale, <strong>les</strong> manifestations corporel<strong>les</strong> et affectives d’un acteur sont<br />

4


<strong>cycle</strong> <strong>les</strong> émotions / LNA#35<br />

virtuellement signifiantes aux yeux <strong>de</strong> ses partenaires, el<strong>les</strong> se renvoient <strong>les</strong> unes aux autres à travers un jeu<br />

<strong>de</strong> miroir infini. Son expérience contient en germe celle <strong>de</strong>s membres <strong>de</strong> sa société. Pour qu’une émotion<br />

soit ressentie, perçue et exprimée par l’individu, elle doit appartenir sous une forme ou sous une autre au<br />

répertoire <strong>culture</strong>l <strong>de</strong> son groupe. Un savoir affectif diffus circule au sein <strong>de</strong>s relations socia<strong>les</strong> et enseigne<br />

aux acteurs, selon leur sensibilité personnelle, <strong>les</strong> impressions et <strong>les</strong> attitu<strong>de</strong>s qui s’imposent à travers <strong>les</strong><br />

différentes circonstances <strong>de</strong> leur existence singulière. Les émotions sont <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s d’affiliation à une communauté<br />

sociale, une manière <strong>de</strong> se reconnaître et <strong>de</strong> pouvoir communiquer ensemble sur le fond affectif<br />

proche. « Il y a <strong>de</strong>s gens qui n’auraient jamais été amoureux s’ils n’avaient jamais entendu parler <strong>de</strong> l’amour »<br />

dit finement La Rochefoucault.<br />

Mauss montre comment <strong>les</strong> sociétés induisent une « expression obligatoire <strong>de</strong>s sentiments » qui imprègne<br />

l’individu à son insu et le rend conforme aux attentes et à la compréhension <strong>de</strong> son groupe. Il dégage la<br />

rigoureuse progression sociale d’un rite funéraire australien dont l’affectivité est régie par <strong>de</strong>s règ<strong>les</strong> que <strong>les</strong><br />

acteurs ne cessent <strong>de</strong> rejouer en se conformant aux usages. La vive douleur exprimée par <strong>les</strong> cris, <strong>les</strong> lamentations,<br />

<strong>les</strong> chants, <strong>les</strong> pleurs n’en est pas moins sincère. Les manifestations du chagrin diffèrent selon la<br />

position <strong>de</strong>s acteurs dans le système <strong>de</strong> parenté, el<strong>les</strong> ne sont pas univoques, une dose licite <strong>de</strong> souffrance est<br />

<strong>de</strong> mise selon la proximité avec le défunt, selon que l’en<strong>de</strong>uillé est un homme ou une femme. La conclusion<br />

<strong>de</strong> Mauss a une valeur programmatique : « Toutes ces expressions collectives, simultanées, à valeur morale<br />

et à force obligatoire <strong>de</strong>s sentiments <strong>de</strong> l’individu et du groupe, ce sont plus que <strong>de</strong> simp<strong>les</strong> manifestations,<br />

ce sont <strong>de</strong>s signes <strong>de</strong>s expressions comprises, bref, un langage. Ces cris, ce sont comme <strong>de</strong>s phrases et <strong>de</strong>s<br />

mots. Il faut dire, mais s’il faut <strong>les</strong> dire c’est parce que tout le groupe <strong>les</strong> comprend. On fait donc plus que <strong>de</strong><br />

manifester ses sentiments, on <strong>les</strong> manifeste aux autres puisqu’il faut <strong>les</strong> leur manifester. On se <strong>les</strong> manifeste<br />

à soi en <strong>les</strong> exprimant aux autres et pour le compte <strong>de</strong>s autres. C’est essentiellement une symbolique 4 ».<br />

Les émotions qui nous traversent, et la manière dont el<strong>les</strong> retentissent en nous, s’alimentent dans <strong>de</strong>s orientations<br />

<strong>de</strong> comportements que chacun exprime selon son style, selon son appropriation personnelle <strong>de</strong><br />

la <strong>culture</strong> qui le baigne. El<strong>les</strong> sont donc i<strong>de</strong>ntifiab<strong>les</strong> au sein d’un même groupe puisqu’el<strong>les</strong> relèvent d’une<br />

symbolique sociale. Leur émergence est liée à l’interprétation propre que donne l’individu d’un événement<br />

qui l’affecte moralement et modifie ainsi <strong>de</strong> façon provisoire ou durable son rapport au mon<strong>de</strong>. El<strong>les</strong> traduisent<br />

sur un mo<strong>de</strong> significatif aux yeux <strong>de</strong>s autres la résonance affective <strong>de</strong> l’événement. El<strong>les</strong> ne sont pas une<br />

émanation singulière <strong>de</strong> l’individu, mais la conséquence intime, à la première personne, d’un apprentissage<br />

social et d’une i<strong>de</strong>ntification aux autres qui nourrissent sa sociabilité et lui signalent ce qu’il doit ressentir,<br />

et <strong>de</strong> quelle manière, dans ces conditions précises. Le déclenchement <strong>de</strong>s émotions est nécessairement une<br />

donnée <strong>culture</strong>lle tramée au coeur du lien social. D’une certaine manière, l’émotion est soufflée par le groupe<br />

qui attache une importance particulière à l’événement. Son émergence, son intensité, sa durée, ses modalités<br />

<strong>de</strong> mise en jeu, son <strong>de</strong>gré d’inci<strong>de</strong>nce sur <strong>les</strong> autres, répon<strong>de</strong>nt à <strong>de</strong>s incitations collectives susceptib<strong>les</strong> <strong>de</strong><br />

varier selon <strong>les</strong> différents publics et la personnalité <strong>de</strong>s acteurs sollicités. L’émotion est la définition sensible <strong>de</strong><br />

l’événement tel que le vit l’individu, la traduction immédiate et intime d’une valeur confrontée au mon<strong>de</strong>.<br />

Rappelons pour conclure que <strong>les</strong> émotions se donnent à comprendre aux autres à travers une symbolique<br />

corporelle. Tout individu est donc susceptible <strong>de</strong> jouer avec son ressenti pour faire accroître aux autres <strong>de</strong>s<br />

émotions qu’il ne ressent pas, mais qu’il sait mettre en scène. Il est aisé ainsi <strong>de</strong> manipuler ses propres sentiments<br />

pour manipuler ceux <strong>de</strong>s autres. Le jeu sur la scène est pensable parce que la comédie est d’abord<br />

sur la scène sociale. Dans la condition humaine, l’émotion ne relève pas d’une nature mais d’une <strong>culture</strong>. Le<br />

comédien l’illustre à merveille. Il instruit aux yeux du public une croyance à son rôle grâce au travail d’élaboration,<br />

d’interprétation (dans tous <strong>les</strong> sens du terme) qu’il en donne. Mais la transformation n’est possible que<br />

parce que <strong>les</strong> passions ne sont pas érigées en nature, mais sont le fait d’une construction sociale et <strong>culture</strong>lle<br />

et qu’el<strong>les</strong> s’expriment dans un jeu <strong>de</strong> signes que l’homme a toujours la possibilité <strong>de</strong> déployer, même s’il ne<br />

<strong>les</strong> ressent pas 5 .<br />

4<br />

Marcel Mauss,<br />

L’expression obligatoire<br />

<strong>de</strong>s sentiments, Essais <strong>de</strong><br />

sociologie, Paris, Minuit,<br />

1968, p 88.<br />

5<br />

Pour un approfondissement<br />

<strong>de</strong>s points abordés<br />

ici nous renvoyons à David<br />

Le Breton, Les passions ordinaires.<br />

Anthropologie <strong>de</strong>s<br />

émotions, Paris, Armand<br />

Colin, 1998.<br />

5


LNA#35 / <strong>cycle</strong> <strong>les</strong> émotions<br />

L’émotion<br />

Par Bernard FORTHOMME<br />

Docteur en Philosophie et Lettres<br />

Membre <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong>s Franciscains<br />

Une larme à l’œil n’est pas simplement la cause <strong>de</strong> mon<br />

émotion. Toutefois, une manifestation poétique et ma<br />

conscience aiguë <strong>de</strong> la métaphore ne sont pas non plus cette<br />

cause supérieure dont la larme ne serait que le misérable effet<br />

naturel, cette lune dérisoire dans l’orbite <strong>de</strong> mon regard, cet<br />

œil <strong>de</strong> feu décrit par un ami astronome.<br />

Certes, la réduction <strong>de</strong> l’émotion à un acci<strong>de</strong>nt physiologique,<br />

au corps entendu comme ce pur foyer causal, est une bévue<br />

considérable. Mais réinsérer le rapport délicat entre la larme à<br />

l’œil et l’émotion, dans son contexte social et dans son champ<br />

naturel, ne rend pas automatiquement justice au jaillissement<br />

<strong>de</strong> l’émotion.<br />

Sans doute le corps ému, la larme à l’œil qui le trahit et le<br />

traduit, n’est jamais simplement cause <strong>de</strong> l’émotion vécue et<br />

reconnue. Il y a toujours une forme d’interprétation spontanée<br />

<strong>de</strong> l’événement physiologique, dès lors qu’il se manifeste à soi,<br />

s’exprime comme expérience vive et, surtout, s’il se verbalise !<br />

Mais en vérité l’émotion se manifeste comme la production<br />

d’un corps différent dont le sujet ne s’est pas encore séparé,<br />

<strong>de</strong>meuré tout proche <strong>de</strong> l’impression originaire. Je connais<br />

d’abord l’être dans une simplicité confuse, sa voix unique,<br />

avant <strong>de</strong> pouvoir reconnaître la singularité pure au sein <strong>de</strong><br />

l’existence et du vivant.<br />

L’émotion s’éprouve à la fois comme production d’une épreuve<br />

originaire et comme une forme d’interprétation <strong>de</strong> la réalité<br />

environnante, d’un réseau <strong>de</strong> relations et d’attachement à l’être<br />

singulier. Bref, l’émotion n’est pas seulement liée à la physiologie<br />

ou au registre <strong>de</strong> l’affect ou du subjectif, <strong>de</strong> l’intime. Elle<br />

est également une forme <strong>de</strong> connaissance et même un jugement<br />

enrôlant un mot expressif. Sans doute ne s’agit-il pas là<br />

<strong>de</strong> la raison intellectuelle, d’une activité consciente <strong>de</strong> l’esprit<br />

ou <strong>de</strong> la raison volontaire. Mais l’émotion témoigne plus que<br />

d’un simple inconscient. Elle atteste au contraire <strong>de</strong> la vigilance<br />

incorporée <strong>de</strong> l’esprit, comme expérience première où<br />

la dialectique <strong>de</strong> l’environnement, d’autrui, <strong>de</strong> mon corps et<br />

<strong>de</strong> ma conscience n’est pas encore mise à jour ; expérience que<br />

cette dialectique présuppose comme un contentieux dérivé.<br />

L’émotion ainsi perçue offre une base expérimentale d’une<br />

relation et d’un attachement où la question <strong>de</strong> la nature et<br />

<strong>de</strong> ce qui l’excè<strong>de</strong>, <strong>de</strong> l’affectif et <strong>de</strong> l’effectivité morale, du<br />

sentiment et <strong>de</strong> la volonté, <strong>de</strong> l’immanence et <strong>de</strong> la relation<br />

transfinie, n’est pas encore d’actualité. Autrement dit, l’émotion<br />

se joue à un niveau d’articulation <strong>de</strong> soi, d’autrui, d’une<br />

décence sociale, du corps et <strong>de</strong> la nature, <strong>de</strong> la nature et <strong>de</strong><br />

la relation excé<strong>de</strong>ntaire, qui reste indiscernable. Cette irrésolution<br />

n’est pas un vague sentiment. Parler ainsi serait juger<br />

l’émotion comme un simple affect, un effet passif d’une cause<br />

corporelle, naturelle ou sociale, à partir d’un sentiment différencié<br />

ou d’une logique perçue comme dégradée ou seulement<br />

inchoative. Or l’émotion est déjà un discernement autonome,<br />

une articulation originale et une expérience indépassable, en<br />

tant que telle, <strong>de</strong> la réalité complexe. Elle assure, en outre,<br />

une constante significative entre <strong>de</strong>s instances qui peuvent<br />

apparaître ultérieurement hétérogènes ou nécessairement différentiab<strong>les</strong>.<br />

Si le corps est susceptible d’une émotion, c’est aussi parce que<br />

l’émotion provoque le corps ému. Le corps est aussi un <strong>de</strong>venir<br />

propre <strong>de</strong> l’émotion. L’émotion façonne le corps, lui donne à<br />

éprouver l’articulation <strong>de</strong> la réalité la plus hétérogène, seraitce<br />

le lien mystérieux entre la nature finie et la relation infinie.<br />

L’imitation d’une émotion produit en quelque sorte un corps<br />

ému. L’imitation enrôle le corps pour produire le corps ému,<br />

mais le corps ému est également provoqué par l’imitation désirée.<br />

Ce désir d’imitation, nous le retrouvons présent dans la<br />

pratique théâtrale. Il y a volonté <strong>de</strong> mimer la passion. Mais<br />

toute répétition est sélection et toute sélection inclut une opposition<br />

à certains traits non retenus. La sélection est une élection<br />

et une diffusion qui laisse inexprimés certains éléments<br />

d’une émotion imitée.<br />

Imitation qui exerce une fonction dans le <strong>de</strong>venir autre ou la<br />

transexpressivité : l’émotion mimétique est une forme <strong>de</strong> préhension<br />

du cheval, du fou ou d’un geste féminisé. En outre, le<br />

<strong>de</strong>venir femme <strong>de</strong> la sensibilité masculine peut être l’expression<br />

émotionnelle provoquée par une autre émotion. Ainsi,<br />

pour être plus fidèle à l’impression <strong>de</strong> grâce d’une femme que<br />

l’on ne voudrait pas voir brutalement allongée sur un lit pour<br />

dormir, l’émotion poétique l’imagine posée endormie sur une<br />

branche tel un oiseau <strong>de</strong> paradis ! Je prends un air joyeux pour<br />

être moins malheureux. De même si je prends <strong>de</strong> l’alcool, c’est<br />

aussi pour induire un corps exprimant la bonne humeur ou<br />

mieux incorporer ma tristesse.<br />

Par l’émotion que j’éprouve je ne suis pas simplement effet, un<br />

être senti, mais ce qui me fait éprouver, expérimenter <strong>de</strong>s événements<br />

neufs ou différents. Je ne suis plus seulement l’effet<br />

d’un événement esthétique ni la cause transfigurante, sublimant<br />

un simple mur <strong>de</strong> briques en empreinte digitale <strong>de</strong> Dieu.<br />

J’incorpore l’édifice, je <strong>de</strong>viens une peau basanée, je <strong>de</strong>viens<br />

ocre, peau-rouge, homme terreux, en relation quinconce, et<br />

par là, assoupli comme glaise, mis en mouvement, ému, j’édifie,<br />

je me construis, je m’édifie, occasion <strong>de</strong> sauvegar<strong>de</strong> ou <strong>de</strong><br />

verticalité pour ceux que je touche.<br />

6


<strong>cycle</strong> <strong>les</strong> émotions / LNA#35<br />

> version intégrale <strong>de</strong> l’article : www.univ-lille1.fr/<strong>culture</strong><br />

Emotions, sentiments et affects :<br />

un point philosophique, puis psychanalytique<br />

Par Pierre-Henri CASTEL<br />

Chercheur au CNRS, historien<br />

et philosophe <strong>de</strong>s sciences, psychanalyste<br />

Je doute qu’on puisse parler <strong>de</strong> l’émotion en psychanalyse<br />

sainement sans une soli<strong>de</strong> préparation conceptuelle ; et<br />

qui parle <strong>de</strong> concepts ne parle justement pas <strong>de</strong>s mots <strong>de</strong> la<br />

langue. Car un concept est assurément un terme <strong>de</strong> la langue,<br />

mais il ne prend sens qu’en fonction du rôle qu’il joue dans un<br />

argument. Et un argument, voilà qui exige une mise en scène<br />

philosophique. A cet égard, peu importe, dans l’exposé que je<br />

promets ici, <strong>les</strong> affinités éventuel<strong>les</strong> entre ce que je tente d’isoler<br />

comme l’affect, ou le sentiment, ou l’émotion, et le terme<br />

technique freudien « Affekt » réduit à sa littéralité sans esprit.<br />

Je me donne plutôt pour tâche <strong>de</strong> voir quel objet psychologiquement<br />

étrange nous force ainsi à faire ces distinctions, et<br />

pourquoi : parce qu’on ne se sert pas <strong>de</strong>s mêmes mots pour<br />

signifier ou faire valoir <strong>les</strong> mêmes choses. Mais, ce n’est pas<br />

juste au philologue sourcilleux que je m’en prends ; c’est aussi<br />

à l’assurance naïve qui, bien souvent, prési<strong>de</strong> au découpage<br />

neuroscientifique <strong>de</strong>s fonctions menta<strong>les</strong>, en préalable à leur<br />

réduction. Un peu comme si l’on savait si bien i<strong>de</strong>ntifier ce<br />

qui est émotion et ce qui ne l’est pas, en palpant <strong>les</strong> contours<br />

<strong>de</strong> nos acci<strong>de</strong>nts mentaux, si j’ose dire, qu’il serait évi<strong>de</strong>nt que<br />

ce que montre l’imagerie cérébrale, ou bien <strong>les</strong> expériences<br />

neuropsychologiques, « correspond » à ce que chacun sait <strong>de</strong><br />

toute éternité relever <strong>de</strong> l’émotion, du sentiment, ou <strong>de</strong> l’affect<br />

- bien plus, <strong>les</strong> définit « objectivement ».<br />

Montrer qu’il n’en est rien serait déjà une belle tâche. Elle<br />

serait parfaitement menée si, philosophiquement, on pouvait<br />

montrer que le travail <strong>de</strong> distinction entre ces notions entremêlées<br />

n’est rien d’autre qu’une forme d’explicitation à nos<br />

propres yeux du contenu <strong>de</strong> notre propre esprit. Mais qu’on<br />

puisse faire dégénérer un sentiment en émotion en un sens<br />

presque purement corporel, ou qu’on puisse concentrer un<br />

sentiment complexe dans un affect limpi<strong>de</strong> et homogène, et<br />

que ces opérations, qui sont indissolublement <strong>de</strong>s re-<strong>de</strong>scriptions<br />

logiques et <strong>de</strong>s auto-manipulations menta<strong>les</strong>, correspon<strong>de</strong>nt<br />

à <strong>de</strong>s figures précises <strong>de</strong> notre vie morale ou érotique, et<br />

voilà, soudain, que le choix <strong>de</strong> voir tel état affectif comme ceci<br />

(ou comme cela) se charge d’enjeux éthiques, esthétiques, religieux,<br />

et j’en passe. Nous n’avons plus, alors, une « théorie » ni<br />

un « modèle » <strong>de</strong> la vie affective mais, <strong>de</strong> manière immanente,<br />

une articulation <strong>de</strong> nos émotions, <strong>de</strong> nos sentiments et <strong>de</strong> nos<br />

affects, et une articulation profondément rationnelle. Ce que<br />

nous pensons <strong>de</strong> ce que nous ressentons fait alors vraiment<br />

corps avec notre vie. Et une telle attitu<strong>de</strong> « impliquée » <strong>de</strong> la<br />

pensée à l’égard <strong>de</strong>s affects ne se réfute pas comme une théorie<br />

empiriquement ou expérimentalement déficiente.<br />

Voilà en tout cas le point <strong>de</strong> départ pour apprécier l’apport<br />

freudien. L’affect est en effet pour Freud une dimension<br />

intrinsèquement subjective du vécu psychique, et c’est la nature<br />

étrange <strong>de</strong> cette subjectivité qui rend si difficile la saisie<br />

correcte <strong>de</strong> ce qu’il dit <strong>de</strong> l’amour, du <strong>de</strong>uil, <strong>de</strong> l’angoisse, du<br />

plaisir et <strong>de</strong> la douleur, ou <strong>de</strong> la culpabilité.<br />

Je rappellerai alors pourquoi, dans une cure, <strong>les</strong> affects (sauf<br />

l’angoisse et peut-être parfois la douleur) sont toujours<br />

suspects : pourquoi la froi<strong>de</strong>ur du psychanalyste <strong>de</strong>vant <strong>les</strong><br />

décharges affectives <strong>de</strong> son patient, si « authentiques », ou<br />

ressenties du moins comme tel<strong>les</strong>, repose sur une analyse qui<br />

leur donne fonction d’instruments <strong>de</strong> mensonge, à soi-même,<br />

au plus vif, mais aussi aux autres, dans le symptôme, comme<br />

à l’analyste dans le transfert. Constat cruel, mais peut-être<br />

parce que l’affection, ou l’être-affecté, ne supporte pas <strong>de</strong><br />

voisiner <strong>de</strong> trop près l’affectation ; il faudrait qu’un tel rapprochement<br />

soit un hasard, un mauvais jeu <strong>de</strong> mots. Rien <strong>de</strong> plus<br />

banal (<strong>de</strong> plus hystérique ?), cependant, que la croyance que la<br />

vérité <strong>de</strong> la souffrance serait la souffrance même - rien <strong>de</strong> plus<br />

perturbant (<strong>de</strong> plus soulageant ?) que l’idée inverse, qui pose<br />

d’abord que la vérité <strong>de</strong> la souffrance est d’abord une vérité, et<br />

ensuite autre chose que <strong>de</strong> la souffrance.<br />

Je conclurai en suivant une piste ancienne, que la neurobiologie<br />

retrouve aujourd’hui. Il y a chez Freud une profon<strong>de</strong><br />

théorie <strong>de</strong> l’acte et <strong>de</strong> l’action. C’est dans ce cadre qu’il tente<br />

<strong>de</strong> nous déprendre <strong>de</strong> notre fascination pour l’effet que ça fait<br />

d’être affecté, et qu’il interroge la fonction <strong>de</strong> cette violence<br />

émotionnelle et <strong>de</strong> ces affects qui parviennent à nous inhiber,<br />

et qui s’incrustent parfois en nous comme <strong>de</strong>s clous <strong>de</strong> douleur.<br />

Comprendre le pourquoi <strong>de</strong> l’affect fait donc partie du<br />

processus <strong>de</strong> guérison, et différencie à coup sûr une psychothérapie<br />

qui ne proposerait qu’une rééducation émotionnelle, et<br />

une psychanalyse qui déplace <strong>les</strong> affects avec leur sujet (je veux<br />

dire, leur sujet caché, inconscient). Du coup, non seulement<br />

il se pourrait qu’il n’y ait rien <strong>de</strong> mal ou <strong>de</strong> dommageable à «<br />

agir sous le coup <strong>de</strong> l’émotion », mais que tout acte vrai <strong>de</strong> décision<br />

subjective s’alimente à cette affectivité, laquelle ne nuit<br />

nullement à la raison, mais permet à l’action <strong>de</strong> se transmuer<br />

en un acte où je me retrouve moi-même (là où parfois je ne me<br />

soupçonnais pas). Un pareil lien entre émotion, affect, acte,<br />

décision et subjectivation est spéculatif : mais s’il était mieux<br />

étayé, il prouverait la solidarité entre l’analyse philosophique<br />

<strong>de</strong>s concepts et l’articulation concrète que ceux-ci introduisent<br />

dans notre expérience mentale et morale. En sorte que cette<br />

spéculation n’est pas tout à fait arbitraire, elle veut bousculer<br />

<strong>de</strong>s impressions fausses où nous sommes empêtrés. Selon le<br />

mot freudien, c’est donc une « interprétation » – dont il faudra<br />

mettre l’effet en débat.<br />

7


LNA#35 / paradoxes<br />

Paradoxes Rubrique <strong>de</strong> divertissements mathématiques pour ceux qui aiment se prendre la tête<br />

Par Jean-Paul DELAHAYE<br />

Professeur à l’Université <strong>de</strong>s Sciences et Technologies <strong>de</strong> Lille *<br />

Les paradoxes stimulent l’esprit et sont à l’origine <strong>de</strong> nombreux progrès mathématiques. Notre but est <strong>de</strong> <strong>vous</strong> provoquer et <strong>de</strong><br />

