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Rendez-vous d'Archimède _cycle les émotions - Espace culture de l ...

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LNA#35 / <strong>cycle</strong> <strong>les</strong> émotions<br />

L’émotion<br />

Par Bernard FORTHOMME<br />

Docteur en Philosophie et Lettres<br />

Membre <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong>s Franciscains<br />

Une larme à l’œil n’est pas simplement la cause <strong>de</strong> mon<br />

émotion. Toutefois, une manifestation poétique et ma<br />

conscience aiguë <strong>de</strong> la métaphore ne sont pas non plus cette<br />

cause supérieure dont la larme ne serait que le misérable effet<br />

naturel, cette lune dérisoire dans l’orbite <strong>de</strong> mon regard, cet<br />

œil <strong>de</strong> feu décrit par un ami astronome.<br />

Certes, la réduction <strong>de</strong> l’émotion à un acci<strong>de</strong>nt physiologique,<br />

au corps entendu comme ce pur foyer causal, est une bévue<br />

considérable. Mais réinsérer le rapport délicat entre la larme à<br />

l’œil et l’émotion, dans son contexte social et dans son champ<br />

naturel, ne rend pas automatiquement justice au jaillissement<br />

<strong>de</strong> l’émotion.<br />

Sans doute le corps ému, la larme à l’œil qui le trahit et le<br />

traduit, n’est jamais simplement cause <strong>de</strong> l’émotion vécue et<br />

reconnue. Il y a toujours une forme d’interprétation spontanée<br />

<strong>de</strong> l’événement physiologique, dès lors qu’il se manifeste à soi,<br />

s’exprime comme expérience vive et, surtout, s’il se verbalise !<br />

Mais en vérité l’émotion se manifeste comme la production<br />

d’un corps différent dont le sujet ne s’est pas encore séparé,<br />

<strong>de</strong>meuré tout proche <strong>de</strong> l’impression originaire. Je connais<br />

d’abord l’être dans une simplicité confuse, sa voix unique,<br />

avant <strong>de</strong> pouvoir reconnaître la singularité pure au sein <strong>de</strong><br />

l’existence et du vivant.<br />

L’émotion s’éprouve à la fois comme production d’une épreuve<br />

originaire et comme une forme d’interprétation <strong>de</strong> la réalité<br />

environnante, d’un réseau <strong>de</strong> relations et d’attachement à l’être<br />

singulier. Bref, l’émotion n’est pas seulement liée à la physiologie<br />

ou au registre <strong>de</strong> l’affect ou du subjectif, <strong>de</strong> l’intime. Elle<br />

est également une forme <strong>de</strong> connaissance et même un jugement<br />

enrôlant un mot expressif. Sans doute ne s’agit-il pas là<br />

<strong>de</strong> la raison intellectuelle, d’une activité consciente <strong>de</strong> l’esprit<br />

ou <strong>de</strong> la raison volontaire. Mais l’émotion témoigne plus que<br />

d’un simple inconscient. Elle atteste au contraire <strong>de</strong> la vigilance<br />

incorporée <strong>de</strong> l’esprit, comme expérience première où<br />

la dialectique <strong>de</strong> l’environnement, d’autrui, <strong>de</strong> mon corps et<br />

<strong>de</strong> ma conscience n’est pas encore mise à jour ; expérience que<br />

cette dialectique présuppose comme un contentieux dérivé.<br />

L’émotion ainsi perçue offre une base expérimentale d’une<br />

relation et d’un attachement où la question <strong>de</strong> la nature et<br />

