n°24 - L'Envolée
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La loi de 2003 a fait passer la durée de rétention d’un<br />
« étranger irrégulier » de douze à trente-deux jours. Cette loi<br />
prévoit aussi le triplement des capacités de « stockage » dans<br />
les centres. On est passé de 786 places officielles en 2002 à<br />
plus de 1 500 places en 2006 et 2391 prévues fin 2008. Sous<br />
la pression du nombre, la «rétention administrative » s’est<br />
évidemment durcie.<br />
RETOUR SUR UN REGAIN DE LUTTES<br />
Depuis quelques numéros, nous reproduisons dans le journal<br />
des témoignages de « retenus » (4) qui dénoncent leurs conditions<br />
d’enfermement, mais surtout qui remettent en cause leur<br />
enfermement. Ces témoignages sont la continuation en mots de<br />
luttes et de révoltes individuelles, collectives, plus ou moins<br />
désespérées, plus ou moins étouffées. Régulièrement, les<br />
emmurés des centres de rétention tentent de s'organiser, mais<br />
les moyens de lutte se limitent en général à des grèves de la<br />
faim. La pression policière, le turn-over des « retenus » et l'organisation<br />
même de ces lieux d'emprisonnement rendent difficiles<br />
d'autres modes d’action. Ces grèves de la faim ne sont évidemment<br />
pas prises au sérieux par l'administration des centres,<br />
qui estime que les « retenus » restent trop peu de temps pour<br />
mettre leur vie en danger. Quant aux automutilations et aux suicides,<br />
ils se gèrent, comme en prison (5).<br />
Depuis un an, cependant, les luttes s’enchaînaient dans différents<br />
centres, et particulièrement à Vincennes, sans que la<br />
répression (tabassages, éloignements des soi-disant leaders,<br />
mensonges médiatiques) ne parvienne à étouffer ce mouvement.<br />
Si elle ne rencontrait pas que de l’indifférence à l’extérieur,<br />
l’expression de la solidarité avait du mal à ne pas s’essouffler.<br />
Les manifestations du printemps 2008 ne rassemblaient<br />
plus autant de monde devant les centres que pendant<br />
l’hiver (6). Pourtant, les causes de la révolte demeuraient: le<br />
18 juin, la directive européenne fixant la durée maximum de<br />
rétention à dix-huit mois était adoptée. L’incendie viendra de<br />
l’intérieur.<br />
Le 21 juin, à 21h30, une trentaine de personnes se rassemblent<br />
spontanément devant le centre de rétention administrative<br />
(CRA) de Vincennes après avoir appris la mort d’un « retenu »<br />
par un coup de fil de l’intérieur. Une manifestation est appelée<br />
le lendemain, et c’est quelques dizaines de personnes qui assistent<br />
depuis l’extérieur à l’incendie des CRA 1 et 2: en à peine<br />
trois heures, les deux centres sont intégralement détruits par le<br />
feu. La plupart des « retenus » seront évacués le soir vers<br />
d’autres CRA en France.<br />
Des tentatives d’incendies, des départs de feu dans une cellule,<br />
il y en a souvent; mais un centre qui brûle entièrement, c’est<br />
du jamais vu en France. La seule prison de ce type qui a brûlé<br />
en Europe se situe en Grande-Bretagne, à Harmondsworth,<br />
près de l’aéroport de Londres. C’était dans la nuit du<br />
29 novembre 2006… (7) Deux petites années, et ça aussi on<br />
l’avait presque oublié. Ceux de Vincennes nous ont rappelé que<br />
c’était possible. Ce fut notre premier sentiment sur place: c’est<br />
beau une prison qui crame. Mais une fois les centaines de photos<br />
prises par tout ce que la militance compte de nouvelles technologies<br />
faiseuses d’images, on a été bien vite assaillis par un<br />
paquet d’autres sentiments, tous contradictoires. Quand le slogan<br />
fait place à la réalité et que l’on est dehors, on est partagé<br />
entre la peur et l’impuissance. On ne les voit pas sortir, on ne<br />
sait pas ce qui se passe dedans; combien sont morts, blessés,<br />
intoxiqués, échappés? C’est le temps des rumeurs, des fausses<br />