<strong>vous</strong> faire réfléchir. Si <strong>vous</strong> pensez avoir une explication <strong>de</strong>s paradoxes proposés, envoyez-la moi (faire parvenir le courrier à<br />

l’<strong>Espace</strong> Culture <strong>de</strong> l’USTL ou à l’adresse électronique <strong>de</strong>lahaye@lifl.fr).<br />

Rappel du problème précé<strong>de</strong>nt :<br />

le paradoxe <strong>de</strong>s Dupont<br />

Supposons donnée une infinité <strong>de</strong> personnages (appelés Dupont-0,<br />

Dupont-1, ..., Dupont-n,...) placés en ligne <strong>les</strong> uns<br />

<strong>de</strong>rrière <strong>les</strong> autres :<br />

- Dupont-0 est placé en tête <strong>de</strong> la rangée infinie et n’a personne<br />

<strong>de</strong>vant lui,<br />

- Dupont-1 est placé juste <strong>de</strong>rrière Dupont-0,<br />

- Dupont-2 est placé juste <strong>de</strong>rrière Dupont-1, etc.<br />

Chaque Dupont prononce la phrase : « au moins une personne<br />

<strong>de</strong>rrière moi ment ». Qui dit vrai ? qui ment ?<br />

D’après le sens <strong>de</strong>s phrases prononcées :<br />

• <strong>de</strong>rrière tout Dupont qui dit vrai, il y a au moins un Dupont<br />

qui ment ;<br />

• si un Dupont ment alors tous <strong>les</strong> Dupont <strong>de</strong>rrière lui disent<br />

la vérité.<br />

Si on désigne par M <strong>les</strong> Dupont qui mentent et par H ceux qui<br />

sont honnêtes et donc ne mentent pas, <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux règ<strong>les</strong> précé<strong>de</strong>ntes<br />

se traduisent en : (a) <strong>de</strong>rrière tout H, il y a au moins un<br />

M et (b) <strong>de</strong>rrière un M, il n’y a que <strong>de</strong>s H. Or il est impossible<br />

<strong>de</strong> concevoir une suite infinie <strong>de</strong> M et <strong>de</strong> H qui vérifie <strong>les</strong><br />

règ<strong>les</strong> (a) et (b), car tout M doit être suivi uniquement <strong>de</strong> H,<br />

ce qui ne se peut pas puisque tout H doit être suivi d’au moins<br />

un M. La situation est contradictoire. Pourquoi ?<br />

Solution<br />

Comme dans le cas du paradoxe du menteur (celui qui dit<br />

« je mens » ne dit pas vrai - car cela signifierait qu’il ment -, ni<br />

ne ment - car cela signifierait qu’il dit vrai), aucune solution<br />

pleinement satisfaisante n’a aujourd’hui été proposée.<br />

Pour le paradoxe du menteur, on se contente souvent <strong>de</strong> le<br />

résoudre en affirmant que, si on dit <strong>de</strong> certaines phrases qu’el<strong>les</strong><br />

sont vraies ou fausses, il faut s’interdire d’inclure dans <strong>les</strong><br />

phrases visées la phrase qu’on prononce. Plus généralement<br />

lorsque plusieurs phrases sont concernées parlant <strong>de</strong> vérité et<br />

<strong>de</strong> fausseté (comme dans le paradoxe <strong>de</strong> Pierre et Paul : Pierre<br />

dit : « Ce que dit Paul est faux » et Paul dit : « Ce que dit Pierre<br />

est vrai ») il faut s’interdire <strong>les</strong> <strong>cycle</strong>s (si Pierre parle <strong>de</strong> la phrase<br />

<strong>de</strong> Paul alors Paul ne doit pas parler <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> Pierre).<br />

La solution <strong>de</strong> l’interdiction <strong>de</strong>s <strong>cycle</strong>s se généralise et conduit<br />

à une solution qui résout (<strong>de</strong> manière moyennement satisfaisante)<br />

le paradoxe du menteur, celui <strong>de</strong> Pierre et Paul et celui<br />

<strong>de</strong>s Dupont. La généralisation est :<br />

- lorsqu’on considère <strong>de</strong>s phrases parlant <strong>de</strong> vérité et <strong>de</strong> fausseté,<br />

il faut s’ interdire <strong>les</strong> <strong>cycle</strong>s et s’ interdire <strong>les</strong> situations infinies.<br />

Si <strong>vous</strong> disposez d’une meilleure solution, signalez-le moi.<br />

Nouveau paradoxe :<br />

Mona Lisa au photomaton<br />

Cette fois le paradoxe proposé est uniquement graphique.<br />

Regar<strong>de</strong>z attentivement la série <strong>de</strong> 9 images A, B, C, D, E, F,<br />

G, H, I.<br />

Chacune a été obtenue à partir <strong>de</strong> la précé<strong>de</strong>nte en réduisant<br />

la taille <strong>de</strong> l’image <strong>de</strong> moitié ce qui a donné quatre morceaux<br />

analogues qu’on a placés en carré pour obtenir une image ayant<br />

la même taille que l’image d’origine. Le nombre <strong>de</strong> pixels a été<br />

exactement conservé et en fait on a seulement déplacé <strong>les</strong> pixels<br />

pour avoir quatre réductions <strong>de</strong> l’image initiale.<br />

Cette transformation s’appelle la transformation du photomaton.<br />

L’image B comporte 4 Mona Lisa. L’image C en comporte 16.<br />

L’image D en comporte 64, etc.<br />

Il se produit quelque chose d’étrange car, au bout <strong>de</strong> neuf<br />

étapes, l’image <strong>de</strong> Mona Lisa est réapparue. Précisons que<br />

c’est bien la même transformation qui a été utilisée pour déduire<br />

<strong>les</strong> unes après <strong>les</strong> autres <strong>les</strong> images <strong>de</strong> la série (c’est un<br />

programme d’ordinateur <strong>de</strong> Philippe Mathieu qui a fait le<br />

travail à chaque fois : http://www.lifl.fr/~mathieu/transform/<br />

in<strong>de</strong>x.html).<br />

Savez-<strong>vous</strong> expliquer le paradoxe graphique <strong>de</strong> la réapparition<br />

<strong>de</strong> l’image initiale ?<br />

*Laboratoire d’Informatique Fondamentale <strong>de</strong> Lille,<br />

UMR CNRS 8022, Bât. M3<br />

8


paradoxes / LNA#35<br />

9


LNA#35 / repenser la politique<br />

De la provi<strong>de</strong>nce à la nécessité aveugle<br />

Par Alain CAMBIER<br />

Professeur <strong>de</strong> Philosophie en Khâgne (Douai)<br />

« La vie n’est pas l’affaire <strong>de</strong>s politiques » : la formule est heureuse, si elle signifie que chacun doit rester maître <strong>de</strong> sa <strong>de</strong>stinée<br />

; mais dans la bouche d’un chef <strong>de</strong> gouvernement qui se réclame du libéralisme, elle renvoie à une idéologie politique<br />

dont l’objectif est <strong>de</strong> limiter l’interventionnisme <strong>de</strong> l’Etat. Pour la logique libérale, l’émancipation <strong>de</strong>s individus suppose<br />

que l’on cesse <strong>de</strong> compter sur le rôle provi<strong>de</strong>ntiel <strong>de</strong> l’Etat. Pourtant, il ne s’agit peut-être encore ici que d’un mirage : moins<br />

d’Etat ne signifie pas mécaniquement plus <strong>de</strong> libertés individuel<strong>les</strong>. Loin d’être une idéologie <strong>de</strong> la liberté, le néo-libéralisme<br />

sert plutôt à justifier notre soumission à la nécessité aveugle <strong>de</strong> la mondialisation économique.<br />

Pendant longtemps, notre société a vécu à l’ombre protectrice<br />

<strong>de</strong> l’Etat. Celui-ci jouait un rôle régulateur, tant<br />

politique qu’économique et social, pour la collectivité. A tel<br />

point que <strong>de</strong>s conceptions apparemment opposées – gaullisme,<br />

socialisme – ont contribué à maintenir, voire à renforcer,<br />

ce rôle dévolu à l’Etat. Pourtant, aujourd’hui, l’idéologie<br />

libérale n’hésite plus à s’afficher comme telle et dès lors, pour<br />

<strong>les</strong> politiques qui s’en réclament ouvertement, l’Etat doit être<br />

remis à sa place, en l’occurrence se cantonner au maintien <strong>de</strong><br />

l’ordre.<br />

Pour nos gouvernants, la sécurité est présentée comme<br />

l’enjeu politique prioritaire. La lutte contre la délinquance<br />

routière se veut le symbole même <strong>de</strong> l’efficacité du pouvoir<br />

politique contre l’insécurité, alors qu’elle n’est que la partie<br />

apparente <strong>de</strong> l’iceberg. Il est, en effet, techniquement plus<br />

facile <strong>de</strong> s’attaquer à ce type <strong>de</strong> délinquance qu’aux autres<br />

et, en particulier, à la corruption en « col blanc ». Fort <strong>de</strong><br />

ses succès médiatiques, le ministère <strong>de</strong> l’Intérieur joue ainsi<br />

un rôle prépondérant au sein du gouvernement. Pourtant,<br />

<strong>les</strong> Français sont <strong>de</strong> plus en plus inquiets <strong>de</strong>vant la montée<br />

d’un autre type d’insécurité : <strong>les</strong> insécurités socia<strong>les</strong>. Non<br />

seulement le chômage ne régresse pas, mais <strong>les</strong> emplois offerts<br />

sont <strong>de</strong> plus en plus précaires. En outre, <strong>les</strong> acquis sociaux,<br />

qui permettaient <strong>de</strong> préserver une certaine qualité <strong>de</strong> vie, sont<br />

aujourd’hui clairement remis en question. Ainsi, la mise sur<br />

la sellette <strong>de</strong>s systèmes <strong>de</strong> protection sociale – retraites, sécurité<br />

sociale… – indique que le temps <strong>de</strong> l’Etat-Provi<strong>de</strong>nce est<br />

révolu.<br />

Le paradoxe qui émerge à propos du traitement <strong>de</strong> l’insécurité<br />

révèle la transformation profon<strong>de</strong> du rapport entre la société<br />

et l’Etat à laquelle nous assistons. Tant que l’on considère<br />

que <strong>les</strong> liens sociaux sont garantis par l’Etat, l’intervention<br />

<strong>de</strong> celui-ci n’apparaît pas seulement requise pour empêcher<br />

l’anarchie, mais aussi indispensable pour faire prendre<br />

conscience <strong>de</strong> l’existence d’un bien commun. Aussi son rôle<br />

a-t-il pu sembler provi<strong>de</strong>ntiel pour traiter la question sociale.<br />

Le vote <strong>de</strong> la loi sur <strong>les</strong> acci<strong>de</strong>nts <strong>de</strong> travail en 1898 a constitué<br />

l’acte <strong>de</strong> baptême <strong>de</strong> l’Etat-Provi<strong>de</strong>nce. Depuis, celui-ci<br />

s’est développé à tel point qu’on lui a reproché d’engendrer<br />

une société d’assistés. Sa crise n’est pas seulement financière :<br />

elle est également celle <strong>de</strong> sa philosophie. L’Etat-Provi<strong>de</strong>nce<br />

ne serait plus adapté <strong>de</strong>puis que chacun a compris que <strong>les</strong> liens<br />

sociaux peuvent s’établir et se renouveler en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> toute intervention<br />

<strong>de</strong> l’Etat et que celle-ci risque même <strong>de</strong> <strong>les</strong> entraver.<br />

L’Etat-Provi<strong>de</strong>nce est apparu en porte-à-faux dès le moment<br />

où il a voulu continuer à dispenser ses bienfaits, alors que <strong>les</strong><br />

individus attendaient le bonheur <strong>de</strong> plus en plus <strong>de</strong> la société<br />

civile. L’Etat-Provi<strong>de</strong>nce relève encore d’une problématique<br />

archaïque <strong>de</strong> la « bonne raison d’Etat » qui, pour garantir<br />

sa puissance, prétend se réserver la clef du bien commun. La<br />

manne que l’Etat-Provi<strong>de</strong>nce distribue correspond à un traitement<br />

strictement quantitatif <strong>de</strong>s problèmes sociaux, alors<br />

que l’émiettement <strong>de</strong>s sty<strong>les</strong> <strong>de</strong> vie exige plutôt une approche<br />

qualitative plus fine. Pourtant, l’Etat-Provi<strong>de</strong>nce assume une<br />

fonction irremplaçable : celle <strong>de</strong> rendre moins tragique l’impact<br />

<strong>de</strong>s aléas <strong>de</strong> la vie sur <strong>les</strong> plus mo<strong>de</strong>stes qui sont aussi<br />

<strong>les</strong> plus exposés. Il a le mérite d’adoucir <strong>les</strong> coups du <strong>de</strong>stin<br />

lorsqu’ils s’accumulent sur <strong>les</strong> plus fragi<strong>les</strong>. En outre, il éduque<br />

tout citoyen au sens <strong>de</strong> l’équité et <strong>de</strong> la solidarité.<br />

Face à l’Etat-Provi<strong>de</strong>nce, le libéralisme préfère opposer le<br />

modèle <strong>de</strong> l’Etat-Gendarme. La puissance étatique est alors<br />

censée s’en tenir à faire respecter le droit formel : « le droit <strong>de</strong> »<br />

plutôt que « le droit à ». Alors que, <strong>de</strong>puis plus d’un siècle, la<br />

notion <strong>de</strong> risque objectif avait supplanté la notion <strong>de</strong> faute<br />

subjective – surtout dans le droit social –, nous assistons à<br />

une révision radicale <strong>de</strong> ce principe : l’individu est supposé<br />

<strong>de</strong>voir désormais assumer son <strong>de</strong>stin. Plus question d’influer<br />

sur l’itinéraire existentiel du citoyen par le jeu <strong>de</strong> la redistribution<br />

<strong>de</strong>s richesses : <strong>les</strong> règ<strong>les</strong> civi<strong>les</strong> comme cel<strong>les</strong> du co<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> la route ne peuvent être enfreintes, mais el<strong>les</strong> n’ont pas<br />

à ouvrir <strong>de</strong> voies <strong>de</strong> salut nouvel<strong>les</strong>. L’homme solidaire, qui<br />

faisait porter à la société assurantielle le poids financier <strong>de</strong> la<br />

réparation du tort subi, doit faire place à l’homme solitaire<br />

considéré pleinement comme le foyer initiateur <strong>de</strong> ses actes. À<br />

l’encontre du concept <strong>de</strong> « responsabilité sans faute » propre à<br />

l’Etat-Provi<strong>de</strong>nce, l’Etat libéral aurait le mérite <strong>de</strong> réhabiliter<br />

10


epenser la politique / LNA#35<br />

la notion <strong>de</strong> faute individuelle et <strong>de</strong> culpabilité. À l’encontre<br />

d’une théorie rétributive <strong>de</strong> la responsabilité, qui tient compte<br />

<strong>de</strong> la situation <strong>de</strong> l’auteur d’un crime ou délit, se développe<br />

aujourd’hui une théorie préventive qui impute d’avance à l’individu<br />

la totalité <strong>de</strong> ses actes, pour qu’il modifie sa conduite<br />

et s’arrache à ses penchants. La menace <strong>de</strong> la sanction impose,<br />

en effet, une certaine circonspection vis-à-vis <strong>de</strong> la façon dont<br />

on se conduit dans la société. Ainsi, le principe d’imputation<br />

vient se substituer au principe <strong>de</strong> causalité qui, appliqué en<br />

sociologie, avait trop tendance à faire du coupable lui-même<br />

une victime. Cependant, par un mouvement <strong>de</strong> balancier<br />

inverse, cette hyper-responsabilisation peut conduire à <strong>de</strong>s<br />

effets pervers : vouloir faire juger <strong>les</strong> mala<strong>de</strong>s mentaux au<br />

même titre que <strong>les</strong> autres, inciter chacun à limiter ses choix et<br />

ses initiatives au nom d’un principe <strong>de</strong> pru<strong>de</strong>nce, entretenir<br />

la mauvaise conscience et le ressentiment, trouver <strong>de</strong>s boucs<br />

émissaires en pointant <strong>de</strong>s populations jugées potentiellement<br />

déviantes, criminaliser l’action syndicale, confondre le<br />

droit et la morale, etc.<br />

En réalité, moins d’Etat ne garantit pas plus <strong>de</strong> liberté. Car<br />

l’économie libérale accomplit au plus haut point l’immanence<br />

du pouvoir et ne prétend se développer qu’en prenant<br />

en charge <strong>les</strong> désirs <strong>de</strong> chacun. Loin d’éduquer l’homme, il<br />

s’agirait avant tout <strong>de</strong> le satisfaire, au nom d’un hédonisme<br />

standardisé. L’économie libérale vise la normalisation <strong>de</strong>s<br />

individus et <strong>de</strong>s populations. Ses chefs <strong>de</strong> file ont compris<br />

l’intérêt <strong>de</strong> lui faire jouer le rôle <strong>de</strong> biopouvoir. Comme l’avait<br />

vu Michel Foucault, <strong>les</strong> biopouvoirs ne sont pas <strong>de</strong>s appareils<br />

idéologiques d’Etat : ce sont <strong>de</strong>s institutions qui interviennent<br />

dans la société civile et, au nom du savoir qu’el<strong>les</strong> produisent,<br />

préten<strong>de</strong>nt prendre en charge notre vie et la normaliser. En<br />

un mot, il s’agit <strong>de</strong> rendre doci<strong>les</strong> à la fois nos corps et nos<br />

âmes. Le pouvoir économique redouble d’efforts sur le terrain<br />

psychologique : il attise nos désirs pour <strong>les</strong> canaliser, <strong>les</strong><br />

rendre uti<strong>les</strong> à l’appareil <strong>de</strong> production et <strong>de</strong> consommation.<br />

Comme il prétend favoriser notre quête <strong>de</strong> bonheur, il a beau<br />

jeu <strong>de</strong> faire croire qu’il répond à nos attentes, alors qu’il <strong>les</strong><br />

conditionne insidieusement. La « marchandisation » <strong>de</strong> nos<br />

goûts, <strong>de</strong> nos aspirations, <strong>de</strong> nos rêves est <strong>de</strong>venue sa principale<br />

préoccupation. En prétendant aller au-<strong>de</strong>vant <strong>de</strong> nos<br />

désirs, l’économie libérale rendrait alors vaine toute tentative<br />

<strong>de</strong> révolte, puisque celle-ci reviendrait à se nier soi-même.<br />

Le néo-libéralisme nous initie à la servitu<strong>de</strong> volontaire.<br />

En induisant sans frein <strong>de</strong> nouveaux besoins, il fait croire<br />

que nous en sommes responsab<strong>les</strong>. À une époque, le sage<br />

conseillait <strong>de</strong> changer nos désirs, à défaut <strong>de</strong> changer l’ordre<br />

du mon<strong>de</strong> : désormais, même nos désirs sont voués à contribuer<br />

au développement d’un ordre mondial.<br />

Le néo-libéralisme tend à faire disparaître toute transcendance<br />

du pouvoir. Il s’agit non pas <strong>de</strong> mettre fin à la domination<br />

<strong>de</strong> la « France d’en haut » sur celle « d’en bas », mais <strong>de</strong> faire<br />

disparaître chez celle-ci la conscience d’être dominée par un<br />

pouvoir venant d’en haut. L’enjeu, pour <strong>les</strong> pouvoirs en place,<br />

consiste à se défausser <strong>de</strong> leurs responsabilités sur <strong>les</strong> citoyens.<br />

L’exemple <strong>de</strong>s effets mortifères <strong>de</strong> la canicule a été révélateur :<br />

nos dirigeants ont cherché à excuser leur imprévoyance dans<br />

la proportion même où ils accusaient – le plus souvent à tort<br />

– <strong>les</strong> famil<strong>les</strong> d’avoir failli à leur <strong>de</strong>voir. Bien plus, alors que<br />

<strong>les</strong> indignités <strong>de</strong> certains hommes politiques sont l’objet d’une<br />

mansuétu<strong>de</strong> complaisante, le citoyen est censé supporter sans<br />

cesse <strong>de</strong> nouvel<strong>les</strong> charges. Aussi, l’exacerbation <strong>de</strong> la responsabilité<br />

renvoie-t-elle à une stratégie politique. Mais celle-ci<br />

est d’autant plus frustrante que le citoyen mesure en même<br />

temps son impuissance : il lui faudrait assumer la vie que le<br />

sort lui a accordée sans pouvoir y déroger. Le citoyen raisonnable<br />

serait surtout celui qui <strong>de</strong>vrait se résigner à faire <strong>de</strong><br />

nécessité vertu. Se montrer « responsable » consisterait à admettre<br />

l’inéluctabilité <strong>de</strong> certaines situations. Sous prétexte<br />

<strong>de</strong> libérer <strong>les</strong> énergies individuel<strong>les</strong>, le libéralisme substitue<br />

à l’idée <strong>de</strong> Provi<strong>de</strong>nce celle d’une nécessité implacable et<br />

aveugle : celle <strong>de</strong>s lois économiques. Cette nécessité se veut<br />

même mondiale et rendrait vaine toute volonté politique <strong>de</strong><br />

résistance. Nécessaires seraient <strong>les</strong> licenciements économiques,<br />

nécessaire serait la privatisation <strong>de</strong>s caisses <strong>de</strong> retraites<br />

ou celle du système <strong>de</strong> santé, nécessaire serait l’allongement<br />

du temps <strong>de</strong> travail, etc. Aucune alternative ne serait<br />

possible à la mondialisation. Les choix <strong>les</strong> plus fondamentaux,<br />

dictés par la nécessité économique, rendraient donc toute<br />

négociation véritable vaine. À la limite, la démocratie ellemême<br />

ne serait plus qu’une illusion puisqu’il n’y aurait plus<br />

personne à qui s’opposer.<br />

Dans l’Antiquité, <strong>les</strong> Grecs distinguaient la Pronoïa ou Provi<strong>de</strong>nce<br />

<strong>de</strong> la Nécessité aveugle et implacable qu’ils appelaient<br />

Anagkè ou Heimarménè, telle celle qui s’était abattue sur<br />

<strong>les</strong> Atri<strong>de</strong>s. La Provi<strong>de</strong>nce a au moins l’avantage <strong>de</strong> nous<br />

faire supposer une intention consciente bienveillante que l’on<br />

pouvait éventuellement mettre en défaut mais, <strong>de</strong>vant cette<br />

nouvelle Heimarménè économique, il n’y aurait plus qu’à<br />

se soumettre sans discussion. L’action politique serait ainsi<br />

vidée <strong>de</strong> son sens, au point que, pour nos gouvernants euxmêmes,<br />

seule la communication pourrait faire office <strong>de</strong><br />

« gouvernance ».<br />

11


LNA#35 / jeux littéraires<br />

Mots croisés symétriques<br />

Par Robert RAPILLY<br />

<strong>de</strong> l’ Atelier <strong>de</strong> Pédagogie Personnalisée<br />

Observons ci-<strong>de</strong>ssous une grille <strong>de</strong> mots croisés. Première<br />

singularité, qui saute aux yeux, il n’y a aucune case<br />

noire. Une lecture attentive révèle cette autre caractéristique :<br />

<strong>les</strong> mots sont <strong>les</strong> mêmes horizontalement et verticalement.<br />

La diagonale (lettres rouges) constitue un axe <strong>de</strong> symétrie,<br />

un peu comme un “ miroir à lettres ”.<br />

Georges Perec avait fabriqué une grille 6x6 <strong>de</strong> ce type en 1982<br />

(premier mot : corner… cherchez la suite). On la retrouvera<br />

avec bonheur parmi une centaine <strong>de</strong> “ Jeux intéressants ” faisant<br />

appel à autant <strong>de</strong> stratégies retorses (Zulma, 1997).<br />

P R E C A I R E S<br />

R E D O N N E N T<br />

E D E N T A S S E<br />

C O N C I L I E R<br />

A N T I S I G M A<br />

I N A L I E N E S<br />

R E S I G N O N S<br />

E N S E M E N C E<br />

S T E R A S S E S<br />

Tous ces mots figurent au lexique officiel du Scrabble :<br />

é<strong>de</strong>ntasse - arrachasse <strong>les</strong> <strong>de</strong>nts (1ère personne du singulier au<br />

subjonctif imparfait)<br />

antisigma - signe en forme <strong>de</strong> sigma inversé employé dans <strong>les</strong><br />

corrections <strong>de</strong> manuscrits<br />

stérasses - mesurasses en stères (2e pers. sing. subj. imparf.)<br />

Ce carré <strong>de</strong> 9x9 et d’autres ont été établis par nicolas graner.<br />

