POUR MOINS - La Tribune
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LE BUZZ<br />
LA TRIBUNE VENDREDI 11 OCTOBRE 2013<br />
Avec le nouveau plan de départs volontaires concernant 2 800 personnes, Air France aura, fin 2014, supprimé<br />
près de 10 000 postes depuis 2009. Décryptage des facteurs qui ont obligé la compagnie à serrer la vis. <strong>La</strong> crise, certes,<br />
mais aussi une entreprise qui a trop longtemps vécu au-dessus de ses moyens. Et a tardé à réagir…<br />
10 000 postes en moins en cinq ans…<br />
comment Air France en est arrivé là<br />
>><br />
AIR FRANCE A FÊTÉ, LE<br />
7 OCTOBRE, SES 80 ANS. Un<br />
anniversaire dans la douleur.<br />
Trois jours plus tôt, la direction<br />
détaillait en effet les mesures supplémentaires<br />
pour atteindre les<br />
objectifs du plan Transform 2015,<br />
notamment le plan de départs<br />
volontaires (PDV) concernant<br />
2 800 personnes, le deuxième en<br />
deux ans, après celui lancé l’an<br />
dernier (3 400 personnes), et le<br />
troisième depuis 2009 (1 900 personnes<br />
sont parties en 2010).<br />
Avec les départs naturels non<br />
remplacés, Air France aura supprimé,<br />
d’ici à la fin 2014, près de<br />
10 000 postes en cinq ans, et<br />
comptera moins de 50 000 salariés<br />
(70 000 filiales comprises, et<br />
100 000 pour Air France-KLM).<br />
L’objectif de la compagnie est de<br />
revenir dans le vert en 2014 après<br />
avoir cumulé, pendant les six<br />
années de pertes consécutives,<br />
plus de deux milliards d’euros de<br />
pertes d’exploitation.<br />
Comment en est-on arrivé là ?<br />
Beaucoup d’observateurs ont souvent<br />
invoqué la crise en mettant en<br />
avant les difficultés structurelles<br />
des compagnies traditionnelles<br />
(manque de compétitivité à cause<br />
d’une taxation excessive, développement<br />
des transporteurs du Golfe<br />
et des low-cost…). Tout cela est<br />
vrai, mais n’explique pas tout. Air<br />
FOCUS<br />
L’HÉCATOMBE<br />
France est entrée dans la crise de<br />
2009 moins bien préparée (en<br />
termes de coûts) que ses concurrentes<br />
Lufthansa et British<br />
Airways et, durant les premières<br />
années de la crise, la compagnie<br />
tricolore a tardé à réagir. « On<br />
vivait au-dessus de nos moyens »,<br />
reconnaît-on en interne. D’où,<br />
aujourd’hui, l’intensité du plan<br />
Transform 2015. <strong>La</strong>ncé le 10 janvier<br />
2012, il ambitionne de réaliser<br />
deux milliards d’euros d’économies<br />
en trois ans à l’échelle d’Air France-<br />
KLM. Plus précisément, de générer,<br />
d’ici à 2015, 2,9 milliards d’euros<br />
de cash-flow, dont<br />
deux milliards pour<br />
Air France et 900 millions<br />
pour KLM, les<br />
deux filiales à 100 %<br />
du groupe. Ceci, dans le but de<br />
réduire la dette de 2 milliards<br />
durant la période pour la ramener<br />
à 4,5 milliards d’euros.<br />
EN 2008 ENCORE, LE GROUPE<br />
ÉTAIT MONTRÉ EN EXEMPLE<br />
Des objectifs très ambitieux<br />
pour se remettre sur les rails alors<br />
que, quelques années plus tôt, le<br />
groupe était montré en exemple<br />
pour ses excellents résultats,<br />
comme British Airways l’était<br />
dans les années 1990. Pour rappel,<br />
en mai 2008, au moment où le<br />
baril franchissait les 100 dollars<br />
et où l’économie américaine montrait<br />
des signes inquiétants d’essoufflement<br />
après la crise des<br />
subprimes commencée à l’été<br />
2007, Air France-KLM annonçait<br />
une hausse de 13 % de son bénéfice<br />
d’exploitation pour l’exercice<br />
2007-2008, à 1,4 milliard d’euros<br />
(un record). Sauf que ces chiffres<br />
étaient trompeurs. Ces bons<br />
résultats provenaient plus de l’efficacité<br />
des couvertures carburant<br />
(des instruments d’achats anticipés<br />
qui visent à payer le pétrole en<br />
dessous du prix marché) qui, par<br />
exemple en 2007-2008, ont<br />
contribué à hauteur d’un milliard<br />
au bénéfice d’exploitation ! Ils<br />
provenaient également plus de la<br />
très bonne profitabilité de KLM,<br />
que de la performance réelle d’Air<br />
France, souvent surestimée.<br />
Durant cette période, la compagnie<br />
n’a pas su profiter de cette<br />
Taxe carbone dans l’aérien : un camouflet pour l’Europe<br />
Le plan de départs volontaires annoncé ces jours-ci par la direction<br />
de la compagnie aérienne est le troisième depuis 2009. [AIR FRANCE]<br />