<strong>de</strong> ce qui l’excè<strong>de</strong>, <strong>de</strong> l’affectif et <strong>de</strong> l’effectivité morale, du<br />

sentiment et <strong>de</strong> la volonté, <strong>de</strong> l’immanence et <strong>de</strong> la relation<br />

transfinie, n’est pas encore d’actualité. Autrement dit, l’émotion<br />

se joue à un niveau d’articulation <strong>de</strong> soi, d’autrui, d’une<br />

décence sociale, du corps et <strong>de</strong> la nature, <strong>de</strong> la nature et <strong>de</strong><br />

la relation excé<strong>de</strong>ntaire, qui reste indiscernable. Cette irrésolution<br />

n’est pas un vague sentiment. Parler ainsi serait juger<br />

l’émotion comme un simple affect, un effet passif d’une cause<br />

corporelle, naturelle ou sociale, à partir d’un sentiment différencié<br />

ou d’une logique perçue comme dégradée ou seulement<br />

inchoative. Or l’émotion est déjà un discernement autonome,<br />

une articulation originale et une expérience indépassable, en<br />

tant que telle, <strong>de</strong> la réalité complexe. Elle assure, en outre,<br />

une constante significative entre <strong>de</strong>s instances qui peuvent<br />

apparaître ultérieurement hétérogènes ou nécessairement différentiab<strong>les</strong>.<br />

Si le corps est susceptible d’une émotion, c’est aussi parce que<br />

l’émotion provoque le corps ému. Le corps est aussi un <strong>de</strong>venir<br />

propre <strong>de</strong> l’émotion. L’émotion façonne le corps, lui donne à<br />

éprouver l’articulation <strong>de</strong> la réalité la plus hétérogène, seraitce<br />

le lien mystérieux entre la nature finie et la relation infinie.<br />

L’imitation d’une émotion produit en quelque sorte un corps<br />

ému. L’imitation enrôle le corps pour produire le corps ému,<br />

mais le corps ému est également provoqué par l’imitation désirée.<br />

Ce désir d’imitation, nous le retrouvons présent dans la<br />

pratique théâtrale. Il y a volonté <strong>de</strong> mimer la passion. Mais<br />

toute répétition est sélection et toute sélection inclut une opposition<br />

à certains traits non retenus. La sélection est une élection<br />

et une diffusion qui laisse inexprimés certains éléments<br />

d’une émotion imitée.<br />

Imitation qui exerce une fonction dans le <strong>de</strong>venir autre ou la<br />

transexpressivité : l’émotion mimétique est une forme <strong>de</strong> préhension<br />

du cheval, du fou ou d’un geste féminisé. En outre, le<br />

<strong>de</strong>venir femme <strong>de</strong> la sensibilité masculine peut être l’expression<br />

émotionnelle provoquée par une autre émotion. Ainsi,<br />

pour être plus fidèle à l’impression <strong>de</strong> grâce d’une femme que<br />

l’on ne voudrait pas voir brutalement allongée sur un lit pour<br />

dormir, l’émotion poétique l’imagine posée endormie sur une<br />

branche tel un oiseau <strong>de</strong> paradis ! Je prends un air joyeux pour<br />

être moins malheureux. De même si je prends <strong>de</strong> l’alcool, c’est<br />

aussi pour induire un corps exprimant la bonne humeur ou<br />

mieux incorporer ma tristesse.<br />

Par l’émotion que j’éprouve je ne suis pas simplement effet, un<br />

être senti, mais ce qui me fait éprouver, expérimenter <strong>de</strong>s événements<br />

neufs ou différents. Je ne suis plus seulement l’effet<br />

d’un événement esthétique ni la cause transfigurante, sublimant<br />

un simple mur <strong>de</strong> briques en empreinte digitale <strong>de</strong> Dieu.<br />

J’incorpore l’édifice, je <strong>de</strong>viens une peau basanée, je <strong>de</strong>viens<br />

ocre, peau-rouge, homme terreux, en relation quinconce, et<br />

par là, assoupli comme glaise, mis en mouvement, ému, j’édifie,<br />

je me construis, je m’édifie, occasion <strong>de</strong> sauvegar<strong>de</strong> ou <strong>de</strong><br />

verticalité pour ceux que je touche.<br />

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