C’est un record en langue française. En effet, aucune<br />

grille symétrique <strong>de</strong> 10x10 n’existera jamais, du moins avec<br />

<strong>les</strong> 57412 mots <strong>de</strong> 10 lettres répertoriés par le Scrabble. Cela<br />

a été vérifié par un programme informatique <strong>de</strong> recherche<br />

exhaustive écrit par Nicolas. Citons un précé<strong>de</strong>nt historique<br />

qui figure dans le Guinness <strong>de</strong>s records : une grille <strong>de</strong> 8x8<br />

composée sans ordinateur par laurent baril.<br />

R E N I E R A S<br />

E P A N N E L A<br />

N A G E R A I S<br />

I N E G A L E S<br />

E N R A C I N E<br />

R E A L I S E R<br />

A L I E N E R A<br />

S A S S E R A S<br />

hommage à michel taurines - Ce grand maître ès palindromes<br />

poétiques vient <strong>de</strong> disparaître. Voici <strong>de</strong>ux quatrains<br />

parfaits qu’il nous a laissés.<br />

Emu, ce <strong>de</strong>ssin rêve<br />

Il part natter<br />

ce secret tantra plié,<br />

vernissé d’écume.<br />

Rupture <strong>de</strong> lien<br />

un arc élève le reste<br />

et se révèle l’écran<br />

une île <strong>de</strong> rut pur.<br />

12


jeux littéraires / LNA#35<br />

Retorse également, cette idée d’écrire un sonnet qui, disposé<br />

dans une grille carrée, soit i<strong>de</strong>ntique <strong>de</strong> gauche à<br />

droite et <strong>de</strong> haut en bas ? En tout cas, notre lecteur pierrejean<br />

varois (<strong>de</strong> Liège) s’y est collé. Dans ce poème, sont nommés<br />

<strong>de</strong>ux membres <strong>de</strong> l’Oulipo : Latis et Perec. L’alternance<br />

systématique <strong>de</strong>s voyel<strong>les</strong> et consonnes s’appelle “ okapi ”.<br />

A l’ure lésé<br />

D’usé fêté selon en o<strong>de</strong> d’okapis<br />

Avec une sirène saline galère<br />

Son agile sari n’opine ni n’acère<br />

Le halo - nodal or - a coloré Latis<br />

Ire. Le dégelé ne dîne <strong>de</strong> semis<br />

En ironisera l’Oc émané <strong>de</strong> l’ère<br />

Si l’été la jeta dose-le délétère<br />

Bec en ukase lire t’en a doté. Lis<br />

À l’ahan a tenu mâle note pirate<br />

Le Râ m’a-t-il été ? Fini.. l’idole date<br />

Balises-en ô sec aboli bibelot !<br />

Agonisé-je ? Té ! La bête n’évapore<br />

Mécène le typo s’éli<strong>de</strong> matelot<br />

Île Perec en a l’inanité sonore<br />

A L U R E L E S E D U S E F E T E S E<br />

L O N E N O D E D O K A P I S A V E C<br />

U N E S I R E N E S A L I N E G A L E<br />

R E S O N A G I L E S A R I N O P I N<br />

E N I N A C E R E L E H A L O N O D A<br />

L O R A C O L O R E L A T I S I R E L<br />

E D E G E L E N E D I N E D E S E M I<br />

S E N I R O N I S E R A L O C E M A N<br />

E D E L E R E S I L E T E L A J E T A<br />

D O S E L E D E L E T E R E B E C E N<br />

U K A S E L I R E T E N A D O T E L I<br />

S A L A H A N A T E N U M A L E N O T<br />

E P I R A T E L E R A M A T I L E T E<br />

F I N I L I D O L E D A T E B A L I S<br />

E S E N O S E C A B O L I B I B E L O<br />

T A G O N I S E J E T E L A B E T E N<br />

E V A P O R E M E C E N E L E T Y P O<br />

S E L I D E M A T E L O T I L E P E R<br />

E C E N A L I N A N I T E S O N O R E<br />

Sortie <strong>de</strong> formes poetiques contemporaines, nouvelle<br />

revue s’annonçant non pas <strong>de</strong> poésie, mais sur la poésie.<br />

Colonnes d’une totale érudition. Il s’agit d’enquêter sur <strong>les</strong><br />

développements présents <strong>de</strong> l’art poétique. Des auteurs en activité<br />

sont invités à commenter leur travail, poèmes à l’appui. Ce<br />

premier numéro traite principalement du vers libre. Nul ici ne<br />

s’étonnera <strong>de</strong> ce paradoxe : le vers libre intéresse <strong>les</strong> oulipiens !<br />

Page 285, une poésie à la beauté fulgurante <strong>vous</strong> en convaincra,<br />

alea <strong>de</strong> jacques perry-salkow. Citons juste l’exergue :<br />

Du faon défunt partent trente parfums défendus.<br />

La suite est un festin <strong>de</strong> prosodie et <strong>de</strong> lexique. Lisant, on<br />

oublie que chaque ligne est un palindrome <strong>de</strong> syllabes. S’impose<br />

une sensation <strong>de</strong> résonance, mesurée vers après vers. Jacques<br />

Perry-Salkow met la contrainte au service d’une exigence<br />

poétique incorruptible.<br />

formes poetiques contemporaines - Les Impressions Nouvel<strong>les</strong><br />

– juin 2003 (327 pages - 22 euros).<br />

13


LNA#35 / humeurs<br />

Pouvons-nous nous passer d’une référence<br />

à la nature humaine ? *<br />

Par Jean-François REY<br />

Philosophe, I.U.F.M <strong>de</strong> Lille<br />

* 2° partie (suite du<br />

n° 34 : L’émancipation<br />

humaine, au sens <strong>de</strong>s<br />

Lumières, exclut la<br />

référence à une nature<br />

humaine. Peut-on encore<br />

partager ce point <strong>de</strong> vue<br />

?) À lire sur http://www.<br />

univ-lille1.fr/<strong>culture</strong>/<br />

archives/lna/34.html<br />

1<br />

Habermas L’avenir <strong>de</strong><br />

la nature humaine op.cit<br />

p 149<br />

2<br />

J. Habermas op.cit. p 149<br />

2 ère partie : Quel<strong>les</strong> sont <strong>les</strong> menaces contemporaines contre la dignité<br />

humaine ?<br />

Les choses s’échangent. Leur valeur d’échange s’exprime dans un prix. Les personnes sont ininterchangeab<strong>les</strong>,<br />

insubstituab<strong>les</strong>, el<strong>les</strong> ont une dignité. La formulation kantienne <strong>de</strong> l’impératif catégorique<br />

est bien <strong>de</strong> traiter l’humanité en autrui, « non seulement » comme un moyen (qu’elle est <strong>de</strong> toute façon,<br />

ne serait ce que parce que la force <strong>de</strong> travail a un prix), mais « toujours en même temps comme une fin ».<br />

Ce n’est pas la nature qui nous dispose à une norme fondamentale, même si cette « bonne disposition » à<br />

l’égard <strong>de</strong> la nature procè<strong>de</strong> d’un souci <strong>de</strong> la dignité humaine. La pierre <strong>de</strong> touche <strong>de</strong> toutes <strong>les</strong> éthiques<br />

c’est la dignité. Toutefois à en rester là on encourrait le reproche d’abstraction.<br />

Car ce que l’on perd en perdant une norme naturelle, on le gagne en replongeant la dignité humaine<br />

dans le cours <strong>de</strong> l’histoire. On pourrait suivre ce cours comme celui d’un lent processus <strong>de</strong> sécularisation.<br />

Nos sociétés contemporaines, qu’on <strong>les</strong> qualifie <strong>de</strong> post-traditionnel<strong>les</strong> (Habermas) ou <strong>de</strong> post-mo<strong>de</strong>rnes<br />

(Lyotard), sont entrées dans une séparation du théologique et du politique, et d’où nous ne sommes pas<br />

encore complètement sortis. « Si l’on veut éviter une guerre <strong>de</strong>s civilisations, il faut se souvenir du caractère<br />

dialectiquement inachevé <strong>de</strong> notre propre processus occi<strong>de</strong>ntal <strong>de</strong> sécularisation » 1 . Sécularisation juridique<br />

(transfert <strong>de</strong>s biens ecclésiastiques à l’État), <strong>culture</strong>lle, sociale, ce long processus est aussi celui que<br />

Max Weber désigna par l’expression « désenchantement du mon<strong>de</strong> ». C’est le choc ressenti le 11 septembre<br />

2001 qui contraignit Habermas à rajouter à son livre déjà cité un chapitre intitulé « Foi et savoir : comme<br />

si <strong>les</strong> motivations religieuses mortifères <strong>de</strong>s terroristes trouvaient un écho « souterrain » dans nos sociétés<br />

(mal) sécularisées. Même <strong>les</strong> sociétés, d’où sont issus <strong>les</strong> responsab<strong>les</strong> du 11 septembre, sont entrées dans<br />

la mo<strong>de</strong>rnité : fondamentalisme religieux et technologie avancée. Leur ambivalence à l’égard <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>rnité<br />

ne place pas ces sociétés en marge du mon<strong>de</strong> occi<strong>de</strong>ntalisé, el<strong>les</strong> lui renvoient plutôt un malaise qu’il<br />

aurait préféré oublier. « Face à la globalisation qui s’instaure par le truchement <strong>de</strong> marchés sans frontières,<br />

beaucoup espéraient un retour du politique sous une autre forme, non sous sa forme hobbesienne originelle<br />

d’un État sécuritaire globalisé, privilégiant la police, <strong>les</strong> services secrets et le militaire, mais sous celle<br />

d’une capacité à valoriser la civilisation à l’échelle mondiale. Au sta<strong>de</strong> où nous en sommes, il ne nous reste<br />

guère qu’à espérer une ruse <strong>de</strong> la raison et que l’on fasse preuve d’un peu <strong>de</strong> réflexion » 2 . Nous ne sommes<br />

pas tenus, comme Habermas, à parier sur une très hegelienne ruse <strong>de</strong> la raison. Sans être pour autant plus<br />

optimiste, il est permis <strong>de</strong> faire appel à une conception moins historiciste <strong>de</strong> la sécularisation.<br />

C’est dans un article <strong>de</strong> 1976 intitulé « Sécularisation et faim » qu’Emmanuel Levinas met en rapport, <strong>de</strong><br />

manière inédite, la contemplation (en grec Theoria) du ciel étoilé et le souci <strong>de</strong> la faim <strong>de</strong>s hommes. Nous<br />

pensons que, sur ce point, la position philosophique <strong>de</strong> Levinas tranche sur un discours <strong>de</strong> la déploration<br />

(« désenchantement du mon<strong>de</strong> »), sur une dépréciation <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>rnité technicienne (d’inspiration hei<strong>de</strong>ggerienne<br />

et écologiste) et enfin sur un idéalisme peu soucieux <strong>de</strong> la matérialité du besoin. Philosophe<br />

du désir, Levinas, dans ce texte si stimulant, se livre à une réhabilitation du besoin en l’arrachant à l’utilitarisme<br />

et en l’affranchissant d’une pure logique du calcul et <strong>de</strong> l’intérêt. Mais que reproche Levinas à la<br />

Théoria grecque ? A fixer le regard plus haut que la cime <strong>de</strong>s arbres, <strong>les</strong> sommets, la vue accomplit un mouvement<br />

vers <strong>de</strong>s corps inaccessib<strong>les</strong> : <strong>les</strong> étoi<strong>les</strong> fixes ou cel<strong>les</strong> qui parcourent <strong>de</strong>s trajectoires fermées. Un<br />

tel mouvement ascendant qui franchit un vi<strong>de</strong>, Levinas l’appelle « Transcendance ». Et la sécularisation,<br />

au sens <strong>de</strong> Levinas et dans cet article, est le trajet qui conduit <strong>de</strong> cette transcendance du regard à un terme<br />

oublié par celle-ci : le souci <strong>de</strong> la faim <strong>de</strong>s hommes. A un mouvement du regard vers le haut répond un<br />

souci « horizontal », c’est l’occasion pour Levinas <strong>de</strong> mettre en comparaison la religion et le commerce. Si<br />

14


humeurs / LNA#35<br />

la première a tendance à oublier et à dévaloriser <strong>les</strong> soucis terrestres, et donc à oublier la faim <strong>de</strong>s hommes,<br />

le second meut l’échange intérieur à la cité, comme l’échange avec l’étranger. La sécularisation, ici, n’est<br />

pas d’ordre juridique ou politique, elle est, à travers une confrontation, l’expression d’un matérialisme du<br />

besoin. Le rival <strong>de</strong> Prométhée, appelé par Levinas Messer Gaster (monsieur Estomac), est « le premier<br />

maître es-arts du mon<strong>de</strong> ». Là est le vrai universel : non pas celui <strong>de</strong> la connaissance, fût-elle technique,<br />

mais celui du besoin. Masser Gaster avant Prométhée, c’est l’humain avant le savoir. Toutefois, le savoir<br />

est ce détour nécessaire, cette patience imposée à nos appétits. Le geste <strong>de</strong> Prométhée est donc bien nécessaire<br />

: prévoyance (Pro-Metis) au cœur <strong>de</strong> l’économique. Pour <strong>les</strong> grecs, auteurs <strong>de</strong> ce mythe comme <strong>de</strong> sa<br />

philosophie, il y a une « convenance » : l’homme est « animal » et « raisonnable ». Si le geste prométhéen<br />

s’affranchissait <strong>de</strong> cette convenance, la technique <strong>de</strong>viendrait folle. Il ne s’agit en rien <strong>de</strong> dévaloriser la<br />

technique par un mauvais procès. Il n’y a rien ici d’un renvoi infini entre <strong>les</strong> promesses déçues du « principe<br />

espérance » (Ernst Bloch) et <strong>les</strong> impératifs du « principe responsabilité » (Hans Jonas). Une certaine<br />

rhétorique oublie confortablement la faim du reste du mon<strong>de</strong>. Cette rhétorique vise aussi à résister au<br />

« désenchantement du mon<strong>de</strong> ». Le mérite <strong>de</strong> Levinas est <strong>de</strong> souligner à quel point le développement <strong>de</strong> la<br />

technique fait partie du processus <strong>de</strong> sécularisation : « La technique sécularisante s’inscrit parmi <strong>les</strong> progrès<br />

<strong>de</strong> l’esprit humain ou, plus exactement, justifie ou définit l’idée même du progrès et est indispensable<br />

à cet esprit, même si elle n’en est pas la fin » 3 .<br />

Si nous avons tenu à citer et à commenter aussi longuement cet auteur, c’est pour répondre à l’interrogation<br />

<strong>de</strong> Habermas et tenter d’éclairer sa problématique « Foi et savoir ». A l’ambivalence, déjà signalée,<br />

<strong>de</strong>s terroristes par rapport à la mo<strong>de</strong>rnité et à la technique, il faut ajouter que la religion, portée à un<br />

paroxysme messianique et guerrier, nourrit <strong>les</strong> hommes <strong>de</strong> consolations illusoires. Plus que jamais <strong>les</strong> religions<br />

tirent leur force et leur prestige <strong>de</strong> ce qu’el<strong>les</strong> mettent <strong>de</strong> l’ordre et <strong>de</strong> l’harmonie aussi bien dans le<br />

cosmos que dans le corps social.<br />

« Le langage du marché s’infiltre désormais partout et pousse toutes <strong>les</strong> relations inter humaines vers le<br />

schéma auto référentiel <strong>de</strong> la satisfaction <strong>de</strong> ses préférences » 4 . Nous croyons, en laissant cet exposé sur<br />

cette remarque <strong>de</strong> Habermas, que toutes <strong>les</strong> sociétés contemporaines sont taraudées par une sécularisation<br />

mal comprise, par un dualisme qui vire en ambivalence et en clivage : comment résister au désenchantement<br />

sans se priver <strong>de</strong> poursuivre ses intérêts propres ni couper <strong>les</strong> liens avec l’Autre qui commerce avec<br />

nous ? Commerce qui est une condition <strong>de</strong> la paix et non son ennemi. Tout le travail <strong>de</strong>s philosophes<br />

aujourd’hui n’est-il pas justement <strong>de</strong> clarifier cette ambivalence ? Habermas encore : « cette attitu<strong>de</strong><br />

ambivalente peut aussi faire porter du bon côté <strong>les</strong> efforts qu’une société civile déchirée par le conflit<br />

<strong>de</strong>s <strong>culture</strong>s déploré pour y voir clair en elle-même. Le travail que la religion a accompli sur le mythe, la<br />

société post séculière le poursuit sur la religion elle-même. Cela étant, elle ne le fait plus dans l’intention<br />

hybri<strong>de</strong> d’une conquête entreprise dans un esprit d’hostilité ; elle le fait bien plutôt en postulant qu’il est<br />

<strong>de</strong> son propre intérêt <strong>de</strong> contrecarrer l’entropie larvée qui affecte la maigre ressource du sens » 5 . La mise en<br />

commun et le partage <strong>de</strong> ces maigres ressources menacées <strong>de</strong> l’intérieur sont peut être la tâche prioritaire<br />

pour faire pièce au vertige <strong>de</strong> l’intolérance et <strong>de</strong> la violence.<br />

3<br />

E. Levinas op. cit ; p 81<br />

4<br />

Habermas op. cit. p 159<br />

5 Habermas op.cit. p 164<br />

15


LNA#35 / à lire<br />

De l’immatériel *<br />

* 2° partie (suite du n° 34) À lire sur<br />

http://www.univ-lille1.fr/<strong>culture</strong>/archives/lna/34.html<br />

Par Rudolf BKOUCHE<br />

Professeur honoraire <strong>de</strong> Mathématiques, USTL<br />

L<br />

’immatériel <strong>de</strong> la technique fascine d’autant plus qu’il occulte<br />

cet autre immatériel que constitue, <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s temps immémoriaux,<br />

ce qui fait l’humanitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’homme, la pensée. Mais<br />

la pensée n’est pas vendable, elle ne relève du marché qu’une fois<br />

enfermée dans la technique, elle ne peut être vendue qu’une fois<br />

matérialisée par <strong>de</strong>s objets techniques ; le paradoxe du mythe <strong>de</strong><br />

l’immatériel, c’est que seul relève <strong>de</strong> ce mythe ce qui peut être matérialisé,<br />

techniquement matérialisé.<br />

C’est une fois technicisé que l’immatériel humain <strong>de</strong>vient vendable<br />

et conduit à cet autre mythe que l’on appelle l’ économie <strong>de</strong> la<br />

connaissance. La connaissance <strong>de</strong>vient, selon ce mythe, une force<br />

productive. Cela était déjà vrai au début <strong>de</strong> la révolution industrielle.<br />

Et que se passait-il avant la révolution industrielle ? Quels<br />

types <strong>de</strong> connaissances permettaient <strong>les</strong> gran<strong>de</strong>s constructions architectura<strong>les</strong><br />

et <strong>les</strong> diverses machines utilisées dans <strong>les</strong> anciennes<br />

civilisations ? En ce sens, la connaissance technique (était-elle<br />

scientifique ?) a toujours participé <strong>de</strong>s forces productives, à commencer<br />

par celle qui a permis le tour du potier. Mais l’économie <strong>de</strong><br />

la connaissance concerne moins la connaissance en tant que telle<br />

que la connaissance comme objet <strong>de</strong> marché, c’est la connaissance<br />

mercantilisée qui est considérée aujourd’hui comme une force<br />

productive. La connaissance mercantilisée <strong>de</strong>vient ainsi un point<br />

central <strong>de</strong> l’économie d’aujourd’hui, la part matérielle <strong>de</strong> l’économie<br />

n’apparaissant plus que comme un sous-produit.<br />

Cette connaissance technicisée et mercantilisée ne représente plus<br />

la faculté humaine <strong>de</strong> comprendre le mon<strong>de</strong> et <strong>de</strong> le transformer,<br />

elle <strong>de</strong>vient un simple instrument <strong>de</strong> fabrication <strong>de</strong> nouveaux produits<br />

à mettre sur le marché, triste caricature <strong>de</strong> l’adage marxien.<br />

Se développe alors un capitalisme <strong>de</strong> l’immatériel, c’est-à-dire fondé<br />

sur la connaissance technicisée, le discours sur l’économie <strong>de</strong> la<br />

connaissance occultant le fait que la richesse reste celle <strong>de</strong> la production<br />

matérielle (sans hardware, pas <strong>de</strong> software) et que la maîtrise <strong>de</strong><br />

cette richesse appartient aux seuls détenteurs du capital financier.<br />

Mais si la connaissance <strong>de</strong>vient valeur marchan<strong>de</strong>, cela suppose<br />

une certaine rareté d’icelle, autrement dit une diffusion moindre.<br />

« La valeur d’échange <strong>de</strong> la connaissance est donc entièrement liée<br />

à la capacité pratique <strong>de</strong> limiter sa diffusion libre, c’est-à-dire <strong>de</strong> limiter<br />

avec <strong>de</strong>s moyens juridiques (brevets, droits d’auteur, licences,<br />

contrats) ou monopolistes, la possibilité <strong>de</strong> copier, d’imiter, <strong>de</strong> “ réinventer<br />

”, d’apprendre <strong>les</strong> connaissances <strong>de</strong>s autres » écrit Gorz dans<br />

L’immatériel. La société dite <strong>de</strong> la connaissance est ainsi confrontée<br />

à un double problème : d’une part donner <strong>les</strong> moyens d’accès à la<br />

connaissance pour que la machine économique fonctionne, mais<br />

d’autre part permettre une certaine rétention <strong>de</strong> connaissance<br />

pour assurer sa valeur marchan<strong>de</strong>. Cela explique ce discours récurrent<br />

qui déclare que l’Ecole n’est plus le seul lieu d’acquisition <strong>de</strong>s<br />

connaissances puisque <strong>les</strong> merveilleuses machines peuvent fournir<br />

ces connaissances à bon compte : il suffit <strong>de</strong> tapoter sur un clavier<br />

pour savoir tout ce que l’on désire savoir, oubliant qu’une connaissance<br />

réduite à la seule prise d’information n’est qu’un ersatz <strong>de</strong><br />

connaissance.<br />

Gorz explique cependant que <strong>les</strong> moyens existent <strong>de</strong> contourner<br />

cette volonté <strong>de</strong> non-diffusion <strong>de</strong> la connaissance rappelant l’une<br />

<strong>de</strong>s contradictions <strong>de</strong> l’économie <strong>de</strong> la connaissance. Il y a dans la<br />

connaissance une part « non rémunérée » qui échappe à toute valeur<br />

marchan<strong>de</strong> et qui peut ainsi « être partagée à loisir, au gré <strong>de</strong> chacun<br />

et <strong>de</strong> tous, gratuitement, sur Internet notamment ».<br />

Mais Gorz néglige ici <strong>les</strong> aspects intellectuels <strong>de</strong> l’acquisition <strong>de</strong><br />

la connaissance, se plaçant ainsi sur le même plan que le discours<br />

<strong>de</strong> l’économie <strong>de</strong> la connaissance. Une telle réduction <strong>de</strong> la critique<br />

conduit à un antiscientisme qui n’est que l’image miroir du<br />

scientisme, à un antirationalisme qui conduit à rechercher <strong>de</strong>s<br />

formes <strong>de</strong> connaissance idylliques qui permettraient <strong>de</strong> réintégrer<br />

l’homme dans le mon<strong>de</strong>. C’est que Gorz oppose, d’une façon<br />

quelque peu manichéenne, un « savoir vécu » qui resterait proche<br />

du « savoir intuitif, précognitif », savoir vécu qui renvoie à <strong>de</strong>s objets<br />

dont l’existence est indépendante <strong>de</strong> celui qui <strong>les</strong> connaît, et <strong>les</strong><br />

connaissances scientifiques, constructions humaines qui éloignent<br />

l’homme du mon<strong>de</strong>. Ces connaissances scientifiques seraient<br />

cause <strong>de</strong> tout le mal, y compris <strong>de</strong> l’usage qui en est fait contre<br />

l’homme. Et <strong>de</strong> rappeler, non sans raison, <strong>les</strong> possibilités d’agir sur<br />

la biologie <strong>de</strong> l’homme mettant l’espèce en danger, ou l’usage à<br />

tout va <strong>de</strong> l’intelligence artificielle.<br />

Gorz, s’appuyant sur Husserl, pointe alors la raison première <strong>de</strong><br />

ce mal, la mathématisation <strong>de</strong> la nature, « l’autonomisation la plus<br />

radicale <strong>de</strong> la connaissance par rapport à l’expérience du mon<strong>de</strong> sensible<br />

