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Rendez-vous d'Archimède _cycle les émotions - Espace culture de l ...

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vivre <strong>les</strong> sciences, vivre le droit / LNA#35<br />

Retombée <strong>de</strong>s températures, mais toujours :<br />

délires et délices <strong>de</strong>s émotions dans un «État <strong>de</strong> droit»<br />

Par Jean-Marie BREUVART<br />

Philosophe<br />

Les effets <strong>de</strong> la canicule sont maintenant bien retombés, et je<br />

ne voudrais pas pour l’heure <strong>vous</strong> servir du « réchauffé » !<br />

Pourtant, avec le recul, apparaît maintenant la nécessité <strong>de</strong> relier<br />

cela à ce qui se passe encore tous <strong>les</strong> jours sous nos yeux,<br />

avec le gouffre <strong>de</strong> la sécurité sociale, <strong>les</strong> difficultés <strong>de</strong> notre<br />

gouvernement face à l’Europe, le chômage qui repart à la<br />

hausse, <strong>les</strong> fermetures d’usines, résultant d’une gestion purement<br />

technique <strong>de</strong> l’économie, sans oublier, bien sûr, la violence<br />

universellement présente ni la montée <strong>de</strong> l’intolérance.<br />

C’est au cœur même <strong>de</strong> nos vies qu’il y a insécurité.<br />

Justement, nos problèmes ne relèveraient-ils pas <strong>de</strong> la même<br />

difficulté à articuler nos émotions personnel<strong>les</strong> à l’émotion<br />

collective ? Car l’émotion collective fut gran<strong>de</strong>, l’été <strong>de</strong>rnier.<br />

Mais disait-elle <strong>les</strong> drames individuels qui s’y cachaient ?<br />

Un grand journal national a raconté la douce disparition d’un<br />

couple <strong>de</strong> personnes âgées, pourtant relativement choyé par<br />

son entourage. Ils sont disparus à quelques jours d’intervalle,<br />

sans que <strong>les</strong> grands média ne s’y intéressent.<br />

Ce décalage entre l’émotion collective « à fleur <strong>de</strong> peau » et <strong>les</strong><br />

émotions personnel<strong>les</strong> a bien évi<strong>de</strong>mment <strong>de</strong>s conséquences<br />

sur le rapport aux sciences et au droit. En l’absence d’une<br />

authentique para<strong>de</strong> juridique ou scientifique, chacun est resté<br />

aux prises avec la turbulence <strong>de</strong> sa propre vie intérieure, ne<br />

sachant trop qu’en faire, ni comment la comparer réellement à<br />

celle du voisin ou <strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong>s citoyens.<br />

Car il est inscrit dans l’évolution même <strong>de</strong> notre société technicienne<br />

que tout problème doive se résoudre par référence<br />

soit aux sciences, soit au droit, soit aux <strong>de</strong>ux. Et nous avions,<br />

avec la canicule, <strong>de</strong> quoi illustrer l’un ou l’autre <strong>de</strong> ces cas <strong>de</strong><br />

figure.<br />

Le droit d’abord, ou plutôt le pouvoir politique, dont <strong>les</strong> institutions<br />

ont mal fonctionné, notamment l’observatoire <strong>de</strong> la<br />

santé, qui n’avait pas suffisamment pressenti la gravité <strong>de</strong>s<br />

choses, et n’avait en tout cas pas su diffuser son sentiment<br />

dans <strong>les</strong> institutions <strong>de</strong> sa compétence.<br />

Ce dysfonctionnement doit-il pour autant conduire à une révision<br />

<strong>de</strong> la législation ? Encore une façon d’insister sur l’importance<br />

du droit dans la gestion <strong>de</strong>s vies privées. Mais quelle<br />

instance pourrait alors contrôler une telle articulation entre le<br />

droit, <strong>les</strong> institutions et le pouvoir politique ? Il y faudrait un<br />

dieu, peut-être.<br />

Alors, pourquoi pas <strong>les</strong> sciences, notamment <strong>les</strong> sciences dites<br />

« humaines », mais également <strong>les</strong> sciences <strong>de</strong> la complexité<br />

climatique et cel<strong>les</strong> <strong>de</strong>s organismes humains qui y sont confrontés<br />

? Ici non plus, on ne peut se prévaloir d’une instance<br />

supérieure, qui permettrait <strong>de</strong> mieux résoudre <strong>les</strong> questions<br />

auxquel<strong>les</strong> est quotidiennement confronté tout citoyen. À<br />

supposer même que chacune <strong>de</strong> ces sciences puisse clarifier<br />

la question du rapport humain au climat, elle le fait dans sa<br />

sphère, sans pour autant viser ce que l’on pourrait appeler une<br />

« transdisciplinarité météorologique ».<br />

Resterait alors à traiter la question à un niveau plus proche <strong>de</strong>s<br />

vies individuel<strong>les</strong> et <strong>de</strong> leurs émotions, au niveau <strong>de</strong> chaque<br />

« localité », justement là où l’universel du droit et celui <strong>de</strong>s<br />

sciences buttent sur une vérité <strong>de</strong>rnière qui <strong>les</strong> laisse finalement<br />

impuissants. Ne reste plus alors que ce qui est essentiel<br />

à chaque être humain, aux prises avec la question <strong>de</strong> sa vie et<br />

<strong>de</strong> sa mort.<br />

Certes, on pourrait encore saisir le maire ou tel ou tel expert<br />

« local » pour éclairer <strong>les</strong> décisions à prendre. Mais cela ne saurait<br />

en rien remplacer l’attention au différent et au faible. Problème<br />

: le développement même <strong>de</strong> nos sociétés ne conduit-il<br />

pas justement à en détourner chacun, occupé qu’il est à écrire<br />

le moins mal possible sa seule et unique histoire ?<br />

Et pourtant, ne faut-il pas persister et signer pour redire que<br />

seul compte le lieu concret qui reste propice aux rencontres ?<br />

Il n’y a pas eu <strong>de</strong> problème <strong>de</strong> la canicule, mais il y eut une façon<br />

<strong>de</strong> la vivre, délirante ou « délicieuse », selon que l’on y voit<br />

ou non une occasion <strong>de</strong> rencontre <strong>de</strong> l’autre. Ici, en réalité, un<br />

quatrième facteur entre en ligne <strong>de</strong> compte, que notre société<br />

mo<strong>de</strong>rne n’est toujours pas préparée à accepter : le hasard et<br />

le risque, c’est-à-dire ce qui rend réellement humaine toute<br />

relation.<br />

Faut-il pour autant retrouver le vieux réflexe obscurantiste<br />

qui condamne toute volonté d’universalité, au nom d’un non<br />

moins vieux communautarisme ?<br />

Nous n’avons jamais été mo<strong>de</strong>rnes, constatait récemment<br />

Bruno Latour. Non, notre mo<strong>de</strong>rnité serait justement <strong>de</strong><br />

savoir articuler, ici et maintenant, <strong>les</strong> informations scientifiques<br />

nous venant d’instances distantes, <strong>les</strong> prescriptions<br />

juridiques émanant d’un pouvoir tout aussi éloigné, et la vie<br />

désirante <strong>de</strong> chacun, dans la proximité d’un temps météorologique<br />

qui offre, quant à lui, la particularité d’être toujours<br />

« local », pour le meilleur et pour le pire.<br />

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