situation favorable pour baisser<br />
suffisamment ses coûts. Notamment<br />
lorsqu’ont été renégociés les<br />
nouveaux accords collectifs avec<br />
les pilotes en 2006 et les hôtesses<br />
et stewards en 2008. Cela alors<br />
que, dans le même temps, en<br />
février 2008, l’accord salarial pour<br />
le personnel au sol est revu à la<br />
hausse. Il est même signé par la<br />
CGT, pour la première fois depuis<br />
1982. L’augmentation des salaires<br />
en 2008 est, en moyenne, de 3 %<br />
(assortie d’une prime uniforme<br />
annuelle revalorisée de 200 euros,<br />
l’équivalent d’une hausse de<br />
salaires de 0,6 %), alors qu’elle était<br />
habituellement calquée sur les prévisions<br />
d’inflation autour de 1,6 %.<br />
Vendredi 4 octobre, 185 des 191 pays<br />
membres de l’OACI (Organisation de<br />
l’aviation civile internationale, qui<br />
dépend de l’ONU) ont adopté la résolution<br />
sur le changement climatique.<br />
Ils ont notamment accepté, non sans<br />
mal, des « mesures de marché » au<br />
niveau mondial pour compléter le système<br />
général de réductions des émissions<br />
de CO2, lesquelles doivent être<br />
obtenues grâce à plusieurs mesures<br />
technologiques, techniques, et le<br />
recours à des biocarburants. Cela dans<br />
le but de plafonner, dès 2020, les émissions<br />
de CO2 du transport aérien et<br />
d’afficher par conséquent une croissance<br />
neutre à partir de cette date.<br />
Contrairement à la résolution précédente,<br />
les pays émergents ont voté favorablement<br />
cet accord. Celui-ci stipule<br />
le lancement dès à présent de travaux<br />
d’élaboration d’un système mondial de<br />
marché qui sera présenté lors de la prochaine<br />
assemblée générale de l’OACI,<br />
en 2016, laquelle décidera de sa mise en<br />
œuvre en 2020.<br />
« Cette étape est très importante, car il<br />
y a un accord mondial du secteur de<br />
l’aviation pour développer puis mettre<br />
en place un tel système fondé sur les<br />
mesures de marché », commente pour<br />
<strong>La</strong> <strong>Tribune</strong> Michel Wachenheim, le président<br />
français à l’assemblée de l’OACI.<br />
« Les États ont dit que l’OACI ne pourra<br />
pas endosser le système européen »,<br />
précise-t-il. Si l’Europe – qui est<br />
aujourd’hui la seule à avoir introduit<br />
un mécanisme de marché dans l’aviation<br />
– persiste, elle devra en discuter<br />
avec les autres États dans le cadre de la<br />
Convention de Chicago. Avec cet<br />
accord, le secteur de l’aviation est le<br />
premier dans le domaine du transport<br />
à appliquer un tel mécanisme de marché<br />
pour l’émission de gaz à effet de<br />
serre. <strong>La</strong> piste la plus probable semble<br />
celle de l’élaboration d’un système de<br />
compensation des émissions. F. G.<br />
En outre, les gains de productivité<br />
provenaient essentiellement<br />
d’une politique de croissance des<br />
capacités à effectifs plus ou moins<br />
stables. Quand les recettes unitaires<br />
se sont effondrées (de 15 %)<br />
avec la crise de 2009, Air France<br />
a bu la tasse. Plus que les autres.<br />
Les résultats des trois premiers<br />
mois de 2009 en attestent. Durant<br />
cette période, Air France-KLM a<br />
perdu 529 millions d’euros (en<br />
exploitation) contre seulement<br />
44 millions pour Lufthansa.<br />
MAUVAISES APPRÉCIATIONS<br />
ET CRISE DE GOUVERNANCE<br />
Ensuite, le groupe a tardé à réagir.<br />
Certes, le traumatisme dans<br />
lequel était plongée l’entreprise<br />
après l’accident du Rio-Paris, le<br />
1 er juin 2009, n’était pas propice à<br />
des mesures drastiques. Toujours<br />
est-il que le plan de départs<br />
volontaires portant sur 1 800 personnes<br />
décidé en août 2009 était<br />
largement insuffisant. Par ailleurs,<br />
le rebond de l’activité pendant<br />
quelques mois en 2010 a été<br />
mal apprécié. Croyant que la crise<br />
était finie, le groupe n’a pas voulu<br />
se priver de bras pour repartir de<br />
l’avant. Hélas, ce rebond, qui s’est<br />
traduit par des très bons résultats<br />
semestriels en 2010, n’était qu’un<br />
feu de paille. <strong>La</strong> crise est repartie<br />
de plus belle et, après une crise de<br />
gouvernance en 2011 qui n’a pas<br />
arrangé les choses, il faudra<br />
attendre début 2012 pour que soit<br />
lancé un plan à la hauteur des<br />
enjeux. <br />
FABRICE GLISZCZYNSKI