». C’est oublier que cette autonomisation a permis à l’homme<br />

<strong>de</strong> mieux connaître la nature et, sinon <strong>de</strong> s’en rendre maître et possesseur,<br />

du moins <strong>de</strong> savoir la mettre à son service. Mais si le mal<br />

rési<strong>de</strong> dans cette mise <strong>de</strong> la nature au service <strong>de</strong> l’homme, il faut remonter<br />

plus loin que la mathématisation du mon<strong>de</strong> et l’on peut dire<br />

que le mal commence au néolithique avec la naissance <strong>de</strong> l’agri<strong>culture</strong>,<br />

première prise <strong>de</strong> pouvoir <strong>de</strong> l’homme sur la nature. Mais<br />

c’est l’humanitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’homme qui est ainsi mise en question si<br />

l’on définit cette humanitu<strong>de</strong> comme une sortie <strong>de</strong> l’état <strong>de</strong> nature.<br />

C’est que Gorz confond science et technoscience, la science<br />

comme l’effort <strong>de</strong> comprendre le mon<strong>de</strong> et d’agir sur lui, et la<br />

technoscience qui en serait l’aboutissement nécessaire. C’est alors<br />

moins la science qui est en cause que ses dérives, dérives qui, faut-il<br />

le rappeler, sont le fait <strong>de</strong>s hommes et non cel<strong>les</strong> <strong>de</strong> la science ou<br />

<strong>de</strong> la technique.<br />

Malgré cette <strong>de</strong>rnière partie qui ressortit d’un fondamentalisme<br />

écologiste, l’ouvrage d’André Gorz me semble important pour<br />

comprendre <strong>les</strong> dérives <strong>de</strong> la technoscience et <strong>les</strong> nouvel<strong>les</strong> formes<br />

<strong>de</strong> capitalisme qui s’y rattachent, pour comprendre aussi comment<br />

ces dérives conduisent à une déshumanisation <strong>de</strong> l’homme,<br />

comme si l’histoire humaine, après avoir commencé avec la sortie<br />

<strong>de</strong> l’état <strong>de</strong> nature, <strong>de</strong>vait s’achever par la transformation <strong>de</strong><br />

l’homme en un objet technique parmi d’autres.<br />

16


© Julien Lapasset<br />

dossier / LNA#35<br />

Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s murs...<br />

L’Université composante <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité du territoire<br />

Par Jean CAUNE<br />

Professeur d’Université à Grenoble 3, Stendhal<br />

Vice-prési<strong>de</strong>nt au développement universitaire et nouvel<strong>les</strong> technologies<br />

<strong>de</strong> la communauté d’agglomération grenobloise<br />

La politique <strong>de</strong> construction <strong>de</strong>s campus « à l’américaine » en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> la ville, dans <strong>les</strong> années<br />

60, a certainement contribué à masquer la présence <strong>de</strong>s étudiants dans la vie urbaine. Ceux-ci<br />

apparaissent alors, aux yeux <strong>de</strong> beaucoup d’élus <strong>de</strong>s collectivités loca<strong>les</strong>, comme une population<br />

dont le travail, <strong>les</strong> loisirs, <strong>les</strong> habitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> vie relèvent <strong>de</strong> l’extra-territorialité.<br />

Le campus n’est alors qu’un lieu, c’est-à-dire, selon la définition <strong>de</strong> Michel <strong>de</strong> Certeau, un « ordre (quel<br />

qu’il soit) selon lequel <strong>de</strong>s éléments sont distribués dans <strong>les</strong> rapports <strong>de</strong> coexistence. » 1 Il ne peut <strong>de</strong>venir<br />

espace qu’à la condition d’être l’objet <strong>de</strong> mouvements, <strong>de</strong> forces, d’opérations humaines. « L’espace est,<br />

selon <strong>de</strong> Certeau, un lieu pratiqué », entendons un lieu <strong>de</strong> pratiques socia<strong>les</strong>. Cette opposition théorisée<br />

par <strong>de</strong> Certeau reprend la distinction que Merleau-Ponty établissait entre l’espace géométrique (spatialité<br />

homogène et isotrope) et l’espace anthropologique (structuré par <strong>de</strong>s relations interpersonnel<strong>les</strong>).<br />

Les facultés, <strong>les</strong> bibliothèques, <strong>les</strong> lieux <strong>de</strong> recherche, dans <strong>de</strong>s campus à l’américaine, sont restés<br />

pendant longtemps <strong>de</strong>s éléments du lieu. Implanté à partir d’un programme, <strong>les</strong> uns à côté <strong>de</strong>s autres,<br />

chacun <strong>de</strong>s établissements est resté dans un endroit propre et distinct qui définit <strong>les</strong> activités précises qui<br />

y sont conduites. Les campus sont longtemps restés <strong>de</strong>s zones dans <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> règne la loi du « propre »,<br />

mais d’un « propre » fragmenté qui coexiste avec d’autres propres.<br />

Les années 90 voient se développer <strong>de</strong>s actions inter-universitaires qui investissent <strong>les</strong> lieux communs.<br />

Le campus <strong>de</strong>vient progressivement un domaine où peuvent se développer <strong>de</strong>s stratégies <strong>de</strong> vouloir et<br />

<strong>de</strong> pouvoir. La stratégie supposant « un lieu susceptible d’être circonscrit comme un propre et donc <strong>de</strong><br />

servir <strong>de</strong> base à une gestion <strong>de</strong> ses relations avec une extériorité distincte » 2 . Le propre, comme dit <strong>de</strong><br />

Certeau, est « une victoire du lieu sur le temps ». Le campus <strong>de</strong>vient espace quand <strong>de</strong>s types d’opérations<br />

sont capab<strong>les</strong> <strong>de</strong> produire, <strong>de</strong> nommer, <strong>de</strong> quadriller, <strong>de</strong> marquer… Pourtant, si <strong>les</strong> liaisons entre<br />

l’université, la vie économique <strong>de</strong> la Cité et le développement local semblent aller <strong>de</strong> soi, il n’en va pas <strong>de</strong><br />

même <strong>de</strong>s liens entre <strong>les</strong> pratiques <strong>culture</strong>l<strong>les</strong> <strong>de</strong>s étudiants et <strong>les</strong> institutions <strong>de</strong> la Cité.<br />

Le territoire est un construit, produit par la convergence <strong>de</strong> trois intentionnalités : la vision d’une<br />

i<strong>de</strong>ntité ; un projet politique, relatif aux conditions du Vivre ensemble ; une volonté <strong>de</strong> développer<br />

<strong>de</strong>s pratiques <strong>culture</strong>l<strong>les</strong>, c’est-à-dire <strong>de</strong>s relations intersubjectives (<strong>de</strong>s énonciations) portées par <strong>de</strong>s<br />

supports qui <strong>les</strong> ren<strong>de</strong>nt visib<strong>les</strong> dans l’<strong>Espace</strong> public.<br />

Pour construire le territoire <strong>de</strong> l’agglomération comme visée et projet, il est nécessaire d’intégrer la<br />

dimension universitaire, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la dimension matérielle (accueil, logement, vie étudiante…).<br />

Il ne s’agit pas seulement <strong>de</strong> considérer la population étudiante comme un réservoir potentiel <strong>de</strong><br />

consommateurs, <strong>de</strong> clients ou d’électeurs ; il s’agit aussi <strong>de</strong> favoriser ses apports et <strong>de</strong> <strong>les</strong> rendre visib<strong>les</strong>,<br />

dans le développement et l’innovation dans la Cité. La construction <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité du territoire ne se fera<br />

pas sans une forte dimension imaginaire et symbolique qui peut être illustrée par <strong>les</strong> pratiques <strong>culture</strong>l<strong>les</strong><br />

<strong>de</strong>s étudiants.<br />

L’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> ce territoire ne sera réelle, ne sera visible, n’aura <strong>de</strong> sens que si <strong>les</strong> pratiques <strong>culture</strong>l<strong>les</strong> <strong>de</strong>s<br />

étudiants apparaissent comme <strong>de</strong>s productions <strong>de</strong> l’esprit diffusées dans l’espace public et non pas <strong>de</strong>s<br />

expressions données à voir et à entendre à l’intérieur <strong>de</strong> l’espace étudiant.<br />

« Les privés <strong>de</strong> Culture<br />

sont inconscients <strong>de</strong> leur<br />

privation et exigent la<br />

privation pour tous »<br />

(Bourdieu), alors Vive<br />

l’<strong>Espace</strong> Culture…<br />

Parce que la Culture<br />

doit être un espace pour<br />

inventer <strong>de</strong>main, parce<br />

que c’est la voie royale<br />

<strong>de</strong> l’émancipation <strong>de</strong>s<br />

hommes, la ligne <strong>de</strong> défense<br />

<strong>de</strong> la connaissance pour<br />

nous permettre <strong>de</strong> refuser<br />

<strong>de</strong> naître avec <strong>de</strong>s cheveux<br />

gris, ne pas croire à la<br />

vieil<strong>les</strong>se <strong>de</strong> l’humanité<br />

mais au contraire imaginer<br />

encore et toujours qu’elle est<br />

dans la fleur <strong>de</strong> l’âge, parce<br />

qu’un pays reste vivant<br />

lorsque sa <strong>culture</strong> reste<br />

vivante.<br />

Par Hervé ROYER<br />

Directeur du Service Culturel<br />

<strong>de</strong> l’ULCO (Université du<br />

Littoral Côte d’Opale)<br />

1<br />

Michel <strong>de</strong> Certeau, L’invention du<br />

quotidien. Arts <strong>de</strong> faire, T1,<br />

p. 208, UGE, 1975<br />

2<br />

Id., p. 85<br />

Extrait <strong>de</strong>s actes <strong>de</strong> la journée du<br />

14 mai 2003 à la Sorbonne « La<br />

mission <strong>culture</strong>lle <strong>de</strong> l’Université au<br />

XXIe siècle », écités par Art + Université<br />

+ Culture ( Janvier 2004)<br />

17


LNA#35 / dossier<br />

Pas un temple, un outil<br />

Par Eric LE MOAL<br />

Conseiller pour l’éducation artistique et <strong>culture</strong>lle<br />

DRAC Nord Pas-<strong>de</strong>-Calais<br />

Le débat qui a précédé l’édification <strong>de</strong><br />

l’<strong>Espace</strong> Culture <strong>de</strong> l’USTL et qui se<br />

poursuit toujours – alors que celui-ci est<br />

<strong>de</strong>venu, désormais, une réalité politique,<br />

architecturale et humaine – a constamment<br />

tourné autour <strong>de</strong> cette tentation du lieu, à ne<br />

pas forcément considérer comme une évi<strong>de</strong>nce,<br />

et <strong>de</strong>s risques encourus <strong>de</strong> mimétisme avec <strong>les</strong><br />

autres lieux professionnels <strong>de</strong> la <strong>culture</strong>, sans en<br />

avoir tous <strong>les</strong> moyens, ni la mission ni même<br />

toutes <strong>les</strong> compétences.<br />

Très vite, en effet, s’est imposée l’idée qu’il<br />

n’était pas pertinent <strong>de</strong> construire, sur le<br />

campus scientifique, un centre <strong>culture</strong>l<br />

calqué sur ceux qui existent sur d’autres<br />

sites, notamment non universitaires. Cela<br />

aurait eu pour conséquence un inévitable<br />

appauvrissement voire un abandon définitif du<br />

projet <strong>culture</strong>l initial, et particulièrement juste,<br />

<strong>de</strong> l’USTL, tant celui-ci repose sur un désir <strong>de</strong><br />

réactivité critique et prospective à l’actualité<br />

artistique, <strong>culture</strong>lle comme universitaire, à<br />

l’actualité tout court, en fait, et non sur une<br />

simple gestion, vite asphyxiante, d’équipement<br />

et <strong>de</strong> programme d’activités.<br />

Cela aurait eu également pour conséquence<br />

immédiate <strong>de</strong> transformer toute personne<br />

fréquentant le lieu en simple usager plutôt<br />

qu’en individu invité à <strong>de</strong>venir acteur <strong>de</strong> la<br />

<strong>culture</strong>.<br />

Le projet <strong>de</strong> l’USTL veille constamment<br />

à la non-confusion entre <strong>les</strong> champs <strong>de</strong><br />

compétence <strong>de</strong>s uns et <strong>de</strong>s autres – ceux <strong>de</strong>s<br />

lieux <strong>de</strong> création et <strong>de</strong> diffusion artistique<br />

professionnels, ceux <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> la pratique<br />

artistique amateur, ceux <strong>de</strong> l’université.<br />

L’<strong>Espace</strong> Culture <strong>de</strong> l’USTL favorise la<br />

rencontre réflexive, imaginative et productive<br />

entre, d’une part, <strong>les</strong> tenants <strong>de</strong> l’université<br />

(étudiants, professeurs, chercheurs, personnels<br />

techniques et administratifs et, au-<strong>de</strong>là, <strong>de</strong><br />

l’éducation permanente) et, d’autre part, <strong>les</strong><br />

artistes et <strong>les</strong> professionnels <strong>de</strong> la <strong>culture</strong>.<br />

L’<strong>Espace</strong> Culture veille également à être<br />

force <strong>de</strong> proposition novatrice autant<br />

qu’expérimentale en matière <strong>de</strong> démocratisation<br />

<strong>culture</strong>lle.<br />

C’est dans son lien étroit avec <strong>les</strong> autres sphères<br />

professionnel<strong>les</strong> citées, dans un rapport permanent<br />

d’échanges et d’ouverture avec cel<strong>les</strong>-ci que cette<br />

structure construit sa légitimité, revêt tout son sens.<br />

Alors, forcément, l’<strong>Espace</strong> Culture, en tant<br />

que lieu, se <strong>de</strong>vait d’être différent. L’équipe<br />

qui a présidé à sa naissance et <strong>les</strong> institutions<br />

partenaires qui y ont financièrement contribué<br />

se sont imposées <strong>de</strong> multip<strong>les</strong> et lour<strong>de</strong>s<br />

contraintes afin <strong>de</strong> permettre à la réalisation<br />

architecturale et équipementielle d’être<br />

totalement en phase avec le projet <strong>culture</strong>l <strong>de</strong><br />

l’université. Afin <strong>de</strong> ne pas le compromettre.<br />

Afin <strong>de</strong> ne pas l’assagir. Afin <strong>de</strong> ne pas le<br />

niveler ni le conformer. Afin <strong>de</strong> le servir<br />

pleinement. Afin <strong>de</strong> permettre à l’équipe <strong>de</strong><br />

l’USTL et au public actif qui l’accompagne <strong>de</strong><br />

continuer à nous gratouiller là où ça chatouille.<br />

Maintenant que cet <strong>Espace</strong> Culture, si particulier,<br />

est achevé, il importe que chacun reste<br />

vigilant.<br />

Il est <strong>de</strong> première importance que cet endroit<br />

placé au centre du campus, mo<strong>de</strong>ste dans sa<br />

configuration, immo<strong>de</strong>ste dans ses propositions,<br />

n’incite pas au culte du lieu mais célèbre<br />

bien plutôt celui <strong>de</strong> l’acteur <strong>culture</strong>l. La<br />

première posture ne mènerait pas bien loin, au<br />

contraire elle serait une forme <strong>de</strong> régression, <strong>de</strong><br />

repli sur soi, d’échec en un mot.<br />

La secon<strong>de</strong> posture relève du manifeste, elle<br />

est inconfortable, exigeante, non sclérosante,<br />

indispensable. Elle est une incontestable<br />

expression du droit à la <strong>culture</strong> et une<br />

mobilisation réfléchie en sa faveur.<br />

Il s’agit bien <strong>de</strong> positionner le service comme<br />

l’aboutissement évi<strong>de</strong>nt du projet et non le<br />

contraire.<br />

Cela <strong>de</strong>man<strong>de</strong> du courage et le courage,<br />

effectivement, n’a jamais manqué <strong>de</strong><br />

l’avènement <strong>de</strong> l’USTL Culture à l’achèvement<br />

<strong>de</strong>s travaux <strong>de</strong> l’<strong>Espace</strong> Culture. Mais la<br />

dynamique ne s’arrête pas là pour autant.<br />

Dotée d’un outil singulier autant que<br />

performant, elle ne s’en trouve que réactivée.<br />

Que ce lieu nouveau, dans toutes <strong>les</strong> acceptions<br />

du terme, ne se transforme jamais en temple<br />

mais bien en forum permanent, en espace<br />

<strong>de</strong> formation critique d’acteurs <strong>culture</strong>ls, en<br />

fabrique d’idées, en site d’implication, en<br />

développeur d’imaginaires, en laboratoire<br />

<strong>de</strong> la transversalité et du croisement <strong>de</strong>s<br />

compétences, en observatoire <strong>de</strong> la friction…<br />

À chacun <strong>de</strong> compléter la liste !<br />

Lors <strong>de</strong> mon cursus <strong>de</strong><br />

DESS à l’USTL, l’<strong>Espace</strong><br />

Culture s’est révélé être,<br />

pour moi, un lieu <strong>de</strong><br />

possibilités et d’ouverture.<br />

En effet, alors que j’arrivais<br />

d’ailleurs, un peu perdue,<br />

la rencontre <strong>de</strong> ce lieu m’a<br />

permis d’approfondir et<br />

d’évoluer dans une pratique<br />

artistique alors encore<br />

somnolente. L’<strong>Espace</strong><br />

Culture m’a également<br />

permis <strong>de</strong> connaître<br />

d’autres visages que ceux<br />

côtoyés quotidiennement<br />

lors <strong>de</strong>s cours - processus<br />

<strong>de</strong> socialisation important,<br />

à mon sens, pour que<br />

l’étudiant étranger qui<br />

débarque à Lille s’y sente<br />

bien et qu’il y fasse sa<br />

place.<br />

Je pense donc à l’<strong>Espace</strong><br />

Culture comme lieu <strong>de</strong><br />

vie, lieu d’échanges et <strong>de</strong><br />

connaissance, lieu qui<br />

selon moi se révèle être un<br />

véritable espace public.<br />

Par Sandra GUINAND<br />

Ancienne étudiante à<br />

l’USTL, DESS Ville et<br />

Projets<br />

18


dossier / LNA#35<br />

Une politique<br />

philosophique <strong>de</strong> <strong>culture</strong><br />

Par Christian RUBY *<br />

Enseignant, Chargé <strong>de</strong> cours sur le service<br />

Audiosup.net <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Paris X, et à<br />

l’Antenne parisienne <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Chicago<br />

Ce centre <strong>de</strong> <strong>culture</strong> montre avec éclat<br />

que la cause <strong>de</strong> la philosophie n’est pas<br />

nécessairement perdue lorsqu’elle est soumise<br />

à un procès <strong>de</strong> médiatisation, qu’elle a tout à<br />

gagner à persévérer dans <strong>les</strong> confrontations<br />

transversa<strong>les</strong> entre <strong>les</strong> savoirs. L’idée que la<br />

philosophie puisse prospérer au détriment <strong>de</strong>s<br />

autres savoirs n’a jamais fait que l’enfermer.<br />

L’idée qu’elle puisse se passer <strong>de</strong>s savoirs fait<br />

du mot « philosophie » un mot simplement<br />

commo<strong>de</strong> pour désigner un genre littéraire<br />

parmi d’autres. Plus <strong>les</strong> savoirs se déploient,<br />

plus la philosophie a du travail. Plus <strong>les</strong><br />

connaissances se diffusent, plus elle doit<br />

se montrer, en public, active au milieu <strong>de</strong>s<br />

différends.<br />

Enfin, plus généralement, la curiosité théorique<br />

et pratique a besoin d’un lieu <strong>de</strong> rencontre.<br />

Mais il lui faut aussi une politique, non une<br />

politique <strong>culture</strong>lle – dans laquelle on se flatte<br />

<strong>de</strong> soutenir <strong>de</strong>s « projets <strong>culture</strong>ls », <strong>de</strong>stinés<br />

à « <strong>de</strong>s publics », soumettant <strong>les</strong> œuvres aux<br />

règ<strong>les</strong> du jeu politico-<strong>culture</strong>l, consistant à faire<br />

entrer la <strong>culture</strong> dans le cadre <strong>de</strong> l’esthétisation,<br />

<strong>de</strong> la communication <strong>culture</strong>lle –, mais une<br />

politique <strong>de</strong> <strong>culture</strong>. Une politique qui favorise<br />

l’épanouissement d’une manière <strong>de</strong> poser le<br />

problème <strong>de</strong> la <strong>culture</strong>, <strong>de</strong>s arts, et du public,<br />

qui suscite <strong>de</strong>s confrontations, <strong>les</strong>quel<strong>les</strong><br />

pourraient engendrer <strong>de</strong> nouveaux espaces<br />

éducatifs, artistiques et politiques.<br />

renouvelée, que l’activité scientifique recèle en C’est l’histoire hédoniste<br />

elle-même sa propre mesure d’humanité est en du mariage hérétique<br />

soi un bien précieux, à préserver absolument. entre Sir Art, fumiste ?, et<br />

Au « toujours plus », qui nous pousse Dame Science, ascétique.<br />

quotidiennement à la consommation, s’oppose<br />

De l’hymen atypique<br />

<strong>de</strong> champs exploratoires<br />

ici définitivement un « jamais plus » qui est<br />

sondant l’un l’ineffable,<br />

celui <strong>de</strong> l’infini respect. Cela <strong>de</strong>man<strong>de</strong> plus que<br />

l’autre l’exact savoir.<br />

<strong>de</strong> l’espace : un déploiement qui doit pouvoir « Chimérique utopie que<br />

durer tout le temps que ce respect ne sera pas ce fatras abscons, croient<br />

<strong>de</strong>venu réellement une habitu<strong>de</strong>, c’est-à-dire, ceux qui voient en fils un<br />

finalement, une <strong>culture</strong>.<br />

monstre moribond. Peut-on<br />

C’est pourquoi, à mes yeux, il faudrait seulement penser que cette<br />

comprendre l’<strong>Espace</strong> Culture comme un soupe incongrue nourrira<br />

<strong>Espace</strong>-temps <strong>culture</strong>l, nous faisant redécouvrir la rigueur <strong>de</strong> nos esprits<br />

le cœur le plus secret <strong>de</strong> nos existences. Car<br />

ardus ? ».<br />

Or, l’hybri<strong>de</strong> séduit<br />

« comparés aux milliards d’années sur <strong>les</strong>quel<strong>les</strong><br />

son rationnel public.<br />

s’étend l’histoire <strong>de</strong> la terre, <strong>les</strong> six mille ans <strong>de</strong><br />

Croissant à chaque volée<br />

la tradition humaine sont comme <strong>les</strong> premières palingénésique, il se<br />

secon<strong>de</strong>s d’une nouvelle pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> transformation montre fécond, que dis-je,<br />

<strong>de</strong> la planète » (K. Jaspers, La situation spirituelle floribond ; insensiblement<br />

<strong>de</strong> notre époque).<br />

s’installe, tumeur<br />

messianique, participe<br />

au dédale <strong>de</strong> nos heures<br />

empiriques.<br />

On le nomme.<br />

Culture.<br />

<strong>Espace</strong> <strong>de</strong> son prénom.<br />

Par Maxime PAUWELS<br />

Étudiant, Association<br />

« Les Arts Osés »<br />

* Dernier ouvrage : Les Résistances à l’art contemporain, Bruxel<strong>les</strong>,<br />