informations distillées par flics et politiques. Ils se laissent le<br />
temps de gérer la situation; ils anticipent le pire au cas où. Ils<br />
annoncent quarante évadés potentiels; c’est pratique, dans le<br />
cas où certains seraient effectivement morts. L’ambiance est<br />
électrique. Les flics se transforment en nervis de proximité. Les<br />
sous-chefs prennent les commandes tandis que les chefs galèrent<br />
à l’intérieur avec les « retenus ». La parole est aux<br />
gazeuses « familiales », et les flash-balls sont à deux doigts des<br />
visages: « J’m’en fous! J’peux tirer à bout touchant!», « Vos<br />
copains y sont en train d’cramer, moi j’m’en fous!», «Dégage,<br />
l’handicapé!Je vais pas te blesser, je vais te tuer!».<br />
Il faut attendre le surlendemain pour que le discours d’Etat<br />
s‘organise autour d’un retournement assez simple: ce sont les<br />
associations extérieures qui ont créé les conditions de cet<br />
incendie, voire mis le feu. Dans la presse la Cimade devient<br />
gauchiste et ses rapports annuels seront interdits à l’avenir, le<br />
Réseau éducation sans frontière (RESF) devient une bande<br />
d’activistes irresponsables tandis que les anarchistes deviennent<br />
des terroristes. Entre-temps, l’incendie a créé un bug dans<br />
la machine à expulser. D’abord, de nombreux « retenus » du<br />
centre n’ont pas été expulsés (moins de 10 % des « retenus »<br />
présents le jour de l’incendie ont été reconduits à la frontière<br />
alors qu’en moyenne, c’est 50 % des entrants qui le sont). 280<br />
places qui disparaissent d’un coup, c’est concrètement moins<br />
de sans-papiers enfermés, au moins dans les mois qui suivent.<br />
Une circulaire, une de plus, a même été émise, mais cette fois<br />
pour freiner le rythme des arrestations pendant l’été… De fait,<br />
le rythme des rafles, au moins dans la capitale, a considérablement<br />
ralenti.<br />
Notes<br />
1 Audition de N. Sarkozy, Commission des lois, Assemblée nationale, 29 mars 2006.<br />
2 La loi du 26 novembre 2003 est la première loi sur l’immigration de la période Sarkozy. Il a réussi à la faire passer pour une réforme de la<br />
double peine alors qu’elle n’a fait que préciser les quelques catégories de personnes épargnées par celle-ci. En fait, elle a surtout posé le cadre<br />
juridique pour le développement de la biométrie dans le contrôle des flux migratoires. Le fichier Biodev a ainsi pu être mis en place à titre expérimental<br />
dans sept consulats, obligeant tous les demandeurs de visa à se rendre dans les consulats de leur pays de départ pour être enregistrés<br />
numériquement. Comme le déclare Sarko lui-même, « le système de visa biométrique permet, tout simplement, de connaître l’identité et la nationalité<br />
de ceux qui ont perdu leurs papiers et la mémoire ». La loi du 26 novembre 2006 (deux ans déjà, et nous l’avons tous oubliée), a généralisé<br />
le dispositif à la totalité des 1,9 million de visas Schengen délivrés chaque année par la France. En prenant comme prétexte le contrôle aux<br />
frontières, le but réel de cette loi est de vérifier les identités en cas de contrôle sur le territoire et de faciliter ainsi une expulsion.<br />
3 Sur tous ces points on peut lire Serge Slama, Politique d’immigration : un laboratoire de la frénésie sécuritaire, dans le livre collectif dirigé par<br />
Mucchielli, La frénésie sécuritaire, La Découverte, 2008.<br />
4 Si le terme n’est pas satisfaisant, il est souvent employé par les sans-papiers eux-mêmes ; parler de « prisonniers » paraît plus approprié mais<br />
il peut entraîner une confusion et une assimilation entre des lieux d’enfermements qui ne sont pas les mêmes.<br />
5 L’Envolée N°22, Quand j’dis rétention, y’a prison qui va avec.<br />
6 L’Envolée N°22, Quelques éléments sur les luttes.<br />
7 L’Envolée N°19, Beau comme un centre de rétention qui brûle.<br />
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