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n°24 - L'Envolée

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ENTRETIEN AVEC HUGO<br />

JUILLET 2008<br />

« S’INVESTIR DANS QUOI QU’ON FASSE ET<br />

NE PAS MENER DES COMBATS STÉRILES »<br />

Hugo est récemment sorti de prison, il est venu en parler à l’émission de radio L’Envolée.<br />

Une discussion s’est développée pendant plusieurs semaines… En voici de larges extraits.<br />

L’Envolée : On commence la discussion avec Hugo, à qui on<br />

ne va pas demander un témoignage mais une opinion.<br />

Hugo, déjà, est un ami. Je pense qu’à l’Envolée, ça fait pas<br />

mal de temps qu’on n’a pas reçu quelqu’un avec un parcours<br />

carcéral très, très long, à savoir… tu frôles les vingtneuf<br />

ans ?<br />

Hugo: Vingt-neuf ans, oui.<br />

E. : T’as été condamné une première fois à une peine de vingt<br />

ans ?<br />

H. : Ouais, en 1981, devant les assises de Paris, pour homicide et<br />

organisation d’exécution, qui s’est transformé en complicité<br />

d’assassinat. J’suis sorti en 1992 ; ça a duré quatorze ans.<br />

E. : Quatorze ans, et ensuite t’as été condamné à une peine de<br />

trente ans de réclusion.<br />

H. : A trente ans de réclusion criminelle, pour meurtre en état de<br />

récidive. J’ai été recondamné en 1999 à huit ans pour vol avec<br />

arme : ça a été confusionné avec les trente ans.<br />

E. : T’as été incarcéré aussi gamin ?<br />

H. : Oui, oui, quand j’étais mineur, entre 15 et 16 ans.<br />

E. : Ça veut dire que ton parcours carcéral va des années<br />

1970, grosso modo, aux années 2000.<br />

H. : Oui, jusqu’aux années 2000. La première fois, j’ai fait quatorze<br />

ans sur vingt.<br />

E. : Et qu’est-ce qui s’est passé, pour que t’aies pas compris la<br />

«leçon sociale » du monde carcéral ?<br />

H. : Pendant quatorze ans, y a personne qui me parlait. La plupart<br />

des gens qui me parlaient me disaient : « Tiens, ouais,<br />

Hugo, t’es là pour meurtre – t’es un brave mec ! » Comment tu<br />

veux comprendre une chose comme ça ? J’ai fait pas mal de<br />

prisons sur ma première peine, parce que partout où on m’envoyait,<br />

c’était l’inverse de ce que j’avais demandé ; normal,<br />

j’avais un parcours chaotique, alors c’est une petite vengeance<br />

de l’administration pénitentiaire (AP) : tu demandes tel endroit,<br />

on t’envoie à l’opposé. Mais dans quelques centrales où j’arrivais,<br />

j’étais pratiquement chez moi. Les types avaient entendu<br />

parler de moi. On se connaissait par amis interposés, et partout<br />

où j’arrivais, j’étais bien accueilli, dans la mesure où c’était pas<br />

un délit pour mœurs : j’étais là pour meurtre. J’étais devenu un<br />

brave mec. C’est-à-dire que pendant quatorze ans, on m’a glorifié<br />

dans mes actes. Comment tu veux en comprendre la profondeur,<br />

quand c’est comme ça ?<br />

E. : Bon, t’as quand même obtenu une conditionnelle ; enfin,<br />

une conditionnelle de misère…<br />

H. : J’ai obtenu une conditionnelle de onze mois sur une peine de<br />

vingt et un ans et trois mois exactement, parce qu’on m’avait<br />

recollé quinze mois de sursis sur une autre peine.<br />

E. : T’étais pas vieux ; t’avais quel âge à l’époque ?<br />

H. : Quand j’ai épongé, j’avais 24 ans et demi.<br />

E. : Et ils n’ont rien fait pour t’aider, ou pour t’expliquer, justement,<br />

que t’étais ni un caïd ni un brave mec d’avoir tué ?<br />

H. : Non, absolument rien – et puis de toute façon, j’étais dans un<br />

refus total aussi. Moi, j’ai un parcours particulièrement violent.<br />

Ça a commencé à l’âge de 7 ans par des violences sexuelles chez<br />

les parents nourriciers chez lesquels j’étais placé. Ensuite, je me<br />

suis retrouvé chez mon père à l’âge de 10 ans. Son livre de chevet,<br />

c’était Mein Kampf. C’est pour te dire que c’était de tout<br />

repos. C’était pas quelqu’un de gentil, il me tabassait la gueule.<br />

Et puis à 14 ans, j’ai dit : halte-là, c’est fini, le premier qui va me<br />

taper dessus, moi je vais aller au-delà ; au-delà de sa violence.<br />

E. : Et t’as été au-delà.<br />

H. : Et j’ai été au-delà. Quand j’avais 20 piges, dans mon quartier,<br />

pratiquement tous les gens avaient peur de moi. Et quand<br />

t’as 20 ans, après avoir subi, et que les gens commencent à avoir<br />

peur de toi, c’est toi qui leur fais subir. C’est une forme de pouvoir,<br />

et entre les mains d’un môme, c’est vachement dangereux.<br />

Alors ça a été crescendo ; et puis après, il y a eu cette incarcération,<br />

cette condamnation à une peine de vingt ans, et puis personne<br />

ne m’a parlé. Je suis tombé dans un contexte qui était<br />

aussi violent. La prison, c’est un univers vachement violent, et<br />

j’en sortais pas. Ma première peine a été extrêmement chaotique<br />

; et puis, je te dis, partout où j’arrivais, les gens me<br />

disaient : « Ouais, t’es un brave mec, t’es là pour meurtre, t’es<br />

pas là pour la pointe, t’es pas là pour un délit sexuel ». Y a personne<br />

qui m’a dit : « Hugo, en fait, que tu sois là pour meurtre<br />

ou que tu sois là pour viol, au bout du compte, y a que des victimes<br />

» ; personne me l’a dit, à l’époque.<br />

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