Labor, 2002 ; La Responsabilité, Paris, Quintette, 2003.<br />

<strong>Espace</strong>-temps <strong>culture</strong>l…<br />

Par Jean-Marie BREUVART<br />

Philosophe<br />

Il faut avoir fréquenté l’<strong>Espace</strong> Culture <strong>de</strong><br />

l’USTL pour vivre en vérité la force et <strong>les</strong><br />

faib<strong>les</strong>ses du concept même <strong>de</strong> « <strong>culture</strong> », mot<br />

barbouillé <strong>de</strong> connotations diverses et contradictoires.<br />

D’où l’urgence <strong>de</strong> revenir à l’essentiel.<br />

L’affirmation, franche et inlassablement<br />

entrée libre © Julien Lapasset<br />

19


LNA#35 / dossier<br />

> version intégrale <strong>de</strong> l’article : www.univ-lille1.fr/<strong>culture</strong><br />

Une hétérotopie<br />

dans la cité<br />

Par Alain CAMBIER<br />

Professeur <strong>de</strong> Philosophie en Khâgne (Douai)<br />

Au cœur du campus, l’<strong>Espace</strong> Culture<br />

apparaît comme un espace <strong>de</strong> dialogue où<br />

sal<strong>les</strong> <strong>de</strong> conférences, d’expositions, <strong>de</strong> représentations<br />

théâtra<strong>les</strong>, musica<strong>les</strong> ou <strong>de</strong> danse<br />

constituent autant d’ouvertures au mon<strong>de</strong>.<br />

Car s’il est vrai que penser, réfléchir, s’adonner<br />

à la recherche impliquent une mise en retrait<br />

<strong>de</strong> l’être humain, celui-ci ne peut pourtant<br />

faire abstraction <strong>de</strong> son être-au-mon<strong>de</strong>, sans<br />

risquer <strong>de</strong> se déshumaniser. L’<strong>Espace</strong> Culture<br />

est là pour nous le rappeler. En ce sens, il n’est<br />

pas simplement une Agora au cœur <strong>de</strong> la cité<br />

universitaire où chacun peut venir débattre au<br />

milieu <strong>de</strong>s autres, mais il se définit comme une<br />

hétérotopie. Michel Foucault désignait par ce<br />

concept « <strong>de</strong>s lieux réels, <strong>de</strong>s lieux effectifs, <strong>de</strong>s<br />

lieux qui sont <strong>de</strong>ssinés dans l’institution même<br />

<strong>de</strong> la société, et qui sont <strong>de</strong>s sortes <strong>de</strong> contreemplacements,<br />

sortes d’utopies effectivement<br />

réalisées dans <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> <strong>les</strong> emplacements réels,<br />

tous <strong>les</strong> autres emplacements réels que l’on peut<br />

trouver à l’intérieur <strong>de</strong> la <strong>culture</strong> sont à la fois<br />

représentés, contestés et inversés, <strong>de</strong>s sortes <strong>de</strong><br />

lieux qui sont hors <strong>de</strong> tous <strong>les</strong> lieux, bien que<br />

pourtant ils soient effectivement localisab<strong>les</strong> » 1 .<br />

L’<strong>Espace</strong> Culture apparaît bien comme un lieu<br />

réel, mais toujours autre que lui-même, dans la<br />

mesure où il inscrit son espace dans l’ordre du<br />

symbolique. Sa fonction consiste à représenter<br />

d’autres horizons qui font ainsi irruption dans<br />

la cité universitaire. En tant qu’hétérotopie,<br />

l’<strong>Espace</strong> Culture constitue un emplacement critique,<br />

puisque le <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> la cité se retrouve en<br />

son <strong>de</strong>dans : le « là-bas » est alors ici. Il renvoie<br />

à d’autres lieux que lui-même et ouvre <strong>les</strong> possib<strong>les</strong><br />

au cœur même <strong>de</strong> notre réalité prosaïque.<br />

Son organisation modulable accentue encore ce<br />

caractère : son café <strong>culture</strong>l se métamorphose<br />

en salle <strong>de</strong> projection ou <strong>de</strong> manifestation artistique,<br />

sa salle d’exposition change sans cesse<br />

au gré <strong>de</strong> ce qu’elle montre, son amphithéâtre,<br />

propice aux débats, peut se muer en salle <strong>de</strong><br />

spectac<strong>les</strong> venus parfois d’un extrême ailleurs.<br />

En un mot, l’hétérotopie <strong>de</strong> l’<strong>Espace</strong> Culture<br />

opère une dilatation <strong>de</strong> l’espace et du temps.<br />

Au sens propre, l’espace qu’il déploie débor<strong>de</strong><br />

largement son lieu assigné.<br />

Au-<strong>de</strong>là du savoir qui y est transmis, ce lieu<br />

critique ouvre celle-ci à la question du sens <strong>de</strong><br />

l’existence. Car une cité, quelle qu’elle soit, ne<br />

peut se contenter d’être un ensemble <strong>de</strong> constructions<br />

: encore faut-il qu’elle soit habitable.<br />

Habiter ne signifie pas simplement disposer<br />

d’un domicile, mais veut dire organiser son<br />

mon<strong>de</strong> autour d’un centre, faire rayonner<br />

un espace qualifié <strong>de</strong> significations qui rend<br />

notre environnement familier. Trop souvent,<br />

comme le relevait Hei<strong>de</strong>gger, le besoin <strong>de</strong><br />

construire <strong>de</strong>s bâtiments l’emporte sur le souci<br />

<strong>de</strong> l’habitat. Ainsi, une cité universitaire peut<br />

paradoxalement nous condamner à la grégaire<br />

solitu<strong>de</strong>. Depuis déjà longtemps, l’USTL a<br />

voulu pallier ce danger en donnant droit <strong>de</strong> cité<br />

aux expériences <strong>culture</strong>l<strong>les</strong>. Toute expérience<br />

est une traversée : la <strong>culture</strong> plus qu’une autre<br />

puisqu’elle nous fait sortir du cercle étroit <strong>de</strong><br />

nos certitu<strong>de</strong>s étriquées. Enfin achevé, l’<strong>Espace</strong><br />

Culture pourra d’autant mieux poursuivre son<br />

ambition : réconcilier le bâtir et l’habiter, pour<br />

faire retrouver à chacun son être-au-mon<strong>de</strong>.<br />

1<br />

Michel Foucault, Des espaces autres in Dits et écrits, tome IV,<br />

éd. Gallimard, 1994, p. 756.<br />

À la croisée artscience<br />

Par Olivier BENOIT<br />

Musicien<br />

Expérimentation,<br />

recherche, laboratoire sont<br />

<strong>de</strong>s mots que l’on entend<br />

souvent à l’université.<br />

Mais c’est aussi un<br />

vocabulaire courant dans<br />

l’art. Pourtant, lorsque<br />

l’on parle <strong>de</strong> recherche<br />

artistique, <strong>de</strong> création, le<br />

public peut se méfier ou<br />

ne pas comprendre, voire<br />

fuir alors que, comme<br />

pour la science, celle-ci est<br />

indispensable. La création<br />

est même la raison d’être<br />

<strong>de</strong> l’art.<br />

Diverses expériences<br />

récentes (je pense<br />

notamment à la<br />

chorégraphe Christine <strong>de</strong><br />

Smedt dans « 9x9 », au<br />

film <strong>de</strong> Bruno Dumont :<br />

« L’humanité », ou à mon<br />

expérience personnelle)<br />

qui intègrent <strong>de</strong>s artistes<br />

dits « amateurs » au sein <strong>de</strong><br />

groupes « professionnels »<br />

me font penser, étant<br />

donné le résultat, parfois<br />

si fort et original, que la<br />

barrière à laquelle on est<br />

habitués peut totalement<br />

perdre son sens.<br />

Ce nouveau lieu est un<br />

terrain <strong>de</strong> rencontre entre<br />

artistes dits « confirmés »<br />

et gens curieux, désireux.<br />

C’est un outil quasiinespéré,<br />

vu la tentative<br />

grandissante <strong>de</strong> récupérer<br />

la <strong>culture</strong>, <strong>de</strong> la détourner,<br />

<strong>de</strong> contrôler l’outil <strong>de</strong><br />

production <strong>de</strong> bout en<br />

bout, <strong>de</strong> la rentabiliser, bref<br />

<strong>de</strong> la vi<strong>de</strong>r <strong>de</strong> sa moelle.<br />

À nous <strong>de</strong> faire vivre<br />

cet <strong>Espace</strong> Culture,<br />

<strong>de</strong> confirmer que l’art<br />

« vivant » (opérant) est<br />

vital et pas seulement<br />

pour <strong>les</strong> « chercheurs » (<strong>les</strong><br />

créateurs).<br />

20


vivre <strong>les</strong> sciences, vivre le droit / LNA#35<br />

Retombée <strong>de</strong>s températures, mais toujours :<br />

délires et délices <strong>de</strong>s émotions dans un «État <strong>de</strong> droit»<br />

Par Jean-Marie BREUVART<br />

Philosophe<br />

Les effets <strong>de</strong> la canicule sont maintenant bien retombés, et je<br />

ne voudrais pas pour l’heure <strong>vous</strong> servir du « réchauffé » !<br />

Pourtant, avec le recul, apparaît maintenant la nécessité <strong>de</strong> relier<br />

cela à ce qui se passe encore tous <strong>les</strong> jours sous nos yeux,<br />

avec le gouffre <strong>de</strong> la sécurité sociale, <strong>les</strong> difficultés <strong>de</strong> notre<br />

gouvernement face à l’Europe, le chômage qui repart à la<br />

hausse, <strong>les</strong> fermetures d’usines, résultant d’une gestion purement<br />

technique <strong>de</strong> l’économie, sans oublier, bien sûr, la violence<br />

universellement présente ni la montée <strong>de</strong> l’intolérance.<br />

C’est au cœur même <strong>de</strong> nos vies qu’il y a insécurité.<br />

Justement, nos problèmes ne relèveraient-ils pas <strong>de</strong> la même<br />

difficulté à articuler nos émotions personnel<strong>les</strong> à l’émotion<br />

collective ? Car l’émotion collective fut gran<strong>de</strong>, l’été <strong>de</strong>rnier.<br />

Mais disait-elle <strong>les</strong> drames individuels qui s’y cachaient ?<br />

Un grand journal national a raconté la douce disparition d’un<br />

couple <strong>de</strong> personnes âgées, pourtant relativement choyé par<br />

son entourage. Ils sont disparus à quelques jours d’intervalle,<br />

sans que <strong>les</strong> grands média ne s’y intéressent.<br />

Ce décalage entre l’émotion collective « à fleur <strong>de</strong> peau » et <strong>les</strong><br />

émotions personnel<strong>les</strong> a bien évi<strong>de</strong>mment <strong>de</strong>s conséquences<br />

sur le rapport aux sciences et au droit. En l’absence d’une<br />

authentique para<strong>de</strong> juridique ou scientifique, chacun est resté<br />

aux prises avec la turbulence <strong>de</strong> sa propre vie intérieure, ne<br />

sachant trop qu’en faire, ni comment la comparer réellement à<br />

celle du voisin ou <strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong>s citoyens.<br />

Car il est inscrit dans l’évolution même <strong>de</strong> notre société technicienne<br />

que tout problème doive se résoudre par référence<br />

soit aux sciences, soit au droit, soit aux <strong>de</strong>ux. Et nous avions,<br />

avec la canicule, <strong>de</strong> quoi illustrer l’un ou l’autre <strong>de</strong> ces cas <strong>de</strong><br />

figure.<br />

Le droit d’abord, ou plutôt le pouvoir politique, dont <strong>les</strong> institutions<br />

ont mal fonctionné, notamment l’observatoire <strong>de</strong> la<br />

santé, qui n’avait pas suffisamment pressenti la gravité <strong>de</strong>s<br />

choses, et n’avait en tout cas pas su diffuser son sentiment<br />

dans <strong>les</strong> institutions <strong>de</strong> sa compétence.<br />

Ce dysfonctionnement doit-il pour autant conduire à une révision<br />

<strong>de</strong> la législation ? Encore une façon d’insister sur l’importance<br />

du droit dans la gestion <strong>de</strong>s vies privées. Mais quelle<br />

instance pourrait alors contrôler une telle articulation entre le<br />

droit, <strong>les</strong> institutions et le pouvoir politique ? Il y faudrait un<br />

dieu, peut-être.<br />

Alors, pourquoi pas <strong>les</strong> sciences, notamment <strong>les</strong> sciences dites<br />

« humaines », mais également <strong>les</strong> sciences <strong>de</strong> la complexité<br />

climatique et cel<strong>les</strong> <strong>de</strong>s organismes humains qui y sont confrontés<br />

? Ici non plus, on ne peut se prévaloir d’une instance<br />

supérieure, qui permettrait <strong>de</strong> mieux résoudre <strong>les</strong> questions<br />

auxquel<strong>les</strong> est quotidiennement confronté tout citoyen. À<br />

supposer même que chacune <strong>de</strong> ces sciences puisse clarifier<br />

la question du rapport humain au climat, elle le fait dans sa<br />

sphère, sans pour autant viser ce que l’on pourrait appeler une<br />

« transdisciplinarité météorologique ».<br />

Resterait alors à traiter la question à un niveau plus proche <strong>de</strong>s<br />

vies individuel<strong>les</strong> et <strong>de</strong> leurs émotions, au niveau <strong>de</strong> chaque<br />

« localité », justement là où l’universel du droit et celui <strong>de</strong>s<br />

sciences buttent sur une vérité <strong>de</strong>rnière qui <strong>les</strong> laisse finalement<br />

impuissants. Ne reste plus alors que ce qui est essentiel<br />

à chaque être humain, aux prises avec la question <strong>de</strong> sa vie et<br />

<strong>de</strong> sa mort.<br />

Certes, on pourrait encore saisir le maire ou tel ou tel expert<br />

« local » pour éclairer <strong>les</strong> décisions à prendre. Mais cela ne saurait<br />

en rien remplacer l’attention au différent et au faible. Problème<br />

: le développement même <strong>de</strong> nos sociétés ne conduit-il<br />

pas justement à en détourner chacun, occupé qu’il est à écrire<br />

le moins mal possible sa seule et unique histoire ?<br />

Et pourtant, ne faut-il pas persister et signer pour redire que<br />

seul compte le lieu concret qui reste propice aux rencontres ?<br />

Il n’y a pas eu <strong>de</strong> problème <strong>de</strong> la canicule, mais il y eut une façon<br />

<strong>de</strong> la vivre, délirante ou « délicieuse », selon que l’on y voit<br />

ou non une occasion <strong>de</strong> rencontre <strong>de</strong> l’autre. Ici, en réalité, un<br />

quatrième facteur entre en ligne <strong>de</strong> compte, que notre société<br />

mo<strong>de</strong>rne n’est toujours pas préparée à accepter : le hasard et<br />

le risque, c’est-à-dire ce qui rend réellement humaine toute<br />

relation.<br />

Faut-il pour autant retrouver le vieux réflexe obscurantiste<br />

qui condamne toute volonté d’universalité, au nom d’un non<br />

moins vieux communautarisme ?<br />

Nous n’avons jamais été mo<strong>de</strong>rnes, constatait récemment<br />

Bruno Latour. Non, notre mo<strong>de</strong>rnité serait justement <strong>de</strong><br />

savoir articuler, ici et maintenant, <strong>les</strong> informations scientifiques<br />

nous venant d’instances distantes, <strong>les</strong> prescriptions<br />

juridiques émanant d’un pouvoir tout aussi éloigné, et la vie<br />

désirante <strong>de</strong> chacun, dans la proximité d’un temps météorologique<br />

qui offre, quant à lui, la particularité d’être toujours<br />

« local », pour le meilleur et pour le pire.<br />

21


LNA#35 / mémoires <strong>de</strong> science : rubrique dirigée par Ahmed Djebbar<br />

> version intégrale <strong>de</strong> l’article : www.univ-lille1.fr/<strong>culture</strong><br />

Christiaan Huygens (1629-1695)<br />

Homme <strong>de</strong> principes et homme <strong>de</strong> lois<br />

Par Fabien CHAREIX<br />

Maître <strong>de</strong> conférences, Université <strong>de</strong> Paris-IV/Sorbonne<br />

On connaît aujourd’hui le nom <strong>de</strong> Christiaan Huygens<br />

parce qu’il reste attaché à un principe <strong>de</strong> propagation<br />

ondulatoire <strong>de</strong> la lumière. Mais qui fut ce savant, considéré en<br />

son temps comme l’un <strong>de</strong>s plus influents physiciens ?<br />

Christiaan Huygens est né en juillet 1629, au sein d’une<br />

famille dévouée à la lignée <strong>de</strong>s princes d’Orange. Refusant<br />

<strong>de</strong> suivre son père Constantijn et son frère Lo<strong>de</strong>wijk dans la<br />

voie <strong>de</strong> la diplomatie, il se consacre dès son plus jeune âge<br />

aux mathématiques et, plus particulièrement, à la mécanique<br />

théorique.<br />

Huygens, par sa position dans le siècle, permet <strong>de</strong> jeter un<br />

pont entre l’œuvre <strong>de</strong> Galilée en philosophie naturelle et celle<br />

<strong>de</strong> Newton.<br />

Ses premières recherches en mathématiques sont liées à la<br />

mesure <strong>de</strong>s surfaces et, en physique, il a réalisé <strong>de</strong> nombreuses<br />

étu<strong>de</strong>s qui suivent le modèle galiléen : l’équilibre <strong>de</strong>s soli<strong>de</strong>s,<br />

l’étu<strong>de</strong> du mouvement et du repos considérés en tant qu’états<br />

relatifs, la chute libre et le mouvement composé <strong>de</strong>s corps<br />

projetés. Nommé, dès la création, en 1666, membre <strong>de</strong> l’Académie<br />

royale <strong>de</strong>s sciences, et <strong>de</strong>meurant presque vingt ans à<br />

Paris où il a publié ses travaux <strong>les</strong> plus importants, Huygens<br />

appartient en propre à la <strong>culture</strong> scientifique <strong>de</strong> notre pays.<br />

Huygens a critiqué la physique <strong>de</strong> Descartes <strong>de</strong>puis le commencement<br />

<strong>de</strong> ses recherches sur le choc <strong>de</strong>s corps, entre 1652<br />

et 1656. Toutes <strong>les</strong> règ<strong>les</strong> données par le philosophe français<br />

sont fausses, dit Huygens, sauf la première. Évitant, comme<br />

Descartes, d’abuser du concept <strong>de</strong> force interne dans la <strong>de</strong>scription<br />

<strong>de</strong> différents corps se « rencontrant » dans l’impact,<br />

Huygens parvient à calculer <strong>les</strong> vitesses résultantes après le<br />

choc. Si a, b et c sont respectivement la quantité <strong>de</strong> matière<br />

dans A, dans B, et la vitesse <strong>de</strong> A avant l’impact, et si x est la<br />

vitesse <strong>de</strong> A après l’impact, on obtient la relation :<br />

Huygens a réalisé une expression calculable <strong>de</strong> x seulement<br />

après avoir essayé <strong>de</strong> voir ce que pouvait donner l’application<br />

<strong>de</strong> la conservation du mouvement au sens <strong>de</strong> Descartes (mv).<br />

Puis, essayant <strong>de</strong> trouver une loi <strong>de</strong> conservation, il a l’idée <strong>de</strong><br />

modifier le principe cartésien en prenant non pas la vitesse,<br />

mais son carré, dans l’équation générale <strong>de</strong>s forces engagées<br />

dans le choc. Cette quantité mv 2 a joué un rôle considérable<br />

dans le système <strong>de</strong> Leibniz et dans la physique <strong>de</strong> l’énergie,<br />

mais elle était en fait chez Huygens le produit d’une hypothèse<br />

algébrique, sans signification physique particulière, qui permettait<br />

<strong>de</strong> conclure à une conservation <strong>de</strong>s forces (vires). Dans<br />

ses lettres très précoces à Mersenne, Huygens a commencé à<br />

résoudre quelques problèmes mécaniques (oscillation, centre<br />

<strong>de</strong> la gravité, principe <strong>de</strong> l’accélération uniforme <strong>de</strong>s corps<br />

dans le vi<strong>de</strong>). L’ Horologium Oscillatorium (1673) expose,<br />

après vingt années <strong>de</strong> recherches mécaniques, l’ensemble <strong>de</strong>s<br />

résultats qui, selon notre savant, contribuent à « perfectionner<br />

l’œuvre magnifique <strong>de</strong> Galileus ».<br />

Huygens, indépendamment <strong>de</strong> l’école italienne <strong>de</strong> Galilée,<br />

a eu l’idée <strong>de</strong> réguler <strong>de</strong>s horloges avec le mouvement d’un<br />

pendule. Mais la question physique et mathématique cruciale<br />

était celle <strong>de</strong> la précision <strong>de</strong> chaque oscillation. En 1659, il<br />

donne la démonstration selon laquelle l’isochronisme parfait<br />

(indépendance <strong>de</strong> la fréquence et <strong>de</strong> l’amplitu<strong>de</strong> d’un pendule<br />

simple) est obtenu quand le plomb du pendule décrit une<br />

courbe cycloïdale. Alors la fréquence dépend seulement <strong>de</strong> la<br />

longueur du pendule. Si l’on adopte une notation mo<strong>de</strong>rne et<br />

fautive :<br />

Cette propriété <strong>de</strong> la cycloï<strong>de</strong> est venue à l’esprit <strong>de</strong> Huygens<br />

quand, après avoir démontré que <strong>les</strong> oscillations brèves sont<br />

quasi-isochrones, il s’est rappelé sa propre contribution au<br />

défi <strong>de</strong> Pascal sur <strong>les</strong> propriétés géométriques <strong>de</strong> la « roulette<br />

» : dans une telle figure, toutes <strong>les</strong> tangentes sont parallè<strong>les</strong><br />

aux cor<strong>de</strong>s correspondantes du cercle générateur, et la pério<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> la chute est ainsi égale quelle que soit l’amplitu<strong>de</strong>. Huygens<br />

a également étudié d’autres genres <strong>de</strong> mouvements périodiques<br />

: le pendule circulaire fut l’occasion d’une étu<strong>de</strong> complète<br />

<strong>de</strong> la force centrifuge. La tension, mesurée par Huygens,<br />

dépend <strong>de</strong> la vitesse <strong>de</strong> rotation et du rayon. La loi, qui a été<br />

découverte par <strong>les</strong> moyens <strong>de</strong>s expériences répétées, est .<br />

Appliquant le principe <strong>de</strong> relativité, Huygens a pu prouver<br />

la correspondance mathématique entre la force centrifuge<br />

et l’accélération <strong>de</strong> chute libre. Il imagine ce qu’un homme, situé<br />

sur un plateau en révolution uniforme, peut voir quand un<br />

objet est libéré <strong>de</strong> sa propre main. Pour un observateur extérieur,<br />

le mouvement est vu en tant que rectiligne et uniforme.<br />

Pour l’homme du plat, <strong>les</strong> distances augmentent, à chaque<br />

quantité <strong>de</strong> temps égale, dans la proportion galiléenne 1, 3,<br />

5, 7…, qui est le rapport <strong>de</strong> progression <strong>de</strong>s espaces dans la<br />

chute libre.<br />

À l’heure <strong>de</strong> son premier voyage à Paris (1655), il a été connu<br />

pour sa conception <strong>de</strong> l’anneau <strong>de</strong> Saturne et pour sa contribution<br />

à la quadrature du cercle. Un <strong>de</strong>uxième voyage<br />

(1660-61) lui a permis <strong>de</strong> montrer sa première publication sur<br />

<strong>de</strong>s rouages d’horloge : l’Horologium (1658), qui présente le<br />

premier modèle d’horloge régulé par un pendule.<br />

Jusqu’en 1672, Huygens ne s’est intéressé à l’optique que sous<br />

22


mémoires <strong>de</strong> science : rubrique dirigée par Ahmed Djebbar / LNA#35<br />

l’angle <strong>de</strong> la géométrie, dont <strong>les</strong> résultats lui étaient uti<strong>les</strong> pour<br />

concevoir <strong>de</strong>s lunettes. Après la contribution <strong>de</strong> Newton, qui<br />

publie une série d’artic<strong>les</strong> sur la lumière et sur la couleur,<br />

