La difficulté d’incarner sur scène un héros difforme a été remarquée par Jean Rostand, filsdu dramaturge :« Un détail de grande importance dans Cyrano, c’est le nez, ce nez très long, ce nezcolossal avec lequel le héros est passé dans l’histoire. Celui de Constant Coquelin […] étaitun petit bout de nez en trompette. Comment concilier le nez de Cyrano et le nez de Coquelin? Un postiche s’imposait. Mon père essaya plus de cinquante nez de cire, avant de trouver laforme définitive. » (Cité dans Jacques Lorcey, Edmond Rostand, t1, Cyrano-L’Aiglon (1868-1900) Séguier, Empreinte, 2004, p290).Guyot Sylvaine, dans son article Le nez de Cyrano, « Qu’a-t-il d’hétéroclite ? » Sublime etmythes de la laideur dans le Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand (cf bibliographie),évoque l’importance de ce nez dans la pièce de Rostand : il participe à ce qu’elle appelle le« sublime romantique ». Le « sublime romantique » est ce qui surgit avec une violence tellequ’il provoque un saisissement qui coupe la parole, ainsi qu’une émotion faite de plaisir etd’horreur mêlés. Pendant toute la première scène, Cyrano brille par son absence et n’estqu’évoqué par l’assistance. Suit alors son apparition « synecdotique » par allusions àdifférentes parties de son corps (voix, bras, moustache). Son arrivée effective provoque alors« stupeur » (182) et « silence » (227) ainsi que le bégaiement du Vicomte.C) Les œuvres majeures de Cyrano de BergeracLes Etats et Empires de la Lune et du Soleil (1657-1662)Quand il aborde le thème des voyages sur la lune et sur le soleil, Cyrano n'innove pas : en1648, paraît, dans une traduction française, le roman de l'anglais Godwin, l'Homme dans lalune. Dans ses deux romans, Les Etats et Empires de la Lune, qu'il achève en 1649 et LesEtats et Empires du Soleil, qui termine en 1652, Cyrano rapporte le récit à la premièrepersonne d'un voyageur débarqué sur la lune, puis sur le soleil. Ces deux ouvrages neparaîtront qu'après sa mort, le premier en 1657 et le second en 1662. Il expose par le biaisde ces voyages fictifs une conception libertine du monde reposant sur le matérialisme. Sespropos sont d'autant plus dangereux pour les défenseurs de la religion et de l'ordre socialqu'il sait plaire et amuser. Il montre la relativité des coutumes françaises, en décrivant lescoutumes souvent plus cohérentes des habitants de la Lune et du Soleil. Il fait égalementpreuve d’une grande imagination et « invente » notamment la fusée à étages et lephonographe.La mort d'Agrippine (1653)Cyrano de Bergerac a écrit deux pièces de théâtre, une comédie, Le Pédant Joué, achevéeen 1645, et une tragédie, La Mort d'Agrippine, créée en 1653 au théâtre de l'hôtel deBourgogne.La Mort d'Agrippine met en scène une conspiration dirigée contre l'empereur romain Tibère(42 av J-C? -37 ap..J-C.). Agrippine, dont Néron sera le petit-fils, veut venger l'assassinat deson mari, Germanicus ; Séjanus, le ministre et le favori de Tibère agit, à la fois, par ambitionet par amour pour Agrippine ; Livilla, enfin, est poussée par la volonté de défendre laANNEXE PÉDAGOGIQUE RÉALISÉE PAR JULIE FOUQUÉ –PROFESSEUR CONSEILLER-RELAIS DAACACADÉMIE DE RENNES14
mémoire de son père, autre victime de l'empereur, et par la passion qu'elle éprouve pourSéjanus. La conspiration sera finalement découverte ; les conjurés seront exécutés, àl'exception d'Agrippine que Tibère maintiendra cruellement en vie, afin de la « voir nourrir/un trépas éternel, dans la peur de mourir ».La Mort d'Agrippine se distingue par l'expression d'une pensée libertine et la revendicationde l'athéisme. La pièce, jugée subversive, fut donc interdite après quelques représentations.Lettres (1654)Publiées en 1654, les Lettres sont classées en Lettres diverses, Lettres amoureuses etLettres satiriques. Cyrano se livre à de véritables exercices de style. Il s'amuse, par exemple,à défendre successivement deux positions contraires dans la Lettre pour les sorciers et dansla Lettre contre les sorciers. Il pousse jusqu'à leur extrême des procédés précieux et évolueà la limite de la parodie. Il hésite sans cesse entre le sérieux, la dérision et l’autodérision.D) Des contestataires : les libertinsUne conception matérialiste du mondeLe mot libertinage n’a pas, à l'origine, le sens négatif qu’on lui prête aujourd’hui. « Libertin »signifie « affranchi », affranchi des conventions : le libertinage s'applique à un mouvement decontestation des idées traditionnelles. C'est une vision du monde, une conceptionphilosophique.Reprenant les théories du philosophe grec Épicure (341-270 av JC), le libertin adhère aumatérialisme. Pour lui, le fonctionnement du monde obéit aux lois de la matière. Pourcomprendre l'univers, l'homme doit donc s'efforcer, grâce à sa raison, de saisir ces lois. Leslibertins sont donc souvent athées puisqu’ils refusent de faire appel à un créateur toutpuissantpour tout expliquer.Une remise en cause de l'organisation politique et socialeLe libertin remet ainsi en cause la validité d'une société et d'une monarchie qui puise salégitimité dans la religion. Il exprime souvent le désir d'une société fondée sur le respect dumérite. Il rêve d'une entente sociale. Il exprime un idéal de liberté et de justice.La recherche du plaisir des sensPuisque les libertins remettent en cause les principes édictés par la religion, ils pensentégalement que l'être humain doit s'efforcer de trouver son épanouissement sur cette terre etdoit rechercher les plaisirs. Il est cependant nécessaire de s’adonner au plaisir avec raison etmodération, dans le respect d’autrui. Le libertin apprécie les beautés de la nature et de l'art.Représentation littéraire du courant libertinLe courant libertin s'exprime, tout au long du XVIIe siècle de manière extrêmement riche etvariée. Il a ses penseurs (Gassendi, Gabriel Naudé) mais également ses poètes etromanciers, comme Théophile de Viau, Saint-Amand, Tristan L'Hermite ou Cyrano deBergerac.ANNEXE PÉDAGOGIQUE RÉALISÉE PAR JULIE FOUQUÉ –PROFESSEUR CONSEILLER-RELAIS DAACACADÉMIE DE RENNES15