Huygens va ajouter la question <strong>de</strong> la lumière à ses nombreux<br />

centres d’intérêt. Il rejette l’hypothèse newtonienne selon<br />

laquelle la lumière est faite <strong>de</strong> petites particu<strong>les</strong> <strong>de</strong> matière<br />

légère, possédant <strong>de</strong>s « accès » <strong>de</strong> facile réfraction ou <strong>de</strong> facile<br />

réflexion. Comment un morceau <strong>de</strong> matière pourrait-il savoir<br />

quand il est temps <strong>de</strong> rebondir ? Newton, étudiant <strong>les</strong><br />

anneaux colorés apparaissant dans <strong>les</strong> lames minces, assigne<br />

à chaque couleur un nombre dans lequel nous reconnaissons<br />

aujourd’hui une longueur d’on<strong>de</strong>, mais qui n’a pas cette propriété<br />

au sein <strong>de</strong> sa théorie corpusculaire. Après Bartholin et<br />

Grimaldi, Huygens se concentre sur <strong>les</strong> propriétés du cristal<br />

ou du «spath» <strong>de</strong> l’Islan<strong>de</strong>. En passant par le cristal, la lumière<br />

engendre <strong>de</strong>ux réfractions. La théorie corpusculaire<br />

ne pouvait pas expliquer comment une quantité indiquée <strong>de</strong><br />

particu<strong>les</strong> pourrait réellement produire <strong>de</strong>ux rayons d’égale<br />

intensité. Huygens imagine, en 1677, que la lumière peut être<br />

une pression transmise en on<strong>de</strong>s sphériques et, dans le cas<br />

<strong>de</strong> la réfraction extraordinaire, sphéroïdale (la structure du<br />

cristal expliquant ainsi la double réfraction). Selon Huygens,<br />

chaque point dans l’on<strong>de</strong> est le commencement d’une autre<br />

on<strong>de</strong> et, périodiquement, <strong>les</strong> on<strong>de</strong>lettes concourent en une<br />

courbe tangente commune.<br />

Le « principe <strong>de</strong> Huygens » ne permettait pas d’expliquer tous<br />

<strong>les</strong> phénomènes (la propagation rectiligne était un problème<br />

réel, par exemple, tout comme la polarisation) et la théorie <strong>de</strong><br />

Newton conservait ainsi <strong>de</strong> nombreux avantages, malgré ses<br />

lacunes. C’est ainsi que commence une longue rivalité entre<br />

<strong>de</strong>ux explications physiques <strong>de</strong> la lumière. Fresnel et Young,<br />

au XIXe siècle, retrouveront par d’autres moyens l’idée ondulatoire.<br />

Huygens laisse, dans ses manuscrits, <strong>de</strong> nombreuses réflexions<br />

sur la nature <strong>de</strong>s théories scientifiques, sur <strong>les</strong> relations entre la<br />

loi et le réel. Trop attaché au rationalisme, il a toujours refusé<br />

aux hypothèses <strong>de</strong> Newton le statut d’une véritable théorie<br />

physique. Trop lié à la science mo<strong>de</strong>rne, il a toujours, en revanche,<br />

admis la supériorité <strong>de</strong>s lois <strong>de</strong> Newton sur cel<strong>les</strong> <strong>de</strong>s<br />

cartésiens mineurs qui se disputent, alors, l’héritage du maître.<br />

Son œuvre, bien plus qu’une simple collection <strong>de</strong> principes<br />

et <strong>de</strong> lois, nous incite à réfléchir aux rapports qu’il y a entre<br />

un principe (qui doit être fondé et compréhensible) et une loi<br />

(qui n’est qu’un rapport). Cette présence d’une réflexion philosophique<br />

chez l’un <strong>de</strong>s plus grands physiciens <strong>de</strong> son époque<br />

nous montre, à l’évi<strong>de</strong>nce, le lien étroit entre la philosophie<br />

naturelle (ou physique) et la philosophie tout court.<br />

Pour en savoir plus :<br />

Oeuvres Complètes <strong>de</strong> Christiaan Huygens. Editées par la Société Hollandaise <strong>de</strong>s<br />

Sciences, XXII vol., La Haye 1888-1950.<br />

[coll.] Huygens et la France (Paris : Vrin, 1981)<br />

Chareix, Fabien [dir.], « Expérience et raison », la science chez Huygens (1629-<br />

1695), Revue d’histoire <strong>de</strong>s sciences, 56-1 (2003)<br />

Article intégral (iconographies et bibliographie) sur www.univ-lille1.fr/<strong>culture</strong><br />

Traité <strong>de</strong> la lumière, <strong>de</strong>scription <strong>de</strong> la réfraction par une on<strong>de</strong> (AC réfractée en NB)<br />

23


LNA#35 / l’art et la manière<br />

Une comman<strong>de</strong> artistique à la mesure<br />

du corps humain<br />

Propos <strong>de</strong> Michèle DARD<br />

recueillis par Isabelle KUSTOSZ<br />

1<br />

Conçu en 1930 par<br />

l’architecte Jean Walter,<br />

cet édifice rassemble un<br />

hôpital et une faculté <strong>de</strong><br />

mé<strong>de</strong>cine et s’étend sur<br />

60 hectares. Construit<br />

en béton armé et en<br />

briques, il comporte neuf<br />

étages et <strong>de</strong>ux sous-sols<br />

organisés autour d’une<br />

cour d’honneur <strong>de</strong> plan<br />

<strong>de</strong>mi-hexagonal.<br />

2<br />

Né à Tokyo en 1949, il<br />

choisit <strong>de</strong> s’installer en<br />

Allemagne dès 1974. Il<br />

participe à <strong>de</strong> nombreuses<br />

expositions et ses œuvres<br />

sont présentes dans <strong>de</strong><br />

multip<strong>les</strong> collections<br />

publiques. Sa démarche<br />

investit <strong>de</strong> façon<br />

harmonieuse le <strong>de</strong>ssin, la<br />

couleur, le volume. Son<br />

paradoxe est <strong>de</strong> ne pas<br />

hiérarchiser ces catégories<br />

mais <strong>de</strong> <strong>les</strong> faire coexister<br />

en nous proposant un<br />

environnement global.<br />

Dans le cadre du projet <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rnisation <strong>de</strong> l’hôpital Huriez 1 du CHRU <strong>de</strong> Lille, une comman<strong>de</strong><br />

artistique a été confiée à l’artiste japonais Katsuhito Nishikawa 2 par la direction du CHRU en<br />

concertation avec la DRAC (Direction Régionale <strong>de</strong>s Affaires Culturel<strong>les</strong>). Ce projet ambitieux,<br />

qui s’étend <strong>de</strong> la cour d’honneur aux espaces intérieurs, tente, à partir d’une intervention artistique,<br />

d’apporter apaisement et hospitalité dans un lieu, l’hôpital, porteur d’appréhension : une réponse<br />

simple articulée autour <strong>de</strong> quelques mots-clefs tels que quiétu<strong>de</strong>, réconfort, repères à l’opposé du<br />

gigantisme et <strong>de</strong> la complexité labyrinthique <strong>de</strong> l’espace investi. Michèle Dard, responsable du<br />

projet, répond à nos questions.<br />

Les Nouvel<strong>les</strong> d’Archimè<strong>de</strong> :<br />

Porter un projet <strong>de</strong> comman<strong>de</strong> artistique au sein d’un lieu tel que l’hôpital peut ne pas sembler naturel.<br />

Comment peut-on faire pour donner du sens à une telle démarche ?<br />

Michèle Dard :<br />

Le projet <strong>de</strong> comman<strong>de</strong> artistique s’inscrit dans le cadre <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>rnisation <strong>de</strong> l’hôpital Huriez. Ce bâtiment,<br />

d’une architecture monumentale, est emblématique <strong>de</strong> la cité hospitalière. La décision <strong>de</strong> faire<br />

intervenir un artiste sur ce site répond à une volonté <strong>de</strong> proposer <strong>de</strong>s espaces propices à l’apaisement et<br />

à l’hospitalité dans un lieu souvent porteur d’appréhension. L’hôpital constitue dans nos sociétés un <strong>de</strong>s<br />

seuls lieux où se pose le discours <strong>de</strong> la vie et <strong>de</strong> la mort. Il ne faut pas l’esquiver. Une intervention artistique<br />

sur l’espace, l’environnement qui conditionnent la vie <strong>de</strong> toute personne qui passe à l’hôpital, peut<br />

permettre <strong>de</strong> sublimer et d’abor<strong>de</strong>r autrement un temps douloureux. Cette démarche témoigne du respect<br />

<strong>de</strong>s individus, <strong>de</strong>s missions et <strong>de</strong> la gravité <strong>de</strong> ce qui se déroule dans ces lieux.<br />

LNA :<br />

En quoi l’artiste Katsuhito Nishikawa semble pouvoir répondre aux objectifs <strong>de</strong> votre projet ?<br />

3<br />

« Le répertoire est épuré :<br />

l’artiste opte pour <strong>de</strong>s matières<br />

non sophistiquées<br />

(papier, plâtre, chaux,<br />

pierre, bois...) à même <strong>de</strong><br />

véhiculer une impression<br />

<strong>de</strong> <strong>de</strong>nsité. L’apparente<br />

simplicité <strong>de</strong> ces environnements<br />

résulte d’une<br />

approche sensible qui<br />

conjugue simultanément<br />

lignes <strong>de</strong> forces, physicité<br />

<strong>de</strong>s matières et <strong>de</strong>nsité <strong>de</strong><br />

la lumière. »<br />

MD :<br />

L’intervention artistique <strong>de</strong> Katsuhito Nishikawa consiste en l’aménagement intérieur et extérieur <strong>de</strong>s<br />

espaces d’accueil <strong>de</strong> l’hôpital, soit près <strong>de</strong> 5000m 2 . Elle inaugure une nouvelle forme <strong>de</strong> présence <strong>de</strong> l’art à<br />

l’hôpital. Ni monumentale, ni décorative, l’oeuvre propose un espace <strong>de</strong> vie conçu pour améliorer l’environnement<br />

<strong>de</strong>s personnes. L’intervention <strong>de</strong> Katsuhito Nishikawa vise à qualifier le parcours effectué par<br />

<strong>les</strong> usagers. Ce créateur a un champ d’intervention large, qui touche aussi bien l’architecture, l’environnement,<br />

le mobilier, la sculpture et ce, toute hiérarchie gommée. Ce qui est constant dans sa démarche, c’est<br />

que sa vision du corps est une composante <strong>de</strong> l’oeuvre. Sa présence est un leitmotiv qui se décline dans la<br />

matérialité, la physicité, l’échelle 3 .<br />

LNA :<br />

Peut-on considérer que la proposition <strong>de</strong> K. Nishikawa est en quelque sorte « à la mesure <strong>de</strong> notre humanité » ?<br />

MD :<br />

Katsuhito Nishikawa a souhaité humaniser l’esprit <strong>de</strong>s lieux tout en respectant son histoire, son vécu. Il a<br />

conçu son projet artistique à partir du corps humain et <strong>de</strong> sa mesure. La logique qui a présidé à ce projet<br />

vise à offrir à tous <strong>les</strong> usagers amenés à fréquenter l’hôpital une expérience forte <strong>de</strong> vie à travers la présence<br />

d’une oeuvre d’art.<br />

24


l’art et la manière / LNA#35<br />

LNA :<br />

A côté <strong>de</strong> cette question d’échelle, y-a-t-il aussi la dimension <strong>de</strong> mesure du temps et <strong>de</strong> rythme ?<br />

MD :<br />

C’est effectivement une dimension majeure dans l’approche <strong>de</strong> l’artiste qui précise d’ailleurs, dans sa note<br />

d’intention : « J’ai pensé qu’il fallait faire disparaître la structure froi<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’entrée du bâtiment en imaginant<br />

un paysage harmonisant l’espace extérieur et intérieur. J’ai souhaité élever et aplanir le niveau <strong>de</strong><br />

la cour d’honneur, puis y concevoir un ensemble végétal composé d’une unique essence d’arbre, afin <strong>de</strong><br />

rythmer le passage <strong>de</strong>s saisons. »<br />

Photos <strong>de</strong> gauche à droite :<br />

- Physalis, 1998<br />

Glass, stain<strong>les</strong>s steel<br />

(Glass) 45x45x54 cm<br />

(Stain<strong>les</strong>s steel) 230x230x30 cm<br />

- Hôpital Huriez, vue générale<br />

Photo bas <strong>de</strong> page :<br />

- Maquette du projet<br />

Nishikawa, cour d’honneur<br />

hôpital Huriez<br />

LNA :<br />

Le mon<strong>de</strong> végétal, mais aussi la métaphore du « jardin traversé », caractérise le travail <strong>de</strong> l’artiste : quel<br />

sens cela a-t-il ?<br />

MD :<br />

La caractéristique principale <strong>de</strong> ce projet rési<strong>de</strong> dans le fait que la forme créée et l’espace environnant sont<br />

dans un état <strong>de</strong> « compénétration » perpétuelle. L’extérieur propose un havre <strong>de</strong> nature et nous invite à<br />

être au milieu d’une population sereine dans un rapport au corps libéré <strong>de</strong> l’obstacle et du traumatisme.<br />

À l’intérieur, mesure et matière se répon<strong>de</strong>nt et réveillent l’expérience du jardin traversé. Le hall porte <strong>les</strong><br />

indices qui font écho au chemin parcouru. L’ oeuvre contribue à nous orienter.<br />

Par son approche sensible, tactile <strong>de</strong> la matière, <strong>de</strong>s formes, l’artiste réconcilie le <strong>de</strong>dans et le <strong>de</strong>hors, et<br />

tisse un dialogue harmonieux où se conjuguent simplicité, apaisement, hospitalité.<br />

LNA :<br />

Au terme <strong>de</strong> cette comman<strong>de</strong> artistique, qu’est-ce qui pourra <strong>vous</strong> faire dire que le projet est réussi ?<br />

MD :<br />

Pour annoncer et accompagner la mise en place <strong>de</strong> cette réalisation, un projet <strong>de</strong> médiation <strong>culture</strong>lle a été<br />

élaboré. À partir d’actions d’information et <strong>de</strong> sensibilisation, il propose à l’ensemble <strong>de</strong>s personnes qui<br />

fréquentent l’hôpital <strong>de</strong>s rencontres inédites avec l’art et la <strong>culture</strong>.<br />

La présence artistique et <strong>culture</strong>lle à l’hôpital est à même <strong>de</strong> créer <strong>de</strong>s espaces symboliques qui favorisent<br />

le lien entre <strong>les</strong> personnes. C’est un nouveau regard sur un lieu porteur d’appréhension pour mieux vivre<br />

ensemble l’hôpital et l’inscrire pleinement au coeur <strong>de</strong> la cité.<br />

25


LNA#35 / libres propos<br />

La fécondité <strong>de</strong>s erreurs<br />

Histoire <strong>de</strong>s idées dynamiques en physique au XIX e siècle *<br />

* Presses Universitaires<br />

du Septentrion, Coll. Les<br />

savoirs mieux, 2003.<br />

Cet ouvrage 11x18, <strong>de</strong><br />

192 pages, est en vente en<br />

librairie au prix <strong>de</strong> 13,50<br />

euros. Vous pouvez aussi<br />

le comman<strong>de</strong>r aux Presses<br />

Universitaires du Septentrion,<br />

rue du Barreau, B.<br />

P. 199, 59654 Villeneuve<br />

d’Ascq Ce<strong>de</strong>x.<br />

Un livre <strong>de</strong> Bernard POURPRIX<br />

Professeur <strong>de</strong>s Universités honoraire en épistémologie<br />

et histoire <strong>de</strong>s sciences, chercheur à l’UMR<br />

« Savoirs et Textes » (CNRS, Lille 1, Lille 3)<br />

L<br />

’idée que l’on se fait assez généralement <strong>de</strong> la science est formée d’images simplifiées, souvent illusoires.<br />

On croit qu’elle se construit par accumulation progressive <strong>de</strong> connaissances vraies et immuab<strong>les</strong>,<br />

que tout vient <strong>de</strong> l’expérience, etc. La visite du grand « laboratoire épistémologique » <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong>s<br />

sciences est un puissant moyen <strong>de</strong> dissiper ce genre d’illusion. C’est cette conviction que l’auteur veut<br />

faire partager. Il <strong>de</strong>man<strong>de</strong> au lecteur d’entrer avec lui dans le « laboratoire » et d’observer attentivement<br />

<strong>de</strong>s chercheurs au travail, particulièrement ceux qui participent aux bouleversements conceptuels accompagnant<br />

la révolution industrielle du XIXe siècle, ceux qui jettent <strong>les</strong> bases <strong>de</strong> l’électrodynamique<br />

(Volta, Oersted, Ohm, Ampère, Faraday), <strong>de</strong> la thermodynamique et <strong>de</strong> la physique <strong>de</strong> l’énergie (Joule,<br />

Helmholtz, Thomson, Maxwell, Planck) durant un siècle, <strong>de</strong> la pile électrique au quantum d’énergie.<br />

Bien vite le lecteur se rend compte que <strong>les</strong> physiciens ne disposent pas d’une métho<strong>de</strong> universelle, définie<br />

une fois pour toutes, et garantissant la vérité <strong>de</strong> leurs savoirs. Quand ils construisent leurs théories,<br />

ils associent trois sortes d’éléments : conceptuel, mathématique, expérimental. C’est sur le premier <strong>de</strong><br />

ces éléments que l’auteur attire plus particulièrement l’attention. La grille conceptuelle à travers laquelle<br />

sont vus <strong>les</strong> phénomènes occupe, dans la phase d’élaboration d’une théorie, une position clé : c’est elle<br />

qui détermine le choix <strong>de</strong>s hypothèses <strong>les</strong> plus vraisemblab<strong>les</strong>, <strong>de</strong>s principes <strong>les</strong> plus simp<strong>les</strong> et évi<strong>de</strong>nts,<br />

<strong>de</strong>s observations et <strong>de</strong>s expériences <strong>les</strong> plus significatives. L’objet principal <strong>de</strong> ce livre est <strong>de</strong> montrer que<br />

<strong>de</strong>s gril<strong>les</strong> conceptuel<strong>les</strong> reconnues comme fausses par la science d’aujourd’hui ont pourtant joué un rôle<br />

majeur dans l’élaboration du savoir.<br />

À vrai dire, la notion <strong>de</strong> grille conceptuelle recouvre <strong>de</strong>ux idées différentes. Elle comprend d’abord <strong>les</strong><br />

conceptions du mon<strong>de</strong> et <strong>de</strong> la science du chercheur, ces principes philosophiques et épistémologiques<br />

qui sous-ten<strong>de</strong>nt <strong>les</strong> différentes composantes <strong>de</strong> sa pratique scientifique et <strong>les</strong> mettent en cohérence. Les<br />

conceptions statiques et dynamiques du mon<strong>de</strong> en sont <strong>de</strong>s exemp<strong>les</strong> typiques. L’histoire que raconte ce<br />

livre est celle du passage graduel <strong>de</strong>s conceptions statiques aux conceptions dynamiques, passage lié à la<br />

décomposition <strong>de</strong> ce monument qu’est le système <strong>de</strong> Newton. La notion <strong>de</strong> grille conceptuelle s’applique<br />

aussi à une phase bien définie <strong>de</strong> la pratique scientifique, celle <strong>de</strong> la conceptualisation <strong>de</strong>s phénomènes<br />

proprement dite. Ce livre étudie tout particulièrement le passage progressif du cadre conceptuel <strong>de</strong> la<br />

« physique <strong>de</strong> la force » à celui <strong>de</strong> la « physique <strong>de</strong> l’énergie ».<br />

On pourrait être tenté <strong>de</strong> considérer l’histoire <strong>de</strong>s idées dynamiques comme un mouvement qui suit une<br />

voie bien déterminée, un progrès dans une direction donnée. Mais on comprendra vite, en lisant cet<br />

ouvrage, que l’existence d’un tel chemin n’est qu’une illusion. En fait, la science ne fonctionne pas <strong>de</strong> cette<br />

façon. Ce n’est pas une séquence linéaire, et il n’y a pas, en conséquence, quelque chose qui serait le « chaînon<br />

manquant ». Ce qui intéresse l’auteur, chez un chercheur reconnu, ce n’est pas tant l’œuvre achevée,<br />

consacrée par <strong>les</strong> pairs et par l’usage, que l’œuvre en cours d’élaboration. C’est une entreprise souvent<br />

incertaine, à l’aspect foisonnant, buissonnant, rarement linéaire, où le vrai et le faux peuvent se côtoyer. Il<br />

n’est pas rare que <strong>de</strong>s idées qui se révéleront périssab<strong>les</strong>, en particulier cel<strong>les</strong> <strong>de</strong> l’héritage statique, jouent<br />

pourtant un rôle important dans l’élaboration d’une œuvre et, paradoxalement, favorisent le développement<br />

du paradigme dynamique qui va <strong>les</strong> supplanter.<br />

Ce livre peut aussi éclairer sur <strong>les</strong> résistances <strong>de</strong> la pensée naturelle aux idées dynamiques et sur <strong>les</strong> difficultés<br />

à construire le concept d’énergie dans l’enseignement. Au terme <strong>de</strong> son parcours peut-être le lecteur<br />

comprendra-t-il mieux ces pédagogues mo<strong>de</strong>rnes qui préconisent la prise en compte <strong>de</strong>s erreurs conceptuel<strong>les</strong><br />

<strong>de</strong>s « apprenants » dans l’apprentissage <strong>de</strong>s sciences…<br />

26


libres propos / LNA#35<br />

VÉNUS <strong>de</strong>vant le Soleil<br />

Comprendre et observer un phénomène astronomique *<br />

Un livre coordonné par Arkan SIMAAN<br />

Professeur <strong>de</strong> sciences physiques<br />

Auteur <strong>de</strong> plusieurs ouvrages dont La science au péril <strong>de</strong> sa<br />

vie – Les aventuriers <strong>de</strong> la mesure du mon<strong>de</strong> * (Vuibert/Adapt, 2001)<br />

fil <strong>de</strong> l’histoire el<strong>les</strong> nous ont été rapportées par <strong>les</strong> savants.<br />

Plus près <strong>de</strong> nous, l’inventeur d’une métho<strong>de</strong> révolutionnaire<br />

pour étudier l’atmosphère <strong>de</strong> vénus présente ici lui-même sa<br />

découverte : l’envoi <strong>de</strong> ballons-son<strong>de</strong>s sur la planète.<br />

Aucun aspect n’étant oublié, on verra aussi comment Vénus<br />

– omniprésente dans <strong>les</strong> récits mythologiques et dans <strong>les</strong> arts –<br />

a fasciné toutes <strong>les</strong> civilisations ; <strong>de</strong> « l’étoile du berger » à la « déesse<br />

<strong>de</strong> l’amour », on la redécouvrira sous ses multip<strong>les</strong> apparences.<br />

Enfin, pour mettre toutes ces données en perspective, l’ouvrage<br />

contient aussi <strong>de</strong> larges extraits <strong>de</strong>s récits d’expéditions<br />

du XVIIIe siècle, textes quasiment introuvab<strong>les</strong> aujourd’hui.<br />

Gageons qu’ainsi préparé cet événement donnera à chacun<br />

l’occasion <strong>de</strong> s’éveiller à l’astronomie comme à l’histoire <strong>de</strong>s<br />

sciences.<br />

* Vuibert/Adapt, 2003<br />

Ces <strong>de</strong>ux ouvrages sont en vente en librairie (20 euros) ou sur comman<strong>de</strong> aux éditions<br />

ADAPT, 237, bld St Germain 75007 Paris (Port gratuit).<br />

Extraits <strong>de</strong> l’entretien accordé par Arkan Simaan à l’US Magazine<br />

(Supplément au n° 587 – 19 mai 2003. Propos recueillis par Catherine Elzière).<br />

Le passage <strong>de</strong> Vénus <strong>de</strong>vant le Soleil est un événement<br />

rarissime. En un volume compact et très illustré, tout ce<br />

qu’il faut savoir pour comprendre et observer l’événement<br />

qui se produira en juin 2004 est présenté par <strong>les</strong> meilleurs<br />

spécialistes actuels. Véritable gui<strong>de</strong> pratique <strong>de</strong> l’observation<br />

astronomique, l’ouvrage indique notamment <strong>les</strong> heures où l’on<br />

pourra suivre le phénomène <strong>de</strong>puis <strong>les</strong> principa<strong>les</strong> vil<strong>les</strong> du<br />

mon<strong>de</strong>. Il contient également <strong>de</strong>s conseils portant sur le matériel<br />

d’observation, ainsi que toutes <strong>les</strong> consignes <strong>de</strong> sécurité.<br />

Le transit <strong>de</strong> Vénus permettant – par exemple – <strong>de</strong> mesurer<br />

l’unité astronomique (distance Terre-Soleil) avec <strong>de</strong>s moyens<br />

simp<strong>les</strong>, son observation fera le régal <strong>de</strong> tous <strong>les</strong> astronomes<br />

amateurs. De concert avec leurs homologues <strong>de</strong> l’hémisphère<br />

sud, <strong>les</strong> lycéens et leurs enseignants pourront profiter <strong>de</strong> cette<br />

occasion pour tester leurs connaissances. A cette fin, une liste<br />

internationale <strong>de</strong> clubs d’astronomie est là pour faciliter <strong>les</strong><br />

contacts.<br />

Parmi <strong>les</strong> informations historiques et techniques rassemblées<br />

ici, on trouvera le récit <strong>de</strong>s premières observations tel<strong>les</strong> qu’au<br />

Vénus <strong>de</strong>vant le Soleil est un ouvrage collectif écrit par <strong>de</strong>s auteurs <strong>de</strong> plusieurs<br />

nationalités. Ceci marque notre attachement à l’aspect international <strong>de</strong> l’opération.<br />

Ainsi, Jacques Blamont, l’initiateur <strong>de</strong> la politique spatiale française, décrit l’exploration<br />

<strong>de</strong> cette planète et Jean-Pierre Luminet traite <strong>de</strong> la mythologie autour<br />

<strong>de</strong> Vénus. À côté se trouvent trois bilans <strong>de</strong>s observations <strong>de</strong>s passages <strong>de</strong> Vénus<br />

aux XVIIe, XVIIIe et XIXe sièc<strong>les</strong> dressés par l’Anglais David Sellers, le Hollandais<br />

Steven Van Roo<strong>de</strong> et moi-même. Yves Delaye, le « chasseur d’éclipses » et<br />

Guillaume Cannat, l’auteur <strong>de</strong>s Gui<strong>de</strong>s du Ciel, donnent <strong>de</strong>s conseils <strong>de</strong> matériel<br />

et <strong>de</strong>s consignes pour observer le Soleil en toute sécurité. Avec Michel Laudon,<br />

professeur <strong>de</strong> physique, nous présentons un dossier pédagogique : il n’utilise que <strong>les</strong><br />

outils mathématiques <strong>de</strong>s lycéens et décrit <strong>les</strong> mesures dans le système solaire dans<br />

l’ordre chronologique.<br />

Enfin, le livre contient <strong>de</strong>s documents historiques, une bibliographie commentée<br />

et un in<strong>de</strong>x détaillé.<br />

Le passage <strong>de</strong> Venus <strong>de</strong>vant le soleil le 8 juin 2004 est un fait rare, le <strong>de</strong>rnier date <strong>de</strong><br />

1882. Il ressemble à une éclipse où la Lune serait remplacée par Vénus.<br />

Cependant, en raison <strong>de</strong> la petite taille apparente <strong>de</strong> la planète, ce phénomène reste<br />

discret. Mais rassurons-nous : on pourra le voir à l’œil nu, à condition <strong>de</strong> se protéger<br />

<strong>les</strong> yeux.<br />

Cet événement est important pour la science : entre autres choses, il a apporté<br />

confirmation <strong>de</strong> l’héliocentrisme, a permis <strong>de</strong> mesurer la distance Terre-Soleil<br />

et a suscité la première coopération scientifique internationale malgré une guerre<br />

effroyable.<br />

En 2004, le passage <strong>de</strong> Vénus est une occasion rêvée pour un travail interdisciplinaire<br />

autour d’une discipline magique qui fascine <strong>les</strong> élèves, l’astronomie, la science<br />

la plus ancienne <strong>de</strong> l’humanité, et aussi celle qui a le plus d’avenir !<br />

De plus, je prends ici le pari que ce passage est une chance extraordinaire pour<br />

éveiller <strong>de</strong> nombreux élèves à la fois aux étu<strong>de</strong>s scientifiques et historiques : il est<br />

rare <strong>de</strong> trouver un thème où la relation entre science et pouvoir soit si évi<strong>de</strong>nte.<br />

> À suivre dans Les Nouvel<strong>les</strong> d‘Archimè<strong>de</strong> n° 36 :<br />

libres propos d’Arkan Simaan sur le passage <strong>de</strong> Vénus <strong>de</strong>vant<br />

le soleil (8 juin 2004).<br />

27


LNA#35 / au programme / réflexion - débat<br />

> dans le cadre <strong>de</strong> Lille 2004, Capitale Européenne <strong>de</strong> la Culture<br />

Culture et ville<br />

Par Didier PARIS<br />

Directeur <strong>de</strong> l’Institut d’Aménagement<br />

et d’Urbanisme <strong>de</strong> Lille<br />

L<br />

’histoire <strong>de</strong> l’humanité nous rappelle que, <strong>de</strong> tout temps,<br />

la ville a constitué l’écrin <strong>de</strong>s civilisations dans lequel<br />

se sont épanouies <strong>les</strong> <strong>culture</strong>s. Non pas qu’il n’y ait pas <strong>de</strong><br />

<strong>culture</strong>s rura<strong>les</strong>, ou que <strong>les</strong> gran<strong>de</strong>s civilisations ne trouvent<br />

pas une part <strong>de</strong> leurs racines dans l’agri<strong>culture</strong> et <strong>les</strong> sociétés<br />

rura<strong>les</strong> - la révolution urbaine <strong>de</strong> la Mésopotamie antique est<br />

aussi liée à la maîtrise <strong>de</strong>s techniques agrico<strong>les</strong>, à commencer<br />

par celle <strong>de</strong> l’eau -, mais c’est bien la ville qui permet souvent<br />

l’épanouissement <strong>de</strong>s individus et <strong>de</strong>s <strong>culture</strong>s (« l’air <strong>de</strong> la<br />

ville rend libre » 1 ).<br />

À l’heure <strong>de</strong> la mondialisation, <strong>de</strong>s métropo<strong>les</strong> cosmopolites,<br />

<strong>de</strong> l’urbanisation accélérée du mon<strong>de</strong>, la question <strong>de</strong> la relation<br />

entre la ville et la <strong>culture</strong> mérite plus que jamais d’être posée.<br />

Au sein <strong>de</strong> la Polis, la <strong>culture</strong> représente un enjeu politique<br />

majeur ; qu’on la considère comme produit <strong>de</strong> consommation<br />

particulier (<strong>les</strong> enjeux <strong>culture</strong>ls au sein <strong>de</strong> l’OMC en sont un<br />

exemple frappant), comme outil <strong>de</strong> création et d’expression ou<br />

encore comme facteur d’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> groupes sociaux qui peut<br />

déboucher soit sur l’épanouissement <strong>de</strong>s individus, soit sur <strong>les</strong><br />

dérives du communautarisme (ou du régionalisme et du localisme<br />

intransigeant).<br />

Dans la ville, la politique <strong>culture</strong>lle doit avant tout être l’occasion<br />

<strong>de</strong> l’échange : le commerce <strong>de</strong> l’esprit, le seul qui enrichisse<br />

vraiment.<br />

Mais pour <strong>les</strong> acteurs urbains, la <strong>culture</strong> est aussi un levier<br />

pour transformer la ville : <strong>les</strong> exemp<strong>les</strong> d’opérations <strong>de</strong> régénération<br />

urbaine fondée sur <strong>de</strong> grands équipements <strong>culture</strong>ls<br />

se multiplient à travers l’Europe. Au-<strong>de</strong>là, c’est la question <strong>de</strong><br />

l’art au quotidien qui est posée : l’art dans la ville, qu’il s’agisse<br />

<strong>de</strong> l’œuvre plastique qui interpelle le citoyen en passant par<br />

la structure <strong>culture</strong>lle qui, par son action d’animation et <strong>de</strong><br />

création, contribue à donner la parole et joue un rôle dans le<br />

développement du territoire.<br />

Au moment où Lille 2004 est capitale européenne <strong>de</strong> la <strong>culture</strong>,<br />

l’USTL - <strong>Espace</strong> Culture en partenariat avec l’Institut<br />

d’Aménagement et Urbanisme (USTL), l’Ecole d’Architecture<br />

<strong>de</strong> Lille et l’Agence d’Urbanisme <strong>de</strong> Lille-Métropole, ne<br />

pouvait rester absent du débat.<br />

1<br />

Voir la contribution d’Alain Cambier dans « La ville en débat » édité par l’<strong>Espace</strong><br />

Culture <strong>de</strong> l’USTL et l’Harmattan en mai 2003 à l’issue du <strong>cycle</strong> <strong>de</strong> <strong>Ren<strong>de</strong>z</strong>-<strong>vous</strong><br />

d’Archimè<strong>de</strong> consacré à la ville <strong>de</strong> 2000 à 2002.<br />

PROGRAMME EN COURS :<br />

18h30 - Amphi - Entrée libre<br />

u La <strong>culture</strong> comme élément fondateur <strong>de</strong> la ville<br />

Mardi 3 février<br />

Avec Alain CAMBIER, Professeur <strong>de</strong> philosophie en<br />

Khâgne, Douai et Michel DAVID, Directeur Général Ville<br />

Renouvelée Éducation Culture, Roubaix<br />

Modérateur : Marnix BONNIKE, Directeur adjoint<br />

chargé du développement, École d’Architecture <strong>de</strong> Lille<br />

u Réseaux et savoirs : stratégies territoria<strong>les</strong> pour la<br />

<strong>culture</strong><br />

Mardi 9 mars<br />

Avec Daniel FILÂTRE, Professeur <strong>de</strong> sociologie à l’Université<br />

<strong>de</strong> Toulouse Le Mirail et Jordi PASCUAL Y RUIZ,<br />

Directeur <strong>de</strong> l’association « Desenvolupamente Comunitari »<br />

(« Développement Communautaire »), Barcelone, sociologue<br />

Modératrice : Chantal LAMARRE (sous réserve), Directrice<br />

<strong>de</strong> la Scène nationale Culture Commune<br />

u Équipements <strong>culture</strong>ls et régénération urbaine<br />

Mardi 25 mai<br />

Avec Patrick BOUCHAIN, architecte, scénographe, Laurent<br />

BUSINE, Directeur du Musée <strong>de</strong>s Arts Contemporains<br />

(MAC’s), Grand-Hornu, Belgique, Henry SIMONS,<br />

Premier échevin chargé <strong>de</strong> la Culture, Urbanisme et<br />

Protection du patrimoine, Bruxel<strong>les</strong> et Olivier ARENDT,<br />

Chef <strong>de</strong> cabinet <strong>de</strong> Henry SIMONS, attaché à la <strong>culture</strong><br />

Modérateur : Thierry BAERT, Chargé <strong>de</strong>s affaires européennes,<br />

Agence <strong>de</strong> Développement et d’Urbanisme Lille-<br />

Métropole<br />

Merci à Thierry Baert, Marnix Bonnike, Alain Cambier, Dominique Mons, Didier<br />

Paris, Maryvonne Prévot , Eric Prigent et Bernard Welcome pour leur participation<br />

à l’élaboration <strong>de</strong> ce <strong>cycle</strong>.<br />

A NOTER :<br />

Conférence organisée par l’Université <strong>de</strong> Lille 3<br />

u Nouveaux enjeux pour la ville<br />

Mardi 13 janvier à 18h00<br />

Avec Didier PARIS, Professeur à l’USTL, IFRESI<br />

Mairie <strong>de</strong> Lille, salon <strong>de</strong> la MEP<br />

28


au programme / réflexion - débat / LNA#35<br />

<strong>Ren<strong>de</strong>z</strong>-<strong>vous</strong> d’Archimè<strong>de</strong> _<strong>cycle</strong> <strong>les</strong> émotions<br />

Réflexion - débat à 18h30<br />

Amphi - <strong>Espace</strong> Culture. Entrée libre<br />

u Émotions et média<br />

Mardi 13 janvier 2004<br />

Avec Michel Maffesoli, Professeur en Sciences<br />

Humaines à la Sorbonne et Serge Tisseron,<br />

Psychiatre – Psychanalyste, Docteur en Psychologie,<br />

Directeur <strong>de</strong> recherche à l’Université<br />

Paris X, Nanterre<br />

Conférence animée par Loris Tamara Schiaratura,<br />

Maître <strong>de</strong> conférences en Psychologie<br />

sociale à l’Université <strong>de</strong> Lille 3<br />

Nous vivons, selon l’expression heureuse<br />

<strong>de</strong> Michel Maffesoli, une « subjectivité<br />

<strong>de</strong> masse » en laquelle se partagent, par<br />

media interposés, <strong>les</strong> émotions suscitées<br />

par <strong>les</strong> événements du mon<strong>de</strong>. Certes,<br />

un tel flux d’images et d’émotions,<br />

difficilement maîtrisable, peut conduire<br />

aux dérives totalitaires que l’on sait.<br />

On peut également se laisser éduquer<br />

par lui, y saisir la chance d’un retour<br />

à la mobilité <strong>de</strong> la vie, avec ses contradictions,<br />

mais aussi sa richesse et sa<br />

gratuité.<br />

u Dimension spirituelle <strong>de</strong> l’émotion<br />

Mardi 20 janvier 2004<br />

Avec Catherine Chalier, Philosophe<br />

Conférence animée par Jean-François Rey,<br />

Professeur agrégé <strong>de</strong> philosophie à l’IUFM <strong>de</strong><br />

Lille et Docteur en Philosophie<br />

« La venue en soi <strong>de</strong>s émotions, dans<br />

leur force secrètement ou ouvertement<br />

déstabilisante, excè<strong>de</strong> l’ordonnance sage<br />

et raisonnée d’un discours conceptuel<br />

soucieux <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r la maîtrise en toute<br />

circonstance. Il ne s’agit pas, (…) <strong>de</strong><br />

plai<strong>de</strong>r la cause <strong>de</strong> l’émotion contre le<br />

concept, et encore moins du corps contre<br />

l’esprit, (…) mais <strong>de</strong> s’interroger sur<br />

<strong>les</strong> significations et l’intelligence vers<br />

<strong>les</strong>quel<strong>les</strong> la capacité émotionnelle du<br />

corps humain oriente. »<br />

Extrait <strong>de</strong> « Traité <strong>de</strong>s larmes », C. Chalier – éd. Albin<br />

Michel, 2003<br />

u Traitement <strong>de</strong>s émotions en<br />

politique<br />

Mardi 27 janvier 2004<br />

Avec Philippe Braud, Professeur <strong>de</strong>s Universités<br />

à l’Institut d’Étu<strong>de</strong>s Politiques <strong>de</strong> Paris<br />

Conférence animée par Jean-Marie Breuvart,<br />

Ancien directeur <strong>de</strong> l’Institut <strong>de</strong> Philosophie<br />

<strong>de</strong> l’Université Catholique <strong>de</strong> Lille<br />

La vie politique oscille entre usage <strong>de</strong><br />

techniques <strong>de</strong> séduction et recours à <strong>de</strong>s<br />

formes <strong>de</strong> violence. La convoitise du<br />

pouvoir est au principe <strong>de</strong> la compétition<br />

démocratique aussi bien que <strong>les</strong><br />

conflits <strong>de</strong> valeurs et <strong>de</strong> croyances.<br />

Le succès <strong>de</strong>s dirigeants, l’efficacité <strong>de</strong>s<br />

institutions se mesurent à la capacité<br />

<strong>de</strong> gérer efficacement <strong>de</strong>s dynamismes<br />

émotionnels.<br />

u Le corps et le social<br />

Mardi 10 février 2004<br />

Avec David Le Breton, Professeur <strong>de</strong> sociologie<br />

à l’Université Marc Bloch (Strasbourg 2) et<br />

Pascale Molinier, Maître <strong>de</strong> conférences en<br />

Psychologie<br />

Conférence animée par Jean-François Rey<br />

Les émotions ne sont pas spontanées<br />

mais rituellement organisées, reconnues<br />

en soi et signifiées aux autres ; el<strong>les</strong><br />

mobilisent un vocabulaire, <strong>de</strong>s mouvements<br />

précis du corps. Chaque société<br />

développe une <strong>culture</strong> affective propre.<br />

La conférence donnera <strong>les</strong> lignes essentiel<strong>les</strong><br />

d’une approche anthropologique<br />

<strong>de</strong> l’émotion.<br />

u Émotions et psychanalyse<br />

Mardi 17 février 2004<br />

Avec Bernard Forthomme, Docteur en Philosophie<br />

et Lettres, Moine Franciscain et Pierre-<br />

Henri Castel, Chercheur au CNRS, historien<br />

et philosophe <strong>de</strong>s sciences, psychanalyste<br />

Conférence animée par Jean-Marie Breuvart<br />

Face à un certain logicisme analytique,<br />

il faut redécouvrir <strong>les</strong> émotions non seulement<br />

comme ce qui dispose le corps<br />

aux sentiments humains et à la pensée,<br />

mais aussi comme révélatrice <strong>de</strong> la manifestation<br />

<strong>de</strong> soi à soi indépendante <strong>de</strong><br />

la causalité et <strong>de</strong> la finalité.<br />

Bernard Forthomme<br />

La psychanalyse utilise fort peu la notion<br />

d’émotion. Freud, dès le départ,<br />

lui a préféré l’idée d’affect. La distinction<br />

<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux est-elle significative ? Et<br />

si elle l’est pour la psychanalyse, la philosophie,<br />

notamment la philosophie<br />

morale, qui s’intéresse aux sentiments<br />

moraux, peut-elle y gagner quelque<br />

chose ?<br />

Pierre-Henri Castel<br />

Merci à Jean-Marie Breuvart, Maurice Falempin,<br />

Janick Naveteur, Jean-François Rey et Loris Tamara<br />

Schiaratura pour leur participation à l’élaboration <strong>de</strong><br />

ce <strong>cycle</strong>.<br />

Programme du <strong>cycle</strong> Question <strong>de</strong> sens « Quel<strong>les</strong><br />

sont <strong>les</strong> valeurs <strong>de</strong> la laïcité ? » dans « l’in_edit ».<br />

29


LNA#35 / au programme / exposition<br />

Les « événements du 11 Septembre » ont laissé <strong>de</strong>s traces sur <strong>les</strong><br />

écrans cathodiques qui nous servent <strong>de</strong> mémoire...<br />

Une installation multimédia by Schuwey<br />

Du 8 au 28 janvier 2004. Vernissage le jeudi 8 janvier à 18h30<br />

Ouverture exceptionnelle le samedi 10 janvier <strong>de</strong> 14h00 à 18h00<br />

Salle d’Exposition* - Entrée libre<br />

« War against Terror » est un projet multimédia initié par<br />

le choc du 11 Septembre alors qu’il <strong>de</strong>venait évi<strong>de</strong>nt que nous<br />

allions assister à une guerre « en direct » à la télévision (tout du<br />

moins sur « CNN » ou « Al-Jazeera »).<br />

La première partie, « War in Afghanistan », est une sélection<br />

d’images numériques réalisées durant la pério<strong>de</strong> <strong>de</strong>s premières<br />

frappes américaines et <strong>de</strong> l’intervention en Afghanistan.<br />

La secon<strong>de</strong> partie, « War in Irak », commence par le compte<br />

à rebours télévisuel pour finir avec la chute (<strong>de</strong> la statue) <strong>de</strong><br />

S. Hussein.<br />

Une « Troisième Partie » n’est pas à exclure.<br />

Les captations d’écrans <strong>de</strong> la chaîne américaine CNN ont<br />

été réalisées « en direct » en utilisant un procédé électronique<br />

comparable à la « photographie en pause ». Ainsi chaque<br />

image est la somme <strong>de</strong> quelques centaines d’images, quelques<br />

secon<strong>de</strong>s <strong>de</strong> vidéo, sans aucun ajout postérieur.<br />

« War against Terror » est une réflexion sur <strong>les</strong> images d’informations<br />

télévisées et leur rapport à la réalité. Les images<br />

« historiques » <strong>de</strong>s twins n’ont-el<strong>les</strong> pas perdu <strong>de</strong> leur véracité<br />

par la multiplicité <strong>de</strong>s ang<strong>les</strong> <strong>de</strong> vues et la répétition à l’infini<br />

<strong>de</strong> leur chute dans un nuage <strong>de</strong> poussière ? Dans quelle mesure<br />

la « mise en scène » <strong>de</strong> ces images (montage, ralentis, ajout <strong>de</strong><br />

musique...) a-t-elle influencé la perception <strong>de</strong> cet événement<br />

qui sera bientôt présenté comme la justification <strong>de</strong> guerres à<br />

venir ? Enfin, l’indéniable « beauté plastique » <strong>de</strong> ces images<br />

<strong>de</strong> <strong>de</strong>struction (associée à l’idée <strong>de</strong> « frappes chirurgica<strong>les</strong> ») et<br />

l’esthétique liée à l’utilisation <strong>de</strong> caméras infrarouges (proche<br />

<strong>de</strong> celle <strong>de</strong>s jeux vidéos) n’accréditent-el<strong>les</strong> pas le concept <strong>de</strong><br />

« guerre propre » ? Cette réalité mise en scène est-elle encore<br />

connectée à la « réalité » ou s’agit-il forcément <strong>de</strong> rendre cette<br />

réalité plus « compréhensible », plus « simple », par le recours<br />

au symbolisme, à la glorification <strong>de</strong>s Uns et la diabolisation<br />

<strong>de</strong>s Autres ? Les images fabriquées pour « War against Terror »<br />

sont el<strong>les</strong> aussi une re-création <strong>de</strong> la réalité (télévisée) mais el<strong>les</strong><br />

sont comme la persistance rétinienne <strong>de</strong> l’écran qui s’éteint,<br />

avec <strong>de</strong>s fantômes qui s’agitent sur <strong>les</strong> décombres <strong>de</strong> Bagdad<br />

ou d’ailleurs, comme <strong>les</strong> souvenirs d’une mémoire qui s’efface.<br />

Il en reste un mon<strong>de</strong> chaotique où <strong>les</strong> signes s’accumulent, se<br />

fon<strong>de</strong>nt, s’entrechoquent jusqu’à perdre leur sens.<br />

« War in Iraq » est la continuation logique et presque « automatique<br />

» du travail commencé avec « War in Afghanistan »,<br />

qui présentait, notamment à Lille à l’occasion <strong>de</strong>s Rencontres<br />

Audiovisuel<strong>les</strong> 2003, une série d’images fixes. Le compte à<br />

rebours s’égrenant sur <strong>les</strong> images <strong>de</strong> Bagdad endormie donnait<br />

à penser que le temps réel allait être l’élément primordial <strong>de</strong><br />

cette guerre annoncée. L’utilisation <strong>de</strong> la vidéo permet non<br />

seulement <strong>de</strong> souligner le travail « live » mais aussi <strong>de</strong> rendre<br />

vivante la notion d’effacement, <strong>de</strong> dilution du temps et <strong>de</strong> l’espace,<br />

<strong>de</strong> perte <strong>de</strong> sens <strong>de</strong>s signes mêmes <strong>de</strong> l’écrit.<br />

Production :<br />

Heure Exquise ! <strong>les</strong> Nyctalopes associés et l’<strong>Espace</strong> Culture<br />

<strong>de</strong> l’USTL avec la participation <strong>de</strong> MAP Vidéo et <strong>de</strong><br />

Lille.<br />

* Salle d’Exposition<br />

Du lundi au jeudi <strong>de</strong> 12h à 18h30<br />

et le vendredi <strong>de</strong> 10 à 14h<br />

Renseignements :<br />

<strong>Espace</strong> Culture 03 20 43 69 09<br />

Contacts :<br />

Heure Exquise ! 03 20 432 432 - exquise@nordnet.fr<br />

Hervé Schuwey : www.nyctalop.com<br />

« War against Terror »<br />

Galerie ÉOF : 15, rue Saint Fiacre - Paris du 16 au 27 mars<br />

2004<br />

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LNA#35 / au programme / réflexion - débat<br />

> dans le cadre <strong>de</strong> Lille 2004, Capitale Européenne <strong>de</strong> la Culture<br />

<strong>Ren<strong>de</strong>z</strong>-<strong>vous</strong> d’Archimè<strong>de</strong> _<strong>cycle</strong> la mesure 1<br />

Réflexion - débat à 18h30<br />

Amphi - <strong>Espace</strong> Culture. Entrée libre<br />

u L’homme est la mesure <strong>de</strong><br />

toutes choses<br />

Mardi 16 mars 2004<br />

Avec Barbara Cassin, Directrice <strong>de</strong><br />

recherche au CNRS – Université<br />

Paris-Sorbonne (Paris IV)<br />

J’abor<strong>de</strong>rai en philologue et<br />

en philosophe l’analyse <strong>de</strong> ce<br />

fragment célèbre attribué à<br />

Protagoras : « L’homme est la<br />

mesure <strong>de</strong> toutes choses ». Je<br />

proposerai <strong>de</strong> réfléchir à certaines<br />

interprétations majeures<br />

qui en ont été données, <strong>de</strong><br />

Platon à Hei<strong>de</strong>gger. J’essaierai<br />

même d’en déterminer une<br />

autre, plus proche <strong>de</strong> ce que la<br />

sophistique peut avoir à dire,<br />

en repartant <strong>de</strong> ces « choses »,<br />

<strong>de</strong> ces « khrêmata », qu’on<br />

pourrait traduire aussi par<br />

« richesses », dont l’homme<br />

serait, dit-on, la mesure.<br />

Barbara Cassin<br />

u Pratique et théorie <strong>de</strong><br />

la mesure dans la tradition<br />

scientifique arabe (IX eme au<br />

XV eme siècle)<br />

Mardi 23 mars 2004<br />

Avec Ahmed Djebbar, Professeur<br />

en Histoire <strong>de</strong>s mathématiques,<br />

USTL<br />

Comme pour <strong>les</strong> autres domaines<br />

<strong>de</strong> la science, la question<br />

<strong>de</strong> la mesure a été appréhendée<br />

<strong>de</strong> différentes manières<br />

dans la tradition scientifique<br />

arabe. D’abord en fonction <strong>de</strong>s<br />

besoins <strong>de</strong>s praticiens <strong>de</strong> certains<br />

métiers et <strong>de</strong> certaines<br />

disciplines scientifiques puis,<br />

dans une secon<strong>de</strong> étape, en<br />

fonction <strong>de</strong> préoccupations<br />

strictement théoriques. La<br />

conférence présentera <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux<br />

aspects <strong>de</strong> la question, à travers<br />

quelques pratiques et quelques<br />

réflexions <strong>de</strong> mathématiciens.<br />

u La mesure en mécanique<br />

quantique : un nouveau<br />

concept ?<br />

Mardi 30 mars 2004<br />

Avec Roger Balian, Conseiller scientifique<br />

au Commissariat à l’Énergie<br />

Atomique (CEA – Saclay)<br />

Selon <strong>les</strong> principes <strong>de</strong> la physique<br />

quantique, il n’est possible<br />

ni d’améliorer indéfiniment<br />

la précision d’une mesure, ni<br />

<strong>de</strong> mesurer simultanément<br />

certaines paires <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>urs.<br />

Ces limitations donnent lieu<br />

à <strong>de</strong>s paradoxes tels celui du<br />

chat <strong>de</strong> Schrödinger, qui serait<br />

à la fois mort et vivant. Pour<br />

comprendre <strong>les</strong> spécificités<br />

d’une mesure quantique, on<br />

l’analyse en tant que processus<br />

dynamique d’interaction entre<br />

l’objet étudié et l’appareil<br />

<strong>de</strong> mesure ; <strong>les</strong> probabilités<br />

jouent un rôle essentiel et la<br />

perturbation apportée à l’objet<br />

ne peut être négligée.<br />

u Enjeux politiques <strong>de</strong> la<br />

mesure<br />

Mardi 4 mai 2004<br />

Avec Michel Senellart, Philosophe,<br />

ENS-LSH <strong>de</strong> Lyon<br />

L’objet <strong>de</strong> cette conférence<br />

sera <strong>de</strong> montrer quel<strong>les</strong> transformations<br />

<strong>de</strong> l’art <strong>de</strong> gouverner<br />

a accompagnées l’essor <strong>de</strong><br />

la « raison statistique » du<br />

XVII eme au début du XIX e<br />

siècle, <strong>de</strong>puis la naissance<br />

<strong>de</strong> l’arithmétique politique<br />

(Petty, Davenant) jusqu’à la<br />

statistique morale <strong>de</strong> Guerry<br />

et Quételet. Faut-il y voir le<br />

développement continu d’une<br />

gouvernementalité prenant en<br />

charge <strong>les</strong> populations à <strong>de</strong>s<br />

fins normalisatrices ou le passage<br />

d’une politique du secret<br />

(arcana) au gouvernement<br />

rationnel <strong>de</strong> la société <strong>de</strong>s individus<br />

?<br />

u La mesure du temps<br />

Mardi 11 mai 2004<br />

Avec Bruno Jacomy, Directeur adjoint<br />

du Musée <strong>de</strong>s Arts et Métiers<br />

(CNAM – Paris)<br />

Dans la gran<strong>de</strong> famille <strong>de</strong>s<br />

instruments scientifiques, ceux<br />

qui servent à mesurer le temps<br />

occupent une place d’honneur.<br />

Qu’il s’agisse du temps<br />

<strong>de</strong>s astres, qui nous donne<br />

gnomons ou cadrans solaires,<br />

ou du temps qui s’écoule, celui<br />

<strong>de</strong>s clepsydres ou <strong>de</strong>s sabliers,<br />

l’homme a déployé pour <strong>les</strong><br />

mesurer <strong>de</strong>s objets étonnamment<br />

ingénieux et dont la<br />

précision n’a fait que croître au<br />

fil <strong>de</strong>s sièc<strong>les</strong>.<br />

u Quel statut pour la mesure<br />

?<br />

Mardi 18 mai 2004<br />

Avec Bernard Maitte, Professeur<br />

d’histoire <strong>de</strong>s sciences et d’épistémologie,<br />

USTL<br />

On a coutume d’affirmer que<br />

l’observation mesurée permet,<br />

d’une part, la théorisation d’un<br />

problème scientifique précis<br />

et fournit, d’autre part, la<br />

preuve <strong>de</strong>s explications et <strong>de</strong>s<br />

prévisions produites par un<br />

modèle.<br />

Dans mon intervention, je<br />

m’efforcerai <strong>de</strong> montrer que<br />

cette représentation est pour le<br />

moins insuffisante, voire mythique.<br />

À partir d’exemp<strong>les</strong> pris<br />

dans l’histoire <strong>de</strong> la physique,<br />

je montrerai que l’on ne peut<br />

effectuer <strong>de</strong> mesures sans<br />

a priori et que <strong>les</strong> relations<br />

liant observation, expérimentation,<br />

conceptualisation et<br />

modélisation sont loin d’être<br />

univoques.<br />

Bernard Maitte<br />

1 ère partie du <strong>cycle</strong> « la Mesure »<br />

Merci à Rudolf Bkouche, Jean-Marie Breuvart,<br />

Fabien Chareix, Eliane Cousquer,<br />

Jean-Paul Delahaye, Ahmed Djebbar, Robert<br />

Gergon<strong>de</strong>y, Marie-Christine Groslière,<br />

Bernard Maitte et Jean-François Rey pour<br />

leur participation à l’élaboration <strong>de</strong> ce <strong>cycle</strong>.<br />

2 ème partie du <strong>cycle</strong> prévue pour décembre<br />

2004<br />

© potironsradioactifsassociés<br />

32


LNA#35 / au programme / exposition<br />

> dans le cadre <strong>de</strong> Lille 2004, Capitale Européenne <strong>de</strong> la Culture<br />

Exposition scientifique : l’art <strong>de</strong> la mesure<br />

Au cœur d’une région industrielle en plein essor, Lille et<br />

son agglomération ont créé à la fin du XIX e siècle ou au<br />

début du XX e d’importants établissements d’enseignement<br />

supérieur et <strong>les</strong> ont dotés du matériel scientifique <strong>de</strong>stiné à<br />

l’enseignement et à la recherche.<br />

Aujourd’hui, <strong>de</strong>s « trésors » dorment dans <strong>les</strong> réserves ou <strong>les</strong><br />

débarras <strong>de</strong>s laboratoires, souvent à l’insu <strong>de</strong> leurs détenteurs.<br />

Relégués dans d’incroyab<strong>les</strong> capharnaüms, placards<br />

ou arrières sal<strong>les</strong> <strong>de</strong> laboratoires, utilisés uniquement, dans<br />

le meilleur <strong>de</strong>s cas, comme matériels pédagogiques pour <strong>les</strong><br />

étudiants mais toujours ignorés du public, <strong>les</strong> instruments <strong>de</strong><br />

mesure et d’observation scientifique semblaient condamnés à<br />

passer le restant <strong>de</strong> leurs jours dans l’indifférence et l’oubli le<br />

plus total.<br />

Depuis <strong>de</strong>ux ans, Guy Séguier, Professeur émérite <strong>de</strong> l’USTL<br />

et membre <strong>de</strong> l’ASA (Association <strong>de</strong> Solidarité <strong>de</strong>s Anciens),<br />

fait l’inventaire <strong>de</strong>s vieux appareils <strong>de</strong> mesure et d’observation<br />

<strong>de</strong> l’Université et d’Eco<strong>les</strong> d’Ingénieurs <strong>de</strong> la région.<br />

- La mesure <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>urs directement observab<strong>les</strong> par <strong>les</strong><br />

sens<br />

- L’optique étend le domaine <strong>de</strong> l’observable<br />

- L’électrostatique : du salon au laboratoire<br />

- Les hésitations <strong>de</strong>s débuts <strong>de</strong> l’électrocinétique<br />

- Le courant continu : à la recherche maladive <strong>de</strong> la précision<br />

- Le courant alternatif : à la recherche <strong>de</strong> l’esthétique et <strong>de</strong> la<br />

précision<br />

Exposition proposée par l’ASA - USTL (Association <strong>de</strong> Solidarité<br />

<strong>de</strong>s Anciens)<br />

Remerciements à Patrick Bougelet, Jean-Paul Delahaye, André Dhainaut,<br />

Henri Dubois, Bernard Maitte et Guy Séguier.<br />

Remerciements au Musée d’Histoire Naturelle <strong>de</strong> Lille pour sa coopération.<br />

Ce travail d’inventaire est<br />

le fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> cette exposition<br />

dont la scénographie<br />

a été confiée à Patrick<br />

Bougelet.<br />

À travers la présentation<br />

d’appareils scientifiques<br />

<strong>de</strong> mesures physiques <strong>de</strong><br />

la <strong>de</strong>uxième moitié du XIX e et<br />

du début du XX e siècle, d’une<br />

facture précise tout autant que précieuse,<br />

il s’agit d’esquisser une partie <strong>de</strong> l’histoire scientifique<br />

et humaine <strong>de</strong> la mesure et d’offrir au visiteur un itinéraire<br />

<strong>de</strong> réflexion sur la mesure <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>urs physiques,<br />

imaginé sur six stations.<br />

10 mars au 1er avril<br />

Vernissage le 10 mars<br />

à 18h30<br />

Polarimètre CORNU-DUBOSCQ<br />

34


au programme / concert / LNA#35<br />

Sophie Agnel - mécanique / Olivier Benoit - électrique<br />

Dans le cadre du festival n°4 du CRIME (structure qui soutient <strong>les</strong> musiques improvisées et<br />

expérimenta<strong>les</strong>), l’<strong>Espace</strong> Culture propose le duo Sophie Agnel (piano) – Olivier Benoit (guitare) en<br />

concert à l’occasion <strong>de</strong> la sortie du cd rip-stop (label in situ).<br />

Photo : Yvan Clédat<br />

Sculpture : Caroline Pouzol<strong>les</strong><br />

Mardi 28 janvier à 19h<br />

Café, durée : 1h15<br />

Concert suivi d’un échange autour d’un verre<br />

Entrée libre sur retrait <strong>de</strong>s places à l’<strong>Espace</strong> Culture<br />

ou sur réservation lors <strong>de</strong>s précé<strong>de</strong>nts concerts<br />

Festival du CRIME (n° 4) du 21 au 28 janvier<br />

La Malterie, 20h30<br />

42, rue Kuhlmann – Lille (03 20 78 28 72)<br />

Entrée : 5 euros /soir<br />

- Mercredi 21 janvier<br />

Les chants <strong>de</strong> Bataille Film sur Jac Berrocal <strong>de</strong> Guy Girard<br />

Greg Malcolm<br />

- Jeudi 22 janvier<br />

Nappe + Mayo<br />

Steffen Basho Junghans<br />

- Vendredi 23 janvier<br />

Adélaï<strong>de</strong> Sieuw & Jan Huib Nas<br />

Electric Cue invite Edward Perraud<br />

- Samedi 24 janvier<br />

Zong invite Alfred Spirli<br />

Mingi (Giuseppe Ielasi, Ingar Zach, Michel Doneda)<br />

Larsen Rupin<br />

- Tous <strong>les</strong> soirs du 21 au 24 :<br />

Sarah Duthille Miniatures chorégraphiques<br />

Falter Bramnk Portraits sonores<br />

« La règle (sociale ?) implique que peu <strong>de</strong> rencontres entre pianistes et<br />

guitaristes retiennent l’attention. Il ne s’agit pas ici <strong>de</strong> s’attar<strong>de</strong>r sur un<br />

phénomène secondaire (certainement plus psychologique que musical)<br />

mais d’observer comment cette rencontre parfois forcée n’est plus<br />

aujourd’hui contre nature, mais <strong>de</strong>vient source évi<strong>de</strong>nte d’une variation<br />

à même <strong>de</strong> perturber une esthétique <strong>de</strong> l’improvisation (…).<br />

Le piano est-il mécanique, la guitare est-elle électrique ? (…)<br />

Ces <strong>de</strong>ux instruments, que je qualifie <strong>de</strong> traditionnels (<strong>de</strong> façon équivalente,<br />

ayant œuvré largement à l’enrichissement <strong>de</strong>s <strong>culture</strong>s savantes<br />

et populaires) ont construit, après avoir détourné son cours, l’histoire<br />

<strong>de</strong> la musique et sont marqués par l’histoire (et <strong>les</strong> acci<strong>de</strong>nts) <strong>de</strong> cette<br />

même musique. (…)<br />

Ces <strong>de</strong>ux instruments aux dispositions harmoniques précises, au rôle social<br />

prédéterminé (même celui <strong>de</strong> la révolte) glissent vers une fonction<br />

d’objet à usage multiple : outils <strong>de</strong>stinés à <strong>de</strong>s installations, désossés (le<br />

cadre, le micro), étendus (cor<strong>de</strong>s extérieures et micros additionnels), ou<br />

jetés parfois (l’expérience ultime mais coûteuse !), recevant nombre <strong>de</strong><br />

chocs et <strong>de</strong> parasites extérieurs (lentil<strong>les</strong> pour le piano, on<strong>de</strong>s radio pour<br />

la guitare), ces <strong>de</strong>ux symbo<strong>les</strong> <strong>de</strong> l’évolution technologique (l’ère <strong>de</strong> la<br />

mécanique pour l’un, celle <strong>de</strong> l’électricité pour l’autre) et donc <strong>de</strong> la mutation<br />

<strong>de</strong> la société <strong>de</strong>viennent tantôt œuvres d’art, parfois accessoires et<br />

décors, lorsqu’ils ne sont pas utilisés par <strong>de</strong>s instrumentistes musiciens.<br />

On pourrait croire, à la lecture <strong>de</strong>s lignes précé<strong>de</strong>ntes, que je témoigne<br />

<strong>de</strong> mon indignation face aux détournements <strong>de</strong>s fonctions sacrées !<br />

Rassurez-<strong>vous</strong>, je suis le premier à considérer qu’il convient <strong>de</strong> traquer<br />

dans <strong>les</strong> entrail<strong>les</strong> <strong>de</strong> toute machine <strong>les</strong> ressources absentes <strong>de</strong> la notice<br />

d’utilisation. (…) Des musiciens conscients du poids <strong>de</strong> l’histoire<br />

peuvent relever un défi magnifique : celui <strong>de</strong> rendre la mécanique électrique,<br />

et la musique au son. C’est ce qui est en cours avec le travail <strong>de</strong><br />

Sophie Agnel et Olivier Benoit. Je me permets d’affirmer, ayant écouté<br />

quelques dizaines <strong>de</strong> minutes enregistrées lors <strong>de</strong> leurs séances <strong>de</strong> travail<br />

(…), qu’ils accè<strong>de</strong>nt à ce niveau <strong>de</strong> complicité rare qui repose sur la<br />

volonté commune <strong>de</strong> ne pas se contenter d’un bon moment ou d’une<br />

musique (phénomène) agréable. Il se passe alors ce que j’attends <strong>de</strong> la<br />

musique (dite) improvisée : une conscience simultanée à l’acte <strong>de</strong> production<br />

sonore <strong>de</strong> la position passive <strong>de</strong> l’auditeur qui lui, écoute et qui<br />

soudain se plaît à être surpris, étonné, donc. (…)<br />

Il est en général plutôt indécent <strong>de</strong> décrire la musique ; celle qui n’existe<br />

que lorsqu’elle se révèle poésie. J’ai envie d’écrire qu’il serait plus sérieux<br />

et utile <strong>de</strong> donner le temps à une expérience forte <strong>de</strong> vivre. D’ailleurs<br />

je l’ai écrit. Pour vérifier que ce que je signifie entre ces lignes est bien<br />

là, je retourne la page et réécoute l’enregistrement <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux musiciens<br />

qui n’étaient pas nés lorsque <strong>les</strong> Yardbirds sortirent leur premier<br />

45 tours, mais cette <strong>de</strong>rnière information doit être considérée comme<br />

secondaire. »<br />

Par Dominique RÉPÉCAUD<br />

Musicien, improvisateur (guitariste), Directeur du Centre Culturel<br />

André Malraux <strong>de</strong> Vandoeuvre-<strong>les</strong>-Nancy et organisateur du festival Musique Action<br />

35


A<br />

g e n d a<br />

Retrouvez le détail <strong>de</strong>s manifestations sur notre site : www.univ-lille1.fr/<strong>culture</strong> ou dans « l’in_edit » en pages centra<strong>les</strong>.<br />

L’ ensemble <strong>de</strong>s manifestations se déroulera à l’<strong>Espace</strong> Culture <strong>de</strong> l’USTL.<br />

*Pour ces spectac<strong>les</strong>, le nombre <strong>de</strong> places étant limité, il est nécessaire <strong>de</strong> retirer préalablement vos entrées libres à l’<strong>Espace</strong> Culture (disponib<strong>les</strong> un mois avant <strong>les</strong> manifestations).<br />

janvier février mars 04<br />

6, 13, 15, 20, 27 janvier 14h30 Conférences <strong>de</strong> l’UTL<br />

Mercredi 7 janvier 18h30 Question <strong>de</strong> sens : « Quel<strong>les</strong> sont <strong>les</strong> valeurs <strong>de</strong> la laïcité ? »<br />

« Regard d’une scientifique chrétienne sur la laïcité »<br />

avec Lucienne Gouguenheim<br />

Du 8 au 28 janvier<br />

Exposition « War against terror » par Hervé Schuwey<br />

Vernissage le 8 janvier à 18h30<br />

Samedi 10 janvier 14h Conférence par Amnesty International<br />

« La Cour Pénale Internationale, un progrès contre l’impunité ? »<br />

Mardi 13 janvier 18h30 <strong>Ren<strong>de</strong>z</strong>-<strong>vous</strong> d’Archimè<strong>de</strong> : Cycle « Les émotions »<br />

« Émotions et média » avec Michel Maffesoli et Serge Tisseron<br />

Mardi 20 janvier 18h30 <strong>Ren<strong>de</strong>z</strong>-<strong>vous</strong> d’Archimè<strong>de</strong> : « Dimension spirituelle <strong>de</strong> l’émotion »<br />

avec Catherine Chalier<br />

Jeudi 22 janvier 18h30<br />

Salon étrange(r) : gastronomie<br />

Mardi 27 janvier 18h30 <strong>Ren<strong>de</strong>z</strong>-<strong>vous</strong> d’Archimè<strong>de</strong> : « Traitement <strong>de</strong>s émotions en politique »<br />

avec Philippe Braud<br />

Mercredi 28 janvier 19h Concert Sophie Agnel (piano) – Olivier Benoit (guitare)<br />

dans le cadre du festival n° 4 du CRIME *<br />

3, 10 février 14h30, 10h Conférences <strong>de</strong> l’UTL<br />

Mardi 3 février 18h30 Cycle « Culture et ville »<br />

« La <strong>culture</strong> comme élément fondateur <strong>de</strong> la ville »<br />

Mercredi 4 février 18h30 Question <strong>de</strong> sens : « Peut-on parler d’une spiritualité laïque ? »<br />

avec Michel Morineau<br />

Mardi 10 février 18h30 <strong>Ren<strong>de</strong>z</strong>-<strong>vous</strong> d’Archimè<strong>de</strong> : « Le corps et le social »<br />

avec David Le Breton et Pascale Molinier<br />

Jeudi 12 février 15h et 19h Théâtre « Petite forme » par le Théâtre <strong>de</strong> la Fiancée *<br />

Vendredi 13 février 19h Théâtre « Attends-moi ! » par la Cie Acetylcholine *<br />

Mardi 17 février 18h30 <strong>Ren<strong>de</strong>z</strong>-<strong>vous</strong> d’Archimè<strong>de</strong> : « Émotions et psychanalyse »<br />

avec Bernard Forthomme et Pierre-Henri Castel<br />

Jeudi 19 février 18h30 Salon étrange(r) : vidéomaton<br />

9, 16 mars 10h, 14h30 Conférences <strong>de</strong> l’UTL<br />

Mardi 9 mars 18h30 « Réseaux et savoirs : stratégies territoria<strong>les</strong> pour la <strong>culture</strong> »<br />

Du 10 mars au 1 avril<br />

Exposition « L’art <strong>de</strong> la mesure » par l’ASA<br />

Vernissage le 10 mars à 18h30<br />

Lundi 15 mars 19h Concert : Fred Van Hove en partenariat avec le CRIME *<br />

Mardi 16 mars 18h30 <strong>Ren<strong>de</strong>z</strong>-<strong>vous</strong> d’Archimè<strong>de</strong> : Cycle « La mesure »<br />

« L’homme est la mesure <strong>de</strong> toutes choses » avec Barbara Cassin<br />

Mercredi 17 mars 18h30 Question <strong>de</strong> sens : « La laïcité dans un contexte <strong>de</strong> mondialisation »<br />

avec Jean Baubérot<br />

Jeudi 18 mars 18h30 Salon étrange(r) : <strong>de</strong>s mots<br />

Mardi 23 mars 18h30<br />

<strong>Ren<strong>de</strong>z</strong>-<strong>vous</strong> d’Archimè<strong>de</strong> : « Pratique et théorie <strong>de</strong> la mesure<br />

dans la tradition scientifique arabe » avec Ahmed Djebbar<br />

Mercredi 24 mars 18h30 Café court « Le tunnel <strong>de</strong> Samos »<br />

Mardi 30 mars 18h30 <strong>Ren<strong>de</strong>z</strong>-<strong>vous</strong> d’Archimè<strong>de</strong> : « La mesure en mécanique quantique :<br />

un nouveau concept ? » avec Roger Balian<br />

31 mars – 1 et 2 avril Séminaire national « Regard sur le patrimoine <strong>culture</strong>l <strong>de</strong>s universités »<br />

<strong>Espace</strong> Culture - Cité Scientifique 59655 Villeneuve d’Ascq<br />

Accueil : du lundi au jeudi <strong>de</strong> 10h à 18h30<br />

et le vendredi <strong>de</strong> 10h à 12h30<br />

Café et sal<strong>les</strong> d’expositions : du lundi au jeudi <strong>de</strong> 12h à 18h30<br />

et le vendredi <strong>de</strong> 10h à 14h<br />

Tél : 03 20 43 69 09 - Fax : 03 20 43 69 59<br />

www.univ-lille1.fr/<strong>culture</strong><br />

Mail : ustl-cult@univ-lille1.fr

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